Jeux traditionnels et transfert d`apprentissage en EPS

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Jeux traditionnels et transfert d`apprentissage en EPS
Jeux traditionnels et transfert d’apprentissage en EPS :
Plaisir de jouer et plaisir d’apprendre (extraits)
Éric DUGAS (Maître de Conférences – HDR - Groupe d’Études pour une Europe de la Culture et de la Solidarité – GEPECS, EA 3625,
axe 4, Université Paris Descartes, Paris, France - Membre de l’AE-EPS et du groupe-ressource « Plaisir »)
Pour certains, le sentiment de plaisir peut recouvrir trois dimensions :
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la compétition (plaisir de gagner),
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la ludisation (plaisir de jouer),
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la convivialité (plaisir de pratiquer avec l’autre).
Pour d’autres, le plaisir découle essentiellement des progrès réalisés dans l’apprentissage, ce qui conduit à
envisager l’EPS sur le pôle de la maîtrise, liée à des objectifs de progrès (pour aller plus loin, (re)visiter la
didactique du plaisir.
Le plaisir est alors perçu comme un contenu d’enseignement qui se limite à seulement quelques activités
physiques et sportives (APS) ce qui permet à l’élève d’accéder à l’expertise dans une activité sportive.
Un plaisir pluriel autorise la multiplicité des APS pour favoriser le plaisir d’apprendre tout en visant l’expertise de
l’élève qui se façonne et s’exprime dans l’adaptabilité (s’adapter à s’adapter) par une mise en jeu corporelle.
Ainsi, le plaisir ressenti dans le vaste répertoire des jeux traditionnels se conjugue aisément, non pas au passé,
mais au présent et au futur avec les finalités de l’école et les objectifs de l’USEP.
1. Un contexte institutionnel encore favorable à la pratique des jeux traditionnels
Les textes officiels de l’école primaire préconisent clairement la pratique des jeux traditionnels comme moyen
éducatif pour atteindre les compétences visées.
Parmi l’une des quatre compétences retenues en EPS au cycle 2, Coopérer ou s’opposer individuellement et
collectivement, les Jeux traditionnels et les jeux collectifs avec ou sans ballon sont conviés à être programmés.
En revanche, au cycle 3, les jeux sportifs collectifs cités sont essentiellement des pratiques institutionnelles (type
handball, basket-ball, football, rugby, volley-ball...).
Plus on grandit pour devenir élève et plus le champ des pratiques non institutionnelles, pour cette compétence, se
réduit en peau de chagrin.
2. Le cas du transfert d’apprentissage entre les jeux et les sports
L’objectif d’une expérience de terrain, (Dugas, in Bordes, Collard & Dugas, 2007) réalisée en EPS à l’école
primaire, était de savoir si la pratique des sports collectifs avait une influence sur la pratique des jeux traditionnels
et vice-versa ?
La présente recherche a également testé le rôle de l’intervention de l’enseignant en évaluant les effets de deux
modalités pédagogiques différentes : la pédagogie ludique et la pédagogie signifiante.
Au sein de la première, il s’agit pour l’enseignant d’encourager une pratique ludique dépourvue d’apprentissages
didactiques. Il intervient essentiellement pour assurer la participation active des élèves, un climat relationnel serein
et le bon déroulement des séances (respect des règles et d'autrui).
Dans la seconde modalité, l’enseignant intervient de façon soutenue et normative afin d’entraîner des progrès
moteurs. La pédagogie employée recherche alors une attitude réflexive sur les conduites motrices engagées.
3. Les résultats de l’expérience
D’emblée, les résultats du transfert intraspécifique montrent que, quel que soit le statut des jeux collectifs
(institutionnel ou non), le gain d’apprentissage est positif et ce, très significativement.
Par ailleurs, les résultats dévoilent que, quelles que soient les situations d’enseignement, le transfert est plus
important dans le cadre d'une pédagogie signifiante cherchant à favoriser la prise de conscience des principes
d’action à actualiser.
L’interaction dyadique entre l'enseignant et l'enseigné semble accroître le développement d'une intelligence
motrice spécifique.
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Mais les progrès sont réels aussi sans didactisation appuyée de la part des enseignants. De fait, nous pouvons
suggérer qu’un individu qui agit est un individu qui apprend.
Les résultats révèlent la présence d’un transfert interspécifique réciproque entre les jeux traditionnels et les sports
collectifs.
Ainsi, la pratique du sport est-elle facilitée par l’apprentissage de jeux traditionnels.
En guise de synthèse, les résultats permettent de poser un regard plus objectif sur la richesse des jeux
traditionnels souvent minorés au profit des sports collectifs.
Pourtant, les jeux traditionnels apparaissent, non seulement aussi riches que les sports collectifs, mais aussi plus
facilement transposables dans d'autres activités.
Certains pédagogues formuleront à juste titre que l’enseignant peut changer certaines variables d’un sport
(variables spatiales, temporelles, corporelles, relationnelles ou celles liées aux systèmes de scores) sans pour
autant changer la logique interne profonde du jeu.
L’important pour l’enseignant est de posséder les moyens d’analyse et de transformation des variables pour une
bonne adaptation aux circonstances et aux objectifs.
Cependant, quitte à transformer un sport, pourquoi ne pas envisager la pratique d'autres formes sociales d'activités
physiques - par exemple les jeux traditionnels collectifs (jeux de patrimoine) - plus accessibles que le sport selon
l'âge et les capacités des participants ?
4. Quelques arguments en faveur des jeux traditionnels pour un plaisir pluriel.
Il s’agit non pas de faire ici l’apologie des jeux traditionnels au détriment de certains sports, mais d’en révéler tout
l’intérêt afin de puiser dans un grand choix d’activités physiques codifiées (des sports et des jeux traditionnels).
Autrement dit, il s’agit de faire avec les jeux et les sports et non pas opposer les jeux et les sports.
En premier lieu, quel que soit l'âge ou le sexe des pratiquants, le plaisir de participer à ces jeux est très
souvent partagé,
En second lieu, les jeux collectifs offrent des structures relationnelles très diversifiées et originales.
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De nombreux jeux collectifs du patrimoine (non institutionnels) admettent des structures d’affrontement collectif
variées : un contre tous, une équipe contre les autres, chacun pour soi, etc.
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De plus, les relations entre les partenaires et les adversaires peuvent être instables selon le règlement en
vigueur : un joueur peut changer d’équipe au cours de la rencontre. Dans certains cas, les relations sont
mêmes paradoxales : un joueur peut être à la fois partenaire et adversaire et cela dans des temps très proches.
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L’absence d’objets médiateurs ou, a contrario, l’abondance de ces derniers servant aux échanges entre les
protagonistes ainsi qu’une aire de jeu la plus souvent non standardisée ni artificielle, voire naturelle, ne peuvent
qu’accroître la difficulté d’adaptation des pratiquants.
En dernier lieu, la recherche de la victoire n'est pas le seul objectif à atteindre, contrairement aux sports.
En guise de synthèse, les jeux traditionnels sont, à l’instar des sports, des formes sociales de pratiques physiques
qu’il ne faut pas négliger pour le plaisir d’agir des élèves. La pratique de ces jeux favorise entre autres :
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La jubilation motrice ancrée dans la mémoire : plaisir d’agir (tout au long de sa vie et au-delà des séances
d’EPS, pour un réinvestissement futur de la pratique physique, quelle que soit sa forme).
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La variété de formes jouées (richesse culturelle et motrice) pour des plaisirs pluriels.
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Les progrès moteurs au sein d’un cycle complet d’apprentissage en adéquation avec les compétences
scolaires visées.
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Le plaisir de maîtriser les conduites motrices : l’expertise de l’élève en EPS consiste dès lors à viser
l’adaptabilité motrice (s’adapter à s’adapter).
5. Conclusion
Selon la forme de pratique physique choisie, les expériences motrices ne sont pas de même nature.
Or, un des enjeux de l'Education Physique et Sportive consiste alors à faire vivre et partager aux élèves
des expériences corporelles dans toutes leurs dimensions (sociales, cognitives, motrices, sensibles,
affectives), inspirées des différentes formes de pratiques sociales en usage et transposées selon les
finalités scolaires des différents niveaux de curriculum et les caractéristiques effectives des élèves.
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