Aujourd`hui, l`immigration est pour des raisons économiques au

Transcription

Aujourd`hui, l`immigration est pour des raisons économiques au
Formations et emplois circulaires en Suisse
pour les travailleurs extra-communautaires:
redessiner les contours des migrations
du travail de demain1
Raymond Saner, Lichia Yiu et Nicolas Velebit2
CSEND Policy Paper Nr. 2
ISSN 2296-472X
Geneva, May 2011
http://www.csend.org/publications/csend-policy/papers
1
Policy paper présenté lors de la conférence de l’Institut des Sciences Administratives ( IISA), Lausanne, 2011 titré
« Migration transcontinentale planifiée pour réduire le déséquilibre du marché de travail en Suisse et réduire la
pauvreté dans les pays Africains et du Balkan/Proche Orient »
2
Document rédigé par Raymond Saner, Professeur Titulaire, Université de Bâle, enseignant Sciences Po, Paris,
Directeur Diplomacy Dialogue, Genève ; Lichia Yiu, Ed.D, Université d’Indiana, Présidente, CSEND, Genève ; et Nicolas
Velebit, MA, Relations Internationales HEI Genève, Assistant de recherche,
1
Résumé
Le système qui régit l’entrée des travailleurs étrangers en Suisse
répond de manière insuffisante voire inappropriée à la demande de
main d’œuvre dans de nombreux secteurs. Avec le problème
imminent du vieillissement de la population, des solutions efficaces
doivent permettre à la Suisse de maintenir sa main d’œuvre à flot. Le
recours à des travailleurs de pays tiers devient dès lors l’une des
seules solutions efficaces pour éviter un lent démantèlement de
l’économie suisse. Cet article révèle les dysfonctionnements de la
politique économique d’immigration suisse et ébauche pour les
politiques publiques un système de migration circulaire fiable pour les
travailleurs semi-qualifiés qui, dans un esprit de bénéfice mutuel,
contribuerait substantiellement à la bonne santé du marché du travail
en Suisse, tout en offrant un appui crucial au développement du pays
d’origine des travailleurs et à l’épanouissement des travailleurs euxmêmes.
2
Introduction
L’ immigration est au centre des préoccupations des pays de l’Union européenne
(UE) et de l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE). L’équation
migratoire est d’autant plus difficile à résoudre que les tenants et les
aboutissants de cette politique divergent par la nature même des enjeux que
représente l’immigration. Sur un front, la « Forteresse Europe » s’efforce de
mettre un frein à l’immigration clandestine et déploie des politiques restrictives en
terme d’asile. A l’opposé, notamment en proie à une population vieillissante, les
pays du Vieux Continent prennent conscience de l’urgence de nouvelles
stratégies à adopter pour recruter une main d’œuvre qui profiterait à la
croissance de leur économie3.
En terme de régulation de la main d’ouvre étrangère, la Suisse a signé avec l’UE
des accords bilatéraux dont fait partie l’accord sur la libre circulation des
personnes qui avantage les travailleurs européens au détriment des travailleurs
extra-européens. Par conséquent, la législation concernant les travailleurs extracommunautaires est plus sélective. Seuls les travailleurs hautement qualifiés ont
accès au marché du travail en Suisse. Cette législation rend dès lors difficile
l’embauche de travailleurs ayant une qualification dite « faible » à « moyenne »
et de nombreux secteurs se voient privés d’une main d’œuvre essentielle à leur
bon fonctionnement.
L’absence de cette main d’œuvre devrait être encore plus significative lorsque la
Suisse sera en proie au vieillissement de sa population et à une baisse conjointe
de sa population active.
Dans une perspective de moyen et de long terme, il est essentiel de réfléchir au
problème de la réduction de la population active et de trouver des solutions
aujourd’hui aux scénarios auxquels la Suisse va être irrémédiablement
confrontée dans un avenir proche. Une meilleure anticipation à ces questions
permettra à la Suisse de mieux aborder un tournant démographique qui pourrait
avoir des répercussions sans précédent sur son économie.
Cet article, dans un premier temps, rend compte de l’inadéquation des politiques
suisses en terme d’immigration du travail aujourd’hui et de l’insuffisance des
solutions envisagées dans la perspective d’un vieillissement de sa population.
Après un deuxième chapitre consacré à l’historique des politiques d’immigration
du travail en Suisse, la troisième et dernière partie de cet article s’évertuera à
proposer et à développer un programme spécifique de migration circulaire. Ce
dernier aura pour spécificité de s’adresser à des travailleurs semi-qualifiés
provenant des pays extra-communautaires. Son objectif ultime sera de
3
Des sources comme celles d’Eurostat soulignent un faible taux de natalité en Europe accompagné d’une
augmentation de l’espérance de vie; le chômage dans l’Union Européenne atteint un taux élevé de 9%. La
croissance économique, quant à elle, stagne à 1,2%.
4
désenrayer la série d’effets négatifs qu’engendrerait le vieillissement de la
population suisse et européenne tout en aidant le développement des pays tiers.
1. La main d’œuvre étrangère au secours de l’économie
suisse
En Suisse, la population résidente étrangère représente plus de 20% de la
population totale. Tous les secteurs de l’économie pratiquement sans exception
sont tributaires de cette main d’œuvre et les étrangers sont chaque année plus
nombreux à alimenter cette population active. Ainsi, en 2007, sur une population
active de 4,122 millions de personnes, le nombre d’actifs occupés étrangers est
passé de 850’000 à 876'000 individus, soit une progression de 3,1% par rapport
à l’année précédente ou une augmentation de 26’000 travailleurs4.
Pendant longtemps, la Confédération helvétique recourait seulement à une main
d’œuvre étrangère peu qualifiée pour réaliser des tâches que sa population
rechignait à effectuer. Aujourd’hui, la dépendance à une main d’œuvre étrangère
s’étend à tous les niveaux de qualification.
1.1. La législation suisse régissant le recours à une main d’œuvre
étrangère
L’ancienne et maintenant la nouvelle Loi sur les étrangers, en vigueur depuis
début 2008, énoncent très clairement l’intérêt constant de la Confédération
helvétique pour une immigration qui servirait ses intérêts économiques. La
Suisse se place ainsi en tête des pays qui distribue majoritairement des droits
d’entrée pour des raisons de travail5. Rosita Fibbi, chercheuse au Forum suisse
pour l’étude des migrations et de la population (SFM), note même que « la
nouvelle politique d’admission [sous-entendu la Nouvelle Loi] vise à augmenter
les flux d’immigration directement liés au marché du travail et à limiter ceux
relatifs au regroupement familial 6». Ainsi, la nouvelle Loi est encore plus tournée
4
L'enquête suisse sur la population active (ESPA) s’effectue annuellement auprès des ménages par l’Office
fédéral de la statistique (OFS). Son but est de fournir des informations sur la structure de la population
active et sur les comportements en matière d'activité professionnelle.
5
Les trois pays membres de l’OCDE ayant la plus grande proportion de migrants permanents ayant reçus un
droit d’entrée pour des raisons de travail sont le Royaume-Unis avec 45% suivi par la Suisse et le
Danemark avec tous deux 42%. Les autres catégories de l’OCDE sont les droits d’entrée pour
regroupement familial ou pour raisons humanitaires.
Voir OECD (Organization for Economic Cooperation and Development). « International Migration
Outlook ». Paris 2007. Et Kirkegaard, Jacob Funk. The accelerating decline in America’s High-skilled
workforce : Implication for immigration policy. Washington DC : Peterson Institute for international
Economics, 2007.
6
Fibbi, Rosita. “Politique d’asile et questions migratoires”. Annuaire suisse de politique de développement:
Faits et statistiques. Genève: Institut de hautes études internationales et du développement, Vol. 27, No 1,
2008.
5
que la précédente vers l’immigration du travail, au détriment de l’immigration
pour motif humanitaire ou de regroupement familial.
En général, le séjour de tous les travailleurs étrangers en Suisse est réglementé
par cette même Loi sur les étrangers. Cependant, l’accord sur la libre circulation
des personnes que la Suisse a signé avec l’UE et qui est entré en vigueur en
20027, donne une priorité non négligeable aux travailleurs européens au
détriment des travailleurs provenant d’autres continents. Ainsi, les travailleurs
extra-européens ne peuvent travailler en Suisse que s’ils occupent des postes de
cadres, de spécialistes ou de personnes hautement qualifiées et uniquement si
les possibilités de recours à une main d’œuvre suisse ou européenne ont été
épuisées par l’employeur. Rosita Fibbi exprime avec concision le rôle de la Loi
sur les étrangers en affirmant qu’elle est « réservée aux seuls détenteurs de
qualifications élevées, en opposition à la libre circulation pour les citoyens
UE/AELE prévue dans les accords bilatéraux8».
Depuis l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des personnes, une
augmentation nette de personnes provenant des pays de l’UE a pu être ainsi
observée en Suisse. Les autorités suisses se félicitent de la bonne application de
l’accord et assurent à la population qu’aucun impact négatif significatif n’a pu être
constaté depuis que l’accès au territoire a été facilité pour les travailleurs
européens. Au contraire, elles affirment que le taux de chômage et le niveau des
salaires sont restés à un niveau stable et que l'emploi chez les travailleurs issus
de la population locale a, en général, progressé entre 2002 et 20079.
Le discours officiel avec la nouvelle crise qu’affronte la planète est aujourd’hui
moins optimiste, mais, alors que la crise menace de nombreux emplois, elle ne
saurait occulter le manque systématique de spécialistes dans de nombreux
secteurs depuis quelques années et une situation que la mauvaise conjoncture
ne saurait changer sur le long terme.
7
En 1999, l’UE et la Suisse ont signé sept accords bilatéraux dans lesquels figure l’accord sur la libre
circulation des personnes. En vigueur depuis 2002, cet accord et son protocole offrent des conditions de
travail et de séjour privilégiées pour les ressortissant de l’UE, mais aussi des dispositions sur la
reconnaissance des diplômes, l’acquisition facilitée de biens immobiliers et la coordination des cotisations
de la sécurité sociale. La Suisse applique les mêmes dispositions à ses partenaires de l’AELE.
8
Fibbi, Rosita, Idem
9
A travers l' Observatoire de la libre circulation des personnes, le Secrétariat d’Etat à L’Economie (SECO),
en collaboration avec l’Office fédéral des Migrations (ODM), l’Office Fédéral des Statistiques (OFS) et
l’Office Fédéral des Assurances Sociale (OFAS), étudie et analyse les effets que l’accord sur la libre
circulation des personnes a depuis son application en 2002 sur la migration et le marché suisse du travail.
Voir Conséquences de la libre circulation des personnes sur le marché du travail suisse: Quatrième
rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE pour la période du
1er juin 2002 au 31 décembre 2007. 25 avril 2008.
6
1.2. Le déséquilibre entre offre et demande de main d’œuvre en
Suisse de nos jours
La politique restrictive de la Confédération helvétique vis-à-vis des travailleurs
vivant hors de la zone UE/AELE contraste avec le manque de main d’œuvre
dans certains secteurs-clef de l’économie10. Dans un rapport récent de
Manpower11, un sondage réalisé auprès de 753 employeurs suisses, révèle que
37% d’entre eux éprouvent des difficultés à recruter. Si ces chiffres sont
inférieurs à ceux de 2006 qui s’élevaient à 48%, ces résultats n’en restent pas
pour le moins inquiétants. Pour palier à ce problème, nombreux sont les secteurs
qui font systématiquement appel à une main d’œuvre étrangère.
Le domaine tertiaire recourt largement à cette main d’œuvre. Rien que dans le
domaine de la santé, les étrangers représentent environ 40% de la communauté
des médecins alors que les infirmiers et infirmières sont majoritairement d’origine
étrangère. De nombreuses raisons expliquent cette grande proportion
d’étrangers parmi le personnel soignant. Chez les médecins, il est question des
moyens énormes qui doivent être alloués pour former plus de médecins en
Suisse, mais aussi d’une augmentation du nombre de certains spécialistes au
détriment d’autres praticiens et d’une baisse alarmante du nombre de
généralistes. Pour les métiers d’infirmières ou d’aides soignantes, c’est souvent
le manque de valorisation et les contraintes d’un métier difficile qui expliquent
l’insuffisance de personnel. Par ailleurs, ces dernières professions sont
essentiellement occupées par des femmes qui, pour des raisons familiales, ne
peuvent ou ne veulent pas se consacrer à plein temps à leur métier.
Dans le milieu académique, les universités suisses doivent aussi compter sur un
savoir venant de l’étranger pour rester compétitives vis-à-vis des hautes écoles
étrangères et permettre ainsi à la Suisse de se maintenir à un niveau élevé en
matière d’enseignement, de savoir et de technologies. En 2006, le personnel des
Hautes écoles universitaires suisses comptait 43.1% de professeurs d’origine
étrangère et ce chiffre s’élevait à 46.6% pour les assistants et collaborateurs
scientifiques12.
Dans certains secteurs comme ceux de l'horlogerie, de la construction ou de
l'industrie mécanique, la main d’œuvre étrangère ne suffit souvent plus à effacer
le déséquilibre entre l’offre et demande de main d’œuvre13. Dans l’industrie
horlogère, le phénomène s’explique en grande partie par le succès que connaît
10
Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), en 2007, le nombre d'actifs enregistre un nouveau record
en Suisse. A la fin du mois de juin, le pays comptait quelque 4,122 millions de personnes disposant d'un
emploi, soit une croissance de 1,7% par rapport à l'année précédente. Par ailleurs, la tranche d'âge allant de
15 à 64 ans, compte désormais un taux de 78,6% de personnes occupées en emploi, contre 77,9% un an
plus tôt.
11
Manpower Employment Outlook Survey Global, A Manpower Research Report, 2007
12
Office fédéral de la statistique. Caractéristiques du personnel des Hautes écoles universitaires: Part des
étrangers selon la catégorie de personnel, de 1995 à 2006.
13
Voir le portail PME du SECO, 2007 : www.seco.admin.ch/themen/00476/02006/index.html?lang=fr
7
la branche depuis quelques années et l’insuffisance d’horlogers qualifiés en
Suisse pour faire face à la demande. Dans le domaine de la construction, le
manque avéré de main d’œuvre provient en grande partie du désintérêt en terme
de revenu et de prestige que constituent certaines professions. Dans ce cas, les
métiers les plus touchés sont par exemple ceux de chauffagistes, de plombiers
sanitaires, de ferblantiers ou d’ouvriers spécialisés dans la ventilation. Pour
d’autres professions, c’est l’inexistence d’une filière de formation formelle qui
explique en partie l’absence sur le marché de certains professionnels. Le métier
de ferrailleur, par exemple, figure parmi les professions pour lesquelles une
formation officielle fait défaut. Enfin, il existe un manque avéré de professionnels
détenteurs d’un diplôme supérieur de capacité, le brevet fédéral, et trop peu de
professionnels de la branche sont dès lors suffisamment qualifiées pour
remplacer ceux qui sont actuellement à la tête des petites et moyennes
entreprises suisses14.
1.3. Et demain? Le vieillissement de la population suisse
Compte tenu des difficultés de recrutement dans certains secteurs, le problème
ne pourra que croître avec les années au fur et à mesure où la Suisse aura à
affronter les conséquences du vieillissement de sa population. En effet, la
croissance de la population est amenée à être modeste dans les décennies à
venir, alors que le nombre de personnes âgées va éclater pour provoquer en
2050 un doublement de la dépendance de ces dernières à la population active
qui devrait, elle, déjà commencer progressivement à diminuer dès 201815.
Population résidante permanente étrangère, en 2007
Selon la nationalité
Asie, Océanie, Apatrides
Amérique
Afrique
Autres pays européens
Turquie
Serbie et Monténégro
Espagne
Portugal
Italie
France
Allemagne
6.1%
4.1%
3.2%
4.6%
4.1%
18.9%
11.7%
11.4%
4.9%
18.2%
12.7%
0.0% 4.0% 8.0% 12.0 16.0 20.0
%
%
%
Source: PETRA
14
Ce paragraphe a pu être écrit grâce à la contribution des fédérations romandes des entrepreneurs. Les
auteurs aimeraient remercier leurs cadres et membres qui ont si patiemment répondu à nos questions.
15
Office fédéral de la statistique. Croissance de la population et vieillissement démographique:
perspectives pour l’avenir. Hypothèses et résultats des scénarios démographiques de la Suisse 2005-2050.
Neuchâtel: Juillet 2006.
8
Les difficultés à recruter seront encore accentuées par le vieillissement de la
population que connaîtront les pays européens qui pourvoit habituellement la
Suisse en main d’œuvre. L’Italie qui est le principal fournisseur de travailleurs de
la Suisse sera par exemple parallèlement le pays qui aura la population la plus
âgée au monde16.
Aussi, la main d’œuvre provenant de ces pays devrait inévitablement décliner et
par conséquent, l’appel à une main d’œuvre provenant de pays n’étant pas
touchés par le phénomène du vieillissement apparaît comme l’une des seules
solutions fiables sur le moyen et le long terme pour venir compenser le déclin
économique de la Suisse et des pays industrialisés17.
1.4. Les mesures entreprises par la Suisse
Du fait de sa longue collaboration avec l’UE et de son manque d’ouverture vis-àvis des pays tiers18, la Suisse place tous ses espoirs dans l’aide que pourrait lui
conférer la main d’œuvre des nouveaux membres de l’UE que sont la Tchéquie,
l’Estonie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la
Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie et enfin la Roumanie.
Le peuple suisse en 2005 a approuvé l’extension de l’Accord sur la libre
circulation des personnes à tous ses pays en question à l’exception de la
Roumanie et de la Bulgarie19. Les responsables de l’économie n’ont cessé dès
lors de plaider l’ouverture vis-à-vis de ces pays. Avec une croissance bien
supérieure à celle que connaît la Suisse, ces pays sont décrits par les
économistes comme des marchés prometteurs en terme d’investissements et de
recrutement de travailleurs qualifiés et non qualifiés. Pour les autorités suisses, à
une époque où l’agriculture et le tourisme en Suisse manquent sévèrement de
travailleurs peu qualifiés, la main d’œuvre provenant des pays de l’Est offrirait
aussi une solution inespérée à ses secteurs20.
16
L’Italie est le pays qui, selon de nombreuses sources, sera le plus touché par le phénomène du
vieillissement de la population. Les projections considèrent ainsi que l’Italie aura besoin, dès 2050, de
6.500 immigrants par million d’habitants en moyenne chaque année. L’Allemagne, l’Espagne et le
Portugal, d’autres grands fournisseurs de mains d’œuvre pour la Suisse, ne seront en aucun cas épargnés.
L’Allemagne, par exemple, dès 2050 devra trouver chaque année 6.000 immigrants par million d’habitants
en moyenne pour palier au vieillissement de sa population.
17
Cette thèse est par exemple soutenue par la Division de la Population du Département des Affaires
Economiques et sociales des Nations Unies dans Replacement Migration: Is It a Solution to Declining and
Ageing Populations? United Nations 2001.
18
En Suisse, sur une population totale de 7,63 millions d’habitants, en 2007, 1,67 millions d’entre eux
étaient d’origine étrangère dont le 85% est d’origine européenne. Ainsi, seuls 243'884 personnes vivant en
Suisse provenaient d’un autre continent que l’Europe.
19
Le 8 février 2009, le peuple Suisse s’est prononcé en faveur de l’extension des accords bilatéraux à la
Roumanie et à la Bulgarie.
20
Office fédéral des migrations (ODM), Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Bureau de l’intégration
DFAE/DFE. Elargissement de l’UE: extension de l’accord sur la libre circulation et révision des mesures
d’accompagnement, Juillet 2005
9
Population résidante en Suisse selon la nationalité par continent en 2006
Nationalité
2006
Total
7 628 096
Suisses
5 954 212
Etrangers
1 673 884
Europe
1 430 000
Afrique
65 431
Amérique
65 948
Amérique du Nord
22 671
Amérique latine
43 277
Asie
107 520
Océanie
3 524
Apatrides / Inconnue
1 461
Source: Office fédéral de la statistique (OFS)
Cependant, un ensemble de paramètres permet de soutenir que sur le long
terme cette main d’œuvre ne parviendra pas à combler le déficit de main
d’œuvre liée au vieillissement de la population.
La croissance importante dans ces pays laisse présager que leurs
gouvernements mettront tout en œuvre pour éviter le dépeuplement de leurs
territoires. Environ ¾ des employeurs des nouveaux membres expriment déjà
aujourd’hui des difficultés à recruter de la main d’œuvre21. Cependant, alors que
les travailleurs qualifiés quittent massivement ces pays pour aller s’installer dans
les autres pays de L’UE, les pays recruteurs comme l’Espagne éprouvent déjà
des difficultés à embaucher dans ces pays une main d’œuvre temporaire et peu
qualifiée dont ils ont besoin pour leur l’agriculture22.
Le phénomène du vieillissement de la population va toucher sans restriction tous
les pays européens. Il y a donc fort à parier que l’immigration en provenance de
pays européens devrait conséquemment diminuer dans les décennies à venir. La
Suisse qui, aujourd’hui, dépend essentiellement des travailleurs des pays
limitrophes (Italie, Allemagne, France) mais aussi d’autres pays européens
comme le Portugal ou l’Espagne, ne pourra certainement pas durablement
21
Alexis Rosenzweig. Pénurie de main d'œuvre: un problème de taille pour l'économie tchèque. Radio
Prague, Août 2007
22
L’Espagne comptait cette année sur environ 15500 personnes provenant de Roumanie pour effectuer la
cueillette annuelle des fraises. Or, seuls 11000 travailleurs se sont déplacés.
Voir : APA. “Manque de main d’œuvre pour la cueillette de la fraise en Espagne”. Bladi.net, 5 janvier 2008
10
remplacer ces travailleurs par des travailleurs venant des pays de l’Est. A
l’avenir, ces travailleurs représenteront un enjeu encore plus grand pour
l’économie de l’Europe en proie à une population vieillissante. La Suisse pourra
dès lors difficilement bénéficier d’une part suffisante de main d’œuvre pour
maintenir son marché du travail à flot.
La réforme du système des retraites est une autre mesure que la Suisse veut
appliquer pour contrer le vieillissement de la population. La question demeure
épineuse23. L’irrémédiable augmentation des pensions de retraites amène en
effet les autorités à chercher des moyens alternatifs pour les financer. Dans ce
contexte, de plus en plus de responsables politiques influents se sont montrés
favorables à un prolongement de l’âge de la retraite. De son côté, non contente
de devoir se soumettre à la décision des politiques pour le droit inaliénable de la
retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 pour les hommes, la majorité de la
population suisse s’y est opposée ardemment.
En 2003, en manifestant son intérêt pour une retraite à 67 ans pour les hommes,
Pascal Couchepin, le ministre de l’intérieur suisse de l’époque, avait suscité le
mécontentement de la population qui avait rejeté massivement le vote
concernant les retraites de la 11ème révision de l’Assurance Vieillesse et
Survivants (AVS).
Cette question des retraites est d’autant plus délicate que les Suisses sont de
plus en plus nombreux à se retirer de la vie active prématurément. Pour
expliquer le phénomène, les raisons principalement évoquées sont la santé, les
licenciements et les départs en retraite anticipée 24.
Les entreprises suisses, quant à elles, ne sont pas disposées à employer de la
main d’œuvre au-delà de la limite de l’âge de la retraite car elles privilégient la
motivation des jeunes au détriment de l’ancienneté des employés. Ces
entreprises et leurs dirigeants sont soutenues dans leur démarche par des
responsables politiques proches des milieux économiques qui considèrent que
les entreprises doivent décider seules de l’ajustement de leurs politiques internes
par rapport au vieillissement de la population25. Par ailleurs, elles craignent de
devoir contribuer au financement des mesures qui inciteraient les travailleurs
âgés à travailler au-delà de l’âge de la retraite.
Avec les nombreux opposants au prolongement de l’âge de la retraite, les
autorités cherchent non sans mal à convaincre les travailleurs eux-même du
bien-fondé d’une telle politique. Actuellement, une incitation financière
23
Après le refus populaire de 2004, le Parlement a continué à travailler à une révision de l'AVS, mais
aujourd’hui aucun compromis n’a encore été trouvé.
24
Thom, Norbert, Mose, Regine Egger, Marcel. Employabilité et intégration des travailleurs âgés en
Suisse: état des lieux et conclusions. La Vie économique Revue de politique économique, Février-2008
25
Höpflinger, François, Beck, Alex, Grob, Maja, Lüthi, Andrea. Travail et carrière: Perspectives après 50
ans, Enquête réalisée auprès des responsables du personnel de 804 entreprises suisses, Avenir suisse,
Février 2006
11
accompagnée d’une rente supplémentaire pour ceux qui travailleraient au-delà
de l’âge de la retraite serait la seule mesure susceptible de rallier une majorité de
travailleurs26. Les négociations s’annoncent d’ores et déjà longues et difficiles.
2. Les migrations temporaires en Suisse : une situation précaire
Au début du XXe siècle, la Suisse, alors en plein essor économique, attire de
plus en plus d’étrangers, leur proportion excédant les 15% à la veille de la
première Guerre Mondiale. Durant la période de l’entre deux guerres, la crise
économique mondiale décide les autorités à adopter une première loi sur
l’immigration, la Loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers. Cette
Loi, l’une des premières du genre, établit un système de séjours temporaires
pour les étrangers et dépendant des besoins du marché. C’est ainsi que les
différents types de permis de séjour dont certains sont encore en usage
aujourd’hui sont introduits.
Pendant plus d’un demi-siècle, le permis A sera le permis saisonnier qui
caractérise le mieux la migration circulaire voulue par les autorités. Aujourd’hui, il
n’existe plus. Ce permis avait comme spécificités d’être renouvelable et d’être
délivré pour une période de 9 mois au maximum ce qui obligeait le travailleur à
quitter la Suisse et à rentrer chez lui pendant quelques mois. Cependant, après
dix ans de travail saisonnier ininterrompus en Suisse, le travailleur émigré
pouvait se faire octroyer un permis annuel. A partir de 1995, seuls les citoyens
européens pouvaient demander un tel permis.
Dans les années qui suivent l’adoption de la Loi de 1931, la population étrangère
en Suisse diminue considérablement. Après la Seconde Guerre Mondiale, alors
que l’industrie est restée intacte, l’économie connaît une période de croissance
sans précédent qui s’accompagne d’une augmentation de la demande de travail
et d’un assouplissement de la législation vis-à-vis de la main d’œuvre étrangère.
Les étrangers arrivent en masse du Sud de l’Europe et en particulier d’Italie.
Au Nord et à l’Ouest de l’Europe, d’autres pays comme l’Allemagne, la France, la
Belgique ou les Pays-Bas connaissent une croissance économique d’aprèsguerre qui requiert une main d’œuvre toujours plus nombreuse. Le
gouvernement italien s’applique dès lors à tirer profit de la situation. En 1960,
26
Voir le Rapport de synthèse du Groupe directeur mixte DFE/DF. Participation des travailleuses et
travailleurs ages, Propositions de mesures: domaines des assurances sociales, de la santé au travail, des
aptitudes sur le marché du travail. Novembre 2005. Un groupe directeur a été engagé fin 2004 par le
Département fédéral de l'intérieur (DFI) et le Département fédéral de l'économie (DFE) afin de servir de
base de réflexion au Conseil fédéral, afin que ce dernier décide des mesures à prendre pour mettre fin aux
discriminations envers les travailleurs âgés sur le marché du travail et de promouvoir leur activité lucrative.
Malgré la rédaction d’un rapport en 2005 par le groupe directeur, le Conseil fédéral n’a depuis pas engagé
d’action majeure pour améliorer le sort des travailleurs âgés. La reprise économique était sans doute la
raison principale du désintéressement des autorités à propos de cette question. Peut-être que la crise
actuelle va redynamiser les efforts des autorités en la matière.
12
60% des étrangers sur territoire suisse sont d’origine italienne. Subséquemment,
l’Italie, dès 1948, est le premier pays à signer des accords avec la Suisse pour
faciliter le travail et la circulation de ses ressortissants. L’Espagne signera un
accord similaire beaucoup plus tard et en 196127.
Les autorités helvétiques adoptent toutes sortes de mesures ayant pour
fonction de dissuader les travailleurs étrangers de venir s’installer en Suisse
durablement. Ainsi, les quotas ou la politique des 3 cercles qui privilégie les
ressortissants européens au détriment des ressortissants des autres pays
industrialisés et des pays du Sud tenteront de mettre un frein à l’immigration 28.
La Loi sur l’immigration de 1931 ne sera remplacée qu’en 2008 pour faire suite à
27
Gross, Dominique M. « Immigration Policy and Foreign Population in Switzerland. » World Bank Policy
Research Working Paper 3853. Simon Fraser University: February 2006.
28
En 1991, les autorités suisses décident d’appliquer une politique dite « des trois cercles » qui sera par la
suite remplacée par un mode de recrutement duel. Le premier cercle représente les ressortissants européens
(UE/AELE) qui ont la possibilité de modifier au bout de quelques années leur statut de saisonnier en permis
de séjour. Le deuxième cercle est formé des pays extérieurs à l’UE (ex. Etats-Unis, pays de l’Est) mais
considérés comme culturellement et économiquement proches de la Confédération. Ces ressortissants ont
leurs permis saisonniers et annuels soumis à quotas. Le troisième cercle qui inclut tous les autres pays est
soumis à restriction. Les permis de séjours ne sont, dans ce cas-là, délivrés qu’à titre exceptionnel. En
1998, tous les étrangers extérieurs à l’UE/AELE sont inscrits dans le même cercle et le modèle devient duel
avec une préférence donnée aux ressortissants de l’Union européenne.
13
l’accord signé avec l’UE sur la libre circulation des personnes. Dès lors, le permis
saisonnier est supprimé et à la politique des trois cercles succède une politique
migratoire qui privilégie les travailleurs européens et les travailleurs qualifiés au
détriment des pays tiers.
2.1. Les permis de séjour à durée déterminée en Suisse aujourd’hui
La régulation des étrangers par les autorités suisses peut être illustrée par le
nombre impressionnant de types de permis délivrés aux personnes étrangères
séjournant en Suisse. Voici brièvement exposés les principaux permis.
Dès 2002, le permis A, dit « saisonnier », a été remplacé par le Permis L
(autorisation de courte durée) qui s’adresse à des travailleurs de l’UE ou aux
ressortissants des Etats tiers qui séjournent en Suisse pour une durée de moins
d’un an. Les ressortissants des états tiers sont soumis à des quotas et peuvent
prolonger leur séjour et rester pour une durée totale de deux ans mais à
condition qu’ils gardent le même employeur. Ces permis concernent surtout les
domaines de la construction, du tourisme et l’agriculture. Des permis de ce type
sont aussi octroyés à des personnes voulant suivre une formation ou des études
en Suisse29.
Le permis B (autorisation de séjour) s’adresse a toute personne qui séjourne en
Suisse dans un but précis. Pour les ressortissants de L’UE, l’autorisation de
séjour leur offre un séjour d’une durée de 5 ans au maximum, alors que pour les
ressortissants d’états tiers, sa validité est de 1 année. Pour ces derniers, les
autorisations de séjour sont soumises à des quotas qui dépendent en grande
partie du marché du travail et de la bonne santé de l’économie. Une prolongation
est accordée au travailleur étranger s’il remplit certaines conditions30.
Le permis C (autorisation d’établissement) est octroyé à des ressortissants de
l’Union européenne après un séjour ininterrompu de 5 années. Cependant, cette
clause des 5 ans ne s’applique pas aux nouveaux membres de L’UE et
l’autorisation d’établissement comme pour les ressortissants extérieurs à L’UE
ne leur sera en principe délivrée qu’après un séjour ininterrompu de 10 ans. Les
personnes bénéficiant du Permis C ne sont pas tributaires de l’OLE. Le permis
d’établissement ou permis C est en principe délivré à la famille d’un travailleur
lorsque ce dernier est resté en Suisse durant la période prescrite pour l’obtention
d’un tel permis31.
29
Office Fédéral des Migrations: http://www.bfm.admin.ch/bfm/fr/home.html
Ibidem
31
Ibidem
30
14
2.2. L’immigration illégale en Suisse et ses coûts
Le nombre de travailleurs illégaux était estimé à 90'000 individus en Suisse en
200432. Ils seraient plus de 100'000 aujourd’hui. Avec le durcissement de la Loi
sur les étrangers, les requérants savent que leur chance d’être admis en Suisse
pour un séjour prolongé est faible et qu’ils auront de grandes difficultés à trouver
un travail sur le marché légal de l’emploi. Il ne leur reste souvent plus qu’à
travailler dans l’économie souterraine. Ces personnes ne bénéficient pas
socialement et financièrement des même avantages que les autres membres de
la population. Par ailleurs, elles ne contribuent pas de la même manière au
renflouement de l’Etat providence.
Le travail au noir n’est pas aussi répandu en Suisse que dans d’autres pays
européens, cependant, le phénomène n’en constitue pas moins un véritable
manque à gagner pour l’économie suisse en général. Ainsi, le solde du secteur
de l’économie souterraine en 2004 s’élevait à 37 milliards de CHF, soit
l’équivalent de 9% du PNB. Pour chaque milliard déclaré, 100 millions de CHF
auraient pu servir aux assurances sociales (AVS/AI/APG) et 20 millions de CHF
à l’assurances chômage33.
Une main d’œuvre non qualifiée est indispensable pour certains travaux 34. Or,
les travailleurs illégaux sont souvent les seuls à accepter de tels emplois. Les
secteurs de l’économie peu rentables comme l’agriculture où une délocalisation
n’est pas envisageable ou d’autres secteurs comme celui de l’hôtellerie ou le
besoin de main d’œuvre est fluctuant sont aujourd’hui dépendants des
travailleurs illégaux35. Il est impossible d’ignorer le rôle que jouent ces travailleurs
aujourd’hui. Ainsi, de nombreuses voix expriment l’urgence d’une normalisation
de leur situation.
3. Repenser les migrations du travail en Suisse
De nombreuses solutions ont été formulées pour tenter de résoudre les
problèmes économiques auxquels les sociétés occidentales seront et sont déjà
invariablement confrontées. Parmi les plus radicales, le mouvement de la
décroissance souligne l’épuisement du modèle économique actuel basé sur la
croissance et le consumérisme.
32
Office fédéral des migrations. “Rapport sur la migration illégale”. Juin 2004.
Office fédéral des migrations, Idem
34
Piguet, Etienne; Losa, Stefano. Travailleurs de l’ombre? Demande de main-d’oeuvre du domaine de
l’asile et ampleur de l’emploi d’étrangers non déclarés en Suisse. Zurich : Seismo,2002.
35
Ibidem
33
15
Ce mouvement de plus en plus influent considère que le monde capitaliste doit
effectuer un revirement complet en acceptant qu’un recul économique soit le seul
moyen efficace qui assurera sa survie36.
Cette réflexion ne doit pourtant pas occulter le fait que la croissance reste une
garante essentielle de la réduction de la pauvreté dans le monde et du
développement des pays du Sud. Ainsi, une solution viable doit être envisagée
pour garantir le développement durable et mutuel des pays du Nord et du Sud.
Une coopération économique adéquate entre les pays du Nord et du Sud peut
représenter une alternative efficace au modèle libéral existant, tout comme elle
doit pouvoir aussi se substituer efficacement à une refonte totale et donc très
coûteuse du système.
Le vieillissement de la population, le manque de main d’œuvre qui en résulte et
la fragilisation des pays industrialisés doit pousser ces derniers à réviser le
rapport qu’ils entretiennent avec les pays du Sud. Dans ce genre nouveau de
coopération, en matière d’immigration, les pays du Sud auraient un grand
pouvoir de négociation à l’égard de leurs partenaires du Nord du fait du rôle
fondamental qu’ils auraient à jouer dans le sauvetage des sociétés occidentales.
Les pays industrialisés ne semblent pas comprendre l’enjeu d’une telle
collaboration et peinent à accepter que leur salut puisse en dépendre. Le
verrouillage des frontières des pays du Nord et le manque de mesures efficaces
entreprises pour empêcher les traversées, parfois dramatiques, des clandestins
sont là pour rappeler le sens et les priorités de la politique d’immigration
européenne aujourd’hui37.
36
Voici un bref tour d’horizon d’une littérature qui prône une refonte radicale du système:
Richard Heinberg insiste dans son livre Powerdown : Options and Actions for a Post-Carbon World sur
l’importance de devoir réduire la consommation des pays développés, mais aussi sur le développement
de sources d’énergie alternative. Il considère à terme que la croissance démographique actuelle ne sera
plus soutenable et que des mesures radicales devront être entreprises pour réduire la population.
 Le Professeur Nicholas Georgescu-Roegen, l’un des précurseurs de l’école de la décroissance, s’est
intéressé dans les années 70 aux méfaits causés par l’économie sur l’environnement. En démontrant que
les ressources de la terre n’étaient pas inépuisables. Dans son livre La décroissance. Entropie - Écologie
– Économie, (Paris: Éditions Sang de la terre, 1995) il a souligné que le modèle économique
contemporain basé sur la croissance mettrait fin tôt ou tard à ses ressources et que ce modèle n’était ainsi
pas durable.
 Un autre théoricien de la décroissance, le Professeur Serge Latouche, plus récemment, a exposé,
notamment dans Vers la décroissance, Écofascisme ou écodémocratie.(Le Monde Diplomatique,
Novembre 2005) les mesures essentielles à entreprendre, selon lui, pour débuter avec succès le long
processus de la décroissance, à savoir « internaliser les coûts de transports, relocaliser les activités;
restaurer l’agriculture paysanne ou stimuler la production de biens relationnels ou encore décréter un
moratoire sur l’innovation technologique, faire un bilan sérieux, et réorienter la recherche scientifique
et technique en fonction des aspirations nouvelles ».
37
A titre indicatif, selon la revue de presse du Fortress Europe (http://fortresseurope.blogspot.com) , un
blog dédié à la mémoire des victimes de l’immigration clandestine en Europe, entre 1988 et aujourd’hui,
13’413 personnes sont décédées en tentant leur passage en Europe. Rien qu’en 2008, selon le blog, elles
étaient au moins 1502 victimes.

16
Les travailleurs du Nord faisant défaut dans certains secteurs, seuls quelques
gouvernements se tournent vers les pays du Sud et cherchent à mieux gérer les
flux migratoires en conciliant leurs besoins en main d’œuvre avec une aide
économique aux pays d’où partent les clandestins.
3.1. Les nouveaux programmes temporaires de travail
En Suisse, des mesures tels que la réforme des retraites ou l’ouverture des
frontières aux nouveaux pays membres de l’UE manquent de souffle et ne
pourront résoudre que partiellement les problèmes de main d’œuvre et de
vieillissement de la population.
Depuis quelques années, les politiques et les chercheurs du monde entier
expérimentent des programmes de travail temporaires qui pourraient constituer
une solution complémentaire et efficace aux mesures que les politiques suisses
veulent engager.
Ces programmes offrent une grande flexibilité au
l’utilisation spécifique de travailleurs dans les secteurs
à manquer tout en réduisant la charge que constitue
généralement pas accompagné, du moins dans un
membres de sa famille.
pays receveur quant à
où la main d’œuvre vient
le travailleur qui ne sera
premier temps, par les
Du point de vue du pays d’origine de ces travailleurs, ces programmes peuvent
être une source de développement. Ceci peut notamment s’expliquer par le fait
que le migrant temporaire se sentira d’avantage concerné par le développement
d’un pays où il finira par retourner. Ainsi, de nombreux exemples tendent à
démontrer que ses migrants réservent une part beaucoup plus élevée de leur
salaire pour leurs proches restés au pays et pour des investissements individuel
en vue de leur propre retour38.
Si, depuis longtemps, plusieurs pays ont développé ces programmes, peu
d’entre eux, cependant, y sont parvenus avec succès. C’est pourquoi il est
indispensable que les programmes futurs tiennent compte des leçons apprises et
de tous les inconvénients décelés lors de l’application des programmes
antérieurs.
Parmi les problèmes rencontrés, il a été constaté qu’il était très compliqué de
satisfaire tous les acteurs impliqués dans le processus (pays d’accueil, pays
d’origine, migrant, employeur)39. Par exemple, le manque de reconnaissance des
qualifications acquises à l’étranger est une des équations les plus difficiles à
38
. Martin, Philip L. Decent Work Research Programme Migration and development: Toward sustainable
solutions. ILO paper, 2004
39
.Ruhs, Martin, “Temporary foreign worker programmes: Policies, adverse consequences, and the need to
make them work”. Perspectives on Labour Migration 6. Geneva: ILO publication, 2002
17
résoudre. Les travailleurs migrants sont souvent trop qualifiés pour le travail
qu’ils occupent et leurs employeurs leurs offrent que rarement des postes à
responsabilité considérant que ces derniers ne sont jamais sur place que pour
une durée déterminée. Pour palier au problème, il faudrait se pencher sur la
durée du séjour du travailleur tout comme il serait indispensable de trouver un
système d’équivalence fiable pour les diplômes des travailleurs de tous les pays
tiers. Une autre alternative, qui n’est pas incompatible à la première, serait d’offrir
aux étrangers un supplément de formation en accord avec celle reçue par les
travailleurs locaux. Ainsi, les étrangers auraient plus de facilité à trouver des
emplois qui correspondent à leurs compétences. Les employeurs, quant à eux,
auraient plus de facilité à trouver des travailleurs correspondant à leurs attentes
en termes de compétences et de qualification.
Le non-retour du migrant dans son pays d’origine figure aussi parmi les raisons
évoquées pour expliquer les revers essuyés par les programmes temporaires.
Pour empêcher les travailleurs de s’installer définitivement dans leur pays
d’accueil, deux mesures essentielles doivent être prises. La première est
d’assurer les transferts des retraites des travailleurs étrangers dans leurs pays
d’origine. La seconde consiste à faciliter les transferts de fond dans le pays
d’origine des migrants40. Le monde s’est rendu compte seulement récemment de
l’importance des transferts de fond dans le développement des pays du Sud. Les
recherches se penchent aujourd’hui de plus en plus sur les possibilités de
maximiser les investissements des migrants. Il est essentiel donc aujourd’hui de
tenir compte de cet aspect crucial dans l’élaboration d’un programme temporaire
qui impliquerait des pays du Sud.
3.1.1. Le programme Green Card en Allemagne pour une main d’œuvre qualifiée
Le programme « Green Card » en Allemagne avait pour objectif en 2000 de
répondre au besoin impérieux de main d’œuvre dans les technologies de
l’information, alors en plein essor. Son but était d’attirer des travailleurs
hautement qualifiés de pays du Sud qui possédaient une grande réserve de main
d’œuvre de ce type. L’inde était le premier pays visé par ce programme.
Malgré l’intérêt que représentait un tel programme pour un travailleur du Sud, il
n’attira pas le nombre de travailleurs escomptés car la durée du séjour en
Allemagne ne pouvait dépasser 5 ans. Les travailleurs préférèrent émigrer dans
les pays anglo-saxons qui sont beaucoup plus souples en terme de durée de
séjour des travailleurs hautement qualifiés. Un ralentissement dans le secteur
40
Ruhs, Martin, “The potential of temporary migration programmes in future international migration
policy”. International Labour Review, Vol. 145, No. 1-2, 2006.
18
des technologies de l’information acheva de mettre fin au programme dans les
années qui suivirent son lancement41.
3.1.2. Le partenariat Espagne-Sénégal pour une main d’œuvre peu qualifiée
Le Sénégal est amené à être l’un des premiers pays en voie de développement à
bénéficier d’une série d’accords facilitant la mobilité de ses travailleurs peu
qualifiés. Cette décision fait suite à une série d’accords signés entre le Sénégal
et l’Espagne concernant le séjour temporaire de travailleurs sénégalais en
Espagne. Ces initiatives tendent à mettre un frein au problème du travail illégal
dans ce pays.
Ainsi, 2700 travailleurs sénégalais se sont vus octroyés en 2008 un permis
temporaire de travail en Espagne42. Les secteurs manquant de mains d’œuvre
comme ceux de la pêche ou de l’agriculture seront les premiers à bénéficier de
cette main d’œuvre. Parmi les 2700 travailleurs admis sur territoire espagnol,
2000 travailleurs devraient recevoir une formation préalable dans leur pays grâce
à un financement des autorités espagnoles. Depuis longtemps, l’agriculture en
Espagne, fait appel à cette main d’œuvre temporaire venu de l’étranger et
devenue indispensable pour certaines activités comme celle de la cueillette des
tomates ou des fraises. En légiférant sur le séjour temporaire de ces travailleurs
étrangers, l’Espagne entend non seulement mettre fin à la pénurie de main
d’œuvre à laquelle elle est confrontée mais aussi améliorer le sort de ces
travailleurs qui vivent souvent dans des situations déplorables lors de leur séjour
sur place.
Aussi, le Gouvernement espagnol, avec le soutien du patronat, s’apprêtait en
2008 à lancer un programme ayant pour vocation de créer cinq écoles de
formations professionnelles (escuelas talleres) et 18 compagnies de pêches
regroupant des ressortissants espagnols et sénégalais qui concentreraient leurs
activités au large des côtes sénégalaises. Parallèlement, l’Espagne prévoit de
faire de gros investissements au Sénégal dans le domaine touristique. Il est un
peu tôt pour mesurer le succès du programme, mais la simple idée d’avoir établi
un cadre pour les travailleurs temporaires du Sénégal semble être un grand pas.
41
Burkert, Carola, Niebuhr, Annekatrin, Wapler, Rüdiger. “ Regional Disparities in Employment of HighSkilled Foreigners –Determinants and Options for Migration Policy in Germany”. Hamburg Institute of
International Economics (HWWI), 2007.
42
Ministère de la jeunesse et de l’emploi du Sénégal (www.jeunesse.gouv.sn/actualites2.php?id=11)
19
3.2. Le projet de formation de CSEND pour une main d’œuvre
moyennement qualifiée
Suite à notre analyse, voici le constat qui peut être dressé:
1. Une tendance vers un vieillissement de la population en Europe est à
prévoir au cours des prochaines décennies.
2. La demande de services et les prestations sociales resteront élevés et
devront être pourvues par une main-d'œuvre semi-qualifiée. Les
possibilités de rationaliser le travail par des moyens autres que les
ressources humaines demeurent limitées dans de nombreux domaines
(ex. les services de santé)
3. La tendance à la baisse aujourd’hui de main d’œuvre demandant une
qualification faible à moyenne requerra une importation de main d’œuvre
de pays extra-européens demain quand toute l’Europe aura à subir les
méfaits du vieillissement de sa population.
La Suisse s’expose à deux dangers en prenant le parti de ne pas se parer à un
manque de main d’œuvre future:
-
Le premier risque serait de laisser se creuser l’écart entre l’offre et la
demande de travail, ce qui aurait pour conséquences d’augmenter les coûts
économiques et sociaux relatifs à un tel déséquilibre.
-
Le deuxième risque serait de voir se perpétuer un discours xénophobe chez
certains politiciens et médias qui stigmatisent les immigrés sans prendre de
mesures rationnelles et efficaces pour résoudre des questions épineuses
comme celle du travail illégal et du manque de travailleurs semi-qualifiés.
Le problème de déséquilibre d’offre et de demande d’ouvriers dits spécialisés ne
semble pas avoir suscité de grandes réflexions à l’échelle nationale en Suisse.
Or, il est, dans le contexte actuel, indispensable de réfléchir à un système de
formation transnational efficace qui éviterait au système tout entier de couler
demain. Le système suisse de formation professionnelle pourrait être utilisé pour
offrir à des travailleurs étrangers une formation et un diplôme reconnu dans une
école professionnelle en Suisse avec par la suite un accès au marché de l’emploi
en Suisse.
La Suisse et d’autres pays européens (Autriche, Allemagne) ont développé un
système de formation professionnelle, l’apprentissage43, qui offre des cours en
43
Selon le Dictionnaire suisse de politique sociale (social info) l’apprentissage est une la formation duale
faite simultanément en entreprise et dans une école professionnelle (1 à 2 jours par semaine) ou la
formation faite à plein temps dans une école de métier, d'arts appliqués ou de commerce (ces dernières sont
essentiellement situées en Suisse latine). L'apprentissage dure entre deux et quatre ans. La maturité
professionnelle, qui ouvre la voie vers les Hautes écoles spécialisées (HES), existe depuis 1993.
20
classe dans des écoles professionnelles doublés d’une formation en emploi dans
une entreprise.
Les écoles professionnelles offrent plus de 200 formations différentes et près de
deux tiers des jeunes en Suisse choisissent de faire leur formation dans un
établissement de ce type44. Ainsi, les nombreuses écoles sont situées autant
dans les zones urbaines que dans des agglomérations de taille moyenne. Dans
le canton du Valais, par exemple, de nombreuses villes (Sion, Martigny,
Monthey, Sierre etc.) possèdent leur école professionnelle alors que peu de ces
villes ont des établissements qui délivrent un diplôme de maturité non
professionnelle.
En 2008, 80’000 jeunes étaient à la recherche d’une place d’apprentissage alors
que 79’500 étaient offertes par les entreprises. En 2007, ils étaient 79'000 à
postuler alors que seuls 74’000 offres étaient faites en entreprise. Aussi, cette
offre tend encore à augmenter puisque les entreprises promettent d’offrir 5000
places d’apprentissage supplémentaires dans les années à venir.
L’uniformisation des titres et diplômes de fin d’apprentissage est depuis
longtemps un gage de la qualité des apprentissages en Suisse. Les jeunes ayant
réussi leur examen final d’apprentissage reçoivent un CFC reconnu sur tout le
territoire helvétique. Depuis 1993, la maturité professionnelle offre la possibilité
de concilier formation technique et culture générale et permet ainsi aux jeunes
diplômés d’accéder à des études supérieures par le biais des hautes écoles
spécialisées.
Dans l’optique d’une formation transnationale voire transcontinentale, ces
mêmes principes d’apprentissage pourraient être ’appliqués dans les pays
d'origine des migrants de la manière suivante:
-
Les écoles professionnelles en Suisse devraient être jumelées avec des
écoles professionnelles dans les pays d'origine des migrants. Ces
partenariats se composeraient d’une collaboration au niveau de
l’enseignement (co-enseignement et formation des formateurs dans le
pays d'origine), du partage du matériel pédagogique et didactique et enfin
d’un partage de savoir-faire en matière de gestion et d’administration de
l’établissement.
-
Des entreprises suisses participeraient aux programmes d'apprentissage
en offrant une formation en emploi aux futurs migrants dans leurs filiales à
l’étranger. Dans ce cas, le partenariat serait de type privé-public avec les
écoles professionnelles représentant le secteur public alors que le secteur
privé serait incarné par les entreprises.
44
Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT). “La formation professionnelle
en Suisse en 2005”. Faits et données chiffrées.
21
3.2.1. Choix des pays
CSEND a réfléchi à un ensemble de critères qui pourrait faciliter le choix des
pays qui pourraient bénéficier de ce programme. Ainsi, il convient de prévoir les
éléments qui aideront le migrant à s’intégrer. Dans ce cas, des éléments tels que
la langue ou l’importance de la communauté du migrant sont déterminants. Un
deuxième paramètre a trait au montant de l’aide publique au développement que
les pays d’une région reçoivent de la part des principales agences fédérales
impliquées, à savoir le Secrétariat d'Etat à l'Economie (SECO) et la Direction du
Développement et de la Coopération (DDC). En effet, le soutien logistique et
l’expertise de ces agences dans les pays ciblés seront les bienvenus durant la
phase de planification du projet.
A partir de ces observations et pour illustrer ces critères, CSEND a ébauché
deux exemples de partenariats possibles. Le premier concerne la région de
l’Afrique de l’Ouest et le deuxième la région des Balkans et de la Turquie 45.
En 2006, la Suisse comptabilisait 11’905 personnes provenant d’Afrique de
l’Ouest, ce qui est relativement faible en comparaison des 42’2266 ressortissants
qui proviennent des Balkans, Turquie comprise. Cependant, l’Afrique de l’Ouest
abrite de nombreux pays francophones. Le facteur de la langue sera dans ce cas
primordial puisqu’il facilitera l’intégration professionnelle du travailleur, mais aussi
la coordination entre les différentes filières impliquées dans le projet (écoles
professionnelles, gouvernements, multinationales). Aussi, le schéma ci-dessous
met en évidence les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina
Faso, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Togo, Cameroun, Sénégal).
Cas hypothétique de l’Afrique de l’Ouest
Légende:
Jumelage d’écoles professionnelles de différentes régions
de Suisse avec les écoles professionnelles des pays
francophones d’Afrique de l’Ouest avec capitales
marquées d’une étoile
45
Ces brèves études de cas doivent seulement aider le lecteur à mieux comprendre le genre de projet que
CSEND se propose de faire dans une région. Dans les deux cas, une étude plus approfondie devrait être
faite pour confirmer le choix que CSEND a fait pour ces deux régions.
22
Dans la région, la coopération suisse offre depuis longtemps une aide
substantielle à des pays comme le Bénin, le Burkina Faso, le Mali ou le Niger46.
Enfin, cette région démontre un intérêt certain pour CSEND et son programme
du fait des grandes vagues de clandestins en provenance de ces pays qui
foulent le Continent européen. Pour lutter contre ce phénomène, il est
indispensable de lutter contre les disparités entre le Nord et le Sud. Le projet
CSEND a justement l’avantage de proposer une solution globale qui lutterait
contre la pauvreté endémique à de nombreux pays d’Afrique.
Les Balkans occupent une place toute particulière dans l’histoire récente de
l’immigration en Suisse. En effet, la Suisse est le pays qui, après l’Allemagne, a
accueilli le plus grand nombre de ressortissants de l’ex-Yougoslavie durant les
différentes guerres qui ont frappé la région entre 1991 à 199947.
Cas hypothétique des Balkans et de la Turquie
Légende:
Jumelage d’écoles professionnelles de
différentes régions de Suisse avec les écoles
professionnelles des pays des Balkans
(+Turquie) ne faisant pas partie de l’UE ou
n’ayant pas de procédure d’adhésion en
cours avec l’UE avec capitales marquées
d’une étoile
Les ressortissants balkaniques et en particulier les Serbes, les Bosniaques, les
Macédoniens et les Kosovars sont fortement représentés en Suisse48. La
Turquie, a aussi vu durant ces dernières décennies bon nombre de ses
ressortissants venir s’installer en Suisse49
46
Voir les fiches relatant l’engagement du SECO et de la DDC dans les pays Afrique de l’Ouest sur
http://www.sdc.admin.ch/fr/Accueil/Pays/Afrique_occidentale
47
OECD (Organization for Economic Cooperation and Development). « International Migration Outlook ».
Paris 2000. Selon ce rapport, l’Allemagne, en 2000, abritait 1.119 millions de ressortissants d’ExYougoslavie alors que la Suisse , elle, en accueillait 321’000. En proportion de sa population étrangère
totale, la Suisse dépasse cependant l’Allemagne avec une population d’Ex-Yougoslavie, à l’époque, qui
compte pour 23.1% de la population étrangère totale contre 15.3% en Allemagne.
48
En 2006, selon l’Office Fédéral des Statistiques (OFS), 201’232 ressortissants provenaient de SerbieMonténégro qui incluait alors le Kosovo, 60’716 de Macédoine et 44120 de Bosnie-Herzégovine.
49
Toujours selon l’OFS, en 2006, 76’797 résidants d’origine turque vivaient en Suisse
23
Du fait des grandes diasporas installées en Suisse, les autorités suisses ont tissé
de nombreux liens avec les pays de ces communautés. Aussi, la Serbie, le
Monténégro, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine mais aussi la Macédoine, ou
l’Albanie sont aujourd’hui des pays qui reçoivent les faveurs de l’aide publique au
développement de la Suisse. Dans le cas présent, l’intégration sera facilitée par
des facteurs autres que la langue tels que l’importance des communautés vivant
en Suisse, les liens de coopération qui unissent ces pays à la Suisse ou la
proximité de ces derniers avec la Suisse.
Dans les deux cas que CSEND a élaboré et comme les deux cartes le laissent
suggérer, plusieurs écoles professionnelles dans une région donnée de Suisse
pourraient tisser des liens avec plusieurs écoles d’un pays de la région
concernée. Les écoles suisses d’une même région pourraient dès lors collaborer
et se coordonner pour offrir leur soutien et leur expertise à des écoles d’un
même pays et dans une même région. Un système décentralisé permettrait une
meilleure concertation, donnerait plus de responsabilité aux entités et aux
établissements scolaires impliqués et garantirait ainsi l’effectivité du projet.
3.2.2. Avantages d’un tel programme
Le premier avantage d’un tel programme tient de l’aide que constituerait cet
apport de main d’œuvre pour venir combler le déficit de main d’œuvre en Suisse
et en Europe. Les obstacles à la libéralisation des services liés à l’éducation sont
nombreux50. La formation professionnelle sur modèle suisse de travailleurs extracommunautaires combinée à un apprentissage de ces derniers en Suisse
faciliteraient leur entrée sur sol suisse. Les diplômés au sortir de leurs écoles
professionnelles seraient dotés de la qualification et de l'expérience requises
pour obtenir une place de travail vacante en Suisse en toute légalité (embauche,
pas d'entrée illégale). La dimension temporaire de ces programmes ainsi que la
nécessité d’une telle main d’œuvre pour l’économie du pays d’accueil des
migrants convaincraient sans doute les autorités du bien-fondé et de la mise en
œuvre d’une telle initiative.
En jumelant les nouvelles écoles professionnelles à l’étranger avec des écoles
de formation professionnelle suisses, le certificat final serait plus facilement
reconnu en Suisse et, par conséquent, offriraient plus de chances aux jeunes
diplômés de trouver un emploi. De nombreux étrangers aujourd’hui ne peuvent
tout simplement pas exercer leur métier car leurs diplômes, certificats et
apprentissages ne sont pas reconnus en Suisse51. Ce type de programme
résoudrait en partie le problème des équivalences entre la Suisse et les pays en
transition ou en développement.
50
Saner, Raymond & Fasel, Sylvie. “Negotiating Trade in Educational Services within the WTO/GATS
Context”. .Aussenwirtschaft, 59. Jahrgang, Heft II, Zürich: Rüegger, 2003, p. 292.
51
Fröhlicher-Stines, Carmel & Kelechi Monika Mennel. Les Noirs en Suisse:Une vie entre intégration et
discrimination. Etude élaborée sur mandat de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), Berne 2004.
24
Les entreprises en Suisse pourraient s'appuyer sur une main-d'œuvre qualifiée
correspondant à leurs attentes et ainsi éviter les problèmes rencontrés
aujourd’hui lors de certains recrutements. Cette nouvelle main d’œuvre
permettrait aux autorités de faire face à la pénurie de main d’œuvre liée au
vieillissement de la population. De plus, il n’y aurait plus lieu de s’alarmer de la
réticence qu’éprouve la jeunesse locale à accepter certains emplois.
Le deuxième avantage d’un tel programme est de renforcer le capital humain des
travailleurs immigrés Les travailleurs immigrés des pays extra-communautaires
sont une minorité dans leur pays d’accueil à bénéficier d’un enseignement
supérieur car, à côté des difficultés financières que certains peuvent rencontrer,
peu d’entre eux savent véritablement quelles sont les opportunités qu’offre une
formation en école professionnelle en Suisse. Les nombreux programmes de
formation continue sont souvent liés à une formation professionnelle de base qui
ne trouve pas d’équivalence dans les diplômes que les travailleurs immigrés
possèdent. Ceci réduit les chances des migrants de pouvoir compléter ou
actualiser leur formation professionnelle. En outre, les travailleurs immigrés
doivent souvent affronter des formes ouvertes ou déguisées de racisme qui les
dissuadent de s'inscrire dans des programmes de formation continue.
Un troisième avantage du programme met en exergue l’aisance que mettraient
les migrants à s’intégrer dans le pays hôte grâce à leurs compétences sociales
et professionnelles. La Confédération helvétique, après la signature de l’accord
sur la libre circulation des personnes avec l’UE à mis en place un système
d’équivalence des titres obtenus avec ses voisins européens. Le système
européen de transfert et d’accumulation des crédits (ECTS) qui a pour fonction
de décrire un programme de formation grâce à des crédits, permet de faciliter la
reconnaissance des diplômes ainsi que les échanges entre les établissements
scolaires et universitaires à l’échelle internationale. L’obtention d’un diplôme issu
d’une école professionnelle jumelée avec un établissement de formation suisse
et la poursuite d’une expérience professionnelle en Suisse permettraient aux
migrants d’obtenir dans leurs pays un diplôme conforme au système européen
de transfert et d’accumulation des crédits. De plus, le système dual de formation,
calqué sur le modèle suisse, offrirait aux migrants les connaissances et la
crédibilité dont ils auraient besoin pour s’intégrer et évoluer aisément dans le
monde du travail d’un pays suisse ou européen et garantiraient aux entreprises
une main d’œuvre bénéficiant des compétences dont elles ont besoin.
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Conclusion
Un déséquilibre de main d’œuvre parfois alarmant touche plusieurs secteurs de
l’économie suisse. Le gouvernement suisse, tout en maintenant une politique
restrictive en matière d’immigration, a pris de nouvelles mesures qui visent à
favoriser l’accès des travailleurs hautement qualifiés dans les secteurs en plein
essor.
Ces travailleurs étant de plus en plus difficile à trouver en Europe, les
gouvernements européens mettent en place des programmes qui visent à attirer
des travailleurs d’autres continents. D’un autre côté, les secteurs qui emploient
des travailleurs faiblement ou moyennement qualifiés ne peuvent bénéficier que
difficilement de telles dérogations, alors que les PME (Petites et Moyennes
Entreprises) sont nombreuses à souffrir d’une insuffisance de main d’œuvre qui
risque à terme de fragiliser sévèrement certaines d’entre elles.
Les travailleurs immigrés ne peuvent souvent pas exercer un métier qui
correspond à leur qualification. N’ayant pas d’autre choix de métier, ces derniers
se résignent donc souvent à exercer des métiers dans l’économie souterraine.
La situation actuelle démontre que les travailleurs non-européens qui travaillent
en Suisse sont souvent sous-qualifiés par rapport à leurs semblables suisses. Il
serait souhaitable d’investir dans des formations qui répondent aux exigences
suisses. Pour ce faire, le système dual suisse peut être transposé à l’étranger.
La mise à contribution des écoles professionnelles suisses offriraient leur
expertise aux écoles professionnelles dans les pays des migrants pour offrir à
ces derniers une formation digne de celle qu’ils recevraient en Suisse alors que
les entreprises suisses dans ces mêmes pays leur offriraient une expérience qui
correspondrait aux attentes du secteur en Suisse.
En effet, tous les acteurs impliqués dans un tel programme auraient quelque
chose à gagner. Le migrant d’abord se verrait offrir une opportunité d’aller
travailler en Suisse. Sa formation lui offrirait la garantie d’une place de travail
pour une durée déterminée dans un secteur manquant de travailleurs ayant une
qualification comparable à la sienne. Une partie de son salaire pourrait être
épargnée ou transférée pour être réinvestie dans l’optique d’un retour ultérieur
dans son pays d’origine. L’expérience acquise lors de son séjour à l’étranger lui
donnerait par ailleurs un avantage décisif à son retour chez lui lorsqu’il s’agira
pour lui de trouver du travail et de faire valoir ses compétences.
Le pays d’origine du migrant n’aurait pas à souffrir de la fuite de l’un de ces
cerveaux puisque le retour du travailleur chez lui serait une condition sine qua
non du succès d’un tel projet. Le programme offrirait des possibilités inespérées
de développement au pays du migrant par le biais des transferts de fond
effectués aux proches, mais aussi grâce aux compétences acquises par ce
dernier à l’étranger.
26
Du point de vue du pays hôte, les qualifications du travailleur immigré offriraient
une solution efficace au problème du manque de main d’œuvre semi-qualifiée.
Par ailleurs, ces séjours ne susciteraient pas d’élan xénophobe chez la
population locale du fait de la courte durée des séjours des migrants, de leur
bonne intégration et du peu d’intérêt que suscitent les emplois qu’occuperaient
les travailleurs qui bénéficieraient des ces programmes.
La législation suisse a toujours fait des exceptions en terme d’immigration pour
garantir sa croissance économique. Cette migration choisie doit aujourd’hui
pouvoir s’appliquer à tous les secteurs de l’économie et à tous les types de
travailleurs.
Un programme visant les pays extra-communautaires et s’adressant à des
travailleurs évoluant dans ces secteurs permettrait de limiter les ralentissements
sectoriels qui menacent l’économie suisse. Rapidement opérationnels, ils
offriraient une réponse à court et à long terme au problème de la pénurie de
main d’œuvre et au vieillissement de la population en Suisse tout en offrant aussi
des opportunités aux pays tiers de réduire leur niveau de pauvreté.
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CSEND est une organisation à but non lucratif de recherche et de
développement, créée à Genève en 1993. CSEND élabore dans différentes
parties du monde de nombreux projets à grande échelle pour le compte de
la Confédération Suisse et d’autres organisations internationales dans des
domaines touchant aux réformes institutionnelles et aux ressources
humaines. Ce document est destiné à promouvoir une autre stratégie pour
faire face au phénomène du vieillissement de la population, de la pénurie
de main-d'œuvre, des migrations et de l’aide au développement en général.
Plus d’informations sur les programmes et les activités de CSEND et de
Diplomacy Dialogue sont disponibles sur les sites suivants :
www.csend.org & www.diplomacydialogue.org
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