Dossier Les cris de Paris, un petit métier du

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Dossier Les cris de Paris, un petit métier du
Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Exposition Eugène Atget, Paris (25 avril – 29 juillet 2012)
Dossier pédagogique /Avril 2012
Les cris de Paris.
UN PETIT MÉTIER DU PARIS 1900,
VU PAR
EUGÈNE ATGET
ATGET Eugène (1857 - 1927), Marchand d’abat-jour rue Lepic, 1898.
Série : Paris pittoresque, 1ère série, tirage sur papier albuminé.
© Eugène Atget / Musée Carnavalet / Roger-Viollet.
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Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Exposition Eugène Atget, Paris (25 avril – 29 juillet 2012)
Dossier pédagogique /Avril 2012
Les cris de Paris.
ANALYSE DE LA PHOTOGRAPHIE
Qui est ce personnage? Que fait-il ?
= Cet individu paraît étrange. Aujourd’hui on ne rencontre jamais un homme chargé d’un attirail
aussi extravagant. Pourtant de tels personnages étaient fréquents dans les rues de Paris ou de ses
alentours vers 1900. C’est un vendeur ambulant d’abat-jour, un des nombreux petits métiers hérités
des siècles passés.
Observez cette image. Comment et où est-il représenté ?
= Le marchand d’abat-jour a été photographié d’assez près en légère plongée. Les formes bizarres
et contrastées de sa marchandise sont compensées par l’ordonnance des lignes de la perspective. Sa
tête figure non loin du point de fuite de cette vue d’une rue de Montmartre. La rue Lepic est
enveloppée d’une ombre légère, tandis que les maisons du côté gauche sont baignées de lumière.
Par qui est-il photographié ?
= Il a été photographié en 1899 par Eugène Atget (1857- 1927), qui a pris systématiquement des
vues de tous les anciens quartiers de Paris avant leur disparition. Cette image fait partie d’une suite
consacrée aux petits métiers figurant dans la série Paris pittoresque. Pour vivre Atget vendait ses
documents à des institutions publiques comme le musée Carnavalet. Mais il a connu surtout la
célébrité après sa mort, quand des artistes surréalistes et des critiques américains le découvrent
grâce à deux photographes liés aux avant-gardes, Man Ray* et Berenice Abbott* envoûtés par
l’étrange beauté de ses photographies.
I - Une photographie singulière.
Vers 1926 un photographe lié aux cercles dadaïstes* et surréalistes*, Man Ray, choisit dans l’atelier
d’Atget une cinquantaine de clichés, dont le Marchand d’abat-jour de 1899. En 1930 l’écrivain
Mac Orlan publie cette photographie dans son livre intitulé Atget, photographe de Paris. Pourquoi
parmi des milliers d’images l’artiste et l’homme de lettres sélectionnent-ils cette œuvre ? Peut-être à
cause de la singularité de la silhouette du marchand composée de formes incongrues… Son col, son
chapeau et les cônes de ses abat-jours en font un véritable collage surréaliste. Pourtant cette image
n’est pas unique. Elle fait partie d’une série, Paris pittoresque, regroupant les nombreux petits
métiers de la capitale.
II – La genèse de l’œuvre.
Après des études d’acteur, Eugène Atget se met à la photographie en 1888. Il recherche dans Paris
des sujets d’inspiration. Il prend d’abord les divers événements de la vie parisienne comme la relève
de la garde au Palais de justice ou la Fête du 14 juillet. La série des petits métiers est la première
série cohérente, réalisée avant son fameux projet de représentation exhaustive du vieux Paris.
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Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Exposition Eugène Atget, Paris (25 avril – 29 juillet 2012)
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Les cris de Paris.
Néanmoins son élaboration s’est faite progressivement comme par un effet de zoom. Atget part de
l’ensemble de la place Saint-Médard pour se rapprocher au fil des images des petits marchands
représentés en pied individuellement et en gros plan.
III – Un document ou une saynète théâtrale ?
A première vue, le vendeur d’abat-jour paraît être pris sur le vif. En fait le matériel photographique
déjà ancien d’Atget ne lui permet aucun mouvement. Cet homme doit poser pour le photographe. Il
joue une saynète, il mime son action. Sans doute la passion d’Atget pour le théâtre rejaillit-elle sur
la méthode du photographe. Seul personnage figurant dans cette rue de Montmartre, le marchand
ambulant a été isolé par Atget comme sur les nombreuses représentations traditionnelles des Cris de
Paris.
IV – Un thème nostalgique et traditionnel.
Atget se place délibérément dans une tradition : celle des Cris de Paris déjà vivante à la
Renaissance1. Elle s’est développée surtout dans la gravure aux XVIIe et XVIIIe siècles. Vers 1635
ou 1640 le graveur Abraham Bosse* forme le projet ambitieux de décrire tous les aspects de la
société française. En particulier il crée une série consacrée aux marchands ambulants2. Leurs poses
un peu théâtrales rappellent celles des acteurs de la comédie italienne croqués par Jacques Callot3*,
dont il a été dans sa jeunesse le collaborateur. Un siècle plus tard le célèbre sculpteur Edme
Bouchardon compose une suite de gravures sur les Cris de Paris4, où il montre toute son habileté à
rendre les drapés des vêtements des petits marchands par des effets de clair-obscur. Atget est donc
l’héritier de cette longue tradition. Mais cette iconographie s’inscrit aussi dans une tradition
littéraire : peu de temps avant la Révolution un écrivain parisien, Louis Sébastien Mercier, dresse un
portrait contrasté de la capitale avec son luxe et la misère de ses petits métiers : c’est le Tableau de
Paris, Le Nouveau Paris5. Un autre « piéton de Paris » contemporain de Mercier, Restif de La
Bretonne, nous guide et nous perd dans Les Nuits de Paris6. Grâce à lui nous rencontrons des
marchandes de tabac, des chiffonnières et même un décolleur d’affiches…Si Mercier ne montre pas
1
La « récréation » était un jeu de société déjà pratiqué sous François 1er consistant à faire crier aux participants les cris
des marchands, cf. REYNAUD(Françoise) et GROSSIORD(Sophie), Atget Géniaux Vert Petits métiers et types
parisiens vers 1900, catalogue de l’exposition de novembre 1984 à janvier 1985 - Musée Carnavalet.
2
BOSSE (Abraham) 1602-1676, Le Marchand d’écailles ; La Marchande de lait ; Le Marchand de mort-aux-rats, vers
1635, eaux-fortes, Musée Carnavalet et Bibliothèque Nationale.
3
CALLOT (Jacques) 1594-1635, Les Gobbi, Le joueur de violon, 1616, 6 x 8. 5 cm, cf. document ci-dessus, ainsi que
Les Pantalons, 1616 ; Les Balli, 1621- 1629, eaux-fortes, Bibliothèque Nationale, in : SADOUL(Georges) Jacques
Callot miroir de son temps, Paris, éd. Gallimard, 1969.
4
BOUCHARDON (Edme), 1698- 1762, Etudes prises dans le bas peuple ou Les Cris de Paris, suite gravée à l’eauforte par le comte de Caylus à partir des dessins du sculpteur.
5
MERCIER (Louis Sébastien), Tableau de Paris, 1782-1788, 12 volumes, in : Paris le jour, Paris la nuit, édition
présentée par Michel Delon, Paris, 1990, éd. Robert Laffont.
6
RESTIF DE LA BRETONNE (Nicolas –Edme), Nuits de Paris, 1788-1793, ibid., édition présentée par Daniel
Baruch.
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Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Exposition Eugène Atget, Paris (25 avril – 29 juillet 2012)
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Les cris de Paris.
que l’apparence pittoresque du peuple mais surtout ses aspects menaçants7, Restif de la Bretonne
admire sa force de caractère. C’est cette allure singulière et respectable qu’Eugène Atget restitue
dans ses photographies consacrées aux marchands ambulants. Ses documents fixent l’image de ces
métiers petits mais nobles, exercés par des hommes extrêmement pauvres et travailleurs. En des
images lumineuses il rend témoignage de leurs activités tendant déjà à disparaître. Depuis le XIXe
siècle la révolution industrielle commence à menacer les petits métiers. Edmond Texier, rédacteur
en chef du journal L’Illustration*, publie dans les années 50 des textes, qui rendent hommage au
courage et à l’ingéniosité de ces marchands des rues : « Tous ces paladins du petit métier vivent et
font vivre leurs femmes et leurs enfants avec des morceaux d’industrie qu’on ne soupçonnait pas8. »
V – Un document sur un monde révolu ou en mutation.
Nombreux sont les hommes de lettres qui ont déploré la disparition des « cris de Paris ».
Dès 1845 Balzac regrette que les marchands ambulants de mort-aux-rats ou de briquet soient
disparus et en 1852 Texier dans Tableau de Paris demande aux gouvernants d’épargner les petits
métiers : « C’est le cri de l’humanité (…), la distraction du flâneur, l’inspiration du peintre… »9
Comme beaucoup d’auteurs, Texier est nostalgique, même s’il est attentif aussi aux changements
inévitables des métiers de la rue. Sans tomber dans le travers des lamentations, Marcel Proust*
apprécie l’animation apportée par les cris de Paris avec ses « litanies des petits métiers »10. Ce texte
ne semble pas craindre leur disparition, mais s’intégrant à La recherche du temps perdu, il est
également nostalgique. Dans la photographie du Marchand d’abat-jour, on retrouve ce mélange de
poésie du réel et de discours nostalgique.
VI – Pistes pédagogiques.
Niveau collège
→ Arts visuels, classe de 6e
Par collage de photographies d’objets hétéroclites découpés dans des magazines composer un
personnage surréaliste.
→ Français
Après avoir écouté la chanson de Marie-Paule Belle, La Complainte des petits Métiers, écrire un
texte poétique inspiré par d’autres photographies d’Atget sur les Petits Métiers.
Niveau lycée
Analyse comparative de la photographie d’Atget et d’une autre photographie sur le même sujet de
7
ROBERT (Jean-Louis), TARTAKOWSKY (Danielle), Paris le peuple : XVIIIe-XXe siècle, Paris, 1999, Publications
de la Sorbonne.
8
TEXIER (Edmond), Les petites industries, in : VERDET(Corinne), Paris- guide par les principaux écrivains et
artistes de France, Paris, 1983, éd. La Découverte, p. 48.
9
TEXIER (Edmond, Tableau de Paris, Paris, 1852, éd. Paulin et Le Chevalier, in : GROSSIORD (Sophie) et
REYNAUD (Françoise), catalogue, Atget Géniaux Vert, op.cit., p. 10.
10
PROUST (Marcel), La Prisonnière (Paris, 1954, éd. Gallimard), in : catalogue, Atget Géniaux Vert, op. cit. p. 7.
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Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
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Les cris de Paris.
Nègre ou de Vert.
Bibliographie
HARRIS (DAVID) Eugène Atget. Itinéraires parisiens, ouvrage publié à l’occasion de l’exposition
du Musée Carnavalet et du Museum of the City of New York, commissaire de l’exposition HARRIS
David et REYNAUD Françoise, préface Eugène Atget et Berenice Abbott de LERI Jean-Marc et
REYNAUD Françoise, 1999, éd. Paris-Musée – Editions du Patrimoine.
REYNAUD(Françoise), Eugène Atget, collection Photo Poche, Paris, 2010, éd. Acte Sud.
Le peuple de Paris au XIXe siècle, catalogue de l’exposition de 2011-2012 au Musée Carnavalet,
commissariat Miriam SIMON.
Atget, une rétrospective, ouvrage publié à l’occasion de l’exposition de la B.N.F., commissaires de
l’exposition AUBENAS Sylvie et LE GALL Guillaume, textes de AUBENAS Sylvie, LE
GALL Guillaume, BEAUMONT-MAILLET Laure, CHEROUX Clément et LUGON Olivier,
préface de JEANNENEY Jean-Noël, Paris, 2007, B.N.F. et éd. Hazan.
WOLOCH(Jean-Baptiste), notices sur certaines photographies d’Atget, www.carnavalet.paris.fr
Glossaire
ABBOTT Berenice (1898-1991) est une photographe américaine. Venue à Paris, elle fut l’assistante de Man
Ray*. Puis elle réalisa le portrait de nombreuses personnalités parisiennes. En 1925 elle découvrit Eugène
Atget, qu’elle photographia. A la mort de ce dernier, elle acheta toutes ses archives et fit connaître son œuvre
aux Etats-Unis.
BOSSE Abraham (1604-1676) est un graveur français, membre de l’Académie royale de peinture et de
sculpture. Il fit l’inventaire des différents types de la société de son temps. Ce fut aussi un théoricien féru de
perspective et un technicien aquafortiste hors pair. Il se lia d’amitié avec le graveur lorrain Jacques Callot*,
dont il subit l’influence.
CALLOT Jacques (1592-1635) est un graveur lorrain auteur de la remarquable série de gravures à l’eauforte intitulée Les Grandes Misères de la guerre, relatant les horreurs de la Guerre de Trente Ans. Ayant vécu
dans sa jeunesse en Italie, il décrivit aussi dans ses estampes des scènes de la vie quotidienne florentine. Il
grava également les fameuses planches de La Tentation de Saint-Antoine, montrant la même prodigieuse
finesse d’exécution dans l’art fantastique.
DADAÏSME ou Dada est un mouvement artistique et littéraire, qui pendant la Première Guerre mondiale
rejeta les traditions pour privilégier la spontanéité, l’humour et la provocation. Il se développa en Suisse, en
Allemagne et aux Etats-Unis. Parmi les créateurs dadaïstes on peut remarquer l’écrivain Tristan Tzara, les
sculpteurs Jean Arp et Kurt Schwitters, enfin le plasticien auteur des premiers ready made, Marcel Duchamp,
et son ami photographe Man Ray*.
L’ILLUSTRATION est le nom du magazine hebdomadaire fondé à Paris en 1843 et faisant appel à des
dessinateurs de renom comme Gavarni ou de célèbres écrivains comme Gaston Leroux. Cette revue traitait
tous les aspects de l’actualité et comportait aussi des articles scientifiques, artistiques et historiques.
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Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Exposition Eugène Atget, Paris (25 avril – 29 juillet 2012)
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Les cris de Paris.
MAN RAY (Emmanuel Rudzitsky, dit) (1890-1976) est un artiste américain peintre et réalisateur de films.
Mais il est surtout connu pour ses photographies et pour sa participation aux mouvements dadaïste* et
surréaliste*. Il possédait un album de clichés d’Eugène Atget. Parmi les photographies les plus fameuses de
Man Ray, on peut remarquer celle intitulée Noire et Banche (1926). Elle montre le modèle Kiki de
Montparnasse à côté d’un masque africain. Une autre très célèbre s’intitule Le Violon d’Ingres (1924). Il a
placé sur son dos nu les ouïes d’un violon en référence au passe-temps préféré du peintre néoclassique.
PROUST Marcel (1871-1922) est un écrivain français, dont l’œuvre majeure est A la recherche du temps
perdu. Composée de cinq livres écrits de 1907 à 1922, la recherche repose sur un style singulier, dont les
phrases souvent longues emmènent le lecteur dans les méandres poétiques de la mémoire. La chambre de
l’écrivain est conservée au Musée Carnavalet.
SURRÉALISME est le nom donné au mouvement artistique et littéraire créé en 1924. Dans le Manifeste du
surréalisme le poète André Breton le présenta comme une « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle
de la raison (…) Le surréalisme repose sur la croyance (…) à la toute-puissance du rêve. » Ce mouvement
compta parmi ses membres les poètes Aragon et Eluard, les peintres Ernst, Dali et Masson. Le photographe
Man Ray* connut la plupart d’entre eux. Les surréalistes se sont intéressés à l’étrangeté de certaines
photographies d’Eugène Atget. En 1926 la revue La Révolution surréaliste parut avec en couverture un
cliché d’Atget.
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