Gestion du risque et investissement dans les hedge funds Le cas de

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Gestion du risque et investissement dans les hedge funds Le cas de
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° XXX - Rubrique
Gestion du risque et investissement
dans les hedge funds
Le cas de la faillite d’Amaranth Advisors
Mikael PETITJEAN, Sébastien LEBRUN
Mikael PETITJEAN
Professeur de finance
Sébastien LEBRUN
Ingénieur Civil des Constructions
Résumé
Gestion du risque et investissement dans les hedge funds : le cas de la faillite d’Amaranth
Advisors
par Mikael PETITJEAN et Sébastien LEBRUN
L’objectif de cette étude est d’analyser l’évolution du profil de risque des hedge funds pour parvenir à
mieux se protéger contre un risque de faillite. L’étude de cas porte sur la débâcle d’Amaranth
Advisors, hedge fund multi-stratégique qui a perdu plus de 6 milliards de Dollars en 2006 et ainsi
battu le record de perte jusque là détenu par LTCM en 1998. Afin d’identifier les signes précurseurs
de cette faillite, nous exploitons la méthode développée par EuroPerformance et EDHEC (2006) pour
comparer la performance des hedge funds et établir l’Alpha League table, classement basé sur un
rating multicritère. Les résultats mettent en évidence le changement radical d’objectif adopté par
Amaranth ainsi que l’augmentation drastique des risques. Sur base de ces résultats, Amaranth n’aurait
même plus été repris dans l’Alpha League table un an avant la faillite du fonds.
Mots-clés : risque, gestion, hedge funds, faillite, Amaranth
Abstract
Risk management and investment in hedge funds : The Amaranth Case
by Mikael PETITJEAN et Sébastien LEBRUN
The objective of this study is to identify the warning signs of the collapse of Amaranth Advisors hedge
fund, which lost more than 6 billion dollars in 2006 and broke the record loss previously held by
LTCM in 1998. The method used is the one developed by EuroPerformance and EDHEC (2006) to
compare the performance of hedge funds and establish the Alpha League table, which ranks hedge
funds according to a multi-criteria rating. The results highlight the dramatic change of target adopted
by Amaranth and the spectacular increase in risk. Based on these results, Amaranth would have been
excluded from the Alpha League table one year before the bankruptcy of the fund.
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Keywords : risk, management, hedge funds, bankruptcy, Amaranth
Resumen
La gestión del riesgo y la inversión en hedge funds: el caso del fracaso de Amaranth
Por Mikael PETITJEAN et Sébastien LEBRUN
El objetivo de este estudio es identificar las señales de alerta del colapso del fondo de
cobertura Amaranth Advisors, que perdió más de 6 mil millones de dólares en 2006 y rompió
la pérdida récord anteriormente en manos de LTCM en 1998. El método utilizado es el
desarrollado por Europerformance y EDHEC (2006) para comparar el rendimiento de los
fondos de cobertura y de establecer la tabla de Alpha League, que clasifica a los fondos de
cobertura de acuerdo a un multi-criterios de calificación. Los resultados destacan el cambio
radical de la meta aprobada por Amaranto y el espectacular aumento en el riesgo. Con base en
estos resultados, Amaranto habría sido excluido de la mesa de la Liga Alpha un año antes de
la quiebra del fondo.
Palabras clave : riesgo, gestión, hedge funds, fracaso, Amaranth
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Gestion du risque et investissement
dans les hedge funds
Le cas de la faillite d’Amaranth Advisors
1. INTRODUCTION
Ces dernières années, l’attention portée aux Hedge Funds s’est accrue en raison du rôle de
plus en plus important que ceux-ci jouent sur les marchés financiers. En 2004, ils géraient 7%
des actifs totaux mondiaux. Fin 2006, cela représentait en valeur absolue plus de 1 400
milliards de dollars d’actifs, soit une croissance d’environ 700 % depuis 1995.
Le rôle des hedge funds est ambivalent. D’une part, les hedge funds peuvent concourir à un
renforcement de l’efficience des marchés en améliorant le processus de découverte des prix.
Ils peuvent également renforcer la diversification, le partage des risques et la liquidité, en
raison d’une faible réglementation et donc d’une plus grande liberté d’action. D’autre part, le
manque de transparence et l’absence de système efficace de surveillance ont conduit les
autorités à s’inquiéter des répercussions que leur rôle grandissant peut avoir sur la protection
des investisseurs, les abus de marché, les délits d’initié et le risque systémique (Naszályi,
2007). L’administration Obama a d’ailleurs récemment rendu obligatoire l’enregistrement des
hedge funds auprès de la SEC.
Même si les hedge funds ne sont pas responsables de tous les maux de la terre, il est vrai
qu’ils mobilisent, notamment à
travers les « funds of funds », une part croissante de
l’épargne provenant d’investisseurs qui ne sont pas toujours suffisamment avertis des risques
qu’ils prennent. En ce qui concerne le risque opérationnel et le contrôle interne, il est
également vrai que les valorisations de positions peuvent être sujettes à caution lorsque les
bonus des gérants dépendent de leur performance absolue. Il existe d’ailleurs un consensus
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assez large sur l’importance de renforcer la transparence et les conditions d’autorisation des
fonds, ainsi que la responsabilité et le contrôle de leurs gérants. Ce serait par contre une erreur
de vouloir imposer aux hedge funds le même type de régulation qui existe pour les institutions
financières classiques. La crise des subprimes a démontré que la régulation mise en place n’a
pas empêché les institutions financières ‘traditionnelles’ de prendre des risques inconsidérés
au regard du risque sysmétique qu’elles font supporter à l’ensemble de la collectivité. Les
marchés financiers ont à la fois besoin de transparence et de diversité. Il y a fort à parier que
la crise des subprimes aurait été plus grave encore si les hedge funds avaient été régulées
comme le sont actuellement les institutions financières ‘classiques’.
Il est intéressant de rappeler que la faillite du hedge fund multi-stratégique Amaranth
Advisors est passée totalement inaperçue dans le grand public. Pourtant, Amaranth a perdu
plus de 6 milliards de Dollars en 2006 et ainsi battu le record de perte jusque là détenu par
LTCM en 1998. Cette faillite n’a eu aucun impact réel sur la stabilité du système financier
international. On ne peut pas en dire autant de la faillite d’une institution régulée comme
Lehman Brothers. Cela ne signifie pas que le risque systémique présent au sein du secteur des
hedge funds est inexistant. Selon Amir Khandani et Andrew Lo (2007), la crise des
Subprimes montre qu’il n’a pas diminué, mais qu’il aurait plutôt changé de forme. Au lieu
d’être la résultante d’une position dominante qu’occuperait un seul hedge fund sur un marché
donné, comme ce fut le cas en 1998 et 2006, ce risque systémique serait plus diffus
qu’auparavant car les hedge funds adopteraient aujourd’hui des stratégies de plus en plus
similaires, de moins en moins rentables, nécessitant un effet de levier de plus en plus élevé
dans le but d’atteindre les objectifs de rendements au-delà desquels les hedge funds
perçoivent en général 20% des profits générés pour leurs clients.
Cette étude montre que le changement de style adopté par Amaranth ainsi que l’augmentation
drastique des risques s’est traduit par une nette dégradation de performance qu’il était
possible d’identifier en appliquant la méthode développée par EuroPerformance et EDHEC
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(2006).1 Aucune étude ne l’avait démontré auparavant. Nous soulignons l’intérêt de cette
méthode dans le domaine de la gestion du risque puisque le hedge fund Amaranth est éjecté
de l’Alpha League un an avant sa mise en liquidation.
Ce papier est divisé en quatre sections. Dans la section 2, nous rappelons les événements qui
ont provoqué la faillite d’Amaranth Advisors LLC. La méthodologie et les résultats
empiriques sont détaillés dans la section 3. La section 4 conclut brièvement.
2. LA FAILLITE D’AMARANTH ADVISOR LLC
Amaranth Advisors LLC est fondé en 2000 par Nick Maounis à Greenwhich (Connecticut).
Ses deux fonds d'arbitrage ‘multi-stratégie’ sont Amaranth International et Amaranth
Partners. En 2005, Amaranth réalise un profit d’environ 1 milliard de dollars et bénéficie d’un
investissement substantiel de 175 millions de la part d’un grand fonds de pension californien
(San Diego Employees Retirement Association). Amaranth débute l’année 2006 avec 7,4
milliards d’actifs. Au mois d’avril, les gains cumulés s’élèvent à 2 milliards de dollars, mais
un mois plus tard, en mai 2006, le fonds perd 1 milliards de dollars. A la fin juin 2006, 75%
de ses profits sont générés à partir de positions prises dans le secteur de l’énergie (Katherine
Burton et Matthew Leising, 2006). Fin août, soit un mois avant la mise en liquidation du
fonds, les actifs s’élèvent à 9,2 milliards de dollars. Le 14 septembre, Amaranth enregistre
une perte journalière de 560 millions. Le 19 septembre, le record est battu : 800 millions en
une seule journée. Fin septembre, les actifs du fonds sont inférieurs à 3,5 milliards. Le fonds
est liquidé le 1er octobre. Comment peut-on expliquer une descente aux enfers aussi rapide ?
Brian Hunter, un canadien de trente-deux ans, est trader sur les dérivés de produits de base
énergétiques (gaz, pétrole, électricité) à la Deutsche Bank pour le compte de laquelle il génère
un profit de 17 millions de dollars en 2001 et de 52 millions en 2002. A la fin 2003, alors que
son équipe s’attend à un profit de 75 millions, il enregistre une perte subite de 51 millions.
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Cette méthode permet d’établir un classement des hedge funds, appelé Alpha League, en fonction de la qualité
de leur performance.
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Quelques semaines plus tard, Hunter quitte la Deutsche pour devenir ‘head of energy trading
desk’ chez Amaranth. A partir de 2004, Amaranth va dépendre de plus en plus de ses
opérations sur le marché dérivé du gaz naturel.
La stratégie de base consiste à analyser et prédire l’évolution des stocks de gaz naturel aux
Etats-Unis tout au long de l’année. Il est vrai que les stocks de gaz sont soumis à des effets
saisonniers structurels. D’avril à la fin octobre, le gaz naturel est injecté dans le sol et les
stocks gonflent. A l’inverse, durant la saison froide, de novembre à la fin mars, la
consommation est forte et les stocks chutent. Par conséquent, les prix des contrats à terme sur
le gaz naturel pour les mois d’avril à octobre (été et automne) sont en général moins élevés
que les prix des contrats à terme sur le gaz naturel pour les mois de décembre à mars (hiver et
printemps). En outre, Hunter et ses collègues pensent que ses effets saisonniers vont
s’accentuer sous l’effet de dérèglements climatiques (comme les hivers particulièrement
froids et les ouragans en été ou automne). L'effet dopant de l'ouragan Katrina sur les prix des
contrats ‘hiver’ du gaz naturel en août 2005 est encore dans toutes les mémoires.
Deux stratégies sont particulièrement prisées par l’équipe de Hunter (Hilary Till, 2006). La
première stratégie consiste à acheter des contrats dont le terme est en janvier et à vendre des
contrats dont le terme est en novembre. Si l’écart de prix en dollar entre des contrats ‘janvier’
et ‘novembre’ augmente, le fonds réalise un profit. Or, janvier est un mois d’hiver durant
lequel on peut espérer une vague de froid soudaine et novembre est le mois où les stocks de
gaz naturels sont les plus élevés. Hunter & Co pensent ainsi bénéficier d’événements
météorologiques extrêmes. Par exemple, un ouragan durant la saison chaude humide aura
traditionnellement un impact plus important sur les contrats ‘janvier’ que sur les contrats
‘novembre’. De manière similaire, un hiver particulièrement rude affectera davantage les
contrats ‘janvier’ que les contrats ‘novembre’. La seconde stratégie consiste à acheter des
contrats dont le terme est en mars et à vendre des contrats dont le terme est en avril. Or, les
stocks de gaz naturel sont traditionnellement à leur plus bas niveau en mars et commencent à
se regarnit en avril. Par conséquent, Hunter & Co anticipent une augmentation plus
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importante du prix des contrats ‘mars’ par rapport aux contrats ‘avril’ dans le cas où les
conditions climatiques seraient particulièrement rudes en hiver.
Hunter & Co enregistrent d’excellents résultats jusqu’en avril 2006 (Figure 1). Néanmoins, on
constante clairement qu’à partir du milieu de l’année 2005, la volatilité des rendements
mensuels augmente de manière très significative.
Source : Permanent subcommittee on investigations of the Senate Committee on Homeland Security and
Governmental Affairs (kindly provided to us by Bhaswar Gupta).
A partir de mai 2006, Amaranth amorce sa descente aux enfers. Les conditions et prévisions
météorologiques ainsi que les capacités de stockage ne sont pas conformes aux attentes. En
mai, Amaranth tente de diminuer ses positions mais celles-ci sont telles que le marché ne
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parvient pas à les absorber sans provoquer un mouvement défavorable dans les prix. Le fonds
perd environ 1milliard de dollars.
En juillet 2006, les positions d’Amaranth sur les contrats de janvier 2007, mesurées en
volume, sont égales à la consommation totale traditionnellement enregistrée pour le mois de
janvier de tous les résidents américains. A la même période, Amaranth concentre environ
70% du volume total des contrats de mars et avril 2007, enregistré sur le New York
Mercantile EXchange (NYMEX). Amaranth fait face à une liquidité unidirectionnelle : les
autres acteurs dans le marché sont acheteurs sur les contrats qu’Amaranth a vendus à
découvert et ils sont vendeurs sur les contrats qu’Amaranth détient.
En août, le NYMEX contraint Amaranth à réduire ses positions qui violent les limites fixées
par la bourse. Le fonds obtempère mais il ne fait que transférer ses positions sur
l’InterContinental Exchange (ICE), bourse électronique de l’énergie sur laquelle aucune
limite n’est fixée. Amaranth va même globalement augmenter ses positions pour soutenir
‘son’ propre marché ; le fonds gagne à nouveau 1 milliard de dollars au cours de l'été 2006.
Ce sera son dernier souffle. En septembre, le fonds perd plus de 60% des 9,2 milliards qu’il
détenait. (Pour donner une meilleure appréciation visuelle de l’évolution des rendements,
nous avons fixé les bornes supérieures et inférieures à +/- 15% sur la figure 1. En réalité, le
dernier rendement enregistré à la fin septembre 2006 est de -66%.)
3. METHODOLOGIE DE L’ALPHA LEAGUE TABLE ET RESULTATS
EMPIRIQUES
Nous allons analyser la performance d’Amaranth à l’aide de l’Alpha League Table qui permet
de classer les hedge funds sur base d’une note globale. Ce rating global dépend de trois
grands critères :
1. la performance ajustée du risque (alpha) qui mesure le ‘surplus’ de performance généré par
rapport aux risques supporté par le gérant ;
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2. la persistance de la performance qui donne des informations sur la capacité à délivrer des
alphas positifs de manière fréquente (fréquence de gain) et régulière (exposant de Hurst) ;
3. le potentiel de perte extrême (ou VaR) qui fournit une estimation de la perte attendue du
fonds à un horizon et un seuil de confiance donnés.
En fonction des valeurs prises par ces paramètres, on obtient un classement des fonds dont les
plus performants reçoivent 5 étoiles (Figure 2).
Figure 2 : Tableau d’attribution des notes
Rating
Alpha
Alpha
Fréquence
décroissant
moyen
de gain
>= 0
>= .5
>= 0
>= .5
>= 0
< .5
Exposant de Hurst
>= .5
>= - Frais gestion moyens
50% +
< - Frais gestion moyens
VaR trop forte
Les fonds dont la VaR est au-delà de la moyenne + 2σ sont identifies et ne reçoivent pas
(V)
d'étoiles
R2 trop faible
Pour recevoir une note, le coefficient de détermination de la régression déterminant le style du
(R2 )
fonds doit être supérieur à 70% à l'exception des catégories internationales et de la classe
d'actifs diversifiés où le seuil est fixé à 60%
Source : EuroPerformance et EDHEC (2006)
3.1.
Alpha
L’alpha se mesure en effectuant une analyse de style suivant le modèle élaboré par Sharpe et
qui stipule que le style d’investissement développé par un gérant peut être déterminé en
comparant les rentabilités de son portefeuille à celle d’un certain nombre d’indices
sélectionnés. Le modèle s’écrit comme suit :
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R it  rf  i  i1 F1t  rf   i 2 F2t  rf   ...  iK FKt  rf   eit
où α = représente la performance ‘anormale’ du fonds, Ri = rentabilité (nette de frais) d’un
portefeuille ou fonds i ; rf est le taux sans risque ; βik = sensibilité du fonds au facteur k ; Fk =
rentabilité du facteur k pour la période t
De nombreux indices sont disponibles pour les Hedge Funds en fonction des stratégies
suivies, comme les ‘EDHEC Alternative Indexes’ que nous avons utilisés pour notre étude.
On dénombre trois grands types de stratégies qui se décomposent en différents styles et même
parfois en sous styles :
1. les stratégies directionnelles qui prennent des positions sur la base des tendances des
marchés ou des titres ;
2. les stratégies événementielles qui cherchent à tirer parti d’anomalies de prix résultant
d’événements ponctuels de la vie d’une entreprise ;
3. les stratégies d’arbitrages qui cherchent à exploiter les petits écarts de valorisation entre des
titres fortement corrélés.
L’analyse de style indique que le fonds Amaranth a surperformé son ‘portefeuille de style’
référentiel (benchmark) de janvier 2003 à avril 2005. En effet, les rendements effectivement
générés par Amaranth (courbe bleue) dominent les rendements prédits par le style du
portefeuille (courbe rose), tout en épousant leur évolution (Figure 3).
Durant cette période, le fonds
génère un alpha moyen positif. Enfin, le coefficient de
2
détermination (R ) reste supérieur à 70% jusqu’en août 2005, indiquant que la stratégie et le
style de gestion du fonds restent conformes aux attentes.
La situation se dégrade à partir de 2005. On constate que les 2 courbes évoluent de manière
très divergente, ce qui peut indiquer un changement dans le style et la stratégie adoptés par le
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fonds. Enfin, le coefficient de détermination (R2) passe sous la barre des 60% jusqu’en
septembre 2005, confirmant l’analyse visuelle.
Figure 3 : Rendements réalisés et prédits par l’analyse de style
Source : Calcul des auteurs.
3.2.
Fréquence
La fréquence de gain mesure le pourcentage de fois où le fonds délivre une performance
supérieure à celle de son benchmark. Jusqu’en avril 2005, Amaranth a enregistré une
performance de gain supérieure à son style dans 90% des cas (Figure 4).
Au-delà, la fréquence de gain décroît progressivement pour atteindre son minimum en
septembre 2006. Même si cette fréquence reste largement supérieure à 50%, elle suit une
tendance baissière indiscutable et affiche une forte variabilité.
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Figure 4 : Fréquence de gain
Source : Calcul des auteurs.
3.3.
Exposant de Hurst
Si le ‘surplus’ de rentabilité généré par un fonds suit une marche aléatoire, il ne doit pas y
avoir de corrélation entre le surplus de rentabilité constaté au temps t et celui constaté au
temps t+1. Autrement dit, le gestionnaire du portefeuille ne parvient pas à générer ce surplus
de rendements de manière persistante car le facteur ‘chance’ est dominant. Par pure chance,
une rentabilité positive sera suivie d’une rentabilité positive dans 50% des cas. Par contre, s’il
existe une persistance dans la série des rentabilités ‘excessives’, ce taux doit être
(significativement) supérieure à 50%, ce qui peut indiquer que le processus sous-jacent ne suit
pas une marche aléatoire.
L’exposant de Hurst (H) est construit comme une mesure de déviation par rapport à la marche
aléatoire. On calcule d’abord la série des surperformances (ERt) qui est ensuite normalisée par
rapport à la moyenne des rentabilités pour obtenir la série (Zt). On définit ainsi : ERt = Rt −Bt,
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où Rt est le rendement du fonds au temps t et Bt est le rendement du benchmark au temps t ; Zt
= ERt −m où m 
t
1 T
.
On
calcule
ensuite
une
série
cumulée
R
Y
(
t
)

Z ( s) pour obtenir
 t

T t 1
s 0
Y1  max Y (t ) et Y2  min Y (t ) . Finalement, l’exposant de Hurst H est calculé comme suit :
0tT
H
0tT
1
 ( Y  Y2 ) 
. ln 1
 où
ln T 



1 T
R t  m 2

T  1 t 1
est l’estimateur sans biais de la
dispersion des rendements sur l’échantillon.
Si H est supérieur à 50%, le fonds offre une plus grande probabilité de répliquer un excès de
rentabilité positif ultérieurement ; on parle alors de persistance (ou de ‘corrélation positive’)
dans la série de rendements.
L’exposant de Hurst calculé pour le fond Amaranth fluctue fortement au cours du temps
(Figure 5). Il atteint un minimum de 0,34 en mai 2005. L’exposant chute à nouveau sous la
barre des 50% en mai 2006.
Figure 5 : Exposant de Hurst
Source : Calcul des auteurs.
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3.4.
Value-at-Risk
La VaR est calculée sur base d’une méthode semi-paramétrique. Cette méthode consiste à
calculer une VaR en utilisant la distribution normale, puis à corriger cette mesure en tenant
compte de l’asymétrie et de la kurtose de la distribution empirique des rendements. Dans le
cadre gaussien, la VaR peut être calculée en utilisant la formule suivante: VaR  W (  Z c )
où   PdW  VaR  = seuil de confiance de la VaR (typiquement 1%), W = valeur actuelle
du portefeuille, m = moyenne des rendements, σ = déviation standard des rendements, et Zc =
nombre de déviation standard à (1-α). L’ajustement (de Cornish-Fisher) s’effectue au niveau
du quantile Zc comme suit:
1
1
1
Z *  Z c  ( Z c2  1) S  ( Z c3  3Z c ) K  (2Z c3  5Z c ) S 2
6
24
36
où Zc = valeur critique de la probabilité (1-α), S = degré d’asymétrie, et K = degré de kurtose
excessive = degré de kurtose – 3.
La VaR ajustée est donc égale à: VaR  W (  Z * )
Jusqu’au début de l’année 2006, la VaR mensuelle d’Amaranth (la courbe bleue sur la figure
6) est ne dépasse pas 5% et est inférieure à la VaR de son benchmark (courbe rose). Après
mai 2006, elle explose pour atteindre des valeurs supérieures à 10%.
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Figure 6 : VaR
Source : Calcul des auteurs.
3.5.
Classement
Sur base du tableau d’attribution des notes développé par EuroPerformance et EDHEC
(2006), on peut définir le rating d’Amaranth mois après mois, de janvier 2005 à septembre
2006 (Tableau 1).
On constate que, pour les périodes de janvier à mars 2005, le fonds obtient la meilleure note
du classement, soit ‘5 étoiles + Hurst’. Ensuite, pour les mois d’avril et mai 2005, il passe
brutalement vers la moins bonne note pour revenir à un rating de ‘5 étoiles’ en juin 2005 et de
‘5étoiles + Hurst’ pour les deux périodes suivantes (jusqu’en août 2005). C’est la dernière
apparition d’Amaranth dans le classement. Un an avant sa mise en liquidation.
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Tableau 1 : Rating du fonds Amaranth de janvier 2005 à septembre 2006
Source : Calcul des auteurs.
4. CONCLUSION
La consultation d’un rating tel que celui publié par Europerformance et EDHEC permet à un
investisseur, même peu averti, d’avoir des indicateurs sur la gestion du fonds. Le simple fait
d’apparaître dans le Rating signifie que le fonds communique régulièrement ses rendements
hebdomadaires et que le fonds est cohérent avec le style prévu. Ce genre de rating permet aux
investisseurs de s’apercevoir si un fonds génère de l’alpha et d’évaluer si celui-ci est capable
de reproduire sa performance en tenant compte, tant bien que mal, des risques de pertes
‘improbables’. Dans le cas d’Amaranth, nous avons vu que la simple classification du fonds
par étoiles et son exclusion du classement aurait permis d’émettre certains doutes sur sa
réelle performance puisque les premiers signaux d’alerte sont lancés plus d’un an avant la
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mise en liquidation du fonds. Certes, cela contraste avec les rendements exceptionnels réalisés
entre juin 2005 à août 2006 (près de 43 % sur base annuelle). Derrière le rendement, se cache
le risque. Trop d’investisseurs l’oublient. Cela est d’autant plus vrai que la quête absolue
d’alpha incite les gérants à trouver en permanence de nouvelles stratégies d’investissement,
quitte à s’éloigner de leur stratégie initiale et à en modifier fortement le profil rendementrisque (style drift).
L’avantage de ce rating est sa totale transparence et sa grande simplicité. Il suffit de disposer
d’un historique de rendements du fonds et des indices de hedge funds pour calculer le rating.
Certes, la méthode peut paraître simpliste. Il n’en reste pas moins qu’il est préférable d’être
« roughly right than precisely wrong », selon l’expression attribuée à John Maynard Keynes.
Surtout si vous vous apprêtez à prendre votre retraite et que votre fonds de pension investit
150 millions de dollars dans un hedge fund qui met la clé sous le paillasson un an plus tard.
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BIBLIOGRAPHIE
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