L`analyse d`une photo - Eugène Atget.pub
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L`analyse d`une photo - Eugène Atget.pub
L’analyse d’une photographie : Eugène Atget Le sujet : Je vous propose l’analyse photographique d’un cliché en noir et blanc d’Eugène Atget. La légende de la photographie constitue la fiche d’identité de l’image : la mention "Rue Saint-Bon" ainsi que le numéro du négatif sont portés au dos par la main d’Atget. La rue qui porte encore aujourd’hui le même nom se situe dans le quartier Saint-Merri, dans le IVe arrondissement de Paris. Le tirage, en 21 x 17 cm, sur papier albuminé a été réalisé entre 1903 et 1927 d’après un négatif sur verre au gélatino-bromure de 1903. La photographie appartient à la série « Art dans le vieux Paris ». Eugène Atget ne semble pas avoir fait d’autres vues de la rue Saint-Bon. Le photographe : Eugène Atget est probablement, avec Robert Doisneau, l'un des photographes les plus légendaires de Paris qui ont contribué à documenter cette ville au passé chargé d’histoire, il est l’un des pères du style documentaire. Il est né en 1857 à Libourne, dans le sud ouest de la France et est mort à Paris en 1927 alors âgé de 70 ans. Après un début de vie chaotique, il a été orphelin à l’âge de cinq ans, il exerce des petits métiers variés, d’abord en tant que matelot dans la marine marchande, puis comme comédien raté ou peintre médiocre… Il erre sans moyen d’existence et sans réel La rue Saint-Bon en direction de l'église Saint-Merri, Paris 1903 © Eugène Atget Page 1 L’analyse d’une photographie : Eugène Atget revenu jusqu’à l’âge de ses quarante ans avant de se mettre à la photographie au début des années 1890 pensant fournir de la documentation aux peintres, comme le faisaient beaucoup de photographes depuis les années 50. Le contexte : Au début du XXème siècle, l’économie française se modernise mais se laisse distancer par ses rivales allemandes et anglaises. Après une période de grande expansion (1848-1873) et une autre dite de dépression (1873-1895), les prix remontent et la production reprend. La France se place au quatrième rang des puissances mondiales, les atouts de l’industrie française sont le grand développement de la métallurgie, de la houille et de l’automobile qui est alors au second rang mondial. Tout cela va influencer le développement de nos villes et Paris n’y coupera pas. Fini les petites ruelles sombres et étroites, les villes fermées à la circulation difficile où artisans et commerçants sont menacés de disparition faute de visibilité. L’impression : Quand on découvre l’image on a une impression de vide, c’est peut être un choix du photographe ? Cela dit, les paniers abandonnés à gauche et la publicité très présente à droite et en rappel sur la gauche forment une sorte d’oxymore visuel. Ces éléments remettent en question cette notion de vide apparent. Objets, enseignes, lampadaires et affiches suggèrent, sans pour autant le montrer, l’activité de ce quartier. Ainsi ce lieu, vide de toute présence humaine, ne donne pas l’impression d’être abandonné… Format, angle et cadrage : En appliquant une grille de tiers sur une reproduction on distingue des plans successifs qui se renvoient les uns aux autres. La prise de vue frontale, cadrée sur le double resserrement Page 2 Grille des tiers L’analyse d’une photographie : Eugène Atget décalé de la rue entre le deuxième et le troisième plan ne permet pas d’imaginer concrètement le lieu où est posé l’appareil. Dans une rue perpendiculaire ou sur une place ? Derrière la rue qui ferme l’horizon, l’église Saint-Merri est encastrée dans les bâtiments. L’image fonctionne entièrement dans son propre champ. Alors que presque toutes les percées haussmanniennes sont achevées, la mise en scène est celle d’un Paris d’avant sa transformation, une ville fermée à la circulation. Profondeur et lumière : Bien que composant une image fermée, ce que n’est pas la rue Saint-Bon, elle n’apparaît pas comme un lieu sombre. Beaucoup de zones apparaissent en pleine lumière : la façade de l’immeuble qui ferme la perspective, les pignons sur lesquels se trouvent l’enseigne de serrurerie et les affiches. Les ombres peu étirées me font penser que l’image a été prise vers midi. Nombre de photographies d'Atget semblent prises le matin à l'heure où les rues sont désertes, mais à l’heure du déjeuner les rues l’étaient également. Composition : La composition attire également le regard, le conduit, le dirige, suit les lignes, l’invite à se laisser guider par les formes, entraîné Zones d’ombres et de lumière Page 3 L’analyse d’une photographie : Eugène Atget par les ombres et les lumières : les décrochements avec l’escalier, la rue qui se rétrécit pour buter contre la façade de la rue perpendiculaire qui ferme l’horizon ; la tourelle légèrement décalée qui domine le toit ; la succession en bandes verticales des gris de gauche à droite ; la montée de l’oeil des pavés clairs sur toute la largeur du premier plan à la trouée étroite du ciel à l’arrière plan ; Ce que l’on voit immédiatement, les indices saillants : l’organisation des plans ; l’accumulation de paniers qui semble accompagner la montée de l’escalier à gauche opposée à la trouée qui semble descendre sous la rue et l’immeuble à droite ; l’opposition entre l’enseigne de la serrurerie cantonnée dans son cadre et surmontée des deux clés et la superposition des affiches. Réalisant ses positifs par contact, Eugène Atget ne recadrait pas ses photographies. On mesure donc toute l’attention de ses compositions lors de la prise de vue. Au premier plan, en écho avec l’arrière plan qui ferme l’horizon (l’immeuble le long de la rue de la Verrerie n’a pas de porte visible), domine l’horizontalité soulignée par le pavage et tempérée par les décrochements à droite et au fond, ouverture vers le spectateur et fermeture. Une zone de transition où se mêlent horizontales, obliques et verticales en des lignes plus courtes, organise les décrochements verticaux et horizontaux. Le point de fuite des obliques est la tourelle de l’église Saint-Merri. Cinq masses étirées en hauteur, les façades, supportent l’objet de l’image, les enseignes, la lampe Verticales Page 4 L’analyse d’une photographie : Eugène Atget et les affiches publicitaires. Ces masses sont striées alternativement horizontalement selon une perspective fuyante dont les points de fuite sont constitués par les fenêtres de l’immeuble de la rue de la Verrerie. La composition n’est pas centrée, les points de fuite décalés renforcent l’impression de décrochement. La double focalisation sur la rue et sur les publicités ne laisse à aucun moment le regard sortir de l’image. À ce stade de l’analyse de l’image, il devient intéressant d’observer les autres vues réalisées par Atget dans le quartier Saint-Merri. La collection de la Bibliothèque nationale en offre quarante huit dont près d’une dizaine, si on excepte les cours, –rue Aubriot, Impasse de la Baudroirie, rue de Venise, (plusieurs clichés de ces deux rues), cul de sac du Boeuf, rue Brisemiche, cul de sac Fiacre…– présentent une composition semblable, la perspective fuyante d’un étroit couloir barré à son extrémité, une image de cul de sac. Squal Horizontales Page 5