Aujourd`hui, l`immigration est pour des raisons économiques au
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Aujourd`hui, l`immigration est pour des raisons économiques au
Formations et emplois circulaires en Suisse pour les travailleurs extra-communautaires: redessiner les contours des migrations du travail de demain1 Raymond Saner, Lichia Yiu et Nicolas Velebit2 CSEND Policy Paper Nr. 2 ISSN 2296-472X Geneva, May 2011 http://www.csend.org/publications/csend-policy/papers 1 Policy paper présenté lors de la conférence de l’Institut des Sciences Administratives ( IISA), Lausanne, 2011 titré « Migration transcontinentale planifiée pour réduire le déséquilibre du marché de travail en Suisse et réduire la pauvreté dans les pays Africains et du Balkan/Proche Orient » 2 Document rédigé par Raymond Saner, Professeur Titulaire, Université de Bâle, enseignant Sciences Po, Paris, Directeur Diplomacy Dialogue, Genève ; Lichia Yiu, Ed.D, Université d’Indiana, Présidente, CSEND, Genève ; et Nicolas Velebit, MA, Relations Internationales HEI Genève, Assistant de recherche, 1 Résumé Le système qui régit l’entrée des travailleurs étrangers en Suisse répond de manière insuffisante voire inappropriée à la demande de main d’œuvre dans de nombreux secteurs. Avec le problème imminent du vieillissement de la population, des solutions efficaces doivent permettre à la Suisse de maintenir sa main d’œuvre à flot. Le recours à des travailleurs de pays tiers devient dès lors l’une des seules solutions efficaces pour éviter un lent démantèlement de l’économie suisse. Cet article révèle les dysfonctionnements de la politique économique d’immigration suisse et ébauche pour les politiques publiques un système de migration circulaire fiable pour les travailleurs semi-qualifiés qui, dans un esprit de bénéfice mutuel, contribuerait substantiellement à la bonne santé du marché du travail en Suisse, tout en offrant un appui crucial au développement du pays d’origine des travailleurs et à l’épanouissement des travailleurs euxmêmes. 2 Introduction L’ immigration est au centre des préoccupations des pays de l’Union européenne (UE) et de l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE). L’équation migratoire est d’autant plus difficile à résoudre que les tenants et les aboutissants de cette politique divergent par la nature même des enjeux que représente l’immigration. Sur un front, la « Forteresse Europe » s’efforce de mettre un frein à l’immigration clandestine et déploie des politiques restrictives en terme d’asile. A l’opposé, notamment en proie à une population vieillissante, les pays du Vieux Continent prennent conscience de l’urgence de nouvelles stratégies à adopter pour recruter une main d’œuvre qui profiterait à la croissance de leur économie3. En terme de régulation de la main d’ouvre étrangère, la Suisse a signé avec l’UE des accords bilatéraux dont fait partie l’accord sur la libre circulation des personnes qui avantage les travailleurs européens au détriment des travailleurs extra-européens. Par conséquent, la législation concernant les travailleurs extracommunautaires est plus sélective. Seuls les travailleurs hautement qualifiés ont accès au marché du travail en Suisse. Cette législation rend dès lors difficile l’embauche de travailleurs ayant une qualification dite « faible » à « moyenne » et de nombreux secteurs se voient privés d’une main d’œuvre essentielle à leur bon fonctionnement. L’absence de cette main d’œuvre devrait être encore plus significative lorsque la Suisse sera en proie au vieillissement de sa population et à une baisse conjointe de sa population active. Dans une perspective de moyen et de long terme, il est essentiel de réfléchir au problème de la réduction de la population active et de trouver des solutions aujourd’hui aux scénarios auxquels la Suisse va être irrémédiablement confrontée dans un avenir proche. Une meilleure anticipation à ces questions permettra à la Suisse de mieux aborder un tournant démographique qui pourrait avoir des répercussions sans précédent sur son économie. Cet article, dans un premier temps, rend compte de l’inadéquation des politiques suisses en terme d’immigration du travail aujourd’hui et de l’insuffisance des solutions envisagées dans la perspective d’un vieillissement de sa population. Après un deuxième chapitre consacré à l’historique des politiques d’immigration du travail en Suisse, la troisième et dernière partie de cet article s’évertuera à proposer et à développer un programme spécifique de migration circulaire. Ce dernier aura pour spécificité de s’adresser à des travailleurs semi-qualifiés provenant des pays extra-communautaires. Son objectif ultime sera de 3 Des sources comme celles d’Eurostat soulignent un faible taux de natalité en Europe accompagné d’une augmentation de l’espérance de vie; le chômage dans l’Union Européenne atteint un taux élevé de 9%. La croissance économique, quant à elle, stagne à 1,2%. 4 désenrayer la série d’effets négatifs qu’engendrerait le vieillissement de la population suisse et européenne tout en aidant le développement des pays tiers. 1. La main d’œuvre étrangère au secours de l’économie suisse En Suisse, la population résidente étrangère représente plus de 20% de la population totale. Tous les secteurs de l’économie pratiquement sans exception sont tributaires de cette main d’œuvre et les étrangers sont chaque année plus nombreux à alimenter cette population active. Ainsi, en 2007, sur une population active de 4,122 millions de personnes, le nombre d’actifs occupés étrangers est passé de 850’000 à 876'000 individus, soit une progression de 3,1% par rapport à l’année précédente ou une augmentation de 26’000 travailleurs4. Pendant longtemps, la Confédération helvétique recourait seulement à une main d’œuvre étrangère peu qualifiée pour réaliser des tâches que sa population rechignait à effectuer. Aujourd’hui, la dépendance à une main d’œuvre étrangère s’étend à tous les niveaux de qualification. 1.1. La législation suisse régissant le recours à une main d’œuvre étrangère L’ancienne et maintenant la nouvelle Loi sur les étrangers, en vigueur depuis début 2008, énoncent très clairement l’intérêt constant de la Confédération helvétique pour une immigration qui servirait ses intérêts économiques. La Suisse se place ainsi en tête des pays qui distribue majoritairement des droits d’entrée pour des raisons de travail5. Rosita Fibbi, chercheuse au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM), note même que « la nouvelle politique d’admission [sous-entendu la Nouvelle Loi] vise à augmenter les flux d’immigration directement liés au marché du travail et à limiter ceux relatifs au regroupement familial 6». Ainsi, la nouvelle Loi est encore plus tournée 4 L'enquête suisse sur la population active (ESPA) s’effectue annuellement auprès des ménages par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Son but est de fournir des informations sur la structure de la population active et sur les comportements en matière d'activité professionnelle. 5 Les trois pays membres de l’OCDE ayant la plus grande proportion de migrants permanents ayant reçus un droit d’entrée pour des raisons de travail sont le Royaume-Unis avec 45% suivi par la Suisse et le Danemark avec tous deux 42%. Les autres catégories de l’OCDE sont les droits d’entrée pour regroupement familial ou pour raisons humanitaires. Voir OECD (Organization for Economic Cooperation and Development). « International Migration Outlook ». Paris 2007. Et Kirkegaard, Jacob Funk. The accelerating decline in America’s High-skilled workforce : Implication for immigration policy. Washington DC : Peterson Institute for international Economics, 2007. 6 Fibbi, Rosita. “Politique d’asile et questions migratoires”. Annuaire suisse de politique de développement: Faits et statistiques. Genève: Institut de hautes études internationales et du développement, Vol. 27, No 1, 2008. 5 que la précédente vers l’immigration du travail, au détriment de l’immigration pour motif humanitaire ou de regroupement familial. En général, le séjour de tous les travailleurs étrangers en Suisse est réglementé par cette même Loi sur les étrangers. Cependant, l’accord sur la libre circulation des personnes que la Suisse a signé avec l’UE et qui est entré en vigueur en 20027, donne une priorité non négligeable aux travailleurs européens au détriment des travailleurs provenant d’autres continents. Ainsi, les travailleurs extra-européens ne peuvent travailler en Suisse que s’ils occupent des postes de cadres, de spécialistes ou de personnes hautement qualifiées et uniquement si les possibilités de recours à une main d’œuvre suisse ou européenne ont été épuisées par l’employeur. Rosita Fibbi exprime avec concision le rôle de la Loi sur les étrangers en affirmant qu’elle est « réservée aux seuls détenteurs de qualifications élevées, en opposition à la libre circulation pour les citoyens UE/AELE prévue dans les accords bilatéraux8». Depuis l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des personnes, une augmentation nette de personnes provenant des pays de l’UE a pu être ainsi observée en Suisse. Les autorités suisses se félicitent de la bonne application de l’accord et assurent à la population qu’aucun impact négatif significatif n’a pu être constaté depuis que l’accès au territoire a été facilité pour les travailleurs européens. Au contraire, elles affirment que le taux de chômage et le niveau des salaires sont restés à un niveau stable et que l'emploi chez les travailleurs issus de la population locale a, en général, progressé entre 2002 et 20079. Le discours officiel avec la nouvelle crise qu’affronte la planète est aujourd’hui moins optimiste, mais, alors que la crise menace de nombreux emplois, elle ne saurait occulter le manque systématique de spécialistes dans de nombreux secteurs depuis quelques années et une situation que la mauvaise conjoncture ne saurait changer sur le long terme. 7 En 1999, l’UE et la Suisse ont signé sept accords bilatéraux dans lesquels figure l’accord sur la libre circulation des personnes. En vigueur depuis 2002, cet accord et son protocole offrent des conditions de travail et de séjour privilégiées pour les ressortissant de l’UE, mais aussi des dispositions sur la reconnaissance des diplômes, l’acquisition facilitée de biens immobiliers et la coordination des cotisations de la sécurité sociale. La Suisse applique les mêmes dispositions à ses partenaires de l’AELE. 8 Fibbi, Rosita, Idem 9 A travers l' Observatoire de la libre circulation des personnes, le Secrétariat d’Etat à L’Economie (SECO), en collaboration avec l’Office fédéral des Migrations (ODM), l’Office Fédéral des Statistiques (OFS) et l’Office Fédéral des Assurances Sociale (OFAS), étudie et analyse les effets que l’accord sur la libre circulation des personnes a depuis son application en 2002 sur la migration et le marché suisse du travail. Voir Conséquences de la libre circulation des personnes sur le marché du travail suisse: Quatrième rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE pour la période du 1er juin 2002 au 31 décembre 2007. 25 avril 2008. 6 1.2. Le déséquilibre entre offre et demande de main d’œuvre en Suisse de nos jours La politique restrictive de la Confédération helvétique vis-à-vis des travailleurs vivant hors de la zone UE/AELE contraste avec le manque de main d’œuvre dans certains secteurs-clef de l’économie10. Dans un rapport récent de Manpower11, un sondage réalisé auprès de 753 employeurs suisses, révèle que 37% d’entre eux éprouvent des difficultés à recruter. Si ces chiffres sont inférieurs à ceux de 2006 qui s’élevaient à 48%, ces résultats n’en restent pas pour le moins inquiétants. Pour palier à ce problème, nombreux sont les secteurs qui font systématiquement appel à une main d’œuvre étrangère. Le domaine tertiaire recourt largement à cette main d’œuvre. Rien que dans le domaine de la santé, les étrangers représentent environ 40% de la communauté des médecins alors que les infirmiers et infirmières sont majoritairement d’origine étrangère. De nombreuses raisons expliquent cette grande proportion d’étrangers parmi le personnel soignant. Chez les médecins, il est question des moyens énormes qui doivent être alloués pour former plus de médecins en Suisse, mais aussi d’une augmentation du nombre de certains spécialistes au détriment d’autres praticiens et d’une baisse alarmante du nombre de généralistes. Pour les métiers d’infirmières ou d’aides soignantes, c’est souvent le manque de valorisation et les contraintes d’un métier difficile qui expliquent l’insuffisance de personnel. Par ailleurs, ces dernières professions sont essentiellement occupées par des femmes qui, pour des raisons familiales, ne peuvent ou ne veulent pas se consacrer à plein temps à leur métier. Dans le milieu académique, les universités suisses doivent aussi compter sur un savoir venant de l’étranger pour rester compétitives vis-à-vis des hautes écoles étrangères et permettre ainsi à la Suisse de se maintenir à un niveau élevé en matière d’enseignement, de savoir et de technologies. En 2006, le personnel des Hautes écoles universitaires suisses comptait 43.1% de professeurs d’origine étrangère et ce chiffre s’élevait à 46.6% pour les assistants et collaborateurs scientifiques12. Dans certains secteurs comme ceux de l'horlogerie, de la construction ou de l'industrie mécanique, la main d’œuvre étrangère ne suffit souvent plus à effacer le déséquilibre entre l’offre et demande de main d’œuvre13. Dans l’industrie horlogère, le phénomène s’explique en grande partie par le succès que connaît 10 Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), en 2007, le nombre d'actifs enregistre un nouveau record en Suisse. A la fin du mois de juin, le pays comptait quelque 4,122 millions de personnes disposant d'un emploi, soit une croissance de 1,7% par rapport à l'année précédente. Par ailleurs, la tranche d'âge allant de 15 à 64 ans, compte désormais un taux de 78,6% de personnes occupées en emploi, contre 77,9% un an plus tôt. 11 Manpower Employment Outlook Survey Global, A Manpower Research Report, 2007 12 Office fédéral de la statistique. Caractéristiques du personnel des Hautes écoles universitaires: Part des étrangers selon la catégorie de personnel, de 1995 à 2006. 13 Voir le portail PME du SECO, 2007 : www.seco.admin.ch/themen/00476/02006/index.html?lang=fr 7 la branche depuis quelques années et l’insuffisance d’horlogers qualifiés en Suisse pour faire face à la demande. Dans le domaine de la construction, le manque avéré de main d’œuvre provient en grande partie du désintérêt en terme de revenu et de prestige que constituent certaines professions. Dans ce cas, les métiers les plus touchés sont par exemple ceux de chauffagistes, de plombiers sanitaires, de ferblantiers ou d’ouvriers spécialisés dans la ventilation. Pour d’autres professions, c’est l’inexistence d’une filière de formation formelle qui explique en partie l’absence sur le marché de certains professionnels. Le métier de ferrailleur, par exemple, figure parmi les professions pour lesquelles une formation officielle fait défaut. Enfin, il existe un manque avéré de professionnels détenteurs d’un diplôme supérieur de capacité, le brevet fédéral, et trop peu de professionnels de la branche sont dès lors suffisamment qualifiées pour remplacer ceux qui sont actuellement à la tête des petites et moyennes entreprises suisses14. 1.3. Et demain? Le vieillissement de la population suisse Compte tenu des difficultés de recrutement dans certains secteurs, le problème ne pourra que croître avec les années au fur et à mesure où la Suisse aura à affronter les conséquences du vieillissement de sa population. En effet, la croissance de la population est amenée à être modeste dans les décennies à venir, alors que le nombre de personnes âgées va éclater pour provoquer en 2050 un doublement de la dépendance de ces dernières à la population active qui devrait, elle, déjà commencer progressivement à diminuer dès 201815. Population résidante permanente étrangère, en 2007 Selon la nationalité Asie, Océanie, Apatrides Amérique Afrique Autres pays européens Turquie Serbie et Monténégro Espagne Portugal Italie France Allemagne 6.1% 4.1% 3.2% 4.6% 4.1% 18.9% 11.7% 11.4% 4.9% 18.2% 12.7% 0.0% 4.0% 8.0% 12.0 16.0 20.0 % % % Source: PETRA 14 Ce paragraphe a pu être écrit grâce à la contribution des fédérations romandes des entrepreneurs. Les auteurs aimeraient remercier leurs cadres et membres qui ont si patiemment répondu à nos questions. 15 Office fédéral de la statistique. Croissance de la population et vieillissement démographique: perspectives pour l’avenir. Hypothèses et résultats des scénarios démographiques de la Suisse 2005-2050. Neuchâtel: Juillet 2006. 8 Les difficultés à recruter seront encore accentuées par le vieillissement de la population que connaîtront les pays européens qui pourvoit habituellement la Suisse en main d’œuvre. L’Italie qui est le principal fournisseur de travailleurs de la Suisse sera par exemple parallèlement le pays qui aura la population la plus âgée au monde16. Aussi, la main d’œuvre provenant de ces pays devrait inévitablement décliner et par conséquent, l’appel à une main d’œuvre provenant de pays n’étant pas touchés par le phénomène du vieillissement apparaît comme l’une des seules solutions fiables sur le moyen et le long terme pour venir compenser le déclin économique de la Suisse et des pays industrialisés17. 1.4. Les mesures entreprises par la Suisse Du fait de sa longue collaboration avec l’UE et de son manque d’ouverture vis-àvis des pays tiers18, la Suisse place tous ses espoirs dans l’aide que pourrait lui conférer la main d’œuvre des nouveaux membres de l’UE que sont la Tchéquie, l’Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie et enfin la Roumanie. Le peuple suisse en 2005 a approuvé l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes à tous ses pays en question à l’exception de la Roumanie et de la Bulgarie19. Les responsables de l’économie n’ont cessé dès lors de plaider l’ouverture vis-à-vis de ces pays. Avec une croissance bien supérieure à celle que connaît la Suisse, ces pays sont décrits par les économistes comme des marchés prometteurs en terme d’investissements et de recrutement de travailleurs qualifiés et non qualifiés. Pour les autorités suisses, à une époque où l’agriculture et le tourisme en Suisse manquent sévèrement de travailleurs peu qualifiés, la main d’œuvre provenant des pays de l’Est offrirait aussi une solution inespérée à ses secteurs20. 16 L’Italie est le pays qui, selon de nombreuses sources, sera le plus touché par le phénomène du vieillissement de la population. Les projections considèrent ainsi que l’Italie aura besoin, dès 2050, de 6.500 immigrants par million d’habitants en moyenne chaque année. L’Allemagne, l’Espagne et le Portugal, d’autres grands fournisseurs de mains d’œuvre pour la Suisse, ne seront en aucun cas épargnés. L’Allemagne, par exemple, dès 2050 devra trouver chaque année 6.000 immigrants par million d’habitants en moyenne pour palier au vieillissement de sa population. 17 Cette thèse est par exemple soutenue par la Division de la Population du Département des Affaires Economiques et sociales des Nations Unies dans Replacement Migration: Is It a Solution to Declining and Ageing Populations? United Nations 2001. 18 En Suisse, sur une population totale de 7,63 millions d’habitants, en 2007, 1,67 millions d’entre eux étaient d’origine étrangère dont le 85% est d’origine européenne. Ainsi, seuls 243'884 personnes vivant en Suisse provenaient d’un autre continent que l’Europe. 19 Le 8 février 2009, le peuple Suisse s’est prononcé en faveur de l’extension des accords bilatéraux à la Roumanie et à la Bulgarie. 20 Office fédéral des migrations (ODM), Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Bureau de l’intégration DFAE/DFE. Elargissement de l’UE: extension de l’accord sur la libre circulation et révision des mesures d’accompagnement, Juillet 2005 9 Population résidante en Suisse selon la nationalité par continent en 2006 Nationalité 2006 Total 7 628 096 Suisses 5 954 212 Etrangers 1 673 884 Europe 1 430 000 Afrique 65 431 Amérique 65 948 Amérique du Nord 22 671 Amérique latine 43 277 Asie 107 520 Océanie 3 524 Apatrides / Inconnue 1 461 Source: Office fédéral de la statistique (OFS) Cependant, un ensemble de paramètres permet de soutenir que sur le long terme cette main d’œuvre ne parviendra pas à combler le déficit de main d’œuvre liée au vieillissement de la population. La croissance importante dans ces pays laisse présager que leurs gouvernements mettront tout en œuvre pour éviter le dépeuplement de leurs territoires. Environ ¾ des employeurs des nouveaux membres expriment déjà aujourd’hui des difficultés à recruter de la main d’œuvre21. Cependant, alors que les travailleurs qualifiés quittent massivement ces pays pour aller s’installer dans les autres pays de L’UE, les pays recruteurs comme l’Espagne éprouvent déjà des difficultés à embaucher dans ces pays une main d’œuvre temporaire et peu qualifiée dont ils ont besoin pour leur l’agriculture22. Le phénomène du vieillissement de la population va toucher sans restriction tous les pays européens. Il y a donc fort à parier que l’immigration en provenance de pays européens devrait conséquemment diminuer dans les décennies à venir. La Suisse qui, aujourd’hui, dépend essentiellement des travailleurs des pays limitrophes (Italie, Allemagne, France) mais aussi d’autres pays européens comme le Portugal ou l’Espagne, ne pourra certainement pas durablement 21 Alexis Rosenzweig. Pénurie de main d'œuvre: un problème de taille pour l'économie tchèque. Radio Prague, Août 2007 22 L’Espagne comptait cette année sur environ 15500 personnes provenant de Roumanie pour effectuer la cueillette annuelle des fraises. Or, seuls 11000 travailleurs se sont déplacés. Voir : APA. “Manque de main d’œuvre pour la cueillette de la fraise en Espagne”. Bladi.net, 5 janvier 2008 10 remplacer ces travailleurs par des travailleurs venant des pays de l’Est. A l’avenir, ces travailleurs représenteront un enjeu encore plus grand pour l’économie de l’Europe en proie à une population vieillissante. La Suisse pourra dès lors difficilement bénéficier d’une part suffisante de main d’œuvre pour maintenir son marché du travail à flot. La réforme du système des retraites est une autre mesure que la Suisse veut appliquer pour contrer le vieillissement de la population. La question demeure épineuse23. L’irrémédiable augmentation des pensions de retraites amène en effet les autorités à chercher des moyens alternatifs pour les financer. Dans ce contexte, de plus en plus de responsables politiques influents se sont montrés favorables à un prolongement de l’âge de la retraite. De son côté, non contente de devoir se soumettre à la décision des politiques pour le droit inaliénable de la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 pour les hommes, la majorité de la population suisse s’y est opposée ardemment. En 2003, en manifestant son intérêt pour une retraite à 67 ans pour les hommes, Pascal Couchepin, le ministre de l’intérieur suisse de l’époque, avait suscité le mécontentement de la population qui avait rejeté massivement le vote concernant les retraites de la 11ème révision de l’Assurance Vieillesse et Survivants (AVS). Cette question des retraites est d’autant plus délicate que les Suisses sont de plus en plus nombreux à se retirer de la vie active prématurément. Pour expliquer le phénomène, les raisons principalement évoquées sont la santé, les licenciements et les départs en retraite anticipée 24. Les entreprises suisses, quant à elles, ne sont pas disposées à employer de la main d’œuvre au-delà de la limite de l’âge de la retraite car elles privilégient la motivation des jeunes au détriment de l’ancienneté des employés. Ces entreprises et leurs dirigeants sont soutenues dans leur démarche par des responsables politiques proches des milieux économiques qui considèrent que les entreprises doivent décider seules de l’ajustement de leurs politiques internes par rapport au vieillissement de la population25. Par ailleurs, elles craignent de devoir contribuer au financement des mesures qui inciteraient les travailleurs âgés à travailler au-delà de l’âge de la retraite. Avec les nombreux opposants au prolongement de l’âge de la retraite, les autorités cherchent non sans mal à convaincre les travailleurs eux-même du bien-fondé d’une telle politique. Actuellement, une incitation financière 23 Après le refus populaire de 2004, le Parlement a continué à travailler à une révision de l'AVS, mais aujourd’hui aucun compromis n’a encore été trouvé. 24 Thom, Norbert, Mose, Regine Egger, Marcel. Employabilité et intégration des travailleurs âgés en Suisse: état des lieux et conclusions. La Vie économique Revue de politique économique, Février-2008 25 Höpflinger, François, Beck, Alex, Grob, Maja, Lüthi, Andrea. Travail et carrière: Perspectives après 50 ans, Enquête réalisée auprès des responsables du personnel de 804 entreprises suisses, Avenir suisse, Février 2006 11 accompagnée d’une rente supplémentaire pour ceux qui travailleraient au-delà de l’âge de la retraite serait la seule mesure susceptible de rallier une majorité de travailleurs26. Les négociations s’annoncent d’ores et déjà longues et difficiles. 2. Les migrations temporaires en Suisse : une situation précaire Au début du XXe siècle, la Suisse, alors en plein essor économique, attire de plus en plus d’étrangers, leur proportion excédant les 15% à la veille de la première Guerre Mondiale. Durant la période de l’entre deux guerres, la crise économique mondiale décide les autorités à adopter une première loi sur l’immigration, la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers. Cette Loi, l’une des premières du genre, établit un système de séjours temporaires pour les étrangers et dépendant des besoins du marché. C’est ainsi que les différents types de permis de séjour dont certains sont encore en usage aujourd’hui sont introduits. Pendant plus d’un demi-siècle, le permis A sera le permis saisonnier qui caractérise le mieux la migration circulaire voulue par les autorités. Aujourd’hui, il n’existe plus. Ce permis avait comme spécificités d’être renouvelable et d’être délivré pour une période de 9 mois au maximum ce qui obligeait le travailleur à quitter la Suisse et à rentrer chez lui pendant quelques mois. Cependant, après dix ans de travail saisonnier ininterrompus en Suisse, le travailleur émigré pouvait se faire octroyer un permis annuel. A partir de 1995, seuls les citoyens européens pouvaient demander un tel permis. Dans les années qui suivent l’adoption de la Loi de 1931, la population étrangère en Suisse diminue considérablement. Après la Seconde Guerre Mondiale, alors que l’industrie est restée intacte, l’économie connaît une période de croissance sans précédent qui s’accompagne d’une augmentation de la demande de travail et d’un assouplissement de la législation vis-à-vis de la main d’œuvre étrangère. Les étrangers arrivent en masse du Sud de l’Europe et en particulier d’Italie. Au Nord et à l’Ouest de l’Europe, d’autres pays comme l’Allemagne, la France, la Belgique ou les Pays-Bas connaissent une croissance économique d’aprèsguerre qui requiert une main d’œuvre toujours plus nombreuse. Le gouvernement italien s’applique dès lors à tirer profit de la situation. En 1960, 26 Voir le Rapport de synthèse du Groupe directeur mixte DFE/DF. Participation des travailleuses et travailleurs ages, Propositions de mesures: domaines des assurances sociales, de la santé au travail, des aptitudes sur le marché du travail. Novembre 2005. Un groupe directeur a été engagé fin 2004 par le Département fédéral de l'intérieur (DFI) et le Département fédéral de l'économie (DFE) afin de servir de base de réflexion au Conseil fédéral, afin que ce dernier décide des mesures à prendre pour mettre fin aux discriminations envers les travailleurs âgés sur le marché du travail et de promouvoir leur activité lucrative. Malgré la rédaction d’un rapport en 2005 par le groupe directeur, le Conseil fédéral n’a depuis pas engagé d’action majeure pour améliorer le sort des travailleurs âgés. La reprise économique était sans doute la raison principale du désintéressement des autorités à propos de cette question. Peut-être que la crise actuelle va redynamiser les efforts des autorités en la matière. 12 60% des étrangers sur territoire suisse sont d’origine italienne. Subséquemment, l’Italie, dès 1948, est le premier pays à signer des accords avec la Suisse pour faciliter le travail et la circulation de ses ressortissants. L’Espagne signera un accord similaire beaucoup plus tard et en 196127. Les autorités helvétiques adoptent toutes sortes de mesures ayant pour fonction de dissuader les travailleurs étrangers de venir s’installer en Suisse durablement. Ainsi, les quotas ou la politique des 3 cercles qui privilégie les ressortissants européens au détriment des ressortissants des autres pays industrialisés et des pays du Sud tenteront de mettre un frein à l’immigration 28. La Loi sur l’immigration de 1931 ne sera remplacée qu’en 2008 pour faire suite à 27 Gross, Dominique M. « Immigration Policy and Foreign Population in Switzerland. » World Bank Policy Research Working Paper 3853. Simon Fraser University: February 2006. 28 En 1991, les autorités suisses décident d’appliquer une politique dite « des trois cercles » qui sera par la suite remplacée par un mode de recrutement duel. Le premier cercle représente les ressortissants européens (UE/AELE) qui ont la possibilité de modifier au bout de quelques années leur statut de saisonnier en permis de séjour. Le deuxième cercle est formé des pays extérieurs à l’UE (ex. Etats-Unis, pays de l’Est) mais considérés comme culturellement et économiquement proches de la Confédération. Ces ressortissants ont leurs permis saisonniers et annuels soumis à quotas. Le troisième cercle qui inclut tous les autres pays est soumis à restriction. Les permis de séjours ne sont, dans ce cas-là, délivrés qu’à titre exceptionnel. En 1998, tous les étrangers extérieurs à l’UE/AELE sont inscrits dans le même cercle et le modèle devient duel avec une préférence donnée aux ressortissants de l’Union européenne. 13 l’accord signé avec l’UE sur la libre circulation des personnes. Dès lors, le permis saisonnier est supprimé et à la politique des trois cercles succède une politique migratoire qui privilégie les travailleurs européens et les travailleurs qualifiés au détriment des pays tiers. 2.1. Les permis de séjour à durée déterminée en Suisse aujourd’hui La régulation des étrangers par les autorités suisses peut être illustrée par le nombre impressionnant de types de permis délivrés aux personnes étrangères séjournant en Suisse. Voici brièvement exposés les principaux permis. Dès 2002, le permis A, dit « saisonnier », a été remplacé par le Permis L (autorisation de courte durée) qui s’adresse à des travailleurs de l’UE ou aux ressortissants des Etats tiers qui séjournent en Suisse pour une durée de moins d’un an. Les ressortissants des états tiers sont soumis à des quotas et peuvent prolonger leur séjour et rester pour une durée totale de deux ans mais à condition qu’ils gardent le même employeur. Ces permis concernent surtout les domaines de la construction, du tourisme et l’agriculture. Des permis de ce type sont aussi octroyés à des personnes voulant suivre une formation ou des études en Suisse29. Le permis B (autorisation de séjour) s’adresse a toute personne qui séjourne en Suisse dans un but précis. Pour les ressortissants de L’UE, l’autorisation de séjour leur offre un séjour d’une durée de 5 ans au maximum, alors que pour les ressortissants d’états tiers, sa validité est de 1 année. Pour ces derniers, les autorisations de séjour sont soumises à des quotas qui dépendent en grande partie du marché du travail et de la bonne santé de l’économie. Une prolongation est accordée au travailleur étranger s’il remplit certaines conditions30. Le permis C (autorisation d’établissement) est octroyé à des ressortissants de l’Union européenne après un séjour ininterrompu de 5 années. Cependant, cette clause des 5 ans ne s’applique pas aux nouveaux membres de L’UE et l’autorisation d’établissement comme pour les ressortissants extérieurs à L’UE ne leur sera en principe délivrée qu’après un séjour ininterrompu de 10 ans. Les personnes bénéficiant du Permis C ne sont pas tributaires de l’OLE. Le permis d’établissement ou permis C est en principe délivré à la famille d’un travailleur lorsque ce dernier est resté en Suisse durant la période prescrite pour l’obtention d’un tel permis31. 29 Office Fédéral des Migrations: http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home.html Ibidem 31 Ibidem 30 14 2.2. L’immigration illégale en Suisse et ses coûts Le nombre de travailleurs illégaux était estimé à 90'000 individus en Suisse en 200432. Ils seraient plus de 100'000 aujourd’hui. Avec le durcissement de la Loi sur les étrangers, les requérants savent que leur chance d’être admis en Suisse pour un séjour prolongé est faible et qu’ils auront de grandes difficultés à trouver un travail sur le marché légal de l’emploi. Il ne leur reste souvent plus qu’à travailler dans l’économie souterraine. Ces personnes ne bénéficient pas socialement et financièrement des même avantages que les autres membres de la population. Par ailleurs, elles ne contribuent pas de la même manière au renflouement de l’Etat providence. Le travail au noir n’est pas aussi répandu en Suisse que dans d’autres pays européens, cependant, le phénomène n’en constitue pas moins un véritable manque à gagner pour l’économie suisse en général. Ainsi, le solde du secteur de l’économie souterraine en 2004 s’élevait à 37 milliards de CHF, soit l’équivalent de 9% du PNB. Pour chaque milliard déclaré, 100 millions de CHF auraient pu servir aux assurances sociales (AVS/AI/APG) et 20 millions de CHF à l’assurances chômage33. Une main d’œuvre non qualifiée est indispensable pour certains travaux 34. Or, les travailleurs illégaux sont souvent les seuls à accepter de tels emplois. Les secteurs de l’économie peu rentables comme l’agriculture où une délocalisation n’est pas envisageable ou d’autres secteurs comme celui de l’hôtellerie ou le besoin de main d’œuvre est fluctuant sont aujourd’hui dépendants des travailleurs illégaux35. Il est impossible d’ignorer le rôle que jouent ces travailleurs aujourd’hui. Ainsi, de nombreuses voix expriment l’urgence d’une normalisation de leur situation. 3. Repenser les migrations du travail en Suisse De nombreuses solutions ont été formulées pour tenter de résoudre les problèmes économiques auxquels les sociétés occidentales seront et sont déjà invariablement confrontées. Parmi les plus radicales, le mouvement de la décroissance souligne l’épuisement du modèle économique actuel basé sur la croissance et le consumérisme. 32 Office fédéral des migrations. “Rapport sur la migration illégale”. Juin 2004. Office fédéral des migrations, Idem 34 Piguet, Etienne; Losa, Stefano. Travailleurs de l’ombre? Demande de main-d’oeuvre du domaine de l’asile et ampleur de l’emploi d’étrangers non déclarés en Suisse. Zurich : Seismo,2002. 35 Ibidem 33 15 Ce mouvement de plus en plus influent considère que le monde capitaliste doit effectuer un revirement complet en acceptant qu’un recul économique soit le seul moyen efficace qui assurera sa survie36. Cette réflexion ne doit pourtant pas occulter le fait que la croissance reste une garante essentielle de la réduction de la pauvreté dans le monde et du développement des pays du Sud. Ainsi, une solution viable doit être envisagée pour garantir le développement durable et mutuel des pays du Nord et du Sud. Une coopération économique adéquate entre les pays du Nord et du Sud peut représenter une alternative efficace au modèle libéral existant, tout comme elle doit pouvoir aussi se substituer efficacement à une refonte totale et donc très coûteuse du système. Le vieillissement de la population, le manque de main d’œuvre qui en résulte et la fragilisation des pays industrialisés doit pousser ces derniers à réviser le rapport qu’ils entretiennent avec les pays du Sud. Dans ce genre nouveau de coopération, en matière d’immigration, les pays du Sud auraient un grand pouvoir de négociation à l’égard de leurs partenaires du Nord du fait du rôle fondamental qu’ils auraient à jouer dans le sauvetage des sociétés occidentales. Les pays industrialisés ne semblent pas comprendre l’enjeu d’une telle collaboration et peinent à accepter que leur salut puisse en dépendre. Le verrouillage des frontières des pays du Nord et le manque de mesures efficaces entreprises pour empêcher les traversées, parfois dramatiques, des clandestins sont là pour rappeler le sens et les priorités de la politique d’immigration européenne aujourd’hui37. 36 Voici un bref tour d’horizon d’une littérature qui prône une refonte radicale du système: Richard Heinberg insiste dans son livre Powerdown : Options and Actions for a Post-Carbon World sur l’importance de devoir réduire la consommation des pays développés, mais aussi sur le développement de sources d’énergie alternative. Il considère à terme que la croissance démographique actuelle ne sera plus soutenable et que des mesures radicales devront être entreprises pour réduire la population. Le Professeur Nicholas Georgescu-Roegen, l’un des précurseurs de l’école de la décroissance, s’est intéressé dans les années 70 aux méfaits causés par l’économie sur l’environnement. En démontrant que les ressources de la terre n’étaient pas inépuisables. Dans son livre La décroissance. Entropie - Écologie – Économie, (Paris: Éditions Sang de la terre, 1995) il a souligné que le modèle économique contemporain basé sur la croissance mettrait fin tôt ou tard à ses ressources et que ce modèle n’était ainsi pas durable. Un autre théoricien de la décroissance, le Professeur Serge Latouche, plus récemment, a exposé, notamment dans Vers la décroissance, Écofascisme ou écodémocratie.(Le Monde Diplomatique, Novembre 2005) les mesures essentielles à entreprendre, selon lui, pour débuter avec succès le long processus de la décroissance, à savoir « internaliser les coûts de transports, relocaliser les activités; restaurer l’agriculture paysanne ou stimuler la production de biens relationnels ou encore décréter un moratoire sur l’innovation technologique, faire un bilan sérieux, et réorienter la recherche scientifique et technique en fonction des aspirations nouvelles ». 37 A titre indicatif, selon la revue de presse du Fortress Europe (http://fortresseurope.blogspot.com) , un blog dédié à la mémoire des victimes de l’immigration clandestine en Europe, entre 1988 et aujourd’hui, 13’413 personnes sont décédées en tentant leur passage en Europe. Rien qu’en 2008, selon le blog, elles étaient au moins 1502 victimes. 16 Les travailleurs du Nord faisant défaut dans certains secteurs, seuls quelques gouvernements se tournent vers les pays du Sud et cherchent à mieux gérer les flux migratoires en conciliant leurs besoins en main d’œuvre avec une aide économique aux pays d’où partent les clandestins. 3.1. Les nouveaux programmes temporaires de travail En Suisse, des mesures tels que la réforme des retraites ou l’ouverture des frontières aux nouveaux pays membres de l’UE manquent de souffle et ne pourront résoudre que partiellement les problèmes de main d’œuvre et de vieillissement de la population. Depuis quelques années, les politiques et les chercheurs du monde entier expérimentent des programmes de travail temporaires qui pourraient constituer une solution complémentaire et efficace aux mesures que les politiques suisses veulent engager. Ces programmes offrent une grande flexibilité au l’utilisation spécifique de travailleurs dans les secteurs à manquer tout en réduisant la charge que constitue généralement pas accompagné, du moins dans un membres de sa famille. pays receveur quant à où la main d’œuvre vient le travailleur qui ne sera premier temps, par les Du point de vue du pays d’origine de ces travailleurs, ces programmes peuvent être une source de développement. Ceci peut notamment s’expliquer par le fait que le migrant temporaire se sentira d’avantage concerné par le développement d’un pays où il finira par retourner. Ainsi, de nombreux exemples tendent à démontrer que ses migrants réservent une part beaucoup plus élevée de leur salaire pour leurs proches restés au pays et pour des investissements individuel en vue de leur propre retour38. Si, depuis longtemps, plusieurs pays ont développé ces programmes, peu d’entre eux, cependant, y sont parvenus avec succès. C’est pourquoi il est indispensable que les programmes futurs tiennent compte des leçons apprises et de tous les inconvénients décelés lors de l’application des programmes antérieurs. Parmi les problèmes rencontrés, il a été constaté qu’il était très compliqué de satisfaire tous les acteurs impliqués dans le processus (pays d’accueil, pays d’origine, migrant, employeur)39. Par exemple, le manque de reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger est une des équations les plus difficiles à 38 . Martin, Philip L. Decent Work Research Programme Migration and development: Toward sustainable solutions. ILO paper, 2004 39 .Ruhs, Martin, “Temporary foreign worker programmes: Policies, adverse consequences, and the need to make them work”. Perspectives on Labour Migration 6. Geneva: ILO publication, 2002 17 résoudre. Les travailleurs migrants sont souvent trop qualifiés pour le travail qu’ils occupent et leurs employeurs leurs offrent que rarement des postes à responsabilité considérant que ces derniers ne sont jamais sur place que pour une durée déterminée. Pour palier au problème, il faudrait se pencher sur la durée du séjour du travailleur tout comme il serait indispensable de trouver un système d’équivalence fiable pour les diplômes des travailleurs de tous les pays tiers. Une autre alternative, qui n’est pas incompatible à la première, serait d’offrir aux étrangers un supplément de formation en accord avec celle reçue par les travailleurs locaux. Ainsi, les étrangers auraient plus de facilité à trouver des emplois qui correspondent à leurs compétences. Les employeurs, quant à eux, auraient plus de facilité à trouver des travailleurs correspondant à leurs attentes en termes de compétences et de qualification. Le non-retour du migrant dans son pays d’origine figure aussi parmi les raisons évoquées pour expliquer les revers essuyés par les programmes temporaires. Pour empêcher les travailleurs de s’installer définitivement dans leur pays d’accueil, deux mesures essentielles doivent être prises. La première est d’assurer les transferts des retraites des travailleurs étrangers dans leurs pays d’origine. La seconde consiste à faciliter les transferts de fond dans le pays d’origine des migrants40. Le monde s’est rendu compte seulement récemment de l’importance des transferts de fond dans le développement des pays du Sud. Les recherches se penchent aujourd’hui de plus en plus sur les possibilités de maximiser les investissements des migrants. Il est essentiel donc aujourd’hui de tenir compte de cet aspect crucial dans l’élaboration d’un programme temporaire qui impliquerait des pays du Sud. 3.1.1. Le programme Green Card en Allemagne pour une main d’œuvre qualifiée Le programme « Green Card » en Allemagne avait pour objectif en 2000 de répondre au besoin impérieux de main d’œuvre dans les technologies de l’information, alors en plein essor. Son but était d’attirer des travailleurs hautement qualifiés de pays du Sud qui possédaient une grande réserve de main d’œuvre de ce type. L’inde était le premier pays visé par ce programme. Malgré l’intérêt que représentait un tel programme pour un travailleur du Sud, il n’attira pas le nombre de travailleurs escomptés car la durée du séjour en Allemagne ne pouvait dépasser 5 ans. Les travailleurs préférèrent émigrer dans les pays anglo-saxons qui sont beaucoup plus souples en terme de durée de séjour des travailleurs hautement qualifiés. Un ralentissement dans le secteur 40 Ruhs, Martin, “The potential of temporary migration programmes in future international migration policy”. International Labour Review, Vol. 145, No. 1-2, 2006. 18 des technologies de l’information acheva de mettre fin au programme dans les années qui suivirent son lancement41. 3.1.2. Le partenariat Espagne-Sénégal pour une main d’œuvre peu qualifiée Le Sénégal est amené à être l’un des premiers pays en voie de développement à bénéficier d’une série d’accords facilitant la mobilité de ses travailleurs peu qualifiés. Cette décision fait suite à une série d’accords signés entre le Sénégal et l’Espagne concernant le séjour temporaire de travailleurs sénégalais en Espagne. Ces initiatives tendent à mettre un frein au problème du travail illégal dans ce pays. Ainsi, 2700 travailleurs sénégalais se sont vus octroyés en 2008 un permis temporaire de travail en Espagne42. Les secteurs manquant de mains d’œuvre comme ceux de la pêche ou de l’agriculture seront les premiers à bénéficier de cette main d’œuvre. Parmi les 2700 travailleurs admis sur territoire espagnol, 2000 travailleurs devraient recevoir une formation préalable dans leur pays grâce à un financement des autorités espagnoles. Depuis longtemps, l’agriculture en Espagne, fait appel à cette main d’œuvre temporaire venu de l’étranger et devenue indispensable pour certaines activités comme celle de la cueillette des tomates ou des fraises. En légiférant sur le séjour temporaire de ces travailleurs étrangers, l’Espagne entend non seulement mettre fin à la pénurie de main d’œuvre à laquelle elle est confrontée mais aussi améliorer le sort de ces travailleurs qui vivent souvent dans des situations déplorables lors de leur séjour sur place. Aussi, le Gouvernement espagnol, avec le soutien du patronat, s’apprêtait en 2008 à lancer un programme ayant pour vocation de créer cinq écoles de formations professionnelles (escuelas talleres) et 18 compagnies de pêches regroupant des ressortissants espagnols et sénégalais qui concentreraient leurs activités au large des côtes sénégalaises. Parallèlement, l’Espagne prévoit de faire de gros investissements au Sénégal dans le domaine touristique. Il est un peu tôt pour mesurer le succès du programme, mais la simple idée d’avoir établi un cadre pour les travailleurs temporaires du Sénégal semble être un grand pas. 41 Burkert, Carola, Niebuhr, Annekatrin, Wapler, Rüdiger. “ Regional Disparities in Employment of HighSkilled Foreigners –Determinants and Options for Migration Policy in Germany”. Hamburg Institute of International Economics (HWWI), 2007. 42 Ministère de la jeunesse et de l’emploi du Sénégal (www.jeunesse.gouv.sn/actualites2.php?id=11) 19 3.2. Le projet de formation de CSEND pour une main d’œuvre moyennement qualifiée Suite à notre analyse, voici le constat qui peut être dressé: 1. Une tendance vers un vieillissement de la population en Europe est à prévoir au cours des prochaines décennies. 2. La demande de services et les prestations sociales resteront élevés et devront être pourvues par une main-d'œuvre semi-qualifiée. Les possibilités de rationaliser le travail par des moyens autres que les ressources humaines demeurent limitées dans de nombreux domaines (ex. les services de santé) 3. La tendance à la baisse aujourd’hui de main d’œuvre demandant une qualification faible à moyenne requerra une importation de main d’œuvre de pays extra-européens demain quand toute l’Europe aura à subir les méfaits du vieillissement de sa population. La Suisse s’expose à deux dangers en prenant le parti de ne pas se parer à un manque de main d’œuvre future: - Le premier risque serait de laisser se creuser l’écart entre l’offre et la demande de travail, ce qui aurait pour conséquences d’augmenter les coûts économiques et sociaux relatifs à un tel déséquilibre. - Le deuxième risque serait de voir se perpétuer un discours xénophobe chez certains politiciens et médias qui stigmatisent les immigrés sans prendre de mesures rationnelles et efficaces pour résoudre des questions épineuses comme celle du travail illégal et du manque de travailleurs semi-qualifiés. Le problème de déséquilibre d’offre et de demande d’ouvriers dits spécialisés ne semble pas avoir suscité de grandes réflexions à l’échelle nationale en Suisse. Or, il est, dans le contexte actuel, indispensable de réfléchir à un système de formation transnational efficace qui éviterait au système tout entier de couler demain. Le système suisse de formation professionnelle pourrait être utilisé pour offrir à des travailleurs étrangers une formation et un diplôme reconnu dans une école professionnelle en Suisse avec par la suite un accès au marché de l’emploi en Suisse. La Suisse et d’autres pays européens (Autriche, Allemagne) ont développé un système de formation professionnelle, l’apprentissage43, qui offre des cours en 43 Selon le Dictionnaire suisse de politique sociale (social info) l’apprentissage est une la formation duale faite simultanément en entreprise et dans une école professionnelle (1 à 2 jours par semaine) ou la formation faite à plein temps dans une école de métier, d'arts appliqués ou de commerce (ces dernières sont essentiellement situées en Suisse latine). L'apprentissage dure entre deux et quatre ans. La maturité professionnelle, qui ouvre la voie vers les Hautes écoles spécialisées (HES), existe depuis 1993. 20 classe dans des écoles professionnelles doublés d’une formation en emploi dans une entreprise. Les écoles professionnelles offrent plus de 200 formations différentes et près de deux tiers des jeunes en Suisse choisissent de faire leur formation dans un établissement de ce type44. Ainsi, les nombreuses écoles sont situées autant dans les zones urbaines que dans des agglomérations de taille moyenne. Dans le canton du Valais, par exemple, de nombreuses villes (Sion, Martigny, Monthey, Sierre etc.) possèdent leur école professionnelle alors que peu de ces villes ont des établissements qui délivrent un diplôme de maturité non professionnelle. En 2008, 80’000 jeunes étaient à la recherche d’une place d’apprentissage alors que 79’500 étaient offertes par les entreprises. En 2007, ils étaient 79'000 à postuler alors que seuls 74’000 offres étaient faites en entreprise. Aussi, cette offre tend encore à augmenter puisque les entreprises promettent d’offrir 5000 places d’apprentissage supplémentaires dans les années à venir. L’uniformisation des titres et diplômes de fin d’apprentissage est depuis longtemps un gage de la qualité des apprentissages en Suisse. Les jeunes ayant réussi leur examen final d’apprentissage reçoivent un CFC reconnu sur tout le territoire helvétique. Depuis 1993, la maturité professionnelle offre la possibilité de concilier formation technique et culture générale et permet ainsi aux jeunes diplômés d’accéder à des études supérieures par le biais des hautes écoles spécialisées. Dans l’optique d’une formation transnationale voire transcontinentale, ces mêmes principes d’apprentissage pourraient être ’appliqués dans les pays d'origine des migrants de la manière suivante: - Les écoles professionnelles en Suisse devraient être jumelées avec des écoles professionnelles dans les pays d'origine des migrants. Ces partenariats se composeraient d’une collaboration au niveau de l’enseignement (co-enseignement et formation des formateurs dans le pays d'origine), du partage du matériel pédagogique et didactique et enfin d’un partage de savoir-faire en matière de gestion et d’administration de l’établissement. - Des entreprises suisses participeraient aux programmes d'apprentissage en offrant une formation en emploi aux futurs migrants dans leurs filiales à l’étranger. Dans ce cas, le partenariat serait de type privé-public avec les écoles professionnelles représentant le secteur public alors que le secteur privé serait incarné par les entreprises. 44 Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT). “La formation professionnelle en Suisse en 2005”. Faits et données chiffrées. 21 3.2.1. Choix des pays CSEND a réfléchi à un ensemble de critères qui pourrait faciliter le choix des pays qui pourraient bénéficier de ce programme. Ainsi, il convient de prévoir les éléments qui aideront le migrant à s’intégrer. Dans ce cas, des éléments tels que la langue ou l’importance de la communauté du migrant sont déterminants. Un deuxième paramètre a trait au montant de l’aide publique au développement que les pays d’une région reçoivent de la part des principales agences fédérales impliquées, à savoir le Secrétariat d'Etat à l'Economie (SECO) et la Direction du Développement et de la Coopération (DDC). En effet, le soutien logistique et l’expertise de ces agences dans les pays ciblés seront les bienvenus durant la phase de planification du projet. A partir de ces observations et pour illustrer ces critères, CSEND a ébauché deux exemples de partenariats possibles. Le premier concerne la région de l’Afrique de l’Ouest et le deuxième la région des Balkans et de la Turquie 45. En 2006, la Suisse comptabilisait 11’905 personnes provenant d’Afrique de l’Ouest, ce qui est relativement faible en comparaison des 42’2266 ressortissants qui proviennent des Balkans, Turquie comprise. Cependant, l’Afrique de l’Ouest abrite de nombreux pays francophones. Le facteur de la langue sera dans ce cas primordial puisqu’il facilitera l’intégration professionnelle du travailleur, mais aussi la coordination entre les différentes filières impliquées dans le projet (écoles professionnelles, gouvernements, multinationales). Aussi, le schéma ci-dessous met en évidence les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Togo, Cameroun, Sénégal). Cas hypothétique de l’Afrique de l’Ouest Légende: Jumelage d’écoles professionnelles de différentes régions de Suisse avec les écoles professionnelles des pays francophones d’Afrique de l’Ouest avec capitales marquées d’une étoile 45 Ces brèves études de cas doivent seulement aider le lecteur à mieux comprendre le genre de projet que CSEND se propose de faire dans une région. Dans les deux cas, une étude plus approfondie devrait être faite pour confirmer le choix que CSEND a fait pour ces deux régions. 22 Dans la région, la coopération suisse offre depuis longtemps une aide substantielle à des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, le Mali ou le Niger46. Enfin, cette région démontre un intérêt certain pour CSEND et son programme du fait des grandes vagues de clandestins en provenance de ces pays qui foulent le Continent européen. Pour lutter contre ce phénomène, il est indispensable de lutter contre les disparités entre le Nord et le Sud. Le projet CSEND a justement l’avantage de proposer une solution globale qui lutterait contre la pauvreté endémique à de nombreux pays d’Afrique. Les Balkans occupent une place toute particulière dans l’histoire récente de l’immigration en Suisse. En effet, la Suisse est le pays qui, après l’Allemagne, a accueilli le plus grand nombre de ressortissants de l’ex-Yougoslavie durant les différentes guerres qui ont frappé la région entre 1991 à 199947. Cas hypothétique des Balkans et de la Turquie Légende: Jumelage d’écoles professionnelles de différentes régions de Suisse avec les écoles professionnelles des pays des Balkans (+Turquie) ne faisant pas partie de l’UE ou n’ayant pas de procédure d’adhésion en cours avec l’UE avec capitales marquées d’une étoile Les ressortissants balkaniques et en particulier les Serbes, les Bosniaques, les Macédoniens et les Kosovars sont fortement représentés en Suisse48. La Turquie, a aussi vu durant ces dernières décennies bon nombre de ses ressortissants venir s’installer en Suisse49 46 Voir les fiches relatant l’engagement du SECO et de la DDC dans les pays Afrique de l’Ouest sur http://www.sdc.admin.ch/fr/Accueil/Pays/Afrique_occidentale 47 OECD (Organization for Economic Cooperation and Development). « International Migration Outlook ». Paris 2000. Selon ce rapport, l’Allemagne, en 2000, abritait 1.119 millions de ressortissants d’ExYougoslavie alors que la Suisse , elle, en accueillait 321’000. En proportion de sa population étrangère totale, la Suisse dépasse cependant l’Allemagne avec une population d’Ex-Yougoslavie, à l’époque, qui compte pour 23.1% de la population étrangère totale contre 15.3% en Allemagne. 48 En 2006, selon l’Office Fédéral des Statistiques (OFS), 201’232 ressortissants provenaient de SerbieMonténégro qui incluait alors le Kosovo, 60’716 de Macédoine et 44120 de Bosnie-Herzégovine. 49 Toujours selon l’OFS, en 2006, 76’797 résidants d’origine turque vivaient en Suisse 23 Du fait des grandes diasporas installées en Suisse, les autorités suisses ont tissé de nombreux liens avec les pays de ces communautés. Aussi, la Serbie, le Monténégro, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine mais aussi la Macédoine, ou l’Albanie sont aujourd’hui des pays qui reçoivent les faveurs de l’aide publique au développement de la Suisse. Dans le cas présent, l’intégration sera facilitée par des facteurs autres que la langue tels que l’importance des communautés vivant en Suisse, les liens de coopération qui unissent ces pays à la Suisse ou la proximité de ces derniers avec la Suisse. Dans les deux cas que CSEND a élaboré et comme les deux cartes le laissent suggérer, plusieurs écoles professionnelles dans une région donnée de Suisse pourraient tisser des liens avec plusieurs écoles d’un pays de la région concernée. Les écoles suisses d’une même région pourraient dès lors collaborer et se coordonner pour offrir leur soutien et leur expertise à des écoles d’un même pays et dans une même région. Un système décentralisé permettrait une meilleure concertation, donnerait plus de responsabilité aux entités et aux établissements scolaires impliqués et garantirait ainsi l’effectivité du projet. 3.2.2. Avantages d’un tel programme Le premier avantage d’un tel programme tient de l’aide que constituerait cet apport de main d’œuvre pour venir combler le déficit de main d’œuvre en Suisse et en Europe. Les obstacles à la libéralisation des services liés à l’éducation sont nombreux50. La formation professionnelle sur modèle suisse de travailleurs extracommunautaires combinée à un apprentissage de ces derniers en Suisse faciliteraient leur entrée sur sol suisse. Les diplômés au sortir de leurs écoles professionnelles seraient dotés de la qualification et de l'expérience requises pour obtenir une place de travail vacante en Suisse en toute légalité (embauche, pas d'entrée illégale). La dimension temporaire de ces programmes ainsi que la nécessité d’une telle main d’œuvre pour l’économie du pays d’accueil des migrants convaincraient sans doute les autorités du bien-fondé et de la mise en œuvre d’une telle initiative. En jumelant les nouvelles écoles professionnelles à l’étranger avec des écoles de formation professionnelle suisses, le certificat final serait plus facilement reconnu en Suisse et, par conséquent, offriraient plus de chances aux jeunes diplômés de trouver un emploi. De nombreux étrangers aujourd’hui ne peuvent tout simplement pas exercer leur métier car leurs diplômes, certificats et apprentissages ne sont pas reconnus en Suisse51. Ce type de programme résoudrait en partie le problème des équivalences entre la Suisse et les pays en transition ou en développement. 50 Saner, Raymond & Fasel, Sylvie. “Negotiating Trade in Educational Services within the WTO/GATS Context”. .Aussenwirtschaft, 59. Jahrgang, Heft II, Zürich: Rüegger, 2003, p. 292. 51 Fröhlicher-Stines, Carmel & Kelechi Monika Mennel. Les Noirs en Suisse:Une vie entre intégration et discrimination. Etude élaborée sur mandat de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), Berne 2004. 24 Les entreprises en Suisse pourraient s'appuyer sur une main-d'œuvre qualifiée correspondant à leurs attentes et ainsi éviter les problèmes rencontrés aujourd’hui lors de certains recrutements. Cette nouvelle main d’œuvre permettrait aux autorités de faire face à la pénurie de main d’œuvre liée au vieillissement de la population. De plus, il n’y aurait plus lieu de s’alarmer de la réticence qu’éprouve la jeunesse locale à accepter certains emplois. Le deuxième avantage d’un tel programme est de renforcer le capital humain des travailleurs immigrés Les travailleurs immigrés des pays extra-communautaires sont une minorité dans leur pays d’accueil à bénéficier d’un enseignement supérieur car, à côté des difficultés financières que certains peuvent rencontrer, peu d’entre eux savent véritablement quelles sont les opportunités qu’offre une formation en école professionnelle en Suisse. Les nombreux programmes de formation continue sont souvent liés à une formation professionnelle de base qui ne trouve pas d’équivalence dans les diplômes que les travailleurs immigrés possèdent. Ceci réduit les chances des migrants de pouvoir compléter ou actualiser leur formation professionnelle. En outre, les travailleurs immigrés doivent souvent affronter des formes ouvertes ou déguisées de racisme qui les dissuadent de s'inscrire dans des programmes de formation continue. Un troisième avantage du programme met en exergue l’aisance que mettraient les migrants à s’intégrer dans le pays hôte grâce à leurs compétences sociales et professionnelles. La Confédération helvétique, après la signature de l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE à mis en place un système d’équivalence des titres obtenus avec ses voisins européens. Le système européen de transfert et d’accumulation des crédits (ECTS) qui a pour fonction de décrire un programme de formation grâce à des crédits, permet de faciliter la reconnaissance des diplômes ainsi que les échanges entre les établissements scolaires et universitaires à l’échelle internationale. L’obtention d’un diplôme issu d’une école professionnelle jumelée avec un établissement de formation suisse et la poursuite d’une expérience professionnelle en Suisse permettraient aux migrants d’obtenir dans leurs pays un diplôme conforme au système européen de transfert et d’accumulation des crédits. De plus, le système dual de formation, calqué sur le modèle suisse, offrirait aux migrants les connaissances et la crédibilité dont ils auraient besoin pour s’intégrer et évoluer aisément dans le monde du travail d’un pays suisse ou européen et garantiraient aux entreprises une main d’œuvre bénéficiant des compétences dont elles ont besoin. 25 Conclusion Un déséquilibre de main d’œuvre parfois alarmant touche plusieurs secteurs de l’économie suisse. Le gouvernement suisse, tout en maintenant une politique restrictive en matière d’immigration, a pris de nouvelles mesures qui visent à favoriser l’accès des travailleurs hautement qualifiés dans les secteurs en plein essor. Ces travailleurs étant de plus en plus difficile à trouver en Europe, les gouvernements européens mettent en place des programmes qui visent à attirer des travailleurs d’autres continents. D’un autre côté, les secteurs qui emploient des travailleurs faiblement ou moyennement qualifiés ne peuvent bénéficier que difficilement de telles dérogations, alors que les PME (Petites et Moyennes Entreprises) sont nombreuses à souffrir d’une insuffisance de main d’œuvre qui risque à terme de fragiliser sévèrement certaines d’entre elles. Les travailleurs immigrés ne peuvent souvent pas exercer un métier qui correspond à leur qualification. N’ayant pas d’autre choix de métier, ces derniers se résignent donc souvent à exercer des métiers dans l’économie souterraine. La situation actuelle démontre que les travailleurs non-européens qui travaillent en Suisse sont souvent sous-qualifiés par rapport à leurs semblables suisses. Il serait souhaitable d’investir dans des formations qui répondent aux exigences suisses. Pour ce faire, le système dual suisse peut être transposé à l’étranger. La mise à contribution des écoles professionnelles suisses offriraient leur expertise aux écoles professionnelles dans les pays des migrants pour offrir à ces derniers une formation digne de celle qu’ils recevraient en Suisse alors que les entreprises suisses dans ces mêmes pays leur offriraient une expérience qui correspondrait aux attentes du secteur en Suisse. En effet, tous les acteurs impliqués dans un tel programme auraient quelque chose à gagner. Le migrant d’abord se verrait offrir une opportunité d’aller travailler en Suisse. Sa formation lui offrirait la garantie d’une place de travail pour une durée déterminée dans un secteur manquant de travailleurs ayant une qualification comparable à la sienne. Une partie de son salaire pourrait être épargnée ou transférée pour être réinvestie dans l’optique d’un retour ultérieur dans son pays d’origine. L’expérience acquise lors de son séjour à l’étranger lui donnerait par ailleurs un avantage décisif à son retour chez lui lorsqu’il s’agira pour lui de trouver du travail et de faire valoir ses compétences. Le pays d’origine du migrant n’aurait pas à souffrir de la fuite de l’un de ces cerveaux puisque le retour du travailleur chez lui serait une condition sine qua non du succès d’un tel projet. Le programme offrirait des possibilités inespérées de développement au pays du migrant par le biais des transferts de fond effectués aux proches, mais aussi grâce aux compétences acquises par ce dernier à l’étranger. 26 Du point de vue du pays hôte, les qualifications du travailleur immigré offriraient une solution efficace au problème du manque de main d’œuvre semi-qualifiée. Par ailleurs, ces séjours ne susciteraient pas d’élan xénophobe chez la population locale du fait de la courte durée des séjours des migrants, de leur bonne intégration et du peu d’intérêt que suscitent les emplois qu’occuperaient les travailleurs qui bénéficieraient des ces programmes. La législation suisse a toujours fait des exceptions en terme d’immigration pour garantir sa croissance économique. Cette migration choisie doit aujourd’hui pouvoir s’appliquer à tous les secteurs de l’économie et à tous les types de travailleurs. Un programme visant les pays extra-communautaires et s’adressant à des travailleurs évoluant dans ces secteurs permettrait de limiter les ralentissements sectoriels qui menacent l’économie suisse. Rapidement opérationnels, ils offriraient une réponse à court et à long terme au problème de la pénurie de main d’œuvre et au vieillissement de la population en Suisse tout en offrant aussi des opportunités aux pays tiers de réduire leur niveau de pauvreté. 27 Bibliographie AMOSA/ Seco/OFFT. Chômage des jeunes: analyse de la situation en 2004 et mesures pour l’avenir et Chômage des jeunes en Suisse: Explications et mesures prises. Berne, Février 2005. Claude, Gérard. Migrations en Mediterranée. Paris : Ellipses, 2002. Daugareilh, Isabelle & Vennat, Francis. Migrations internationales et marché du travail. Lyon : Ed. de la Chronique Sociale, 2004. Fibbi, Rosita. “Politique d’asile et questions migratoires”. Annuaire suisse de politique de développement: Faits et statistiques. Genève: Institut de hautes études internationales et du développement, Vol.27, No 1, 2004. 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