Le Texier - Une nouvelle histoire de la pensée

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Le Texier - Une nouvelle histoire de la pensée
Une nouvelle histoire de la pensée managériale
Analyse textuelle diachronique du terme « management », XIXe-XXe siècles
Thibault Le Texier
Groupe de recherche en droit, économie et gestion (GREDEG-CNRS)
[email protected] - 01 43 71 01 56
Projet proposé dans le cadre d’une candidature
à un poste de chargé de recherche 2e classe au CNRS
décembre 2011
Résumé du projet
Ce projet entend élaborer une histoire de la pensée managériale à partir d’une étude
qualitative et quantitative d’ouvrages anglais publiés aux XIX e et XXe siècles utilisant de
manière récurrente le terme « management » et ses déclinaisons. Il se structure en trois axes
principaux. Le premier consiste à dessiner l’évolution historique du contexte symbolique et
institutionnel des usages de la notion de « management », et notamment la manière dont
l’ensemble des représentations que subsume cette notion circule entre différentes institutions,
au premier rang desquelles la famille, l’entreprise et l’administration publique. Le second
consiste à distinguer la rationalité managériale ainsi identifiée d’autres types de rationalités,
telles que la rationalité marchande, la rationalité instrumentale, la rationalité régalienne et la
rationalité patriarcale. Ce projet vise enfin à conceptualiser le management comme un art de
gouverner à part entière, et ce faisant à contribuer aux théories du pouvoir et de la
gouvernance.
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Positionnement théorique
Les histoires des pratiques et des représentations du management montrent dans
l’ensemble un même biais rétrospectif. Après avoir construit une définition archétypique du
management à partir des réalités récentes que recouvre ce terme, elles fouillent dans les
histoires de l’entrepreneuriat, du travail, de la technique, du commerce et du capitalisme à la
recherche des préludes et des prototypes de ces formes contemporaines. Les historiens
tributaires d’une telle méthode tendent, dans leur très grande majorité, à ignorer les sens qu’a
eus la notion de « management » du XVIe au début du XXe siècle.
Plus encore, une grande partie des études historiques du management reste dans les limites
de l’entreprise à but lucratif. Même le principal historien de la pensée managériale, Daniel
Wren, qui s’aventure jusqu’à l’histoire babylonienne dans son ouvrage de référence sur
l’Évolution de la pensée managériale (Wren, 1972), circonscrit à la gestion des entreprises
privées à visée commerciale des XIXe et XXe siècles le livre qu’il a dirigé sur la Première
pensée managériale (Wren, 1997), ainsi que celui qu’il a co-écrit sur les Innovateurs du
management (Wren and Greenwood, 1998).
Certains historiens de la comptabilité se sont bien aventurés hors du champ du commerce
et de l’industrie (cf. Parker, 1969, p.15 ; Freear, 1970 ; Noke, 1981 ; Scorgie, 1997 ; Juchau,
2002). Mais dans l’ensemble, les racines non capitalistes et non technologiques du
management restent ignorées par la plupart des historiens de la gestion. L’historien anglais
Sidney Pollard fait figure d’exception, qui risque quelques excursions dans le management
des fermes et admet que « le domaine agricole puisse annoncer quelques-unes des méthodes
utilisées plus tard dans les usines » (Pollard, 1965, p.30). Mais le management signifiant pour
lui « le management à but lucratif », c’est-à-dire le fait de « gérer de larges établissements
dans un environnement concurrentiel et changeant et dans le cadre de motivations
économiques », il en cherche logiquement les origines dans les premiers grands
regroupements capitalistiques de travailleurs pré-industriels (Ibid, p.24 et p.270). Pour lui, la
naissance et l’essor du management ont nécessité non seulement des établissements productifs
de grande taille, mais aussi un environnement marchand.
Dans son ouvrage sur l’histoire de la grande entreprise privée, Alfred Chandler remonte
aussi loin qu’il le peut dans l’histoire des « entreprises de production traditionnelles », citant
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les plantations sudistes, les usines textiles de Lowell et l’armurerie de Springfield (Chandler,
1977, « Ch. 2, L’entreprise de production traditionnelle », pp.57-88). Cependant, à la manière
de Pollard, ce qu’il recherche dans le passé, ce sont des formes de production à grande échelle
et des organisations de type industriel à visée commerciale. À ce titre, il ne considère pas les
vastes plantations afin de comprendre leur logique, mais y cherche les pratiques devenues
familières à l’observateur des grandes entreprises modernes.
Loin d’être le lieu de naissance et d’essor du management, la famille est, selon Chandler,
un obstacle et même un ennemi de la grande entreprise privée en ceci qu’elle incarne un
ensemble de principes rivaux (Chandler, 1962, p.110 ; 1977, p.1 et pp.19-21). Il a donc fallu,
selon lui, que l’entreprise se défasse de ses traditions familiales et de ses modes
interpersonnels de production et d’échange pour pouvoir devenir une institution véritablement
managériale.
Tout au long de son œuvre, Chandler s’intéresse principalement à l’émergence et au
développement du « capitalisme managérial » tel qu’il prend forme avec la grande entreprise
privée américaine à la fin du XIX e siècle, et dans une moindre mesure seulement au
management proprement dit (cf. exemplairement l’un de ses premiers articles : Chandler,
1959). Dans son sillage, les historiens du management qui se sont aventurés par-delà le XIX e
siècle ont généralement cantonné leurs observations à la sphère des activités de production à
finalité marchande.
D’autres historiens de la gestion ont au contraire étendu très largement leur prisme
analytique (Urwick and Brech, 1944, p.12 et 1949, p.216 ; George, 1968 : Wren, 1972 ;
Robbins, 1990 ; Roth, 1993 ; Crainer, 1997 ; Wren and Greenwood, 1998 ; Wilson and
Thomson, 2006, p.6 ; Pearson, 2009). Et leurs histoires de la gestion d’englober le code
Hammurabi et l’Arthasastra de Chanakya (Wren, 1972, p.14, p.15 et p.409), les Pharaons
(Drucker, 1946, p.xv ; 1954, pp.341-342, 1989, p.200), les ateliers et les marchés de la Grèce
et de Rome (Urwick and Brech, 1949, p.216), Sun Tzu, Machiavel et Clausewitz (George,
1968, p.14 et p.74 ; Wren, 1972, p.14 et p.175 ; Crainer, 1997 ; Pearson, 2009, p.182) ou
encore la Bible (Robbins, 1990, p.32). Armés de telles définitions englobantes, la plupart de
ces auteurs considèrent comme des managers à part entière les chefs militaires, les prêtres, les
juristes, les dirigeants politiques et les entrepreneurs marchands. Ainsi, résume l’un des
premiers historiens américains de la pensée managériale, « une véritable histoire détaillée du
management serait une histoire de l’humanité » (George, 1968, p.vii). Loin de pouvoir
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constituer un opérateur théorique pertinent pour interroger la modernité occidentale, la notion
de « management » semble dès lors vidée de toute singularité culturelle et historique et de
toute consistance scientifique.
L’histoire de la pensée managériale, essentiellement anglo-saxonne, reste un sous-domaine
peu exploré de l’histoire de la gestion. Que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, c’est
l’histoire des pratiques de management et à celle des entreprises, bien plutôt que l’histoire des
représentations et des théories qui accompagnent leur formation et leur développement, qui
recueille les faveurs de la majorité des chercheurs en gestion. Ce projet de recherche vise
notamment à questionner les raisons de cette orientation majoritairement technique et pratique
du regard que les sciences de gestion portent sur elles-mêmes.
Notons également que l’histoire de la gestion est présentée par la plupart des manuels
comme une succession d’écoles allant du taylorisme à la théorie de l’environnement
organisationnel en passant par les théories de l’administration, le mouvement des relations
humaines, les analyses structurelles ou encore les théories béhavioristes. Les divergences et
les ruptures sont soulignées plus volontiers que la continuité conceptuelle reliant Taylor à
Mintzberg. Sans ignorer les différences théoriques importantes pouvant exister entre ces
courants, nous comptons mettre à jour et analyser plus particulièrement le soubassement
épistémologique qui les unit.
Enfin, la plupart des historiens de la gestion confinant leurs analyses au champ
entrepreneurial, ils tendent à méconnaître la manière dont le management s’est structuré en un
art de gouverner applicable à différents types d’institutions, dont l’État. Les théories de la
gouvernance constituent par exemple un cas d’application de la pensée gestionnaire à
l’institution régalienne. C’est à mettre en lumière le coefficient de circulation de la logique
managériale hors du domaine propre aux entreprises que sera également consacrée cette
recherche.
En sus des histoires des pratiques et des techniques de gestion et à rebours des histoires par
trop inclusives ou exclusives, il semble souhaitable de construire une histoire inédite de la
pensée managériale qui plonge aux racines domestiques du management, qui explicite les
motifs symboliques et institutionnel du changement de sens de cette notion à la charnière des
XIXe et XXe siècles, qui montre la structuration et l’unité du discours managérial tout au long
du XXe siècle et qui analyse la manière dont cette pensée managériale traverse
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progressivement toutes les institutions sociales constitutives des sociétés industrielles
modernes. C’est à écrire une telle histoire qu’est largement consacré ce projet de recherche.
Quatre hypothèses pour une autre histoire de la gestion
Ma thèse a visé à élaborer quatre hypothèses pouvant servir de fondement à une autre
histoire de la pensée managériale (Le Texier, 2011). Leur formulation repose sur une lecture
qualitative de près de six cents ouvrages non-fictionnels publiés en anglais entre la fin du
XVIIIe siècle et nos jours utilisant de manière récurrente la notion de « management ». Ces
lectures ont consisté à identifier les différents réseaux de concepts au sein desquels prend sens
le terme « management » au cours de ces presque deux siècles et demi, l’évolution historique
de ces réseaux et leurs agencements selon les contextes institutionnels d’utilisation de la
notion.
Les hypothèses élaborées dans ce cadre sont les suivantes :
1) Il existerait deux rationalités managériales. La première se constituerait tout au long du
XIXe siècle autour d’un premier faisceau de concepts dont les principaux serait le « soin »,
l’« industrie », l’« arrangement », la « conduite » et le « calcul ». Le management ferait alors
sens principalement par rapport à la famille et non par rapport au travail industriel ou au
marché, dans un environnement non capitaliste, largement féminin et faiblement technicisé où
le travail est peu divisé. L’enfant serait son objet paradigmatique.
La seconde rationalité managériale verrait le jour à la fin du XX e siècle et s’articulerait aux
notions d’« efficacité », d’« organisation », de « contrôle » et de « savoir ». L’entreprise
privée est l’institution cardinale de cette rationalité managériale moderne, et le travailleur
salarié son objet privilégié. La première rationalité managériale n’est pas une référence
explicite des architectes de la seconde ; c’est plutôt le soubassement cognitif sur lequel ils
choisissent de construire leur propre conception de la notion. Les théoriciens du management
industriel hériteraient du sens premier du terme en même temps qu’ils lui feraient subir un
triple déplacement : le principe de soin, dimension majeure de l’environnement sémantique du
terme « management » depuis la fin du XVIIIe siècle, disparaîtrait alors presque
complètement. Le concept de contrôle, dont cette recherche doit confirmer qu’il n’est pas un
référentiel important de la première rationalité managériale, devient un signifié central de la
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seconde. Enfin, à partir de ces années 1890, la notion de « management » ne serait plus
appliquée préférentiellement aux enfants mais aux travailleurs. En usant du terme
« management » comme lieu symbolique de rassemblement et d’identification collective,
comme vecteur d’intelligibilité de leurs pratiques et comme étendard de leur quête de
reconnaissance et de leurs conquêtes sociales, les ingénieurs américains et britanniques
adapteraient en effet cet idiome autant qu’ils l’adopteraient. L’antériorité chronologique de la
première rationalité managériale par rapport à la seconde ne serait pas une antériorité causale.
Il existerait cependant une continuité suffisamment forte de la première à la seconde
rationalité managériale pour que l’on considère les premiers usages savants du terme
« management », à la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe, comme partie intégrante de
notre histoire de la pensée managériale.
La seconde rationalité managériale montre, tout au long du XXe siècle, une unité et une
stabilité qui ne semblent de nature ni idéologique ni scientifique. De fait, la constitution du
management en discipline académique à prétention universelle ne serait pas le projet politique
d’un groupe donné visant à asseoir en fait et en légitimité son hégémonie sociale. Plutôt
qu’une théorie cherchant son application, ce serait une pratique en quête de formalisation
théorique. Ni le taylorisme ni aucune des doctrines gestionnaires qui lui succède ne
s’appuieraient sur un véritable soubassement scientifique.
2) La rationalité managériale moderne ne serait rabattable ni sur le commandement
militaire et la discipline des corps, ni sur l’autorité patriarcale et morale, ni sur la rationalité
instrumentale propre aux ingénieurs, ni sur la logique marchande forgée par les économistes
à partir du XVIIIe siècle. Les ingénieurs industriels américains qui s’emparent du terme
« management » à partir de 1890 le construisent même largement en réaction à ces quatre
manières de penser le gouvernement des individus qui ont cours au XIX e siècle. On ne saurait
donc pleinement comprendre la rationalité managériale moderne à partir des catégories
propres à la discipline militaire, à l’autorité patriarcale, à l’ingénierie et à l’économie
politique. Au contraire, le management moderne ne semble pouvoir véritablement se
sédimenter que là où ces référentiels n’informent plus structurellement les manières de penser
le gouvernement des êtres et des choses, pour quatre raisons principales.
Premièrement, au XXe siècle, gérer consisterait moins à surveiller, à punir et à discipliner
qu’à normaliser, à agencer et à former. Il ne s’agirait pas d’abord de contraindre mais plutôt
de persuader ; non pas de plier mais d’éduquer. Il s’agirait de soumettre les travailleurs non
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pas à une volonté individuelle mais à des normes objectivées. Dans son sens moderne, le
management se voudrait une autorité impersonnelle détachée des individus chargés de
l’imposer, un pouvoir objectivé dans des dispositifs symboliques et institutionnels plutôt
qu’incarné dans des individus en vertu de leurs qualités innées. Selon un tel prisme, les ordres
seraient idéalement remplacés par des standards. En cas de faute, de refus ou de révolte, le
management sanctionnerait par exclusion, renvoi et relégation plutôt qu’il n’enfermerait et ne
châtierait.
Deuxièmement, si les ingénieurs américains du début du siècle font du principe d’efficacité
un référentiel central de la logique managériale moderne, ils s’éloigneraient quelque peu de la
conception réifiante et strictement machinique propre à leurs prédécesseurs. Pour eux, la
machine serait une référence symbolique bien plus qu’un modèle absolu. La rationalité
managériale moderne ne saurait donc être confinée dans les limites de la rationalité
instrumentale. Le management moderne n’est pas une question de technique et n’est pas
d’abord lui-même une technique ou un ensemble de techniques. Passant de l’ingénierie au
management, on passerait ainsi de l’administration des choses au gouvernement des hommes,
en non inversement. S’il est bien une invention d’ingénieurs, l’avènement du management
moderne ne découlerait pas pour autant directement de la révolution industrielle, du
développement du machinisme ou de l’innovation technologique.
Troisièmement, le profit, la propriété, l’intérêt, le capital, ces catégories nodales de la
science économique depuis la fin du XVIIIe siècle au moins, ne semblent pas être des
références importantes pour les sciences de gestion. Plus encore, les théoriciens de la
rationalité managériale moderne se désintéresseraient des institutions privilégiées par
l’analyse économique que sont la monnaie, l’État, et le marché. Il importerait donc de ne pas
réduire le management au business management ou au « capitalisme managérial »
chandlérien.
Quatrièmement, les ingénieurs américains qui redéfinissent le terme « management » entre
1890 et 1915 rejettent explicitement la morale comme fin en soi, la philanthropie comme
devoir patronal ainsi que les relations de travail fondées sur des liens personnels forts, alors
que ces référentiels patriarcaux restent centraux pour les penseurs de l’organisation du travail
au XIXe siècle. Plus encore, on peut faire l’hypothèse que les ingénieurs industriels ont
sciemment forgé une gouvernementalité managériale pour faire pièce aux modes
d’organisation du travail de type patriarcal.
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3) On ne saurait confiner la compréhension du concept anglo-saxon de « management » à
un espace institutionnel unique, ni associer l’évolution de ses significations à des causes
strictement institutionnelles. La notion de « management » pouvant circuler entre différentes
institutions sans changer radicalement de nature, le facteur institutionnel ne saurait suffire à
expliquer les évolutions de la rationalité managériale aux XIXe et XXe siècles.
Cette notion prendrait son sens principal, à partir du dernier tiers du XVIII e siècle, en
référence au gouvernement patriarcal. L’autorité du père, le soin des membres dépendants de
la famille, l’arrangement de la maison et de la ferme, telles sont les principales références du
terme « management » jusqu’à la fin du XIXe siècle. Que la notion soit usitée dans un
contexte industriel et commercial, dans un contexte scolaire ou dans un contexte domestique,
elle fait alors référence à cet imaginaire patriarcal.
On ne saurait attribuer la disparition brutale du référentiel patriarcal chez les ingénieurs
mécaniciens qui popularisent la notion de « management » au début du XXe siècle à des
causes strictement institutionnelles. Ce ne serait ni parce qu’ils travaillent dans des entreprises
privées, ni parce que ces entreprises croissent en taille, que le terme changerait de sens. Le fait
que la rationalité managériale moderne puisse être appliquée, dès les années 1910, au travail
domestique, à l’administration des églises et des municipalités, au gouvernement des
universités ou encore au commandement des armées, suffirait à le prouver. Qu’à partir des
années 1980 le terme de « management » et le référentiel conceptuel qui lui est propre soient
également massivement utilisés tels quels pour penser la réforme des organismes publics
anglais et américains est un autre élément de preuve apporté par mes travaux de thèse.
Ce projet vise à asseoir quantitativement ces preuves et à répondre, en sus, aux
questionnements suivants : l’appropriation par les théoriciens de l’administration publique
influence-t-elle la manière de penser des théoriciens de la gestion des entreprises privées ? Si
la matrice conceptuelle des gestionnaires peut être employée pour analyser les phénomènes
propres aux organismes publics, la matrice conceptuelle des théoriciens de l’administration
publique est-elle usitée pour analyser les phénomènes propres aux organismes privés ? Et
dans l’affirmative, de quelle manière s’opèrent ces échanges ? Quels concepts circulent avec
le plus de fluidité et lesquels semblent cantonnés à une institution donnée ? Est-il exact que
les catégories relevant de l’univers marchand, tels que celles de « profit » et de « propriété »,
ont été minorées par les les théoriciens de la gestion en proportion de leurs ambitions à
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appliquer leurs modèles à des institutions autres que l’entreprise privée à but lucratif ? Quelle
place occupe la notion de « gouvernance » dans ces échanges conceptuels ?
La principale conséquence de cette hypothèse de recherche est que l’on ne saurait associer
le management à l’entreprise et aux phénomènes institutionnels qui lui sont propres. Qui dit
« management » ne dit pas nécessairement « entreprise ». Tel est un des résultats importants
que cette recherche entend établir : les historiens et théoriciens du management moderne ne
sauraient donc raisonnablement en expliquer la naissance, l’essor et la dynamique en
confinant leurs observations aux entreprises privées.
4) Le management serait compréhensible comme un art de gouverner à part entière. Mes
travaux de thèse ont dessiné les contours de ce gouvernement de type managérial que cette
recherche entend plus pleinement théoriser sur la base de réseaux conceptuels mis à jour par
des analyses textuelles poussées. Cette « gouvernementalité » managériale, pour reprendre
tout en le redéfinissant un concept de Michel Foucault (cf. Foucault, 1978, pp.111-112 ;
1982a, p.785 ; 1982b, p.241 ; 1984, p.728), ne saurait être rabattue sur la logique régalienne,
qui se structurerait pour son compte autour de la figure de l’État et des principes de justice, de
légalité, de souveraineté, de sécurité, de centralisation, d’unité et d’équilibre.
L’examen de cette gouvernementalité nouvelle est l’occasion d’interroger les principales
manières de penser le gouvernement prévalant de part et d’autre de l’Atlantique depuis un
siècle et demi, et ce faisant de contribuer à préciser les entendements contemporains du
gouvernement. Les schémas généraux d’appréhension du pouvoir formulés au XX e siècle,
qu’ils soient inspirés de Marx, de Weber, de l’École de Francfort, de Bourdieu ou de
Foucault, se focalisent dans leur ensemble sur des dominations de type étatique, disciplinaire,
juridique, physique, marchande et technique. En particulier, le pouvoir y est communément
pensé sous la figure du souverain, de la discipline et de la loi. Michel Foucault peut même
avancer, à cet égard, que « l’Occident n’a jamais eu d’autre système de représentation, de
formulation et d’analyse du pouvoir que celui du droit, le système de la loi » (Foucault, 1976,
p.186 ; cf. Legendre, 1983, p.132). À la suite de Marx et des premiers théoriciens de l’École
de Francfort, le pouvoir est également communément théorisé au moyen des concepts de
« technique », de « capital », de « propriété » et de « production ». C’est, en dernier lieu, à
une autre théorisation du pouvoir, s’appuyant notamment sur une conceptualisation politique
des notions d’« efficacité », d’« organisation », de « contrôle » et de « savoir », que vise ce
projet de recherche.
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En l’occurrence, la gouvernementalité managériale est un exercice du pouvoir qui ne
reposerait pas sur la propriété ou sur la discipline mais sur le contrôle et le savoir ; qui ne
viserait pas à régler uniformément mais à normaliser de manière adaptative ; qui procéderait
par arrangement et formation d’entités considérées comme malléables et non par contrainte ou
par interdiction ; qui viserait non pas à la cohésion familiale, au profit ou à la justice mais à
l’efficacité. En un mot, le management moderne consisterait à organiser, à contrôler et à
rendre efficaces des ressources humaines à l’aide d’un savoir rationnel.
Plus encore, manager ce ne serait pas seulement rendre efficace, ce serait postuler que
l’efficacité est une valeur universelle. Manager, ce ne serait pas seulement organiser des
espaces, des outils, des corps, des règles, des procédures, des comportements, des symboles,
des institutions et des consciences de manière à produire efficacement, et presque
automatiquement, des résultats prédéterminés – une organisation formelle plus ou moins
durable étant l’un de ces produits. Manager, ce serait aussi faire société par agencement
d’artefacts, d’individus, de collectifs, d’émotions, de désirs et de signes. Manager, ce ne serait
pas seulement renoncer à la discipline des corps, à l’appropriation des choses et au
commandement militaire. Ce serait aussi contrôler de manière impersonnelle et
individualisante, et ce serait favoriser l’autocontrôle de tous et de chacun. Manager, ce ne
serait pas seulement savoir, ce serait collecter, transformer et incorporer des savoirs. Bref,
manager, ce serait produire non pas des biens de consommation ou des services, mais des
individus et groupes humains efficaces, organisables, contrôlables et connaissables. Une
problématisation approfondie de la gouvernementalité managériale devra permettre de cerner
l’articulation de ces différents phénomènes de pouvoir.
Objectifs du projet
Cette recherche épistémologique vise principalement à dessiner la dynamique symbolique
et institutionnelle de la pensée managériale du début du XIXe siècle à la fin du XXe , à savoir
les sens que prend alors le concept de « management » et les institutions auxquelles il se
réfère.
L’objectif général de ces travaux se décompose en quatre objectifs secondaires :
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Il s’agit dans un premier temps de mettre au jour les réseaux thématiques et les isotopies de
la littérature managériale depuis deux siècles. En d’autres termes, il s’agit d’identifier et
d’analyser les réseaux de référentiels sémantiques au sein desquels est construit l’entendement
commun de la notion anglo-saxonne de « management » durant les deux cents dernières
années. Grâce aux outils informatiques d’analyse diachronique, il est possible de repérer
l’apparition, l’importance et éventuellement le déclin de termes et de thèmes tels que
l’évaluation, le système, l’environnement, la structure, l’information, le réseau ou encore la
stratégie. Il est également possible d’identifier similairement les métaphores utilisées pour
comprendre la gestion, telles que la machine, le cerveau, l’armée, l’organisme ou le flux (cf.
Morgan, 1986).
Dans un second temps, il convient de théoriser les principaux concepts structurant
l’intelligence collective de la rationalité managériale moderne, dont nous postulons pour
l’instant qu’il s’agit de l’efficacité, du contrôle, de l’organisation et du savoir. Il ne s’agit
donc pas d’identifier et de définir des constellations de concepts mais également de les
théoriser, dans une perspective véritablement philosophique. Ce faisant, il s’agira également
d’analyser la constitution en concept du terme « management », dans l’hypothèse où l’idée de
management ne préexisterait pas nécessairement au terme.
Troisièmement, il s’agira d'analyser la structuration du management en discours à
prétention scientifique. Il conviendra ici d’identifier les institutions universitaires et
éditoriales qui prennent en charge, aux XIXe et XXe siècles, la codification savante des
discours sur le management. Il ne s’agit pas d’interroger la véracité des théories managériales
mais leurs modes de construction et de circulation. Nous savons déjà que des formations
professionnelles au management sont proposées aux États-Unis dès les années 1890 et
qu’elles se multiplient à un rythme soutenu à partir de 1899 au sein d’universités parfois aussi
prestigieuses que celles de Chicago, Berkeley, New York et Harvard (Chandler, 1980, p.34 ;
Shenhav, 1999, p.37). L’analyse des ouvrages parus à cette époque peut permettre d’identifier
les auteurs les plus cités ainsi que les collections éditoriales et les revues considérées comme
majeures par les auteurs d’ouvrages de gestion, ainsi que les principales différences lexicales
et sémantiques entre les manuels de formation et les ouvrages généraux. Il sera alors possible,
dans une perspective plus sociologique, de mettre à jour les auteurs, les traducteurs, les
éditeurs, les laboratoires et les universités qui exercent une influence importante sur la
structuration et la diffusion de ce discours savant tout au long du XX e siècle, ainsi que les
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emprunts de ce discours à d’autres répertoires sémantiques. Il s’agira aussi, à travers l’étude
de la convocation du vocabulaire et des outils jugés propres à la science, de montrer en quoi le
management scientifique, que l’on peut considérer comme l’acte de naissance de la rationalité
managériale moderne, participe du mouvement de rationalisation des discours savants sur
l’humain.
Le projet interrogera également la manière dont des matières relevant de la comptabilité et
du marketing ont été progressivement incluses dans les cursus de formation au management.
On peut supposer que cette adjonction correspond à une vision purement entrepreneuriale du
management et non à sa logique intrinsèque, mais notre recherche ne saurait répondre
directement à cette question. Elle peut en revanche mettre en lumière la manière dont la
rationalité marchande qui sous-tend la comptabilité et le marketing a progressivement
imprégné ou non la rationalité managériale.
Enfin, il conviendra de montrer la circulation de ces réseaux conceptuels au sein de
différentes sphères symboliques, et notamment leur convocation pour penser des phénomènes
comme l’administration domestique et le gouvernement des organismes publics. Il s’agira ici
d’analyser la manière dont une matrice discursive se diffuse hors de la sphère institutionnelle
où elle s’est constituée ainsi que les ajouts et les retraits sémantiques qui s’opèrent au cours de
tels déplacements. La notion de « management » change-t-elle de sens suivant qu’elle est
employée en référence à la maison, à l’entreprise ou aux administrations publiques ?
Similairement, la notion de « management » change-t-elle de sens suivant qu’elle est
employée en Grande-Bretagne ou en Amérique du Nord ?
C’est à problématiser ces glissements sémantiques – ou l’absence de tels glissements – que
sera consacrée une partie de ce travail de recherche. Ce faisant, nous espérons pouvoir
élaborer des hypothèses de recherche présentant un intérêt pour la communauté des historiens
et des théoriciens des sciences sociales, et non pour les seuls chercheurs en gestion.
Méthode
L’élaboration des hypothèses de recherche présentées dans ma thèse a reposé
principalement sur une lecture qualitative d’ouvrages usant de manière récurrente de la notion
de « management ». Ce travail a consisté à rechercher, à l’aide de différents catalogues de
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bibliothèque et de Google Books, les ouvrages anglo-saxons de non-fiction publiés entre le
XVIe siècle et nos jours où apparaissaient les termes « management », « manager » et « to
manage ». Il est apparu que le concept anglais de « manage » et ses déclinaisons restent peu
usités jusqu’à la fin du XVIII e siècle. De la fin du XVIII e siècle à la fin du XIX e, ils prennent
leur sens général au sein de quatre grands types de littérature : les ouvrages sur l’agriculture,
ceux sur le soin médical de la mère et de ses enfants, ceux sur l’administration domestique et
ceux sur la direction d’une école. Une fois identifiées ces aires thématiques, le travail a
consisté à lire des ouvrages appartenant à ces aires qui usent fréquemment du terme
« manage » et de ses déclinaisons pour y déceler les faisceaux de concepts au sein desquels ce
lexème a pris sens.
Ce n’est qu’une fois ce travail qualitatif effectué que l’équipe en charge du projet Google
Books a commencé à ouvrir à la communauté des chercheurs l’ensemble des données
textuelles qu’elle a numérisées. Ce corpus de cinq millions de volumes est renseigné par date,
par éditeur et par auteur. L’accès à ces données textuelles représente une opportunité inédite
pour les épistémologues et les historiens, et sa mise à disposition constitue une des raisons
profondes qui m’ont incitées à rédiger ce projet. Toutefois, si un corpus vaut par sa qualité,
son étendue et sa richesse, ce qui lui donne sa véritable valeur, ce sont la manière dont on
l’interroge et les hypothèses de recherche qui guident cette interrogation. Une terre fertile ne
vaut que si l'on sait la cultiver.
L’analyse lexicographique et diachronique de large pans de la littérature non-fictionnelle
produite ces deux cents dernières années ne permet pas encore de formuler des conclusions
définitives quant à la structuration disciplinaire des sciences humaines, l’ensemble des œuvres
de sciences sociales n’ayant pas été numérisé et les problèmes relatifs à leur traduction restant
considérables. Mais il est possible de mettre à jour la manière dont certaines matrices
conceptuelles se cristallisent et servent de référentiel symbolique central pour une
communauté scientifique tout entière par-delà les évolutions et les ajouts.
Dans les limites qui sont celles de ce projet, il s’agit de rechercher, à l’aide de logiciels
d’analyse de données textuelles pouvant traiter l’ensemble des textes numérisés par l’équipe
Google Books, toutes les occurrences des termes « manage », « manager » et « management »
ainsi que leurs co-occurences les plus fréquentes – une co-occurrence désignant la proximité
au sein d’un texte de deux unités linguistiques. Parmi les logiciels de fouille de données
13
textuelles, citons-en deux parmi les plus usités : Hyperbase1 et TXM2. Des logiciels de
cartographie des données, tels Pajek3, Gephi4 et ACOM5, permettent ensuite de restituer les
principaux faisceaux de concepts constituant l’environnement lexical de la notion de
« management » et leur évolution chronologique. Il s’agit alors de cartographier de véritables
espaces lexicaux. De la construction de ces espaces de mots il sera possible de déduire des
espaces de sens, en identifiant les grands axes sémantiques polarisant les espaces ainsi formés.
La problématisation conceptuelle des notions nodales charpentant les réseaux lexicaux
identifiés constitue de fait une part importante de ce travail d’analyse. L’étude de ces réseaux
et de leur dynamique affirmera ou infirmera les hypothèses de recherche formulées ci-dessus.
Enfin, une fois mise à jour la structure de ces réseaux sémantiques, il sera possible de
suivre l’évolution et la diffusion au sein de sphères symboliques distinctes de leurs concepts
nodaux, notamment en recherchant l’occurrence des notions structurantes de la rationalité
managériale dans des ouvrages dont les auteurs et les collections éditoriales indiquent qu’ils
relèvent spécifiquement de la science politique, des études administratives ou encore de la
science économique.
En effet, une fois délimité un corpus d’ouvrages faisant un usage récurrent de la notion de
management et de ses co-occurrences, il est aisé d’organiser ce corpus par date, par aire
1
Hyperbase est un logiciel hypertextuel et statistique pour le traitement de grands corpus offrant des
possibilités de visualisation sous forme de graphes arborés. Il est développé par Etienne Brunet au sein du
laboratoire
« Bases,
Corpus,
Langage »
(UMR
6039)
de
l’Université
de
Nice.
Cf.
http://www.unice.fr/bcl/spip.php?rubrique38.
2
La plateforme TXM vise également à l’analyse de grands corpus de textes. Elle permet de construire des
sous-corpus, d’identifier les co-occurrents statistiques, ainsi que de cartographier des résultats d’analyse. Cf.
http://textometrie.ens-lyon.fr/spip.php?article60.
3
Pajek est un logiciel open source d’analyse et de visualisation de réseaux. C’est l’un des outils les plus
utilisés en analyse des réseaux. Cf. http://pajek.imfm.si/doku.php.
4
Gephi est un logiciel open source de visualisation de systèmes complexes particulièremet adapté pour mettre
en lumière la structure des associations entre nodes d’un réseaux. Cf. http://gephi.org.
5
Le logiciel ACOM (Automatic Contexonym Organizing Model), développé par l’équipe « Modèles
mathématiques et informatiques pour le langage » du Laboratoire sur le langage, le cerveau et la cognition
(UMR 5230), a le principal intérêt de permettre une visualisation graphique dynamique de la diachronie. Cf.
par exemple un usage de ce logiciel sur l’évolution du terme « mondialisation » dans un corpus médiatique,
réalisé par l’équipe « Modèles mathématiques et informatiques pour le langage », en ligne à l’adresse
http://dico.isc.cnrs.fr/en/diachro.html.
14
géographique, par maison d’édition, par thème, par discipline, etc. On peut ainsi comparer des
évolutions historiques et des différences culturelles, une question centrale sous-tendant cette
recherche étant celle de la différence de compréhension de la notion de « management »
suivant que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique et suivant que l’on se situe
dans le champ académique ou non.
Cette méthodologie emprunte donc à Michel Foucault. Dans la lignée de sa démarche
archéologique, il s’agit d’identifier et de questionner des régularités discursives, des types
d’énonciation et des contextes de production des discours. Il n’est cependant pas question ici
d’étudier de vastes épistémès mais seulement un ensemble structuré de représentations
mentales propre à certains espaces institutionnels. Ce travail reste donc fondamentalement
historique et épistémologique. Il consiste dans une large mesure à construire, dans une
perspective historique, des opérateurs conceptuels et des théories philosophiques utiles à la
compréhension de la circulation des savoirs et à l’étude de la structuration des discours
savants et non savants sur le management.
La démarche relève également, sans s’y limiter, de la « méthode de la théorisation
enracinée », qui consiste à essayer de faire surgir des hypothèses de recherche de l’analyse de
bases de données. Il est en effet important de ne pas rester prisonnier des hypothèses
formulées dans le travail de thèse et de s’autoriser à les reformuler au fur et à mesure que
seront produits les résultats.
Cette méthodologie s’inspire enfin de la théorie des réseaux sociaux, dont elle applique
l’idée générale à des concepts plutôt qu’à des acteurs individuels ou institutionnels
proprement dits, même si l’analyse des réseaux d’auteurs, d’éditeurs et de directeurs de
collection est partie intégrante de notre recherche.
Intérêts du projet
Ce projet présente cinq intérêts principaux.
Premièrement, la mise au jour d’une histoire inédite de la pensée managériale, qui ne soit
ni l’histoire excessivement inclusive qui fait remonter le management à la nuit des temps, ni
l’histoire excessivement exclusive qui le limite aux frontières des entreprises industrielles, est
à mon sens d’un intérêt majeur pour les sciences de gestion en ce qu’elle révèle des éléments
15
constitutifs de la logique managériale encore méconnus. Ce faisant, il s’agira de discuter
certaines thèses devenues des lieux communs des sciences de gestion, et notamment l’idée
selon laquelle la naissance et l’essor du management moderne seraient consubstantiellement
liés à la révolution industrielle, à la production dans un cadre marchand ainsi qu’à l’apparition
d’entreprises privées de très grande taille. Scientifiquement parlant, il ne s’agit donc pas de
préserver ou de compléter un noyau dur d’axiomes mais bien d’en tester la validité et au
besoin de l’amender. La simple mise en évidence du lien fort unissant le management et le
soin au XIXe siècle peut servir à fonder de nouvelles approches des pratiques gestionnaires.
Alors que les sciences de gestion prétendent de plus en plus pouvoir être appliquées à tout
type d’organisation, il semble important qu’elles s’ouvrent à d’autres entendements du
gouvernement, plutôt que de plaquer sur l’ensemble des institutions sociales des schémas
élaborés presque strictement en référence à l’entreprise privée.
Deuxièmement, le projet a l’ambition de resituer dans une perspective culturelle et
historique une logique managériale de plus en plus fréquemment considérée comme allant de
soi, la recherche de l’efficacité à travers une organisation optimale des ressources étant par
exemple souvent présentée comme consubstantielle à l’humain. Montrer la dynamique
historique des concepts nodaux des sciences de gestion doit permettre d’en prouver la
relativité et de mettre en évidence les contingences historiques et institutionnelles qui ont
présidé à leur destinées.
Troisièmement, démontrer la circulation de la rationalité managériale au sein d’autres
sphères institutionnelles, et notamment au sein des foyers domestiques et des organismes
publics, c’est participer au questionnement des rapports de l’entreprise à la société. D’une
certaine manière, ainsi que le prouvera très probablement cette recherche, le management lie
la famille, l’entreprise et l’État.
Quatrièmement, à travers l’étude de la structuration du discours managérial, ce projet
entend contribuer aux questionnements épistémologiques sur la construction, la circulation
des savoirs et la formalisation des discours non-fictionnels. Le cas de la gestion est
particulièrement intéressant à cet égard car il se constitue en science académique à l’aube du
XXe siècle. Il est donc possible d’étudier la dynamique sémantique de la notion de
« management » avant, pendant et après sa constitution en discipline universitaire. Ce travail a
été mené pour d’autres disciplines dans d’autres aires culturelles (par exemple, Favre, 1989 ;
Bertrand, 2005). Il commence à être mené pour des périodes et des échelles beaucoup plus
16
restreintes en gestion (Hughes, 2005 ; Augier and March, 2011), mais rien n’a encore été
entrepris qui ressemble de près ou de loin au projet ici détaillé.
Enfin, l’utilisation d’outils d’analyse de données et la formulation d’hypothèses fortes
avant même le lancement du projet permettra de produire des résultats de recherche appuyés
sur des données statistiques de grande ampleur. Ces résultats s’adresseront à la communauté
des historiens et des théoriciens de la gestion dans son ensemble et pas uniquement à un
groupe de chercheurs particuliers. Ce travail étant mené sur un corpus en langue anglaise, ces
résultats seront dans leur plus grande partie restitués en anglais, ce qui leur permettra d’être
plus largement discutés.
Laboratoires pressentis pour accueillir ce projet et y participer
Ce projet de recherche entend être construit dans un étroit dialogue avec le laboratoire au
sein duquel il sera mené. Il est également envisageable de faire participer, au titre de
partenaires ou de collaborateurs, des laboratoires de recherche en gestion, en économie et en
linguistique. Les laboratoires suivants ont tous exprimé leur intérêt pour ce projet (cf. lettres
de déclaration de soutien jointes au projet) :
a) Le laboratoire DRM (Dauphine recherches en management, DRM-UMR 7088), de par
son importance historique, la diversité de ses équipes et son intérêt pour l’histoire de la
gestion, me paraît être un acteur majeur de cette recherche.
b) L’équipe « Logométrie et corpus politiques, médiatiques et littéraires » de l’UMR 6039
Bases, Corpus, Langage, dirigée par Damon Mayaffre, a développé de très intéressantes
analyses des discours politiques. Cette UMR est notamment à l’origine du développement de
l’outil d’analyse de données textuelles Hyperbase, l’un des plus anciens parmi les logiciels de
statistiques lexicales français.
c) Le laboratoire Triangle (UMR 5206) mène une recherche très importante sur la
philosophie de la politique et de l’économie et sur la gouvernementalité. Le programme de
recherche qu’il abrite sur la circulation des savoirs de gouvernement et les transformations de
l’action administrative aux XIXe et XXe siècles me semble directement concerné par le projet
que je porte.
17
d) L’équipe animant le sous-axe de recherche « Épistémologie, langage et normes » du
CURAPP (Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique, UMR 6054)
me semble également un collaborateur de première importance.
e) L’un de ses deux axes majeurs de recherche étant la pensée et l’histoire des idées
politiques, le CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po, UMR 7048) est
directement concerné par ce projet de recherche.
f) L’équipe « Modèles mathématiques et informatiques pour le langage » du Laboratoire
sur le langage, le cerveau et la cognition (L2C2, UMR 5230), travaille à une méthode de
visualisation graphique dynamique de la diachronie, notamment au moyen de l’Automatic
Contexonym Organizing Model.
g) Le MediaLab de Science Po Paris, qui élabore actuellement des projets de textométrie et
de cartographie, s’est également déclaré très intéressé par ce projet.
h) Le laboratoire qui m’a accueilli durant ma thèse, le GREDEG (Groupe de recherche en
droit, économie et gestion, UMR 6227), de par sa position au carrefour de l’économie, de la
gestion et du droit, est lui aussi susceptible d’accompagner ce projet.
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