Réflexion sur le vagabondage et les droits des enfants
Transcription
Réflexion sur le vagabondage et les droits des enfants
L’anachronisme du Décret sur l’enfance délinquante en RDC Réflexion sur le vagabondage et lesdroitsdesenfants Par Henri Wembolua Otshudi K.1 Plusieurs personnes se sont intéressées à la situation des droits de l’enfant en République Démocratique du Congo (RDC) au courant de l’année 2006. En effet, concomitamment au processus électoral, la situation des droits de l’enfant n’a cessé de préoccuper les défenseurs des droits de l’homme d’autant plus que le cadre juridique de la protection de l’enfant est obsolète et que les violations des droits de l’enfant sont multiples.2 La majorité pénale est encore à 16 ans mais la Constitution, la ratification du Statut de Rome sur la Cour pénale internationale, la loi sur la justice militaire et les lois sur les violences sexuelles sont encourageantes en ce que la majorité pénale reconnue est de 18 ans. Plusieurs rapports et autres écrits ont déploré la situation des droits de l’enfant en RDC, notamment la protection des droits de l’enfant en conflit avec la loi.3 Il apparaît utile de relire le décret cité supra quant à ses dispositions sur le vagabondage et analyser la pratique sur le terrain. On peut se demander si le « vagabondage »4 et sa pratique sont respectueux de la dignité de l’enfant telle que proclamée par les normes internationales relatives aux droits de l’enfant. Les arrestations massives ou rafles des enfants et jeunes de la rue dénommés communément « Shégués »5 sont devenus préoccupantes pour la RDC et plus particulièrement pour la Ville de Kinshasa. Pour les uns, l’unique solution d’assurer la sécurité des personnes et des biens face au phénomène des enfants et jeunes de la rue, casse-tête pour les autorités administratives et politiques, c’est d’arrêter et de détenir ces derniers dans les prisons ou de les déporter. En tout état de cause, une solution à ce phénomène social des enfants de la rue doit être prise dans sa globalité, c’est-à-dire doter le pays d’un cadre plus cohérent de la protection de l’enfant sur le plan social, éducatif, familial... Les structures privées et publiques d’encadrement des enfants doivent être créées et/ou appuyées, selon le cas, pour une véritable prise en charge de l’enfant. 1 2 3 4 5 6 Avocat et Chef des Travaux au Centre Interdisciplinaire pour le Développement et l’Education Permanente (CIDEP). L’auteur est détenteur d’un diplôme de 3°Cycle en Droits fondamentaux de l’Université de Nantes. La nouvelle Tribune internationale des droits de l’enfant avait publié dans son n°10 et 11 de décembre 2005 un article sur « L’anachronisme du décret du Décret 6 décembre 1950 sur l’enfance délinquante. Cas du flou sur la majorité pénale ». La parole de la justice de RCN-justice publie dans son deuxième numéro quelques articles sur la protection de l’enfant notamment « Encore sur l’anachronisme du Décret du 6 décembre 1950 sur l’enfance délinquante : le volet de la protection de l’enfant en conflit avec la loi » Le vagabondage est une mesure de sûreté qui frappe les personnes (en l’espèce les enfants). Cette infraction est souvent abordée de manière combinée avec la mendicité. Shégués est la dénomination péjorative des enfants de la rue ou dans la rue. Ce sont ces enfants abandonnés ou ayant fui le toit familial (enfants en rupture des liens de famille). Voir à peu près « Gavroche » dans la littérature française. Le phénomène Shégués a de nos jours une autre connotation, parce qu’il y a parmi eux des jeunes et des adultes, des enfants abandonnés et des enfants vivant sous le toit familial, mais échappant au contrôle des parents. Bayona ba Meya, « Considération sur la protection de la jeunesse », in Annales de la Faculté de Droit Unikin, Puk 1984, pp.93-104. 22 Ce travail est destiné à tous ceux qui s’intéressent à la promotion et à la protection des droits de l’enfant. Il s’agit aussi d’attirer l’attention des politiciens congolais sur l’urgence de concevoir une nouvelle loi sur la protection de l’enfant. Pour d’autres personnalités, des mesures administratives, judiciaires et financières sont utiles pour gérer le problème des vagabonds autrement que par la violation des droits de l’enfant. Nous espérons que les chercheurs et les intervenants, nationaux et internationaux, dans le domaine des droits de l’enfant découvrent d’autres pistes de travail. Qu’est- ce qui peut démontrer que les dispositions légales contenues dans le décret du 6 décembre 1950 sur l’enfance délinquante sont dépassées et sont en violation des droits de l’enfant ? Pour répondre à cette question, ce travail tentera de présenter quelques notions importantes sur le vagabondage. Nous n’entrerons pas ici dans les détails des causes ayant propulsé des milliers d’enfants dans la rue, dès l’instant que l’on connaît les effets de la guerre et du fléau du SIDA, la crise socio-politico-économique ayant frappé de plein fouet la R.D.Congo, avec pour conséquences la déliquescence de l’institu6 tion familiale. Après une étude sur les notions fondamentales et la nature juridique du vagabondage, la pratique de l’institution caractérisée par des rafles, des tortures et des traitements inhumains et dégradants, voire la non-observation des prescrits de la loi en la matière, sera examinée. Enfin quelques propositions s’avèrent nécessaires pour permettre à ceux qui sont impli- n°12 - mars 2007 qués dans la protection des droits de l’enfant en RDC, d’agir en faveur des enfants et, par ricochet, d’investir pour un avenir de paix et de prospérité pour tous grâce à l’approche responsable du vagabondage. I. Quid du vagabondage ? Il y a lieu de chercher à définir préalablement le vagabondage, en relever ses éléments constitutifs, sa nature juridique et les sanctions prévues. 1. La base légale et la définition du vagabondage Le vagabondage est réglementé en RDC par le décret du 6 décembre 1950 sur l’enfance délinquante ; le décret du 6 juin 1958 relatif aux adultes vagabonds régit aussi le vagabondage. Il est déplorable de constater que la disposition légale n’a pas prévu une quelconque définition, comme le stigmatise Madame Professeur Idzumbuir qui dit : « pour le vagabondage, la définition est celle donnée par le code pénal belge qui entend par cette expression, l’état des individus qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de substance et qui n’exercent habi7 tuellement ni métier, ni profession ». Les enfants des rues pourchassés et tués : Certains pays ont organisé des réactions violentes pour faire face à la prolifération du nombre d’enfants des rues. C’est la cas notamment du Guatemala, de la Colombie, du Pérou et du Brésil. Par exemple les trop célèbres «escadrons de la mort » au Brésil qui sont financés par des hommes d’affaires locaux qui souhaitent « nettoyer » leurs quartiers des enfants des rues. Ces escadrons de la mort, composés de policiers subalternes et d’officiers de la police militaire, veulent se substituer aux lois estimées trop lentes et inefficaces. Depuis une quinzaine d’années, tous les jours, des enfants, souvent très jeunes, meurent assassinés. A l’instar des escadrons de la mort, des milices privées se sont créées dans les pays précédemment cités. La présence importante d’enfants dans la rue assure à ces milices une certaine approbation de la population nantie et donc leur quasi impunité. 7 8 9 Idzumbuir Assop Joséphine, La justice pour mineurs au Congo, éd.univ.afr., Kin, 1994. Omelette Osako H. et coll., Recueil sur la minorité. Analyse et commentaires de la législation applicable aux mineurs Congo, publication de BICE O.I. des droits de l’enfant, s.d. Voir aussi www.bice.org Certaines associations et orphelinats récupèrent les enfants en détresse. Sans informations très sûres pour toutes les institutions, on peut citer MPOKOLO WA MUOYO, BICE, AMOCONGO... 10 11 12 13 La défaillance des gouvernements face à cette obligation nationale et internationale est la cause de la crise actuelle du phénomène shégué. Ils n’ont pas bénéficié de l’enseignement primaire, certains ont plus de 18 ans et se débrouillent dans la rue, parfois avec violence. La 3° République a la lourde mission d’éradiquer l’analphabétisme et d’élaborer un programme spécifique avec l’appui de la communauté internationale au risque de saper les efforts de rétablissement de la paix et la sécurité au pays. Lire avec intérêt Gaëlle Renault, « Le travail des enfants sous l’œil du Comité des droits de l’enfant : lecture transversale des observations finales réalisées en 2005 », in Nouvelle tribune internationale des droits de l‘enfant, N°10 et 11 décembre 2005, pp. 5053. Le rapport de octobre 2006 de Human Rights Watch a dénoncé la présence de plusieurs filles dans les groupes armés à l’Est. Consulter site :www.hrw.org Pour Marcel Wetsh’okonda, ex-Directeur de la Campagne pour les droits de l’homme au Congo CDHC-asbl et membre de Global Rights. Partners for justice, l’âge nubile est inconnu et à ce jour, il faut harmoniser les dispositions du code de la famille et celles des lois sur les violences parce que le code de la famille autorise le mariage à 16 ans tandis que les rapports et atteintes sexuelles à une fille de moins de 18 ans constituent diverses formes de violences sexuelles. Cette définition, dans le contexte actuel de la RDC, pose problème parce que son champ d’application est très large et qu’il y a un risque de tomber dans l’arbitraire. Dans la pratique, lors des arrestations massives, on ne distingue pas la loi applicable aux adultes de l’article 2 du Décret sur l’enfance délinquante. Quels sont les éléments qui doivent présider à l’appréciation de la constitution ou établissement de l’infraction ou manquement « vagabondage » ? 2. Les éléments constitutifs du vagabondage Dans le silence de la loi, la doctrine et la jurisprudence relèvent trois éléments constitutifs du vagabondage. Omalete Osako et des collaborateurs de BICE prélèvent les trois éléments, notamment l’absence de résidence certaine, le fait de ne se livrer habituellement à aucun travail 8 et le manque de ressources. 1. L’absence de résidence certaine Les enfants ayant légalement leur domicile chez leurs parents, lorsqu’ils se retrouvent sans accompagnement et en dehors du toit familial, l’on peut considérer qu’ils n’ont pas de résidence certaine. Il en est de même de tous les enfants qui se soustraient au contrôle de leurs représentants légaux, tels les tuteurs, les délégués sociaux, les institutions de charité, les centres d’écoute ou d’hébergement (ASBL ou ONG)… Jadis, il y avait une réglementation sur les heures pendant lesquelles la présence des enfants était interdite dans la rue. Des milliers d’enfants n’ont pas de résidence certaine et cette situation est parfois le fait de l’extrême pauvreté des parents, des conflits armés et des maladies ayant laissé de nombreux orphelins. Les pouvoirs publics en difficulté de pourvoir à l’encadrement des enfants ou organiser la pupille de l’Etat prévus par le code de la famille se trouvent limi9 tés. 2. La Condition de travail La condition de travail concerne en principe les adultes et non pas les enfants qui ont en principe droit à l’éducation. L’alinéa 4 de l’article 43 de la Constitution du 18 février 2006, conformément aux normes internationales pertinentes et Plans d’action, dispose que l’enseignement 10 primaire est obligatoire et gratuit. Au lieu de bénéficier de l’éducation, plusieurs enfants sont soumis au travail par la force des choses, et ce contrairement aux observations générales du 11 Comité des droits de l’enfant . En fait, les enfants, sans souci de l’âge, sont exploités pour la vente à la criée, la vente de l’eau (Kapanzeurs à Tshikapa, Bana Mai à Kinshasa), le travail dans les mines des pierres précieuses, les filles mineures sont exploitées dans la débauche (appelées londoniennes à Lubumbashi, Fioti-fioti ou Kamuke-Sukali à Kinshasa, ou encore Turushavumbi à Kisangani), n°12 - mars 2007 12 accompagnatrices ou femmes des commandants des groupes armés … Toutes ces activités énumérées ci-dessus ne représentent pas un travail normal et rémunéré pour les enfants. Les enfants victimes d’un système injuste sont exposés à l’arrestation du fait de manque de source sûre de revenu. Pour les adultes, dont nombreux vivent un chômage déguisé grâce aux activités professionnelles dérisoires, le contenu sociologique des éléments constitutifs de l’état de vagabondage reste problématique. Qu’en est-il des filles qui survivent des rapports charnels et celles qui se marient avant 18 ans, contrairement à l’âge de la majorité selon l’article 41 de la constitution de 18 février 2006 et les lois 06/018 et 019 du 20 juillet 2006 13 sur les violences sexuelles ? Ne tombent telles pas sous le coup de vagabondage par manque de ressources de revenu ? 3. Le manque de ressource Les considérations sur le travail dans les Etats en développement peuvent interpeller d’autant plus que, souvent, le revenu d’un particulier sans emploi fixe dépasse largement celui d’un agent de l’Etat. Madame Idzumbuir n’a-t-elle pas raison lorsqu’elle dit que : « Le vagabondage est une question de fait si délicate que son appréciation laissée à l’organe judiciaire comporte le risque d’étiquetage et d’amplification sociale de la déviance juvénile » ? Le manque de ressource est l’un des éléments constitutifs du vagabondage au contour difficile à préciser et surtout en ce qui concerne les mineurs qui, par principe, dépendent de leurs parents ou familles et à défaut des institutions de charité et légalement de l’Etat avec la tutelle de l’Etat. Le Décret sur l’enfance délinquante prévoit deux cas de vagabondages : - L’état de vagabondage du jeune notamment qui erre près des marchés, des hôtels, des cinémas ; - Le vagabondage qualifié ou d’habitude, lorsque le mineur se livre habituellement au Vagabondage, c’est-à-dire que l’on constate une tendance persistante. Il existe certaines conceptions sur le fait reproché. 3. La nature juridique de vagabondage A propos de la nature juridique du vagabondage, les travaux préparatoires de la rédaction du Décret sur le vagabondage renseignent que : « Ce projet, examiné par le Conseil colonial en sa séance du 25 avril 1958, a été élaboré par la commission de réforme judiciaire à la demande du Ministre et du Gouverneur général, bien qu’il s’agisse d’une matière administrative, de restriction à la liberté individuelle dans un but de police et de sécurité… Un autre membre rappelle que la question du vagabondage et de la mendicité n’est pas un problème de répression, mais de police. La législation prévoit, non des peines mais des Me- 23 L’enfant des rues : contribution à une socioanthropologie de l’enfant en grande difficulté dans l’espace urbain Sous la direction de Stéphane Tessier, L’Harmattan, Paris, 2005 Lorsqu’un enfant se précipite pour laver le pare-brise d’une voiture arrêtée au feu rouge, deux mondes se rencontrent. Celui d’une société véhiculée, consommatrice qui vit dans l’urgence de trouver un revenu, un salaire et de le conserver, et celui des rues dont cet enfant témoigne. L’un comme l’autre s’ignorent et se fantasment. Alors que l’enfant des rues tente de comprendre le monde « inspiré» pour pouvoir s’y infiltrer, grappiller quelques bénéfices, comment ce même monde peut-il aborder la rue et les exclusions dont elle est l’image et le royaume ? Par le filtre du pare-brise, ou de son avatar moderne, la représentation télévisée ? En considérant cette population comme on le fait romantiquement de populations nomades, symboles de liberté, mais aussi de souffrances archaïques - et, par là, presque séduisante , de «cri primal» de la société ? Ou bien, en considérant la rue et ses habitants comme des excédents banals de production, des emballages qu’on empaquette, stocke, puis nettoie ou recycle ? Fruit d’une étude en Amérique latine, d’un séminaire à Kinshasa et de deux autres à Paris, cet ouvrage rassemble de nombreuses contributions afin de brosser un tableau aussi large que possible de ces enfants, de Brazzaville à Chicago, en passant par Bogotà, la Chine ou Paris. Briser, ou du moins limiter, les mécanismes qui poussent à faire de l’exclusion et de la violence les deux caractéristiques majeures des relations urbaines est un enjeu pour le XXIe siècle. Les chercheurs en sciences sociales portent une responsabilité aussi grande que les acteurs non gouvernementaux ou les décideurs publics, en tant qu’adultes citoyens pour contribuer à relever ce défi. Après avoir publié L’enfant et son intégration dans la cité: expériences et propositions, chez Syros, en 1994, L’enfant des rues et son univers, (même éditeur) en 1995 et Langage et culture des enfants de la rue en 1996 chez Karthala, Stéphane Tessier, médecin de santé publique, a dirigé ce nouvel ouvrage sur l’enfant dans la rue. L’un des chapitres relève les compétences des enfants; un autre quelques expériences menées de par le monde dont on peut s’inspirer. sures de sécurité et de réadaptation, dans l’intérêt de l’ordre public et des vagabonds eux-mêmes. Il en résulte notamment que la mise à disposition du gouvernement ne doit pas entraîner l’incarcération dans les prisons en mélange avec les délinquants, mais dans des établisse14 ments spéciaux… » Plusieurs jugements ont suivi cette position, c’est notamment les jugements de Boma , 7 mai 1901 et 12 août 1902 : « Le Décret du 23 mai 1896 n’est pas une loi pénale proprement dite, mais plutôt une loi d’ordre administratif. Il n’y a pas lieu dans cette matière d’appliquer les règles de procédures pour la répression des infractions en général ». Actuellement, les sanctions et la procédure appliquées, comme cela sera démontré plus bas, prouvent que le vagabondage est devenu une infraction. 4. Les mesures d'exécution et sanctions Les ordonnances du 26 mai 1916, du 15 octobre 1951 et du 5 mai 1956 disposent sur les mesures d’exécution du Décret prévoyant le vagabondage. Quelques points importants peuvent attirer l’attention : - la prévision des quartiers spéciaux des internés dans les lieux de détention ; - l’exigence des titres de détention ; - la distinction des catégories de vagabonds et mendiants ordinaires et d’habitude ; - la réglementation du travail des vagabonds au sein du centre de détention et en-dehors ; - le caractère provisoire de l’internement (la libération en cas d’amendement) ; - la révision de la mesure d’internement tous les trois mois. Quant aux sanctions, l’article 2 du Décret du 6 décembre 1950 dispose que : « Si des mineurs sont trouvés mendiant ou vagabondant ou se livrant habituellement à la mendicité ou au vagabondage, ils pourront être arrêtés et déférés au juge qui aura le droit : - De le réprimander et de le rendre à leurs parents ou aux personnes qui en avaient la garde en leur enjoignant de mieux les surveiller à l’avenir. - De les confier jusqu’à leur 21 année à une personne, à une société ou à une institution de charité ou d’engagement, publique ou privée. eme - De les remettre jusqu’à leur 21 année à la disposition du gouvernement si l’état habituel de mendicité ou de vagabondage est établi, le juge n’aura le choix qu’entre ces deux dernières mesures. » eme Un aperçu de la mise en œuvre de la loi sur le vagabondage est intéressant. 14 Pierre Piron et Jacques Devos, Codes et lois du Congo belge, t 2, 168 et 169. 24 n°12 - mars 2007 II De la gestion et la répression du vagabondage La gestion et la répression du vagabondage ont évolué. Il convient de parler brièvement des lois ayant régi ce phénomène, en relever quelques cas types d’application et faire des observations. 1. Bref historique Depuis la colonisation belge, la législation congolaise est restée statique malgré les modifications connues à la législation belge, ayant influencé la RD Congo, et les faits sociaux changeant. En effet, depuis l’Etat Indépendant du Congo (EIC) en 1885, le code pénal belge de 1867 influençait l’application objective d’une sanction pénale aux mineurs en fonction de leur acte et de leur capacité de discernement, cela pour les immatriculés et les étrangers. La loi belge du 27 novembre 1891 et le décret du Roi souverain du 23 mai 1896 sur le vagabondage et la mendicité pénalisaient et prévoyaient les mesures concernant le vagabondage et la mendicité. Le décret de 1950 applicable jusqu’à ce jour, malgré les grandes innovations de la loi belge du 8 avril 1965 relative à la Protection de la Jeunesse, était calquée sur le modèle de la loi belge. La notion de vagabondage a changé, tant sur le plan procédural que sur celui du fond. Si, jadis, l’autorité administrative opérait les arrestations en cas de vagabondage isolé des enfants, et après avoir interpellé les parents défaillants, désormais les arrestations, faites par les autorités administratives, sont massives et sans respect de la dignité des enfants. Quelques campagnes des autorités politico-administratives ont réussi à réintégrer les enfants dans leurs familles mais, tout compte fait, la famille et l’administration n’ont pas eu un grand impact sur la gestion du phénomène des enfants de la rue. La gestion du phénomène de vagabondage est à cheval entre les pouvoirs publics et les autorités pénitentiaires avec ou sans l’intervention judiciaire. 2. Cas d’arrestation Les exemples des arrestations massives sont légion. Madame Idzumbuir stigmatisait, déjà dans les années 1980, ce phénomène qu’elle qualifiait de rapt. Ces arrestations de masse et qui ne répondent pas à la législation nationale en la matière ni aux normes internationales pertinentes ne constituent que des arrestations arbitraires et des enlèvements. Dans la plupart des cas, ces arrestations s’opèrent dans la méconnaissance des droits, de la dignité et du bien-être des enfants. Ces derniers sont arrêtés et traqués, selon les intérêts des autorités et à n’importe quel moment de la journée : le matin, le soir et la nuit, qu’ils soient agressifs ou non, pré- sumés auteurs d’une autre infraction ou non. A titre illustratif : SOMALIE: Recrutements d’enfants soldats dans les milices Un nombre toujours plus important d’enfants sont engagés par les milices somaliennes, selon les agences humanitaires sur place. Les jeunes recrues sont ainsi séparées de leurs familles et exposées aux combats. Le gouvernement fédéral provisoire de Somalie a nié engager des soldats trop jeunes. «Nous n’avons pas d’enfants dans nos troupes, a expliqué son porte-parole Abdirahman Dinar, questionné par IRIN le mardi 2 janvier. Tous nos soldats ont 18 ans révolus. Ce sont les autres [l’Union des tribunaux islamiques] qui ont recruté des enfants de force.» Selon plusieurs ONG et des agences des Nations Unies, le recours à des enfants soldats en Somalie a augmenté en même temps que les combats entre les tribunaux islamiques et le gouvernement provisoire, en décembre. Les combats ont culminé lorsque les forces de ce dernier, appuyées par l’armée éthiopienne, ont repris le contrôle du sud du pays et de sa capitale, Mogadiscio. «Des entretiens directs avec des enfants ne dépassant pas l’âge de onze ans ont été réalisés à des barrages et dans des véhicules des différentes parties en présence» a indiqué Siddarth Chatterjee, directeur de programme à l’UNICEF en Somalie. Le recrutement s’est étendu au-delà de la frontière, au Kenya voisin. Siddarth Chatterjee ajoute que selon le lll 15 16 17 18 Cependant, selon M. Ivo Vanvonselm, le responsable de Mpokolo Wa Muoyo, un centre d’accueil des enfants en détresse à Kananga, la situation des enfants de la rue s’est améliorée en 2006, car il n’y a pas eu d’arrestation au motif de vagabondage, comme en 2005. Sous réserve des conditions d’arrestation et de détention, le transfert des jeunes de la rue à Kaniama Kasese pour le Service national est un mal nécessaire. Les observations finales du Comité des droits de l’enfant à la suite du Rapport initial de la RDC à sa 721° séance, tenue le 8 juin 2001, méritent à ce jour lecture et évaluation des avancées et reculs durant plus de cinq ans. Lire Olivier Cosandey, Roberta C. et Eric S., Droits de l’enfant en République Démocratique du Congo, éd. OMCT, Genève, s.d. Voir aussi : www.omct.org Document sur le Rapport de la Direction provinciale du Kasaï oriental de l’Institut national de la Statistique avec l’appui de Save Children sur le Recencement des enfants en situation de rupture des liens familiaux. Ville de Mbuji Mayi et Muene Ditu. Avril 2006, p. 4. 1 Neuf enfants de 9 à 13 ans arrêtés et torturés, vers 23 heures, à Kananga, pendant la nuit du 5 au 6 octobre 2005, derrière le Grand Marché dans un Ciné. Huit hommes, en tenue militaire et armés, leur réclamèrent de l’argent puis, les fouettèrent et les ligotèrent. Selon une rumeur dans la ville de Kananga, c’est l’Autorité urbaine qui avait initié l’Opéra15 tion Nettoyage des enfants de la rue. 2 Des centaines d’enfants de la rue étaient arrêtés dans des conditions inhumaines et détenus au Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa (C.P.R.K.) en novembre 2005 sous le motif de « Vagabondage ». C’est grâce à la dénonciation des ONG et à l’intervention de la Section de la Protection de l’Enfant, de la MONUC, du HCDH et de l’UNICEF que ceux-ci ont été libérés. 3 La tristement célèbre Opération Vagabond menée en 2002 à l’initiative du Gouverneur de la province de Kinshasa. Plus de trois cents enfants arrêtés et acheminés à l’Etablissement de Garde et d’Education de l’Etat de Mbeseke Futi (EGEE), sans aucune forme de procès, pour y être détenus, garçons et filles, dans des conditions déplorables. 4 Dans la prison de Kananga, en 2005, plusieurs enfants de la rue arrêtés massivement, et ce dans des conditions inhumaines, pour vagabondage et mendicité. Certains d’entre eux sont condamnés jusqu’à 3 ou 5 ans, sous ces accusations. 5 En 2006, environ 1 000 personnes, dont plusieurs enfants, ont été arrêtées dans la ville de Kinshasa. Ces enfants ont été arrêtés, cà et là, puis détenus à l’amigo de Commissariat, dit CIAT, avant d’être conduits au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa et enfin, après sélection, envoyés à Kaniama Kasese, dans la Province du Katanga, pour 16 le Service national. 6 Au courant de l’année 2006, BICE (O.I. des enfants)/Kinshasa a rencontré, au sein du Centre pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa, 82 cas de mineurs en conflit avec la loi, dont 2 cas en instruction pour vagabondage (soit B.M., né en 1990 RMP/RP 45110 et L.D.M., né en 1989 RMP/RP 45917). 3. Observations 1. La notion de vagabondage est, en principe, une mesure de sûreté, mais est considérée comme une infraction sanctionnée par le Décret sur l’enfance délinquante. 2. La mise en œuvre des dispositions sur le vagabondage témoigne à suffisance du degré d’application de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 entrée 17 en vigueur en RDC le 2 septembre 1990. 3. La pratique actuelle, marquée par les arrestations massives des enfants et des jeunes de la rue, expose les enfants à la torture et aux n°12 - mars 2007 traitements inhumains et dégradants, et, plus grave encore, les droits de l’enfant à un procès équitable ne sont pas respectés. Le vagabondage est devenu, ni plus ni moins, un motif de l’instrumentalisation politique de l’enfant, un voile pudique sur la torture et d’autres traitements inhumains, cruels et dégradants contre l’enfant et une politique de l’Etat fuyant ses responsabilités envers l’institution familiale, les droits des enfants, et ses engagements pour instituer la tutelle de l’Etat. 4. Le phénomène des vagabonds est en soi la conséquence des insuffisances dans la protection de l’enfant. Il est évident que selon l’engagement de la RDC, le traitement approprié pour les mineurs abandonnés, orphelins sans famille, ainsi que tous ceux des mineurs qui échappent au contrôle, serait de les placer sous la tutelle de l’Etat, organisée par les articles 246 à 275 du Code la Famille, mais, hélas, cette tutelle n’est pas opérationnelle à ce jour. 5. Dans la pratique actuelle de la RDCongo, le vagabondage est devenu une infraction et la sanction à ce délit est appliquée abusivement par les autorités administratives et policières, parfois à l’insu, ou sous l’œil complaisant, des autorités judiciaires. Les enfants sans abri peuvent être sans identification et être détenus dans la même cellule que les adultes, dans les cachots, ou dans le même endroit que les personnes condamnées dans les prisons. 6. Selon le rapport du Bureau international du travail et de l’UNICEF en 1999, sur 120 millions d’enfants de la rue dans le monde, on en comptait 35 000 en RDC, dont 7 000 dans la ville de Kinshasa. En 2006, avec le recensement des enfants en situation de rupture des liens familiaux à Mbuji Mayi dans la Province du Kasaï Oriental, on compte 2 036 enfants, dont 1 524 garçons et 512 filles. Ils sont tous exposés à l’arrestation du fait de vagabondage et mendicité, ou encore prosti18 tution pour les filles. 7. La plupart des enfants vagabonds arrêtés ne sont pas mentionnés dans les registres des enfants au Parquet. En date du 15 novembre 2006, 505 personnes, dont 130 enfants de la rue, étaient arrêtées. Quelques jours plus tard, plusieurs autres enfants étaient parmi les jeunes et adultes de la rue. Toutes ces personnes sont transférées à la prison, en masse, avec la conséquence logique d’absence d’identification. 8. Ces arrestations de masse ne répondent plus aux besoins de l’ordre public et des bonnes mœurs, ni aux normes internationales pertinentes, et de surcroît ne constituent que des arrestations arbitraires et des enlèvements, tant on a aucunement le temps d’informer qui que ce soit de l’identité des personnes arrêtées ; parfois le contact même avec ces dernières est rendu difficile. Rappelons que dans la plupart des cas, ces arrestations s’opèrent dans les circonstances de la méconnaissance des droits, de la dignité et du bien-être des enfants. 25 9. La justice pour mineurs devrait être spéciale et ne poursuivre, principalement, que les intérêts des enfants or les officiers de police judiciaire et les magistrats répressifs connaissent une certaine déformation professionnelle et certains d’entre eux ne sont plus tellement sensibles face aux enquêtes et démarches sociales nécessitées pour la dignité et la protection de l’enfant en conflit avec la loi, selon les recommandations du Décret sur l’enfance délinquante. 10.Les tribunaux de paix chargés de l’enfance délinquante connaissent aussi le problème de la spécialisation des juges. Certains juges sont chargés des cas de l’enfance délinquante, lll après avoir participé à une formation sur les droits de l’homme, ou, plus spécifiquement, sur les droits de l’enfant. Dans certaines juridictions, les registres pour l’enfance délinquante (RED) sont confectionnés par le génie des greffiers et certaines mentions font défaut. Dans la ville de Kinshasa et les environs, il y a 8 tribunaux de paix à savoir : les Tribunaux de paix de Pont Kasavubu, Matete, Assossa, Gombe, Ndjili, Kinkole, Lemba et Maluku. Les cas enregistrés sont faibles, cependant la réalité dans le domaine de la criminalité infantile et la justice pour mineurs est autre. Commentaires poser la libération des internés dont le reclasse19 ment parait possible» . III Recommandations Pour éradiquer les cas de violations des droits de l’enfant, sous couverture de vagabondage, des recommandations peuvent contribuer à résoudre, un tant soit peu, le problème des enfants et des jeunes de la rue. Le phénomène est multidimensionnel et appelle tous les intervenants agissant à différents niveaux. 1. Pour le Parlement : La rédaction d’un code de protection de l’enCe tableau a été établi suite à la consultation fant en RDC, en remplacement du Décret sur Commissaire de la province du Nord Est du Kenya, le des registres RED dans les greffes de quelques l’enfance délinquante, vieux d’envirecrutement de jeunes de la proron un demi siècle, est une priorité vince par des groupes armés rivaux pour les heureux députés élus le 30 Tableau 1. Quelques cas disponibles enregistrés en 2006 ont commencé durant les trois juillet 2006. Ils devront prendre des derniers mois de 2006, le plus Tribunal de Paix de Nb de cas Observations options fondamentales en rapport souvent par l’Union des tribunaux Kasavubu 8 La plupart de ces cas ne concernent avec la justice pour mineurs et les islamiques. pas le vagabondage problèmes sociaux, éducatifs et l’en«Un appel a été lancé à toucadrement des enfants. Ils voteront Matete 18 Idem tes les parties en conflit pour qu’eldes lois et exerceront un contrôle parles évitent d’engager des enfants Assossa 6 ... lementaire utile pour la protection de et qu’elles libèrent ceux qu’elles Gombe 6 ... la jeunesse, en demandant la répresont déjà enrôlés, relève Siddarth Ndjili sion de la maltraitance de l’enfant par Chatterjee. Cependant, l’absence l’abandon, l’exposition à une justice Kinkole de registres d’état-civil rend enincohérente, à la torture et aux traitecore plus difficile la vérification de Lemba ments inhumains, dégradants, nol’âge des enfants. Il y a aussi des Maluku tamment les arrestations massives rapports selon lesquels les tribuou rapt du fait de vagabondage et naux islamiques ont déclaré pumendicité mal défini et ignorant les réalités sociabliquement leur intention de recruter directement dans tribunaux de paix. Dans les communes périphéles. les écoles. Si cela est vrai, c’est le plus inquiétant.» riques, il y a peu d’enfants de la rue ou dans la Le code sur la protection de la jeunesse rue. La situation des crimes des enfants est souEn décembre 2006, l’ONG Save the Children-UK a attendue pour l’amélioration de la situation des vent minimisée. exprimé sa préoccupation à propos des milliers d’enfants enfants devra inclure tous les aspects sociaux, non-accompagnés qui pourraient devenir la proie des traCes nombres ne reflètent pas la véritable judiciaires et administratifs mettant en œuvre les fiquants, notamment liés au commerce du sexe. ampleur de la justice pour mineurs, parce que principes, les règles, les conventions, les résoplusieurs cas sont gérés par la police et le parPour en savoir plus voir: www.crin.org/resources/ lutions des instances des Nations Unies, comme quet. Les cas de vagabondage sont gérés sporainfoDetail.asp?ID=12143&flag=news le Comité des Droits de l’Enfant et le Comité diquement au tribunal et par des rafles par la UNICEF: Somalie: des secours pour un pays en d’Experts africains, les plans d’action et les conpolice avec l’autorisation des autorités adminisguerre:www.crin.org/resources/ ventions internationales, notamment : tratives dans la ville de Kinshasa. A–t–on le infoDetail.asp?ID=12127&flag=news 1. Convention relative aux Droits de l’Enfant du temps d’auditionner sur procès–verbal ces enAmnesty International: Somalie: Craintes pour les 20 novembre 1989, entrée en vigueur en RDC fants et ces jeunes de la rue arrêtés en masse ? 20 droits humains dans le conflit qui menace : www.crin.org/ le 2 septembre 1990 ; Et le tribunal vérifie-t-il l’identité, le genre de vie resources/infoDetail.asp?ID=11993&flag=news des individus, l’âge, la situation familiale, l’état de 2. Protocole facultatif à la Convention relative Tribune des Droits Humains: Les enfants somaliens santé physique ou l’état mental pour inviter un aux Droits de l’Enfant, concernant la vente au front médecin dans les cas des enfants traduits en d’enfants, la prostitution des enfants et la porwww.crin.org/resources/ justice du chef de vagabondage et de mendicité ? nographie mettant en scène des enfants, ratifié infoDetail.asp?ID=12143&flag=news en RDC le 28 mars 2001 ; Il s’avère que, parfois, ils sont détenus sans titres appropriés et généralement, il n’y a pas 3. Protocole facultatif à la Convention relative 19 Pierre Piron et Jacques Devos, op.cit., p. d’assistance judiciaire, l’appel et la révision des aux Droits de l’Enfant, concernant l’implica169. décisions de mise à la disposition du Gouvernetion d’enfants dans les conflits armés, ratifié en 20 J.O., Instruments internationaux relatifs aux ment sont inexistants alors qu’ils sont prévus par RDC le 28 mars 2001 ; droits de l’homme ratifiés par la RDC, 2002, l’article 9 de l’ordonnance du 5 mai 1956 qui disKinshasa. Ce document contient tous les 4. Charte africaine des Droits et du Bien-Etre de pose que : « la mise à la liberté est ordonnée par autres instruments ratifiés en RDC l’Enfant, ratifié le 28 mars 2001 ; le gouverneur de province ou son délégué sur jusqu’en 2002. Quant aux règles, 5. Règles minima des Nations Unies concerrecommandations et résolutions, on peut avis du gardien ou directeur de la prison. La nant l’administration de la justice pour mineurs les trouver sur les sites suivants : situation des vagabonds et mendiants internés www.ohchr.org, – Règles de Beijing ; est revue au moins tous les trois mois. Les garwww.droitsfondamentaux.prd.fr, www.dei-belgique.be ... 26 diens ou directeurs de prison sont tenus de pro- n°12 - mars 2007 6. Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté. Principes directeurs des Nations Unies pour l’élaboration des mesures privatives de liberté. – Règles de Tokyo ; Les droits de l’enfant au Kenya Le 16 janvier de cette année, le Comité onusien des droits de l’enfant a étudié le second rapport périodique du Kenya sur le respect de la Convention des droits de l’enfant. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) avait remis un rapport alternatif auparavant au Comité, après sa mission en mai 2006 au Kenya. L’OMCT souligne l’importance des recommandations du Comité aux autorités kenyanes en particulier contre les différents types de violence à l’encontre des enfants (punitions corporelles et violence sexuelle) et l’usage abusif de la force par divers officiels sensés appliquer la loi. D’abord la violation des droits de l’enfant – y compris des violations qui vont jusqu’à la torture et à d’autres punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – est courante au Kenya. Par exemple, dans son rapport alternatif, l’OMCT a informé le Comité que les punitions corporelles ont toujours lieu dans les maisons, les écoles et les institutions où de nombreux enfants sont victimes de violence sexuelle, de harcèlement et d’exploitation. Dans d’autres contextes, on observe la fréquence élevée des violations des droits de l’enfant incluant l’industrie de tourisme sexuel et la prostitution enfantine sur la côte ouest. Le Comité, quant à lui, identifie plusieurs problèmes graves, soulignés également dans le rapport alternatif, dans l’administration de la justice pour mineurs, où des enfants sont trop souvent traités comme des adultes et où les punitions ne sont pas adaptées à leur jeune âge. De plus, l’âge de la responsabilité criminelle est de 8 ans. L’OMCT se réjouit que le Comité propose d’amener cet âge à 12 ans (avec une suggestion de l’augmenter encore). La situation des enfants détenus est également préoccupante puisqu’ils sont non seulment emprisonnés mais en plus en compagnie d’adultes. Le Comité recommande que la détention soit réservée à des jeunes de plus de 18 ans et que, de toute façon, les enfants soient toujours séparés des adultes. Dans son rapport, l’OMCT avait également dénoncé l’usage excessif de la force par les officiels en pointant plus particulièrement les situations où la police a harcelé, frappé ou tiré sur des enfants arrêtés pour des délits mineurs ou qui avaient moins que l’âge requis pour la responsabilité criminelle. Le Comité suggère aussi la fin de l’impunité dans ces cas-là. 21 22 Déclaration du conseil exécutif international de Défense des Enfants international à Bethléem le 2 juillet 2005. Rapport de la Division des Droits de l’homme et section de protection de l’enfant MONUC sur les arrestations et détentions dans les prisons et les cachots de la RD Congo. II° Partie La détention des enfants et la justice pour mineurs. Mars 2006. Consulter le site : www.monuc.org 7. Déclaration de Tampere du 2 décembre 2001 sur les enfants, la torture et les autres formes de violence : affronter les faits, construire l’avenir ; 8. Les Observations du Comité des Droits de l’Enfant et les différentes Déclarations prises dans les conférences internationales notamment la Déclaration de Bethléem : « Pas d’en21 fants derrière les barreaux » ... 2. Pour le Gouvernement : - Les autorités administratives doivent cesser d’arrêter les enfants et les jeunes de la rue, au motif du vagabondage et de les faire détenir 22 au cachot ou en prison ; - Les autorités administratives doivent promouvoir la prévention du vagabondage, par les mesures de la protection sociale de l’enfant, notamment en appuyant l’institution familiale, les institutions d’accueil et de réinsertion des enfants, ainsi que l’institution de la tutelle de l’Etat, en collaboration avec toutes les institutions nationales et internationales, privées ou publiques, œuvrant dans le domaine de l’enfant ; - Les autorités politico-administratives doivent prendre des mesures pour exonérer lesASBL ou les ONG des impôts, taxes, redevances ou pour les réduire sensiblement ; - Le gouvernement devra allouer des subventions et des dotations suffisantes pour appuyer les institutions nationales, publiques et privées, qui encadrent les enfants, notamment les Ministères des Affaires sociales, de la Famille, de la Justice, les Conseils de l’Enfant, ainsi que les différentes divisions, les ONG, les barreaux utiles avec les Bureaux de consultation gratuite ou l’Institut pour les Droits de l’Homme, IDH, en vue de l’assistance obligatoire et gratuite des enfants, comme l’assistance rendue obligatoire pour les victimes de violences sexuelles ; - Le gouvernement doit créer ou redynamiser les institutions spécialisées pour les enfants, notamment une Brigade spéciale pour les mineurs existant déjà à l’Est de la RD Congo, ou le Département de la Police pour mineurs au sein de la brigade des mœurs à redynamiser, les Tribunaux pour mineurs, réhabiliter les Etablissements de Garde et d’Education de l’Etat (EGEE) et former un personnel qualifié (assistants ou délégués sociaux, juges pour mineurs, policiers spécialisés pour mineurs...) ; la Direction de l’Enfance délinquante au sein du Ministère de la Justice ; les Conseils national et provincial de l’Enfant au sein du Ministère des Affaires sociales et du Ministère de la Condition féminine et de la Famille ; la tutelle de l’Etat... ; n°12 - mars 2007 - Les autorités administratives doivent visiter les établissements pénitentiaires ou les centres pénitentiaires et de rééducation, ainsi que tous les lieux de détention, conformément à ° l’article 25 de l’Ordonnance n 344 du 17 septembre 1965, portant sur le régime pénitentiaire ; - Le gouvernement congolais doit chercher conseil technique et appui auprès de la communauté internationale, pour résoudre l’épineux problème de la protection de l’enfance. 3. Pour les autorités judiciaires, policières et pénitentiaires : - Elles doivent se former et s’informer régulièrement sur les questions des droits de l’enfant lorsqu’elles traitent les problèmes des enfants ; - Il y a lieu de faire libérer tous les enfants arrêtés pour vagabondage et mendicité, toute affaire cessante ; - Il faut appliquer les lois et les normes internationales pertinentes des droits de l’homme sachant que les actes administratifs, judicaires et de la police doivent poursuivre en priorité l’intérêt des enfants ; - Prévenir et sanctionner les arrestations massives et les tortures ainsi que les traitements inhumains et dégradants ; - Recourir à toutes les dispositions légales favorables aux enfants, notamment solliciter l’assistance judiciaire au Barreau, privilégier des mesures autres que la mise à la disposition du gouvernement, revoir régulièrement les décisions prises contre les enfants en conflit avec la loi ; - Pour d’autres manquements des enfants, privilégier les mesures de réparation par la médiation entre parents ou tuteurs de l’enfant et victimes ; - Dans le cadre des innovations en cours dans la magistrature, la gestion de la justice pour mineurs devra revenir au pouvoir judiciaire. Dans les lieux de détention ou les prisons dans lesquelles se retrouvent les enfants, il faudra considérer l’obligation de l’Etat de protéger les enfants, sur le plan sanitaire, éducatif, social, sans négliger de mettre les enfants à l’écart de l’influence des adultes et, voire même, des violences sexuelles forcées par les adultes. 4. Pour Les parents et autres membres de familles des enfants : Les parents et les membres de famille ont l’obligation continuelle de récupérer leurs enfants ou rejetons vivant dans la rue, quelles que soient les raisons économiques difficiles ou le caractère des enfants, accusés parfois de sorcellerie. 27 Les enfants de la rue dans le monde 120 millions, c’est le chiffre estimé aujourd’hui par des études conjointes du BIT (Bureau international du Travail) et l’UNICEF du nombre d’enfants qui vivent dans la rue, la moitié de ces enfants vit dans le continent sudaméricain et 30 millions en Asie. Les enfants des rues ont une présence physique bien visible, puisqu’ils vivent et travaillent dans les rues et sur les places publiques de toutes les villes du monde. Pourtant, paradoxalement, ils sont aussi parmi les plus « invisibles », ce qui fait qu’il est très difficile de leur apporter des services essentiels tels que l’éducation et les soins de santé, et de les protéger. La formule « enfant des rues » pose problème car elle peut être utilisée pour les condamner. L’une des difficultés majeures de ces enfants est qu’ils sont démonisés par la société conventionnelle et considérés comme une menace et une source de criminalité. Pourtant, beaucoup d’enfants qui travaillent ou vivent dans la rue ont accepté ce terme, jugeant qu’il leur offre une identité et un sentiment d’appartenance. Cette description générale est une abréviation commode, mais elle ne doit pas cacher le fait que beaucoup d’enfants qui vivent et travaillent dans la rue le font de manières très diverses et pour de multiples raisons – et que chacun d’entre eux est unique, avec un point de vue qui n’appartient qu’à lui. Le nombre exact d’enfants des rues est impossible à quantifier, mais il atteindrait plusieurs dizaines de millions, et selon certaines estimations, jusqu’à plus de 100 millions. Il est probable que leur nombre augmente à mesure que la population du monde s’accroît. En réalité, toutes les villes du monde comptent au moins un petit nombre d’enfants des rues, y compris les plus grandes et les plus riches du monde industrialisé. La plupart des enfants des rues ne sont pas orphelins. Beaucoup d’entre eux sont restés en contact avec leur famille et travaillent dans la rue pour supplémenter le revenu du foyer. D’autres ont fugué, souvent pour échapper à des sévices psychologiques, physiques ou sexuels. La majorité sont des garçons, car les filles semblent supporter plus longtemps des situations de violence ou d’exploitation à la maison. Mais lorsqu’elles quittent leur famille, il est plus rare qu’elles reviennent. Une fois dans la rue, les enfants deviennent vulnérables à toutes les formes d’exploitation et de maltraitance, et leur vie quotidienne n’a plus rien à voir avec l’enfance telle qu’elle est définie dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Dans certains cas, les personnes chargées de protéger les enfants sont celles qui commettent des crimes contre eux. Les enfants des rues ont été harcelés ou battus par la police et se retrouvent souvent aux prises avec la loi. Certains ont été arrêtés, transportés hors de la ville et abandonnés là. D’autres ont été assassinés par des justiciers autoproclamés sous prétexte de « nettoyer la ville », souvent avec la complicité ou au mépris des pouvoirs publics locaux. Pour de plus amples renseignements voir par exemple le site http://www.droitsenfant.com/rue.htm 28 Ces derniers ont les obligations alimentaires et ils doivent contribuer à la scolarisation de leurs enfants. A l’extrême cas, lorsque les enfants sont en difficulté avec la loi et placés dans une institution privée ou publique, les parents et tuteurs doivent collaborer à l’éducation et à la réinsertion. 5. Pour une Commission mixte du Gouvernement, les Organisations Non Gouvernementales actives et les partenaires de la Communauté Internationale (organisations internationales, institutions spécialisées des Nations Unies) Au regard de la situation post-conflit en RDC, le problème des enfants de rue ou dans de la rue et ceux ayant servi, ou servant encore, dans les groupes armés, le débat au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la protection des enfants dans les conflits armés, lors de la réunion du 28 novembre 2006, peut inspirer les actions en RDC. Un cadre de concertation efficace et assurant un suivi permanent des questions intéressant les enfants en général et en particulier, les enfants en situation difficile, s’avère nécessaire. Monsieur Ahowanou Agbessi, le Directeur du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme en RDC (HCDH) a déjà tenté de promouvoir la synergie entre les ONG œuvrant dans le domaine de l’enfant à Kinshasa. Un cadre permanent sous l’impulsion de HCDH et/ou de la Division de la Protection de l’Enfant de la MONUC, ainsi que de la Division des Droits de l’Homme de la MONUC, peut rassembler les institutions nationales et privées avec des personnes actives sur le terrain et des experts pour coordonner les plans d’action, les projets et les actions menées dans le domaine de la protection de l’enfant. La commission mixte peut concevoir des projets, évaluer23 les besoins, enquêter et auditer les institutions ayant bénéficié des fonds pour les enfants pour la transparence et l’efficacité des financements. La commission mixte peut encourager et coordonner les activités des cellules locales à créer, à l’intérieur du pays, par les institutions qui y sont implantées. Cette structure peut être plus efficace et représentative. 23 Le Professeur O. Dieudonné Kalindye défend la bonne gouvernance comme condition sine qua non pour la démocratie et le respect des droits de l’homme en RD Congo. Les institutions privées et publiques devront utiliser les financements reçus pour les objectifs précis et l’évaluation des plans d’action, les activités prévues ainsi que les réalisations nécessaires. n°12 - mars 2007 Conclusion Le vagabondage passe à ces jours pour une infraction et une cause institutionnelle de la violence contre les enfants au lieu d’être une mesure administrative de sûreté pour l’intérêt de l’enfant et de la société, selon la volonté du législateur. Pour plus de justice à l’égard des enfants, victimes de l’histoire trouble de la RDC, à ce ème début de la 3 République, il s’avère nécessaire de libérer tous les enfants et les jeunes de la rue et dans la rue arrêtés et détenus dans les prisons, pour le fait de vagabondage et mendicité. Le Parlement et le Gouvernement ont la charge noble de promouvoir les droits des enfants par des mesures de prévention de vagabondage, passant par l’encadrement efficace des enfants par l’Etat et la famille ; la réinsertion des enfants dans leur famille ou des groupes d’accueil revalorisés ; le suivi du processus de démobilisation et réintégration des enfants soldats et une bonne organisation de la justice pour mineurs et, en priorité, l’abrogation du Décret du 6 décembre 1950 sur l’enfance délinquante qui prévoit le vagabondage à son article 2. L’éradication du phénomène des enfants de la rue perçu comme une criminalité ou une conséquence de la maltraitance de l’enfant et l’histoire des guerres, des maladies et de l’extrême pauvreté, requiert la mise à disposition de moyens financiers, matériels et humains importants, ainsi que des stratégies efficaces pour la promotion et la protection des droits de l’Enfant dans son sens global.Avec l’espoir que les réflexions et les informations fournies dans ce travail susciteront des questions et des actions concrètes en faveur des enfants, la lutte contre le vagabondage mérite une appropriation par tous. Selon la Déclaration de Tampere, « La violence contre les enfants, en raison de leur vulnérabilité inhérente, exige promotion immédiate et efficace. La violence tue et rend invalide des millions d’enfants de par le monde, inhibe et mine tous les aspects du développement ». Au jour le jour, sans une gestion adéquate du phénomène des enfants de la rue ou dans la rue, la vie des shégués (concept dénigrant et à interdire) est en danger du fait de l’infraction sui generis de vagabondage et mendicité et, d’autre part, cette vie, en soi, demeure une « arme redoutable » en fabrication et une situation dangereuse pour la RDC, l’Afrique et toute la communauté internationale. N’est-il pas logique de croire comme Victor Hugo que « La grande criminalité commence par le vagabondage des enfants » ?