Leçon 1: Le cadre juridique et intellectuel de la présence juive
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Leçon 1: Le cadre juridique et intellectuel de la présence juive
Leçon 1: Le cadre juridique et intellectuel de la présence juive Séquence 1: La présence juive, un fait étonnant en soi La première leçon de ce cours consacré à l'histoire du peuple juif à l'époque médiévale envisage la question de la présence juive dans l'Occident du Moyen Âge, en particulier la question de savoir comment cette présence a été pensée, a été acceptée, rendue acceptable par les chrétiens médiévaux, tant sur un plan politique - comment on a pensé cette présence effectivement - que sur un plan intellectuel et théologique. Qu'est-ce qui a rendu acceptable cette présence étonnante au regard de toutes sortes de réalités médiévales bien connues, à commencer par le fait que la société médiévale ignorait un certain nombre de notions qui, pour nous aujourd'hui au XXIème siècle, permettent de penser une altérité religieuse? Laïcité, neutralité de l'espace public, absence de dimension religieuse des institutions politiques sont des notions parfaitement inconnues au Moyen Âge. Le Moyen Âge est une civilisation profondément chrétienne, en Occident du moins, et pourtant la présence juive était bien sûr parfois l'objet de menaces, d'attaques, de critiques, mais elle était globalement acceptée. Voilà l'objectif de cette leçon: présenter le cadre juridique et intellectuel de la présence juive et commencer tout d'abord par signaler cette présence juive qui, en soi, est déjà un phénomène relativement étonnant. En somme, avant de dire comment on pense cette présence, essayons de comprendre et de signaler le fait important que présence juive il y a, et ce, depuis longtemps. Ce qu'on appelle la diaspora, la dispersion du peuple juif consécutive à la destruction du Second Temple, n'est pas en dépit de ce qu'on dit souvent, la cause essentielle de cette présence juive en Occident. Dès avant cette destruction, il y a des Juifs qui sont attestés, notamment en Italie et, à partir du Ier siècle, cette présence juive se fait plus importante, plus massive. 1 Présence juive au Ier siècle (violet) ; présence juive certaine à la fin de l’époque romaine (bleu) ; présence juive possible à la fin de l’Empire romain (rouge) Cette carte qui présente de manière assez parlante la présence juive dans le bassin méditerranéen, permet de prendre connaissance de cette présence qui, certes ne couvre pas la totalité de l'Europe, mais qui, néanmoins montre que dès la toute fin de l'Antiquité les Juifs ne sont pas limités à la Babylonie et à la Judée. Le Judaïsme se répand donc en Europe d'une manière qui, il faut bien le dire et c'est assez surprenant, n'est pas très claire aux yeux des historiens. La présence juive est attestée de façon sporadique entre la fin de l'Antiquité et la fin du Haut Moyen Âge, soit le Xème siècle. On a parfois des stèles, parfois des témoignages dans les sources écrites. Toutes sortes d'hypothèses sont proposées pour expliquer qu'au Xème siècle, autour de l'An 1000, on voit surgir un peu partout, en tout cas en Italie, en France, dans certaines parties du monde germanique, des communautés juives. 2 D'où viennent-elles? Quelle est leur continuité avec les communautés juives de la fin de l'Antiquité? Cela n'est pas très clair. Certains historiens font l'hypothèse de conversions tardives, de conversions de masse d'une manière qui n'est pas forcément convaincante. Le fait est en tout cas que cette présence, attestée mais assez épisodique, devient constante et assez importante vers les Xème-XIème siècles. Deuxième raison pour laquelle cette présence juive me paraît un fait étonnant et notable: le fait qu'elle soit assez unique en Occident. Pour dire les choses plus simplement, un homme qui aurait traversé l'Occident médiéval, du nord au sud et d'est en ouest, n'aurait vu que des chrétiens. Peut-être quelques chrétiens hérétiques, mais qui n'étaient pas acceptés comme tels, qui étaient pourchassés. Peut-être un petit nombre de païens qui eux-mêmes étaient toujours confrontés à un phénomène d'évangélisation, de christianisation. Une exception dans ce paysage très homogène: il aurait quand même croisé quelques Juifs. En d'autres termes, les Juifs sont les seuls nonchrétiens qui soient tolérés en Occident. Les Juifs dans la société Image d’un codex de droit germanique, fin des années 1100 Osterreichische Nationalbibliothek, Vienne 3 Cette image étonnante empruntée à un Codex, un volume juridique conservé à la Bibliothèque Nationale de Vienne, montre ce que je vous propose de qualifier de présence des Juifs dans la société. Image très étonnante qui présente d'abord en son centre la figure du roi Salomon qui, autant qu'on sache appartient à la Bible juive -ce que les chrétiens appellent l'Ancien Testamentmais qui est une image chrétienne et qui nous montre les différents Etats (comme disent les sources médiévales) de la société, du plus haut au plus bas. Les prélats, personnages de l'Eglise les plus importants, les Rois, les Chevaliers, les moines, les femmes, (la dégradation est perceptible) et enfin, au plus bas niveau de cette échelle, de part et d'autre de la figure du Roi Salomon, les Juifs. Coiffés d'un chapeau bien sûr, un chapeau humiliant ("Judenhut" chapeau juif), dégradés, placés en situation d'infériorité explicite pour toutes sortes de raisons, mais toutefois acceptés et qui donc sont représentés dans ces deux colonnes, de part et d'autres de la miniature viennoise, qui, d'une certaine manière, présente l'ensemble de la société. Les Juifs appartiennent donc à la société, sont présents en Occident d'une manière qui évidemment ne peut pas être qualifiée d'égalitaire bien entendu, mais qui néanmoins est plutôt placée sous le signe d'une forme de respect. 4