INTRODUCTION La publication de cet ouvrage dans la nouvelle
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INTRODUCTION La publication de cet ouvrage dans la nouvelle
INTRODUCTION Marc Leroy Professeur, Université de Reims Gilbert Orsoni Professeur, Université d’Aix-Marseille La publication de cet ouvrage dans la nouvelle collection « Finances Publiques/Public Finance » des Éditions Bruylant est justifiée par la volonté de croiser les deux champs d’études, habituellement séparés, constitués par les finances publiques (et la fiscalité) et les politiques publiques. En effet, les manuels de finances publiques se concentrent, ce qui n’est déjà pas une mince tâche (1), sur les règles du droit ou de l’économie budgétaire, alors que les spécialistes de l’analyse des politiques publiques, qui s’intéressent à l’action des autorités pour traiter des enjeux publics tels l’éducation, la santé, la protection sociale, etc., accordent souvent une place secondaire aux aspects financiers (2). Ainsi, l’originalité de cette publication est de proposer une approche comparative du financement des politiques publiques en exposant pour chaque politique sectorielle et pour chaque pays retenu des données sur : les volumes et les types de ressources et de dépenses, l’évolution des enjeux et des priorités, les grandes réformes, le cadre juridique lié à la répartition des compétences, l’impact du contexte et de la crise internationale, les procédures et les outils de gestion, l’évaluation des résultats, les perspectives. (1) G. ORSONI, Science et législation financières, Paris, Economica, 2005 ; Les finances publiques en Europe (dir.), Paris, Economica, 2007 ; J.-L. ALBERT (avec la collaboration de L. SAÏDJ), Finances publiques, Paris, Dalloz, 2013. (2) À l’exception notable des travaux classiques de la sociologie historique des finances : G. ARDANT, Histoire de l’impôt, Paris, Fayard, 1971 (t. 1), 1972 (t. 2) ; A. WILDAVSKY, Budgeting : A Comparative Theory of Budgetary Processes, Boston, Little Brown, 1975 ; C. WEBBER et A. WILDAVSKY, A History of Taxation and Expenditure in the Western World, New York, Simon and Shuster, 1986. Le renouveau est venu de la sociologie financière à partir des années 1990 : M. LEROY, L’organisation du contrôle fiscal, Paris, L’Harmattan, 1993 ; J.L. CAMPBELL, « The State and Fiscal Sociology », Annual Review of Sociology, 1993, no 19, pp. 163-185 ; M. LEROY, La sociologie de l’impôt, Paris, PUF, 2002 ; W. MARTIN, A.J. MEHROTRA et M. PRASAD (éd.), The New Fiscal Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; M. LEROY, L’État, l’impôt et la société, Paris, Economica, 2010. FINPOL.indb 1 14/05/2014 13:03:50 2 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI Illustrée par des tableaux et schémas qui en facilitent la lecture, cette feuille de route commune confère aux études réunies son caractère de manuel à l’usage des étudiants, des enseignants et des chercheurs, mais aussi pour les citoyens curieux de connaître les clés financières de l’action publique et pour les décideurs soucieux de comparer leur expertise particulière à celle d’autres secteurs ou d’autres pays. Il s’agit d’offrir au lecteur un état des lieux le plus complet possible de la dimension financière qui, au fondement de l’action publique, structure les politiques publiques. L’objectif est donc de traiter sérieusement du noyau dur financier des politiques publiques, et non de rendre compte directement des débats d’une science politique travaillant à théoriser à l’intérieur de ses paradigmes les politiques publiques. Non pas que les facteurs structurants ces débats – notamment le célèbre triptyque (les trois « I ») des idées (et idéologies), des intérêts et des institutions – soient négligés ; mais ils ne sont pas l’objet premier de cette somme qui, après une présentation générale des instruments fiscaux et budgétaires, compare neuf politiques sectorielles en France puis étudie le cadre financier global, spécifié par des exemples sectoriels, de douze pays. L’ambition théorique est également présente puisque, dans le cadre d’analyse résumé ci-dessus, chaque contributeur avait la liberté de développer les problématiques spécifiques à son sujet et à sa discipline. L’ouvrage permet d’accéder à un ensemble significatif de données, d’informations et d’analyses croisant les finances et les politiques publiques, que l’on ne peut trouver réunies ailleurs dans un même document ; il suscite aussi une réflexion sur les choix politiques de l’État et des autres administrations publiques, les modes de gouvernement et les instruments de l’action publique dans le contexte de la crise internationale. Il convient de rappeler que le contexte a profondément évolué. Le développement de l’interventionnisme public et de l’Étatprovidence à la suite des deux guerres mondiales et de la crise des années 1929-1930 a modifié le niveau et la structure des finances publiques. On sait aussi que facilitées par certaines impasses nées de la crise du milieu des années 1970 (crise pétrolière, stagflation) et de limites déjà rencontrées par les politiques de Welfare State, eurent lieu de profondes ruptures, notamment dans les années 1979-1980 avec Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis. De façon idéologique et/ou plus atténuée, des politiques néo-libérales furent à l’œuvre dans une majorité de pays FINPOL.indb 2 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 3 dans les années 1980 (en France à partir de 1984), tandis qu’à la suite de l’effondrement du système soviétique, les gouvernements des anciennes démocraties populaires s’orientèrent, dans les années 1990, vers des politiques néo – pour ne pas dire ultra – libérales. Ce triomphe des thèses de l’économie de l’offre se traduisit par des reculs de l’État-providence, des privatisations parfois massives et des politiques fiscales marquées par de fortes diminutions des prélèvements : atteintes sensibles à la progressivité de l’impôt sur le revenu, allègement des impositions de l’épargne, diminution des taux de l’impôt sur les sociétés, rôle accru des dépenses fiscales. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur des évolutions qui, certes, ont vu la remise en cause de plusieurs politiques emblématiques du Welfare State, mais qui, malgré parfois leur brutalité, n’ont pas pour autant fait disparaître le concept de politique publique ni fait retour à la situation prévalant à l’État-gendarme et au libéralisme classique du XIXe siècle. Même avant que d’autres crises (celle de 2008 notamment) conduisent des deux côtés de l’Atlantique les États à intervenir massivement pour éviter la faillite de leurs banques et donc de leurs économies, les politiques néo-libérales illustraient, elles aussi, des formes d’interventionnisme. Autrement exprimé, l’interventionnisme public se transforme mais demeure un interventionnisme et la part des ressources et des charges publiques dans la richesse nationale, pour avoir connu un coup d’arrêt et même, dans certains pays, des reculs, n’en reste pas moins conséquent (cf. tableaux 1 et 2 et chapitre 1) par-delà les différenciations rencontrées : au début du e XX siècle, le poids de la dépense et de la ressource publique dans le produit intérieur brut avoisinait en France, sans être plus élevé ailleurs, les 10 %, montants qu’il faut aujourd’hui, selon les cas, tripler ou quintupler. L’État qualifié parfois de stratège (si l’on suit certains commentateurs), l’État du New Management Public n’a sans doute pas ou plus vocation à tout faire, tout produire et tout assurer par lui-même. Il demeure éminemment présent, jusque dans sa volonté d’opérer des économies (faire avec moins ou faire faire par d’autres) ou de performance (être efficient, c’est-à-dire parvenir au meilleur résultat possible à un coût minimisé). On a certes pu chercher à démythifier l’État-Léviathan, particulièrement dans un contexte d’économie mondialisée où la santé des États et de leur système bancaire et financier, et, partant aussi, de l’ensemble de leur système productif, dépend grandement de données exogènes dont la capacité à se financer FINPOL.indb 3 14/05/2014 13:03:50 4 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI sur les marchés n’est pas la moindre. Il n’en demeure pas moins que l’État, associé aux autres administrations publiques, collectivités territoriales et régimes sociaux, réalise, impulse et finance, fût-ce parfois avec des difficultés croissantes au regard de la crise des dettes souveraines et des exigences accrues de rigueur budgétaire, de très nombreuses politiques (3). Fruit quelque peu amer du poids de la dette et des déficits publics, très au-delà des critères établis par l’Union européenne, les finances publiques occupent aujourd’hui une place prépondérante tant dans la vie que dans le débat public. D’où les efforts marqués de limitation des dépenses et d’accroissement des recettes, qui alimentent les débats sur le poids des prélèvements obligatoires et les critiques de mesures que l’on qualifiera selon les cas de rigueur ou d’austérité, de leur impact négatif sur la croissance, donc aussi sur les rentrées fiscales. Si les réponses à ce type de débats varient (4), il ne faut pas oublier tout de même que nos économies sont de plus en plus interdépendantes, et qu’engagée dans des traités européens, la France, comme ses partenaires, peut difficilement se soustraire aux contraintes ou obligations qui en découlent. Encore qu’en dépit de l’accent prioritairement placé (5) en 2012 sur la réduction des déficits et la « rigueur subséquente », l’année 2013, tout en ne revenant pas sur les objectifs fixés pour le moyen terme, a vu, pour la France comme pour quelques-uns de ses partenaires, les instances européennes accepter que des délais supplémentaires soient accordés afin de lisser davantage les mesures adoptées et limiter leur aspect récessif (6). Par-delà le passage de budgets de moyens à des budgets d’objectifs et la recherche de la performance de l’action publique, il n’en reste pas moins que ce sont toujours très largement les budgets et comptes des administrations publiques qui financent la plupart des politiques publiques mises en œuvre. D’où le nécessaire rap(3) On pourrait même considérer que le poids de la dette n’est pas sans lien avec certaines formes d’interventionnisme public et/ou la conduite de politiques publiques, celles-ci ayant d’ailleurs pu se traduire (États-Unis, Espagne) par une forme de laisser-faire délibéré ayant conduit à un endettement massif de particuliers permettant une croissance aussi excessive que dangereuse du secteur de l’immobilier. (4) M. LEROY, « Réflexion sur la crise des financements », Revue française d’administration publique, 2012, no 144, pp. 1025-1034. (5) Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (T.S.C.G.) de l’U.E. (« Pacte budgétaire » du 2 mars 2012), loi organique relative à la programmation des finances publiques du 17 décembre 2012 et loi de programmation des finances publiques 2012-2017 du 31 décembre 2012. (6) Rappelons aussi que l’Allemagne et la France, malgré des déficits supérieurs en 2003-2004 supérieurs à la limite de 3 % du PIB fixé par les traités européens, avaient échappé à toute sanction. FINPOL.indb 4 14/05/2014 13:03:50 5 INTRODUCTION pel des données statistiques concernant les dépenses publiques (U.E.), les déficits de la zone Euro et les dettes publiques (tableaux 1, 2 et 3) même si, naturellement, ces données chiffrées générales ne remplacent pas les analyses détaillées que chaque chapitre propose. La situation des ressources publiques est étudiée au chapitre 1 avec des tableaux statistiques des prélèvements obligatoires des pays de l’O.C.D.E. Tableau 1 : Dépenses publiques au sein de l’Union européenne en 2010 Pays Irlande FINPOL.indb 5 en % du PIB 67 % Danemark 58,4 % France 56,2 % Finlande 55,3 % Belgique 53,1 % Autriche 53,0 % Suède 53,0 % Pays-Bas 51,2 % Portugal 50,7 % Zone Euro à 17 50,6 % Royaume-Uni 50,6 % U.E. à 27 50,3 % Italie 50,3 % Grèce 49,5 % Slovénie 49,0 % Slovaquie 54,9 % Hongrie 48,9 % Allemagne 46,6 % Chypre 46,6 % Pologne 45,7 % République tchèque 45,2 % Espagne 45,0 % Lettonie 42,9 % Malte 42,3 % Lituanie 41,3 % 14/05/2014 13:03:50 6 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI Pays en % du PIB Luxembourg 41,2 % Slovaquie 41,0 % Roumanie 40,8 % Estonie 40,0 % Bulgarie 37,7 % Source : Eurostat. Tableau 2 : Déficit public en 2012 des pays de la zone Euro Pays Espagne en % du PIB – 10,6 % Grèce – 10 % Irlande – 7,6 % Portugal – 6,4 % Chypre – 6,3 % France – 4,8 % Slovaquie – 4,3 % Pays-Bas – 4,1 % Slovénie – 4,0 % Belgique – 3,9 % Malte – 3,3 % Italie – 3,0 % Autriche – 2,5 % Finlande – 1,9 % Luxembourg – 0,8 % Estonie – 0,3 % Allemagne + 0,2 % Source : Eurostat. Tableau 3 : Dettes publiques des pays de l’U.E. (Premier trimestre 2013) Pays FINPOL.indb 6 en % du PIB Grèce 160,5 % Italie 130,3 % 14/05/2014 13:03:50 7 INTRODUCTION Pays en % du PIB Portugal 127,1 % Irlande 125,1 % Belgique 104,5 % France 91,9 % Espagne 88,2 % Royaume-Uni 88,2 % Chypre 86,9 % Hongrie 82,4 % Allemagne 81,2 % Malte 75,4 % Autriche 74,2 % Pays-Bas 72,0 % Pologne 57,3 % Slovaquie 54,9 % Finlande 54,8 % Slovénie 54,5 % République tchèque 47,8 % Danemark 44,7 % Lituanie 40,8 % Suède 39,4 % Lettonie 39,1 % Roumanie 38,6 % Luxembourg 22,4 % Bulgarie 18 % Estonie 10 % Source : Eurostat. La signification de ces chiffres n’est pas douteuse et l’on peut très logiquement considérer qu’à un haut niveau de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques correspondent des politiques publiques nombreuses et actives. D’autant que le haut niveau de prélèvements obligatoires s’explique généralement par un très important degré de financement des politiques sociales, FINPOL.indb 7 14/05/2014 13:03:50 8 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI qu’un tel financement prenne la forme de cotisations sociales (comme en France, même si avec la montée en puissance de la CSG, la part de la fiscalisation a nettement progressé) ou d’impôts (Danemark). Quant aux déficits et dettes publics, s’ils n’illustrent pas nécessairement de façon automatique la hauteur précise à laquelle sont conduites les politiques publiques, ils pèseront sans conteste sur les marges dont disposent les États, celles-ci s’avérant d’autant plus réduites que leur importance est grande. Deux précisions interviennent néanmoins. La première concerne les prélèvements obligatoires. Cette notion, de préférence à la seule référence à la « pression fiscale » s’est logiquement imposée dès lors que l’on s’attache à des comparaisons internationales. D’une part, parce que l’on raisonne de plus en plus en termes d’administrations publiques. Or l’impôt est la ressource privilégiée des budgets étatiques et, à un degré moindre, locaux (cf. chapitre 1). D’autre part, parce que (l’exemple français est éclairant) le poids des cotisations sociales peut s’avérer très lourd dans le financement de la protection sociale. La notion de prélèvements obligatoires n’échappe pas toutefois à quelques approximations ou divergences d’appréciations. Déjà le terme d’imposition luimême (7) peut connaître des appréhensions diverses, la frontière entre ce qui relève du fiscal ou ce qui n’en relève pas n’ayant pas été toujours parfaitement tranchée, à commencer même dans les droits nationaux (8), à plus forte raison si l’on procède à des comparaisons d’un pays à l’autre. Ensuite, s’agissant des cotisations sociales, les frontières peuvent s’avérer encore plus floues. Ainsi, la France considère comme relevant des prélèvements obligatoires les cotisations aux caisses de retraite complémentaire qui sont des organismes de droit privé, alors qu’en Grande-Bretagne, les sommes épargnées par les salariés dans des fonds de pension n’en sont pas. Il existe également, dans les recettes de la protection sociale, des cotisations dites « fictives » (qui correspondent à des prestations non directement financières des employeurs et résultant généralement de conventions collectives) qui intègrent les (7) Cf. le débat qu’a pu susciter l’expression « imposition de toutes natures » de l’article 34 de la Constitution. (8) Cf. les prélèvements « quasi fiscaux » mis en exergue par Paul Amselek et la situation ambiguë de certaines taxes, fiscales ou non fiscales, y compris après la disparition voulue par la LOLF des taxes parafiscales. FINPOL.indb 8 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 9 prélèvements obligatoires en France mais pas en Allemagne ou aux Pays-Bas alors que leur part est loin d’être négligeable. Certes, ces considérations ne bouleversent sans doute pas profondément les données statistiques globales connues ; elles pourraient néanmoins conduire à baisser ou augmenter quelque peu, selon les cas, les montants affichés par certains pays. La seconde précision tient aux liens entre prélèvements obligatoires et dépenses publiques. Une grande part des différences observées tient en effet dans le degré de financement « public » de la protection sociale. Tout le monde sait, à cet égard, que les considérables différences existant entre les États européens les plus fiscalisés et un pays comme les États-Unis s’expliquent par la nature de sa protection sociale et les modalités de son financement avec le recours à des assurances privées, lequel, pour ceux qui en ont les moyens, est substitué au financement public pratiqué de manière plus ou moins poussée (9) en Europe. De manière plus générale, aucune réflexion sérieuse ne peut être conduite sur les prélèvements obligatoires et leurs montants respectifs sans comparaison, en regard, des prestations publiques permises par ces prélèvements. Il n’est pas certain en effet (et c’est même le contraire qui peut être soutenu) qu’il soit moins onéreux pour un particulier de bénéficier du même degré de protection sociale en ayant recours à des assurances privées. On pourrait aussi considérer que l’extrême faiblesse des droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public, et leur part minime dans les budgets de fonctionnement des universités, se paie au travers de l’impôt quand on connaît par ailleurs le montant plus que conséquent de ces droits dans de nombreux pays, notamment anglo-saxons. Ce qui renvoie aussi au débat ancien du choix à opérer entre l’usager et le contribuable. Choix qui, au demeurant, peut ne pas être le même selon la catégorie de service rendu. Dans cette ligne, la première partie présente deux études transversales du cadre fiscal et budgétaire avec, pour le chapitre 1, une mise en perspective des prélèvements obligatoires (O.C.D.E.) et des enjeux des politiques de taxation dans les pays développés et en développement (Marc Leroy) et, pour le chapitre 2, une (9) Ainsi l’Allemagne, pourtant à l’origine du modèle bismarckien de protection sociale, permet aux 10 % les plus riches de s’assurer auprès d’organismes privés, ce qui ne manque pas, ici encore, de diminuer le poids des prélèvements obligatoires dans ce pays. FINPOL.indb 9 14/05/2014 13:03:50 10 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI analyse, à partir du cas français, des comptes des administrations publiques et des modalités de leur financement (Gilbert Orsoni). La deuxième partie est consacrée aux politiques publiques françaises. En France, les études de politique publique, apparues dans les pays anglo-saxons, ont prospéré jusqu’à connaître une consécration académique comme branche de la science politique, en particulier sous l’impulsion de Jean-Claude Thoenig qui a dirigé le tome 4 du Traité de science politique relatif à ce domaine (10). Aujourd’hui, plusieurs ouvrages et manuels les abordent directement ou indirectement. La notion a été pleinement consacrée par les pouvoirs législatifs et réglementaires. L’article 47-2 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 confie à la Cour des comptes compétence dans l’évaluation des politiques publiques, outre ses fonctions d’assistance du Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement et d’assistance du Parlement et du gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale. L’article 7 de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) définit la nouvelle architecture budgétaire de l’État en précisant que les « missions » comprennent « un ensemble de programmes concourant à une politique publique » (11). Relevons encore que la Deuxième Partie de la loi de finances, qui visait naguère les « Moyens des services et dispositions spéciales », s’intitule désormais « Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales ». C’est bien au travers de politiques publiques, et des crédits budgétaires qui leur sont affectés, que s’exerce l’action gouvernementale. Il faut aussi rappeler qu’à la suite des transferts de compétences successifs réalisés depuis l’acte I de la décentralisation des années 1982-1983, les collectivités territoriales ont mis en œuvre de véritables politiques locales. Dans le contexte actuel de la réduction des dotations de l’État, la « performance » des dépenses fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière, alors même que la situation socio-économique est plus difficile (risque d’un effet de ciseaux). La même observation est applicable à la sécurité sociale, dont le financement apparaît de plus en plus délicat, (10) M. GRAWITZ et J. LECA (dir.), Traité de science politique, t. 4, Paris, PUF, 1985. (11) Cf. aussi, en France, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), emblème de la volonté réformatrice (et de réalisation d’économies budgétaires) du précédent quinquennat, remplacée par la Modernisation de l’Action Publique : G. ORSONI, La modernisation de l’action publique, Annuaire Européen d’Administration Publique, Aix-en-Provence, PUAM, octobre 2013. FINPOL.indb 10 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 11 en dépit des réformes menées dans certaines de ses composantes (cf. les réformes des retraites). Cette partie regroupe des chapitres, classés par ordre alphabétique des secteurs, qui concernent le financement des domaines suivants : la culture (chapitre 3, Marie Masclet de Barbarin et Céline Viessant) ; l’économie (chapitre 4, Jean-Marie Monnier) ; l’éducation (chapitre 5, Manuel Chastagnaret) ; la santé (chapitre 6, Olivier Debarge) ; la sécurité (chapitre 7, Laurent Derboulles) ; le social (chapitre 8, Philippe Luppi) ; le sport (chapitre 9, Sandrine Giummara) ; le tourisme (chapitre 10, Jacques Spindler) ; les transports (chapitre 11, Olivier Dupéron). Sans prétendre résumer ici la richesse de ces neuf études, on soulignera simplement, qu’au-delà des données collectées et commentées par chaque spécialiste selon la grille d’analyse rappelée au début de cette introduction, plusieurs thématiques convergentes permettent de dessiner quelques grandes lignes d’un modèle français du financement des politiques publiques. Premièrement, s’agissant des acteurs, ce modèle repose sur l’implication de l’ensemble des administrations publiques dans le financement des politiques publiques, même si l’État tend à se désengager (sauf en matière d’éducation avec notamment le poids des rémunérations : M. Chastagnaret). La légitimité et l’effectivité des interventions publiques, y compris dans des secteurs à forts enjeux économiques comme le tourisme (J. Spindler) et les transports (O. Dupéron), restent fortes. Les collectivités territoriales, en conséquence des transferts de compétences réalisés dans le cadre des réformes de la décentralisation, et aussi de leur propre dynamisme (exemple de la culture, M. Masclet de Barbarin et C. Viessant), sont devenues partout des acteurs majeurs. La départementalisation des services d’incendie et de secours s’est ainsi traduite par une hausse des financements des départements (L. Derboulles). L’analyse fine du cadre institutionnel, en particulier des réformes traduites juridiquement dans des textes majeurs pour chaque politique en cause, qu’il serait trop long de citer ici, renforce aussi le caractère public de l’action publique « à la française ». La lecture financière (12) de l’action publique confirme la fin de l’étatisation des politiques publiques qui fut l’apanage historique (12) Sur cette approche, cf. M. LEROY, Sociologie des finances publiques, Paris, La Découverte, 2007. FINPOL.indb 11 14/05/2014 13:03:50 12 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI de l’histoire française au profit d’une régulation publique qui, comme le montrent ces études financières, est encore assez loin d’une gouvernance par le marché. L’importance et l’impact des transferts sociaux (J.-M. Monnier) à la française, tout en évoluant vers une hybridation de l’action sociale entre assurance et solidarité (P. Luppi), en constituent l’un des socles. Le poids des divers acteurs publics varie d’une politique à l’autre, sans que l’on puisse citer le cas d’une hégémonie sans partage d’un acteur. D’autres acteurs que les collectivités publiques disposent parfois d’un pouvoir significatif d’action, comme dans le cas du sport (S. Giummara) où un établissement public administratif, le Centre national pour le développement du sport, participe au financement de la politique nationale, où dans le cadre des Agences régionales de santé (ARS) qui regroupent divers organismes publics (O. Debarge). Les acteurs privés sont désormais partie prenante des politiques publiques, avec le rôle des associations (sport) mais aussi dans le cadre de la diffusion des Partenariats public-privé. Deuxièmement, par rapport au style des politiques publiques, on relève que l’hétérogénéité des objectifs se double d’une complexité croissante des sources et des modes de financement. Les référentiels sectoriels poursuivent souvent des objectifs difficiles à concilier ou simplement à atteindre. C’est évident quand il s’agit de définir ou le périmètre de la culture (M. Masclet de Barbarin et C. Viessant) ou le rôle de l’éducation (M. Chastagnaret). C’est aussi le cas, par exemple, quand il s’agit de concilier la mission historique du service d’incendie et de secours avec l’idée de protection civile et aujourd’hui de sécurité (L. Derboulles) ; ou encore, d’assurer le développement du sport sur l’ensemble du territoire tout en promouvant chacune de ses disciplines particulières (S. Giummara). Comment améliorer l’attractivité des transports publics quand on sait que le coût réel, pourtant moins élevé, n’est pas un argument suffisant (O. Dupéron), etc. ? La complexité des circuits financiers est décrite par quasiment toutes les contributions, comme l’illustrent les exemples de l’éclatement des financements du tourisme (J. Spindler) ou de la fiscalisation de la sécurité sociale qui se superpose au maquis des autres ressources (P. Luppi). Une complexité d’autant plus grande que des dépenses fiscales aux objectifs discutables (J.- M. Monnier), compliquent encore le tableau, tout en réduisant les recettes publiques. FINPOL.indb 12 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 13 Troisièmement, concernant la conception de l’action publique financière, la diffusion des logiques de performance publique initie des changements importants. Comme le relèvent plusieurs auteurs, ce mouvement s’inspire des préceptes du new public management, et n’est pas sans lien avec l’idéologie du néolibéralisme économique qui cherche à justifier un discours antifiscal et le retrait de l’État-providence, comme le rappelle J.-M. Monnier. Sur le terrain des politiques publiques, les effets réels ne sont toutefois pas univoques. En effet, si la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), et actuellement la Modernisation de l’Action Publique (MAP) marquent bien une volonté de réduction des dépenses publiques, comme le montrent nos auteurs, d’autres objectifs sont aussi mis en avant.J. Spindler souligne ainsi l’action (imparfaite) en faveur d’une consolidation des comptes pour le financement du tourisme, alors même que les efforts financiers à réaliser pour maintenir le dynamisme économique de ce secteur risquent d’être remis en cause. En matière de santé publique (O. Debarge), la rationalisation budgétaire a largement motivé plusieurs réformes, comme la création des agences régionales de santé, la remise en cause du service public hospitalier (loi HPSTR de 2009) et la tarification à l’activité ; un renouveau de l’hôpital est néanmoins voulu par la nouvelle majorité publique. La politique sociale a adopté aussi une démarche de rationalisation de la dépense, mais poursuit aussi un objectif d’amélioration de la relation à l’usager (P. Luppi)… D’autres illustrations figurent dans ces neuf chapitres qui soulignent l’impact de la crise dans le renforcement de la pression à la réduction des financements et des coûts des politiques publiques. La mesure de la performance est ainsi à l’origine de novations institutionnelles et gestionnaires que nos auteurs décrivent avec soin, une invitation pour le lecteur à rechercher directement les pépites contenues dans cette première partie dont on est loin d’avoir épuisé l’apport. La troisième partie est consacrée au financement des politiques publiques pour les douze pays suivants, classés par ordre alphabétique pour en faciliter la lecture : Allemagne, Belgique, Brésil, Canada, Colombie, Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Portugal, Suisse et Tunisie. Ces chapitres, par leur diversité géographique, politico-institutionnelle et socio-économique, constituent un panel solide de comparaisons, à la fois par rapport aux politiques françaises étudiées dans la partie précédente et dans une optique FINPOL.indb 13 14/05/2014 13:03:50 14 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI internationale transversale. Les données financières rassemblées, là aussi avec des tableaux et figures éclairants, sont très complètes et incluent les statistiques les plus récentes. Le lecteur dispose ainsi d’une moisson de connaissances précises sur chaque pays étudié et des clés de lecture originales pour les mettre en perspective. En effet, chaque spécialiste, tout en présentant les informations et statistiques générales exigées par le cadre qui leur avait été fixé pour ce manuel (comparabilité), avait ensuite la charge de contextualiser sa problématique en fonction des particularités propres à son pays (études de cas). Là aussi, il n’est pas envisageable de résumer la richesse de ces études, dont on donnera ici simplement un bref aperçu, en guise d’invitation à les apprécier tranquillement. On retrouve bien sûr certaines des contraintes financières rencontrées dans le cas de la gestion des politiques publiques françaises. Les situations diffèrent néanmoins d’un pays à l’autre, et il est intéressant de pouvoir isoler l’effet des facteurs nationaux et des solutions recherchées, par-delà certains points communs (13). Ainsi, par rapport aux effets de la crise mondiale qui s’est diffusée dans la plupart des économies nationales, certains facteurs jouent un rôle spécifique, même dans le groupe des pays de la zone Euro qui ont vu leurs comptes publics se dégrader gravement. En Espagne (J. Ramos Prieto), un des problèmes est d’impliquer tous les niveaux d’administration dans le redressement des comptes publics en raison de la forte décentralisation, que certains partis jugent pourtant insuffisante (communautés autonomes du Pays Basque et de la Catalogne). En Italie, alors même que la solution par la rigueur brutale apparaît de plus en plus comme une impasse, en particulier dans le secteur de la santé publique (E. Sorano et M. Tucci), les effets complexes de la réforme des normes comptables sont aussi à considérer. Au Portugal (M.E. Mata), la remise en perspective historique de la crise réintroduit d’autres effets qui se cumulent, comme le retour à la démocratie (1974) avec la mise en œuvre de politiques de solidarité (travaux publics, transport, santé, réforme agraire…), l’ouverture au marché mondial (déficit commercial), la crise de l’immobilier. Dans le cas extrême de la Grèce (13) Comme l’obligation d’appliquer la règle d’or de l’équilibre des comptes pour les États de l’Union européenne signataires du T.S.C.G. ou le rapport aux budgets de performance, aux PPP, à la privatisation, aux dépenses fiscales…) FINPOL.indb 14 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 15 (T. Georgopoulos), le recul du PIB (plus de 25 %) met aussi en difficulté les entreprises municipales et des établissements d’enseignement supérieur mal préparés à la gestion de leur autonomie financière. On peut ensuite mettre en avant le cas emblématique du cadre institutionnel qui façonne les politiques publiques. Si tous les chapitres, comme on l’a vu, rendent compte de manière claire et complète des finances des administrations publiques, ils retracent aussi avec la même pertinence, la répartition des compétences, générale et/ou dans le cas de politiques sectorielles, qui caractérise le pouvoir financier de chaque pays. Ici, en plus de cet accès direct aux données nationales indispensables, le lecteur accède aux leçons de la comparaison internationale qui montre notamment que les pratiques financières se différencient souvent, y compris lorsque les modèles institutionnels semblent similaires. Ce constat est frappant dans le cas du fédéralisme financier que l’on peut citer à titre illustratif. Plusieurs pays partagent ce mode d’organisation des pouvoirs publics. Pourtant, chaque expérience dispose aussi de traits originaux. Par exemple, le fédéralisme de solidarité au Brésil (M. A. Falcão), dont la dimension démocratique est mondialement connue par la procédure des budgets participatifs, est un vecteur des politiques de redistribution (cas du Bolsa família) et de progrès social. Dans le cas de la Suisse, cette formule institutionnelle de démocratie directe est inscrite dans une tradition de fédéralisme coopératif (B. Dafflon), notamment entre cantons et communes ; mais celui-ci a évolué vers un fédéralisme d’exécution où le gouvernement fédéral définit les normes que les cantons et communes financent souvent largement (exemple de la santé). La péréquation financière, plutôt efficace en Suisse, n’exclut pas la concurrence entre les cantons qui admettent donc des disparités économiques. En Belgique, qui a mieux résisté à la crise que les pays de la zone Euro cités ci-dessus, le modèle social repose sur un niveau élevé de dépenses (M. Bourgeois, E. Traversa) qui est remis en question dans le cadre d’un fédéralisme complexe et centrifuge. Au Canada (E. Champagne, O. Choinière, E. Maxwell), la situation budgétaire du gouvernement fédéral est saine, mais les provinces rencontrent plus de difficultés financières, en relation avec la réduction des dotations du niveau central : cette donnée institutionnelle structure l’avenir de politiques, comme la santé ou les FINPOL.indb 15 14/05/2014 13:03:50 16 MARC LEROY ET GILBERT ORSONI transports, où les besoins sont importants. En Allemagne, où il reflète la bonne santé de l’économie, le fédéralisme financier est sain (J. Werner) et assure une péréquation significative, en particulier au bénéfice des Länder de l’Est issus de la réunification ; il n’est cependant pas exempt de certaines faiblesses comme son effet désincitatif pour l’élaboration de politiques d’attractivité économique (la péréquation n’incite pas à chercher par cette voie de nouvelles ressources) ou son manque de clarté pour la gestion de certaines compétences, une gestion encore compliquée par les délégations pratiquées. Comme le montre l’ensemble des études de cas, d’autres facteurs institutionnels interviennent, qu’on ne peut tous citer ici. Par exemple dans le cas du Maroc, qui affiche des taux de croissance élevés, le « statut avancé » avec l’Union européenne est un facteur institutionnel qui a des implications financières intéressantes (M. Sbihi) ; de même, les entreprises publiques appuient les politiques d’investissements publics menées dans les secteurs prioritaires du développement économique (agriculture, tourisme, pêche, etc.). En Tunisie, la refonte des cadres juridiques – Partenariat public-privé (PPP), finance islamique, Code des investissements notamment – est une des voies suivies (N. Baccoucche, J. Ajroud) pour renouveler et légitimer des politiques publiques dans le contexte du ralentissement des activités économiques lié à la crise et à la révolution : la hausse de l’endettement public conduit aussi à un recentrage des dépenses sur les programmes prioritaires. La Colombie, qui appartient au groupe envié des pays à croissance économique avec un taux de 4 % en 2013, illustre encore cette lecture financière des réformes institutionnelles (C.A. RodriguezRomero, E.J. Duque-Oliva, L. Sanchez) : l’adoption d’une nouvelle Constitution dans les années 1990 a été accompagnée par une mutation du modèle des grandes entreprises nationales protégées avec l’ouverture du pays aux marchés internationaux. Ainsi, comme pour les études des politiques sectorielles françaises, les institutions sont envisagées à la fois comme ensemble de compétences et de régimes juridiques qui cadrent la gestion financière des politiques publiques, et au sens large que la science politique entend aujourd’hui revendiquer sous l’appellation de néo-institutionnalisme (et de ses diverses formes). Ces enseignements précieux sont croisés avec l’analyse des instruments FINPOL.indb 16 14/05/2014 13:03:50 INTRODUCTION 17 fiscaux et budgétaires de l’action publique qui spécifient dans chaque contexte le sens concret de la gestion publique. Creuset des reconfigurations de l’action publique, le financement des politiques publiques a connu des mutations profondes, encore accélérées par la crise, dans tous les pays. La connaissance scientifique des cadres normatifs, des pratiques socioéconomiques et des changements expérimentés est au carrefour de la formation universitaire et professionnelle en finances publiques et dans l’analyse des politiques publiques. Elle participe aussi à la réflexion sur la légitimité, de plus en plus fragilisée, du politique : le pouvoir souverain de l’État ne saurait suffire à refonder le contrat social en l’absence d’un débat démocratique sur les politiques publiques à pérenniser, et donc sur les changements de modèles financiers à soumettre à l’approbation populaire. FINPOL.indb 17 14/05/2014 13:03:50