L`ART DÉLICAT D`OFFRIR UNE RÉTROACTION

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L`ART DÉLICAT D`OFFRIR UNE RÉTROACTION
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L’ART DÉLICAT D’OFFRIR UNE RÉTROACTION
porteuse de changement
_ Jean-Philippe Bouchard, CRHA, MA, coach et consultant en développement des leaders et des équipes, Spiralis
_ Valérie Lanctôt-Bédard, coach, médiatrice et formatrice en communication, Spiralis
U
ne rétroaction porteuse
de changement est
claire et directe, elle vise
à améliorer une situation tout
en bâtissant la confiance entre
la personne qui la donne et la
personne qui la reçoit.Ce type
de rétroaction est beaucoup
plus que la simple expression
d’un mécontentement ; c’est
un dialogue qui permet de
mieux comprendre les enjeux,
de clarifier la situation désirée
et d’arriver à une entente sur
les mesures à prendre.
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Ce type de rétroaction, que l’on nomme
feedback authentique, est un processus
qui permet de prendre en considération
les opinions, les émotions et les besoins
des personnes impliquées, afin de créer un
climat de confiance et de soutien mutuel.
Bien sur, le feedback authentique s’applique très bien dans le cadre de processus
formels comme l’évaluation de performance, le bilan de projet, l’évaluation de
fournisseurs ou autres rencontres de ce
genre. Toutefois, il s’applique tout aussi
bien à des situations informelles, que ce
soit avec un collègue, une patronne ou un
employé. En fait, il peut être utilisé dans
toute situation où un comportement ou des
paroles contrarient les personnes impliquées et où il y a une volonté d’améliorer
la situation.
Impacts du feedback authentique
•Attentes clarifiées
•Confiance entre les parties
•Engagement mutuel envers des
objectifs communs
Pourtant, c’est un tout autre type de
rétroaction qui prévaut aujourd’hui dans les
organisations. Toutes sortes de moyens sont
employés : commentaire acide en réunion
de projet, soupir lors d’une demande de
congé, courriel vitriolique avec le patron
en copie conforme, remarque douteuse sur
la qualité du rapport d’un collègue. Tous
p ortailrh.org/effect if
•Non-amélioration de la situation
qu’on aimerait changer
•Confusion de la part de la
personne qui le reçoit
•Création d’un climat de méfiance
lorsqu’il est généralisé
ces comportements et paroles sont une
forme de rétroaction, puisqu’ils indiquent
de manière plus ou moins subtile une
insatisfaction envers une situation et un
désir de changement immédiat ou dans un
proche avenir.
Mais ces façons de faire, que l’on
nomme feedback par insinuation, ne sont
pas efficaces, puisqu’elles ont peu de
chance de changer la situation, en plus de
générer de la confusion et de la frustration
chez les personnes concernées. De plus,
lorsque ce type de rétroaction devient la
norme pour toute une organisation, la
qualité des relations est minée, menant à
un climat de méfiance.
Pourquoi alors cette tendance à donner
un feedback par insinuation plutôt qu’un
feedback authentique ? Parce que donner
de la rétroaction est rarement chose facile.
L’insinuation est souvent privilégiée parce
que, malgré toutes les formations en communication et en leadership offertes, malgré tous
les processus formels implantés, la rétroaction demeure avant tout un acte relationnel,
éminemment personnel, qui demande beaucoup d’intelligence émotionnelle.
Les gens ont souvent peur d'offrir un
feedback authentique. Peur de heurter
l’autre, peur qu’il le reçoive comme une
critique ou une attaque personnelle, rendant sa réaction imprévisible, peut-être
colérique, peut-être passive-agressive.
Peur de se révéler en donnant sur leurs
préférences de l’information qui pourra
se retourner contre eux. Peur d’avoir la
po rta i l rh .org /effectif
…il est possible de les minimiser
[les peurs] et d’augmenter son aisance
à donner du feedback authentique afin
d’obtenir les résultats souhaités, tout en
conservant une relation de confiance.
responsabilité de régler le problème étant
donné qu’ils l’ont eux-mêmes identifié.
Peur d’empirer la situation en amenant un
sujet sensible qui pourrait dégénérer en
conversation difficile, causer des tensions
inutiles ou même créer des conflits qui
n’existaient pas au départ.
Toutes ces peurs correspondent à des
risques bien réels. Par contre, il est possible de les minimiser et d’augmenter son
aisance à donner du feedback authentique
afin d’obtenir les résultats souhaités, tout en
conservant une relation de confiance.
QUELQUES ERREURS À ÉVITER
Voici trois erreurs fréquentes et quelques
pistes de solution pour soutenir une prochaine
tentative de donner un feedback authentique.
Première erreur :
vouloir changer l’autre
La première chose qui vient à l’esprit de
beaucoup des gens, lorsqu’une personne a
des comportements qui ne correspondent
pas à leurs attentes, qui les frustrent ou qui
les découragent, c’est que cette personne
doit changer. Lorsque vient le moment de
donner une rétroaction, ils le font avec la
ferme conviction qu’ils ont raison et qu’il
leur revient de faire changer l’autre. Armés
de tous leurs arguments, de toute la force
de leur caractère et de toute leur autorité,
ils entrent dans une arène où il y aura un
gagnant et un perdant.
Avant même qu’un mot ait été prononcé, cette attitude crée de la fermeture
et diminue les chances d’améliorer la
situation. Elle déclenche des comportements défensifs et, dans tous les cas, elle
rend le dialogue ardu, souvent émotif et
rarement constructif.
Passer à une intention constructive
Une intention constructive est toujours liée à
des objectifs, des intérêts et des besoins qui
dépassent les comportements spécifiques
des individus. En fait, si on y regarde de plus
près, ce que toute personne désire vraiment
n’est pas que l’autre change, mais bien que
la situation s’améliore. En pensant de cette
manière, l’intention devient plus inclusive
et élargit l’éventail des solutions possibles,
augmentant ainsi la capacité des deux parties à s’entendre sur les prochaines actions.
La première étape pour développer
une intention constructive est de prendre
conscience de son intention. Lorsqu’une
personne entre en interaction avec une
autre, l’intention qu’elle porte est cruciale
et constitue l’un des principaux déterminants de la qualité du dialogue.
Pour clarifier son intention avant d’offrir
une rétroaction à quelqu’un, une personne
devrait se poser les questions suivantes :
• Qu’est-ce qui me motive à donner
cette rétroaction ?
• Avec quelle attitude aimerais-je
entreprendre ce dialogue ?
• Qu’est-ce que j’aimerais voir changé
par la suite ?
• Quelles sont mes autres options
pour améliorer la situation ?
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Prendre le temps de se poser ces questions permettra de prendre du recul et
de focaliser l’attention sur l’objectif réel :
améliorer la situation.
Deuxième erreur :
évacuer les émotions de la conversation
Dans le monde du travail, on entend
souvent qu’il ne faut pas le « prendre
personnel ». Erreur. Une rétroaction est
toujours personnelle et, par le fait même,
a toujours une composante émotive, que
ce soit pour celui qui la donne ou celui qui
la reçoit. Trop souvent, les gens tentent de
minimiser, de cacher leurs émotions, de
les évacuer du dialogue. C’est une mauvaise stratégie, puisque la meilleure façon
d’augmenter l’intensité d’une émotion est
justement de la nier.
Les émotions sont un système d’information qui permet à chacun de reconnaître
qu’un de ses besoins est menacé. Une
émotion est comme une vague qui passe à
travers le corps, phénomène qui ne se gère
pas, ne se contrôle pas : ça se vit ! « Vivre »
ses émotions et non pas « agir » à partir de
celles-ci. Agir à partir de la colère mène
presque toujours à la violence verbale ou
même physique. Au contraire, vivre sa
colère permet d’identifier le besoin qui n’est
pas comblé dans la situation actuelle. C’est
à partir de la conscience de ses besoins que
l’action d’un individu sera juste.
Prendre les émotions en considération
D’abord, en préparation à la rétroaction,
on doit prendre le temps de reconnaître
les émotions vécues. Si elles sont fortes
et orageuses, il faut en parler à une personne de confiance afin de ventiler et de
faire baisser la pression. On peut aussi en
profiter pour se demander ce qui est si
important dans cette situation pour susciter autant d’émotion.
Ensuite, toujours avant de s’engager
dans le dialogue, la personne doit tenter
d’imaginer ce que l’autre vit en regard de
la situation. Se demander avec une réelle
curiosité ce que l’autre peut bien être en
train de vivre, avec en tête ces possibles
réponses : de la crainte, de la frustration,
du découragement, de la confusion.
Lors de la conversation, si des émotions
se manifestent, il faut simplement les
nommer afin de diminuer leur emprise. Par
exemple : « Comme tu peux voir, je suis très
énervé lorsqu’on parle de ce sujet, c’est
extrêmement important pour moi d’avoir
ta collaboration » ou « Cette situation me
déçoit énormément, j’aimerais tellement
qu’on puisse avoir une vision commune du
problème ». Les mots eux-mêmes n’ont pas
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Pratiquer le feedback authentique
de manière quotidienne, sur de grands
et petits enjeux, est une manière d’être
le changement que tous souhaitent
voir dans leur organisation...
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Troisième erreur : attendre que la goutte
fasse déborder le vase
Choisir le moment approprié est critique
pour obtenir un impact positif d’une
rétroaction. Mais ce n’est pas aussi facile
qu’on pourrait croire. Dans beaucoup d’organisations, la pression sur les livrables est
très forte, la lourdeur des responsabilités
est très élevée, la complexité des processus
demande énormément d’énergie. Les entreprises n’ont jamais eu autant besoin de
collaboration et pourtant l’accent est sur
la tâche, laissant de côté les nécessaires
aspects relationnels. Cela a souvent pour
conséquence un trop long délai avant de
donner une rétroaction.
Celle-ci finit souvent par être donnée
lorsque la situation devient extrêmement
urgente et importante. Cela s’appelle…
une crise ! Et lorsqu’il y a état de crise,
les solutions possibles sont limitées et
le stress de tous est très élevé. Dans ces
conditions, il sera difficile d’avoir un
dialogue ouvert, d’explorer des solutions
créatives et de conserver ou même rebâtir
la confiance.
spécifique dans lequel les personnes impliquées travaillent. Mais peu importe la
fréquence spécifique, prendre le temps de
donner de la rétroaction sur de petits irritants de manière régulière permet d’ajuster
la relation en temps réel, de ne pas accumuler de frustrations et surtout de garder
le canal de communication ouvert entre
les parties. De plus, développer la capacité
à donner de la rétroaction sur de petits
enjeux prépare à en donner sur des enjeux
qui sont plus importants.
Créer une culture
de feedback authentique
Le monde du travail est un monde d’interdépendance qui demande collaboration,
confiance, compréhension et créativité pour
performer à un niveau optimal. Pour avoir
accès à ces qualités, il faut les entretenir
de manière régulière et consciente. Il faut
donc accepter sans surprise que certains
comportements des collègues, patrons et
employés ne correspondent pas aux attentes
de tous. Afin d’ajuster ses attentes et de
les transformer en ententes, chacun doit
considérer comme normal de consacrer du
temps à parler de ce qui l’irrite, le dérange,
l’exaspère, le frustre, le déprime, le stresse,
de manière ouverte et constructive.
Pratiquer le feedback authentique de
manière quotidienne, sur de grands et petits
enjeux, est une manière d’être le changement que tous souhaitent voir dans leur
organisation et ainsi amorcer une transformation vers une culture où il y aura plus de
feedback authentique et moins de feedback
par insinuation.
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tant d’importance, l’idée ici est de révéler
qu’une émotion est présente sans que cela
ne devienne dramatique.
Enfin, lorsque l’autre manifeste ses
émotions – souvent par son comportement
non verbal –, on doit prendre le temps
de les considérer. Une émotion a besoin
d’être écoutée, elle n’est pas un problème
à résoudre. Parfois, la meilleure attitude
est de rester silencieux tout en démontrant
son attention et son intérêt. Pour indiquer
son intérêt, il est aussi possible de redire
ce qui a été entendu ou de nommer l’émotion perçue. Par exemple : « … tu es frustré
parce qu’il était important pour toi de
terminer ce rapport avant vendredi. Est-ce
que j’ai bien compris ? »
Donner régulièrement une rétroaction
Une fois par mois ? Une fois par semaine ?
Une fois par jour ? Tout dépend du contexte
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