Les Partis d`Extrême Droite et leur discours en Europe

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Les Partis d`Extrême Droite et leur discours en Europe
LES PARTIS D’EXTREME DROITE
ET LEUR DISCOURS en europe:
Un défi de notre temps
Réseau européen contre le racisme
Auteurs: Robin Wilson et Paul Hainsworth
Publié par le Réseau européen contre le racisme (ENAR) à Bruxelles en mars 2012, avec le soutien du Programme
communautaire pour l’emploi et la solidarité sociale - PROGRESS (2007-2013) et de Open Society Foundations.
PROGRESS est géré par la Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances de la
Commission européenne. Il a été établi pour appuyer financièrement la poursuite des objectifs de l’Union européenne
dans les domaines de l’emploi et des affaires sociales, tels qu’ils sont énoncés dans l’agenda social, et contribuer ainsi à la
réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne dans ces domaines. Le programme, qui s’étale sur sept ans, s’adresse
à toutes les parties prenantes susceptibles de contribuer à façonner l’évolution d’une législation et de politiques sociales
et de l’emploi appropriées et efficaces dans l’ensemble de l’UE-27, des pays de l’AELE-EEE ainsi que des pays candidats
et pré-candidats à l’adhésion à l’UE.
PROGRESS a pour mission de renforcer la contribution de l’UE et d’aider ainsi les États membres à respecter leurs
engagements et mener à bien leur action. Dès lors, il contribuera à fournir:
1. une analyse et des conseils dans les domaines d’activité qui lui sont propres;
2. à assurer le suivi et à faire rapport sur l’application de la législation et des politiques communautaires dans ces mêmes
domaines;
3. à promouvoir le transfert de politiques, l’échange de connaissances et le soutien entre les États membres concernant
les objectifs et priorités de l’Union;
4. à relayer les avis des parties prenantes et de la société au sens large.
Pour plus d’informations: http://ec.europa.eu/progress
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Mise en page et impression par Crossmark.
Traduction par Azita Rahimpoor.
Ce rapport est soutenu par la Fondation ENAR. Vous pouvez soutenir son travail pour une Europe sans
racisme en faisant un don en ligne: www.enarfoundation.eu
Table des matières
Table des matières
Avant-propos................................................................................................................... 2
Résumé . ........................................................................................................................ 3
Introduction.................................................................................................................... 5
Remerciements................................................................................................................ 5
Glossaire des partis......................................................................................................... 5
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite............................................................ 6
Introduction...................................................................................................................................................................... 6
Elections et électeurs .................................................................................................................................................. 7
Définitions......................................................................................................................................................................... 9
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite .................................................................... 11
Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite ..................................................................................14
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite .......................15
Le rôle des médias.......................................................................................................................................................16
Chapitre 4: Contester l’extrême droite............................................................................ 19
Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion .............................................................. 22
Bibliographie................................................................................................................. 24
1
Avant-propos
Avant-propos
L’extrême droite gagne en popularité partout en Europe et influence tant les conservateurs que
les partis politiques au pouvoir. Plusieurs exemples en témoignent: la popularité croissante des
Vrais Finlandais en Finlande et du Parti de la Liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, ainsi que
l’institutionnalisation des partis d’extrême droite parmi les partis politiques européens dans des
pays comme l’Autriche, le Danemark et la France.
Plutôt que de développer des idées novatrices et montrer un certain courage politique, nombreux
sont ceux qui préfèrent épouser les thèmes de l’extrême droite sous prétexte que « l’extrême droite
pose les bonnes questions mais y apporte les mauvaises réponses ». Plusieurs dirigeants politiques
ont tendance à répondre aux problématiques auxquelles sont confrontées l’Union européenne et
ses Etats membres d’une façon réactionnaire au lieu d’être innovants. Ces problématiques, qui
requièrent non seulement une réflexion novatrice mais aussi la reconnaissance de la richesse
des talents dans une Europe de la diversité, incluent une population vieillissante, l’immigration,
les inégalités croissantes entre les revenus des riches et des pauvres, la crise économique et
financière, le chômage, pour n’en nommer que quelques uns. Lorsque les dirigeants politiques
empruntent les discours de l’extrême droite afin de gagner certaines parties de l’électorat de
celui-ci, cela banalise l’héritage de la démocratie et contribue indirectement à la violence
extrémiste en Europe.
Les victimes des mouvements d’extrême droite proviennent souvent de communautés de
minorités: les Roms, les noirs, les musulmans, les juifs, les gays et lesbiennes, entre autres.
Mais les massacres récents à Oslo et à Utøya démontrent que les idéologies d’extrême droite
constituent un danger pour la société toute entière, et pas seulement pour les minorités. N’importe
qui peut devenir victime de la violence des fanatiques d’extrême droite qui veulent éradiquer la
diversité de nos sociétés. Etant donné que le discours d’extrême droite est construit au travers des
expériences quotidiennes et des attitudes de ses membres et, dans une certaine mesure, par la
société dans son ensemble, une analyse des différents aspects de ce mouvement d’extrême droite
grandissant est plus que nécessaire.
Cette publication vise dès lors à offrir une analyse des partis politiques d’extrême droite au
sein de l’Union européenne en examinant la situation politique actuelle ainsi que le discours
et le contexte de ces partis. Elle étudie les différents arguments utilisés dans le discours de
l’extrême droite et les raisons de son succès grandissant partout en Europe, et évalue en outre les
différences entres les Etats membres de l’UE. Elle explore également la manière dont les autres
partis politiques, organisations et sociétés ont répondu aux défis de cette présence de l’extrême
droite, et propose des alternatives au succès de l’extrême droite visant à accroître sa popularité
au travers de messages simples.
La publication fait partie intégrante de la conceptualisation du ‘grand récit progressiste’ d’ENAR
sur l’égalité et la diversité pour tous, qui vise à façonner une nouvelle vision de la société qui
reconnaisse les bienfaits et la nécessité de l’égalité et de la diversité pour créer une société et
une économie européennes dynamiques. L’idée est de contrer la tendance des systèmes politiques
consistant à construire des identités nationales homogènes, en adoptant et promouvant la notion
d’une société hétérogène et inclusive, qui reconnaît et valorise les différentes cultures, ethnicités,
religions, genres et de nombreuses autres caractéristiques « de la différence ». ENAR vise ainsi
à changer les attitudes, les politiques et les pratiques afin que tous les membres de la société,
quels que soient la couleur de peau, le genre, la religion, le handicap, l’orientation sexuelle, etc.
puissent jouir d’une participation et d’une égalité totale au sein de la société européenne.
Chibo Onyeji
Président d’ENAR
2
Résumé
Résumé
Victoires et revers de l’extrême droite
d’extrême droite ont été capables de marquer leur distance
par rapport au fascisme, de se moderniser et de convaincre
les électeurs, ils ont été à même d’en tirer profit. A cet égard,
ces partis sont allés à la pêche, tout comme la gauche, dans le
réservoir des « perdants » indécis et inquiets « de la globalisation
». De fait, les partis politiques d’extrême droite vainqueurs ont
remplacé les anciens partis communistes en tant que partis des
« travailleurs » dans certains pays.
Aperçu
L’extrême droite semble gagner en popularité partout en
Europe. Alors qu’elle s’étend à travers l’Union européenne, elle
a influencé tant les conservateurs que les partis politiques au
pouvoir. L’extrême droite a connu des succès variés et mitigés
au cours de ces dernières décennies en Europe. Différents partis
dans différents pays et parfois les mêmes partis dans les mêmes
pays ont connu des hauts et des bas dans les urnes au fil du
temps. Dans certains pays, les victoires électorales des partis
d’extrême droite indiquent qu’il ne s’agit pas uniquement
d’un vote de protestation, d’un événement ponctuel ou d’un
phénomène passager, mais que ces partis jouissent d’une
institutionnalisation de facto parmi les partis politiques
européens (par exemple, en Autriche, en Italie, au Danemark,
en Suisse et en France). D’autre part, un certain nombre
d’Etats membres de l’UE ont connu récemment des percées
assez soudaines et inattendues des partis d’extrême droite,
communiquant ainsi l’image paneuropéenne d’un électorat
de plus en plus nombreux et réceptif à cette famille politique
(par exemple, en Suède, en Finlande, aux Pays-Bas et en
Hongrie). Par ailleurs, dans certains pays (Allemagne et GrandeBretagne), les partis d’extrême droite n’ont grappillé que de
faibles pourcentages des suffrages et sont considérés comme «
totalement inacceptables » par la plupart des électeurs et par la
société civile. Il convient néanmoins de noter que, même dans
ces pays, ces partis ont enregistré des avancées significatives
au cours de la décennie écoulée et ont connu des succès
limités au niveau supranational, local et régional. Pour ce qui
est des pays méditerranéens, les partis d’extrême droite y sont
apparus mais ne sont pas parvenus à reproduire les résultats
de leurs homologues et de leurs prédécesseurs en termes de
succès électoral et de stature. Le parti d’extrême droite Alerte
orthodoxe populaire (LAOS) a toutefois augmenté son score en
2007, faisant ainsi son entrée au Parlement national grec.
Le discours de l’extrême droite
Les partis d’extrême droite on trois caractéristiques principales: 1)
le populisme, caractérisé par un franc-parler et un discours antiélite et contestataire, 2) l’autoritarisme, et 3) le « nativisme »,
c’est-à-dire la combinaison du nationalisme et de la xénophobie.
L’hostilité à l’immigration a clairement été l’un des leitmotif du
discours de l’extrême droite pendant de nombreuses années.
Néanmoins il ne s’agit plus tant de maintenir les immigrés hors
des frontières que d’avoir un débat public sur la signification
de l’intégration. En effet, les populistes prétendent que certains
groupes ont une identité culturelle qui ne peut pas être intégrée,
vu qu’elle est soi-disant incompatible avec les valeurs libérales.
L’hostilité à l’Islam est une autre des composantes principales du
discours de l’extrême droite de ces dernières années. Les partis
d’extrême droite qui ont remporté les scores les plus importants
en Europe en sont arrivés à externaliser leur xénophobie
intrinsèque: ce n’est pas « nous » qui sommes racistes, ce sont
« eux », les musulmans qui sont la source de l’intolérance.
Même si de nombreux partis d’extrême droite en Europe
occidentale reconnaissent que l’antisémitisme ne peut pas
s’exprimer dans la sphère publique, il est significatif en Hongrie,
en Pologne, dans les Etats baltes, en Bulgarie et en Roumanie.
En outre, les attitudes anti-Roms ont été significatives dans
la rhétorique et le militantisme de l’extrême droite, et pas
seulement en Hongrie avec Jobbik, mais également en Bulgarie,
en République tchèque, en Italie, en France et ailleurs.
Elections et électeurs
Les élections ont servi de moyen d’expression de la réussite tout
autant que de l’échec de l’extrême droite. Souvent les percées
historiques des partis d’extrême droite les ont mis en évidence
auprès d’un électorat plus vaste. Par ailleurs, les élections
directes au Parlement européen ont également fourni des
occasions rêvées aux partis d’extrême droite pour imprimer leur
marque. Par ailleurs, leur participation à un gouvernement leur
confère une certaine légitimité, mais ils doivent également faire
face à des problèmes en lien avec le mandat même d’un parti
populiste et contestataire.
L’euroscepticisme revêt une importance croissante dans le
discours de l’extrême droite et pourrait constituer un facteur de
réussite future pour cette famille politique. La crise de la zone
euro a aiguillé les positions anti-UE de l’extrême droite, faisant
le lien comme elle le fait entre les idées de « souveraineté
nationale » et la destitution des Etats « plus faibles » comme
la Grèce. La crise offre à l’extrême droite une structure et
une opportunité politique à exploiter. Un autre aspect socioéconomique est l’idée de la « préférence nationale » qui
est associée au « chauvinisme social », refusant le droit à la
protection sociale aux « étrangers » représentés comme des
parasites s’y accrochant.
Les élections ont permis aux partis d’extrême droite de s’attirer
divers degrés de soutien, mettant souvent à mal les stéréotypes
attachés à « l’électorat d’extrême droite ». Là où les partis
3
Résumé
Explications de l’émergence et du succès de
Recommandations pour contester l’extrême droite
l’extrême droite
Pour contester l’extrême droite, il faut prendre en compte et
exploiter les deux talons d’Achille de l’extrême droite. En effet,
alors qu’elle se présente comme l’incarnation d’opinions politiques
démocratiques venant de la base, l’extrême droite est en fait
profondément ancrée dans des idées fixes concernant « l’ordre »,
qui sont directives et ne tolèrent aucune divergence d’opinion. En
outre, les partis d’extrême droite ne possèdent pas d’alternative
positive à proposer par rapport à l’économie déflationniste du
centre droit, dominant désormais une UE intergouvernementale.
Ainsi donc, alors que l’extrême droite pourrait chuchoter à l’oreille
du travailleur (d’archétype blanc et de sexe masculin) qui a perdu
son emploi qu’un immigré a « volé » son travail, elle n’a rien à
proposer sur la façon dont il pourrait obtenir un autre emploi.
Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite
Les premières descriptions relatives aux victoires et aux percées
de l’extrême droite dans les pays de l’UE avaient plutôt tendance
à mettre l’accent sur le changement sociétal général. Les
partis politiques traditionnels ne sont pas parvenus à satisfaire
leurs électorats et dès lors, des espaces se sont ouverts où de
nouveaux mouvements sociaux et les représentants de leurs
partis se sont emparés des électeurs des partis traditionnels d’une
part, et les partis d’extrême droite en ont fait de même d’autre
part. Néanmoins, la prise d’initiative a aussi son importance et
les attributs mêmes des partis constituent un facteur essentiel
sur le chemin de la victoire. Les partis d’extrême droite qui ont
réussi sont ceux qui ont été capables de s’organiser et de saisir
les opportunités et d’exploiter les niches existant dans le système
politique et de parti de leur propre pays.
Par conséquent, les progressistes partout en Europe doivent:
Proposer une alternative cosmopolite au nationalisme et
une alternative égalitaire à la hiérarchie. Concrètement,
les progressistes doivent développer un projet commun
fédérateur plutôt que séparateur. Ce projet inclurait les partis
politiques et les réseaux véritablement européens ainsi qu’un
New Deal moderne permettant d’offrir espoir et sécurité à
tous.
Les partis d’extrême droite prospèrent lorsque les partis
traditionnels sont arrivés à une convergence en termes de
politiques et de pratiques. La convergence permet aux partis
d’extrême droite de dépeindre les gouvernements de gauche et de
droite traditionnels comme étant fondamentalement « les mêmes
» et ils insistent par conséquent sur la nécessité de les confronter
à des perspectives alternatives sur des questions telles que
l’immigration et l’intégration européenne. En outre, l’adoption par
les partis de centre gauche des notions d’une « troisième voie
» entre la gauche et la droite a présagé de l’acceptation de la
mondialisation néo-libérale, ce qui a permis aux partis d’extrême
droite de se présenter comme les seules forces anti-establishment
défendant la volonté du peuple.
Se focaliser sur le niveau local et faire un travail de proximité
avec les résidents locaux et leurs préoccupations. Cela est lié
à la nécessité de s’inspirer des ressources de la société civile
et d’encourager une implication accrue de la population dans
la vie politique et citoyenne.
Faire usage du dialogue interculturel, qui reconnaît la réalité
empirique de la diversité culturelle et le besoin concomitant
d’égalité des citoyens et d’impartialité des pouvoirs publics
pour prévenir la discrimination et l’aliénation. Le but devrait
être de transformer les questions symboliques potentiellement
explosives dans le domaine de la « politique identitaire » en
problèmes concrets à résoudre.
Les partis d’extrême droite partagent des éléments discursifs
communs sur l’ensemble du continent européen. Néanmoins, là
où ils sont parvenus à influencer la politique traditionnelle, ils
y sont arrivés en partie en faisant clairement le lien entre ces
éléments et d’autres thèmes à portée nettement plus nationale.
Ainsi par exemple, le PVV aux Pays-Bas a évité les écueils de la
moindre association avec l’Holocauste en adoptant une position
forte en faveur d’Israël et des Etats-Unis.
Le rôle des médias
Quelle que soit la portée du discours de l’extrême droite, sa
résonance dépend du rôle d’interface joué par les médias (y
compris les réseaux sociaux). Les partis d’extrême droite et
leurs porte-parole exercent un attrait particulier sur les médias,
parce qu’ils parviennent à se poser en « petits nouveaux » du
monde politique et sont capables d’insister sur les questions
qui leur tiennent à cœur, à savoir l’immigration et l’Islam,
qui sont trop facilement présentés d’« étrangers » à la société
d’accueil et font l’objet de sensationalisme. En outre, les médias
populaires braquent les projecteurs médiatiques sur le chef de
file charismatique d’un parti ayant un message populiste plutôt
que sur des figures plus modestes et collégiales, et encore moins
sur les véritables propositions politiques en jeu. L’extrême droite
a également tenté de contourner les médias traditionnels en
utilisant l’internet à cet effet.
4
Introduction
Introduction
Le but de cette publication est d’examiner le discours et le contexte des partis politiques d’extrême droite existant sur le territoire
de l’Union européenne. L’on ne peut pas simplement faire l’impasse sur les partis d’extrême droite contemporains ou ignorer les
problèmes qui alimentent leur fonds de commerce et les arguments qu’ils avancent. Les partis de cette famille politique ont eu un
impact, à des degrés divers, sur la politique et la société européennes ces dernières années. Ainsi donc, cette publication, en plus
d’examiner le discours de l’extrême droite et le contexte dans lequel celle-ci s’est développée, se focalise aussi sur d’autres aspects
clés des partis politiques contemporains d’extrême droite en Europe, notamment leur succès actuel et le défi consistant à contester
ces partis.
En guise d’introduction, le chapitre 1 examine les principales évolutions des partis politiques d’extrême droite, mettant surtout
en exergue leur succès électoral ou d’autres réussites qu’ils ont obtenues dans les pays de l’UE. Il souligne notamment que les
élections constituent un moment important permettant de mesurer la position de ces partis et il se penche par ailleurs sur quelques
questions de définition. Le chapitre 2 s’appuie sur des entretiens avec des experts, des analyses secondaires et des publications des
partis d’extrême droite, permettant d’approfondir la compréhension de leur discours. Le chapitre 3 tente d’expliquer l’émergence
et le succès de l’extrême droite. Le chapitre 4 explore les réactions des autres partis politiques et organisations ainsi que celles de
la société face au défi que constitue la présence de l’extrême droite, à son succès et à son discours. Une chose est claire: les partis
d’extrême droite ne vont pas « s’en aller » ou imploser en tant que phénomène car les circonstances et le contexte dans lesquels ils
ont émergé et prospéré ne vont probablement pas se dissiper dans un avenir immédiat. Le chapitre 5 formule quelques remarques
de conclusion sur l’extrême droite dans l’UE et propose un discours alternatif progressiste permettant de faire face au discours de
l’extrême droite en ces temps difficiles.
Remerciements
Glossaire des partis
Nous sommes surtout reconnaissants aux experts, aux
militants des ONG et aux spécialistes des médias qui nous ont
généreusement accordé leur temps et offert leur expertise afin
de renforcer notre compréhension de l’univers de l’extrême
droite. Il est évident qu’ils n’ont aucune responsabilité par
rapport aux points de vue que nous exprimons dans la présente
publication.
AN
Ataka
BNP
DF DPP DUP
FN
FPÖ Jobbik
LAOS
LN
LPF MS-FT
NDP
NPP
NVA
PS
PVV
SD
SVP
VB
Nous aimerions exprimer nos remerciements envers :
Peter Barabas, Rédacteur en Chef, Euronews, Lyon
Prof. (émerite) Hans-Georg Betz
Prof. Kristina Boréus, Université de Stockholm
Glyn Ford, ex-eurodéputé, Parti travailliste, Grande-Bretagne,
Comité exécutif de Unite Against Fascism
Dr Marc Helbling, Centre de recherche en sciences sociales,
Berlin
Prof. Piero Ignazi, Université de Bologne
Prof. Bert Klandermans, Université VU, Amsterdam
John MacLeod, Rédacteur en chef, Institut d’étude sur la guerre
et la paix, Londres
Prof. Nonna Mayer, CNRS et Centre d’études européennes,
Sciences Po, Paris
Prof. Cas Mudde, Université De Pauw à Greencastle, Indiana
Valeriu Nicolae, Centre de politique pour les Roms et les
minorités, Bucarest
Hans Rauscher, Chroniqueur, Der Standard, Vienne
Prof. Marc Swyngedouw, Université de Louvain
Kurt Wachter, Institut viennois pour le dialogue et la coopération
internationale
Prof. Ruth Wodak, Université de Lancaster
5
Alliance nationale (Italie)
Attaque (Bulgarie)
Parti national britannique
Parti du peuple danois
Parti du progrès danois
Parti unioniste démocrate (Irlande du Nord)
Front National (France)
Parti autrichien de la liberté
Mouvement pour une meilleure Hongrie
Alerte orthodoxe populaire (Grèce)
Ligue du Nord (Italie)
Liste de Pim Fortuyn (Pays-Bas)
Mouvement social – Flamme tricolore (Italie)
Parti national-démocrate (Allemagne)
Parti du progrès norvégien
Nouvelle alliance flamande (Belgique)
Vrais Finlandais
Parti pour la liberté (Pays-Bas)
Démocrates de Suède
Parti du peuple suisse
Vlaams Belang (Intérêt flamand) (Belgique)
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite
Introduction
des élections présidentielles françaises en 2002) et 12 pour cent
pour ce qui est du Vlaams Belang (en 2007). En 2004, le Vlaams
Belang a été également le principal parti au Parlement flamand,
disposant de 32 sièges (sur 124) et ayant remporté 24,2 pour cent
des voix.
En Europe occidentale, l’extrême droite a connu des succès variés
et mitigés au cours de ces dernières décennies. Différents partis
dans différents pays et parfois les mêmes partis dans les mêmes
pays ont connu des hauts et des bas dans les urnes au fil du temps.
Dans un ou deux pays, notamment en Autriche et en Italie, les
partis d’extrême droite – le Parti autrichien de la liberté (FPÖ) (26,9
pour cent et 52 sièges aux élections parlementaires de 1999) et
la Ligue du Nord (LN) (doublant ses suffrages et passant à 8,3 pour
cent et 60 sièges aux élections parlementaires de 2008) – sont
parvenus à intégrer les gouvernements en place, même s’ils ne
sont jamais devenus des acteurs majeurs sur l’échiquier politique
de leur pays. Le FPÖ est devenu le deuxième plus grand parti au
Parlement autrichien et son Président, feu Jörg Haider, a été le
« négociateur » lors de la formation du gouvernement de coalition
entrant. Il convient de noter que les élections de 1999 en Autriche
ont été qualifiées par certains observateurs de « succès le plus
retentissant d’un parti d’extrême droite en Europe depuis cinquante
ans » (Pedazhur et Brichta 2002: 31). Par ailleurs, il faut se pencher
sur l’évolution de l’Alliance Nationale (AN) en Italie, dirigée par
Gianfranco Fini. En effet, en dépit de ses origines néo-fascistes en
tant que Mouvement social italien (MSI), l’AN a tempéré son image
publique, s’est officiellement dissoute et a intégré le gouvernement
dirigé par Silvio Berlusconi (Tarchi, 2003; 2005). Dans l’intervalle,
la LN a participé à plusieurs gouvernements Berlusconi au cours
de ces vingt dernières années, bien qu’elle ait précipité la chute de
l’un de ses gouvernements et ait finalement réclamé la démission
du Cavalieri en 2011 (voir Albertazzi et McDonnell, 2005; Wilson,
2009).
Les partis mentionnés dans les paragraphes précédents constituent
des exemples de partis d’extrême droite qui ont gagné un soutien
significatif de façon assez constante tout au long des dernières
décennies, depuis le début de leur percée. Le fait que ces partis aient
pu obtenir de telles victoires électorales à l’occasion de plusieurs
scrutins semble indiquer qu’il ne s’agit pas uniquement d’un vote
de protestation, d’un événement ponctuel ou d’un phénomène
passager, mais que ces partis jouissent d’une institutionnalisation
de facto parmi les partis politiques européens (Pedahzur and Brichta,
2002). Mudde met également en garde contre le fait d’invoquer
hâtivement le rôle de la crise pour expliquer le succès des partis
populistes radicaux de droite, étant donné notamment que « bien
qu’intuitivement cela puisse paraître aisé à appréhender, il s’avère
assez difficile d’en préciser les contours » (Mudde 2007: 205).
Contrairement aux exemples mentionnés plus haut, un certain
nombre d’Etats membres de l’UE ont connu récemment des
percées assez soudaines et inattendues des partis d’extrême droite,
communiquant ainsi l’image paneuropéenne d’un électorat de plus
en plus nombreux et réceptif à cette famille politique. En Suède, par
exemple, outre le succès furtif de la Nouvelle démocratie (6,7 pour
cent des suffrages et 25 sièges au Riksdag en 1991), l’extrême droite
n’avait guère enregistré de réussite significative depuis la guerre
jusqu’à ce que les Démocrates suédois (SD) obtiennent un score
de 5,7 pour cent aux élections parlementaires de 2010 et entrent
au Riksdag pour la première fois. Le secrétaire international de ce
parti a affirmé: «Nous avons changé le débat. Ils ne peuvent plus
nous ignorer comme ils avaient l’habitude de le faire auparavant »
(Biswas, 2011: 15). D’autres pays également, tels que la Finlande, la
Hongrie et les Pays-Bas, ont récemment fait preuve de schémas non
dissemblables de comportement et de résultats électoraux.
Dans d’autres pays tels que le Danemark et la Suisse, les partis
d’extrême droite (le parti du peuple danois – DF et le Parti du peuple
suisse – SVP) ont soit appuyé, soit obtenu une place à la table du
gouvernement au cours de ces dernières années. En effet, depuis
1999, le SVP s’est de plus en plus concentré sur des questions
telles que l’Europe, l’immigration, les demandeurs d’asile et l’Islam
et a émergé comme le parti politique le plus important de Suisse,
atteignant son plus haut score lors des élections parlementaires
fédérales de 2007 où il a remporté 29 pour cent des suffrages et
62 sièges sur 200. Ailleurs, en France et en Belgique notamment,
les partis d’extrême droite – le Front National (FN) et le Vlaams
Belang (Intérêt flamand – VB) (appelé Vlaams Blok avant 2004) –
ont obtenu des résultats électoraux impressionnants à plusieurs
reprises, même s’ils ont été en grande partie mis à l’écart, soumis au
cordon sanitaire et marginalisés par les partis politiques dominants
et les coalitions en place. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils
n’ont pas eu d’impact mais plutôt que leurs victoires électorales et
le succès de leurs discours ont été obtenus en tant qu’ « outsiders »
par rapport aux grands courants politiques traditionnels. A ce titre,
ces partis ont obtenu comme score maximum 16,9 pour cent des
voix en ce qui concerne le FN (pour le leader Jean-Marie Le Pen lors
Lors des élections générales de 2011 en Finlande, par exemple,
le parti « Vrais Finlandais » (PS) – anti-immigrés et eurosceptique
– est remonté d’un niveau nettement plus bas (4,1 pour cent des
suffrages et cinq sièges en 2007) pour arriver à un score de 19 pour
cent des voix et 39 sièges (sur 200), ce qui en a fait le troisième
plus grand parti au parlement national finlandais (Arter, 2011).
Les élections en Finlande ont coïncidé avec la crise persistante
de la zone euro et les Vrais Finlandais ont transformé en fonds de
commerce la possibilité pour la Finlande de devoir payer une partie
des fonds nécessaires au plan de sauvetage des pays de l’UE à la
dérive. Ainsi qu’un observateur l’a résumé, le soutien croissant aux
Vrais Finlandais reflète « l’humeur de notre époque » et contribue
à ce que le pays « s’aligne profondément sur les fondamentaux
de la scène politique européenne de l’année écoulée, à savoir
6
l’émergence d’une extrême droite populiste conjuguant la nostalgie
des valeurs et des traditions en perte de vitesse à un appel antiimmigrés et anti-UE ».1
des suffrages et sont considérés comme « totalement inacceptables »
par la plupart des électeurs et par la société civile. Il convient
néanmoins de noter que, même dans ces pays, des partis tels que
le Parti national britannique (BNP) et le Parti national démocrate
allemand (NPD) ont enregistré des avancées significatives au cours
de la décennie écoulée et ont connu des succès limités au niveau
supranational, local et régional. En outre, l’attention que les médias
ont accordée à ces partis a été considérable et a sans doute été bien
au-delà de ce à quoi un petit parti aurait pu raisonnement s’attendre
(Ellinas, 2010).
Par ailleurs, en Hongrie, lors des élections parlementaires de 2010,
le Mouvement d’extrême droite pour une Hongrie Meilleure (Jobbik)
a recueilli, pour la première fois, 16,7 pour cent des suffrages et 47
sièges, et est ainsi devenu le troisième plus grand parti de ce pays. Le
Jobbik avait gagné trois sièges aux élections européennes de 2009
et était en pleine ascension, en dépit de sa réputation d’antisémite,
ses sentiments anti-Roms et ses liens paramilitaires (Ország-Land,
2010). Aux Pays-Bas également, avec le Parti de la liberté (PVV)
en 2007 et plus fortement encore en 2010, Geert Wilders a repris
le flambeau anti-islamique de Pim Fortuyn, assassiné, dont la
liste (LPF) avait opéré une percée spectaculaire lors des élections
générales de 2002 (Belanger and Aarts, 2006). Fortuyn avait basé sa
campagne victorieuse sur le besoin de contenir l’influence de l’Islam
aux Pays-Bas. Le PVV a accru sa part des suffrages, passant de 5,9
pour cent des voix en 2007 à 15,5 pour cent en 2010 et occupant
15 sièges au lieu de neuf auparavant. Il est ainsi apparu aux yeux
de nombreuses personnes comme étant le véritable vainqueur des
élections. Il est également à noter que le PVV a soutenu la coalition
chrétiens-démocrates/travaillistes qui a finalement vu le jour suite
aux négociations post-électorales (Van Kessel, 2011b).
Pour ce qui est des pays méditerranéens qui ont vécu de longues
périodes de dictature (Espagne, Portugal) ou qui ont été soumis à des
régimes autoritaires de plus courte durée (Grèce), les partis d’extrême
droite y sont apparus dans l’après-guerre mais ne sont pas parvenus à
reproduire les résultats de leurs homologues et de leurs prédécesseurs
en termes de succès électoral et de stature. Certaines évolutions
relativement mineures ont pu être constatées, mais dans l’ensemble,
comme l’a résumé un observateur avisé, il est « trop tard pour la
nostalgie, trop tôt pour la protestation post-matérielle » (Ignazi,
2003: 11). Le parti d’extrême droite Alerte orthodoxe populaire (LAOS)
a toutefois augmenté son score, passant de 2,2 pour cent des voix en
2004 à 3,8 pour cent en 2007, faisant ainsi son entrée au Parlement
national grec en remportant 10 sièges (sur les 300). Plus récemment,
la crise de l’eurozone a ouvert une nouvelle brèche pour le LAOS et
lui a permis de s’intégrer à la coalition gouvernementale non élue en
novembre 2011, ce qui est une première depuis la fin de la dictature
militaire de 1974. Il est incontestable que la débâcle économique a
offert à l’extrême droite en Grèce une structure et une opportunité
politique à exploiter, grâce à la pression de l’UE.
Dans les pays nordiques, le Parti du progrès norvégien (NPP) et
le Parti du progrès danois (DPP) sont passés du statut de parti de
protestation populiste, militant contre le fisc et la bureaucratie, à celui
de parti de droite populiste, radical, protestataire et anti-élite, faisant
du contrôle de l’immigration l’un de leurs fers de lance. Le NPP a
recueilli 22 pour cent des suffrages et 38 sièges en 2005, ce qui en
a fait le premier parti de droite et le deuxième parti sur l’échiquier
politique norvégien. Quant au DPP, il a enregistré des résultats dignes
d’intérêt dans les années 70 et 80, mais il a été devancé à la fin
des années 80 par le Parti du peuple danois (DF) qui a obtenu de
12 à 13 pour cent des suffrages lors des élections (2001, 2005) et a
joué un rôle de soutien dans les années 2000 auprès de la coalition
gouvernementale libéraux/conservateurs, obtenant en contrepartie
une certaine influence sur les décisions politiques et quelques postes
au sein des commissions parlementaires. A la même époque, dans
les pays de l’Europe centrale et orientale, on note d’ores et déjà la
percée de Jobbik, mais dans d’autres pays on assiste également au
succès des partis d’extrême droite populistes à divers degrés, par
exemple Ataka en Bulgarie, les Républicains tchèques, les Partis
nationaux en Slovénie et en Slovaquie, ainsi que le Parti de la grande
Roumanie. On pourrait penser que ces partis sont moins organisés
que leurs homologues en Europe occidentale et qu’ils sont davantage
anti-démocratiques et activistes (Goodwin, 2011:3; Haughton et al,
2011; Minkenberg, 2011; Mudde 2005; 2007). Néanmoins, l’une
des victimes de l’extrême droite en Europe centrale et orientale est
incontestablement la population rom, bien que les pays de l’Europe
occidentale ne soient en aucun cas à l’abri de la discrimination à
l’égard des Roms.
Après une présentation sommaire des différents partis d’extrême
droite et leur évolution sur le territoire de l’Union européenne, il
convient de noter également que leur émergence, leur consolidation
et leurs récents succès n’ont pas toujours eu un caractère constant.
Par exemple, lors des dernières élections parlementaires et des
élections au Parlement européen en 2009, le Vlaams Belang a perdu
des voix et des sièges et le score du FN lors des élections de 2007 a
fortement dégringolé comparé à la déferlante Le Pen de 2002. Quant
au BNP, bien qu’il ait gagné deux sièges au Parlement européen en
2009, il a perdu de nombreux sièges qu’il avait remportés au sein
des Conseils municipaux en Angleterre dans les années 2000. Pour
ce qui est du Danemark, lors des élections parlementaires de 2011,
le DF a perdu du terrain (trois sièges) et son pouvoir de négociation
s’est affaibli étant donné que la coalition gouvernementale a basculé
du centre droit vers le centre gauche. Quant à l’Italie, la LN n’a pas
tout à fait reproduit ses succès électoraux des années 90. En Suisse
également, les élections parlementaires fédérales de 2011 ont ralenti
la progression du SVP (huit sièges) vu le basculement vers le centre,
bien que ce parti ait obtenu le score important de 26,6 pour cent
des suffrages. Le NPP en Norvège a souffert d’une plus grande perte
encore lors des élections locales de septembre 2011 et le score du
parti est passé de 17,5 pour cent (en 2007) à 11,4 pour cent, ce qui
est bien loin du chiffre record de 22,9 pour cent des suffrages et 41
sièges aux élections parlementaires nationales de 2009 en Norvège.
Par ailleurs, dans certains pays (Allemagne, Grande-Bretagne), les
partis d’extrême droite n’ont grappillé que de faibles pourcentages
Elections et électeurs
1
Ian Traynor, ‘Eurosceptic True Finns party surprise contender in Finnish election’ (Le
parti eurosceptique Vrais Finlandais: candidat surprise aux élections en Finlande),
Guardian, 15 avril 2011 (www.guardian.co.uk/world/2011/apr/15/eurosceptic-truefinns-contender-finnish-election)
Il devient dès lors clair que les élections ont servi de moyen
d’expression de la réussite tout autant que de l’échec de l’extrême
7
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite
droite. Souvent les percées historiques des partis d’extrême droite
les ont mis en évidence auprès d’un électorat plus vaste. Ainsi que
nous l’avons déjà évoqué, les élections parlementaires récentes
en Finlande (2011), en Hongrie (2010) et aux Pays-Bas (2010) sont
une illustration de ce phénomène. En ce qui concerne les élections
françaises, elles ont constitué des moments importants pour que JeanMarie Le Pen puisse se faire une large publicité et obtenir des millions
de votes. Dans un tel contexte, le score électoral assez confortable
réalisé par Le Pen lors des élections présidentielles françaises de
2002 a été l’un des plus élevés parmi les succès obtenus récemment
par l’extrême droite en Europe occidentale, permettant au président
du FN de devancer lors du second tour le principal candidat de la
gauche (Lionel Jospin du Parti socialiste) qui se présentait alors face à
Jacques Chirac, chef de file de la droite et Président de la République
en exercice (Bell et Criddle, 2002).
d’enregistrer un léger recul auprès de cet électorat (26 pour cent)
lors des élections présidentielles historiques de 2002, atteignant
néanmoins sa plus haute moyenne générale (17 pour cent). Même
ainsi, lors de ces élections, le soutien qu’il a obtenu de la classe
ouvrière était deux fois plus important que celui de ses rivaux Chirac
et Jospin (Hainsworth, 2004). Lors du scrutin présidentiel de 2007,
les suffrages obtenus par Le Pen ont diminué et ont atteint les 10
pour cent, mais est néanmoins parvenu à engranger 24 pour cent
de l’adhésion de la classe ouvrière (Shields, 2010). Les succès de Le
Pen auprès du prolétariat ont été ainsi résumés par un analyste avisé
(Mayer, 1998: 11): « Le président du FN semble avoir davantage de
succès parmi les ouvriers de sexe masculin qui sont politiquement
indécis et vivent et travaillent dans un environnement urbain où les
thèmes de l’immigration et de la criminalité sont plus d’actualité ».
Lorsque Marine Le Pen a été élue présidente du FN en 2011, des doutes
ont forcément vu le jour quant à ce nouveau chef de file, femme qui plus
est, au sein d’un parti et d’une famille politique qui s’étaient toujours
attirés un soutien majoritairement parmi les électeurs masculins. On
s’est notamment demandé si elle était capable d’obtenir les mêmes
résultats que son père charismatique auprès de l’électorat général et
plus particulièrement de la classe ouvrière. Il est significatif de constater
qu’à moins d’un an des élections présidentielles françaises de 2012, les
sondages d’opinion montrent d’une part que les intentions de vote sont
de 20 pour cent de l’électorat général et atteignent le chiffre stupéfiant
de 44 pour cent parmi les électeurs de la classe ouvrière, et que d’autre
part, Marine Le Pen devance nettement les intentions de vote obtenues
par son prédécesseur auprès de l’électorat féminin (Goodwin, 2011a: 7).
Par ailleurs, les élections directes au Parlement européen ont
également fourni des occasions rêvées aux partis d’extrême droite
pour imprimer leur marque, notamment lorsque le FN a remporté 11
pour cent des suffrages et obtenu 10 sièges au Parlement européen
en 1984 avant d’obtenir par la suite des résultats plus remarquables
encore. Ou lorsque le BNP, opérant une percée moindre bien que
significative, a obtenu ses deux premiers sièges européens en 2009,
après avoir remporté plusieurs victoires électorales locales dans
les années 2000, après que Nick Griffin soit devenu chef de file de
ce Parti (Goodwin, 2011b). Les scrutins à la proportionnelle, basés
sur la représentation et utilisés pour les élections du Parlement
européen en France et en Grande-Bretagne, ont tous deux offert plus
de place à l’extrême droite alors que dans ces deux pays, le scrutin
à la majorité (à l’exception d’une courte période de représentation
proportionnelle entre 1986 et 1988, sous la Cinquième République
en France) offre très peu de perspective à l’extrême droite en termes
de réussite électorale et d’obtention de sièges au Parlement national.
Les élections – où les partis d’extrême droite remportent des
victoires importantes au niveau local et régional, tout en exploitant
les référendums européens – ont permis à ces partis de jouir d’une
couverture médiatique et d’utiliser leur discours pour s’emparer
de facto de certaines thématiques, notamment de la question de
l’immigration.
Un schéma semblable d’attrait de la classe ouvrière pour l’extrême
droite s’est dessiné en Autriche lorsque le Parti socialiste (SPÖ) a perdu
un nombre important de ses électeurs, effectifs et potentiels, au profit
de son rival, le FPÖ. Alors qu’en 1979, les socio-démocrates avaient
remporté 63 pour cent des suffrages des ouvriers, contre uniquement
45 pour cent pour le FPÖ, vingt ans plus tard ces scores ont été
radicalement modifiés: le FPÖ a obtenu le chiffre considérable de 47
pour cent de soutien auprès de la classe ouvrière (et 27 pour cent de
l’ensemble des voix) contre 35 pour cent pour le SPÖ. Ces résultats
ont connu des hauts et des bas depuis les élections générales de
1999 où le FPÖ a intégré la coalition gouvernementale en partenariat
avec le Parti populaire autrichien (ÖVP). En effet, lors des élections
de 2002, le FPÖ a enregistré un net recul et n’a obtenu que 10 pour
cent des suffrages dont 16 pour cent des voix des ouvriers, alors que
la droite et la gauche faisaient une entrée en force dans les rangs
des ouvriers qui votaient auparavant pour l’extrême droite, ainsi qu’au
niveau de la totalité des voix (Luther, 2003a; 2003b).
Les élections ont permis à ces partis de s’attirer divers degrés de
soutien, mettant souvent à mal les stéréotypes attachés à «l’électorat
d’extrême droite », et de toucher des électeurs qui auraient auparavant
été considérés comme hors de portée par certains observateurs.
Les partis d’extrême droite marginalisés en Grande-Bretagne et en
Allemagne ont eu quelques difficultés à se défaire de l’image qui
leur collait à la peau. Dans d’autres pays par contre, là où les partis
d’extrême droite ont été capables de marquer leur distance par
rapport au fascisme, de se moderniser et de convaincre les électeurs,
ils ont été à même d’en tirer profit. A cet égard, comme le mentionne
Bert Klandermans, ces partis sont allés à la pêche, tout comme la
gauche, dans le réservoir des «perdants » indécis et inquiets « de la
globalisation ».2
La leçon en a été simple: les suffrages gagnés ne sont pas irréversibles
et peuvent être perdus. Par ailleurs, même en participant à un
gouvernement, ce qui leur confère une certaine légitimité, les partis
d’extrême droite doivent également faire face à des problèmes en
lien avec le mandat même d’un parti populiste et contestataire. Une
étude éloquente concernant ce scénario résume ainsi cette situation
vécue par l’extrême droite: « réussite dans l’opposition, échec
au gouvernement » (Heinisch, 2003). Comme Luther (2011: 468)
l’explique, les choses dépendent fortement de la façon dont les partis
d’extrême droite font la transition entre une politique d’opposition,
l’obtention d’un maximum de voix avant de passer à de hautes
charges politiques et d’âpres prises de décisions, ce qui signifie que
la possibilité pour « les ex-partis outsiders de prospérer après leur
Par exemple, lors des élections présidentielles françaises de 1988,
Le Pen a gagné 20 pour cent de l’électorat ouvrier. Lors des élections
suivantes, en 1995, il a accru sa part de suffrages de la classe ouvrière
pour parvenir au chiffre impressionnant de 30 pour cent, avant
2
Entretien, 28 novembre 2011
8
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite
entrée au gouvernement dépendra fortement de leur leadership et
de leur capacité à identifier et à mettre en œuvre des stratégies et
une conduite correspondant au nouvel objectif des partis – briguer
le pouvoir – et leur aptitude à faire face aux tensions inéluctables
provoquées par la transition vers une fonction officielle ».
s’intégrer à un gouvernement (Mair, 2006). En second lieu, le
capitalisme industriel « national », doté auparavant de relations
de classe et d’une protection sociale relativement stables, a laissé
la place à un capitalisme d’information mondialisant en cette ère
néo-libérale (Castells, 1996): « le travailleur industriel classique »
(celui-ci est en effet principalement ciblé par l’extrême droite pour
attirer son soutien) s’est retrouvé dans l’incapacité de rivaliser avec
les « analystes symboliques » ayant les pleins pouvoirs, luttant
pour survivre dans les économies de service, informelles ou même
criminelles laissées en place (Kaldor, 2004: 166). Cela a permis aux
capitaines politiques de l’extrême droite de se poser en voix des
« petites gens », négligées face à l’establishment politique. Conjugué
à la stigmatisation ethnique, ce phénomène a offert un terrain propice
aux « prédicateurs de la haine » (Roxburgh, 2002) tels que Filip de
Winter, Geert Wilders, feu Jörg Haider et Christoph Blocher et leur
a permis d’émerger et de gagner un soutien important parmi les
couches populaires.
Les exemples mentionnés plus haut concernant la France et
l’Autriche montrent des réussites relativement importantes pour
des partis d’extrême droite parvenus à gagner les voix de la classe
ouvrière. Pour ce qui est du FN, plusieurs raisons laissent également
penser que ce succès s’est aussi développé auprès des personnes
proches des syndicats. En effet, un tiers des personnes se réclamant
proches du parti se déclaraient également proches d’une organisation
syndicale, ce qui signifierait que les syndicats n’ont pas été capables
de résister à la « pénétration » et à la « mobilisation » du FN et que les
syndiqués nourrissaient, dans une certaine mesure, des points de vue
négatifs à l’égard des travailleurs immigrés (Schain, 2006: 281-282).
Au Royaume-Uni, par contre, le BNP a été moins convaincant, malgré
la stratégie de modernisation qu’il a mise en œuvre au cours des dix
dernières années (Goodwin, 2011). Ailleurs, toutefois, on a pu voir lors
de certains scrutins que les ouvriers accordaient un soutien significatif
aux partis d’extrême droite. Le succès éclair de la Nouvelle démocratie
lors des élections de 1991 en Suède en est une illustration: ce parti
était alors parvenu à attirer un nombre impressionnant d’électeurs
ayant déserté les rangs des socio-démocrates (Widfeldt, 2000: 497).
D’ailleurs, le DF et le NPP ont accru leurs suffrages auprès des
ouvriers, élection après élection, dès le début des années 70 jusque
dans les années 90. Il convient également de noter que ces deux
partis ont été les deux premiers partis non-socialistes de leur propre
pays à ne pas être sous-représentés parmi les travailleurs manuels
(Andersen et Bjørklund, 2000: 216-218).
Ainsi donc, alors que les partis d’extrême droite sont parvenus à obtenir
l’appui d’un public considérable – touchant parfois des segments qui
pourraient ne pas être considérés par certains observateurs comme le
vivier évident de ces partis – la possibilité de futures victoires persiste
bel et bien. Les résultats d’un certain nombre d’enquêtes récentes
démontrent notamment cette perspective (Bartlett et al, 2011;
Goodwin, 2011; John and Margetts, 2009).
Définitions
Jusqu’à présent, nous avons utilisé le terme « extrême droite » pour
désigner les partis et les mouvements passés sous la loupe. Mais les
observateurs ont adopté tout un éventail de concepts pour dépeindre
les partis politiques décrits plus hauts. Comme l’a souligné l’une des
personnes faisant autorité dans ce domaine (Mudde, 2007: 11) « que
ce soit dans les médias ou dans le monde scientifique et universitaire,
une déferlante de termes a vu le jour depuis le début des années
80 ». Dans un tel contexte, et comme on pouvait s’y attendre, certains
auteurs ont remis en question l’utilisation même du terme « extrême
droite » (Bartlett et al, 2011: 25): « Même s’ils sont qualifiés d’
«extrême droite », nombre de ces groupes sont difficiles à classer
selon les catégories politiques traditionnelles, car non seulement ils
combinent des éléments philosophiques de la gauche et de la droite,
mais ils les associent également à un langage et à une rhétorique
populistes ». A cet égard, les Vrais Finlandais, par exemple, « ne sont
en général pas considérés comme un parti d’extrême droite »3 et
certains laissent entendre que ce parti, plutôt que d’être doté d’un
noyau d’extrême droite, est vraisemblablement composé d’une aile
droite radicale qui a son franc-parler. D’ailleurs, Jean-Yves Camus
décrit le Parti du peuple suisse (SVP) comme emblématique d’un
parti gouvernemental qui ne se situait pas à l’extrême droite, ni
idéologiquement, ni historiquement, mais qui se trouvait « à la droite
agraire » et qui, sous la houlette de Christoph Blocher, a évolué « vers
des positions populistes et xénophobes se reflétant dans ses discours
sur la nécessité de mettre fin à l’immigration et de réduire le nombre
de demandeurs d’asile » (Camus, 2005:15; voir aussi Carter, 2005: 9).
Pour donner un autre exemple, les observateurs néerlandais signalent
que le LPF de Pim Fortuyn « a mobilisé le soutien des électeurs en
faisant de l’amalgame entre l’immigration et la criminalité le thème
Pour résumer, on peut dire que le vote des ouvriers et la prolétarisation
électorale des partis d’extrême droite victorieux se sont tellement
banalisés, qu’ils constituent une pratique tout à fait habituelle dans
différents pays de l’UE. On constate d’ailleurs qu’il existe de plus
en plus de publications consacrées à ce phénomène indiquant la
surreprésentation des ouvriers dans les rangs des électeurs des
partis d’extrême droite. De fait, les partis politiques d’extrême
droite vainqueurs ont remplacé les anciens partis communistes en
tant que partis des « travailleurs » dans certains pays. En outre, les
partis d’extrême droite ont été capables de s’accaparer une partie de
l’électorat général des partis socio-démocrates pour diverses raisons.
De l’avis de Van der Brug et Spanje (2009), une partie des électeurs a
des sympathies de gauche sur les questions socio-économiques et de
droite au sujet de l’immigration. Van Kessel (2010: 13) explique dès
lors la façon dont, en suivant la méthode populiste, le PVV de Wilders
est parvenu, lors des élections de 2010 aux Pays-Bas, à « convaincre
de nombreux ex-partisans, vraisemblablement de gauche, du Parti
travailliste et du Parti socialiste », ainsi que de nombreux libéraux,
chrétiens démocrates et abstentionnistes.
Le lien traditionnel entre les partis nationaux de gauche et la classe
ouvrière a ainsi été rompu aux deux extrémités. En premier lieu,
ces partis ont été exposés à l’érosion plus générale du système
politique dans les démocraties développées – dans le cas qui nous
préoccupe, essentiellement en Europe occidentale – étant donné
que les partis politiques sont devenus moins représentatifs de la
voix des différentes catégories de citoyens et davantage un moyen
permettant aux membres d’une classe politique déconnectée de
3
9
‘True Finns real winners in Finnish ballot’ (Les Vrais Finlandais : les véritables
gagnants du scrutin en Finlande), magazine Searchlight, juin 2011 (www.searchlightmagazine.com/index.php?link=template&story=350)
Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite
essentiel de sa campagne », mais que cela n’en fait pas pour autant
un parti appartenant à la famille politique d’extrême droite (Van der
Brug, cité dans Carter, 2005: 9).
comme exemple le FPÖ qui se plaint en Autriche de ce qu’il appelle
la Sprachpolizei, le prétendu refus d’écouter la vox populi.6
Comme le faisait remarquer le défunt philosophe politique italien
Norberto Bobbio, (1996a: 90), le mot « peuple » est un terme ambigu
qui attire les dictateurs parce que la démocratie est fondée sur le
rassemblement des voix des citoyens, reflétant ce que Bobbio qualifie
de « concept individualiste de société » dans lequel les droits humains
trouvent également leur source. Selon lui, il faudrait par conséquent se
méfier des personnes qui préconisent un concept anti-individualiste,
y compris pratiquement toutes les « doctrines réactionnaires ». Dans
son autopsie classique du clivage gauche-droite, Bobbio (1996b: 7879) démontre que ce qui différencie la gauche de la droite, c’est leur
position respective sur la question de l’égalité. Il montre par ailleurs
qu’au niveau d’un deuxième axe politique, celui de la liberté contre
l’autorité, l’équation n’est pas aussi tranchée. Dès lors, on comprend
aisément que les opinions diverses et divergentes concernant les
liens entre l’autorité et la liberté aient donné naissance à tout un
ensemble de familles politiques et de partis:
(a) la gauche « jacobine », égalitaire mais autoritaire
(b) la gauche « libérale », égalitaire et libertaire
(c) le centre droit, inégalitaire et libertaire
(d) l’extrême droite, anti-libérale et anti-égalitaire
Par souci de cohérence et pour avoir un texte d’une longueur
acceptable, cette publication ne va pas étudier ce dernier point
dans les détails. Il convient néanmoins de noter que les qualificatifs
suivants ont été utilisés par différents auteurs à divers moments,
dans différents contextes et pour différents partis politiques: extrême
droite, droite radicale, parti populiste d’extrême droite, parti populiste
extrême, néo-populiste, populiste d’exclusion, droite populiste
radicale, parti anti-immigrés, parti populiste radical de droite, néofasciste et nouveau parti populiste (voir Hainsworth, 2008: 5-23;
Mudde, 2007: 11-12). Une partie de cette imprécision tient à la
diversité et à la nature même de l’extrême droite, ainsi que le souligne
Nonna Mayer.4 En effet, l’extrême droite inclut des partis comme le
FN et le Vlaams Belang, dérivant de l’extrême droite traditionnelle,
des partis tels que le FPÖ et le SVP où c’est le parti parlementaire
de droite qui s’est radicalisé, ou encore des partis nordiques militant
contre l’Etat et la protection sociale tels que le DF et le NPP, des
partis séparatistes comme la LN, des partis d’extrême droite postcommunistes comme Ataka en Bulgarie et le Jobbik en Hongrie, et
encore d’autres partis populistes d’extrême droite plus récents tels
que le PVV et les Vrais Finlandais.
En soi, affirme Hans-Georg Betz, le populisme est « un signifiant
insignifiant ».7 Il n’en reste pas moins que, dans la réalité des choses,
c’est le discours et le ressort populiste de nombreux mouvements
d’extrême droite qui ont contribué à leur victoire et qui inspirent la
crainte chez les forces politiques rivales et chez leurs adversaires. En
effet, leur discours autoritaire et populiste à la recherche de boucs
émissaires s’est diffusé dans la pensée conservatrice plus large, et
même au-delà. Un exemple plus extrême est illustré par la Hongrie de
Viktor Orban, soumise à l’influence de Jobbik, qui a défié les valeurs
universelles des institutions européennes en 2012. Celles-ci n’ont
pas pu répondre à ce défi jusqu’à ce que la dépendance économique
accrue de la Hongrie sous le leadership d’Orban l’affaiblisse.
Les « communistes » ont joué le rôle de boucs émissaire pour le
« Viktator », tout comme pour Silvio Berlusconi en Italie.
Etant donné le franc-parler et le discours anti-élite et contestataire
des différents mouvements d’extrême droite, il n’y a rien d’étonnant
à ce que le populisme figure en bonne place sur la longue liste
des qualificatifs utilisés par les différents observateurs. De fait,
les caractères de l’acronyme grec LAOS correspondent au terme
«populisme » (Wilson, 2009). Kitschelt (2002: 179) a défini le
populisme comme étant « l’expression de mécontentement face aux
modes existants d’intermédiation politique entre les élites et la masse
et le désir d’abandonner les intermédiaires qui se trouvent entre les
citoyens et les dirigeants ». A ce sujet, Betz (2003: 195) pense que
« les partis radicaux de droite profitent surtout de leur capacité de se
vendre en tant que défenseurs des gens ordinaires ».
Dans un récent article paru dans l’Economist, on pouvait lire:
« L’Europe a une nouvelle voix discordante. Les populistes antimusulmans, anti-élites, antimondialisation et de plus en plus antiBruxelles ont aujourd’hui un certain poids dans les pays nordiques,
au même titre qu’aux Pays-Bas et en Flandre, en France, en Italie, en
Autriche et dans certaines parties de l’Europe de l’Est. Ces groupes
prennent des formes très variées, mais ils se réclament tous de
Pierre Poujade, le populiste français d’après-guerre, le premier se
préoccupant des « petites gens arnaquées et bernées ».5 On constate
que les partis d’extrême droite, en tant que tels, parviennent à
mobiliser la population autour de différents problèmes, notamment
le soutien au logement social, la lutte contre la criminalité violente
ou la campagne contre la construction de mosquées locales ou de
centres pour demandeurs d’asile. C’est ainsi que dans son numéro
spécial de juin 2011, le magazine New Internationalist fait valoir
que « les partis populistes d’extrême droite essayent de s’affirmer en
tant que voix authentique du peuple et représentant de la majorité
silencieuse. Ils prétendent aborder les thèmes qui sont ignorés par les
élus politiques » (Bitwas, 2011: 17). A cet égard, Ruth Wodak donne
4
5
Dans son analyse, Bobbio met en lumière une importante distinction:
les partis d’extrême droite victorieux ont peut-être poursuivi une
politique populiste plutôt que d’adopter l’attitude pugilistique
des skinheads et des squadristi8. Néanmoins, cette politique ne
correspond pas aux véritables valeurs et normes démocratiques. De
tels partis conservent une vision fondamentalement autoritaire du
monde. Il s’agit-là de l’un des talons d’Achille de l’extrême droite:
alors qu’elle se présente comme l’incarnation d’opinions politiques
démocratiques venant de la base, l’extrême droite est en fait
profondément ancrée dans des idées fixes concernant « l’ordre », qui
sont directives et ne tolèrent aucune divergence d’opinion.
Après avoir présenté le cadre de cette publication dans ce premier
chapitre, nous allons expliquer dans le chapitre suivant la façon dont
le populisme, ce « signifiant insignifiant », construit son discours et
quelles sont les composantes de sa rhétorique.
6
7
8
Communication personnelle, 16 novembre 2011
‘Beyond the fringe’ (Par-delà les lisières), Economist, 12 novembre 2011 (www.economist.com/node/21536873)
10
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 14 novembre 2011
Des groupes paramilitaires fascistes actifs en Italie des années 20 jusqu’à la fin de la
2ème guerre mondiale
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite
En ce qui concerne la situation générale, Carter a examiné les
victoires des partis d’extrême droite et leurs variantes en Europe
occidentale et a étudié plus particulièrement les raisons des
succès et des échecs de cette famille politique. L’idéologie ou le
discours constitue ici un facteur important, mais il existe d’autres
variables telles que la prise d’initiative, les liens avec les partis
politiques traditionnels et l’impact des institutions électorales
des partis d’extrême droite et des partis traditionnels. Pour ce
qui est de l’idéologie (ou discours), Carter présente une typologie
subdivisant les partis d’extrême droite en cinq catégories: néo-nazi
(par exemple le NPD en Allemagne), néo-fasciste (par exemple le
Mouvement social italien – La Flamme tricolore en Italie – MSFT), xénophobe et autoritaire (par ex. le FN en France et le FPÖ en
Autriche), xénophobe néolibéral (par exemple le DF au Danemark)
et populiste néolibéral (par exemple le NPP en Norvège, avant le
milieu des années 1980) (Carter, 2005: 13-63). Alors que les deux
premières catégories ont eu des difficultés pour remporter des
suffrages, les trois derniers groupes ont eu davantage de succès.
Bien entendu, ces victoires sont dues au fait que certains partis
ont eu un discours moins extrémiste que d’autres, mais il convient
également de prendre en compte d’autres facteurs: le leadership,
l’organisation, les expériences d’intégration gouvernementale, la
capacité des partis traditionnels à « s’approprier leurs idées » (par
exemple sur une question telle que l’immigration) ou encore si
la convergence des partis traditionnels a ouvert des espaces ou
des niches dont pourrait bénéficier l’extrême droite. En d’autres
termes, le discours a son importance, mais ce n’est pas le seul
élément qui compte.
Et cette nation est idéalisée avec nostalgie et imaginée comme
une communauté homogène, ce qui assombrit et renforce en
même temps la hiérarchie sociale élargie de la caractéristique
autoritaire des sociétés capitalistes contemporaines (Wilkinson et
Pickett, 2009).
Pour l’extrême droite, il est essentiel de dépeindre toutes ces
thématiques comme des préoccupations de « l’homme de la rue »
contemporain, auxquelles l’extrême droite est la seule à apporter
des réponses honnêtes et franches, étant donné que les chefs de
file de l’extrême droite savent pertinemment qu’il leur serait fatal
d’être présentés par les partis situés ailleurs sur l’échiquier politique
comme irrévocablement arrimés à l’histoire du fascisme. Marine Le
Pen, par exemple, affirme avoir « dédiabolisé » le FN et explique
que si ses adversaires se contentent de la présenter comme un
«Jean Marie numéro deux » ils font fausse route.10 L’ex-eurodéputé
Glyn Ford, qui a longtemps fait campagne contre l’extrême droite,
reconnaît que le passage des générations et la transformation de
l’extrême droite, en réaction aux défis auxquels elle a été confrontée,
ont fait en sorte qu’associer le terme « nazi » à l’extrême droite
apporte peu de retour politique aux progressistes. Il affirme que
dans ce sens, il est difficile de maintenir un cordon sanitaire ferme
autour de cette extrême droite « édulcorée », plus particulièrement
lorsque celle-ci se présente comme dégagée de sa position de paria
et simplement davantage « patriote ». Entre-temps, les lignes sont
devenues plus « floues sur les bords » étant donné que la droite
traditionnelle est en concurrence avec cette menace électorale
élargie pour l’obtention d’un soutien,11 lors d’épisodes tels que le
discours tristement célèbre « Le bruit et l’odeur », stigmatisant les
immigrés et soutenant le chauvinisme social, prononcé par le maire
de Paris de l’époque (1991), Jacques Chirac.12
Dans son enquête menée sur « la droite radicale et populiste » en
Europe, Mudde (2007) a identifié trois caractéristiques principales
chez cette famille politique. Ainsi que nous l’avions déjà décrit dans
le chapitre précédent, le populisme et l’autoritarisme sont deux
de ces traits essentiels. Mais l’extrême droite est caractérisée par
un troisième élément clé, à savoir le « nativisme ». Selon Mudde,
il s’agit de la combinaison du nationalisme et de la xénophobie.
Comme l’indique Smith (1999), le nationalisme implique la croyance
selon laquelle la nationalité d’une personne (quelle qu’elle soit) en
fait un membre du peuple élu et lui confère le sens d’une mission
historique spéciale déniée au commun des mortels. Kristina Boréus
l’explique usant d’une autre formulation: le nativisme ajoute à cette
croyance en la supériorité nationale une détermination qui exclut
les non-ressortissants vivant dans le pays et/ou leurs pratiques
culturelles jugées menaçantes pour « l’Etat-nation ». 9 D’emblée,
il devient clair que l’essence de ces revendications de l’extrême
droite concorde avec le style de sa politique populiste et autoritaire.
Pour ce qui est de la politique de préférence et d’exclusion, elle est
présentée comme si le parti était l’incarnation du « peuple » contre
les élites qui ont soi-disant trahi la « nation ».
9
Swyngedouw et Ivaldi ont apporté leur contribution à la
compréhension du discours de l’extrême droite en effectuant une
analyse comparative (2001) des manifestes des partis clés de cette
famille politique en France (FN) et en Belgique (Vlaams Belang). Ces
auteurs examinent les croyances idéologiques principales de ces
deux partis et y perçoivent une vue ethnocentrique selon laquelle
les peuples sont différents sur la base de leur origine culturelle
ou ethnique. Les systèmes de croyance de ces partis représentent
les immigrés comme des facteurs de menace sociale, tarissant
les ressources de l’Etat et constituant un signe de décadence
nationale. Ils les considèrent par ailleurs comme préjudiciables à
l’image utopique d’une communauté nationale organique, telle
qu’imaginée par l’extrême droite. Dans cette analyse, les auteurs,
tout en signalant l’attachement de ces deux partis politiques à la
10 Kim Wilsher, ‘France’s National Front enjoys renaissance under Marine Le Pen’
(Marine Le Pen fait renaître le Front National en France), Guardian, 7 novembre 2011
(www.guardian.co.uk/world/2011/nov/06/france-front-national-le-pen)
11 Entretien, 9 décembre 2011
12 Le paragraphe principal se trouve sur ce lien: http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_bruit_
et_l'odeur_(discours_de_Jacques_Chirac)
Communication personnelle, 23 novembre 2011
11
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite
démocratie représentative, mettent en lumière « un ensemble de
valeurs ethnocentriques, autoritaires et anti-égalitaires qui sont
à la base d’une idéologie essentiellement non-démocratique »
(Swyngedouw et Ivaldi, 2001: 1).
même jusqu’à prétendre qu’ils ne sont pas en soi contre les étrangers,
donnant à entendre, comme ils l’ont fait en Allemagne, qu’ils visent
tout simplement les musulmans « délinquants ».19
Comme d’autres auteurs, Mayer identifie l’hostilité à l’Islam comme
l’une des composantes principales du discours de l’extrême droite
de ces dernières années, tout en attirant l’attention sur le fait que
Carl Hagen du NPP lançait déjà en 1987 une mise en garde, disant
que les mosquées pourraient bientôt faire autant partie du paysage
que les églises. Alors que les partis d’extrême droite de l’aprèsguerre froide en Europe de l’Est peuvent encore adopter un langage
ouvertement xénophobe et antisémite, comme nous le verrons plus
loin, les partis d’extrême droite qui ont remporté les scores les plus
importants en Europe occidentale en sont arrivés à externaliser
leur xénophobie intrinsèque: ce n’est pas « nous » qui sommes
racistes, soutiendra Wilders, ce sont « eux », les musulmans qui
sont la source de l’intolérance.20 Dans son « Plan en dix points
pour sauver l’Occident », Wilders fait valoir que les gens devraient
« arrêter de prétendre que l’Islam est une religion. L’Islam est une
idéologie totalitaire ». Dans son manifeste destiné aux dernières
élections générales, le BNP (2010) promettait également un
« contre-jihad: confronter la colonisation islamique de la GrandeBretagne ». Ailleurs, le SVP déclare que l’Islam ne requiert pas
en soi la construction de minarets, se dédouanant ainsi de la
responsabilité de la controverse sur la construction des mosquées
en Suisse, ainsi que l’ajoute Helbling.21 Il s’agit de jongler avec
des mécanismes psychosociaux permettant de « déshumaniser
l’Autre » (Chryssochoou, 2004: 53), à travers la projection d’aspects
non intégrés de l’identité du Soi (Volkan, 1997: 89).
Rydgren a également apporté une contribution significative à cet égard
(2004). Dans son étude sur l’émergence du DF au Danemark, l’auteur
soutient que ce dernier devrait être considéré comme un membre
de la nouvelle famille des partis populistes de la droite radicale,
tout comme le FN en France et le FPÖ en Autriche. En effet, tous
ces partis partagent comme principe fondamental le populisme antiestablishment politique et la xénophobie ethno-nationale. En outre,
ces partis ont été capables d’exploiter les opportunités politiques qui
se sont présentées, notamment les processus de désalignement et de
réalignement, la désindustrialisation et la politisation de la question
de l’immigration. Le chauvinisme social a également aidé ces partis
à faire appel à l’inquiétude et au mécontentement concernant les
demandeurs d’asile et les travailleurs migrants. À l’instar d’autres
observateurs, Rydgren retrace l’émergence du FN en France comme
le modèle des partis d’extrême droite contemporains victorieux et
reconfigurés, plus particulièrement sur la question de l’immigration.
L’hostilité à l’immigration a clairement été l’un des leitmotif du
discours de l’extrême droite pendant de nombreuses années. Betz
affirme néanmoins qu’il ne s’agit désormais plus tant de maintenir les
immigrés hors des frontières que d’avoir un débat sur la signification
de l’intégration. En effet, les populistes prétendent que certains
groupes ont une identité culturelle qui ne peut pas être intégrée, vu
qu’elle est soi-disant incompatible avec les valeurs libérales.13 Selon
Piero Ignazi, la reformulation et la refonte de son discours ont permis
à l’extrême droite d’emprunter et de travestir les composantes de la
pensée libérale et elle est parvenue à en instrumentaliser ces valeurs
contre les musulmans.14 Selon Kurt Watcher de l’Institut viennois
pour le dialogue et la coopération internationale, l’extrême droite a
en fait déformé les valeurs de la pensée libérale dans le sens où, pour
elle, le terme intégration signifie assimilation.15 De même, Wodak
souligne qu’alors que le FPÖ se présente comme le défenseur du
féminisme libéral (contre l’Islam), ce parti politique adhère en même
temps au familialisme conservateur.16
Betz, quant à lui, affirme que cette attaque est non seulement d’ordre
culturel mais tient aussi du socio-économique.22 Mayer fait remarquer
la façon dont l’extrême droite reprend l’idée de la « préférence
nationale » qui est associée, plus particulièrement dans les cas
scandinave et néerlandais, au « chauvinisme social », refusant le droit
à la protection sociale aux étrangers représentés comme des parasites
s’y accrochant.23 Betz qualifie ce phénomène de « virage social » de
l’extrême droite.24 Cette volte-face permet par exemple d’expliquer,
selon Watcher, la capacité du FPÖ de s’attirer le soutien de la classe
moyenne. Etant presque au coude à coude avec le Parti socialiste
dans les sondages, le FPÖ reçoit un soutien qui n’est aucunement
confiné aux « perdants de la mondialisation ».25
Pour l’extrême droite, il y a immigrés et immigrés. Selon Wachter,
l’extrême droite vise les immigrés contre lesquels la culture perçue
comme originaire a soi-disant besoin d’être protégée. Dans un pays
comme l’Autriche considéré comme appartenant aux catholiques
blancs, cette culture de souche doit être protégée contre les
musulmans.17 Il faut aussi savoir que les « musulmans » n’ont pas
toujours été des « musulmans » – ainsi que Cas Mudde le mentionne
– mais plutôt, disons, des « Turcs »: les événements du 11 septembre
ont ouvert la porte à la xénophobie-islamophobie et ont rendu ces
concepts « acceptables », plus particulièrement au Danemark et aux
Pays-Bas.18 Il ne faut pas oublier non plus que la discussion n’a pas
toujours porté sur les immigrants du monde musulman. Auparavant,
l’extrême droite prenait pour cible les Européens du sud, ainsi que le
fait remarquer Marc Helbling. Certains partis d’extrême droite vont
13
14
15
16
17
18
On peut se poser la question de savoir jusqu’à quel point ces ressorts
discursifs trouvent un écho auprès de l’opinion publique en Europe. Une
enquête menée en 2008 dans huit pays européens a révélé que près de
la moitié des personnes interrogées était d’accord avec des assertions
soulignant qu’il y avait trop d’immigrés dans leur pays, que les emplois
devraient être donnés en priorité aux locaux lorsqu’il y avait pénurie
de travail et que (assez contradictoirement) les immigrés étaient un
fardeau pour l’Etat providence. Une majorité des personnes sondées
s’accordaient à dire qu’il fallait protéger leur « propre culture » de
l’influence des autres et que l’Islam était une « religion d’intolérance ».
19
20
21
22
23
24
25
Entretien, 14 novembre 2011
Entretien, 15 novembre 2011
Entretien, 1er décembre 2011
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 1er décembre 2011
Entretien, 18 novembre 2011
12
Entretien, 24 novembre 2011
Communication personnelle, 16 novembre 2011
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 14 novembre 2011
Communication personnelle, 16 novembre 2011
Entretien, 14 novembre 2011
Entretien, 1er décembre 2011
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite
Les auteurs de cette étude affirment que l’intolérance est transférable
d’un objet à un autre, tout en faisant remarquer que le rejet des
immigrés et de l’Islam ne s’exprime pas de façon aussi uniforme par
rapport au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme et à l’homophobie
dans les différents pays où cette enquête a été réalisée (Allemagne,
Grande Bretagne, France, Pays-Bas, Italie, Portugal, Pologne et Hongrie)
(Zick et al, 2011: 54-66). De même, un sondage d’opinion effectué en
France en 2011 a révélé que seule une minorité soutenait la plupart
des thèses du FN, mais que plus de la moitié des personnes interrogées
et deux tiers de la classe ouvrière souscrivaient à l’affirmation selon
laquelle il y avait beaucoup trop d’immigrés et que les musulmans
jouissaient de beaucoup trop de droits. 26
Hongrie29 alors que des violences, et même des morts, sont à déplorer à
la suite d’attaques contre les membres de la communauté rom.
L’homophobie joue également un rôle central dans le discours de
l’extrême droite, plus particulièrement en Europe de l’Est. Elle est
fondée sur des valeurs religieuses conservatrices plus générales, en
Lettonie par exemple, selon Mudde.30 Il s’agit également d’un courant
fort dans le Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord (DUP), un
cas rare où un parti d’extrême droite a été au gouvernement en
Europe occidentale, avec des membres fortement ancrés dans le
protestantisme évangélique (Mudde, 2007: 55). Présidente à l’époque
du comité de santé de l’Assemblée d’Irlande du Nord et députée du
DUP, Iris Robinson s’est attiré l’opprobre international en juin 2008
lorsqu’elle a qualifié l’homosexualité d’« abomination », lors d’un
entretien radiodiffusé.31
Cette enquête menée dans huit pays de l’UE a révélé que le niveau
d’intolérance était nettement supérieur en Hongrie et en Pologne, ce
qui n’est guère surprenant vu que l’époque stalinienne a empêché,
jusqu’en 1989, les ex-membres du bloc soviétique de participer à
la transformation fondamentale de la culture politique de l’Europe
démocratique de l’après-guerre, alors que celle-ci clamait « plus
jamais » à l’antisémitisme et au nationalisme agressif qui avaient
donné lieu à l’holocauste et à une guerre civile continentale. Wodak
établit un lien entre l’approche « modérée et subtile » de Le Pen et
la reconnaissance du fait que l’antisémitisme ne peut pas s’exprimer
dans la sphère publique en Europe occidentale de la façon dont il
peut l’être en Hongrie et en Pologne (et également en Russie). En
outre, en Hongrie, tout comme dans une certaine mesure ailleurs en
Europe de l’Est, un héritage historique de non-correspondance entre
les frontières de l’Etat et celles imaginées de la communauté de la
« nation » a donné à l’extrême droite une autre altérité culturelle
envers laquelle elle peut projeter son hostilité, à savoir les minorités
nationales, ainsi que le fait remarquer Helbling.27
Le nativisme signifie que les partis d’extrême droite s’opposent
à tout ce qu’ils perçoivent comme une « intrusion » par rapport à
leur Gemeinschaft, leur communauté idéalisée, dit Helbling, et
cette crainte d’« hypothéquer les frontières nationales » s’étend à
l’européanisation et à la mondialisation. Selon Mayer, la crise de la
zone euro a aiguillé les positions anti-UE de l’extrême droite, faisant le
lien comme elle le fait entre les idées de « souveraineté nationale » et
la destitution des Etats « plus faibles » comme la Grèce.32 Exactement
comme en Italie où la LN a mené une campagne assidue contre le
sauvetage du sud soi-disant frappé d’incurie, remarque Wachter,
c’est désormais au niveau européen que le FPÖ se plaint en disant
que le « modeste contribuable autrichien » se fait flouer.33 Lors des
élections générales de 2011 en Finlande, le chef de file des Vrais
Finlandais a même qualifié les élections de référendum sur l’euro,
insistant sur le fait que son parti ne soutiendrait pas les opérations
de sauvetage en faveur du Portugal (Arter, 2011: 1285). En général,
on constate que les partisans de l’extrême droite sondés sur internet
font des réflexions négatives sur l’UE: « gaspillage d’argent », « pas
assez de contrôle aux frontières externes », « perte de notre identité
culturelle », « davantage de criminalité » et « bureaucratie » (Bartlett
et al, 2011: 66-67).
Dans son programme/manifeste, le Vlaams Belang lance cet
avertissement: « nous adoptons une attitude mesurée et critique
vis-à-vis de l’Union européenne avec sa bureaucratie et sa tendance
à s’ingérer là où la souveraineté du peuple devrait prévaloir »
(Vlaams Belang, 2011). Dans une récente analyse du discours du
Vlaams Belang sur l’Europe, Adamson et Johns (2008) démontrent
la façon dont le parti nationaliste flamand produit idéologiquement
une « Europe » qui est en opposition avec l’Union européenne. En
effet, cette dernière est tenue pour responsable de l’immigration
non-européenne excessive, alors que l’ « Europe » est imaginée
comme une construction positive avec l’idée d’une Flandre comme
nation « européenne ». Les sondages d’opinion révèlent que les
électeurs et les électeurs potentiels du Vlaams Belang admettent cet
énoncé, considérant de façon positive l’« Europe » tout en restant
anti-Union européenne. En Grande-Bretagne, le BNP voudrait faire
sortir le Royaume-Uni de l’UE. Ce parti déclare adorer l’Europe mais
Selon Wodak, l’antisémitisme est également révélateur et
fondamental pour les partis d’extrême droite dans les Etats baltes,
en Bulgarie et en Roumanie, là où tous les partis appartenant à cette
famille politique ont un passé fasciste. Et l’auteur ajoute: pour ce qui
est de l’ex-« Ouest », cela s’applique également au FPÖ.28 Wachter
établit un lien entre ceci et le fait qu’après 45, l’Autriche n’a pas été
à même de confronter son propre passé de guerre. Selon lui, ce pays
a été représenté comme la première victime du nazisme jusqu’à ce
que la coalition installée en 1987 et dirigée par le Chancelier Franz
Vranitzky du SPÖ (parti social-démocrate) affirme que l’Autriche avait
également joué un rôle actif.
Il ne faut pas minimiser l’hostilité envers une autre communauté dont
les membres peuvent être erronément présentés comme des parias,
plus particulièrement, mais pas exclusivement, au-delà de l’ancien
rideau de fer. Les attitudes anti-Roms ont été significatives dans la
rhétorique et le militantisme de l’extrême droite, et pas seulement
en Hongrie avec Jobbik, mais également en Bulgarie, en République
tchèque, en Italie, en France et ailleurs. Néanmoins, ce phénomène n’a
pas reçu l’attention qu’il méritait, selon Valeriu Nicolae, du Centre de
politique pour les Roms et les minorités à Bucarest. A ses yeux, ce serait
dû à l’acceptation généralisée de ce genre d’attitude par le centre droit
et le centre gauche. Wodak approuve l’opinion de Nicolae et regrette
que l’UE n’entame aucune démarche pour faire face aux événements en
29 Entretien, 24 novembre 2011
30 Entretien, 18 novembre 2011
31 Leslie-Ann Henry, ‘Iris Robinson slammed for offering gay “cure”’ (Iris Robinson dans
la tourmente après avoir offert un « remède » à l’homosexualité), Belfast Telegraph, 7
juin 2008 (www.belfasttelegraph.co.uk/news/local-national/iris-robinson-slammedfor-offering-gay-lsquocurersquo-13507748.html)
32 Communication personnelle, 16 novembre 2011
33 Entretien, 1er décembre 2011
26 TNS-Sofres / Le Monde, Canal Plus et France Inter, 3-4 janvier 2011; nos remerciements à Nonna Mayer pour cette référence
27 Entretien, 24 novembre 2011
28 Entretien, 24 novembre 2011
13
Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite
détester l’Union européenne et il exige « le retrait immédiat » d’« une
organisation consacrée à l’usurpation de la souveraineté britannique
et à la destruction de notre statut de nation et de notre identité
nationale » (Parti national britannique, 2010). En ce qui concerne
le SVP, Betz souligne qu’étant donné la position géographique de
la Suisse, ce parti a eu une position anti-européenne persistante,
défendant la neutralité suisse en temps de guerre face au fascisme et
cherchant à balayer la politique consensuelle suisse en faveur d’une
alternative à la britannique du genre « nous contre eux ».34 Résolument
opposé à l’adhésion à l’UE, le SVP lance cette interrogation: « Qui
portera un jour le poids de la dette monstrueuse de l’Europe » si les
élites et la classe politique devaient « nous pousser sournoisement
dans l’UE ? » (SVP, 2011: 6).
un « Plan B » en vue de préparer la sortie progressive de l’euro, avant
d’être frappé par « le désastre et la panique ».39 Dans son document
de campagne pour les présidentielles françaises (Projet pour la France,
2011), Le Pen attaque l’euro, le qualifiant d’« aberration économique »,
d’échec malgré l’« aveuglement des tenants de l’Europe de Bruxelles
et de Francfort » qui refusent de l’admettre. Néanmoins, la réponse
de l’UE, se manifestant désormais de plus en plus dans un partenariat
intergouvernemental franco-allemand, a été mise en place, menant
au remplacement de gouvernements démocratiquement élus en
Grèce et en Italie – deux des membres les plus vulnérables de la
zone euro – par des gouvernements « techniques » acceptables pour
les institutions financières (« les marchés »). Ceci ouvre un espace
politique énorme pour ce que Heather Grabbe qualifie de « politiques
de ressentiment à l’encontre des élites ».40 Et il n’y a pas de partisan
plus résolu de ce ressentiment anti-élite que l’extrême droite.
Ignazi est d’accord pour dire que l’euroscepticisme revêt une
importance croissante dans le discours de l’extrême droite et
pourrait constituer un facteur de réussite future pour cette famille
politique. L’auteur insiste néanmoins sur le fait qu’on ne peut pas
automatiquement établir une relation entre la crise économique et
la progression de l’extrême droite et que cette poussée remonte aux
années 80 et 90, bien avant la crise actuelle.35 Quant à Wodak, elle
fait remarquer que la force caractéristique de l’extrême droite dans
une Autriche et une Suisse prospères peut difficilement être attribuée
à la crise.36 Effectivement, ainsi que nous l’avons déjà souligné, il
serait hasardeux d’utiliser la « crise » pour expliquer le succès de
l’extrême droite. On pourrait par exemple l’utiliser de façon tellement
généralisée qu’elle en perdrait tout sens. En outre, comme Mudde
(2007: 205) le suggère, si les périodes ou les circonstances de crise
sont prédicatives de la réussite des acteurs populistes, alors cette
relation devient tautologique.
Les points mentionnés plus haut ne constituent pas une liste
exhaustive de l’arsenal discursif de l’extrême droite. Ainsi que
Mudde le fait remarquer, il convient d’ajouter deux autres thèmes à
ce répertoire, à savoir la criminalité et la corruption.41 Mais ceux-ci
ne sont en rien déconnectés du discours plus général de l’extrême
droite. Cette focalisation politique sur « la criminalité » peut se
rattacher à la stigmatisation des minorités et constitue souvent
l’expression claire de la défense d’une autorité traditionnelle. Par
contre, la « corruption » peut être présentée comme un symptôme
supplémentaire de la dégénérescence d’une élite gouvernante
distante et intransigeante. Dans un tel contexte, dans l’introduction
de son manifeste, Jobbik lance un appel pour « mettre fin à la
criminalité dans l’arène politique » (Jobbik, 2010: 1). Certains thèmes
ressortent donc clairement dans le discours de l’extrême droite et
contribuent à définir et à identifier les partis qui appartiennent à cette
famille politique: le contrôle de l’immigration, l’euroscepticisme,
l’identité nationale, la sécurité, l’Islam, la spécificité culturelle et la
décadence nationale.
D’autres chercheurs ont également indiqué que les « partis
extrémistes de droite mobilisent les sentiments d’identité nationale
contre l’intégration européenne » (De Vries et Edwards, 2009:
18). La difficulté réside ici dans le fait que, comme le soutiennent
depuis longtemps les études sur l’intégration européenne, l’UE a
été un projet des élites dès sa conception, ne faisant appel qu’à un
« consensus permissif » des populations européennes pour progresser.
L’assentiment populaire par rapport au projet européen a duré tant
que les citoyens ont fait preuve de plus de déférence qu’aujourd’hui.
Or depuis une vingtaine d’années, depuis le « non » danois au traité
de Maastricht, il devient de plus en plus clair que ce n’est plus le
cas, comme l’ont démontré également les référendums néerlandais
et français qui ont rejeté le projet de constitution. Selon Marine
Le Pen, la construction de l’Europe s’est faite largement « sans ou
même contre les peuples européens » (Le Pen, 2011). Ford identifie là
une réorientation de l’extrême droite de ces vingt dernières années,
passant d’un mouvement qui lutte pour une Europe différente à un
mouvement anti-européen en tant que tel.37
Le scepticisme à l’égard de l’UE cible désormais un euro en difficulté.
Wilders a parlé d’un retour au florin pour « davantage de souveraineté
et de sécurité », une position qui reçoit l’assentiment de 58 pour cent
de la population néerlandaise.38 Marine Le Pen a lancé un appel pour
34
35
36
37
38
Entretien, 14 novembre 2011
Entretien, 15 novembre 2011
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 9 décembre 2011
Peter Cluskey, ‘Right-wing party proposes returning to guilder’(Le parti d’extrême
droite propose le retour au florin), Irish Times, 12 novembre 2011 (www.irishtimes.
com/newspaper/world/2011/1112/1224307458708.html)
39 Ruadhán MacCormaic et Derek Scally, ‘Sarkozy and Merkel prepare “to take all
measures necessary”’ (Sarkozy et Merkel se préparent pour discuter de « toutes les
mesures nécessaires »), Irish Times, 2 novembre 2011, www.irishtimes.com/newspaper/world/2011/1102/1224306912694.html
40 ‘Beyond the fringe’ (Au-delà des lisières), Economist, 12 novembre 2011 (www.economist.com/node/21536873)
41 Entretien, 15 novembre 2011
14
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de
l’extrême droite
Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite
Dans leur étude de cas comparative, Swyngedouw et Ivaldi
(2001: 2) illustrent également la façon dont le Vlaams Belang et
le FN « ont été capables d’organiser avec succès des machines
de parti très puissantes et fortement centralisées ». En outre,
dans leur analyse du FPÖ et du FN, Pedazhur et Brichta (2002:
47) soulignent que l’institutionnalisation et la stabilisation de
ces deux partis étaient dues à plusieurs facteurs: un chef de file
fort et charismatique, un soutien important de l’électorat et une
représentation continue au niveau des structures nationales,
européennes et des gouvernements locaux. Le résultat en
a en effet été que ces deux partis ont été vus comme ayant
une influence considérable et un « potentiel de chantage ».
D’ailleurs, De Lange et Art (2011) soulignent le contraste entre
le caractère éphémère du LPF et la présence plus soutenue du
PVV aux Pays-Bas et font remarquer que les partis radicaux
de droite ont besoin de construire leur organisation (par ex.
leur leadership, le recrutement, la formation et la socialisation
des candidats) avant la percée électorale plutôt qu’après, s’ils
espèrent survivre et s’institutionnaliser. En un mot, les partis
d’extrême droite ne sont pas de simples spectateurs passifs
qui captent les opportunités politiques qui se présentent sur
leur chemin. Ce sont des agents décisifs dans l’historique de
leurs revers et de leurs victoires (Carter, 2005; Goodwin, 2006;
Hainsworth, 2008; Mudde, 2007; Norris, 2005; Rydgren, 2004).
Au fond, les partis d’extrême droite qui ont réussi sont ceux qui
ont été capables de s’organiser et de saisir les opportunités
et d’exploiter les niches existant dans le système politique et
de parti de leur propre pays. Ils doivent « proposer un attrait
approprié qui tire parti du moment et exploite la faiblesse
stratégique des partis existants » (Kitschelt 2005: 14).
Après avoir examiné la position et le discours de l’extrême
droite dans les Etats membres de l’UE, ce chapitre se penche
plus particulièrement sur les raisons permettant d’expliquer la
réussite de cette famille politique. Différents arguments ont
été avancés afin d’élucider le succès de l’extrême droite dans
le contexte contemporain d’après-guerre. Effectivement, ainsi
que le propose un auteur avisé (Mudde, 2007: 201), « vu le
déferlement de publications sur les partis populistes radicaux
au cours de ces vingt dernières années, il n’est guère surprenant
de constater qu’il existe également une pléthore d’explications
concernant le succès de ces partis ». De la même façon, Lloyd
(2003) suggère que la montée des partis populistes en Europe
durant ces dernières décennies n’a pas une cause unique. Les
premières descriptions relatives aux victoires et aux percées de
l’extrême droite dans les pays de l’UE avaient plutôt tendance
à mettre l’accent sur le changement sociétal général. Par
exemple, Ignazi déclare que les partis politiques traditionnels
ne sont pas parvenus à satisfaire leurs électorats. Dès lors,
des espaces se sont ouverts où de nouveaux mouvements
sociaux et les représentants de leurs partis se sont emparés
des électeurs des partis traditionnels d’une part, et les partis
d’extrême droite en ont fait de même d’autre part. Ainsi donc,
le déclin de l’identification à un parti spécifique a permis
aux électeurs de se sentir plus libres et de choisir une autre
formation politique. Dans un tel contexte, les partis qui ont
émergé étaient différents des vieux partis néofascistes et en
mesure de s’assurer un soutien. D’ailleurs, Ignazi est d’avis
qu’ « Ils [constituaient] les sous-produits des conflits de la
société postindustrielle où les intérêts matériels n’[étaient]
plus au centre des préoccupations et où la bourgeoisie et la
classe ouvrière n’[étaient] ni aussi clairement définies, ni aussi
radicalement en confrontation » (Ignazi, 1996: 560). Dans le
monde de l’après-guerre, l’identification à la classe sociale est
devenue moins prononcée et la loyauté aux partis traditionnels
et aux organisations s’est affaiblie, ouvrant la voie à de
nouvelles évolutions.
Pour ce qui est de « tirer parti du moment », le constat est que
les partis d’extrême droite prospèrent, même si ce n’est pas
toujours le cas, lorsque les partis traditionnels sont arrivés à
une convergence en termes de politiques et de pratiques. A
cet égard, Kitschelt (2005) attire l’attention sur les expériences
de l’Autriche, des Pays-Bas, de la Suisse et de la Belgique. La
convergence permet aux partis d’extrême droite (et à d’autres
partis) de dépeindre les gouvernements de gauche et de droite
traditionnels comme étant fondamentalement «les mêmes » et
ils insistent par conséquent sur la nécessité de les confronter à
des perspectives alternatives, plutôt qu’à une alternance, sur des
questions telles que l’immigration et l’intégration européenne.
Ignazi (2003: 217) est d’avis que « les partis d’extrême droite
post-industriels sont les résidus de l’insatisfaction [concernant]
les politiques gouvernementales sur des questions telles que
l’immigration et la criminalité et, à un niveau plus profond,
les sous-produits d’un malaise croissant dans une société
plurielle, conflictuelle, multiculturelle et mondialisée ».
D’ailleurs, les partis d’extrême droite peuvent en profiter s’ils
s’approprient la question de l’immigration, comme en Suède
par exemple (Odmalm, 2011). L’une des explications du succès
Néanmoins, malgré le scénario présenté plus haut, il convient de
souligner que la prise d’initiative a aussi son importance et que
du côté de l’offre, les attributs mêmes des partis constituent un
facteur essentiel sur le chemin de la victoire. Par conséquent,
afin de résoudre la quadrature du cercle et d’expliquer les
prouesses de l’extrême droite, les commentateurs se tournent
aussi de plus en plus vers des interprétations internalisées
et axées sur les partis mêmes. Ainsi que l’explique d’ailleurs
Williams (2006: 37), ce qui compte, c’est aussi la structure
du parti et sa capacité d’organisation: « plus le groupe se
rapprochera d’un degré de complexité similaire à l’organisation
d’un parti, plus il sera susceptible d’avoir un réel impact
politique ».
15
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite
de l’extrême droite au cours de ces dernières années réside
effectivement dans l’évolution des partis de centre gauche en
Europe, dans les années 1990. L’adoption, sous la direction du
« Nouveau » Parti travailliste en Grande-Bretagne et du Parti
social-démocrate en Allemagne, des notions d’une « troisième
voie » entre la gauche et la droite ou d’un Neue Mitte centriste
a présagé de l’acceptation de la mondialisation néo-libérale.
Cela s’est avéré payant électoralement parlant, avec les
partis socio-démocrates au pouvoir seuls ou en coalition dans
la plupart des Etats membres de l’UE au cours des dernières
années de la décennie. Néanmoins, l’abandon de l’idée selon
laquelle la gauche affronte le capitalisme et qu’elle est
distincte de la droite en raison de sa poursuite de l’égalité
a fait en sorte que non seulement de telles victoires se sont
avérées de courte durée, mais selon Mouffe (2000: 116-17),
le champ était également libre pour que les partis d’extrême
droite puissent se présenter comme les seules forces antiestablishment défendant la volonté du peuple, dans ce que
Ford appelle de l’ « anti-politique ».42 Mouffe est d’avis que
la tâche de la politique démocratique n’est pas d’éliminer les
conflits mais de les transformer en un concours « agonistique »
entre des adversaires, plutôt qu’en simple antagonisme entre
ennemis, ce dernier étant une politique amis/ennemis de
l’identité, enracinée dans les idées de Carl Schmitt, que Mudde
(2007: 63) associe à la rhétorique actuelle de l’extrême droite
du « nous » contre « eux ».
économiques, à l’exception de remarques populistes sur les
Grecs où l’habituelle stigmatisation l’emporte.45 Ainsi donc,
alors que l’extrême droite pourrait chuchoter à l’oreille du
travailleur (d’archétype blanc et de sexe masculin) qui a perdu
son emploi qu’un immigré a « volé » son travail, elle n’a rien à
proposer sur la façon dont il pourrait obtenir un autre emploi.
D’où la piètre expérience de l’extrême droite au gouvernement,
ainsi que le souligne Ignazi et comme l’ont démontré le FPÖ
en Autriche ou l’AN et la LN en Italie.46
Les socio-démocrates demeurent néanmoins exposés, car
l’extrême droite est capable de faire le lien entre ces deux
thèmes et son argumentaire populiste en déclarant, ainsi que
l’explique Helbling, que l’élite est composée des partisans du
multiculturalisme de la gauche libérale qui ne prennent pas au
sérieux les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens
ordinaires.47 Et Mudde affirme que quel que soit le rôle joué par
les écologistes et les ONG à l’encontre de l’extrême droite, ce
sont les socio-démocrates qui ont la responsabilité première
à ce niveau étant donné le profil de leurs partisans. Pourtant,
ils ont abandonné dans certains cas les concepts clés de
classe et de solidarité au profit d’un discours ethnique. Il est
d’avis qu’aux Pays-Bas en particulier, le Parti travailliste s’est
empêtré dans des relations clientélistes avec des segments de
la population immigrée.48
Il est incontestable que les partis d’extrême droite partagent
des éléments discursifs communs sur l’ensemble du continent
européen, notamment l’hostilité à l’égard des immigrés et
l’islamophobie, ainsi que nous l’avons déjà indiqué. Néanmoins,
même s’ils sont parvenus à influencer la politique traditionnelle
quel que soit le contexte national, ils y sont arrivés en partie
en faisant clairement le lien entre ces questions et d’autres
thèmes à portée nettement plus nationale. Ainsi par exemple,
le PVV aux Pays-Bas, personnifiée par le leadership de Wilders,
a évité les écueils de la moindre association avec l’Holocauste
en adoptant une position forte en faveur d’Israël et des EtatsUnis. De même, son soutien rhétorique en faveur des droits
des femmes et des homosexuels a permis de rassurer et de
démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une confrontation avec
la culture politique néerlandaise libérale (Vossen, 2011). La
connexion entre les thèmes fonctionne dans un contexte où
le discours politique israélien et américain ont sensiblement
basculé vers la droite ces dernières années et où l’Islam peut
être présenté comme le principal obstacle à l’émancipation.
Swyngedouw est d’avis qu’en Belgique, Dewinter du Vlaams
Belang a essayé de la même façon d’impliquer la communauté
juive comme un allié contre l’Islam.49 D’ailleurs, dans sa
campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen a également
fait des avances peu discrètes à l’opinion juive.
Cet héritage continue à faire des émules, étant donné que sur
l’ensemble du continent européen, les socio-démocrates sont
incapables d’exprimer clairement une critique forte à l’égard de
la crise du capitalisme depuis 2008, ainsi que l’affirme Ford.43
C’est précisément dans les Etats qui avaient été gouvernés par
des dictatures fascistes ou militaires pendant des décennies – le
Portugal, la Grèce, l’Espagne et l’Italie (et l’Irlande en tant que
démocratie autoritaire) – et n’avaient jamais connu de forces
sociales stabilisantes à travers la protection sociale universelle et
l’égalité relative prévalant dans les pays nordiques (la Norvège,
la Suède, le Danemark), où la crise a été la moins marquée, que
cette crise s’est exprimée le plus violemment. En Grèce et en
Espagne, les partis socio-démocrates responsables des mesures
d’austérité drastiques ont été remerciés sans cérémonie - dans
l’un des cas, via les urnes. Ceci dit, à l’exception de sa présence au
gouvernement « technocrate » grec, l’extrême droite n’a pas fait
partie des gagnants dans les Etats de la périphérie européenne
où la crise a été la plus intense. Ceci constitue le second talon
d’Achille de l’extrême droite, à savoir son Darwinisme social
et ses implications économiques conservatrices, outre son
populisme et ses implications autoritaires.
Car en fin de compte, les partis d’extrême droite ne possèdent
pas d’alternative positive à proposer par rapport à l’économie
déflationniste du centre droit, dominant désormais une UE
intergouvernementale dirigée à partir de Berlin (et de Paris)
plutôt que de Bruxelles. En Suisse, par exemple, comme le
souligne Helbling, le SVP est assez « libéral » dans le sens
économique du terme.44 Et en Belgique, selon Swyngedouw,
Dewinter garde la plupart du temps le silence sur les questions
Il convient également de reconnaître que l’importance
accordée aux questions autour desquelles l’extrême droite
mobilise n’est pas nécessairement identique sur tout le
continent européen. Ainsi, selon Klandermans, alors que
45
46
47
48
49
42 Entretien, 9 décembre 2011
43 Entretien, 9 décembre 2011
44 Entretien, 24 novembre 2011
16
Entretien, 16 novembre 2011
Entretien, 15 novembre 2011
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 18 novembre 2011
Entretien, 16 novembre 2011
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite
près de 30 à 40 pour cent des Néerlandais adhèrent à des
sentiments xénophobes, fournissant un environnement
favorable que n’importe quel populiste charismatique pourrait
exploiter, l’hostilité à l’immigration/l’Islam semble être en
perte de vitesse au Danemark.50 En effet, en septembre 2011,
une coalition « rouge » dirigée par les socio-démocrates,
promettant, au lieu de plus d’austérité, davantage d’impôts
pour les riches en vue de protéger la protection sociale, a mis
fin à dix années de gouvernement de droite, où le DF avait agi
comme une petite minorité ayant une influence démesurée au
sein de l’administration de centre droit.
et Aarts, 2006). D’ailleurs, sans la performance innovante de
Jean Marie Le Pen et le temps d’antenne dont il a bénéficié
lors de l’émission L’Heure de Vérité à la télévision française en
février 1984, le FN n’aurait jamais pu remporter d’aussi bons
résultats aux élections européennes de 1984, lesquelles ont
effectivement annoncé l’arrivée de ce parti en tant qu’acteur
d’un certain calibre sur la scène politique et dans la société
française et européenne.
Le deuxième facteur, plus spécifique, est l’accent mis par les
médias populaires sur l’« intérêt humain », se référant à l’objet
de l’intérêt tout autant qu’au fait que le lecteur/spectateur
humain soit intéressé. En politique, cela braque les projecteurs
médiatiques sur le chef de file charismatique d’un parti ayant
un message populiste plutôt que sur des figures plus modestes
et collégiales, et encore moins sur les véritables propositions
politiques en jeu. Klandermans décrit Wilders aux Pays-Bas
comme étant « passé maître dans l’art de décrocher l’attention
médiatique ».52 De la même façon, Swyngedouw note que Bart
De Wever, le chef de file de la NVA (Nouvelle alliance flamande)
qui a éclipsé le Vlaams Belang, réussit très bien à la télévision,
avec un mélange d’humour et de populisme.53 De Jörg Haider
et Pim Fortuyn à Pia Kjaersgaard (‘Mama Pia’) et Marine Le
Pen (‘Marine’), et désormais Timo Soini des Vrais Finlandais,
l’extrême droite a, dans ce sens, été capable de tirer parti de
son caractère autoritaire, avec un culte de la personnalité
voué au leader et correspondant à l’appétit des médias pour
des personnages plus grands que nature. Un article de journal
a décrit ainsi cet homme: « Avec sa carrure imposante, ses
costumes gris trop amples, son écharpe de football et sa voix
tonitruante, Soini est très loin des politiciens consensuels
mesurés qui ont construit l’Etat providence en Finlande ».54
Le rôle des médias
Quelle que soit la portée du discours de l’extrême droite, sa
résonance dépend du rôle d’interface joué par les médias (y
compris les réseaux sociaux). Et il existe au moins deux raisons
pour lesquelles les porte-parole de l’extrême droite pourraient
exercer un attrait particulier sur les médias, ce qui démontre,
selon Wodak, la nécessité de former les journalistes sur la
façon de traiter l’extrême droite, ainsi que le besoin d’une plus
grande diversité parmi les personnes qui travaillent dans les
cercles médiatiques.51
La première de ces raisons est que les médias représentent
le monde sur base de sa valeur médiatique. L’étude classique
de la façon dont les médias ont pu contribuer à semer une
« panique morale » autour de la « race » dans une ville des
Midlands alors que l’extrême droite était au summum de sa
force dans les années 70 (Hall et al, 1978: 53-7), a révélé
que ces valeurs se focalisent sur ce qui « sort de l’ordinaire »
— enjolivant le caractère « anormal » de l’objet de l’attention,
plus particulièrement sur un marché médiatique où règne une
concurrence féroce — avec comme contexte des lecteurs/
spectateurs interpellés comme un « nous » social présupposé.
Ceci donne aux partis d’extrême droite d’aujourd’hui un point
d’appui médiatique clair. En effet, les partis d’extrême droite
non seulement parviennent à se poser en petits nouveaux du
monde politique (et certainement pas en vieux fascistes), mais
ils sont aussi capables d’insister sur les questions qui leur
tiennent à coeur, à savoir l’immigration et l’Islam, qui sont trop
facilement présentés d’« étrangers » à la société d’accueil et
font l’objet de sensationalisme.
Récemment, Euronews a produit un programme de qualité sur
l’extrême droite, comprenant un long entretien avec le directeur
d’ENAR.55 Le rédacteur en chef, responsable des informations
sur cette chaîne, Peter Barabas, veut prendre l’extrême droite
au sérieux et ne désire pas « promouvoir des stéréotypes »:
l’extrême droite est désormais plus « complexe » que dans son
passé cocardier, dénote-t-il, et des porte-parole comme Marine
Le Pen ou Wilders – voire le marginal Griffin en Grande-Bretagne
– sont « très habiles », ils restent « mesurés » dans leurs propos
et fonctionnent comme des « animaux politiques ». Mais par
ailleurs, Euronews ne désire pas exagérer le défi que présente
l’extrême droite et contribuer ainsi à un cycle d’intolérance et
à des attitudes défensives où les membres des communautés
minoritaires, confrontés à une citoyenneté de seconde zone, se
trouvent concentrés dans des ghettos pour s’assurer un soutien
mutuel. Euronews doit faire face à des revendications de
« liberté d’expression » de la part des représentants d’extrême
droite, mais cette chaîne est d’avis qu’elle doit diffuser des
reportages factuels et responsables et que dans ce contexte,
Dans la même veine, comme l’a souligné Ellinas (2004:
204), « les médias abaissent les barrières d’entrée du marché
électoral en donnant aux nouveaux partis les moyens de
diffuser leur message auprès d’un public plus large que ce que
ne leur auraient permis leurs propres ressources financières et
logistiques ». Les partis d’extrême droite plus petits peuvent
bénéficier d’une couverture médiatique et compenser ainsi
leurs faiblesses financières ou logistiques. Ce facteur, en plus de
la personnalité de Fortuyn, a certainement permis d’expliquer
sa victoire capitale lors des élections générales de 2002 aux
Pays-Bas, où les statistiques ont montré que le chef de file du
LPF avait bénéficié de 24 pour cent de la couverture médiatique
totale, un chiffre supérieur à celui de ses adversaires (Belanger
52 Entretien, 28 novembre 2011
53 Entretien, 16 novembre 2011
54 Richard Orange, ‘Far-right Finnish politician Timo Soini bids for presidency’ (La
présidence: l’ambition du politicien d’extrême droite finlandais, Timo Soini), Observer,
13 novembre 2011 (www.guardian.co.uk/world/2011/nov/13/timo-soini-finnish-presidency)
55 ‘L’Europe minimise-t-elle la montée de l’extrémisme de droite?’, 8 décembre 2011
(http://fr.euronews.com/2011/12/08/l-europe-minimise-t-elle-la-montee-de-lextremisme-de-droite/)
50 Entretien, 28 novembre 2011
51 Entretien, 24 novembre 2011
17
Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite
la liberté d’expression n’est jamais absolue. Barabas ajoute
que cette « complexité » des communications de l’extrême
droite contemporaine s’étend non seulement à son approche
des médias traditionnels mais également à son exploitation
des réseaux sociaux.56
John McLeod, de l’Institut d’études sur la guerre et la paix,
qui s’est spécialisé dans la couverture de l’ancienne sphère
du « socialisme existant », soutient que la montée rapide de
l’extrême droite dans certains pays, depuis le changement,
conserve une valeur de nouveauté, et qu’un parti tel que le
Jobbik en Hongrie, par exemple, va forcément attirer plus
d’attention médiatique que les « fastidieuses » questions de
mauvaise gestion financière dans ce pays. Mais il pense qu’à
long terme, cela va accroître la menace de l’extrême droite en
Europe de l’Est. John McLeod estime qu’alors que les partis
prônant à nouveau l’intolérance à l’encontre des membres
d’autres nationalités voisines ont été capables de trouver un
fort écho, plus particulièrement au moment de la chute des
anciens régimes, la tendance au cosmopolitisme dans la vie
quotidienne et l’attrait pour les institutions européennes
menacent de « marginaliser » des partis « tels que le BNP ».60
Néanmoins, même s’il n’existe pas de garantie que la couverture
médiatique de l’extrême droite changera les attitudes en sa
faveur, Helbling laisse entendre que cette couverture pourrait
pousser à l’avant plan les questions que l’extrême droite veut
rendre plus proéminentes auprès du public.61
Bien entendu, l’extrême droite a également tenté de
contourner les médias traditionnels en utilisant l’internet à
cet effet (Bartlett et al, 2011; Copsey, 2003; Jackson, 2011).
Bien que le Jobbik se soit formellemnt plaint auprès de la
Commissaire européenne en charge de la société numérique,
Neelie Kroes, de recevoir trop peu de couverture médiatique
de la part des médias hongrois, le parti sait qu’il peut compter
sur un réseau de centaines de sites internet sympathisants qui
sont reliés via des plateformes comme Facebook ou iWiW, un
site de réseaux sociaux hongrois. Betz fait remarquer que le
site internet anti-islamique « Les portes de Vienne » comporte
de nombreux liens internationaux vers d’autres mouvements
d’extrême droite.57 Et l’auteur soutient que cela se rattache à
la perception d’une « culture occidentale » commune marquée
par des valeurs « judéo-chrétiennes » que l’on juge menacées.58
Der Standard a été fondé dans le sillage de l’« affaire
Waldheim » – qui a vu l’élection de l’ex-secrétaire général des
Nations Unies à la présidence de l’Autriche en 1986 malgré les
révélations concernant son rôle dans la Wehrmacht pendant
la guerre – pour contrer les informations nationalistes que cet
épisode suscitait en Autriche. Pendant longtemps, selon Hans
Rauscher, le chroniqueur de ce journal, Der Standard et le Kurier
étaient les seuls à épingler le langage nazi de l’étoile montante
Haider dans les médias autrichiens. Un débat a vu le jour entre
les journalistes pour savoir s’ils devaient relever chacun des
propos de Haider ou écrire autant sur lui, et même certains de
ses collègues ont déclaré « Du calme. Nous devons vivre avec
lui ». Rauscher, lui, reste toujours d’avis « qu’il faut appeler un
chat un chat » et qu’à long terme, cela inspirera le respect.
En revanche, il affirme que lorsque le successeur de Haider en
tant que chef de file du FPÖ, Heinz-Christian Strache, dit que
l’UE n’est composée que d’une « bande de voleurs », le journal
Kronen Zeitung, populiste, anti-immigrés et eurosceptique, qui
attire 43 pour cent des lecteurs de journaux, mettra cet article
en première page. Il détecte, toutefois, de légers progrès dans
le sens où même le Kronen Zeitung a pris ses distances par
rapport à certaines remarques plus incultes de Haider.59
56
57
58
59
Entretien, 12 décembre 2011
Voir: http://gatesofvienna.blogspot.com/
Entretien, 14 novembre 2011
Entretien, 9 décembre 2011
60 Entretien, 30 novembre 2011
61 Entretien, 24 novembre 2011
18
Chapitre 4: Contester l’extrême droite
Chapitre 4: Contester l’extrême droite
Ce chapitre examine les différentes organisations, partis et personnes
qui se sont opposés à l’émergence, au succès et à la rhétorique de
l’extrême droite.
institutionelles officielles mais devrait aussi s’inspirer des ressources
de la société civile (Minkenberg, 2006: 44; voir également Eatwell,
2004: 11 et Hainsworth, 2008: 122-126). Dans un rapport récent, le
groupe de réflexion Demos, établi à Londres, a examiné les données
relatives aux sympathisants des partis populistes sur Facebook
(Bartlett et al, 2011: 22) et est arrivé à cette conclusion: « Les
élus traditionnels doivent réagir en se saisissant des inquiétudes
relatives à l’immigration et à l’identité culturelle, sans succomber
aux solutions xénophobes ». Ce rapport lance également un appel
pour le rétablissement de la confiance dans les institutions civiques,
étant donné le peu de crédit qui leur est accordé, et en faveur de
la promotion d’une implication accrue de la population dans la vie
politique et citoyenne (Bartlett et al, 2011: 23).
Dans un rapport de Chatham House,62 Goodwin identifie six façons
possibles de réagir aux partis extrémistes populistes: les exclure,
désamorcer leur message, adopter dans une certaine mesure leur
rhétorique et leur politique, les confronter avec des principes, se
tourner davantage vers les gens de la base et faire un travail de
proximité, et encourager le dialogue parmi les différents groupes à
un niveau interculturel (Goodwin, 2011: 23-28). Il conclut en disant
qu’il n’existe pas de « réponse uniforme à l’extrémisme populiste »
et que beaucoup dépend de chaque contexte spécifique. Par ailleurs,
il suggère (Goodwin 2011: 95): « Les réactions les plus efficaces
seront celles qui privilégieront le niveau local, où le travail auprès
des électeurs et le dialogue entre les différentes communautés
constituent une perspective réaliste et peuvent se forger autour
d’expériences vécues et de circonstances partagées ».
Les élus traditionnels ont souvent tenté de circonscrire l’appel de
l’extrême droite en incorporant des éléments de leur discours dans
leur propre rhétorique, le grand risque étant, bien entendu, de tout
simplement légitimer l’extrême droite et de permettre à l’ensemble
de l’échiquier politique de basculer vers une plus grande intolérance.
Ainsi, par exemple, après les bons résultats du BNP aux élections
générales de 2001, le ministre travailliste des affaires intérieures,
David Blunkett a suggéré, lors de la course aux élections locales
suivantes, que des centres d’hébergement gigantesques pour
demandeurs d’asile pourraient empêcher ces derniers d’« envahir »
les services de proximité. Blunkett faisait donc écho à l’assertion
du chef de file conservateur de l’opposition de l’époque, Margaret
Thatcher, qui avait déclaré en 1978 que les Britanniques avaient peur
d’être « envahis par les personnes issues d’une culture différente ».64
Le chef de file du BNP, John Tyndall, avait protesté en disant: « Les
conservateurs, sous Thatcher, semblaient adopter beaucoup de nos
politiques. Elle parlait de la Grande-Bretagne comme étant envahie et
de nombreuses personnes en ont déduit qu’elle ferait quelque chose
à ce propos ».65
Le besoin d’être proche de la population locale et de ses préoccupations
avait été reconnu par la travailliste Hazel Blears, à l’époque Ministre
des communautés et des collectivités locales en Grande-Bretagne,
en réaction aux résultats d’un rapport commandé par le Ministère
des communautés et des collectivités locales. Ce rapport était
basé sur des entretiens avec des habitants de lotissements sociaux
à Birmingham, Milton Keynes, Thetford, Runcorn et Widnes. Selon
Blears, « la classe ouvrière blanche vivant dans des lotissements
sociaux a parfois juste l’impression qu’il n’y a personne pour l’écouter
ni pour la défendre… Alors que cette catégorie de population ne vit
pas nécessairement l’impact direct de la migration, ses membres
en éprouvent une profonde crainte ». Blears en avait dès lors déduit
que les mythes de l’extrême droite à propos de l’immigration
avaient trouvé un terreau fertile au sein de telles communautés, plus
particulièrement en raison de l’absence de « discussion franche et
honnête » à ce propos entre les politiciens locaux et nationaux.63
Néanmoins, cette évaluation peut être interprétée (même si ça n’en
est pas l’intention) comme une critique interne tout autant qu’un
appel pour un engagement systématique plus général. Et Blears a
involontairement mis en lumière une contradiction essentielle à
ce niveau, à savoir que l’hostilité à l’égard de l’immigration est en
général plus faible dans des quartiers multiethniques que dans ceux
qui connaissent une présence immigrée plus dérisoire.
Il est intéressant de constater que Blunkett avait prononcé cette
remarque le jour même où Jean-Marie Le Pen avait visité le Parlement
européen, juste après son succès au premier tour des élections
présidentielles françaises. Claude Moraes, l’eurodéputé britannique
(asiatique) s’est plaint du fait que « des idées considérées à une
certaine époque comme extrêmes et à la limite de l’acceptable sont
désormais au cœur ou toutes proches du gouvernement » (Roxburgh,
2002: 240-2). Ainsi que Bale l’affirme, plus particulièrement en ce qui
concerne l’Autriche, les politiciens de centre droit « ont commencé à
occuper le même univers discursif que leurs homologues d’extrême
droite » (Bale 2003: 76-77). Dans ce contexte, Rydgren (2004: 493-495)
a observé de près la façon dont, au Danemark, les partis traditionnels
ont participé à un discours anti-immigration lorsque l’extrême droite
a gagné du terrain dans ce pays. Par exemple, entre 1997 et 2001,
les libéraux ont attaqué le gouvernement socio-démocrate pour avoir
Ces approches concordent partiellement avec l’appel de Minkenberg
en faveur d’une « démocratie militante » qui considère que « la lutte
contre la droite radicale » ne doit pas se limiter à des approches
62 Chatham House est une association basée à Londres qui se veut une source d’analyse
indépendante, de débats informés et d’idées influentes sur la construction d’un
monde prospère et sûr pour tous. Voir: www.chathamhouse.org
63 Deborah Summers, ‘White working-class fears on immigration exposed in report’
(Craintes de la classe travailleuse blanche à l’égard de l’immigration - Présentation
d’un rapport), Guardian, 2 janvier 2009 (www.guardian.co.uk/politics/2009/jan/02/
immigration-working-class)
64 Voir: www.margaretthatcher.org/document/103485
65 Independent, 17 mars 1990
19
Chapitre 4: Contester l’extrême droite
mené une politique soi-disant généreuse à l’égard des immigrés et
des demandeurs d’asile. A son tour, le gouvernement a durci ses
politiques et son discours et a, en conséquence, souffert de quelques
divisions. En outre, les sondages d’opinion au Danemark reflétaient
des sentiments anti-immigrés croissants dans les années 90 et
au-delà (Rydgren, 2004; 2005). Selon l’une de ces estimations, en
Norvège et au Danemark, les partis d’extrême droite « ont joué un
rôle très important dans le durcissement des règles d’immigration et
le traitement des demandeurs d’asile » (Lloyd, 2003: 89).
toutefois que la mobilisation de l’opinion publique sur les thématiques
d’extrême droite dépend de la façon dont ces questions sont
formulées et présentées. Ainsi, une majorité de sondés reconnaissent
que les immigrés sont nécessaires pour faire fonctionner l’économie
et sept personnes sur dix pensent qu’ils « enrichissent notre culture ».
Une majorité s’accorde également à dire que c’est mieux pour un
pays d’avoir de nombreuses religions différentes (Zick et al, 2011:
54, 76). Si le problème des progressistes a été que l’extrême droite
s’est emparée de la question de l’immigration, comme le soutient
Helbling,69 la solution réside dès lors dans le recadrage de cette
même question, à savoir sous le prisme d’une gestion démocratique
de la diversité culturelle.
En France, plus récemment, après que Marine Le Pen se soit approprié
le flambeau de leader appartenant à son père, le retour en force et la
« modernisation » du FN ont encouragé la droite au pouvoir, sous la
houlette de Sarkozy, à chasser sur le terrain du FN. En fait, le processus
de dépeçage des voix potentielles du FN, plus particulièrement dans
la perspective des élections françaises de 2012, avait été entamé bien
avant que le FN ne change de chef de file (Mayer, 2007; Hainsworth,
2008: 121). Après le choc provoqué par le score réalisé par Jean-Marie
Le Pen en 2002, la droite traditionnelle s’était sentie encouragée
à se déguiser en FN. Ce processus a néanmoins été fortement
accéléré par Sarkozy, successivement en tant que ministre au sein
du gouvernement, candidat aux élections présidentielles de 2007 et
président sous le feu des critiques, candidat à son propre poste en 2012.
Durant son mandat, Sarkozy a poursuivi un certain nombre d’initiatives
qui pourraient paraître attrayantes aux yeux des électeurs existants
ou potentiels de l’extrême droite: un débat sur l’identité nationale
française, l’expulsion des familles roms et l’interdiction de la burqa
dans les lieux publics. Néanmoins, c’est la question de l’immigration,
entre autres, qui est au centre de la campagne présidentielle de Le Pen
jusqu’aux élections présidentielles. Selon le Projet pour la France de Le
Pen (Le Pen, 2011), « C’est sur le terrain de l’immigration que Nicolas
Sarkozy a probablement le plus trahi les Français en général et ses
électeurs en particulier, en conduisant, contrairement à son discours et
à ses promesses, la politique la plus laxiste en matière d’immigration
de toute l’histoire de la Cinquième République ».
Si le projet de l’extrême droite, avec toutes ses variantes nationales,
est la poursuite autoritaire et populiste d’un nationalisme d’exclusion,
attirant surtout ceux qui sont en bas de la hiérarchie sociale
(autochtone) tout en maintenant fermement cette hiérarchie intacte,
alors la stratégie des progressistes est d’une logique limpide. A la
base, souligne Ignazi, les autres partis ne doivent jamais oublier
les principes de la démocratie (liberté, égalité, fraternité).70 Ainsi
que l’affirme Boréus, ces autres partis ainsi que les ONG doivent
lutter en faveur d’une alternative cosmopolite au nationalisme
et pour une alternative égalitaire à la hiérarchie.71 Concrètement,
Mayer estime que les progressistes doivent développer un projet
commun fédérateur plutôt que séparateur. Ce projet inclurait les
partis politiques et les réseaux véritablement européens ainsi qu’un
New Deal moderne permettant d’offrir espoir et sécurité à tous.72
Mudde lance un appel aux socio-démocrates en faveur d’un retour
aux principes de base, plus particulièrement pour l’abandon du terme
« immigré » et l’adoption d’un discours fondé sur la classe teinté
d’une dimension socio-économique et axé sur la redistribution.73
Une partie de la difficulté a résidé dans la façon dont certains
progressistes se sont sentis obligés de soutenir le modèle de gestion
de la diversité culturelle appelé « multiculturalisme ». Cela s’explique
en partie par l’attachement des conservateurs aux discours qui nient
la réalité empirique de la multiethnicité de la société contemporaine
- par exemple le discours qui dominait précédemment selon
lequel l’Allemagne n’était « pas une nation d’immigrants » - et/
ou qui insistent sur l’assimilation des membres des communautés
minoritaires, comme dans le modèle classique français défini par
des « valeurs républicaines » soi-disant universelles. Néanmoins,
l’association des progressistes au multiculturalisme en a masqué
les origines conservatrices, enracinées dans une conception
« essentialiste » de l’identité, simple, figée et communautariste.
Ce n’est pas un hasard si en Europe, ses principaux adeptes ont
été le Royaume-Uni et les Pays-Bas, anciens pouvoirs coloniaux
pour lesquels, tout comme en Inde britannique, l’idée que « les
communautés » étaient « inéluctablement séparées et mutuellement
incompatibles » (Khan, 2007: 20) convenait à un regard colonial
superficiel et elle a été transplantée dans le contexte métropolitain
avec l’immigration postcoloniale.
La stratégie d’imitation-incorporation adoptée par le centre
droit (et même le centre gauche) est peu judicieuse. Ainsi que
Klandermans l’explique, cette stratégie ne fait que rendre respectable
l’argumentaire de l’extrême droite.66 Et comme aimait à le répéter
Jean-Marie Le Pen: « Les électeurs préféreront l’original à la copie ».
Ceci a été corroboré, dit Wachter, par les élections de 2009 pour la
région de Vienne, où le ÖVP de centre droit a fait sienne la question
du fort pourcentage d’élèves dans les écoles viennoises dont la
langue maternelle n’était pas l’allemand: « Essayons de parler de
l’éducation, mais en allemand », pour se rendre tout simplement
compte que le FPÖ l’avait devancé, privant le SPÖ d’une majorité.67
Wodak, d’autre part, est effectivement d’avis que les partis de centre
droit pourraient dissuader certains électeurs en flirtant ainsi avec
l’extrême droite. Cependant, dans les pays où l’extrême droite n’a
pas une présence forte, comme par exemple au Royaume-Uni et en
Allemagne, le centre droit pourrait tirer profit de ce virage à droite,
comme le souligne Helbling.68
Dans les années 2000, au milieu des manifestations croissantes de
conflit en Europe sur fond de tensions ethniques, notamment les
L’enquête portant sur huit pays de l’UE, mentionnée au chapitre
précédent, est inquiétante à de nombreux égards. Elle démontre
69
70
71
72
73
66 Entretien, 28 novembre 2011
67 Entretien, 1er décembre 2011
68 Entretien, 24 novembre 2011
20
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 15 novembre 2011
Communication personnelle, 23 novembre 2011
Communication personnelle, 16 novembre 2011
Entretien, 18 novembre 2011
Chapitre 4: Contester l’extrême droite
attentats à Madrid en 2004 et à Londres en 2005, l’assassinat du
réalisateur néerlandais Theo Van Gogh en 2004 et les émeutes dans les
banlieues françaises en 2005, il est devenu évident aux gouvernements
de tous horizons politiques que les deux modèles conventionnels de
gestion de la diversité, l’assimilation et le multiculturalisme, avaient
échoué.74 En 2005, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont réclamé
un document leur offrant des conseils sur les politiques et les bonnes
pratiques en la matière et c’est ainsi que le Livre blanc sur le dialogue
interculturel a vu le jour en 2008, esquissant un nouveau paradigme,
interculturel cette fois. A la différence de l’assimilation, ce dernier
reconnaît la réalité empirique de la diversité culturelle et le besoin
concomitant d’égalité des citoyens et d’impartialité des pouvoirs publics
pour prévenir la discrimination et l’aliénation. Mais contrairement au
multiculturalisme, il met en valeur une reconnaissance mutuelle
au-delà des lignes de démarcation culturelles - un dialogue rendu
possible par une adhésion à des normes universelles et indispensable
pour prévenir la ghettoïsation des communautés minoritaires et le
renforcement involontaire au sein de ces communautés du pouvoir des
figures masculines marquant la culture « traditionnelle ». Le Livre blanc
expose en conséquence un programme visant à promouvoir les droits
humains et l’intégration sociale, à assurer l’égalité de genre, à contester
les versions nationalistes de l’histoire, à s’attaquer aux stéréotypes
dans les reportages présentés dans les médias, à encourager le
multilinguisme, à promouvoir le dialogue interreligieux, à aménager
des espaces de dialogue sûrs, à soutenir le travail des ONG en faveur
d’un dialogue sur le terrain, etc.
Sur le plan local, il reste encore beaucoup à faire. Le Réseau des
villes interculturelles, action conjointe de la Commission européenne
et du Conseil de l’Europe, a fait suite au Livre blanc sur le dialogue
interculturel et inclut les municipalités désireuses de voir leur
démographie diverse comme un défi et un avantage compétitif
potentiel, plutôt que comme une menace, comme le voudrait
l’extrême droite.78 Cela peut établir une dynamique différente entre le
« soi » et l’« autre », par exemple, en associant les femmes immigrées
et non immigrées à des projets permettant de faire avancer un
programme commun. Un guide pratique a été publié par ce Réseau,
basé sur l’expérience partagée de ses 21 membres jusqu’à ce jour.79
Le but devrait être de transformer les questions symboliques
potentiellement explosives dans le domaine de la « politique identitaire » en problèmes concrets à résoudre. Par exemple,
la Finlande arrive systématiquement en haut des tableaux
PISA et est qualifié de pays ayant le système éducatif le plus
performant en Europe. Elle conserve cette position en partie
grâce à un soutien intensif aux enfants dont la première langue
n’est pas le finnois, face à certaines pressions menaçant de
retirer les élèves finlandais de diverses écoles et prônant un
plafonnement du pourcentage d’élèves non-finlandais.75
La menace de l’extrême droite, bien qu’elle ne soit pas uniforme
en Europe, ainsi que nous l’avons déjà souligné, est un phénomène
néanmoins répandu sur l’ensemble du continent. Wodak se plaint
de l’absence de leadership à cet égard. Elle réclame une voix plus
forte de l’Union européenne, y compris du Parlement européen et de
l’Agence européenne des droits fondamentaux, plus particulièrement
en ce qui concerne les évolutions en Autriche et en Hongrie. Selon
elle, il en va de la crédibilité de l’UE en matière des droits humains.81
Betz souligne que le dialogue interculturel implique forcément un
processus de longue haleine. Il note qu’il a fallu un siècle pour que
les catholiques soient acceptés dans certains centres protestants en
Suisse et cite comme exemple la cathédrale de Lausanne qui est
restée sans clocher jusque dans les années 1900 et dont les cloches
n’ont pas pu sonner avant les années 30. Il soutient, de la même
façon, que le catholicisme américain a dû changer afin de réagir aux
attaques des populistes au 19ème siècle, et il a fallu alors modifier
aussi ce qu’être américain voulait dire, ce qui a mené en fin de compte
à un compromis. Il indique aussi que les partis politiques devraient
cesser de se tourner vers les riches, incarnés par des figures telles que
Dominique Strauss-Kahn, et devraient réinvestir dans la protection
sociale afin d’empêcher ceux qui ont le sentiment d’être les perdants
de la mondialisation de voter pour des politiciens comme Le Pen.80
D’ailleurs, Swyngedouw estime que le programme progressiste
doit aussi être de portée continentale. Il lance un appel en faveur
de la démocratisation de l’UE et du renforcement de sa dimension
sociale. Il reconnaît qu’un réinvestissement dans la protection
sociale est incompatible avec l’omnipotence actuelle de la politique
économique monétariste et déflationniste.82 En effet, l’un des plus
grands paradoxes est que l’orthodoxie conduite par l’Allemagne
dérive d’un malentendu selon lequel les origines du nazisme
résideraient dans l’hyperinflation de Weimar plutôt que dans les
deux budgets déflationnistes de Brüning et le chômage massif qui
s’en est suivi, avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Socialiser la dette
d’un nombre croissant d’Etats membres de l’UE menacés par une
grève des créanciers obligataires, en donnant à la Banque centrale
européenne un rôle de prêteur de dernier recours et en émettant
des euro-obligations, est par conséquent non seulement essentiel
pour sauver l’euro d’un effondrement potentiel, mais sans doute
également vital pour réduire la vague montante de l’insécurité sur
le continent européen, ce que l’extrême droite cherche à traduire en
ressentiment nationaliste.
Les partis politiques peuvent apporter des changements simples
afin de s’assurer qu’ils reflètent davantage les sociétés diverses
qu’ils représentent. Wachter souligne que sur les 183 membres du
parlement autrichien, seul un député (écologiste) appartient à la
minorité turque,76 alors que Nicolae recommande vivement aux partis
de promouvoir la participation des Roms.77 Cela « normalise » l’idée
selon laquelle les membres des communautés minoritaires sont des
citoyens, tout aussi capables de faire avancer l’intérêt public dans
l’arène politique, plutôt que de s’intégrer dans une altérité étrangère.
Un travail précieux a été effectué récemment à ce sujet par le Bureau
européen d’informations sur les Roms (ERIO), en collaboration avec
le Réseau européen contre le racisme (ENAR), pour démonter les
mythes concernant les Roms, contestant la romaphobie et soulignant
le fait que sur l’ensemble de l’UE, les Roms sont moins libres de leur
mouvement que les autres citoyens européens (ENAR/ERIO, 2011).
74 L’un des auteurs avait reçu pour mission d’analyser les réactions des Etats membres
du Conseil de l’Europe dans le cadre de sa consultation menant au Livre blanc, avant
d’écrire le premier projet de ce document.
75 Jessica Shepherd, ‘Immigrant children benefit from Finnish education’ (Les enfants
immigrés bénéficient de l’éducation finlandaise), Guardian, 21 novembre 2011 (www.
guardian.co.uk/education/2011/nov/21/finland-education-immigrant-children)
76 Entretien, 1er décembre 2011
77 Entretien, 28 novembre 2011
78
79
80
81
82
21
Voir: www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/default_en.asp
Disponible ici: www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/ICCsteps_en.pdf
Entretien, 14 novembre 2011
Entretien, 24 novembre 2011
Entretien, 16 novembre 2011
Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion
Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion
L’Europe est hantée par un spectre. Mais loin d’être celui du
communisme, comme l’auraient espéré Marx et Engels lors
de la publication du Manifeste communiste en 1847, c’est
une extrême droite renaissante et réorganisée qui hante
le continent européen, faisant ressurgir le cauchemar des
années 30.
l’affaire des partis populistes eurosceptiques et anti-élites.
Ainsi donc, lors de la campagne présidentielle française, par
exemple, Marine Le Pen a fait de l’euro l’une des principales
cibles de ses attaques. Il est indubitable, rappelons-le, que la
crise au sein de l’UE a fourni à l’extrême droite une structure et
une opportunité politique à exploiter.
Une inquiétude généralisée se fait sentir chez les progressistes
européens. Ils pensent que tout comme pendant la grande
dépression, une crise structurelle du capitalisme, loin de
précipiter automatiquement un virage radical de l’opinion
publique, risque d’être exploitée avec succès par l’extrême
droite, avec un centre droit lui faisant écho en mode mineur.
Cela provoquerait non seulement la destruction de ce qui reste
du consensus socio-démocrate d’après-45, mais redéfinirait la
politique, en des termes schmittiens polarisés, contre l’« autre »
immigré/islamiste ennemi, tout en laissant le véritable auteur
de la crise, le banquier dans le casino capitaliste de Keynes,
s’en tirer sans être inquiété. D’aucuns craignent que les sociodémocrates, à qui il aura fallu des dizaines d’années pour se
mettre au diapason des mouvements sociaux émancipatoires
des années 60, ne se retrouvent désormais fragilisés, étant
donné que leur soutien prolétaire fondamental se sent en
quelque sorte rassuré par la propagande « sécuritaire », même
illusoire, sur un marché où les protections gagnées de haute
lutte ont été décapitées par la réponse soi-disant inévitable à
la mondialisation.
Ceci ne constitue toutefois pas un nouveau défi: au tout début
de la mondialisation, avant la première guerre mondiale,
l’immigration a transformé Vienne en une ville multinationale
comme le sont actuellement de nombreuses villes d’Europe.
C’est dans ce contexte que les Austro-marxistes ont développé
l’idée du « principe de personnalité », selon laquelle chaque
résident pourrait décider de sa nationalité après avoir atteint
l’âge de voter et qui reconnaissait le caractère labile de l’identité
culturelle (Bauer, 2000). La libéralisation de la citoyenneté en
Allemagne, réalisée en 2000 par le gouvernement précédent,
formé par le Parti socialiste (SPD) et le Parti écologiste, s’est
basée sur cette philosophie, avec des effets très appréciables
(notamment les très bons résultats de l’équipe allemande à la
Coupe du monde en Afrique du Sud dix ans plus tard).
La reconnaissance de ce que Bobbio allait appeler le « concept
individualiste de la société » allait se trouver au cœur du
consensus anti-fasciste, probablement le mieux incarné en
Italie, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Les
normes élaborées pour former le socle du Conseil de l’Europe
en 1949, la démocratie, les droits humains et l’Etat de droit,
sont inconcevables tant que chaque citoyen n’est pas perçu
en tant qu’unité politique, titulaire de droits et sujet de justice.
Ces normes sont diamétralement opposées à la réduction
métaphorique, et réelle par la suite, de populations entières
de personnes étiquetées et homogénéisées à cause de leur
appartenance à un groupe stigmatisé.
En ce qui concerne les perspectives d’avenir, ainsi que
nous l’avons déjà fait remarquer à plusieurs reprises, les
organisations d’extrême droite ne se sont pas contentées de
fonctionner en simples partis d’opposition, tirant à boulets
rouges sur les gouvernements, tout en restant à l’extérieur.
Certains des partis ayant remporté le plus de succès ont
participé à des gouvernements et à l’élaboration des politiques.
Pour les partis politiques traditionnels, ces arrangements en
matière de partage du pouvoir avec l’extrême droite ont assuré
la formation de coalitions fonctionnelles, malgré le prix qu’ils
ont dû payer pour cela, à savoir accepter l’influence politique
de leurs partenaires. Il est plus que probable que cette pratique
persistera dans certains pays, légitimant par conséquent
l’extrême droite, tout en continuant à faire pression sur cette
famille politique pour qu’elle gère sa transition de l’opposition
vers une fonction gouvernementale – un processus ayant des
conséquences sur le maintien et l’augmentation du nombre
des électeurs de l’extrême droite. L’électorat des partis
d’extrême va connaître une augmentation, dans une certaine
mesure tout au moins, tant que la crise de l’euro persistera et
que les Etats membres de l’UE auront recours à l’imposition de
mesures d’austérité pour alléger les déficits. Au moment de la
rédaction de ce texte, le recours à des gouvernements dirigés
par des (ex-)technocrates de l’UE (comme en Italie) fait bien
Ce fil conducteur normatif peut inverser le cours politique
sur la question de l’immigration, comme cela a été démontré
en 2010 lors de l’expulsion des Roms de la France, à forts
relents historiques. Tout d’abord, la droite a été isolée au
Parlement européen par la motion de l’Alliance progressiste
des socialistes et démocrates condamnant ces expulsions.
Ensuite, encore qu’avec un certain retard, c’est la Commissaire
européenne à la justice, Viviane Reding, qui a dénoncé l’action
de Sarkozy, faisant allusion, avec témérité, à la déportation des
juifs vers les camps sous le régime de Vichy.
Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’un des talons
d’Achille de l’extrême droite réside dans la nature autoritaire
de son populisme. Par conséquent, une partie de la réponse
pour les progressistes européens est d’être les plus grands
partisans et les défenseurs les plus engagés de ces normes
universelles qui, dans ce contexte, se rejoignent et se fondent
22
Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion
laquelle pourrait s’engager le patronat dans une course au
rabais, exploitant les travailleurs migrants, officiellement ou
officieusement. La voie qui s’impose est celle où la protection
de l’emploi et la protection sociale universelle, basées sur
une imposition fiscale progressive – thèmes traditionnels de
la sociale démocratie, plus particulièrement dans les pays
nordiques – permettront aux entreprises de maximiser leurs
ressources humaines face à la concurrence internationale tout
en libérant progressivement les travailleurs de l’insécurité d’un
statut de simple marchandise.
dans l’idée de la lutte contre les discriminations. Mais outre
cela, en cette ère de mondialisation, ces normes devraient
épouser une politique cosmopolite en vue de gérer la diversité
de façon démocratique et progressiste.
Il ne s’agit pas là d’une politique de déracinement, dans le
sens classique du terme, mais plutôt, comme l’a défini David
Held (2003: 169), d’un cosmopolitisme caractérisé par la triple
exigence d’une égalité des citoyens, d’une reconnaissance
réciproque de notre humanité commune et d’une impartialité
des pouvoirs publics pour arbitrer les revendications culturelles
concurrentes. Ce qui implique, ainsi que le soutient Ulrich
Beck (2005: 92), une philosophie politique de « tolérance
constitutionnelle » qui assure la neutralité de l’Etat et fait en
sorte qu’il puisse accueillir des personnes appartenant à tout
un éventail de nationalités.
Ce n’est guère un hasard si la droite xénophobe est apparue
comme une menace électorale en Suède dans le contexte d’un
gouvernement de centre droit qui, tout en étant incapable
de démanteler l’Etat-providence, a fait croître les inégalités
à travers des réductions fiscales favorisant les riches. Sur
le continent européen, puisque les progressistes se sont
désormais vus libérés du compromis d’une « troisième voie »
menant à un néo-libéralisme discrédité, la meilleure réponse
qu’ils peuvent apporter à la propagande « sécuritaire » est de
promettre de remeubler «les foyers de la population » avec le
produit des taxes sur les transactions financières socialement
inutiles, sur les revenus supérieurs gaspillés sur des produits
de luxe et sur les sources des émissions de gaz à effet de
serre. Ce faisant, ils pourront exploiter à bon escient l’autre
talon d’Achille de l’extrême droite, à savoir son absence de
recommandations cohérentes dans le domaine économique.
Récemment, la tendance a été d’opposer le cosmopolitisme
à la social-démocratie « conventionnelle ». Néanmoins,
exprimé ainsi, ceci révèle deux inquiétudes principales des
socio-démocrates: d’une part, veiller à ce que les travailleurs
deviennent des citoyens égaux à travers la dé-marchandisation
du travail, et d’autre part, promouvoir la solidarité entre les
citoyens grâce à un sentiment d’humanité commune. L’appel
en faveur d’un actionnariat des salariés, lancé par Wilkinson
et Pickett (2009), est pertinent à cet égard car il s’attaque à
l’insécurité du marché de l’emploi avec lequel jongle l’extrême
droite tout en sapant la hiérarchie sociale qu’elle défend.
L’une des faiblesses des mouvements des années 60 n’était
pas leur individualisme, encore moins leur lutte contre
l’autoritarisme, mais bien le relativisme et le particularisme
qui accompagnaient souvent la « politique identitaire »
représentant l’un des éléments émergents de cette
époque. En effet, le soutien naïf que la gauche a apporté au
multiculturalisme a souvent associé ce dernier, dans l’esprit du
public, au mélange incohérent de ghettos culturels minoritaires
(Hollinger, 2005).
Ceci a facilité, à son tour, la réapparition du nationalisme
« intégral », favorisé par les conservateurs lors de la période
précédant la mondialisation et qui supposait que les personnes
issues des communautés minoritaires seraient assimilées par
l’« ethos » national prédominant, ou iraient s’installer ailleurs.
Le tristement célèbre appel de Gordon Brown, « emplois
britanniques pour travailleurs britanniques », fait partie de
cette catégorie, de même que le récent et vain débat sur
l’« identité nationale » de Sarkozy où le président français
avait même organisé des consultations avec Jean Marie Le Pen
à l’Elysée, dans le but notamment de s’attirer des voix et de
s’approprier cette question. Cette approche différait quelque
peu de la pratique des trois présidents français antérieurs
qui avaient pour habitude de boycotter le chef de file du FN
(Ellinas, 2010: 196-7).
Au lieu d’emprunter ces chemins contestables, les progressistes
devraient s’en tenir à la vision d’une société véritablement
intégrée, qui tire économiquement profit du dynamisme culturel
que des décennies successives d’immigration ont apporté aux
Etats-Unis par exemple, tout en bloquant la voie facile sur
23
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LES PARTIS D’EXTREME DROITE
ET LEUR DISCOURS EN EUROPE:
Un défi de notre temps
L’extrême droite semble gagner en popularité partout en Europe. Alors qu’elle s’étend à travers
l’Union européenne, elle a influencé tant les conservateurs que les partis politiques au pouvoir.
L’on ne peut pas simplement faire l’impasse sur les partis d’extrême droite contemporains ou
ignorer les problèmes qui alimentent leur fonds de commerce et les arguments qu’ils avancent. Les
partis de cette famille politique ont eu un impact, à des degrés divers, sur la politique et la société
européennes ces dernières années.
Etant donné que le discours d’extrême droite est construit au travers des expériences quotidiennes
et des attitudes de ses membres et, dans une certaine mesure, par la société dans son ensemble,
une analyse des différents aspects de ce mouvement d’extrême droite grandissant est plus que
nécessaire.
Cette publication vise dès lors à offrir une analyse des partis politiques d’extrême droite au sein de
l’Union européenne en examinant la situation politique actuelle ainsi que le discours de l’extrême
droite et le contexte dans lequel celle-ci s’est développée. Elle étudie les différents arguments
utilisés dans le discours de l’extrême droite et les raisons de son succès grandissant partout en
Europe, et évalue en outre les différences entres les Etats membres de l’UE. Elle explore également
la manière dont les autres partis politiques, organisations et sociétés ont répondu aux défis de cette
présence de l’extrême droite, et propose des alternatives au succès de l’extrême droite, qui accroît
sa popularité au travers de messages simples.
Réseau européen contre le racisme (ENAR) aisbl
60 Rue Gallait, 3ème étage
B-1030 Bruxelles • Belgique
Tel: +32 (0)2 229 3570 • Fax: +32 (0)2 229 3575
E-mail: [email protected] • Web: www.enar-eu.org
#20048 •
Le Réseau européen contre le racisme (ENAR) est un réseau de plus de 700 ONG œuvrant pour lutter
contre le racisme dans tous les Etats membres de l’Union européenne et la voix du mouvement
antiraciste en Europe. ENAR est fermement résolu à lutter contre le racisme, la discrimination
raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, à promouvoir l’égalité de traitement entre
citoyens de l’UE et ressortissants de pays tiers et à assurer la liaison entre les initiatives locales/
régionales/nationales et les initiatives de l’Union européenne.

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