L`open source et le travail collaboratif, réalisation d`un pgi

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L`open source et le travail collaboratif, réalisation d`un pgi
L'Open Source et le travail
collaboratif, réalisation d’un PGI
pour l’enseignement supérieur
Par Jean-Marc Coris
De la brique élémentaire à la constitution d'un PGI / ERP
(Progiciel de Gestion Intégré) libre et Open Source pour l'enseignement
supérieur français public incrémental et évolutif : un exemple ?
Cela concerne l’informatique « métier » et se situe entre une externalisation
qui peut se révéler aliénante et une internalisation qui a pu se révéler sclérosante.
Notre troisième voie est-elle possible et viable?
L’approche Cocktail
Le contexte
L
e système d’information (SI) d’une université publique est
un système complexe avec une situation au niveau du SI
encore assez archaïque.
Son niveau d’intégration est faible, son urbanisation se faisant au
coup par coup de manière très individualisée ou non coordonnée
et dont le schéma d’interopérabilité interne ou externe se limite le
plus souvent à un annuaire minimaliste (LDAP) !
Un cloisonnement fonctionnel « naturel » encouragé par des
domaines « réservés » : l’Enseignement, la Recherche, la gestion
associé à un individualisme certain débouchant sur une architecture multi-référentielle aux conséquences négatives.
Les origines
A la rentrée 1993 l’université de La Rochelle ouvre ses portes.
C’est une nouvelle université (Plan universités 2000), une petite
université sans histoire (sans passé), sans le poids des habitudes,
sans moyen, sans “réserve” financière mais pas sans ambition et sans
esprit de “pionnier”.
Toutes les conditions étaient alors réunies, coïncidant avec la maturité (trop précoce !) du système NeXStep (aussi excellent que rare)
et le “big bang” de l’Internet, pour mettre en place une informatique
globale d’établissement particulièrement simple et efficace et ce quel
que soit le niveau : réseau, système, référentiel (an­nu­aire), applications / services.
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Les ressources humaines en développement en 1993 : 3 ETP
(équivalent temps plein) de l'université de La Rochelle.
En 2007 les ressources humaines en développement : 15 ETP
(hors direction) officiels mais répartis entre La Rochelle (5), Paris
Descartes (3), Mulhouse (1), Nlle Calédonie (1), ENS Cachan (1),
Provence (0,5), Le Havre (0,5), Externalisation (3).
En 1997 : le système comprenait 10 briques (applications) logicielles opérationnelles,
s'adaptant par enrichissements successifs aux établissements aux
situations les plus complexes.
La couverture fonctionnelle se veut ainsi la plus large possible
évoluant au plus près des besoins des établissements compte tenu
même du modèle économique et collaboratif.
Ce qui distingue ce PGI est certainement son référentiel unique
véritable socle du système global d'informations sur lequel
viennent se "pluger" (se loger) tous les modules applicatifs du
consortium Cocktail sans exception mais sans exclusive ! Tout
autre pouvant s'y intégrer (Open Source).
Développées par des agents de l’Etat, avec des moyens de l’Etat
et pour des établissements publics, ce sont donc des réalisations
naturellement « publiques », ouvertes et libres. Leur licence d’utilisation et de développement est la licence CeCILL (Licence GPL
(Gnu Public Licence) « francisée » par le CEA, le Cnrs et l’Inria
pour les Logiciels Libres.
Le modèle économique basé sur l'Open Source collaboratif en garantit
la pérennité dès lors que le nombre d'utilisateurs devient suffisamment important. Il peut se trouver renforcé par l'adhésion de SSLL
(Société de Services en Logiciels Libres), ce qui est aujourd’hui le
cas. Ces SSLL certifiant et qualifiant ainsi les applications. Les équipes de développeurs du consortium ne reposant que
sur des fonctionnaires pérennisent en quelque sorte les développements, mais ce doit être assorti d’un management moins
traditionnel !
Aujourd'hui en 2007 : il y en a plus de 100 briques (applications) logicielles, c’est le PGI Cocktail !
Ces caractéristiques assurent :
Pune situation financière très saine car sans charge de personnel
(les emplois de fonctionnaires n’ont pas été créés pour le
consortium et n’ont pas été détournés de leur mission initiale
d’exploitation d’application ou de référentiels. Paradoxalement
ils pourraient même être en plus grand nombre dans le cas de PGI
du commerce !
Paucun coût d'infrastructure supplémentaire puisque le travail
collaboratif est totalement virtualisé (modèle Internet).
PLes « économies » en ressources humaines et financières ainsi
réalisées peuvent se révéler importantes et dégager indirectement
de « nouvelles » ressources pour les activités principales (enseignement et recherche) de nos établissements.
PParmi les autres effets de bord particulièrement positifs de ce
modèle participatif, une responsabilisation, une professionnalisation, une double compétence et un maintien à très haut niveau des
équipes techniques de fonctionnaires oeuvrant à ces développements soit une valeur ajoutée s’ajoutant à celle déjà fournie par
l’utilisation des applications.
Toutes ces briques et leur référentiel unique constituent en effet un
PGI spécifique enseignement supérieur, modulaire et développé
avec des ressources propres / internes. Cinquante établissements
d’enseignement supérieur géographiquement très répartis et de
tailles très variables utilisent tout ou partie des modules applicatifs (composants) de ce système.
Ainsi à partir des solutions logicielles développées pour les
couches référentiel (annuaire) et applications / services il s'est
alors constitué par incréments successifs et cohérents ce qu’il est
convenu d’appeler un véritable PGI spécifique dynamique et agile
Le PGI Cocktail est une solution opérationnelle toujours en
évolution tant sur le plan fonctionnel, technologique qu’organisationnel. Il présente aussi de nombreux autres avantages comme :
PLa satisfaction des utilisateurs qui disposent d’une couverture
fonctionnelle inégalée grâce à ce PGI spécifique modulaire d'une
grande souplesse et grande facilité d'installation de par son paramétrage très faible puisque limité à l’enseignement supérieur
public.
PLa disponibilité d'un entrepôt global de données disponible à
tout instant, ne nécessitant aucun accessoire supplémentaire et
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L’organisation se veut souple et très « plate » (ou en râteau) à
l’image des projets Open Source pour une responsabilisation forte
et un accaparement de l’ensemble du projet par chaque établissement. La discipline des développeurs et leur coordination sont
essentielles à la réussite des projets.
Le cadre formel est un un Consortium (Cocktail), sans personnalité juridique, présidé aujourd'hui par l’Université de La
Rochelle :
Il a pour fonction d'organiser la mutualisation autour de ces réalisations logicielles.
Le consortium met GRATUITEMENT à la disposition de la
communauté universitaire et des administrations la totalité des
logiciels qu’il développe.
Cette mise à disposition se fait suivant le modèle de l’Open
Source encadré par la charte de co-développement que le consortium impose comme préalable à tout usage collaboratif de ses
logiciels.
offrant des moyens de pilotage et de gestion prévisionnelle ou
analytique naturels.
La souplesse et la grande réactivité des développeurs offrant
aux applications une forte capacité d’adaptation aux besoins des
établissements.
L'ouverture des applications et leur capacité à l'interopérabilité
donnant un degré de liberté aux établissements en matière de
choix renforçant par la même occasion leur autonomie.
Un catalogue riche d'applications adaptées à l'enseignement supérieur et toujours en Open Source.
L'assistance de SSLL pour les besoins spécifiques propres à
chaque établissement pouvant permettre de résoudre l'absence de
compétences immédiates ou de répondre à des besoins ponctuels.
• L'architecture mono-référentiel donne :
Cohérence, Fiabilité, Economie globale, Traçabilité, Agilité,
Efficacité, Réactivité et ... le décloisonnement des domaines fonctionnels et des personnels qui s'oppose à :
• l'architecture multi-référentiel dominante encore aujourd'hui
avec :
Pson mode « batch » ou asynchrone des années 70,
Pses incohérences produisant des indicateurs grossiers voire
faux,
Pson pilotage à vue et souvent au « feeling »,
Psa réactivité faible incompatible avec les exigences modernes,
Pson cloisonnement des personnels y compris les informaticiens,
Pune dématérialisation faible ou inexistante (en gestion),
Pses entrepôts de données « usine à gaz »,
Pses référentiels externes minimalistes (annuaires LDAP),
Pses coûts « cachés » particulièrement importants,
P…
Le « modèle » économique est celui de l'Open Source, ces applications ne sont pas vendues mais « distribuées » dans un esprit
logiciel libre ou Open Source « aménagé ».
L’objectif est de voir chaque établissement s’accaparer le(s)
produit(s), d'apporter sa pierre à l'édifice, de participer explicitement ou implicitement à un système d’information intégré
paramétrable, modulaire et totalement maîtrisé pour les établissements universitaires.
Remarque :
Il ne s’agit pas ici de logiciels « plats », génériques ou « universels » comme Linux, OpenOffice, Apache, MySQL, Spip, … mais
de logiciels métier, nécessitant, en plus des informaticiens, des
experts fonctionnels. Ces logiciels sont développés suivant une
architecture n-tiers (n>2)
L'approche Cocktail se distingue aussi de la mutualisation
institutionnalisée (GIP AMUE - Agence de Mutualisation des
Universités) qui, c'est un constat, n'a pas vraiment joué le rôle
d’outil facilitateur, fédérateur et mutualisant qu’on attendait.
Enfin le récent choix de l'AMUE en faveur de SAP, limité à la
sphère de la gestion financière et comptable (GFC), ne rassure pas
sur ce point et pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses
non pas à la problématique de la GFC mais à celle du Système
Global d'Informations à gestion intégrée.
SAP repose sur les mêmes concepts de référentiel unique que
Cocktail et le choix de SAP aurait du être fait comme celui d'un
PGI du commerce pour l'enseignement supérieur bien que ce PGI
(du commerce) n'existe pas (encore). Le PGI Cocktail existe
quant à lui et de par sa présence maintient une alternative libre et
ouverte pour notre communauté qui agit de fait comme un régulateur et une « référence » pour les établissements d'enseignement
supérieur.
Pour la circonstance on peut penser que c’est une véritable chance
Les vrais « problèmes » à résoudre tiennent :
P à l’organisation du travail collaboratif en réseau qui constitue
dans un tel modèle (métier) un véritable challenge,
Pau pilotage du développement,
Pà la coordination et à la synchronisation des différents niveaux,
Pà la gestion de la documentation,
Pà la gestion de la maintenance corrective et évolutive,
Pà la mise en place des formations, à l'animation,
Pà la mobilisation des experts fonctionnels et à la réalisation de
cahiers des charges précis.
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pour nos décideurs qui disposent ainsi avec Cocktail du moyen de
comparer et de choisir !
Alors, ce "système" (Cocktail) est-il viable ?
On pose en effet souvent la question de la pérennité, de la garantie,
etc.
On pourrait trouver ces questions saugrenues car :
PL'éditeur est un consortium d'établissements (institutions publiques)
PLes développeurs sont des fonctionnaires titulaires
PLes sources sont ouvertes et libres. (Licence CeCILL)
PCela fait plus de 10 ans que ça marche !
PLa latitude (liberté) est grande pour chaque établissement de
participer au développement et à la maintenance et le retour sur
investissement important. Il est à noter que contrairement au
mode opératoire de l'Open Source la décision de contribuer n'est
pas celle d'individus mais de personnes morales !
SSLL est réussi. Les mois qui viennent sauront nous le dire. Le
marché des collectivités pourrait être aussi un débouché particulièrement attirant pour les SSLL.
Si nous voulons cependant conserver la maîtrise de l’édition des
logiciels, il faudra que les mentalités évoluent surtout dans les
classes dirigeantes et que la confiance dans les forces internes
revienne pour que l’on passe du modèle « administrato-monarchique » à celui de la complémentarité des compétences et du
travail en équipe.
Enfin « Small is ‘toujours’ beautiful » et cela s’applique à tout …
y compris aux dépenses !
Il y a en effet comme une spirale de la dépense qui conduit certains
décideurs à penser que leur politique ou leur professionnalisme
sera à la hauteur de leurs dépenses et les amène à mépriser ce qui
est gratuit ou « free » !
Pour terminer et illustrer cela une petite anecdote (à méditer) :
Un président d’université « rêvait » publiquement d’une campagne
d’affichage dans les couloirs du métro : « Les Universités
Françaises ont choisi SAP » à l’image de ce qu’il avait vu dans
les salles d’attentes d’aéroports : « PORSCHE a choisi SAP » …
presque pathétique, non ? ■
Mais alors, pourquoi ces questions ?
Parce que les mêmes ne font pas confiance à leur propre capacité
à manager ce genre de projets de "création" dans le contexte «
fonction publique » qui, paradoxalement, pourrait paraître conçu
pour !
Ils n’ont pas tout à fait tort car la plus grande difficulté rencontrée
se situe au niveau du management de ressources « publiques ».
C’est effectivement le seul véritable obstacle à la pérennité et à
l’efficacité permanente de ce modèle. Mais c’est aussi le vrai défi
à relever par nos structures si elles veulent s’adapter à ce genre
d’activité de création et non de pure gestion « suiveuse ».
Cela nécessite : des compétences pointues à maintenir (formation
permanente), une gestion du temps rénovée avec l’acceptation
d’une part de télétravail ou de mode isolé qui pourrait davantage
responsabiliser les personnels et s’affranchir d’une certaine forme
« d’irresponsabilité collective », une valorisation réellement aux
résultats, une gestion du turn-over, une remise en question permanente, un état esprit, une culture service public repensée, …
La GRH « fonction publique » n’est pas, aujourd’hui, adaptée et
se doit d’évoluer dans une logique de résultat, ce que la LOLF
laisse entrevoir (?).
Jean-Marc Coris
est le Directeur de la DSI
de l’Université de Paris Descartes
et le Directeur du Consortium
Cocktail. Il est Ingénieur CNAM
en Informatique
L'avenir pour Cocktail pourrait être prometteur notamment si le
passage du cap de la commercialisation / accompagnement par les
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