CESARS DU CINEMA FRANCAIS : RENDEZ

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CESARS DU CINEMA FRANCAIS : RENDEZ
Liberte Politique
CESARS DU CINEMA FRANCAIS : RENDEZ-NOUS NOS
LAURIERS !
Article rédigé par Catherine Rouvier, le 27 février 2001
PARIS, [DECRYPTAGE/analyse] - La 26e Nuit des césars a été célébrée samedi 24 février. Bien sûr il ne
s'agit que du sculpteur, auteur de cet objet non identifié que chaque lauréat empoigne avec satisfaction.
Mais en regardant cette cérémonie, à laquelle l'animation pleine de drôlerie et de légèreté d'Edouard Baer
enlevait son habituelle solennité compassée, on pensait plutôt à l'autre, le grand César, et à la mince
couronne de feuilles vertes et brillantes qui couronnaient à Rome le front des vainqueurs.
On pensait aussi aux volumineux fardeaux de livres rouges, dorés sur tranche, rassemblés dans un ruban
bleu qu'on remettait, il y a bien longtemps, dans les écoles, aux écoliers sages en tablier gris, le jour tant
attendu des "prix". J'ai eu le privilège d'y assister encore, au collège Stanislas. Je revois les yeux embués de
larmes et les démarches gauches des élèves qui allaient, après la proclamation qui les avait laissés
rougissants, prendre leur prix.
Les comédiens, auteurs, réalisateurs, compositeurs costumiers et dialoguistes qui recevaient leurs prix
avaient, malgré leur âge parfois certain et un métier qui les prépare à faire face au public, la même démarche
incertaine, les mêmes yeux humides, la même figure rougissante, sous le coup de l'émotion.
Pourquoi cette charmante coutume de notre vieille société a-t-elle été abandonnée ? Et comment se fait-il
que la caste volontiers caustique et adepte de la dérision des gens du spectacle l'aient adoptée ? Pourquoi
hurle-t-on de joie dans les chaumières quand un sportif durement entraîné conquiert la coupe de haute lutte,
et pourquoi a-t-on enlevé ce plaisir, cette récompense méritée ou cet aiguillon pour leur paresse à nos élèves,
à nos enfants ?
Pour que la compétition n'engendre ni haines ni drames, on apprenait aussi à nos petits, grâce aux fameuses
phrases de morale que Mme Royal veut remettre au goût "citoyen" du jour, qu'il ne fallait ni bousculer les
vieilles personnes en courant à la sortie de l'école ni jalouser le prix d'excellence mais tenter de l'imiter et le
féliciter sportivement pour son succès. On apprenait aussi que les derniers pouvaient un jour devenir les
premiers, et aussi que César n'était pas qu'un artiste contemporain utilisant les bouts de ferraille des
cimetières de voitures pour faire ses sculptures embouties et comprimées. On admirait qu'il eût franchi le
Rubicon. On écoutait en pensée "le piétinement lourd des légions en marche".
Las, aujourd'hui, samedi soir plutôt, quand l'excellente actrice du "goût des autres" d'Agnès Jaoui et Pierre
Bacri a dit en recevant son prix : "Je veux d'abord rendre à César..." personne n'a ri, personne n'a compris.
Les comédiens ont oublié leurs leçons. Mais ils ont gardé les prix. Que ce soit pour nous une bonne leçon.
Catherine Rouvier est professeur de sciences politiques.
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