Les partis politiques face aux nouvelles formes d`engagement

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Les partis politiques face aux nouvelles formes d`engagement
Les partis politiques face aux nouvelles formes d’engagement
L’exemple du Parti socialiste
Entretien avec Frédéric Sawicki*
La politique est un terrain où il est difficile de voir émerger de nouveaux profils militants. Codes
culturels et logiques de clôture découragent les nouveaux adhérents, de sorte que les partis, même
quand ils prennent conscience de ce phénomène et tentent de s’ouvrir, ont du mal à renouveler leur
sociologie et à accueillir des personnes porteuses d’expériences sociales différentes.
La campagne électorale de 2006-2007 a vu l’émergence de Désirs d’avenir, une structure plus légère que le Parti
socialiste et qui semblait aussi plus dynamique. Comment définiriez-vous ce que certains commentateurs
avaient alors qualifié d’ « objet politique non identifié » ?
Il est difficile de donner une réponse scientifique à cette question, car on manque encore de
recherches précises. On peut néanmoins repérer quelques traits. En relevant d’abord que Désirs
d’avenir était officiellement une association (même si on a su plus tard qu’elle avait aussi le
statut de parti politique, pour faciliter son financement), dont l’appartenance n’était nullement
incompatible avec celle au PS. Ses responsables étaient d’ailleurs soit membres du parti, soit
d’anciens militants déçus, qui étaient revenus à la politique via ce canal. Premier constat, donc :
Désirs d’avenir ne semble pas avoir amené massivement à la politique des gens qui en étaient
éloignés.
L’originalité de cette structure réside donc moins dans le profil de ses militants que dans ses
formes d’organisation et ses modes d’action. Le recours à un site dit « participatif » (en réalité un
blog collectif « modéré »), associé à des réunions thématiques organisées à l’échelle régionale et
locale a pu donner l’impression d’un mouvement qui donnait davantage la parole et l’initiative à
ses membres qu’un parti classique. Mais le bilan reste mitigé : depuis 2007, le site est
essentiellement alimenté par Ségolène Royal et son entourage, et il n’y a presque plus de
réunions. Au-delà du repli naturel de l’activité militante après une campagne électorale, se pose
donc la question de la capacité d’une telle dynamique à perdurer. Cela tient en partie à la
stratégie de l’ancienne candidate. Après avoir annoncé une pérennisation de la structure, avec
force débats participatifs et une refonte, controversée, de son site Internet, Ségolène Royal s’est,
dans la perspective du congrès de Reims, recentrée sur le PS dont elle a tenté de conquérir la
direction. Si elle a échoué, son courant dirige aujourd’hui plusieurs fédérations, si bien qu’on
peut parler d’une « réinternalisation » de Désirs d’avenir au sein du parti.
Au total, Désirs d’avenir apparaît donc comme le produit d’une conjoncture : la candidate, faute
de courant personnel avant 2007, a dû créer sa propre structure, semi-extérieure. Mais le PS
reste la référence.
On peut avoir l’impression d’un feu de paille. Mais a-t-il eu un effet sur la sociologie militante et les
pratiques au sein du PS ?
Plus significatif me semble l’effet de l’adhésion à 20 euros, qui a permis d’intégrer au parti des
adhérents qui avaient le droit de se prononcer sur le programme et le choix du candidat à la
présidentielle, mais pas sur l’investiture des candidats aux autres scrutins. On dispose de
diverses études à leur propos. Près de 100 000 personnes ont alors adhéré, pour l’essentiel via
Internet (l’UMP s’est engagée dans la même démarche à peu près au même moment). Ces
nouveaux adhérents ont un profil différent : plus jeunes, davantage salariés du privé que du
secteur public, et surtout sans liens préalables très forts avec des militants du PS. Ces derniers se
* Frédéric Sawicki est professeur de science politique à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne et
chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Lille). Il a
notamment publié le manuel Sociologie politique (avec Jacques Lagroye et Bastien François, 5e éd. revue et
augmentée, Dalloz et Presses de Sciences Po, coll. « Amphi », 2006), et La Société des socialistes. Le PS
aujourd’hui (avec Rémi Lefebvre, Editions du Croquant, coll. « Savoir/agir », 2006).
sont massivement reconnus en Ségolène Royal, en qui ils voyaient, sur la base des sondages, la
candidate la plus efficace, mais aussi avec qui ils partageaient une même propriété de position :
l’extériorité par rapport au parti des « éléphants » et des courants. Son refus de suivre
aveuglément le programme et la doctrine du PS (sur la sécurité, sur l’économie, sur l’École…),
son choix de mettre en avant des thèmes novateurs ont peut-être compté moins en eux-mêmes
que pour ce qu’ils signifiaient de son indépendance d’esprit et de sa volonté de rénovation.
Mais ce mode d’adhésion a posé de nombreux problèmes internes et des mécanismes de clôture
ont joué. Non en vertu d’une décision cynique de la direction, mais plutôt via un ensemble de
micro-procédures : par exemple, les adhérents à vingt euros ont découvert qu’il leur fallait
prendre contact avec une section locale, puis s’y faire intégrer. Or les sections sont en charge de
l’investiture aux élections locales, et les dirigeants, souvent élus ou collaborateurs d’élus, veulent
en garder le contrôle. Les sections n’ont donc pas fait beaucoup d’efforts pour s’ouvrir, en termes
de prises de contact et de rites d’intégration.
Beaucoup de néo-adhérents avaient par ailleurs peu d’affinités avec la culture PS – les courants,
les enjeux locaux (le national les intéressait davantage), le tutoiement, et plus généralement tous
les codes propres au PS comme à toute vieille institution. On sait que dans ces situations, si le
groupe d’accueil ne fait pas un effort particulier, les arrivants se démotivent vite. On ne peut ici
jeter la pierre à personne : le poids des routines (par exemple les horaires des réunions pas
toujours adaptés aux horaires des salariés du privé) est souvent déterminant… Même si les
intérêts bien compris des dirigeants locaux ont pu interférer çà et là. Ce qui me semble
intéressant c’est cette tendance des groupes militants à se refermer sur eux-mêmes, à vivre dans
l’entre-soi, tendance qui se renforce quand un groupe est constitué de personnes vieillissantes,
qui se connaissent depuis longtemps. C’est l’une des raisons qui font que les jeunes ne viennent
pas, ou plutôt qu’ils ne restent pas.
N’est-ce pas l’effet aussi d’une « génération manquante », celle des années 1980, associée à une
dépolitisation, à l’argent roi et à la vogue de l’entreprise ?
Il y a bien en tout cas un chaînon manquant, et on peut le repérer à l’âge moyen des députés, qui
est de 57 ans aujourd’hui, avec très peu de trentenaires et de quadras. Il y a des jeunes bien sûr
au PS, mais beaucoup sont des professionnels ou des collaborateurs d’élus, avec un profil
socioprofessionnel bien dessiné : contractuels ou agents de la fonction publique territoriale.
Ceux-là connaissent les codes ; tandis que les néophytes, qui les ignorent et sont porteurs
d’autres expériences sociales, se sentent en déphasage avec les discours tenus en section. On
retrouve là l’effet de clôture, qui produit du découragement.
La politique est un terrain où il est difficile de voir émerger de nouveaux profils militants. Ce
n’est pas propre au PS, qui a d’ailleurs fait des efforts : la fin du cumul des mandats, l’ambition
réelle de mixité, l’ouverture vers des candidats de la diversité ont été récemment réaffirmés.
Mais cela reste difficile à mettre en œuvre car la démocratie donne l’avantage aux décisions de
section, de sorte que la direction du parti, fédérale ou nationale, ne peut imposer ses vues ou, car
elles peuvent être partagées par les sections, travailler à leur mise en œuvre méthodique.
Mais l’accès aux responsabilités ou simplement à une parole militante capable de peser est aussi
une question d’éducation. Or, le PS n’a pas d’ « école du parti » comme ce fut le cas du Parti
communiste pendant des décennies. On a tenté d’y suppléer par la proposition récente, un peu
baroque, des « parrainages » de candidats de la diversité par des élus, mais c’est du bricolage et
ouvre la porte au clientélisme.
Pour favoriser l’émergence de responsables issus de la diversité, on peut aussi agir de l’extérieur, en
modifiant le jeu institutionnel comme on l’a fait avec les lois sur la parité. On sait par exemple que le
scrutin de liste est un élément décisif pour faire « monter » des candidats issus de l’immigration.
C’est vrai, mais le PS reste un parti d’élus qui se méfient de la proportionnelle. On en a fait
l’expérience en 1986 pour les législatives, mais comme cela a permis l’élection de représentants
du Front national, on agite en permanence cet épouvantail pour enterrer tout projet de retour au
mode de scrutin proportionnel. Pourtant, ce mode de scrutin existe pour les européennes, les
régionales et les municipales, dans ces deux derniers cas avec des correctifs majoritaires, ce qui
montre bien que le motif de majorités ingouvernables est quelque peu fallacieux. La vérité, du
point du vue du PS, est que la domination du mode de scrutin majoritaire lui permet de
préserver son hégémonie. Si les Verts arrivaient en tête plus souvent, peut-être que sa position
sur le sujet évoluerait !
Enfin, l’absence de statut de l’élu, qui empêche un salarié du privé de retrouver son poste, et la
persistance de cumuls déguisés (pas celui des mandats, mais celui des fonctions, au premier
rang desquelles les présidences et vice-présidences d’établissements publics intercommunaux)
contribuent également à la fermeture du jeu politique.
Les nouveaux partis échappent-ils à cette fermeture ?
Si l’on prend les Verts par exemple, le jeu est incontestablement plus ouvert, et on l’a bien vu aux
dernières élections, européennes et régionales, avec deux raisons-clés : le scrutin à la
proportionnelle, mais aussi l’ampleur inattendue du succès, qui a conduit à l’élection de
candidats « atypiques » placés parfois au départ en position a priori inéligible…
Cela étant, les Verts, qui représentaient à ces élections la troisième force politique du pays, ne
comptent pas plus de 10 000 adhérents. Même ces partis plus ouverts aux amateurs et à la
société civile n’arrivent donc pas à drainer de nouveaux adhérents.
Le syndicalisme nourrit-il encore les partis politiques ?
Officiellement, les statuts du PS prévoient qu’on ne peut être membre sans adhérer
parallèlement à un syndicat, mais dans les faits les liens se sont distendus. C’est aussi le cas entre
le PCF et la CGT dont les liens étaient jadis quasi-organiques. Une enquête que j’ai menée en
2002 dans le Nord-Pas-de-Calais montrait que seuls 5 % des adhérents de la CFDT étaient alors
membres du PS et moins de 1 % chez les moins de 35 ans. Au sein des partis de gauche, les
syndicalistes ne sont ni majoritaires, ni organisés, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans.
Cela s’explique partiellement par les stratégies des confédérations syndicales, qui refusent de
prendre position. Au passage on pourrait discuter ce choix : aux États-Unis et en Allemagne, les
syndicats sont indépendants mais peuvent quand même décider de soutenir un candidat lors
d’une campagne donnée. Ce qui ne les empêche pas de les sanctionner par la suite.
Mais cela s’explique aussi par une responsabilité des partis, qui ne cherchent pas à promouvoir
des militants ayant une expérience syndicale. Les syndicalistes ont l’impression qu’ils sont
porteurs d’une autre culture, qui n’intéresse pas le parti. Quand ils franchissent le pas, ils sont
souvent déçus et n’insistent pas. Cela n’est pas forcément nouveau, mais le contraste entre la
vivacité du mouvement social et la sclérose des partis politiques n’a peut-être jamais été aussi
forte.
Les partis tentent aujourd’hui de renouveler leurs pratiques. Peut-on dire par exemple que le
participatif est entré dans les mœurs ?
Le PS, puisque c’est le thème de notre entretien, s’est beaucoup transformé, avec un réel
renforcement des formes de démocratie directe. Le Congrès de Rennes (1990) reste un épisode
traumatique, et depuis on a revu les procédures de vote et mis en place un vote personnel avec
contrôle de l’identité. On a aujourd’hui davantage de désignations directes par les adhérents
(pour l’investiture du candidat à l’élection présidentielle, depuis 1995), mais aussi des
procédures de consultation directe des adhérents avec des référendums internes (sur l’Europe
en 2005). Le référendum d’initiative militante n’est certes pas entré dans les faits ; mais on a vu
un élargissement des prérogatives des adhérents, et aussi, ce qui est notable, des sympathisants
(avec les primaires). Il y a donc bien une tentative de réponse.
Mais cette réponse a des effets paradoxaux. Par exemple, débattre de textes programmatiques,
cela fait sans doute plaisir aux adhérents des CSP+ ou ++, mais cela éloigne d’autres adhérents,
qui recherchent davantage des certitudes, des réponses précises, pas des débats sans fin. Il y a ici
une dimension générationnelle, mais aussi sociale. Il y a ainsi plusieurs cultures dans le PS
d’aujourd’hui. Elles peuvent se maintenir tant qu’elles sont séparées et vivent dans des sections
différentes ; mais quand elles cessent de l’être, les dominants tendent à l’emporter et à imposer
leur style. À Paris, par exemple, les adhérents issus des milieux modestes sont cantonnés au
registre du témoignage et peuvent en ressentir de l’humiliation. Pour un parti de gauche, il existe
une réelle difficulté à faire coexister des gens différents. On notera cependant qu’il n’y a aucune
fatalité ici : le syndicalisme offre l’exemple inverse. Mais au prix d’un effort de formation, de mise
en confiance.
Il me semble qu’un parti politique soucieux de s’ouvrir ou de préserver sa diversité devrait
réfléchir à la pédagogie et au travail d’animation, avec une démocratie du respect, et pas
seulement une démocratie formelle. Cela passe par exemple par une réflexion sur la manière
dont on présente les textes. Le PS accueillait jadis beaucoup d’instituteurs : leur expérience était
précieuse sur ce point.
Reste qu’on ne peut supprimer d’un revers de plume le choc des cultures. Peut-être une solution
serait-elle de déterritorialiser l’organisation du parti. Mais une autre incitation serait que la loi
sur le financement des partis les oblige à consacrer plus de moyens à la formation, ou que ces
moyens aillent à des fondations en charge de celle-ci comme en Allemagne. En essayant d’éviter
les dérives et effets indésirables, bien entendu : il y a lieu de réfléchir aux contreparties, aux
contraintes, aux règles ; mais c’est un enjeu central. C’est très bien de réfléchir à la démocratie
participative, mais il ne faut pas oublier la démocratie représentative et ses institutions !
Il y a là, en somme, un enjeu d’éducation populaire ?
Oui, et il est essentiel car les partis sont les lieux où se formule la parole publique, où les
expériences sociales se façonnent en propositions politiques. Il est essentiel de veiller à ce que
cette parole, ces propositions soient véritablement nourries par la société et non captées par une
élite. Les partis sont aujourd’hui influencés par le système scolaire français, dont on connaît les
travers. Il serait essentiel qu’ils renforcent leur capacité de rattrapage social.
Propos recueillis par Richard Robert

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