Intolérance au lactose et faible densité osseuse: un risque inutile
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Intolérance au lactose et faible densité osseuse: un risque inutile
Intolérance au lactose et faible densité osseuse: un risque inutile pour une situation gérable Dennis Savaiano La possibilité d’une intolérance au lactose incite 25–50 millions d’Américains à éviter de consommer du lait. Or, l’éviction du lait est un facteur de risque important d’une faible densité osseuse. Les personnes qui ne consomment pas de lait, en raison d’une intolérance ou d’une aversion, consomment significativement moins de calcium, ont une moins bonne santé osseuse et un risque accru d’ostéoporose. Pourtant, l’intolérance au lactose peut facilement être atténuée par: 1) la consommation régulière de lait pour adapter les bactéries du côlon et faciliter la digestion du lactose, 2) la consommation de yaourts, fromages et autres produits laitiers pauvres en lactose, 3) la consommation de produits laitiers pendant les repas pour ralentir le transit et optimiser la digestion, et 4) l’utilisation de molécules facilitant la digestion du lactose. L’intolérance au lactose peut provoquer des symptômes modérés ou aigus tels que des flatulences excessives, un inconfort gastrique et des diarrhées. L’apparition de ces symptômes dépend de: 1 La quantité du lactose consommé. En règle générale, une tasse de lait (contenant 12 g de lactose) servie avec un repas est bien tolérée, même par ceux qui affirment être atteints d’une intolérance sévère. Si le lait est consommé avec le petit déjeuner ou le dîner, il est également bien toléré. La concentration en lactose varie considérablement d’un produit laitier à l’autre. Ce sucre hydrosoluble se retrouve dans le lactosérum lorsque ce dernier est séparé du lait caillé. Les fromages à pâte dure contiennent donc très peu de lactose; les fromages à pâte molle en contiennent plus. Les yaourts sont quant à eux bien tolérés, car ils apportent également de la b-galactosidase bactérienne qui agit in vivo au cours de la digestion en complétant l’activité de la lactase présente dans l’organisme. Le lait reste cependant la principale source alimentaire de lactose . 40 2 La vitesse à laquelle le lactose passe dans le côlon, qui elle-même dépend du repas consommé et de la vidange gastrique. La tolérance au lactose est sensiblement améliorée lorsque ce sucre est consommé pendant un repas. Cette amélioration est plus difficile à mettre en évidence dans le cas d’aliments considérés individuellement: par exemple le lait entier en comparaison de lait écrémé. 3 L’activité résiduelle de la lactase dans l’intestin grêle varie probablement d’un individu à l’autre et est susceptible d’influencer la tolérance. Cependant, cette variation n’est pas bien comprise, tout comme son influence sur la tolérance au lactose. 4 La capacité des bactéries du côlon à compenser la mauvaise digestion du lactose. Cette capacité dépend de la capacité de la flore intestinale à métaboliser le lactose. Des études en double aveugle dans lesquelles du lactose était régulièrement consommé suggèrent que l’histoire alimentaire et l’adaptation sont des facteurs importants dans la détermination de cette tolérance. La principale préoccupation clinique face à une mauvaise digestion ou à une intolérance au lactose est la réduction de l’apport en calcium, car elle diminue la densité osseuse et augmente le risque accru d’ostéoporose. Ainsi, différentes équipes ont montré que: • L’intolérance au lactose en soi ou sa mauvaise digestion ne sont pas associées à une perte de densité minérale osseuse: ce sont les faibles apports calciques de ces patients qui conduisent souvent à une telle perte [1, 2]. • Di Stefano et al. [2] considèrent que l’intolérance au lactose empêche indirectement la formation d’une masse osseuse suffisante et peut prédisposer à l’ostéoporose. • Segal et al. [3] ont montré dans leur groupe de 66 personnes que l’intolérance au lactose pouvait augmenter le renouvellement osseux et diminuer la masse osseuse • Kudlacek et al. [4] rapportent que certaines personnes intolérantes au lactose étaient plus sujettes aux fractures vertébrales, bien qu’ils n’aient pas pu mettre en évidence un risque accru d’accélération de perte osseuse pour l’ensemble des patients (n = 115). • Finkenstedt et al. [5] ont montré que 13 des 33 femmes présentant une ostéoporose idiopathique digéraient mal le lactose contre seulement 4 des 33 témoins sans ostéoporose (p <0,01), et, chez les femmes atteintes d’ostéoporose, l’apport calcique quotidien d’origine laitière représentait moins de la moitié de celui des femmes témoins (p <0,05). 41 • McCabe et al. [6], dans une étude longitudinale, ont montré qu’une complémentation en calcium permettait de protéger les femmes et les hommes d’une perte osseuse. • Barger-Lux et Heaney [7] ont commenté un symposium national sur le rôle des apports calciques dans la prévention de la fragilité osseuse et discuté un grand nombre d’études démontrant la relation bien connue entre l’ingestion de calcium et la perte osseuse. • Matlik et al. [8] ont rapporté que des filles de 10–13 ans qui pensaient être intolérantes au lactose avaient des apports calciques inférieurs de 212 mg par jour aux apports de filles du même âge et présentaient d’ores et déjà une densité osseuse plus faible en raison de l’éviction du lait et des produits laitiers de leur alimentation. • Stallings et al. [9] ont rapporté que les régimes sans lactose entraînaient une diminution de l’absorption du calcium, aggravant ainsi les déficits en calcium des personnes intolérantes au lactose. L’incidence de symptômes résultant d’une intolérance au lait et aux produits laitiers dans différentes populations est bien documentée [10–13]. Le site Internet d’informations de la FDA sur la santé des consommateurs [14] indique que le NIH estime que 30–50 millions d’Américains sont intolérants au lactose. Le site Internet du NIH contient de nombreuses informations sur cette intolérance [15]. Les produits laitiers représentent 73% du calcium disponible dans l’alimentation des Américains [16] et 51% de l’apport total en calcium [17]. Les apports calciques de la plupart des Américains sont bien en deçà des recommandations [18–20]. Fleming et Heimbach [21] présentent des données spécifiques sur ces apports aux Etats-Unis par sexe, âge, groupe ethnique, région et groupe d’aliments. Il est difficile de consommer suffisamment de calcium avec un régime alimentaire sans produits laitiers [21–23]. On considère qu’un apport calcique adéquat permet non seulement de diminuer le risque d’ostéoporose et d’hypertension [24], mais aussi de réduire le risque de cancer [7, 24]. On estime que 25% des Américains et 75% de la population mondiale digèrent mal le lactose. Comme tous les autres mammifères, ces personnes perdent plus de 90% de leur lactase infantile p endant l’enfance. Leur capacité à transformer le lactose en galactose et en glucose dans l’intestin grêle est donc limitée. L’estimation du NIH selon laquelle 30–50 millions d’Américains ne consomment pas de lait est étayée par un sondage réalisé par Elbon et al. [25] qui montre que 17% des Blancs et 35% des Noirs se plaignent d’une intolérance au lait. L’étude du Comité national des Produits laitiers sur l’intolérance au 42 Intolérance au lactose (réelle ou perçue) 5–40% des personnes digérant mal le lactose Apports calciques faibles (–200 á –300 mg/j) Augmentation de la fréquence des fractures Faible densité minérale osseuse Fig. 1. Conséquences d’une réduction de la consommation de lait et de produits laitiers. lactose des Afro-Américains (National Dairy Council African American Lactose Intolerance Study) [26] a rapporté que 24% des répondants se considèrent intolérants au lactose, 49% se plaignent d’inconfort physique après la consommation de produits laitiers, parmi lesquels 27% déclarent éprouver cet inconfort tout le temps. Les données suggèrent fortement que tous ceux qui digèrent mal ont un risque similaire d’intolérance [27]. Si l’estimation prudente de 24% de l’ensemble de la population afro-américaine est extrapolée à la population générale des États-Unis (35% des personnes digérant mal le lactose sont considérés comme intolérantes puisque seulement 75% des Afro-Américains estiment qu’ils le digèrent mal), au moins 25 millions d’entre eux (soit un tiers des 75 millions) évitent de consommer des produits laitiers en raison de l’intolérance au lactose. Si le chiffre de 17% avancé par Elbon et al. [25] est utilisé, 50 millions d’Américains évitent de consommer des produits laitiers. Comme l’industrie laitière continue à se développer dans le monde entier et que les produits laitiers sont la principale source alimentaire de calcium, parmi les personnes digérant mal le lactose, la proportion de ceux ressentant les symptômes d’une intolérance au lactose va continuer à croître. L’information et la mise au point de nouveaux produits pourraient apporter une solution à ce problème. 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