Les Partis d`Extrême Droite et leur discours en Europe
Transcription
Les Partis d`Extrême Droite et leur discours en Europe
LES PARTIS D’EXTREME DROITE ET LEUR DISCOURS en europe: Un défi de notre temps Réseau européen contre le racisme Auteurs: Robin Wilson et Paul Hainsworth Publié par le Réseau européen contre le racisme (ENAR) à Bruxelles en mars 2012, avec le soutien du Programme communautaire pour l’emploi et la solidarité sociale - PROGRESS (2007-2013) et de Open Society Foundations. PROGRESS est géré par la Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances de la Commission européenne. Il a été établi pour appuyer financièrement la poursuite des objectifs de l’Union européenne dans les domaines de l’emploi et des affaires sociales, tels qu’ils sont énoncés dans l’agenda social, et contribuer ainsi à la réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne dans ces domaines. Le programme, qui s’étale sur sept ans, s’adresse à toutes les parties prenantes susceptibles de contribuer à façonner l’évolution d’une législation et de politiques sociales et de l’emploi appropriées et efficaces dans l’ensemble de l’UE-27, des pays de l’AELE-EEE ainsi que des pays candidats et pré-candidats à l’adhésion à l’UE. PROGRESS a pour mission de renforcer la contribution de l’UE et d’aider ainsi les États membres à respecter leurs engagements et mener à bien leur action. Dès lors, il contribuera à fournir: 1. une analyse et des conseils dans les domaines d’activité qui lui sont propres; 2. à assurer le suivi et à faire rapport sur l’application de la législation et des politiques communautaires dans ces mêmes domaines; 3. à promouvoir le transfert de politiques, l’échange de connaissances et le soutien entre les États membres concernant les objectifs et priorités de l’Union; 4. à relayer les avis des parties prenantes et de la société au sens large. Pour plus d’informations: http://ec.europa.eu/progress ENAR se réserve le droit de ne pas être tenu responsable de la qualité, de la pertinence et de l’exactitude des informations fournies dans ce rapport. En conséquence de quoi, toute réclamation qui porterait sur la responsabilité d’ENAR vis-à-vis de dommages éventuels provoqués par l’utilisation de toute information fournie, y compris toute information qui serait incomplète ou incorrecte, sera rejetée. Mise en page et impression par Crossmark. Traduction par Azita Rahimpoor. Ce rapport est soutenu par la Fondation ENAR. Vous pouvez soutenir son travail pour une Europe sans racisme en faisant un don en ligne: www.enarfoundation.eu Table des matières Table des matières Avant-propos................................................................................................................... 2 Résumé . ........................................................................................................................ 3 Introduction.................................................................................................................... 5 Remerciements................................................................................................................ 5 Glossaire des partis......................................................................................................... 5 Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite............................................................ 6 Introduction...................................................................................................................................................................... 6 Elections et électeurs .................................................................................................................................................. 7 Définitions......................................................................................................................................................................... 9 Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite .................................................................... 11 Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite ..................................................................................14 Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite .......................15 Le rôle des médias.......................................................................................................................................................16 Chapitre 4: Contester l’extrême droite............................................................................ 19 Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion .............................................................. 22 Bibliographie................................................................................................................. 24 1 Avant-propos Avant-propos L’extrême droite gagne en popularité partout en Europe et influence tant les conservateurs que les partis politiques au pouvoir. Plusieurs exemples en témoignent: la popularité croissante des Vrais Finlandais en Finlande et du Parti de la Liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, ainsi que l’institutionnalisation des partis d’extrême droite parmi les partis politiques européens dans des pays comme l’Autriche, le Danemark et la France. Plutôt que de développer des idées novatrices et montrer un certain courage politique, nombreux sont ceux qui préfèrent épouser les thèmes de l’extrême droite sous prétexte que « l’extrême droite pose les bonnes questions mais y apporte les mauvaises réponses ». Plusieurs dirigeants politiques ont tendance à répondre aux problématiques auxquelles sont confrontées l’Union européenne et ses Etats membres d’une façon réactionnaire au lieu d’être innovants. Ces problématiques, qui requièrent non seulement une réflexion novatrice mais aussi la reconnaissance de la richesse des talents dans une Europe de la diversité, incluent une population vieillissante, l’immigration, les inégalités croissantes entre les revenus des riches et des pauvres, la crise économique et financière, le chômage, pour n’en nommer que quelques uns. Lorsque les dirigeants politiques empruntent les discours de l’extrême droite afin de gagner certaines parties de l’électorat de celui-ci, cela banalise l’héritage de la démocratie et contribue indirectement à la violence extrémiste en Europe. Les victimes des mouvements d’extrême droite proviennent souvent de communautés de minorités: les Roms, les noirs, les musulmans, les juifs, les gays et lesbiennes, entre autres. Mais les massacres récents à Oslo et à Utøya démontrent que les idéologies d’extrême droite constituent un danger pour la société toute entière, et pas seulement pour les minorités. N’importe qui peut devenir victime de la violence des fanatiques d’extrême droite qui veulent éradiquer la diversité de nos sociétés. Etant donné que le discours d’extrême droite est construit au travers des expériences quotidiennes et des attitudes de ses membres et, dans une certaine mesure, par la société dans son ensemble, une analyse des différents aspects de ce mouvement d’extrême droite grandissant est plus que nécessaire. Cette publication vise dès lors à offrir une analyse des partis politiques d’extrême droite au sein de l’Union européenne en examinant la situation politique actuelle ainsi que le discours et le contexte de ces partis. Elle étudie les différents arguments utilisés dans le discours de l’extrême droite et les raisons de son succès grandissant partout en Europe, et évalue en outre les différences entres les Etats membres de l’UE. Elle explore également la manière dont les autres partis politiques, organisations et sociétés ont répondu aux défis de cette présence de l’extrême droite, et propose des alternatives au succès de l’extrême droite visant à accroître sa popularité au travers de messages simples. La publication fait partie intégrante de la conceptualisation du ‘grand récit progressiste’ d’ENAR sur l’égalité et la diversité pour tous, qui vise à façonner une nouvelle vision de la société qui reconnaisse les bienfaits et la nécessité de l’égalité et de la diversité pour créer une société et une économie européennes dynamiques. L’idée est de contrer la tendance des systèmes politiques consistant à construire des identités nationales homogènes, en adoptant et promouvant la notion d’une société hétérogène et inclusive, qui reconnaît et valorise les différentes cultures, ethnicités, religions, genres et de nombreuses autres caractéristiques « de la différence ». ENAR vise ainsi à changer les attitudes, les politiques et les pratiques afin que tous les membres de la société, quels que soient la couleur de peau, le genre, la religion, le handicap, l’orientation sexuelle, etc. puissent jouir d’une participation et d’une égalité totale au sein de la société européenne. Chibo Onyeji Président d’ENAR 2 Résumé Résumé Victoires et revers de l’extrême droite d’extrême droite ont été capables de marquer leur distance par rapport au fascisme, de se moderniser et de convaincre les électeurs, ils ont été à même d’en tirer profit. A cet égard, ces partis sont allés à la pêche, tout comme la gauche, dans le réservoir des « perdants » indécis et inquiets « de la globalisation ». De fait, les partis politiques d’extrême droite vainqueurs ont remplacé les anciens partis communistes en tant que partis des « travailleurs » dans certains pays. Aperçu L’extrême droite semble gagner en popularité partout en Europe. Alors qu’elle s’étend à travers l’Union européenne, elle a influencé tant les conservateurs que les partis politiques au pouvoir. L’extrême droite a connu des succès variés et mitigés au cours de ces dernières décennies en Europe. Différents partis dans différents pays et parfois les mêmes partis dans les mêmes pays ont connu des hauts et des bas dans les urnes au fil du temps. Dans certains pays, les victoires électorales des partis d’extrême droite indiquent qu’il ne s’agit pas uniquement d’un vote de protestation, d’un événement ponctuel ou d’un phénomène passager, mais que ces partis jouissent d’une institutionnalisation de facto parmi les partis politiques européens (par exemple, en Autriche, en Italie, au Danemark, en Suisse et en France). D’autre part, un certain nombre d’Etats membres de l’UE ont connu récemment des percées assez soudaines et inattendues des partis d’extrême droite, communiquant ainsi l’image paneuropéenne d’un électorat de plus en plus nombreux et réceptif à cette famille politique (par exemple, en Suède, en Finlande, aux Pays-Bas et en Hongrie). Par ailleurs, dans certains pays (Allemagne et GrandeBretagne), les partis d’extrême droite n’ont grappillé que de faibles pourcentages des suffrages et sont considérés comme « totalement inacceptables » par la plupart des électeurs et par la société civile. Il convient néanmoins de noter que, même dans ces pays, ces partis ont enregistré des avancées significatives au cours de la décennie écoulée et ont connu des succès limités au niveau supranational, local et régional. Pour ce qui est des pays méditerranéens, les partis d’extrême droite y sont apparus mais ne sont pas parvenus à reproduire les résultats de leurs homologues et de leurs prédécesseurs en termes de succès électoral et de stature. Le parti d’extrême droite Alerte orthodoxe populaire (LAOS) a toutefois augmenté son score en 2007, faisant ainsi son entrée au Parlement national grec. Le discours de l’extrême droite Les partis d’extrême droite on trois caractéristiques principales: 1) le populisme, caractérisé par un franc-parler et un discours antiélite et contestataire, 2) l’autoritarisme, et 3) le « nativisme », c’est-à-dire la combinaison du nationalisme et de la xénophobie. L’hostilité à l’immigration a clairement été l’un des leitmotif du discours de l’extrême droite pendant de nombreuses années. Néanmoins il ne s’agit plus tant de maintenir les immigrés hors des frontières que d’avoir un débat public sur la signification de l’intégration. En effet, les populistes prétendent que certains groupes ont une identité culturelle qui ne peut pas être intégrée, vu qu’elle est soi-disant incompatible avec les valeurs libérales. L’hostilité à l’Islam est une autre des composantes principales du discours de l’extrême droite de ces dernières années. Les partis d’extrême droite qui ont remporté les scores les plus importants en Europe en sont arrivés à externaliser leur xénophobie intrinsèque: ce n’est pas « nous » qui sommes racistes, ce sont « eux », les musulmans qui sont la source de l’intolérance. Même si de nombreux partis d’extrême droite en Europe occidentale reconnaissent que l’antisémitisme ne peut pas s’exprimer dans la sphère publique, il est significatif en Hongrie, en Pologne, dans les Etats baltes, en Bulgarie et en Roumanie. En outre, les attitudes anti-Roms ont été significatives dans la rhétorique et le militantisme de l’extrême droite, et pas seulement en Hongrie avec Jobbik, mais également en Bulgarie, en République tchèque, en Italie, en France et ailleurs. Elections et électeurs Les élections ont servi de moyen d’expression de la réussite tout autant que de l’échec de l’extrême droite. Souvent les percées historiques des partis d’extrême droite les ont mis en évidence auprès d’un électorat plus vaste. Par ailleurs, les élections directes au Parlement européen ont également fourni des occasions rêvées aux partis d’extrême droite pour imprimer leur marque. Par ailleurs, leur participation à un gouvernement leur confère une certaine légitimité, mais ils doivent également faire face à des problèmes en lien avec le mandat même d’un parti populiste et contestataire. L’euroscepticisme revêt une importance croissante dans le discours de l’extrême droite et pourrait constituer un facteur de réussite future pour cette famille politique. La crise de la zone euro a aiguillé les positions anti-UE de l’extrême droite, faisant le lien comme elle le fait entre les idées de « souveraineté nationale » et la destitution des Etats « plus faibles » comme la Grèce. La crise offre à l’extrême droite une structure et une opportunité politique à exploiter. Un autre aspect socioéconomique est l’idée de la « préférence nationale » qui est associée au « chauvinisme social », refusant le droit à la protection sociale aux « étrangers » représentés comme des parasites s’y accrochant. Les élections ont permis aux partis d’extrême droite de s’attirer divers degrés de soutien, mettant souvent à mal les stéréotypes attachés à « l’électorat d’extrême droite ». Là où les partis 3 Résumé Explications de l’émergence et du succès de Recommandations pour contester l’extrême droite l’extrême droite Pour contester l’extrême droite, il faut prendre en compte et exploiter les deux talons d’Achille de l’extrême droite. En effet, alors qu’elle se présente comme l’incarnation d’opinions politiques démocratiques venant de la base, l’extrême droite est en fait profondément ancrée dans des idées fixes concernant « l’ordre », qui sont directives et ne tolèrent aucune divergence d’opinion. En outre, les partis d’extrême droite ne possèdent pas d’alternative positive à proposer par rapport à l’économie déflationniste du centre droit, dominant désormais une UE intergouvernementale. Ainsi donc, alors que l’extrême droite pourrait chuchoter à l’oreille du travailleur (d’archétype blanc et de sexe masculin) qui a perdu son emploi qu’un immigré a « volé » son travail, elle n’a rien à proposer sur la façon dont il pourrait obtenir un autre emploi. Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite Les premières descriptions relatives aux victoires et aux percées de l’extrême droite dans les pays de l’UE avaient plutôt tendance à mettre l’accent sur le changement sociétal général. Les partis politiques traditionnels ne sont pas parvenus à satisfaire leurs électorats et dès lors, des espaces se sont ouverts où de nouveaux mouvements sociaux et les représentants de leurs partis se sont emparés des électeurs des partis traditionnels d’une part, et les partis d’extrême droite en ont fait de même d’autre part. Néanmoins, la prise d’initiative a aussi son importance et les attributs mêmes des partis constituent un facteur essentiel sur le chemin de la victoire. Les partis d’extrême droite qui ont réussi sont ceux qui ont été capables de s’organiser et de saisir les opportunités et d’exploiter les niches existant dans le système politique et de parti de leur propre pays. Par conséquent, les progressistes partout en Europe doivent: Proposer une alternative cosmopolite au nationalisme et une alternative égalitaire à la hiérarchie. Concrètement, les progressistes doivent développer un projet commun fédérateur plutôt que séparateur. Ce projet inclurait les partis politiques et les réseaux véritablement européens ainsi qu’un New Deal moderne permettant d’offrir espoir et sécurité à tous. Les partis d’extrême droite prospèrent lorsque les partis traditionnels sont arrivés à une convergence en termes de politiques et de pratiques. La convergence permet aux partis d’extrême droite de dépeindre les gouvernements de gauche et de droite traditionnels comme étant fondamentalement « les mêmes » et ils insistent par conséquent sur la nécessité de les confronter à des perspectives alternatives sur des questions telles que l’immigration et l’intégration européenne. En outre, l’adoption par les partis de centre gauche des notions d’une « troisième voie » entre la gauche et la droite a présagé de l’acceptation de la mondialisation néo-libérale, ce qui a permis aux partis d’extrême droite de se présenter comme les seules forces anti-establishment défendant la volonté du peuple. Se focaliser sur le niveau local et faire un travail de proximité avec les résidents locaux et leurs préoccupations. Cela est lié à la nécessité de s’inspirer des ressources de la société civile et d’encourager une implication accrue de la population dans la vie politique et citoyenne. Faire usage du dialogue interculturel, qui reconnaît la réalité empirique de la diversité culturelle et le besoin concomitant d’égalité des citoyens et d’impartialité des pouvoirs publics pour prévenir la discrimination et l’aliénation. Le but devrait être de transformer les questions symboliques potentiellement explosives dans le domaine de la « politique identitaire » en problèmes concrets à résoudre. Les partis d’extrême droite partagent des éléments discursifs communs sur l’ensemble du continent européen. Néanmoins, là où ils sont parvenus à influencer la politique traditionnelle, ils y sont arrivés en partie en faisant clairement le lien entre ces éléments et d’autres thèmes à portée nettement plus nationale. Ainsi par exemple, le PVV aux Pays-Bas a évité les écueils de la moindre association avec l’Holocauste en adoptant une position forte en faveur d’Israël et des Etats-Unis. Le rôle des médias Quelle que soit la portée du discours de l’extrême droite, sa résonance dépend du rôle d’interface joué par les médias (y compris les réseaux sociaux). Les partis d’extrême droite et leurs porte-parole exercent un attrait particulier sur les médias, parce qu’ils parviennent à se poser en « petits nouveaux » du monde politique et sont capables d’insister sur les questions qui leur tiennent à cœur, à savoir l’immigration et l’Islam, qui sont trop facilement présentés d’« étrangers » à la société d’accueil et font l’objet de sensationalisme. En outre, les médias populaires braquent les projecteurs médiatiques sur le chef de file charismatique d’un parti ayant un message populiste plutôt que sur des figures plus modestes et collégiales, et encore moins sur les véritables propositions politiques en jeu. L’extrême droite a également tenté de contourner les médias traditionnels en utilisant l’internet à cet effet. 4 Introduction Introduction Le but de cette publication est d’examiner le discours et le contexte des partis politiques d’extrême droite existant sur le territoire de l’Union européenne. L’on ne peut pas simplement faire l’impasse sur les partis d’extrême droite contemporains ou ignorer les problèmes qui alimentent leur fonds de commerce et les arguments qu’ils avancent. Les partis de cette famille politique ont eu un impact, à des degrés divers, sur la politique et la société européennes ces dernières années. Ainsi donc, cette publication, en plus d’examiner le discours de l’extrême droite et le contexte dans lequel celle-ci s’est développée, se focalise aussi sur d’autres aspects clés des partis politiques contemporains d’extrême droite en Europe, notamment leur succès actuel et le défi consistant à contester ces partis. En guise d’introduction, le chapitre 1 examine les principales évolutions des partis politiques d’extrême droite, mettant surtout en exergue leur succès électoral ou d’autres réussites qu’ils ont obtenues dans les pays de l’UE. Il souligne notamment que les élections constituent un moment important permettant de mesurer la position de ces partis et il se penche par ailleurs sur quelques questions de définition. Le chapitre 2 s’appuie sur des entretiens avec des experts, des analyses secondaires et des publications des partis d’extrême droite, permettant d’approfondir la compréhension de leur discours. Le chapitre 3 tente d’expliquer l’émergence et le succès de l’extrême droite. Le chapitre 4 explore les réactions des autres partis politiques et organisations ainsi que celles de la société face au défi que constitue la présence de l’extrême droite, à son succès et à son discours. Une chose est claire: les partis d’extrême droite ne vont pas « s’en aller » ou imploser en tant que phénomène car les circonstances et le contexte dans lesquels ils ont émergé et prospéré ne vont probablement pas se dissiper dans un avenir immédiat. Le chapitre 5 formule quelques remarques de conclusion sur l’extrême droite dans l’UE et propose un discours alternatif progressiste permettant de faire face au discours de l’extrême droite en ces temps difficiles. Remerciements Glossaire des partis Nous sommes surtout reconnaissants aux experts, aux militants des ONG et aux spécialistes des médias qui nous ont généreusement accordé leur temps et offert leur expertise afin de renforcer notre compréhension de l’univers de l’extrême droite. Il est évident qu’ils n’ont aucune responsabilité par rapport aux points de vue que nous exprimons dans la présente publication. AN Ataka BNP DF DPP DUP FN FPÖ Jobbik LAOS LN LPF MS-FT NDP NPP NVA PS PVV SD SVP VB Nous aimerions exprimer nos remerciements envers : Peter Barabas, Rédacteur en Chef, Euronews, Lyon Prof. (émerite) Hans-Georg Betz Prof. Kristina Boréus, Université de Stockholm Glyn Ford, ex-eurodéputé, Parti travailliste, Grande-Bretagne, Comité exécutif de Unite Against Fascism Dr Marc Helbling, Centre de recherche en sciences sociales, Berlin Prof. Piero Ignazi, Université de Bologne Prof. Bert Klandermans, Université VU, Amsterdam John MacLeod, Rédacteur en chef, Institut d’étude sur la guerre et la paix, Londres Prof. Nonna Mayer, CNRS et Centre d’études européennes, Sciences Po, Paris Prof. Cas Mudde, Université De Pauw à Greencastle, Indiana Valeriu Nicolae, Centre de politique pour les Roms et les minorités, Bucarest Hans Rauscher, Chroniqueur, Der Standard, Vienne Prof. Marc Swyngedouw, Université de Louvain Kurt Wachter, Institut viennois pour le dialogue et la coopération internationale Prof. Ruth Wodak, Université de Lancaster 5 Alliance nationale (Italie) Attaque (Bulgarie) Parti national britannique Parti du peuple danois Parti du progrès danois Parti unioniste démocrate (Irlande du Nord) Front National (France) Parti autrichien de la liberté Mouvement pour une meilleure Hongrie Alerte orthodoxe populaire (Grèce) Ligue du Nord (Italie) Liste de Pim Fortuyn (Pays-Bas) Mouvement social – Flamme tricolore (Italie) Parti national-démocrate (Allemagne) Parti du progrès norvégien Nouvelle alliance flamande (Belgique) Vrais Finlandais Parti pour la liberté (Pays-Bas) Démocrates de Suède Parti du peuple suisse Vlaams Belang (Intérêt flamand) (Belgique) Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite Introduction des élections présidentielles françaises en 2002) et 12 pour cent pour ce qui est du Vlaams Belang (en 2007). En 2004, le Vlaams Belang a été également le principal parti au Parlement flamand, disposant de 32 sièges (sur 124) et ayant remporté 24,2 pour cent des voix. En Europe occidentale, l’extrême droite a connu des succès variés et mitigés au cours de ces dernières décennies. Différents partis dans différents pays et parfois les mêmes partis dans les mêmes pays ont connu des hauts et des bas dans les urnes au fil du temps. Dans un ou deux pays, notamment en Autriche et en Italie, les partis d’extrême droite – le Parti autrichien de la liberté (FPÖ) (26,9 pour cent et 52 sièges aux élections parlementaires de 1999) et la Ligue du Nord (LN) (doublant ses suffrages et passant à 8,3 pour cent et 60 sièges aux élections parlementaires de 2008) – sont parvenus à intégrer les gouvernements en place, même s’ils ne sont jamais devenus des acteurs majeurs sur l’échiquier politique de leur pays. Le FPÖ est devenu le deuxième plus grand parti au Parlement autrichien et son Président, feu Jörg Haider, a été le « négociateur » lors de la formation du gouvernement de coalition entrant. Il convient de noter que les élections de 1999 en Autriche ont été qualifiées par certains observateurs de « succès le plus retentissant d’un parti d’extrême droite en Europe depuis cinquante ans » (Pedazhur et Brichta 2002: 31). Par ailleurs, il faut se pencher sur l’évolution de l’Alliance Nationale (AN) en Italie, dirigée par Gianfranco Fini. En effet, en dépit de ses origines néo-fascistes en tant que Mouvement social italien (MSI), l’AN a tempéré son image publique, s’est officiellement dissoute et a intégré le gouvernement dirigé par Silvio Berlusconi (Tarchi, 2003; 2005). Dans l’intervalle, la LN a participé à plusieurs gouvernements Berlusconi au cours de ces vingt dernières années, bien qu’elle ait précipité la chute de l’un de ses gouvernements et ait finalement réclamé la démission du Cavalieri en 2011 (voir Albertazzi et McDonnell, 2005; Wilson, 2009). Les partis mentionnés dans les paragraphes précédents constituent des exemples de partis d’extrême droite qui ont gagné un soutien significatif de façon assez constante tout au long des dernières décennies, depuis le début de leur percée. Le fait que ces partis aient pu obtenir de telles victoires électorales à l’occasion de plusieurs scrutins semble indiquer qu’il ne s’agit pas uniquement d’un vote de protestation, d’un événement ponctuel ou d’un phénomène passager, mais que ces partis jouissent d’une institutionnalisation de facto parmi les partis politiques européens (Pedahzur and Brichta, 2002). Mudde met également en garde contre le fait d’invoquer hâtivement le rôle de la crise pour expliquer le succès des partis populistes radicaux de droite, étant donné notamment que « bien qu’intuitivement cela puisse paraître aisé à appréhender, il s’avère assez difficile d’en préciser les contours » (Mudde 2007: 205). Contrairement aux exemples mentionnés plus haut, un certain nombre d’Etats membres de l’UE ont connu récemment des percées assez soudaines et inattendues des partis d’extrême droite, communiquant ainsi l’image paneuropéenne d’un électorat de plus en plus nombreux et réceptif à cette famille politique. En Suède, par exemple, outre le succès furtif de la Nouvelle démocratie (6,7 pour cent des suffrages et 25 sièges au Riksdag en 1991), l’extrême droite n’avait guère enregistré de réussite significative depuis la guerre jusqu’à ce que les Démocrates suédois (SD) obtiennent un score de 5,7 pour cent aux élections parlementaires de 2010 et entrent au Riksdag pour la première fois. Le secrétaire international de ce parti a affirmé: «Nous avons changé le débat. Ils ne peuvent plus nous ignorer comme ils avaient l’habitude de le faire auparavant » (Biswas, 2011: 15). D’autres pays également, tels que la Finlande, la Hongrie et les Pays-Bas, ont récemment fait preuve de schémas non dissemblables de comportement et de résultats électoraux. Dans d’autres pays tels que le Danemark et la Suisse, les partis d’extrême droite (le parti du peuple danois – DF et le Parti du peuple suisse – SVP) ont soit appuyé, soit obtenu une place à la table du gouvernement au cours de ces dernières années. En effet, depuis 1999, le SVP s’est de plus en plus concentré sur des questions telles que l’Europe, l’immigration, les demandeurs d’asile et l’Islam et a émergé comme le parti politique le plus important de Suisse, atteignant son plus haut score lors des élections parlementaires fédérales de 2007 où il a remporté 29 pour cent des suffrages et 62 sièges sur 200. Ailleurs, en France et en Belgique notamment, les partis d’extrême droite – le Front National (FN) et le Vlaams Belang (Intérêt flamand – VB) (appelé Vlaams Blok avant 2004) – ont obtenu des résultats électoraux impressionnants à plusieurs reprises, même s’ils ont été en grande partie mis à l’écart, soumis au cordon sanitaire et marginalisés par les partis politiques dominants et les coalitions en place. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont pas eu d’impact mais plutôt que leurs victoires électorales et le succès de leurs discours ont été obtenus en tant qu’ « outsiders » par rapport aux grands courants politiques traditionnels. A ce titre, ces partis ont obtenu comme score maximum 16,9 pour cent des voix en ce qui concerne le FN (pour le leader Jean-Marie Le Pen lors Lors des élections générales de 2011 en Finlande, par exemple, le parti « Vrais Finlandais » (PS) – anti-immigrés et eurosceptique – est remonté d’un niveau nettement plus bas (4,1 pour cent des suffrages et cinq sièges en 2007) pour arriver à un score de 19 pour cent des voix et 39 sièges (sur 200), ce qui en a fait le troisième plus grand parti au parlement national finlandais (Arter, 2011). Les élections en Finlande ont coïncidé avec la crise persistante de la zone euro et les Vrais Finlandais ont transformé en fonds de commerce la possibilité pour la Finlande de devoir payer une partie des fonds nécessaires au plan de sauvetage des pays de l’UE à la dérive. Ainsi qu’un observateur l’a résumé, le soutien croissant aux Vrais Finlandais reflète « l’humeur de notre époque » et contribue à ce que le pays « s’aligne profondément sur les fondamentaux de la scène politique européenne de l’année écoulée, à savoir 6 l’émergence d’une extrême droite populiste conjuguant la nostalgie des valeurs et des traditions en perte de vitesse à un appel antiimmigrés et anti-UE ».1 des suffrages et sont considérés comme « totalement inacceptables » par la plupart des électeurs et par la société civile. Il convient néanmoins de noter que, même dans ces pays, des partis tels que le Parti national britannique (BNP) et le Parti national démocrate allemand (NPD) ont enregistré des avancées significatives au cours de la décennie écoulée et ont connu des succès limités au niveau supranational, local et régional. En outre, l’attention que les médias ont accordée à ces partis a été considérable et a sans doute été bien au-delà de ce à quoi un petit parti aurait pu raisonnement s’attendre (Ellinas, 2010). Par ailleurs, en Hongrie, lors des élections parlementaires de 2010, le Mouvement d’extrême droite pour une Hongrie Meilleure (Jobbik) a recueilli, pour la première fois, 16,7 pour cent des suffrages et 47 sièges, et est ainsi devenu le troisième plus grand parti de ce pays. Le Jobbik avait gagné trois sièges aux élections européennes de 2009 et était en pleine ascension, en dépit de sa réputation d’antisémite, ses sentiments anti-Roms et ses liens paramilitaires (Ország-Land, 2010). Aux Pays-Bas également, avec le Parti de la liberté (PVV) en 2007 et plus fortement encore en 2010, Geert Wilders a repris le flambeau anti-islamique de Pim Fortuyn, assassiné, dont la liste (LPF) avait opéré une percée spectaculaire lors des élections générales de 2002 (Belanger and Aarts, 2006). Fortuyn avait basé sa campagne victorieuse sur le besoin de contenir l’influence de l’Islam aux Pays-Bas. Le PVV a accru sa part des suffrages, passant de 5,9 pour cent des voix en 2007 à 15,5 pour cent en 2010 et occupant 15 sièges au lieu de neuf auparavant. Il est ainsi apparu aux yeux de nombreuses personnes comme étant le véritable vainqueur des élections. Il est également à noter que le PVV a soutenu la coalition chrétiens-démocrates/travaillistes qui a finalement vu le jour suite aux négociations post-électorales (Van Kessel, 2011b). Pour ce qui est des pays méditerranéens qui ont vécu de longues périodes de dictature (Espagne, Portugal) ou qui ont été soumis à des régimes autoritaires de plus courte durée (Grèce), les partis d’extrême droite y sont apparus dans l’après-guerre mais ne sont pas parvenus à reproduire les résultats de leurs homologues et de leurs prédécesseurs en termes de succès électoral et de stature. Certaines évolutions relativement mineures ont pu être constatées, mais dans l’ensemble, comme l’a résumé un observateur avisé, il est « trop tard pour la nostalgie, trop tôt pour la protestation post-matérielle » (Ignazi, 2003: 11). Le parti d’extrême droite Alerte orthodoxe populaire (LAOS) a toutefois augmenté son score, passant de 2,2 pour cent des voix en 2004 à 3,8 pour cent en 2007, faisant ainsi son entrée au Parlement national grec en remportant 10 sièges (sur les 300). Plus récemment, la crise de l’eurozone a ouvert une nouvelle brèche pour le LAOS et lui a permis de s’intégrer à la coalition gouvernementale non élue en novembre 2011, ce qui est une première depuis la fin de la dictature militaire de 1974. Il est incontestable que la débâcle économique a offert à l’extrême droite en Grèce une structure et une opportunité politique à exploiter, grâce à la pression de l’UE. Dans les pays nordiques, le Parti du progrès norvégien (NPP) et le Parti du progrès danois (DPP) sont passés du statut de parti de protestation populiste, militant contre le fisc et la bureaucratie, à celui de parti de droite populiste, radical, protestataire et anti-élite, faisant du contrôle de l’immigration l’un de leurs fers de lance. Le NPP a recueilli 22 pour cent des suffrages et 38 sièges en 2005, ce qui en a fait le premier parti de droite et le deuxième parti sur l’échiquier politique norvégien. Quant au DPP, il a enregistré des résultats dignes d’intérêt dans les années 70 et 80, mais il a été devancé à la fin des années 80 par le Parti du peuple danois (DF) qui a obtenu de 12 à 13 pour cent des suffrages lors des élections (2001, 2005) et a joué un rôle de soutien dans les années 2000 auprès de la coalition gouvernementale libéraux/conservateurs, obtenant en contrepartie une certaine influence sur les décisions politiques et quelques postes au sein des commissions parlementaires. A la même époque, dans les pays de l’Europe centrale et orientale, on note d’ores et déjà la percée de Jobbik, mais dans d’autres pays on assiste également au succès des partis d’extrême droite populistes à divers degrés, par exemple Ataka en Bulgarie, les Républicains tchèques, les Partis nationaux en Slovénie et en Slovaquie, ainsi que le Parti de la grande Roumanie. On pourrait penser que ces partis sont moins organisés que leurs homologues en Europe occidentale et qu’ils sont davantage anti-démocratiques et activistes (Goodwin, 2011:3; Haughton et al, 2011; Minkenberg, 2011; Mudde 2005; 2007). Néanmoins, l’une des victimes de l’extrême droite en Europe centrale et orientale est incontestablement la population rom, bien que les pays de l’Europe occidentale ne soient en aucun cas à l’abri de la discrimination à l’égard des Roms. Après une présentation sommaire des différents partis d’extrême droite et leur évolution sur le territoire de l’Union européenne, il convient de noter également que leur émergence, leur consolidation et leurs récents succès n’ont pas toujours eu un caractère constant. Par exemple, lors des dernières élections parlementaires et des élections au Parlement européen en 2009, le Vlaams Belang a perdu des voix et des sièges et le score du FN lors des élections de 2007 a fortement dégringolé comparé à la déferlante Le Pen de 2002. Quant au BNP, bien qu’il ait gagné deux sièges au Parlement européen en 2009, il a perdu de nombreux sièges qu’il avait remportés au sein des Conseils municipaux en Angleterre dans les années 2000. Pour ce qui est du Danemark, lors des élections parlementaires de 2011, le DF a perdu du terrain (trois sièges) et son pouvoir de négociation s’est affaibli étant donné que la coalition gouvernementale a basculé du centre droit vers le centre gauche. Quant à l’Italie, la LN n’a pas tout à fait reproduit ses succès électoraux des années 90. En Suisse également, les élections parlementaires fédérales de 2011 ont ralenti la progression du SVP (huit sièges) vu le basculement vers le centre, bien que ce parti ait obtenu le score important de 26,6 pour cent des suffrages. Le NPP en Norvège a souffert d’une plus grande perte encore lors des élections locales de septembre 2011 et le score du parti est passé de 17,5 pour cent (en 2007) à 11,4 pour cent, ce qui est bien loin du chiffre record de 22,9 pour cent des suffrages et 41 sièges aux élections parlementaires nationales de 2009 en Norvège. Par ailleurs, dans certains pays (Allemagne, Grande-Bretagne), les partis d’extrême droite n’ont grappillé que de faibles pourcentages Elections et électeurs 1 Ian Traynor, ‘Eurosceptic True Finns party surprise contender in Finnish election’ (Le parti eurosceptique Vrais Finlandais: candidat surprise aux élections en Finlande), Guardian, 15 avril 2011 (www.guardian.co.uk/world/2011/apr/15/eurosceptic-truefinns-contender-finnish-election) Il devient dès lors clair que les élections ont servi de moyen d’expression de la réussite tout autant que de l’échec de l’extrême 7 Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite droite. Souvent les percées historiques des partis d’extrême droite les ont mis en évidence auprès d’un électorat plus vaste. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué, les élections parlementaires récentes en Finlande (2011), en Hongrie (2010) et aux Pays-Bas (2010) sont une illustration de ce phénomène. En ce qui concerne les élections françaises, elles ont constitué des moments importants pour que JeanMarie Le Pen puisse se faire une large publicité et obtenir des millions de votes. Dans un tel contexte, le score électoral assez confortable réalisé par Le Pen lors des élections présidentielles françaises de 2002 a été l’un des plus élevés parmi les succès obtenus récemment par l’extrême droite en Europe occidentale, permettant au président du FN de devancer lors du second tour le principal candidat de la gauche (Lionel Jospin du Parti socialiste) qui se présentait alors face à Jacques Chirac, chef de file de la droite et Président de la République en exercice (Bell et Criddle, 2002). d’enregistrer un léger recul auprès de cet électorat (26 pour cent) lors des élections présidentielles historiques de 2002, atteignant néanmoins sa plus haute moyenne générale (17 pour cent). Même ainsi, lors de ces élections, le soutien qu’il a obtenu de la classe ouvrière était deux fois plus important que celui de ses rivaux Chirac et Jospin (Hainsworth, 2004). Lors du scrutin présidentiel de 2007, les suffrages obtenus par Le Pen ont diminué et ont atteint les 10 pour cent, mais est néanmoins parvenu à engranger 24 pour cent de l’adhésion de la classe ouvrière (Shields, 2010). Les succès de Le Pen auprès du prolétariat ont été ainsi résumés par un analyste avisé (Mayer, 1998: 11): « Le président du FN semble avoir davantage de succès parmi les ouvriers de sexe masculin qui sont politiquement indécis et vivent et travaillent dans un environnement urbain où les thèmes de l’immigration et de la criminalité sont plus d’actualité ». Lorsque Marine Le Pen a été élue présidente du FN en 2011, des doutes ont forcément vu le jour quant à ce nouveau chef de file, femme qui plus est, au sein d’un parti et d’une famille politique qui s’étaient toujours attirés un soutien majoritairement parmi les électeurs masculins. On s’est notamment demandé si elle était capable d’obtenir les mêmes résultats que son père charismatique auprès de l’électorat général et plus particulièrement de la classe ouvrière. Il est significatif de constater qu’à moins d’un an des élections présidentielles françaises de 2012, les sondages d’opinion montrent d’une part que les intentions de vote sont de 20 pour cent de l’électorat général et atteignent le chiffre stupéfiant de 44 pour cent parmi les électeurs de la classe ouvrière, et que d’autre part, Marine Le Pen devance nettement les intentions de vote obtenues par son prédécesseur auprès de l’électorat féminin (Goodwin, 2011a: 7). Par ailleurs, les élections directes au Parlement européen ont également fourni des occasions rêvées aux partis d’extrême droite pour imprimer leur marque, notamment lorsque le FN a remporté 11 pour cent des suffrages et obtenu 10 sièges au Parlement européen en 1984 avant d’obtenir par la suite des résultats plus remarquables encore. Ou lorsque le BNP, opérant une percée moindre bien que significative, a obtenu ses deux premiers sièges européens en 2009, après avoir remporté plusieurs victoires électorales locales dans les années 2000, après que Nick Griffin soit devenu chef de file de ce Parti (Goodwin, 2011b). Les scrutins à la proportionnelle, basés sur la représentation et utilisés pour les élections du Parlement européen en France et en Grande-Bretagne, ont tous deux offert plus de place à l’extrême droite alors que dans ces deux pays, le scrutin à la majorité (à l’exception d’une courte période de représentation proportionnelle entre 1986 et 1988, sous la Cinquième République en France) offre très peu de perspective à l’extrême droite en termes de réussite électorale et d’obtention de sièges au Parlement national. Les élections – où les partis d’extrême droite remportent des victoires importantes au niveau local et régional, tout en exploitant les référendums européens – ont permis à ces partis de jouir d’une couverture médiatique et d’utiliser leur discours pour s’emparer de facto de certaines thématiques, notamment de la question de l’immigration. Un schéma semblable d’attrait de la classe ouvrière pour l’extrême droite s’est dessiné en Autriche lorsque le Parti socialiste (SPÖ) a perdu un nombre important de ses électeurs, effectifs et potentiels, au profit de son rival, le FPÖ. Alors qu’en 1979, les socio-démocrates avaient remporté 63 pour cent des suffrages des ouvriers, contre uniquement 45 pour cent pour le FPÖ, vingt ans plus tard ces scores ont été radicalement modifiés: le FPÖ a obtenu le chiffre considérable de 47 pour cent de soutien auprès de la classe ouvrière (et 27 pour cent de l’ensemble des voix) contre 35 pour cent pour le SPÖ. Ces résultats ont connu des hauts et des bas depuis les élections générales de 1999 où le FPÖ a intégré la coalition gouvernementale en partenariat avec le Parti populaire autrichien (ÖVP). En effet, lors des élections de 2002, le FPÖ a enregistré un net recul et n’a obtenu que 10 pour cent des suffrages dont 16 pour cent des voix des ouvriers, alors que la droite et la gauche faisaient une entrée en force dans les rangs des ouvriers qui votaient auparavant pour l’extrême droite, ainsi qu’au niveau de la totalité des voix (Luther, 2003a; 2003b). Les élections ont permis à ces partis de s’attirer divers degrés de soutien, mettant souvent à mal les stéréotypes attachés à «l’électorat d’extrême droite », et de toucher des électeurs qui auraient auparavant été considérés comme hors de portée par certains observateurs. Les partis d’extrême droite marginalisés en Grande-Bretagne et en Allemagne ont eu quelques difficultés à se défaire de l’image qui leur collait à la peau. Dans d’autres pays par contre, là où les partis d’extrême droite ont été capables de marquer leur distance par rapport au fascisme, de se moderniser et de convaincre les électeurs, ils ont été à même d’en tirer profit. A cet égard, comme le mentionne Bert Klandermans, ces partis sont allés à la pêche, tout comme la gauche, dans le réservoir des «perdants » indécis et inquiets « de la globalisation ».2 La leçon en a été simple: les suffrages gagnés ne sont pas irréversibles et peuvent être perdus. Par ailleurs, même en participant à un gouvernement, ce qui leur confère une certaine légitimité, les partis d’extrême droite doivent également faire face à des problèmes en lien avec le mandat même d’un parti populiste et contestataire. Une étude éloquente concernant ce scénario résume ainsi cette situation vécue par l’extrême droite: « réussite dans l’opposition, échec au gouvernement » (Heinisch, 2003). Comme Luther (2011: 468) l’explique, les choses dépendent fortement de la façon dont les partis d’extrême droite font la transition entre une politique d’opposition, l’obtention d’un maximum de voix avant de passer à de hautes charges politiques et d’âpres prises de décisions, ce qui signifie que la possibilité pour « les ex-partis outsiders de prospérer après leur Par exemple, lors des élections présidentielles françaises de 1988, Le Pen a gagné 20 pour cent de l’électorat ouvrier. Lors des élections suivantes, en 1995, il a accru sa part de suffrages de la classe ouvrière pour parvenir au chiffre impressionnant de 30 pour cent, avant 2 Entretien, 28 novembre 2011 8 Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite entrée au gouvernement dépendra fortement de leur leadership et de leur capacité à identifier et à mettre en œuvre des stratégies et une conduite correspondant au nouvel objectif des partis – briguer le pouvoir – et leur aptitude à faire face aux tensions inéluctables provoquées par la transition vers une fonction officielle ». s’intégrer à un gouvernement (Mair, 2006). En second lieu, le capitalisme industriel « national », doté auparavant de relations de classe et d’une protection sociale relativement stables, a laissé la place à un capitalisme d’information mondialisant en cette ère néo-libérale (Castells, 1996): « le travailleur industriel classique » (celui-ci est en effet principalement ciblé par l’extrême droite pour attirer son soutien) s’est retrouvé dans l’incapacité de rivaliser avec les « analystes symboliques » ayant les pleins pouvoirs, luttant pour survivre dans les économies de service, informelles ou même criminelles laissées en place (Kaldor, 2004: 166). Cela a permis aux capitaines politiques de l’extrême droite de se poser en voix des « petites gens », négligées face à l’establishment politique. Conjugué à la stigmatisation ethnique, ce phénomène a offert un terrain propice aux « prédicateurs de la haine » (Roxburgh, 2002) tels que Filip de Winter, Geert Wilders, feu Jörg Haider et Christoph Blocher et leur a permis d’émerger et de gagner un soutien important parmi les couches populaires. Les exemples mentionnés plus haut concernant la France et l’Autriche montrent des réussites relativement importantes pour des partis d’extrême droite parvenus à gagner les voix de la classe ouvrière. Pour ce qui est du FN, plusieurs raisons laissent également penser que ce succès s’est aussi développé auprès des personnes proches des syndicats. En effet, un tiers des personnes se réclamant proches du parti se déclaraient également proches d’une organisation syndicale, ce qui signifierait que les syndicats n’ont pas été capables de résister à la « pénétration » et à la « mobilisation » du FN et que les syndiqués nourrissaient, dans une certaine mesure, des points de vue négatifs à l’égard des travailleurs immigrés (Schain, 2006: 281-282). Au Royaume-Uni, par contre, le BNP a été moins convaincant, malgré la stratégie de modernisation qu’il a mise en œuvre au cours des dix dernières années (Goodwin, 2011). Ailleurs, toutefois, on a pu voir lors de certains scrutins que les ouvriers accordaient un soutien significatif aux partis d’extrême droite. Le succès éclair de la Nouvelle démocratie lors des élections de 1991 en Suède en est une illustration: ce parti était alors parvenu à attirer un nombre impressionnant d’électeurs ayant déserté les rangs des socio-démocrates (Widfeldt, 2000: 497). D’ailleurs, le DF et le NPP ont accru leurs suffrages auprès des ouvriers, élection après élection, dès le début des années 70 jusque dans les années 90. Il convient également de noter que ces deux partis ont été les deux premiers partis non-socialistes de leur propre pays à ne pas être sous-représentés parmi les travailleurs manuels (Andersen et Bjørklund, 2000: 216-218). Ainsi donc, alors que les partis d’extrême droite sont parvenus à obtenir l’appui d’un public considérable – touchant parfois des segments qui pourraient ne pas être considérés par certains observateurs comme le vivier évident de ces partis – la possibilité de futures victoires persiste bel et bien. Les résultats d’un certain nombre d’enquêtes récentes démontrent notamment cette perspective (Bartlett et al, 2011; Goodwin, 2011; John and Margetts, 2009). Définitions Jusqu’à présent, nous avons utilisé le terme « extrême droite » pour désigner les partis et les mouvements passés sous la loupe. Mais les observateurs ont adopté tout un éventail de concepts pour dépeindre les partis politiques décrits plus hauts. Comme l’a souligné l’une des personnes faisant autorité dans ce domaine (Mudde, 2007: 11) « que ce soit dans les médias ou dans le monde scientifique et universitaire, une déferlante de termes a vu le jour depuis le début des années 80 ». Dans un tel contexte, et comme on pouvait s’y attendre, certains auteurs ont remis en question l’utilisation même du terme « extrême droite » (Bartlett et al, 2011: 25): « Même s’ils sont qualifiés d’ «extrême droite », nombre de ces groupes sont difficiles à classer selon les catégories politiques traditionnelles, car non seulement ils combinent des éléments philosophiques de la gauche et de la droite, mais ils les associent également à un langage et à une rhétorique populistes ». A cet égard, les Vrais Finlandais, par exemple, « ne sont en général pas considérés comme un parti d’extrême droite »3 et certains laissent entendre que ce parti, plutôt que d’être doté d’un noyau d’extrême droite, est vraisemblablement composé d’une aile droite radicale qui a son franc-parler. D’ailleurs, Jean-Yves Camus décrit le Parti du peuple suisse (SVP) comme emblématique d’un parti gouvernemental qui ne se situait pas à l’extrême droite, ni idéologiquement, ni historiquement, mais qui se trouvait « à la droite agraire » et qui, sous la houlette de Christoph Blocher, a évolué « vers des positions populistes et xénophobes se reflétant dans ses discours sur la nécessité de mettre fin à l’immigration et de réduire le nombre de demandeurs d’asile » (Camus, 2005:15; voir aussi Carter, 2005: 9). Pour donner un autre exemple, les observateurs néerlandais signalent que le LPF de Pim Fortuyn « a mobilisé le soutien des électeurs en faisant de l’amalgame entre l’immigration et la criminalité le thème Pour résumer, on peut dire que le vote des ouvriers et la prolétarisation électorale des partis d’extrême droite victorieux se sont tellement banalisés, qu’ils constituent une pratique tout à fait habituelle dans différents pays de l’UE. On constate d’ailleurs qu’il existe de plus en plus de publications consacrées à ce phénomène indiquant la surreprésentation des ouvriers dans les rangs des électeurs des partis d’extrême droite. De fait, les partis politiques d’extrême droite vainqueurs ont remplacé les anciens partis communistes en tant que partis des « travailleurs » dans certains pays. En outre, les partis d’extrême droite ont été capables de s’accaparer une partie de l’électorat général des partis socio-démocrates pour diverses raisons. De l’avis de Van der Brug et Spanje (2009), une partie des électeurs a des sympathies de gauche sur les questions socio-économiques et de droite au sujet de l’immigration. Van Kessel (2010: 13) explique dès lors la façon dont, en suivant la méthode populiste, le PVV de Wilders est parvenu, lors des élections de 2010 aux Pays-Bas, à « convaincre de nombreux ex-partisans, vraisemblablement de gauche, du Parti travailliste et du Parti socialiste », ainsi que de nombreux libéraux, chrétiens démocrates et abstentionnistes. Le lien traditionnel entre les partis nationaux de gauche et la classe ouvrière a ainsi été rompu aux deux extrémités. En premier lieu, ces partis ont été exposés à l’érosion plus générale du système politique dans les démocraties développées – dans le cas qui nous préoccupe, essentiellement en Europe occidentale – étant donné que les partis politiques sont devenus moins représentatifs de la voix des différentes catégories de citoyens et davantage un moyen permettant aux membres d’une classe politique déconnectée de 3 9 ‘True Finns real winners in Finnish ballot’ (Les Vrais Finlandais : les véritables gagnants du scrutin en Finlande), magazine Searchlight, juin 2011 (www.searchlightmagazine.com/index.php?link=template&story=350) Chapitre 1: Victoires et revers de l’extrême droite essentiel de sa campagne », mais que cela n’en fait pas pour autant un parti appartenant à la famille politique d’extrême droite (Van der Brug, cité dans Carter, 2005: 9). comme exemple le FPÖ qui se plaint en Autriche de ce qu’il appelle la Sprachpolizei, le prétendu refus d’écouter la vox populi.6 Comme le faisait remarquer le défunt philosophe politique italien Norberto Bobbio, (1996a: 90), le mot « peuple » est un terme ambigu qui attire les dictateurs parce que la démocratie est fondée sur le rassemblement des voix des citoyens, reflétant ce que Bobbio qualifie de « concept individualiste de société » dans lequel les droits humains trouvent également leur source. Selon lui, il faudrait par conséquent se méfier des personnes qui préconisent un concept anti-individualiste, y compris pratiquement toutes les « doctrines réactionnaires ». Dans son autopsie classique du clivage gauche-droite, Bobbio (1996b: 7879) démontre que ce qui différencie la gauche de la droite, c’est leur position respective sur la question de l’égalité. Il montre par ailleurs qu’au niveau d’un deuxième axe politique, celui de la liberté contre l’autorité, l’équation n’est pas aussi tranchée. Dès lors, on comprend aisément que les opinions diverses et divergentes concernant les liens entre l’autorité et la liberté aient donné naissance à tout un ensemble de familles politiques et de partis: (a) la gauche « jacobine », égalitaire mais autoritaire (b) la gauche « libérale », égalitaire et libertaire (c) le centre droit, inégalitaire et libertaire (d) l’extrême droite, anti-libérale et anti-égalitaire Par souci de cohérence et pour avoir un texte d’une longueur acceptable, cette publication ne va pas étudier ce dernier point dans les détails. Il convient néanmoins de noter que les qualificatifs suivants ont été utilisés par différents auteurs à divers moments, dans différents contextes et pour différents partis politiques: extrême droite, droite radicale, parti populiste d’extrême droite, parti populiste extrême, néo-populiste, populiste d’exclusion, droite populiste radicale, parti anti-immigrés, parti populiste radical de droite, néofasciste et nouveau parti populiste (voir Hainsworth, 2008: 5-23; Mudde, 2007: 11-12). Une partie de cette imprécision tient à la diversité et à la nature même de l’extrême droite, ainsi que le souligne Nonna Mayer.4 En effet, l’extrême droite inclut des partis comme le FN et le Vlaams Belang, dérivant de l’extrême droite traditionnelle, des partis tels que le FPÖ et le SVP où c’est le parti parlementaire de droite qui s’est radicalisé, ou encore des partis nordiques militant contre l’Etat et la protection sociale tels que le DF et le NPP, des partis séparatistes comme la LN, des partis d’extrême droite postcommunistes comme Ataka en Bulgarie et le Jobbik en Hongrie, et encore d’autres partis populistes d’extrême droite plus récents tels que le PVV et les Vrais Finlandais. En soi, affirme Hans-Georg Betz, le populisme est « un signifiant insignifiant ».7 Il n’en reste pas moins que, dans la réalité des choses, c’est le discours et le ressort populiste de nombreux mouvements d’extrême droite qui ont contribué à leur victoire et qui inspirent la crainte chez les forces politiques rivales et chez leurs adversaires. En effet, leur discours autoritaire et populiste à la recherche de boucs émissaires s’est diffusé dans la pensée conservatrice plus large, et même au-delà. Un exemple plus extrême est illustré par la Hongrie de Viktor Orban, soumise à l’influence de Jobbik, qui a défié les valeurs universelles des institutions européennes en 2012. Celles-ci n’ont pas pu répondre à ce défi jusqu’à ce que la dépendance économique accrue de la Hongrie sous le leadership d’Orban l’affaiblisse. Les « communistes » ont joué le rôle de boucs émissaire pour le « Viktator », tout comme pour Silvio Berlusconi en Italie. Etant donné le franc-parler et le discours anti-élite et contestataire des différents mouvements d’extrême droite, il n’y a rien d’étonnant à ce que le populisme figure en bonne place sur la longue liste des qualificatifs utilisés par les différents observateurs. De fait, les caractères de l’acronyme grec LAOS correspondent au terme «populisme » (Wilson, 2009). Kitschelt (2002: 179) a défini le populisme comme étant « l’expression de mécontentement face aux modes existants d’intermédiation politique entre les élites et la masse et le désir d’abandonner les intermédiaires qui se trouvent entre les citoyens et les dirigeants ». A ce sujet, Betz (2003: 195) pense que « les partis radicaux de droite profitent surtout de leur capacité de se vendre en tant que défenseurs des gens ordinaires ». Dans un récent article paru dans l’Economist, on pouvait lire: « L’Europe a une nouvelle voix discordante. Les populistes antimusulmans, anti-élites, antimondialisation et de plus en plus antiBruxelles ont aujourd’hui un certain poids dans les pays nordiques, au même titre qu’aux Pays-Bas et en Flandre, en France, en Italie, en Autriche et dans certaines parties de l’Europe de l’Est. Ces groupes prennent des formes très variées, mais ils se réclament tous de Pierre Poujade, le populiste français d’après-guerre, le premier se préoccupant des « petites gens arnaquées et bernées ».5 On constate que les partis d’extrême droite, en tant que tels, parviennent à mobiliser la population autour de différents problèmes, notamment le soutien au logement social, la lutte contre la criminalité violente ou la campagne contre la construction de mosquées locales ou de centres pour demandeurs d’asile. C’est ainsi que dans son numéro spécial de juin 2011, le magazine New Internationalist fait valoir que « les partis populistes d’extrême droite essayent de s’affirmer en tant que voix authentique du peuple et représentant de la majorité silencieuse. Ils prétendent aborder les thèmes qui sont ignorés par les élus politiques » (Bitwas, 2011: 17). A cet égard, Ruth Wodak donne 4 5 Dans son analyse, Bobbio met en lumière une importante distinction: les partis d’extrême droite victorieux ont peut-être poursuivi une politique populiste plutôt que d’adopter l’attitude pugilistique des skinheads et des squadristi8. Néanmoins, cette politique ne correspond pas aux véritables valeurs et normes démocratiques. De tels partis conservent une vision fondamentalement autoritaire du monde. Il s’agit-là de l’un des talons d’Achille de l’extrême droite: alors qu’elle se présente comme l’incarnation d’opinions politiques démocratiques venant de la base, l’extrême droite est en fait profondément ancrée dans des idées fixes concernant « l’ordre », qui sont directives et ne tolèrent aucune divergence d’opinion. Après avoir présenté le cadre de cette publication dans ce premier chapitre, nous allons expliquer dans le chapitre suivant la façon dont le populisme, ce « signifiant insignifiant », construit son discours et quelles sont les composantes de sa rhétorique. 6 7 8 Communication personnelle, 16 novembre 2011 ‘Beyond the fringe’ (Par-delà les lisières), Economist, 12 novembre 2011 (www.economist.com/node/21536873) 10 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 14 novembre 2011 Des groupes paramilitaires fascistes actifs en Italie des années 20 jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite En ce qui concerne la situation générale, Carter a examiné les victoires des partis d’extrême droite et leurs variantes en Europe occidentale et a étudié plus particulièrement les raisons des succès et des échecs de cette famille politique. L’idéologie ou le discours constitue ici un facteur important, mais il existe d’autres variables telles que la prise d’initiative, les liens avec les partis politiques traditionnels et l’impact des institutions électorales des partis d’extrême droite et des partis traditionnels. Pour ce qui est de l’idéologie (ou discours), Carter présente une typologie subdivisant les partis d’extrême droite en cinq catégories: néo-nazi (par exemple le NPD en Allemagne), néo-fasciste (par exemple le Mouvement social italien – La Flamme tricolore en Italie – MSFT), xénophobe et autoritaire (par ex. le FN en France et le FPÖ en Autriche), xénophobe néolibéral (par exemple le DF au Danemark) et populiste néolibéral (par exemple le NPP en Norvège, avant le milieu des années 1980) (Carter, 2005: 13-63). Alors que les deux premières catégories ont eu des difficultés pour remporter des suffrages, les trois derniers groupes ont eu davantage de succès. Bien entendu, ces victoires sont dues au fait que certains partis ont eu un discours moins extrémiste que d’autres, mais il convient également de prendre en compte d’autres facteurs: le leadership, l’organisation, les expériences d’intégration gouvernementale, la capacité des partis traditionnels à « s’approprier leurs idées » (par exemple sur une question telle que l’immigration) ou encore si la convergence des partis traditionnels a ouvert des espaces ou des niches dont pourrait bénéficier l’extrême droite. En d’autres termes, le discours a son importance, mais ce n’est pas le seul élément qui compte. Et cette nation est idéalisée avec nostalgie et imaginée comme une communauté homogène, ce qui assombrit et renforce en même temps la hiérarchie sociale élargie de la caractéristique autoritaire des sociétés capitalistes contemporaines (Wilkinson et Pickett, 2009). Pour l’extrême droite, il est essentiel de dépeindre toutes ces thématiques comme des préoccupations de « l’homme de la rue » contemporain, auxquelles l’extrême droite est la seule à apporter des réponses honnêtes et franches, étant donné que les chefs de file de l’extrême droite savent pertinemment qu’il leur serait fatal d’être présentés par les partis situés ailleurs sur l’échiquier politique comme irrévocablement arrimés à l’histoire du fascisme. Marine Le Pen, par exemple, affirme avoir « dédiabolisé » le FN et explique que si ses adversaires se contentent de la présenter comme un «Jean Marie numéro deux » ils font fausse route.10 L’ex-eurodéputé Glyn Ford, qui a longtemps fait campagne contre l’extrême droite, reconnaît que le passage des générations et la transformation de l’extrême droite, en réaction aux défis auxquels elle a été confrontée, ont fait en sorte qu’associer le terme « nazi » à l’extrême droite apporte peu de retour politique aux progressistes. Il affirme que dans ce sens, il est difficile de maintenir un cordon sanitaire ferme autour de cette extrême droite « édulcorée », plus particulièrement lorsque celle-ci se présente comme dégagée de sa position de paria et simplement davantage « patriote ». Entre-temps, les lignes sont devenues plus « floues sur les bords » étant donné que la droite traditionnelle est en concurrence avec cette menace électorale élargie pour l’obtention d’un soutien,11 lors d’épisodes tels que le discours tristement célèbre « Le bruit et l’odeur », stigmatisant les immigrés et soutenant le chauvinisme social, prononcé par le maire de Paris de l’époque (1991), Jacques Chirac.12 Dans son enquête menée sur « la droite radicale et populiste » en Europe, Mudde (2007) a identifié trois caractéristiques principales chez cette famille politique. Ainsi que nous l’avions déjà décrit dans le chapitre précédent, le populisme et l’autoritarisme sont deux de ces traits essentiels. Mais l’extrême droite est caractérisée par un troisième élément clé, à savoir le « nativisme ». Selon Mudde, il s’agit de la combinaison du nationalisme et de la xénophobie. Comme l’indique Smith (1999), le nationalisme implique la croyance selon laquelle la nationalité d’une personne (quelle qu’elle soit) en fait un membre du peuple élu et lui confère le sens d’une mission historique spéciale déniée au commun des mortels. Kristina Boréus l’explique usant d’une autre formulation: le nativisme ajoute à cette croyance en la supériorité nationale une détermination qui exclut les non-ressortissants vivant dans le pays et/ou leurs pratiques culturelles jugées menaçantes pour « l’Etat-nation ». 9 D’emblée, il devient clair que l’essence de ces revendications de l’extrême droite concorde avec le style de sa politique populiste et autoritaire. Pour ce qui est de la politique de préférence et d’exclusion, elle est présentée comme si le parti était l’incarnation du « peuple » contre les élites qui ont soi-disant trahi la « nation ». 9 Swyngedouw et Ivaldi ont apporté leur contribution à la compréhension du discours de l’extrême droite en effectuant une analyse comparative (2001) des manifestes des partis clés de cette famille politique en France (FN) et en Belgique (Vlaams Belang). Ces auteurs examinent les croyances idéologiques principales de ces deux partis et y perçoivent une vue ethnocentrique selon laquelle les peuples sont différents sur la base de leur origine culturelle ou ethnique. Les systèmes de croyance de ces partis représentent les immigrés comme des facteurs de menace sociale, tarissant les ressources de l’Etat et constituant un signe de décadence nationale. Ils les considèrent par ailleurs comme préjudiciables à l’image utopique d’une communauté nationale organique, telle qu’imaginée par l’extrême droite. Dans cette analyse, les auteurs, tout en signalant l’attachement de ces deux partis politiques à la 10 Kim Wilsher, ‘France’s National Front enjoys renaissance under Marine Le Pen’ (Marine Le Pen fait renaître le Front National en France), Guardian, 7 novembre 2011 (www.guardian.co.uk/world/2011/nov/06/france-front-national-le-pen) 11 Entretien, 9 décembre 2011 12 Le paragraphe principal se trouve sur ce lien: http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_bruit_ et_l'odeur_(discours_de_Jacques_Chirac) Communication personnelle, 23 novembre 2011 11 Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite démocratie représentative, mettent en lumière « un ensemble de valeurs ethnocentriques, autoritaires et anti-égalitaires qui sont à la base d’une idéologie essentiellement non-démocratique » (Swyngedouw et Ivaldi, 2001: 1). même jusqu’à prétendre qu’ils ne sont pas en soi contre les étrangers, donnant à entendre, comme ils l’ont fait en Allemagne, qu’ils visent tout simplement les musulmans « délinquants ».19 Comme d’autres auteurs, Mayer identifie l’hostilité à l’Islam comme l’une des composantes principales du discours de l’extrême droite de ces dernières années, tout en attirant l’attention sur le fait que Carl Hagen du NPP lançait déjà en 1987 une mise en garde, disant que les mosquées pourraient bientôt faire autant partie du paysage que les églises. Alors que les partis d’extrême droite de l’aprèsguerre froide en Europe de l’Est peuvent encore adopter un langage ouvertement xénophobe et antisémite, comme nous le verrons plus loin, les partis d’extrême droite qui ont remporté les scores les plus importants en Europe occidentale en sont arrivés à externaliser leur xénophobie intrinsèque: ce n’est pas « nous » qui sommes racistes, soutiendra Wilders, ce sont « eux », les musulmans qui sont la source de l’intolérance.20 Dans son « Plan en dix points pour sauver l’Occident », Wilders fait valoir que les gens devraient « arrêter de prétendre que l’Islam est une religion. L’Islam est une idéologie totalitaire ». Dans son manifeste destiné aux dernières élections générales, le BNP (2010) promettait également un « contre-jihad: confronter la colonisation islamique de la GrandeBretagne ». Ailleurs, le SVP déclare que l’Islam ne requiert pas en soi la construction de minarets, se dédouanant ainsi de la responsabilité de la controverse sur la construction des mosquées en Suisse, ainsi que l’ajoute Helbling.21 Il s’agit de jongler avec des mécanismes psychosociaux permettant de « déshumaniser l’Autre » (Chryssochoou, 2004: 53), à travers la projection d’aspects non intégrés de l’identité du Soi (Volkan, 1997: 89). Rydgren a également apporté une contribution significative à cet égard (2004). Dans son étude sur l’émergence du DF au Danemark, l’auteur soutient que ce dernier devrait être considéré comme un membre de la nouvelle famille des partis populistes de la droite radicale, tout comme le FN en France et le FPÖ en Autriche. En effet, tous ces partis partagent comme principe fondamental le populisme antiestablishment politique et la xénophobie ethno-nationale. En outre, ces partis ont été capables d’exploiter les opportunités politiques qui se sont présentées, notamment les processus de désalignement et de réalignement, la désindustrialisation et la politisation de la question de l’immigration. Le chauvinisme social a également aidé ces partis à faire appel à l’inquiétude et au mécontentement concernant les demandeurs d’asile et les travailleurs migrants. À l’instar d’autres observateurs, Rydgren retrace l’émergence du FN en France comme le modèle des partis d’extrême droite contemporains victorieux et reconfigurés, plus particulièrement sur la question de l’immigration. L’hostilité à l’immigration a clairement été l’un des leitmotif du discours de l’extrême droite pendant de nombreuses années. Betz affirme néanmoins qu’il ne s’agit désormais plus tant de maintenir les immigrés hors des frontières que d’avoir un débat sur la signification de l’intégration. En effet, les populistes prétendent que certains groupes ont une identité culturelle qui ne peut pas être intégrée, vu qu’elle est soi-disant incompatible avec les valeurs libérales.13 Selon Piero Ignazi, la reformulation et la refonte de son discours ont permis à l’extrême droite d’emprunter et de travestir les composantes de la pensée libérale et elle est parvenue à en instrumentaliser ces valeurs contre les musulmans.14 Selon Kurt Watcher de l’Institut viennois pour le dialogue et la coopération internationale, l’extrême droite a en fait déformé les valeurs de la pensée libérale dans le sens où, pour elle, le terme intégration signifie assimilation.15 De même, Wodak souligne qu’alors que le FPÖ se présente comme le défenseur du féminisme libéral (contre l’Islam), ce parti politique adhère en même temps au familialisme conservateur.16 Betz, quant à lui, affirme que cette attaque est non seulement d’ordre culturel mais tient aussi du socio-économique.22 Mayer fait remarquer la façon dont l’extrême droite reprend l’idée de la « préférence nationale » qui est associée, plus particulièrement dans les cas scandinave et néerlandais, au « chauvinisme social », refusant le droit à la protection sociale aux étrangers représentés comme des parasites s’y accrochant.23 Betz qualifie ce phénomène de « virage social » de l’extrême droite.24 Cette volte-face permet par exemple d’expliquer, selon Watcher, la capacité du FPÖ de s’attirer le soutien de la classe moyenne. Etant presque au coude à coude avec le Parti socialiste dans les sondages, le FPÖ reçoit un soutien qui n’est aucunement confiné aux « perdants de la mondialisation ».25 Pour l’extrême droite, il y a immigrés et immigrés. Selon Wachter, l’extrême droite vise les immigrés contre lesquels la culture perçue comme originaire a soi-disant besoin d’être protégée. Dans un pays comme l’Autriche considéré comme appartenant aux catholiques blancs, cette culture de souche doit être protégée contre les musulmans.17 Il faut aussi savoir que les « musulmans » n’ont pas toujours été des « musulmans » – ainsi que Cas Mudde le mentionne – mais plutôt, disons, des « Turcs »: les événements du 11 septembre ont ouvert la porte à la xénophobie-islamophobie et ont rendu ces concepts « acceptables », plus particulièrement au Danemark et aux Pays-Bas.18 Il ne faut pas oublier non plus que la discussion n’a pas toujours porté sur les immigrants du monde musulman. Auparavant, l’extrême droite prenait pour cible les Européens du sud, ainsi que le fait remarquer Marc Helbling. Certains partis d’extrême droite vont 13 14 15 16 17 18 On peut se poser la question de savoir jusqu’à quel point ces ressorts discursifs trouvent un écho auprès de l’opinion publique en Europe. Une enquête menée en 2008 dans huit pays européens a révélé que près de la moitié des personnes interrogées était d’accord avec des assertions soulignant qu’il y avait trop d’immigrés dans leur pays, que les emplois devraient être donnés en priorité aux locaux lorsqu’il y avait pénurie de travail et que (assez contradictoirement) les immigrés étaient un fardeau pour l’Etat providence. Une majorité des personnes sondées s’accordaient à dire qu’il fallait protéger leur « propre culture » de l’influence des autres et que l’Islam était une « religion d’intolérance ». 19 20 21 22 23 24 25 Entretien, 14 novembre 2011 Entretien, 15 novembre 2011 Entretien, 1er décembre 2011 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 1er décembre 2011 Entretien, 18 novembre 2011 12 Entretien, 24 novembre 2011 Communication personnelle, 16 novembre 2011 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 14 novembre 2011 Communication personnelle, 16 novembre 2011 Entretien, 14 novembre 2011 Entretien, 1er décembre 2011 Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite Les auteurs de cette étude affirment que l’intolérance est transférable d’un objet à un autre, tout en faisant remarquer que le rejet des immigrés et de l’Islam ne s’exprime pas de façon aussi uniforme par rapport au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme et à l’homophobie dans les différents pays où cette enquête a été réalisée (Allemagne, Grande Bretagne, France, Pays-Bas, Italie, Portugal, Pologne et Hongrie) (Zick et al, 2011: 54-66). De même, un sondage d’opinion effectué en France en 2011 a révélé que seule une minorité soutenait la plupart des thèses du FN, mais que plus de la moitié des personnes interrogées et deux tiers de la classe ouvrière souscrivaient à l’affirmation selon laquelle il y avait beaucoup trop d’immigrés et que les musulmans jouissaient de beaucoup trop de droits. 26 Hongrie29 alors que des violences, et même des morts, sont à déplorer à la suite d’attaques contre les membres de la communauté rom. L’homophobie joue également un rôle central dans le discours de l’extrême droite, plus particulièrement en Europe de l’Est. Elle est fondée sur des valeurs religieuses conservatrices plus générales, en Lettonie par exemple, selon Mudde.30 Il s’agit également d’un courant fort dans le Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord (DUP), un cas rare où un parti d’extrême droite a été au gouvernement en Europe occidentale, avec des membres fortement ancrés dans le protestantisme évangélique (Mudde, 2007: 55). Présidente à l’époque du comité de santé de l’Assemblée d’Irlande du Nord et députée du DUP, Iris Robinson s’est attiré l’opprobre international en juin 2008 lorsqu’elle a qualifié l’homosexualité d’« abomination », lors d’un entretien radiodiffusé.31 Cette enquête menée dans huit pays de l’UE a révélé que le niveau d’intolérance était nettement supérieur en Hongrie et en Pologne, ce qui n’est guère surprenant vu que l’époque stalinienne a empêché, jusqu’en 1989, les ex-membres du bloc soviétique de participer à la transformation fondamentale de la culture politique de l’Europe démocratique de l’après-guerre, alors que celle-ci clamait « plus jamais » à l’antisémitisme et au nationalisme agressif qui avaient donné lieu à l’holocauste et à une guerre civile continentale. Wodak établit un lien entre l’approche « modérée et subtile » de Le Pen et la reconnaissance du fait que l’antisémitisme ne peut pas s’exprimer dans la sphère publique en Europe occidentale de la façon dont il peut l’être en Hongrie et en Pologne (et également en Russie). En outre, en Hongrie, tout comme dans une certaine mesure ailleurs en Europe de l’Est, un héritage historique de non-correspondance entre les frontières de l’Etat et celles imaginées de la communauté de la « nation » a donné à l’extrême droite une autre altérité culturelle envers laquelle elle peut projeter son hostilité, à savoir les minorités nationales, ainsi que le fait remarquer Helbling.27 Le nativisme signifie que les partis d’extrême droite s’opposent à tout ce qu’ils perçoivent comme une « intrusion » par rapport à leur Gemeinschaft, leur communauté idéalisée, dit Helbling, et cette crainte d’« hypothéquer les frontières nationales » s’étend à l’européanisation et à la mondialisation. Selon Mayer, la crise de la zone euro a aiguillé les positions anti-UE de l’extrême droite, faisant le lien comme elle le fait entre les idées de « souveraineté nationale » et la destitution des Etats « plus faibles » comme la Grèce.32 Exactement comme en Italie où la LN a mené une campagne assidue contre le sauvetage du sud soi-disant frappé d’incurie, remarque Wachter, c’est désormais au niveau européen que le FPÖ se plaint en disant que le « modeste contribuable autrichien » se fait flouer.33 Lors des élections générales de 2011 en Finlande, le chef de file des Vrais Finlandais a même qualifié les élections de référendum sur l’euro, insistant sur le fait que son parti ne soutiendrait pas les opérations de sauvetage en faveur du Portugal (Arter, 2011: 1285). En général, on constate que les partisans de l’extrême droite sondés sur internet font des réflexions négatives sur l’UE: « gaspillage d’argent », « pas assez de contrôle aux frontières externes », « perte de notre identité culturelle », « davantage de criminalité » et « bureaucratie » (Bartlett et al, 2011: 66-67). Dans son programme/manifeste, le Vlaams Belang lance cet avertissement: « nous adoptons une attitude mesurée et critique vis-à-vis de l’Union européenne avec sa bureaucratie et sa tendance à s’ingérer là où la souveraineté du peuple devrait prévaloir » (Vlaams Belang, 2011). Dans une récente analyse du discours du Vlaams Belang sur l’Europe, Adamson et Johns (2008) démontrent la façon dont le parti nationaliste flamand produit idéologiquement une « Europe » qui est en opposition avec l’Union européenne. En effet, cette dernière est tenue pour responsable de l’immigration non-européenne excessive, alors que l’ « Europe » est imaginée comme une construction positive avec l’idée d’une Flandre comme nation « européenne ». Les sondages d’opinion révèlent que les électeurs et les électeurs potentiels du Vlaams Belang admettent cet énoncé, considérant de façon positive l’« Europe » tout en restant anti-Union européenne. En Grande-Bretagne, le BNP voudrait faire sortir le Royaume-Uni de l’UE. Ce parti déclare adorer l’Europe mais Selon Wodak, l’antisémitisme est également révélateur et fondamental pour les partis d’extrême droite dans les Etats baltes, en Bulgarie et en Roumanie, là où tous les partis appartenant à cette famille politique ont un passé fasciste. Et l’auteur ajoute: pour ce qui est de l’ex-« Ouest », cela s’applique également au FPÖ.28 Wachter établit un lien entre ceci et le fait qu’après 45, l’Autriche n’a pas été à même de confronter son propre passé de guerre. Selon lui, ce pays a été représenté comme la première victime du nazisme jusqu’à ce que la coalition installée en 1987 et dirigée par le Chancelier Franz Vranitzky du SPÖ (parti social-démocrate) affirme que l’Autriche avait également joué un rôle actif. Il ne faut pas minimiser l’hostilité envers une autre communauté dont les membres peuvent être erronément présentés comme des parias, plus particulièrement, mais pas exclusivement, au-delà de l’ancien rideau de fer. Les attitudes anti-Roms ont été significatives dans la rhétorique et le militantisme de l’extrême droite, et pas seulement en Hongrie avec Jobbik, mais également en Bulgarie, en République tchèque, en Italie, en France et ailleurs. Néanmoins, ce phénomène n’a pas reçu l’attention qu’il méritait, selon Valeriu Nicolae, du Centre de politique pour les Roms et les minorités à Bucarest. A ses yeux, ce serait dû à l’acceptation généralisée de ce genre d’attitude par le centre droit et le centre gauche. Wodak approuve l’opinion de Nicolae et regrette que l’UE n’entame aucune démarche pour faire face aux événements en 29 Entretien, 24 novembre 2011 30 Entretien, 18 novembre 2011 31 Leslie-Ann Henry, ‘Iris Robinson slammed for offering gay “cure”’ (Iris Robinson dans la tourmente après avoir offert un « remède » à l’homosexualité), Belfast Telegraph, 7 juin 2008 (www.belfasttelegraph.co.uk/news/local-national/iris-robinson-slammedfor-offering-gay-lsquocurersquo-13507748.html) 32 Communication personnelle, 16 novembre 2011 33 Entretien, 1er décembre 2011 26 TNS-Sofres / Le Monde, Canal Plus et France Inter, 3-4 janvier 2011; nos remerciements à Nonna Mayer pour cette référence 27 Entretien, 24 novembre 2011 28 Entretien, 24 novembre 2011 13 Chapitre 2: Le discours de l’extrême droite détester l’Union européenne et il exige « le retrait immédiat » d’« une organisation consacrée à l’usurpation de la souveraineté britannique et à la destruction de notre statut de nation et de notre identité nationale » (Parti national britannique, 2010). En ce qui concerne le SVP, Betz souligne qu’étant donné la position géographique de la Suisse, ce parti a eu une position anti-européenne persistante, défendant la neutralité suisse en temps de guerre face au fascisme et cherchant à balayer la politique consensuelle suisse en faveur d’une alternative à la britannique du genre « nous contre eux ».34 Résolument opposé à l’adhésion à l’UE, le SVP lance cette interrogation: « Qui portera un jour le poids de la dette monstrueuse de l’Europe » si les élites et la classe politique devaient « nous pousser sournoisement dans l’UE ? » (SVP, 2011: 6). un « Plan B » en vue de préparer la sortie progressive de l’euro, avant d’être frappé par « le désastre et la panique ».39 Dans son document de campagne pour les présidentielles françaises (Projet pour la France, 2011), Le Pen attaque l’euro, le qualifiant d’« aberration économique », d’échec malgré l’« aveuglement des tenants de l’Europe de Bruxelles et de Francfort » qui refusent de l’admettre. Néanmoins, la réponse de l’UE, se manifestant désormais de plus en plus dans un partenariat intergouvernemental franco-allemand, a été mise en place, menant au remplacement de gouvernements démocratiquement élus en Grèce et en Italie – deux des membres les plus vulnérables de la zone euro – par des gouvernements « techniques » acceptables pour les institutions financières (« les marchés »). Ceci ouvre un espace politique énorme pour ce que Heather Grabbe qualifie de « politiques de ressentiment à l’encontre des élites ».40 Et il n’y a pas de partisan plus résolu de ce ressentiment anti-élite que l’extrême droite. Ignazi est d’accord pour dire que l’euroscepticisme revêt une importance croissante dans le discours de l’extrême droite et pourrait constituer un facteur de réussite future pour cette famille politique. L’auteur insiste néanmoins sur le fait qu’on ne peut pas automatiquement établir une relation entre la crise économique et la progression de l’extrême droite et que cette poussée remonte aux années 80 et 90, bien avant la crise actuelle.35 Quant à Wodak, elle fait remarquer que la force caractéristique de l’extrême droite dans une Autriche et une Suisse prospères peut difficilement être attribuée à la crise.36 Effectivement, ainsi que nous l’avons déjà souligné, il serait hasardeux d’utiliser la « crise » pour expliquer le succès de l’extrême droite. On pourrait par exemple l’utiliser de façon tellement généralisée qu’elle en perdrait tout sens. En outre, comme Mudde (2007: 205) le suggère, si les périodes ou les circonstances de crise sont prédicatives de la réussite des acteurs populistes, alors cette relation devient tautologique. Les points mentionnés plus haut ne constituent pas une liste exhaustive de l’arsenal discursif de l’extrême droite. Ainsi que Mudde le fait remarquer, il convient d’ajouter deux autres thèmes à ce répertoire, à savoir la criminalité et la corruption.41 Mais ceux-ci ne sont en rien déconnectés du discours plus général de l’extrême droite. Cette focalisation politique sur « la criminalité » peut se rattacher à la stigmatisation des minorités et constitue souvent l’expression claire de la défense d’une autorité traditionnelle. Par contre, la « corruption » peut être présentée comme un symptôme supplémentaire de la dégénérescence d’une élite gouvernante distante et intransigeante. Dans un tel contexte, dans l’introduction de son manifeste, Jobbik lance un appel pour « mettre fin à la criminalité dans l’arène politique » (Jobbik, 2010: 1). Certains thèmes ressortent donc clairement dans le discours de l’extrême droite et contribuent à définir et à identifier les partis qui appartiennent à cette famille politique: le contrôle de l’immigration, l’euroscepticisme, l’identité nationale, la sécurité, l’Islam, la spécificité culturelle et la décadence nationale. D’autres chercheurs ont également indiqué que les « partis extrémistes de droite mobilisent les sentiments d’identité nationale contre l’intégration européenne » (De Vries et Edwards, 2009: 18). La difficulté réside ici dans le fait que, comme le soutiennent depuis longtemps les études sur l’intégration européenne, l’UE a été un projet des élites dès sa conception, ne faisant appel qu’à un « consensus permissif » des populations européennes pour progresser. L’assentiment populaire par rapport au projet européen a duré tant que les citoyens ont fait preuve de plus de déférence qu’aujourd’hui. Or depuis une vingtaine d’années, depuis le « non » danois au traité de Maastricht, il devient de plus en plus clair que ce n’est plus le cas, comme l’ont démontré également les référendums néerlandais et français qui ont rejeté le projet de constitution. Selon Marine Le Pen, la construction de l’Europe s’est faite largement « sans ou même contre les peuples européens » (Le Pen, 2011). Ford identifie là une réorientation de l’extrême droite de ces vingt dernières années, passant d’un mouvement qui lutte pour une Europe différente à un mouvement anti-européen en tant que tel.37 Le scepticisme à l’égard de l’UE cible désormais un euro en difficulté. Wilders a parlé d’un retour au florin pour « davantage de souveraineté et de sécurité », une position qui reçoit l’assentiment de 58 pour cent de la population néerlandaise.38 Marine Le Pen a lancé un appel pour 34 35 36 37 38 Entretien, 14 novembre 2011 Entretien, 15 novembre 2011 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 9 décembre 2011 Peter Cluskey, ‘Right-wing party proposes returning to guilder’(Le parti d’extrême droite propose le retour au florin), Irish Times, 12 novembre 2011 (www.irishtimes. com/newspaper/world/2011/1112/1224307458708.html) 39 Ruadhán MacCormaic et Derek Scally, ‘Sarkozy and Merkel prepare “to take all measures necessary”’ (Sarkozy et Merkel se préparent pour discuter de « toutes les mesures nécessaires »), Irish Times, 2 novembre 2011, www.irishtimes.com/newspaper/world/2011/1102/1224306912694.html 40 ‘Beyond the fringe’ (Au-delà des lisières), Economist, 12 novembre 2011 (www.economist.com/node/21536873) 41 Entretien, 15 novembre 2011 14 Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite Contexte et raisons des victoires de l’extrême droite Dans leur étude de cas comparative, Swyngedouw et Ivaldi (2001: 2) illustrent également la façon dont le Vlaams Belang et le FN « ont été capables d’organiser avec succès des machines de parti très puissantes et fortement centralisées ». En outre, dans leur analyse du FPÖ et du FN, Pedazhur et Brichta (2002: 47) soulignent que l’institutionnalisation et la stabilisation de ces deux partis étaient dues à plusieurs facteurs: un chef de file fort et charismatique, un soutien important de l’électorat et une représentation continue au niveau des structures nationales, européennes et des gouvernements locaux. Le résultat en a en effet été que ces deux partis ont été vus comme ayant une influence considérable et un « potentiel de chantage ». D’ailleurs, De Lange et Art (2011) soulignent le contraste entre le caractère éphémère du LPF et la présence plus soutenue du PVV aux Pays-Bas et font remarquer que les partis radicaux de droite ont besoin de construire leur organisation (par ex. leur leadership, le recrutement, la formation et la socialisation des candidats) avant la percée électorale plutôt qu’après, s’ils espèrent survivre et s’institutionnaliser. En un mot, les partis d’extrême droite ne sont pas de simples spectateurs passifs qui captent les opportunités politiques qui se présentent sur leur chemin. Ce sont des agents décisifs dans l’historique de leurs revers et de leurs victoires (Carter, 2005; Goodwin, 2006; Hainsworth, 2008; Mudde, 2007; Norris, 2005; Rydgren, 2004). Au fond, les partis d’extrême droite qui ont réussi sont ceux qui ont été capables de s’organiser et de saisir les opportunités et d’exploiter les niches existant dans le système politique et de parti de leur propre pays. Ils doivent « proposer un attrait approprié qui tire parti du moment et exploite la faiblesse stratégique des partis existants » (Kitschelt 2005: 14). Après avoir examiné la position et le discours de l’extrême droite dans les Etats membres de l’UE, ce chapitre se penche plus particulièrement sur les raisons permettant d’expliquer la réussite de cette famille politique. Différents arguments ont été avancés afin d’élucider le succès de l’extrême droite dans le contexte contemporain d’après-guerre. Effectivement, ainsi que le propose un auteur avisé (Mudde, 2007: 201), « vu le déferlement de publications sur les partis populistes radicaux au cours de ces vingt dernières années, il n’est guère surprenant de constater qu’il existe également une pléthore d’explications concernant le succès de ces partis ». De la même façon, Lloyd (2003) suggère que la montée des partis populistes en Europe durant ces dernières décennies n’a pas une cause unique. Les premières descriptions relatives aux victoires et aux percées de l’extrême droite dans les pays de l’UE avaient plutôt tendance à mettre l’accent sur le changement sociétal général. Par exemple, Ignazi déclare que les partis politiques traditionnels ne sont pas parvenus à satisfaire leurs électorats. Dès lors, des espaces se sont ouverts où de nouveaux mouvements sociaux et les représentants de leurs partis se sont emparés des électeurs des partis traditionnels d’une part, et les partis d’extrême droite en ont fait de même d’autre part. Ainsi donc, le déclin de l’identification à un parti spécifique a permis aux électeurs de se sentir plus libres et de choisir une autre formation politique. Dans un tel contexte, les partis qui ont émergé étaient différents des vieux partis néofascistes et en mesure de s’assurer un soutien. D’ailleurs, Ignazi est d’avis qu’ « Ils [constituaient] les sous-produits des conflits de la société postindustrielle où les intérêts matériels n’[étaient] plus au centre des préoccupations et où la bourgeoisie et la classe ouvrière n’[étaient] ni aussi clairement définies, ni aussi radicalement en confrontation » (Ignazi, 1996: 560). Dans le monde de l’après-guerre, l’identification à la classe sociale est devenue moins prononcée et la loyauté aux partis traditionnels et aux organisations s’est affaiblie, ouvrant la voie à de nouvelles évolutions. Pour ce qui est de « tirer parti du moment », le constat est que les partis d’extrême droite prospèrent, même si ce n’est pas toujours le cas, lorsque les partis traditionnels sont arrivés à une convergence en termes de politiques et de pratiques. A cet égard, Kitschelt (2005) attire l’attention sur les expériences de l’Autriche, des Pays-Bas, de la Suisse et de la Belgique. La convergence permet aux partis d’extrême droite (et à d’autres partis) de dépeindre les gouvernements de gauche et de droite traditionnels comme étant fondamentalement «les mêmes » et ils insistent par conséquent sur la nécessité de les confronter à des perspectives alternatives, plutôt qu’à une alternance, sur des questions telles que l’immigration et l’intégration européenne. Ignazi (2003: 217) est d’avis que « les partis d’extrême droite post-industriels sont les résidus de l’insatisfaction [concernant] les politiques gouvernementales sur des questions telles que l’immigration et la criminalité et, à un niveau plus profond, les sous-produits d’un malaise croissant dans une société plurielle, conflictuelle, multiculturelle et mondialisée ». D’ailleurs, les partis d’extrême droite peuvent en profiter s’ils s’approprient la question de l’immigration, comme en Suède par exemple (Odmalm, 2011). L’une des explications du succès Néanmoins, malgré le scénario présenté plus haut, il convient de souligner que la prise d’initiative a aussi son importance et que du côté de l’offre, les attributs mêmes des partis constituent un facteur essentiel sur le chemin de la victoire. Par conséquent, afin de résoudre la quadrature du cercle et d’expliquer les prouesses de l’extrême droite, les commentateurs se tournent aussi de plus en plus vers des interprétations internalisées et axées sur les partis mêmes. Ainsi que l’explique d’ailleurs Williams (2006: 37), ce qui compte, c’est aussi la structure du parti et sa capacité d’organisation: « plus le groupe se rapprochera d’un degré de complexité similaire à l’organisation d’un parti, plus il sera susceptible d’avoir un réel impact politique ». 15 Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite de l’extrême droite au cours de ces dernières années réside effectivement dans l’évolution des partis de centre gauche en Europe, dans les années 1990. L’adoption, sous la direction du « Nouveau » Parti travailliste en Grande-Bretagne et du Parti social-démocrate en Allemagne, des notions d’une « troisième voie » entre la gauche et la droite ou d’un Neue Mitte centriste a présagé de l’acceptation de la mondialisation néo-libérale. Cela s’est avéré payant électoralement parlant, avec les partis socio-démocrates au pouvoir seuls ou en coalition dans la plupart des Etats membres de l’UE au cours des dernières années de la décennie. Néanmoins, l’abandon de l’idée selon laquelle la gauche affronte le capitalisme et qu’elle est distincte de la droite en raison de sa poursuite de l’égalité a fait en sorte que non seulement de telles victoires se sont avérées de courte durée, mais selon Mouffe (2000: 116-17), le champ était également libre pour que les partis d’extrême droite puissent se présenter comme les seules forces antiestablishment défendant la volonté du peuple, dans ce que Ford appelle de l’ « anti-politique ».42 Mouffe est d’avis que la tâche de la politique démocratique n’est pas d’éliminer les conflits mais de les transformer en un concours « agonistique » entre des adversaires, plutôt qu’en simple antagonisme entre ennemis, ce dernier étant une politique amis/ennemis de l’identité, enracinée dans les idées de Carl Schmitt, que Mudde (2007: 63) associe à la rhétorique actuelle de l’extrême droite du « nous » contre « eux ». économiques, à l’exception de remarques populistes sur les Grecs où l’habituelle stigmatisation l’emporte.45 Ainsi donc, alors que l’extrême droite pourrait chuchoter à l’oreille du travailleur (d’archétype blanc et de sexe masculin) qui a perdu son emploi qu’un immigré a « volé » son travail, elle n’a rien à proposer sur la façon dont il pourrait obtenir un autre emploi. D’où la piètre expérience de l’extrême droite au gouvernement, ainsi que le souligne Ignazi et comme l’ont démontré le FPÖ en Autriche ou l’AN et la LN en Italie.46 Les socio-démocrates demeurent néanmoins exposés, car l’extrême droite est capable de faire le lien entre ces deux thèmes et son argumentaire populiste en déclarant, ainsi que l’explique Helbling, que l’élite est composée des partisans du multiculturalisme de la gauche libérale qui ne prennent pas au sérieux les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens ordinaires.47 Et Mudde affirme que quel que soit le rôle joué par les écologistes et les ONG à l’encontre de l’extrême droite, ce sont les socio-démocrates qui ont la responsabilité première à ce niveau étant donné le profil de leurs partisans. Pourtant, ils ont abandonné dans certains cas les concepts clés de classe et de solidarité au profit d’un discours ethnique. Il est d’avis qu’aux Pays-Bas en particulier, le Parti travailliste s’est empêtré dans des relations clientélistes avec des segments de la population immigrée.48 Il est incontestable que les partis d’extrême droite partagent des éléments discursifs communs sur l’ensemble du continent européen, notamment l’hostilité à l’égard des immigrés et l’islamophobie, ainsi que nous l’avons déjà indiqué. Néanmoins, même s’ils sont parvenus à influencer la politique traditionnelle quel que soit le contexte national, ils y sont arrivés en partie en faisant clairement le lien entre ces questions et d’autres thèmes à portée nettement plus nationale. Ainsi par exemple, le PVV aux Pays-Bas, personnifiée par le leadership de Wilders, a évité les écueils de la moindre association avec l’Holocauste en adoptant une position forte en faveur d’Israël et des EtatsUnis. De même, son soutien rhétorique en faveur des droits des femmes et des homosexuels a permis de rassurer et de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’une confrontation avec la culture politique néerlandaise libérale (Vossen, 2011). La connexion entre les thèmes fonctionne dans un contexte où le discours politique israélien et américain ont sensiblement basculé vers la droite ces dernières années et où l’Islam peut être présenté comme le principal obstacle à l’émancipation. Swyngedouw est d’avis qu’en Belgique, Dewinter du Vlaams Belang a essayé de la même façon d’impliquer la communauté juive comme un allié contre l’Islam.49 D’ailleurs, dans sa campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen a également fait des avances peu discrètes à l’opinion juive. Cet héritage continue à faire des émules, étant donné que sur l’ensemble du continent européen, les socio-démocrates sont incapables d’exprimer clairement une critique forte à l’égard de la crise du capitalisme depuis 2008, ainsi que l’affirme Ford.43 C’est précisément dans les Etats qui avaient été gouvernés par des dictatures fascistes ou militaires pendant des décennies – le Portugal, la Grèce, l’Espagne et l’Italie (et l’Irlande en tant que démocratie autoritaire) – et n’avaient jamais connu de forces sociales stabilisantes à travers la protection sociale universelle et l’égalité relative prévalant dans les pays nordiques (la Norvège, la Suède, le Danemark), où la crise a été la moins marquée, que cette crise s’est exprimée le plus violemment. En Grèce et en Espagne, les partis socio-démocrates responsables des mesures d’austérité drastiques ont été remerciés sans cérémonie - dans l’un des cas, via les urnes. Ceci dit, à l’exception de sa présence au gouvernement « technocrate » grec, l’extrême droite n’a pas fait partie des gagnants dans les Etats de la périphérie européenne où la crise a été la plus intense. Ceci constitue le second talon d’Achille de l’extrême droite, à savoir son Darwinisme social et ses implications économiques conservatrices, outre son populisme et ses implications autoritaires. Car en fin de compte, les partis d’extrême droite ne possèdent pas d’alternative positive à proposer par rapport à l’économie déflationniste du centre droit, dominant désormais une UE intergouvernementale dirigée à partir de Berlin (et de Paris) plutôt que de Bruxelles. En Suisse, par exemple, comme le souligne Helbling, le SVP est assez « libéral » dans le sens économique du terme.44 Et en Belgique, selon Swyngedouw, Dewinter garde la plupart du temps le silence sur les questions Il convient également de reconnaître que l’importance accordée aux questions autour desquelles l’extrême droite mobilise n’est pas nécessairement identique sur tout le continent européen. Ainsi, selon Klandermans, alors que 45 46 47 48 49 42 Entretien, 9 décembre 2011 43 Entretien, 9 décembre 2011 44 Entretien, 24 novembre 2011 16 Entretien, 16 novembre 2011 Entretien, 15 novembre 2011 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 18 novembre 2011 Entretien, 16 novembre 2011 Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite près de 30 à 40 pour cent des Néerlandais adhèrent à des sentiments xénophobes, fournissant un environnement favorable que n’importe quel populiste charismatique pourrait exploiter, l’hostilité à l’immigration/l’Islam semble être en perte de vitesse au Danemark.50 En effet, en septembre 2011, une coalition « rouge » dirigée par les socio-démocrates, promettant, au lieu de plus d’austérité, davantage d’impôts pour les riches en vue de protéger la protection sociale, a mis fin à dix années de gouvernement de droite, où le DF avait agi comme une petite minorité ayant une influence démesurée au sein de l’administration de centre droit. et Aarts, 2006). D’ailleurs, sans la performance innovante de Jean Marie Le Pen et le temps d’antenne dont il a bénéficié lors de l’émission L’Heure de Vérité à la télévision française en février 1984, le FN n’aurait jamais pu remporter d’aussi bons résultats aux élections européennes de 1984, lesquelles ont effectivement annoncé l’arrivée de ce parti en tant qu’acteur d’un certain calibre sur la scène politique et dans la société française et européenne. Le deuxième facteur, plus spécifique, est l’accent mis par les médias populaires sur l’« intérêt humain », se référant à l’objet de l’intérêt tout autant qu’au fait que le lecteur/spectateur humain soit intéressé. En politique, cela braque les projecteurs médiatiques sur le chef de file charismatique d’un parti ayant un message populiste plutôt que sur des figures plus modestes et collégiales, et encore moins sur les véritables propositions politiques en jeu. Klandermans décrit Wilders aux Pays-Bas comme étant « passé maître dans l’art de décrocher l’attention médiatique ».52 De la même façon, Swyngedouw note que Bart De Wever, le chef de file de la NVA (Nouvelle alliance flamande) qui a éclipsé le Vlaams Belang, réussit très bien à la télévision, avec un mélange d’humour et de populisme.53 De Jörg Haider et Pim Fortuyn à Pia Kjaersgaard (‘Mama Pia’) et Marine Le Pen (‘Marine’), et désormais Timo Soini des Vrais Finlandais, l’extrême droite a, dans ce sens, été capable de tirer parti de son caractère autoritaire, avec un culte de la personnalité voué au leader et correspondant à l’appétit des médias pour des personnages plus grands que nature. Un article de journal a décrit ainsi cet homme: « Avec sa carrure imposante, ses costumes gris trop amples, son écharpe de football et sa voix tonitruante, Soini est très loin des politiciens consensuels mesurés qui ont construit l’Etat providence en Finlande ».54 Le rôle des médias Quelle que soit la portée du discours de l’extrême droite, sa résonance dépend du rôle d’interface joué par les médias (y compris les réseaux sociaux). Et il existe au moins deux raisons pour lesquelles les porte-parole de l’extrême droite pourraient exercer un attrait particulier sur les médias, ce qui démontre, selon Wodak, la nécessité de former les journalistes sur la façon de traiter l’extrême droite, ainsi que le besoin d’une plus grande diversité parmi les personnes qui travaillent dans les cercles médiatiques.51 La première de ces raisons est que les médias représentent le monde sur base de sa valeur médiatique. L’étude classique de la façon dont les médias ont pu contribuer à semer une « panique morale » autour de la « race » dans une ville des Midlands alors que l’extrême droite était au summum de sa force dans les années 70 (Hall et al, 1978: 53-7), a révélé que ces valeurs se focalisent sur ce qui « sort de l’ordinaire » — enjolivant le caractère « anormal » de l’objet de l’attention, plus particulièrement sur un marché médiatique où règne une concurrence féroce — avec comme contexte des lecteurs/ spectateurs interpellés comme un « nous » social présupposé. Ceci donne aux partis d’extrême droite d’aujourd’hui un point d’appui médiatique clair. En effet, les partis d’extrême droite non seulement parviennent à se poser en petits nouveaux du monde politique (et certainement pas en vieux fascistes), mais ils sont aussi capables d’insister sur les questions qui leur tiennent à coeur, à savoir l’immigration et l’Islam, qui sont trop facilement présentés d’« étrangers » à la société d’accueil et font l’objet de sensationalisme. Récemment, Euronews a produit un programme de qualité sur l’extrême droite, comprenant un long entretien avec le directeur d’ENAR.55 Le rédacteur en chef, responsable des informations sur cette chaîne, Peter Barabas, veut prendre l’extrême droite au sérieux et ne désire pas « promouvoir des stéréotypes »: l’extrême droite est désormais plus « complexe » que dans son passé cocardier, dénote-t-il, et des porte-parole comme Marine Le Pen ou Wilders – voire le marginal Griffin en Grande-Bretagne – sont « très habiles », ils restent « mesurés » dans leurs propos et fonctionnent comme des « animaux politiques ». Mais par ailleurs, Euronews ne désire pas exagérer le défi que présente l’extrême droite et contribuer ainsi à un cycle d’intolérance et à des attitudes défensives où les membres des communautés minoritaires, confrontés à une citoyenneté de seconde zone, se trouvent concentrés dans des ghettos pour s’assurer un soutien mutuel. Euronews doit faire face à des revendications de « liberté d’expression » de la part des représentants d’extrême droite, mais cette chaîne est d’avis qu’elle doit diffuser des reportages factuels et responsables et que dans ce contexte, Dans la même veine, comme l’a souligné Ellinas (2004: 204), « les médias abaissent les barrières d’entrée du marché électoral en donnant aux nouveaux partis les moyens de diffuser leur message auprès d’un public plus large que ce que ne leur auraient permis leurs propres ressources financières et logistiques ». Les partis d’extrême droite plus petits peuvent bénéficier d’une couverture médiatique et compenser ainsi leurs faiblesses financières ou logistiques. Ce facteur, en plus de la personnalité de Fortuyn, a certainement permis d’expliquer sa victoire capitale lors des élections générales de 2002 aux Pays-Bas, où les statistiques ont montré que le chef de file du LPF avait bénéficié de 24 pour cent de la couverture médiatique totale, un chiffre supérieur à celui de ses adversaires (Belanger 52 Entretien, 28 novembre 2011 53 Entretien, 16 novembre 2011 54 Richard Orange, ‘Far-right Finnish politician Timo Soini bids for presidency’ (La présidence: l’ambition du politicien d’extrême droite finlandais, Timo Soini), Observer, 13 novembre 2011 (www.guardian.co.uk/world/2011/nov/13/timo-soini-finnish-presidency) 55 ‘L’Europe minimise-t-elle la montée de l’extrémisme de droite?’, 8 décembre 2011 (http://fr.euronews.com/2011/12/08/l-europe-minimise-t-elle-la-montee-de-lextremisme-de-droite/) 50 Entretien, 28 novembre 2011 51 Entretien, 24 novembre 2011 17 Chapitre 3: Explications de l’émergence et du succès de l’extrême droite la liberté d’expression n’est jamais absolue. Barabas ajoute que cette « complexité » des communications de l’extrême droite contemporaine s’étend non seulement à son approche des médias traditionnels mais également à son exploitation des réseaux sociaux.56 John McLeod, de l’Institut d’études sur la guerre et la paix, qui s’est spécialisé dans la couverture de l’ancienne sphère du « socialisme existant », soutient que la montée rapide de l’extrême droite dans certains pays, depuis le changement, conserve une valeur de nouveauté, et qu’un parti tel que le Jobbik en Hongrie, par exemple, va forcément attirer plus d’attention médiatique que les « fastidieuses » questions de mauvaise gestion financière dans ce pays. Mais il pense qu’à long terme, cela va accroître la menace de l’extrême droite en Europe de l’Est. John McLeod estime qu’alors que les partis prônant à nouveau l’intolérance à l’encontre des membres d’autres nationalités voisines ont été capables de trouver un fort écho, plus particulièrement au moment de la chute des anciens régimes, la tendance au cosmopolitisme dans la vie quotidienne et l’attrait pour les institutions européennes menacent de « marginaliser » des partis « tels que le BNP ».60 Néanmoins, même s’il n’existe pas de garantie que la couverture médiatique de l’extrême droite changera les attitudes en sa faveur, Helbling laisse entendre que cette couverture pourrait pousser à l’avant plan les questions que l’extrême droite veut rendre plus proéminentes auprès du public.61 Bien entendu, l’extrême droite a également tenté de contourner les médias traditionnels en utilisant l’internet à cet effet (Bartlett et al, 2011; Copsey, 2003; Jackson, 2011). Bien que le Jobbik se soit formellemnt plaint auprès de la Commissaire européenne en charge de la société numérique, Neelie Kroes, de recevoir trop peu de couverture médiatique de la part des médias hongrois, le parti sait qu’il peut compter sur un réseau de centaines de sites internet sympathisants qui sont reliés via des plateformes comme Facebook ou iWiW, un site de réseaux sociaux hongrois. Betz fait remarquer que le site internet anti-islamique « Les portes de Vienne » comporte de nombreux liens internationaux vers d’autres mouvements d’extrême droite.57 Et l’auteur soutient que cela se rattache à la perception d’une « culture occidentale » commune marquée par des valeurs « judéo-chrétiennes » que l’on juge menacées.58 Der Standard a été fondé dans le sillage de l’« affaire Waldheim » – qui a vu l’élection de l’ex-secrétaire général des Nations Unies à la présidence de l’Autriche en 1986 malgré les révélations concernant son rôle dans la Wehrmacht pendant la guerre – pour contrer les informations nationalistes que cet épisode suscitait en Autriche. Pendant longtemps, selon Hans Rauscher, le chroniqueur de ce journal, Der Standard et le Kurier étaient les seuls à épingler le langage nazi de l’étoile montante Haider dans les médias autrichiens. Un débat a vu le jour entre les journalistes pour savoir s’ils devaient relever chacun des propos de Haider ou écrire autant sur lui, et même certains de ses collègues ont déclaré « Du calme. Nous devons vivre avec lui ». Rauscher, lui, reste toujours d’avis « qu’il faut appeler un chat un chat » et qu’à long terme, cela inspirera le respect. En revanche, il affirme que lorsque le successeur de Haider en tant que chef de file du FPÖ, Heinz-Christian Strache, dit que l’UE n’est composée que d’une « bande de voleurs », le journal Kronen Zeitung, populiste, anti-immigrés et eurosceptique, qui attire 43 pour cent des lecteurs de journaux, mettra cet article en première page. Il détecte, toutefois, de légers progrès dans le sens où même le Kronen Zeitung a pris ses distances par rapport à certaines remarques plus incultes de Haider.59 56 57 58 59 Entretien, 12 décembre 2011 Voir: http://gatesofvienna.blogspot.com/ Entretien, 14 novembre 2011 Entretien, 9 décembre 2011 60 Entretien, 30 novembre 2011 61 Entretien, 24 novembre 2011 18 Chapitre 4: Contester l’extrême droite Chapitre 4: Contester l’extrême droite Ce chapitre examine les différentes organisations, partis et personnes qui se sont opposés à l’émergence, au succès et à la rhétorique de l’extrême droite. institutionelles officielles mais devrait aussi s’inspirer des ressources de la société civile (Minkenberg, 2006: 44; voir également Eatwell, 2004: 11 et Hainsworth, 2008: 122-126). Dans un rapport récent, le groupe de réflexion Demos, établi à Londres, a examiné les données relatives aux sympathisants des partis populistes sur Facebook (Bartlett et al, 2011: 22) et est arrivé à cette conclusion: « Les élus traditionnels doivent réagir en se saisissant des inquiétudes relatives à l’immigration et à l’identité culturelle, sans succomber aux solutions xénophobes ». Ce rapport lance également un appel pour le rétablissement de la confiance dans les institutions civiques, étant donné le peu de crédit qui leur est accordé, et en faveur de la promotion d’une implication accrue de la population dans la vie politique et citoyenne (Bartlett et al, 2011: 23). Dans un rapport de Chatham House,62 Goodwin identifie six façons possibles de réagir aux partis extrémistes populistes: les exclure, désamorcer leur message, adopter dans une certaine mesure leur rhétorique et leur politique, les confronter avec des principes, se tourner davantage vers les gens de la base et faire un travail de proximité, et encourager le dialogue parmi les différents groupes à un niveau interculturel (Goodwin, 2011: 23-28). Il conclut en disant qu’il n’existe pas de « réponse uniforme à l’extrémisme populiste » et que beaucoup dépend de chaque contexte spécifique. Par ailleurs, il suggère (Goodwin 2011: 95): « Les réactions les plus efficaces seront celles qui privilégieront le niveau local, où le travail auprès des électeurs et le dialogue entre les différentes communautés constituent une perspective réaliste et peuvent se forger autour d’expériences vécues et de circonstances partagées ». Les élus traditionnels ont souvent tenté de circonscrire l’appel de l’extrême droite en incorporant des éléments de leur discours dans leur propre rhétorique, le grand risque étant, bien entendu, de tout simplement légitimer l’extrême droite et de permettre à l’ensemble de l’échiquier politique de basculer vers une plus grande intolérance. Ainsi, par exemple, après les bons résultats du BNP aux élections générales de 2001, le ministre travailliste des affaires intérieures, David Blunkett a suggéré, lors de la course aux élections locales suivantes, que des centres d’hébergement gigantesques pour demandeurs d’asile pourraient empêcher ces derniers d’« envahir » les services de proximité. Blunkett faisait donc écho à l’assertion du chef de file conservateur de l’opposition de l’époque, Margaret Thatcher, qui avait déclaré en 1978 que les Britanniques avaient peur d’être « envahis par les personnes issues d’une culture différente ».64 Le chef de file du BNP, John Tyndall, avait protesté en disant: « Les conservateurs, sous Thatcher, semblaient adopter beaucoup de nos politiques. Elle parlait de la Grande-Bretagne comme étant envahie et de nombreuses personnes en ont déduit qu’elle ferait quelque chose à ce propos ».65 Le besoin d’être proche de la population locale et de ses préoccupations avait été reconnu par la travailliste Hazel Blears, à l’époque Ministre des communautés et des collectivités locales en Grande-Bretagne, en réaction aux résultats d’un rapport commandé par le Ministère des communautés et des collectivités locales. Ce rapport était basé sur des entretiens avec des habitants de lotissements sociaux à Birmingham, Milton Keynes, Thetford, Runcorn et Widnes. Selon Blears, « la classe ouvrière blanche vivant dans des lotissements sociaux a parfois juste l’impression qu’il n’y a personne pour l’écouter ni pour la défendre… Alors que cette catégorie de population ne vit pas nécessairement l’impact direct de la migration, ses membres en éprouvent une profonde crainte ». Blears en avait dès lors déduit que les mythes de l’extrême droite à propos de l’immigration avaient trouvé un terreau fertile au sein de telles communautés, plus particulièrement en raison de l’absence de « discussion franche et honnête » à ce propos entre les politiciens locaux et nationaux.63 Néanmoins, cette évaluation peut être interprétée (même si ça n’en est pas l’intention) comme une critique interne tout autant qu’un appel pour un engagement systématique plus général. Et Blears a involontairement mis en lumière une contradiction essentielle à ce niveau, à savoir que l’hostilité à l’égard de l’immigration est en général plus faible dans des quartiers multiethniques que dans ceux qui connaissent une présence immigrée plus dérisoire. Il est intéressant de constater que Blunkett avait prononcé cette remarque le jour même où Jean-Marie Le Pen avait visité le Parlement européen, juste après son succès au premier tour des élections présidentielles françaises. Claude Moraes, l’eurodéputé britannique (asiatique) s’est plaint du fait que « des idées considérées à une certaine époque comme extrêmes et à la limite de l’acceptable sont désormais au cœur ou toutes proches du gouvernement » (Roxburgh, 2002: 240-2). Ainsi que Bale l’affirme, plus particulièrement en ce qui concerne l’Autriche, les politiciens de centre droit « ont commencé à occuper le même univers discursif que leurs homologues d’extrême droite » (Bale 2003: 76-77). Dans ce contexte, Rydgren (2004: 493-495) a observé de près la façon dont, au Danemark, les partis traditionnels ont participé à un discours anti-immigration lorsque l’extrême droite a gagné du terrain dans ce pays. Par exemple, entre 1997 et 2001, les libéraux ont attaqué le gouvernement socio-démocrate pour avoir Ces approches concordent partiellement avec l’appel de Minkenberg en faveur d’une « démocratie militante » qui considère que « la lutte contre la droite radicale » ne doit pas se limiter à des approches 62 Chatham House est une association basée à Londres qui se veut une source d’analyse indépendante, de débats informés et d’idées influentes sur la construction d’un monde prospère et sûr pour tous. Voir: www.chathamhouse.org 63 Deborah Summers, ‘White working-class fears on immigration exposed in report’ (Craintes de la classe travailleuse blanche à l’égard de l’immigration - Présentation d’un rapport), Guardian, 2 janvier 2009 (www.guardian.co.uk/politics/2009/jan/02/ immigration-working-class) 64 Voir: www.margaretthatcher.org/document/103485 65 Independent, 17 mars 1990 19 Chapitre 4: Contester l’extrême droite mené une politique soi-disant généreuse à l’égard des immigrés et des demandeurs d’asile. A son tour, le gouvernement a durci ses politiques et son discours et a, en conséquence, souffert de quelques divisions. En outre, les sondages d’opinion au Danemark reflétaient des sentiments anti-immigrés croissants dans les années 90 et au-delà (Rydgren, 2004; 2005). Selon l’une de ces estimations, en Norvège et au Danemark, les partis d’extrême droite « ont joué un rôle très important dans le durcissement des règles d’immigration et le traitement des demandeurs d’asile » (Lloyd, 2003: 89). toutefois que la mobilisation de l’opinion publique sur les thématiques d’extrême droite dépend de la façon dont ces questions sont formulées et présentées. Ainsi, une majorité de sondés reconnaissent que les immigrés sont nécessaires pour faire fonctionner l’économie et sept personnes sur dix pensent qu’ils « enrichissent notre culture ». Une majorité s’accorde également à dire que c’est mieux pour un pays d’avoir de nombreuses religions différentes (Zick et al, 2011: 54, 76). Si le problème des progressistes a été que l’extrême droite s’est emparée de la question de l’immigration, comme le soutient Helbling,69 la solution réside dès lors dans le recadrage de cette même question, à savoir sous le prisme d’une gestion démocratique de la diversité culturelle. En France, plus récemment, après que Marine Le Pen se soit approprié le flambeau de leader appartenant à son père, le retour en force et la « modernisation » du FN ont encouragé la droite au pouvoir, sous la houlette de Sarkozy, à chasser sur le terrain du FN. En fait, le processus de dépeçage des voix potentielles du FN, plus particulièrement dans la perspective des élections françaises de 2012, avait été entamé bien avant que le FN ne change de chef de file (Mayer, 2007; Hainsworth, 2008: 121). Après le choc provoqué par le score réalisé par Jean-Marie Le Pen en 2002, la droite traditionnelle s’était sentie encouragée à se déguiser en FN. Ce processus a néanmoins été fortement accéléré par Sarkozy, successivement en tant que ministre au sein du gouvernement, candidat aux élections présidentielles de 2007 et président sous le feu des critiques, candidat à son propre poste en 2012. Durant son mandat, Sarkozy a poursuivi un certain nombre d’initiatives qui pourraient paraître attrayantes aux yeux des électeurs existants ou potentiels de l’extrême droite: un débat sur l’identité nationale française, l’expulsion des familles roms et l’interdiction de la burqa dans les lieux publics. Néanmoins, c’est la question de l’immigration, entre autres, qui est au centre de la campagne présidentielle de Le Pen jusqu’aux élections présidentielles. Selon le Projet pour la France de Le Pen (Le Pen, 2011), « C’est sur le terrain de l’immigration que Nicolas Sarkozy a probablement le plus trahi les Français en général et ses électeurs en particulier, en conduisant, contrairement à son discours et à ses promesses, la politique la plus laxiste en matière d’immigration de toute l’histoire de la Cinquième République ». Si le projet de l’extrême droite, avec toutes ses variantes nationales, est la poursuite autoritaire et populiste d’un nationalisme d’exclusion, attirant surtout ceux qui sont en bas de la hiérarchie sociale (autochtone) tout en maintenant fermement cette hiérarchie intacte, alors la stratégie des progressistes est d’une logique limpide. A la base, souligne Ignazi, les autres partis ne doivent jamais oublier les principes de la démocratie (liberté, égalité, fraternité).70 Ainsi que l’affirme Boréus, ces autres partis ainsi que les ONG doivent lutter en faveur d’une alternative cosmopolite au nationalisme et pour une alternative égalitaire à la hiérarchie.71 Concrètement, Mayer estime que les progressistes doivent développer un projet commun fédérateur plutôt que séparateur. Ce projet inclurait les partis politiques et les réseaux véritablement européens ainsi qu’un New Deal moderne permettant d’offrir espoir et sécurité à tous.72 Mudde lance un appel aux socio-démocrates en faveur d’un retour aux principes de base, plus particulièrement pour l’abandon du terme « immigré » et l’adoption d’un discours fondé sur la classe teinté d’une dimension socio-économique et axé sur la redistribution.73 Une partie de la difficulté a résidé dans la façon dont certains progressistes se sont sentis obligés de soutenir le modèle de gestion de la diversité culturelle appelé « multiculturalisme ». Cela s’explique en partie par l’attachement des conservateurs aux discours qui nient la réalité empirique de la multiethnicité de la société contemporaine - par exemple le discours qui dominait précédemment selon lequel l’Allemagne n’était « pas une nation d’immigrants » - et/ ou qui insistent sur l’assimilation des membres des communautés minoritaires, comme dans le modèle classique français défini par des « valeurs républicaines » soi-disant universelles. Néanmoins, l’association des progressistes au multiculturalisme en a masqué les origines conservatrices, enracinées dans une conception « essentialiste » de l’identité, simple, figée et communautariste. Ce n’est pas un hasard si en Europe, ses principaux adeptes ont été le Royaume-Uni et les Pays-Bas, anciens pouvoirs coloniaux pour lesquels, tout comme en Inde britannique, l’idée que « les communautés » étaient « inéluctablement séparées et mutuellement incompatibles » (Khan, 2007: 20) convenait à un regard colonial superficiel et elle a été transplantée dans le contexte métropolitain avec l’immigration postcoloniale. La stratégie d’imitation-incorporation adoptée par le centre droit (et même le centre gauche) est peu judicieuse. Ainsi que Klandermans l’explique, cette stratégie ne fait que rendre respectable l’argumentaire de l’extrême droite.66 Et comme aimait à le répéter Jean-Marie Le Pen: « Les électeurs préféreront l’original à la copie ». Ceci a été corroboré, dit Wachter, par les élections de 2009 pour la région de Vienne, où le ÖVP de centre droit a fait sienne la question du fort pourcentage d’élèves dans les écoles viennoises dont la langue maternelle n’était pas l’allemand: « Essayons de parler de l’éducation, mais en allemand », pour se rendre tout simplement compte que le FPÖ l’avait devancé, privant le SPÖ d’une majorité.67 Wodak, d’autre part, est effectivement d’avis que les partis de centre droit pourraient dissuader certains électeurs en flirtant ainsi avec l’extrême droite. Cependant, dans les pays où l’extrême droite n’a pas une présence forte, comme par exemple au Royaume-Uni et en Allemagne, le centre droit pourrait tirer profit de ce virage à droite, comme le souligne Helbling.68 Dans les années 2000, au milieu des manifestations croissantes de conflit en Europe sur fond de tensions ethniques, notamment les L’enquête portant sur huit pays de l’UE, mentionnée au chapitre précédent, est inquiétante à de nombreux égards. Elle démontre 69 70 71 72 73 66 Entretien, 28 novembre 2011 67 Entretien, 1er décembre 2011 68 Entretien, 24 novembre 2011 20 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 15 novembre 2011 Communication personnelle, 23 novembre 2011 Communication personnelle, 16 novembre 2011 Entretien, 18 novembre 2011 Chapitre 4: Contester l’extrême droite attentats à Madrid en 2004 et à Londres en 2005, l’assassinat du réalisateur néerlandais Theo Van Gogh en 2004 et les émeutes dans les banlieues françaises en 2005, il est devenu évident aux gouvernements de tous horizons politiques que les deux modèles conventionnels de gestion de la diversité, l’assimilation et le multiculturalisme, avaient échoué.74 En 2005, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont réclamé un document leur offrant des conseils sur les politiques et les bonnes pratiques en la matière et c’est ainsi que le Livre blanc sur le dialogue interculturel a vu le jour en 2008, esquissant un nouveau paradigme, interculturel cette fois. A la différence de l’assimilation, ce dernier reconnaît la réalité empirique de la diversité culturelle et le besoin concomitant d’égalité des citoyens et d’impartialité des pouvoirs publics pour prévenir la discrimination et l’aliénation. Mais contrairement au multiculturalisme, il met en valeur une reconnaissance mutuelle au-delà des lignes de démarcation culturelles - un dialogue rendu possible par une adhésion à des normes universelles et indispensable pour prévenir la ghettoïsation des communautés minoritaires et le renforcement involontaire au sein de ces communautés du pouvoir des figures masculines marquant la culture « traditionnelle ». Le Livre blanc expose en conséquence un programme visant à promouvoir les droits humains et l’intégration sociale, à assurer l’égalité de genre, à contester les versions nationalistes de l’histoire, à s’attaquer aux stéréotypes dans les reportages présentés dans les médias, à encourager le multilinguisme, à promouvoir le dialogue interreligieux, à aménager des espaces de dialogue sûrs, à soutenir le travail des ONG en faveur d’un dialogue sur le terrain, etc. Sur le plan local, il reste encore beaucoup à faire. Le Réseau des villes interculturelles, action conjointe de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe, a fait suite au Livre blanc sur le dialogue interculturel et inclut les municipalités désireuses de voir leur démographie diverse comme un défi et un avantage compétitif potentiel, plutôt que comme une menace, comme le voudrait l’extrême droite.78 Cela peut établir une dynamique différente entre le « soi » et l’« autre », par exemple, en associant les femmes immigrées et non immigrées à des projets permettant de faire avancer un programme commun. Un guide pratique a été publié par ce Réseau, basé sur l’expérience partagée de ses 21 membres jusqu’à ce jour.79 Le but devrait être de transformer les questions symboliques potentiellement explosives dans le domaine de la « politique identitaire » en problèmes concrets à résoudre. Par exemple, la Finlande arrive systématiquement en haut des tableaux PISA et est qualifié de pays ayant le système éducatif le plus performant en Europe. Elle conserve cette position en partie grâce à un soutien intensif aux enfants dont la première langue n’est pas le finnois, face à certaines pressions menaçant de retirer les élèves finlandais de diverses écoles et prônant un plafonnement du pourcentage d’élèves non-finlandais.75 La menace de l’extrême droite, bien qu’elle ne soit pas uniforme en Europe, ainsi que nous l’avons déjà souligné, est un phénomène néanmoins répandu sur l’ensemble du continent. Wodak se plaint de l’absence de leadership à cet égard. Elle réclame une voix plus forte de l’Union européenne, y compris du Parlement européen et de l’Agence européenne des droits fondamentaux, plus particulièrement en ce qui concerne les évolutions en Autriche et en Hongrie. Selon elle, il en va de la crédibilité de l’UE en matière des droits humains.81 Betz souligne que le dialogue interculturel implique forcément un processus de longue haleine. Il note qu’il a fallu un siècle pour que les catholiques soient acceptés dans certains centres protestants en Suisse et cite comme exemple la cathédrale de Lausanne qui est restée sans clocher jusque dans les années 1900 et dont les cloches n’ont pas pu sonner avant les années 30. Il soutient, de la même façon, que le catholicisme américain a dû changer afin de réagir aux attaques des populistes au 19ème siècle, et il a fallu alors modifier aussi ce qu’être américain voulait dire, ce qui a mené en fin de compte à un compromis. Il indique aussi que les partis politiques devraient cesser de se tourner vers les riches, incarnés par des figures telles que Dominique Strauss-Kahn, et devraient réinvestir dans la protection sociale afin d’empêcher ceux qui ont le sentiment d’être les perdants de la mondialisation de voter pour des politiciens comme Le Pen.80 D’ailleurs, Swyngedouw estime que le programme progressiste doit aussi être de portée continentale. Il lance un appel en faveur de la démocratisation de l’UE et du renforcement de sa dimension sociale. Il reconnaît qu’un réinvestissement dans la protection sociale est incompatible avec l’omnipotence actuelle de la politique économique monétariste et déflationniste.82 En effet, l’un des plus grands paradoxes est que l’orthodoxie conduite par l’Allemagne dérive d’un malentendu selon lequel les origines du nazisme résideraient dans l’hyperinflation de Weimar plutôt que dans les deux budgets déflationnistes de Brüning et le chômage massif qui s’en est suivi, avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Socialiser la dette d’un nombre croissant d’Etats membres de l’UE menacés par une grève des créanciers obligataires, en donnant à la Banque centrale européenne un rôle de prêteur de dernier recours et en émettant des euro-obligations, est par conséquent non seulement essentiel pour sauver l’euro d’un effondrement potentiel, mais sans doute également vital pour réduire la vague montante de l’insécurité sur le continent européen, ce que l’extrême droite cherche à traduire en ressentiment nationaliste. Les partis politiques peuvent apporter des changements simples afin de s’assurer qu’ils reflètent davantage les sociétés diverses qu’ils représentent. Wachter souligne que sur les 183 membres du parlement autrichien, seul un député (écologiste) appartient à la minorité turque,76 alors que Nicolae recommande vivement aux partis de promouvoir la participation des Roms.77 Cela « normalise » l’idée selon laquelle les membres des communautés minoritaires sont des citoyens, tout aussi capables de faire avancer l’intérêt public dans l’arène politique, plutôt que de s’intégrer dans une altérité étrangère. Un travail précieux a été effectué récemment à ce sujet par le Bureau européen d’informations sur les Roms (ERIO), en collaboration avec le Réseau européen contre le racisme (ENAR), pour démonter les mythes concernant les Roms, contestant la romaphobie et soulignant le fait que sur l’ensemble de l’UE, les Roms sont moins libres de leur mouvement que les autres citoyens européens (ENAR/ERIO, 2011). 74 L’un des auteurs avait reçu pour mission d’analyser les réactions des Etats membres du Conseil de l’Europe dans le cadre de sa consultation menant au Livre blanc, avant d’écrire le premier projet de ce document. 75 Jessica Shepherd, ‘Immigrant children benefit from Finnish education’ (Les enfants immigrés bénéficient de l’éducation finlandaise), Guardian, 21 novembre 2011 (www. guardian.co.uk/education/2011/nov/21/finland-education-immigrant-children) 76 Entretien, 1er décembre 2011 77 Entretien, 28 novembre 2011 78 79 80 81 82 21 Voir: www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/default_en.asp Disponible ici: www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/cities/ICCsteps_en.pdf Entretien, 14 novembre 2011 Entretien, 24 novembre 2011 Entretien, 16 novembre 2011 Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion L’Europe est hantée par un spectre. Mais loin d’être celui du communisme, comme l’auraient espéré Marx et Engels lors de la publication du Manifeste communiste en 1847, c’est une extrême droite renaissante et réorganisée qui hante le continent européen, faisant ressurgir le cauchemar des années 30. l’affaire des partis populistes eurosceptiques et anti-élites. Ainsi donc, lors de la campagne présidentielle française, par exemple, Marine Le Pen a fait de l’euro l’une des principales cibles de ses attaques. Il est indubitable, rappelons-le, que la crise au sein de l’UE a fourni à l’extrême droite une structure et une opportunité politique à exploiter. Une inquiétude généralisée se fait sentir chez les progressistes européens. Ils pensent que tout comme pendant la grande dépression, une crise structurelle du capitalisme, loin de précipiter automatiquement un virage radical de l’opinion publique, risque d’être exploitée avec succès par l’extrême droite, avec un centre droit lui faisant écho en mode mineur. Cela provoquerait non seulement la destruction de ce qui reste du consensus socio-démocrate d’après-45, mais redéfinirait la politique, en des termes schmittiens polarisés, contre l’« autre » immigré/islamiste ennemi, tout en laissant le véritable auteur de la crise, le banquier dans le casino capitaliste de Keynes, s’en tirer sans être inquiété. D’aucuns craignent que les sociodémocrates, à qui il aura fallu des dizaines d’années pour se mettre au diapason des mouvements sociaux émancipatoires des années 60, ne se retrouvent désormais fragilisés, étant donné que leur soutien prolétaire fondamental se sent en quelque sorte rassuré par la propagande « sécuritaire », même illusoire, sur un marché où les protections gagnées de haute lutte ont été décapitées par la réponse soi-disant inévitable à la mondialisation. Ceci ne constitue toutefois pas un nouveau défi: au tout début de la mondialisation, avant la première guerre mondiale, l’immigration a transformé Vienne en une ville multinationale comme le sont actuellement de nombreuses villes d’Europe. C’est dans ce contexte que les Austro-marxistes ont développé l’idée du « principe de personnalité », selon laquelle chaque résident pourrait décider de sa nationalité après avoir atteint l’âge de voter et qui reconnaissait le caractère labile de l’identité culturelle (Bauer, 2000). La libéralisation de la citoyenneté en Allemagne, réalisée en 2000 par le gouvernement précédent, formé par le Parti socialiste (SPD) et le Parti écologiste, s’est basée sur cette philosophie, avec des effets très appréciables (notamment les très bons résultats de l’équipe allemande à la Coupe du monde en Afrique du Sud dix ans plus tard). La reconnaissance de ce que Bobbio allait appeler le « concept individualiste de la société » allait se trouver au cœur du consensus anti-fasciste, probablement le mieux incarné en Italie, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Les normes élaborées pour former le socle du Conseil de l’Europe en 1949, la démocratie, les droits humains et l’Etat de droit, sont inconcevables tant que chaque citoyen n’est pas perçu en tant qu’unité politique, titulaire de droits et sujet de justice. Ces normes sont diamétralement opposées à la réduction métaphorique, et réelle par la suite, de populations entières de personnes étiquetées et homogénéisées à cause de leur appartenance à un groupe stigmatisé. En ce qui concerne les perspectives d’avenir, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer à plusieurs reprises, les organisations d’extrême droite ne se sont pas contentées de fonctionner en simples partis d’opposition, tirant à boulets rouges sur les gouvernements, tout en restant à l’extérieur. Certains des partis ayant remporté le plus de succès ont participé à des gouvernements et à l’élaboration des politiques. Pour les partis politiques traditionnels, ces arrangements en matière de partage du pouvoir avec l’extrême droite ont assuré la formation de coalitions fonctionnelles, malgré le prix qu’ils ont dû payer pour cela, à savoir accepter l’influence politique de leurs partenaires. Il est plus que probable que cette pratique persistera dans certains pays, légitimant par conséquent l’extrême droite, tout en continuant à faire pression sur cette famille politique pour qu’elle gère sa transition de l’opposition vers une fonction gouvernementale – un processus ayant des conséquences sur le maintien et l’augmentation du nombre des électeurs de l’extrême droite. L’électorat des partis d’extrême va connaître une augmentation, dans une certaine mesure tout au moins, tant que la crise de l’euro persistera et que les Etats membres de l’UE auront recours à l’imposition de mesures d’austérité pour alléger les déficits. Au moment de la rédaction de ce texte, le recours à des gouvernements dirigés par des (ex-)technocrates de l’UE (comme en Italie) fait bien Ce fil conducteur normatif peut inverser le cours politique sur la question de l’immigration, comme cela a été démontré en 2010 lors de l’expulsion des Roms de la France, à forts relents historiques. Tout d’abord, la droite a été isolée au Parlement européen par la motion de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates condamnant ces expulsions. Ensuite, encore qu’avec un certain retard, c’est la Commissaire européenne à la justice, Viviane Reding, qui a dénoncé l’action de Sarkozy, faisant allusion, avec témérité, à la déportation des juifs vers les camps sous le régime de Vichy. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’un des talons d’Achille de l’extrême droite réside dans la nature autoritaire de son populisme. Par conséquent, une partie de la réponse pour les progressistes européens est d’être les plus grands partisans et les défenseurs les plus engagés de ces normes universelles qui, dans ce contexte, se rejoignent et se fondent 22 Chapitre 5: Quelques remarques de conclusion laquelle pourrait s’engager le patronat dans une course au rabais, exploitant les travailleurs migrants, officiellement ou officieusement. La voie qui s’impose est celle où la protection de l’emploi et la protection sociale universelle, basées sur une imposition fiscale progressive – thèmes traditionnels de la sociale démocratie, plus particulièrement dans les pays nordiques – permettront aux entreprises de maximiser leurs ressources humaines face à la concurrence internationale tout en libérant progressivement les travailleurs de l’insécurité d’un statut de simple marchandise. dans l’idée de la lutte contre les discriminations. Mais outre cela, en cette ère de mondialisation, ces normes devraient épouser une politique cosmopolite en vue de gérer la diversité de façon démocratique et progressiste. Il ne s’agit pas là d’une politique de déracinement, dans le sens classique du terme, mais plutôt, comme l’a défini David Held (2003: 169), d’un cosmopolitisme caractérisé par la triple exigence d’une égalité des citoyens, d’une reconnaissance réciproque de notre humanité commune et d’une impartialité des pouvoirs publics pour arbitrer les revendications culturelles concurrentes. Ce qui implique, ainsi que le soutient Ulrich Beck (2005: 92), une philosophie politique de « tolérance constitutionnelle » qui assure la neutralité de l’Etat et fait en sorte qu’il puisse accueillir des personnes appartenant à tout un éventail de nationalités. Ce n’est guère un hasard si la droite xénophobe est apparue comme une menace électorale en Suède dans le contexte d’un gouvernement de centre droit qui, tout en étant incapable de démanteler l’Etat-providence, a fait croître les inégalités à travers des réductions fiscales favorisant les riches. Sur le continent européen, puisque les progressistes se sont désormais vus libérés du compromis d’une « troisième voie » menant à un néo-libéralisme discrédité, la meilleure réponse qu’ils peuvent apporter à la propagande « sécuritaire » est de promettre de remeubler «les foyers de la population » avec le produit des taxes sur les transactions financières socialement inutiles, sur les revenus supérieurs gaspillés sur des produits de luxe et sur les sources des émissions de gaz à effet de serre. Ce faisant, ils pourront exploiter à bon escient l’autre talon d’Achille de l’extrême droite, à savoir son absence de recommandations cohérentes dans le domaine économique. Récemment, la tendance a été d’opposer le cosmopolitisme à la social-démocratie « conventionnelle ». Néanmoins, exprimé ainsi, ceci révèle deux inquiétudes principales des socio-démocrates: d’une part, veiller à ce que les travailleurs deviennent des citoyens égaux à travers la dé-marchandisation du travail, et d’autre part, promouvoir la solidarité entre les citoyens grâce à un sentiment d’humanité commune. L’appel en faveur d’un actionnariat des salariés, lancé par Wilkinson et Pickett (2009), est pertinent à cet égard car il s’attaque à l’insécurité du marché de l’emploi avec lequel jongle l’extrême droite tout en sapant la hiérarchie sociale qu’elle défend. L’une des faiblesses des mouvements des années 60 n’était pas leur individualisme, encore moins leur lutte contre l’autoritarisme, mais bien le relativisme et le particularisme qui accompagnaient souvent la « politique identitaire » représentant l’un des éléments émergents de cette époque. En effet, le soutien naïf que la gauche a apporté au multiculturalisme a souvent associé ce dernier, dans l’esprit du public, au mélange incohérent de ghettos culturels minoritaires (Hollinger, 2005). Ceci a facilité, à son tour, la réapparition du nationalisme « intégral », favorisé par les conservateurs lors de la période précédant la mondialisation et qui supposait que les personnes issues des communautés minoritaires seraient assimilées par l’« ethos » national prédominant, ou iraient s’installer ailleurs. Le tristement célèbre appel de Gordon Brown, « emplois britanniques pour travailleurs britanniques », fait partie de cette catégorie, de même que le récent et vain débat sur l’« identité nationale » de Sarkozy où le président français avait même organisé des consultations avec Jean Marie Le Pen à l’Elysée, dans le but notamment de s’attirer des voix et de s’approprier cette question. Cette approche différait quelque peu de la pratique des trois présidents français antérieurs qui avaient pour habitude de boycotter le chef de file du FN (Ellinas, 2010: 196-7). Au lieu d’emprunter ces chemins contestables, les progressistes devraient s’en tenir à la vision d’une société véritablement intégrée, qui tire économiquement profit du dynamisme culturel que des décennies successives d’immigration ont apporté aux Etats-Unis par exemple, tout en bloquant la voie facile sur 23 Bibliographie Bibliographie Adamson, Kevin et Johns, Robert (2008), ‘The Vlaams Blok, its electorate, and the ideological articulation of ‘Europe’ (Le Vlaams Blok, son électorat, et l’articulation idéologique de l’ « Europe »), Journal of Political Ideologies, 13, 2: 133-156 Albertazzi, Daniele et McDonnell, Duncan (2005), ‘The Lega Nord in the Second Berlusconi Government: In a League of its Own’ (La Ligue du Nord dans le second gouvernement Berlusconi: dans une Ligue à part), West European Politics, 28, 5: 952-72 Andersen, Joergen Goul et Bjǿrklund, Tor (2000), ‘Radical Right-wing Populism in Scandinavia: from Tax Revolt to Neo-Liberalism and Xenophobia’ (Le populisme radical de droite en Scandinavie: de la révolte fiscale au néo-libéralisme et à la xénophobie), dans Paul Hainsworth (Ed.), The Politics of the Extreme Right: From the Margins to the Mainstream (Londres: Pinter) Arter, David (2011), ‘Taking the Gilt off the Conservatives’ Gingerbread: The April 2011 Finnish General Election’ (Enlever tout le charme des conservateurs: les élections générales d’avril 2011 en Finlande), West European Politics, 34, 6: 1284-1295 Arzheimer, Kai et Carter, Elizabeth (2009), ‘Christian Religiosity and Voting for West European Radical Right Parties’ (La religiosité chrétienne et le vote pour les partis radicaux de droite en Europe occidentale), West European Politics, 32, 5: 985-1011 Bale, Tim (2003), ‘Cinderella and Her Ugly Sisters: The Mainstream and Extreme Right in Europe’s Bipolarising Party Systems’ (Cendrillon et ses deux vilaines sœurs: les formations politiques traditionnelles et l’extrême droite dans les systèmes de parti bipolarisants en Europe), West European Politics, 26, 3: 67-90 Bartlett, Jamie, Birdwell, Jonathan et Littler, Mark (2011), The New Face of Digital Populism (Le nouveau visage du populisme numérique) (London: Demos) Bauer, Otto (2000 [1906]), The Question of Nationalities and Social Democracy (La question des nationalités et de la démocratie sociale) (Minneapolis: University of Minnesota Press) Beck, Ulrich (2005), Power in a Global Age (Le pouvoir à l’ère de la mondialisation) (Cambridge: Polity Press) Belanger, E. et Aarts, K. (2006), ‘Explaining the Rise of the LPF: Issues, Discontent and the 2002 Dutch Election’ (Expliquer la montée du LPF: problématiques, mécontentement et les élections néerlandaises de 2002), Acta Politica, 41, 4-20 Bell, David S. et Criddle, Bryon (2002), ‘Presidentialism Restored: the French Elections of April-May and June 2002’ (Le rétablissement du présidentialisme: élections françaises d’avril-mai et de juin 2002), Parliamentary Affairs, 55: 643-63 Betz, Hans-Georg (2003), ‘Xenophobia, Identity Politics and Exclusionary Populism in Western Europe’ (La xénophobie, la politique identitaire et le populisme d’exclusion en Europe occidentale), dans Leo Panitch et Colin Leys (Ed.), Fighting Identities: Race, Religion and Ethno-Nationalism (Les identités en lutte: la race, la religion et l’ethno-nationalisme), The Socialist Register (Londres: Merlin Press) Biswaz, K (2011), ‘Eyes to the Right’ (Les yeux tournés vers la droite), New Internationalist, 11 juin Bobbio, Norberto (1996a), The Age of Rights (L’âge des droites) (Cambridge: Polity Press) Bobbio, Norberto (1996b), Left and Right: The Significance of a Political Distinction (La gauche et la droite, la signification d’une distinction politique) (Cambridge: Polity Press) Bos, Linda et Van der Brug, Wouter (2010), ‘Public Images of Anti-immigration Parties: Perceptions of Legitimacy and Effectiveness’ (Images publiques des partis anti-immigration: perceptions de la légitimité et de l’efficacité), Party Politics, 16, 6: 777-99 British National Party (2010), Democracy, Freedom, Culture and Identity, The Manifesto of the British National Party, Démocratie, liberté, culture et identité, Le manifeste du Parti national britannique), 6 mai 24 Bibliographie Camus, Jean-Yves (2005), L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique (Strasbourg: Commission européenne contre le racisme et l’intolérance) http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/activities/14-public_presentation_ paris_2005/Presentation2005_Paris_proceedings_fr.pdf Carter, Elisabeth (2005), The Extreme Right in Western Europe: Success or Failure? (L’extrême droite en Europe occidentale: réussite ou échec?) (Manchester: Manchester University Press) Castells, Manuel (1996), The Rise of the Network Society (Montée de la société en réseau) (Oxford: Blackwell) Chryssochoou, Xenia (2004), Cultural Diversity: Its Social Psychology (La diversité culturelle: sa psychologie sociale) (Oxford: Blackwell Publishing) Copsey, Nigel (2003), ‘Extremism on the Internet: The Extreme Right and the Value of the Internet’ (L’extrémisme sur internet: l’extrême droite et la valeur de l’internet), dans R. Gibson, P. Nixon et S. Ward (Ed.), Political Parties and the Internet: Net Gain (Les partis politiques et l’internet: un gain net) (Londres: Routledge) Conseil de l’Europe (2008), Livre blanc sur le dialogue interculturel: « Vivre ensemble dans l’égale dignité » (Strasbourg: Conseil de l’Europe, www.coe.int/t/dg4/intercultural/source/white%20paper_final_revised_fr.pdf) De Lange, Sarah L. et Art, David (2011), ‘Fortuyn versus Wilders: An Agency-Based Approach to Radical Right Party Building’ (Fortuyn contre Wilders: une approche de la construction des partis de la droite radicale basée sur la prise d’initiative), West European Politics, 34, 6: 1229-1249 De Vries, Catherine E. et Edwards, Erica E (2009), ‘Taking Europe To Its Extremes: Extremist Parties and Public Euroscepticism’ (Pousser l’Europe à ses extrêmes: les partis extrémistes et l’euroscepticisme public), Party Politics, 15, 1: 5-28 Dinas, Elias (2008), ‘The Greek General Election of 2007: You Cannot Lose If Your Opponent Cannot Win’ (Les élections générales de 2007 en Grèce: vous ne pouvez pas perdre si votre adversaire n’est pas capable de gagner), West European Politics, 31, 3: 600-07 Eatwell, Roger (2004), ‘Introduction: The New Extreme Right Challenge’ (Le nouveau défi de l’extrême droite), dans Eatwell et Mudde (voir plus bas) Eatwell, Roger et Mudde, Cas (2004), Western Democracies and the New Extreme Right Challenge (Les démocraties occidentales et le nouveau défi de l’extrême droite) (London: Routledge) Ellinas, Antonis A (2010), The Media and the Far Right in Western Europe. Playing the Nationalist Card (Les médias et l’extrême droite en Europe occidentale. Jouer la carte nationaliste) (Cambridge: Cambridge University Press) Réseau européen contre le racisme/Bureau européen d’information sur les Roms (2011), Debunking Myths & Revealing Truths (Démonter les mythes et révéler les vérités) (Bruxelles: ENAR/ ERIO, http://cms.horus.be/files/99935/MediaArchive/publications/ roma%20final%20pdf.pdf) Goodwin, Mathew J (2011a), Right Response: Understanding and Countering Populist Extremism in Europe (La réponse appropriée: comprendre et contrecarrer l’extrémisme populiste en Europe) (London: A Chatham House Report) Goodwin, Mathew J. (2011b), New British Fascism: Rise of the British National Party (Nouveau fascisme britannique: montée du Parti national britannique) (Abingdon, Oxon: Routledge) Goodwin, Mathew J (2006), ‘The Rise and Faults of the Internalist Perspective in Extreme Right Studies (La montée et les erreurs de la perspective internaliste dans les études relatives à l’extrême droite), Representation, 42, 4: 347-64 Hainsworth, Paul (2008), The Extreme Right in Western Europe (L’extrême droite en Europe occidentale) (Abingdon, Oxon: Routledge) Hainsworth, Paul (2004), ‘The Extreme Right in France: the Rise and Rise of Jean-Marie Le Pen’s Front National’ (L’extrême droite en France: son essor et la montée du Front National de Jean Marie Le Pen), Representation, 40, 2: 101-14 Hall, Stuart, Critcher, Chas, Jefferson, Tony, Clarke, John et Roberts Brian (1978), Policing the Crisis: Mugging, the State, and Law and Order (Maîtriser la crise: l’agression, l’Etat et l’ordre public) (Londres et Basingstoke: Macmillan Press) 25 Bibliographie Haughton, Tim, Novotnaa, Tereza et Deegan-Krause, Kevin (2011), ‘The 2010 Czech and Slovak Parliamentary Elections: Red Cards to the “Winners” (Les élections parlementaires de 2010 en Tchéquie et en Slovaquie: carton rouge pour les « vainqueurs »), West European Politics, 34, 2: 394-402 Held, David (2003), ‘From executive to cosmopolitan multilateralism’ (Du multilatéralisme directorial au multilatéralisme cosmopolite), dans David Held et Mathias Koenig-Archibugi (Ed.), Taming Globalization: Frontiers of Governance (Apprivoiser la mondialisation: les frontières de la gouvernance) (Cambridge: Polity Press), 160-86 Heinisch, R (2003), ‘Success in Opposition – Failure in Government: Explaining the Performance of Right-Wing Populist Parties in Public Office’ (Réussite dans l’opposition – Echec au gouvernement: expliquer les résultats des partis populistes de droite au pouvoir), West European Politics, 26, 3: 91-130 Hollinger, David A (2005 [1995]), Postethnic America: Beyond Multiculturalism (L’Amérique post-ethnique: au-delà du multiculturalisme) (New York, NY: Basic Books) Ignazi, Piero (2003), Extreme Right Parties in Western Europe (Les partis d’extrême droite en Europe occidentale) (Oxford: Oxford University Press) Ignazi, Piero (1996), ‘The Crisis of Parties and the Rise of New Political Parties’ (La crise des partis et la montée de nouveaux partis politiques), Party Politics, 2, 4: 549-566 Jackson, Paul and Gable, Gerry (eds) (2011), Far-Right.com: Nationalist Extremism on the Internet (Extrême droite.com: l’extrémisme nationaliste sur internet), Searchlight and RNM Publications Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie) (2010), Radical Change 2010 (www.jobbik.com/jobbik_news/jobbikannouncements/3152.html [site visité le 22/10/2011] John, Peter and Margetts, Helen (2009), ‘The Latent Support for the Extreme Right in British Politics’ (Le soutien latent à l’extrême droite dans le monde politique britannique), West European Politics, 32:3, 496-513 Kaldor, Mary (2004), ‘Nations and Globalisation’ (Nations et mondialisation), Nations and Nationalism, 10, 1+2: 161-77 Kitschelt, Herbert (2003) ‘Popular Dissatisfaction with Democracy: Populism and Party Systems’ (Mécontentement populaire et démocratie: populisme et système de parti politique), dans Yves Mény et Yves Surel (Ed.), Democracies and the Populist Challenge (Les démocraties et le défi populiste) (Basingstoke: Palgrave) Kitschelt, Herbert (avec) McGann, Anthony J (1995), The Radical Right in Western Europe (La droite radicale en Europe occidentale) (Ann Arbor: University of Michigan) Khan, Jasmin (2007), The Great Partition: The Making of India and Pakistan (La grande partition: la création de l’Inde et du Pakistan) (New Haven, CT: Yale University Press) Klandermans, Bert and Mayer, Nonna (2006), Extreme Right Activists in Europe. Through the Magnifying Glass (Les militants d’extrême droite en Europe sous la loupe) (Basingstoke: Routledge) Le Pen, Marine (2011), Projet pour la France, novembre http://www.marinelepen2012.fr/le-projet/ Lloyd, John (2003), ‘The Closing of the European Gates? The New Populist Parties of Europe’ (L’Europe: un continent aux portails verrouillés? Les nouveaux partis populistes en Europe), in The Socialist Register (Londres: Merlin Press) Luther, Kurt Richard (2003a), ‘The Self-Destruction of a Right-Wing Populist Party? The Austrian Parliamentary Election of 2002’ (L’autodestruction d’un parti populiste de droite? Les élections parlementaires de 2002 en Autriche), West European Politics, 26, 2: 136-42 Luther, Kurt Richard (2003b), ‘The FPÖ: From Populist Party to Incumbency’ (Le FPÖ: d’un parti populiste à l’exercice du pouvoir), dans Peter Merkl et Leonard Weinberg (Ed.), Right-Wing Extremism in the Twenty-First Century (L’extrémisme de droite au 21ème siècle) (Londres: Frank Cass) 26 Bibliographie Bibliographie Luther, Kurt Richard (2011), ‘Of Goals and Own Goals: A Case Study of Right-wing Populist Party Strategy for and during Incumbency’ (Des objectifs et des objectifs propres: une étude de cas relative à la stratégie des partis populistes de droite sur le chemin du pouvoir et pendant leur présence au gouvernement), Party Politics, 17, 4: 453-70 Mair, Peter (2006), ‘Ruling the Void? The Hollowing of Western Democracy’ (Gouverner l’insignifiant? L’érosion de la démocratie occidentale), New Left Review, 42: 25-51 Mayer, Nonna (2007), ‘Comment Nicolas Sarkozy a rétréci l’électorat de Le Pen’, Revue française de science politique, 57, 3-4: 429-446 Mayer, Nonna (1998), ‘The Front National Vote in the Plural’ (Le vote du Front National au pluriel), Patterns of Prejudice, 32, 1: 3-24 Minkenberg, Michael (2011), ‘The Radical Right in Europe Today: Trends and Patterns in East and West’ (La droite radicale dans l’Europe d’aujourd’hui: tendances et structures à l’Est et à l’Ouest), dans N. Langenbacher et B. Schellenberg (Ed.), Is Europe on the ‘Right’ Path? Right-Wing Extremism and Right-Wing populism in Europe (L’Europe sur le “droit” chemin? L’extrémisme de droite et le populisme de droite en Europe) (Berlin: Friedrich Ebert Stiftung) Minkenberg, Michael (2006), ‘Repression and Reaction: Militant Democracy and the Radical Right in Germany and France’ (Répressions et réactions: la démocratie militante et la droite radicale en Allemagne et en France), Patterns of Prejudice, 40, 1, February: 25-44 Mouffe, Chantal (2000), The Democratic Paradox (Le paradoxe démocratique) (Londres: Verso) Mudde, Cas (2007), Populist Radical Right Parties in Europe (Les partis populistes de la droite radicale en Europe) (Cambridge: Cambridge University Press) Mudde, Cas (ed) (2005), Racist Extremism in Central and Eastern Europe, (Extrémisme raciste en Europe centrale et orientale) (Abingdon, Oxon: Routledge) Norris, Pippa (2005), Radical Right: Voters and Parties in the Electoral Arena (La droite radicale: les électeurs et les partis dans l’arène électorale) (New York: Cambridge University Press) Odmalm, Pontus (2011), ‘Political Parties and “the Immigration Issue”: Issue Ownership in Swedish Parliamentary Elections 1991-2010’ (Les partis politiques et la « question de l’immigration »: appropriation de la question lors des élections parlementaires de 1991-2010 en Suède), West European Politics, 34:5, 1070-91 Ország-Land, Thomas (2010), ‘Disillusioned Central Europe Tilts to the Far-Right) (L’Europe centrale désillusionnée se porte vers l’extrême droite), New English Review, juin (www.newenglishreview.org/print.cfm?pg=custpage&frm=64279&sec_id+64279 [site visité le 01/11/2011]) Pedahzur, Ami et Brichta, Avraham (2002), ‘The Institutionalization of Extreme Right-Wing Charismatic Parties: A Paradox’ (L’institutionnalisation des partis d’extrême droite charismatiques: un paradoxe), Party Politics, 8, 1: 31-49 Roxburgh, Angus (2002), Preachers of Hate: The Rise of the Far Right, (Apôtres de la haine: la montée de l’extrême droite) (Londres: Gibson Square Books) Rydgren, Jens (2005), ‘Is Extreme-right Populism Contagious? Explaining the Emergence of a New Party Family’ (Le populisme d’extrêmedroite est-il contagieux? Expliquer l’émergence d’une nouvelle famille politique), European Journal of Political Research, 44: 413-37 Rydgren, Jens (2004), ‘Explaining the Emergence of Right-Wing Populist Parties: The Case of Denmark’ (Expliquer l’émergence des partis populistes de droite: le cas danois), West European Politics, 27, 3: 474-502 Schain, Martin (2006), ‘The Extreme-Right and Immigration Policy-Making: Measuring Direct and Indirect Effects’ (L’extrême droite et l’élaboration de la politique d’immigration: mesurer les effets directs et indirects), West European Politics, 29, 2: 270-89 Shields, James (2010a), ‘The Far Right Vote in France: From Consolidation to Collapse’ (Le vote d’extrême droite en France: de la consolidation à l’effondrement), French Politics, Culture and Society, 28, 1: 25-45 Shields, James (2010b), ‘Support for Le Pen in France: Two Elections in Tromp L’Oeil’ (Le soutien à Le Pen en France: deux élections en trompe-l’œil), Politics, 30, 1: 61-69 Skenderovic, Damir (2009), The Radical Right in Switzerland: Continuity and Change, 1945-2000 (La droite radicale en Suisse: continuité et changement, 1945-2000) (New York et Oxford: Berghahn Books) 27 Bibliographie Smith, Anthony (1999), ‘Ethnic Election and National Destiny: Some Religious Origins of Nationalist Ideals’ (Elections ethniques et destin national: quelques origines religieuses et idéaux nationalistes), Nations and Nationalism, 5, 3: 331-55 Spies, Dennis et Franzmann, Simon T (2011), ‘A Two-Dimensional Approach to the Political Opportunity Structure of Extreme Right Parties in Western Europe’ (Une approche bidimensionnelle de la structure d’opportunité politique des partis d’extrême droite en Europe occidentale), West European Politics, 34: 5: 1044-69 SVP (2011), SVP – the party for Switzerland, Party Programme (Le parti pour la Suisse, Le programme du parti), 2011-2015 Swyngedouw, Marc et Ivaldi, Gilles (2001), ‘The Extreme Right Utopia in Belgium and France: The Ideology of the Flemish Vlaams Blok and the French National Front’ (L’utopie de l’extrême droite en Belgique et en France: l’idéologie du Vlaams Blok flamand et du Front National français), West European Politics, 24, 3: 1-22 Tarchi, Marco (2005), ‘The Far Right Italian Style’ (L’extrême droite à l’italienne), dans Xavier Casals (Ed.), Political Survival on the Extreme Right: European Movements between the Inherited Past and the Need to Adapt to the Future (La survie politique de l’extrême droite: mouvements européens entre l’héritage du passé et le besoin de s’adapter à l’avenir) (Barcelone: Institut de Ciènces Politiques i Socials) Tarchi, Marco (2003), ‘The Political Culture of the Alleanza Nazionale: An Analysis of the Party’s Programmatic Documents (1995-2002)’ (La culture politique de la Alleanza Nazionale: une analyse des documents programmatiques du parti), Journal of Modern Italian Studies, 8, 2: 135-81 Van der Brug, W. et J. van Spanje (2009), ‘Immigration, Europe and the ‘new’ cultural dimension’ (L’immigration, l’Europe et la « nouvelle » dimension culturelle), European Journal of Political Research, 48, 3: 309-34 Van Holsteyn, J M (2011), ‘The Dutch Parliamentary Election of 2010’, (Les élections parlementaires de 2010 aux Pays-Bas), West European Politics, 34: 2, 412-19 Van Kessel, Stijn (2011a), ‘Explaining the Electoral Performance of Populist Parties: The Netherlands as a Case Study’ (Expliquer les performances électorales des partis populists: les Pays-Bas comme étude de cas), Perspectives on European Politics and Society, 12, 1: 66-88 Van Kessel, Stijn (2011b), ‘The Dutch General Election of June 2010’ (Les élections générales néerlandaises de juin 2010), Election Briefing No 54, European Parties, Elections and Referendums Network (EPERN), Sussex European Institute Vossen, Koen (2011), ‘Classifying Wilders: the ideological development of Geert Wilders and his Party for Freedom’ (Classifier Wilders: l’évolution idéologique de Geert Wilders et de son Parti pour la liberté), Politics 21, 3: 179-89 Van Spanje, Joost (2010), ‘Contagious Parties: Anti-Immigration Parties and Their Impact on Other Parties’ Immigration Stances in Contemporary Western Europe’ (Les partis contagieux: les partis anti-immigration et leur impact sur la position des autres partis en matière d’immigration dans l’Europe de l’Ouest contemporaine), Party Politics, 16, 5: 563-86 Volkan, Vamik (1997), Blood Lines: From Ethnic Pride to Ethnic Terrorism (Liens de sang: de l’orgueil ethnique au terrorisme ethnique) (Boulder, CO: Westview Press) Widfeldt, A (2000), ‘Scandinavia: Mixed Success for the Populist Right’ (Scandinavie: succès mitigé pour la droite populiste), Parliamentary Affairs, 53, 3: 486-500 Wilkinson, Richard et Kate Pickett (2009), The Spirit Level: Why Equal Societies Almost Always Do Better (La force de l’esprit: pourquoi les sociétés égalitaires font presque toujours mieux?) (Londres: Allen Lane) Williams, M H (2006), The Impact of Radical Right-Wing Parties in West European Democracies (L’impact des partis radicaux de droite sur les démocraties de l’Europe occidentale) (Houndmills: Palgrave Macmillan) Wilson, Alex (2009), ‘The Italian Election of April 2008: A Political Earthquake’ (Les élections d’avril 2008 en Italie, un séisme politique), West European Politics, 32, 1: 215-25 Zick, Andreas, Beate Küpper et Andreas Hövermann (2011), Intolerance, Prejudice and Discrimination: A European Report (Intolérance, préjugé et discrimination: un rapport européen) (Berlin: Friedrich Ebert Stiftung, http://library.fes.de/pdf-files/do/07908-20110311.pdf) 28 LES PARTIS D’EXTREME DROITE ET LEUR DISCOURS EN EUROPE: Un défi de notre temps L’extrême droite semble gagner en popularité partout en Europe. Alors qu’elle s’étend à travers l’Union européenne, elle a influencé tant les conservateurs que les partis politiques au pouvoir. L’on ne peut pas simplement faire l’impasse sur les partis d’extrême droite contemporains ou ignorer les problèmes qui alimentent leur fonds de commerce et les arguments qu’ils avancent. Les partis de cette famille politique ont eu un impact, à des degrés divers, sur la politique et la société européennes ces dernières années. Etant donné que le discours d’extrême droite est construit au travers des expériences quotidiennes et des attitudes de ses membres et, dans une certaine mesure, par la société dans son ensemble, une analyse des différents aspects de ce mouvement d’extrême droite grandissant est plus que nécessaire. Cette publication vise dès lors à offrir une analyse des partis politiques d’extrême droite au sein de l’Union européenne en examinant la situation politique actuelle ainsi que le discours de l’extrême droite et le contexte dans lequel celle-ci s’est développée. Elle étudie les différents arguments utilisés dans le discours de l’extrême droite et les raisons de son succès grandissant partout en Europe, et évalue en outre les différences entres les Etats membres de l’UE. Elle explore également la manière dont les autres partis politiques, organisations et sociétés ont répondu aux défis de cette présence de l’extrême droite, et propose des alternatives au succès de l’extrême droite, qui accroît sa popularité au travers de messages simples. Réseau européen contre le racisme (ENAR) aisbl 60 Rue Gallait, 3ème étage B-1030 Bruxelles • Belgique Tel: +32 (0)2 229 3570 • Fax: +32 (0)2 229 3575 E-mail: [email protected] • Web: www.enar-eu.org #20048 • Le Réseau européen contre le racisme (ENAR) est un réseau de plus de 700 ONG œuvrant pour lutter contre le racisme dans tous les Etats membres de l’Union européenne et la voix du mouvement antiraciste en Europe. ENAR est fermement résolu à lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, à promouvoir l’égalité de traitement entre citoyens de l’UE et ressortissants de pays tiers et à assurer la liaison entre les initiatives locales/ régionales/nationales et les initiatives de l’Union européenne.