le pouvoir pathogène des bactéries
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le pouvoir pathogène des bactéries
Chapitre n°8 : le pouvoir pathogène des bactéries De nombreuses espèces microbiennes vivent sur la peau et sur les muqueuses (bouche, fosses nasales, appareil digestif, vagin…) sans exercer pour autant un effet de nuisance chez l'hôte : ces espèces font partie des flores commensales. Les conditions du milieu (température, pH, disponibilité en oxygène…) influencent considérablement la répartition des micro-organismes commensaux. Dans l'appareil digestif par exemple, le nombre et la proportion de bactéries anaérobies strictes augmentent entre l'estomac et le colon. Une flore résidente est constituée de micro-organisme implantés de façon permanente (sur la peau, dans la sphère intestinale…). Elle joue un rôle important dans la résistance à la colonisation par d’autres micro-organismes potentiellement plus pathogènes. Une flore transitoire comprend des micro-organismes contaminants habituellement absents d’une flore normale donnée. Sur la peau par exemple, peuvent-être retrouvés des microorganismes provenant du tube digestif, de personnes colonisées ou infectées (porteurs), de l’environnement ou d’un matériel contaminé. Ils font un séjour bref sur la peau car ces micro-organisme ne peuvent pas s’y multiplier et de ne peuvent pas survivre très longtemps à cause de l’effet protecteur de la flore résidente et d’un environnement peu favorable (froid, sécheresse...). D’une façon générale, les antiseptiques ont une action limitée sur la flore résidente, mais rapide et efficace sur la flore transitoire. Un porteur asymptomatique est une personne hébergeant des micro-organismes pathogènes (bactéries, virus, etc.) mais ne présentant aucun signe de maladie et étant en bonne santé. Toutefois, ces personnes peuvent transmettre le micro-organisme à d'autres personnes. Il est plus exact de les appeler porteurs asymptomatiques (c'est-à-dire personnes ne présentant pas de symptômes) que porteurs « sains ». La présence de micro-organismes commensaux sur la peau et dans les cavités naturelles est donc tout à fait « normale », c'est à dire qu'ils n'entraînent généralement pas de troubles chez l'hôte humain. Par contre, d'autres micro-organismes peuvent être à l'origine de maladies apparaissant chez l'hôte : ils sont donc dits pathogènes. Cependant, la limite entre micro-organismes pathogènes et commensaux n'est pas précise : une même bactérie peut être à la fois commensale et pathogène. La localisation du microorganisme ainsi que l'état de santé de l'hôte (le « terrain ») influencent cet « équilibre instable ». On distingue habituellement deux catégories de bactéries pathogènes : - les bactéries pathogènes spécifiques provoquent des troubles quel que soit l’état de santé du patient (à l’exception des porteurs asymptomatiques). Exemples : Salmonella Typhi, Vibrio cholerae, Mycobacterium tuberculosis. - les bactéries pathogènes opportunistes provoquent des troubles lorsque les défenses immunitaires de l'hôte sont affaiblies (on parle aussi de sujets immunodéprimés). Exemples : Pseudomonas aeruginosa, nombreuses Enterobactéries, Enterococcus… 1. Pouvoir pathogène et estimation de la virulence Le pouvoir pathogène est la capacité d'un micro-organisme ou d'un virus (l'agent pathogène) de causer une maladie dont les symptômes sont d'intensité variable. La virulence d'un micro-organisme traduit la gravité des troubles engendrés chez l'hôte, autrement dit le degré du pouvoir pathogène. La virulence peut être estimée en mesurant la DL50 ou dose létale à 50% (figure 1). La DL50 est la quantité d'une substance qui, administrée d'un seul coup, entraîne la mort de la moitié (50%) des animaux soumis au test. Cette évaluation de la toxicité peut être appliquée aux agents infectieux : la DL50 correspond dans ce cas au nombre d’agents pathogènes supposés tuer 50 % des animaux d’un groupe expérimental. Plusieurs lots homogènes d’animaux (souris, rats, lapins…) subissent des administrations de la substance ou de l’agent infectieux à tester. Chaque animal d’un même lot reçoit une dose identique et unique, mais la dose augmente progressivement d’un lot au suivant. Le taux de mortalité peut donc varier entre 0 et 100 % : la DL50 est la dose pour laquelle ce taux de mortalité est égal à 50%, la dose minimale mortelle (DMM) est la dose la plus faible capable de tuer tous les animaux d’un lot (= DL100). La dose infectieuse à 50 % (DI50) peut également être déterminée : il s’agit du nombre d’agents pathogènes nécessaires pour infecter 50 % des individus testés. Figure 1 Dans cette expérience : - les souris A ont reçu une seule injection de bactéries pathogènes ; - les souris B ont survécu à une première injection de 103 bactéries pathogènes, et elles ont reçu une seconde injection de bactéries (de souche identique à la première injection). Le pouvoir pathogène des bactéries est conditionné par plusieurs facteurs : • la capacité des bactéries à se multiplier dans l'hôte : le pouvoir invasif, • la capacité des bactéries à libérer des toxines : le pouvoir toxique, • les résistances opposées par l'organisme hôte : le « terrain ». 2. Le pouvoir invasif Une bactérie invasive est capable de se multiplier dans les tissus de l'hôte : elle engendre donc une infection. Dans un premier temps, elle doit donc pénétrer dans l'organisme, c'est à dire franchir les barrières mécaniques de l'hôte : peau et muqueuses par exemple. En ce qui concerne la peau, peu de bactéries sont capables de la franchir lorsqu'elle est saine. Par contre, une lésion de la peau (coupure, brûlure…) constitue une « porte d'entrée » pour les micro-organismes. Les muqueuses sont plus fragiles et certaines bactéries sont capables de la détruire localement, afin de pénétrer dans les tissus de l'hôte. Les bactéries invasives possèdent généralement des structures d'adhésion aux muqueuses. Ces adhésines (ou facteurs d’adhésion) sont des molécules reconnues spécifiquement par des récepteurs des cellules de l’hôte : • polyosides de la capsule ou du glycocalyx, • pili (fimbriae) des bactéries Gram négatives, • hémagglutinines, • protéines de surface (couche « S »), • acides teichoïques et lipoteichoïques des bactéries Gram positives. L'adhérence d'une bactérie sur une cellule de l'hôte précède souvent sa multiplication. Lorsqu'une bactérie se multiplie localement, elle colonise le site et forme un foyer infectieux. Les bactéries invasives produisent également des substances capables d'endommager les tissus (facteurs de virulence ou de dissémination) sur lesquels elles sont fixées : • hémolysines (provoquent une anémie et libèrent du fer pour la croissance bactérienne) → Streptocoques, Staphylococcus aureus, Clostridium perfringens… • collagènase (détruit le tissu conjonctif et favorise la dissémination des germes) → Clostridium • hyaluronidase (hydrolyse l’acide hyaluronique entre les cellules et favorise par conséquent le passage des bactéries dans les espaces intercellulaires) → Streptocoques, Staphylococcus aureus, Clostridium… • Lécithinase (détruit la phosphatidylcholine de la membrane cellulaire) → Staphylococcus aureus, Clostridium… • Dnases, leucocidines… Pour se procurer les ions Fe3+ indispensables à leur croissance, les bactéries virulentes sécrètent des sidérophores, petites molécules très affines pour ces ions t entrant en compétition avec la transferrine et la lactoferrine. Le rôle de ces sidérophores dans la virulence bactérienne a été clairement établi chez certaines espèces bactériennes (E. coli, Klebsiella pneumoniae, Salmonella). Certaines bactéries possèdent également des dispositifs leur permettant de résister au système immunitaire de l'hôte, en particulier la phagocytose : • présence d’une capsule empêchant l’opsonisation (Pneumocoque, Méningocoque…) ; • protéines M des streptocoques ; • caillot engendré par la coagulase de Staphylococcus aureus ; • protéine A de S. aureus fixant les immunoglobulines par leur fragment Fc ; • destruction des Ig A par des protéases extracellulaires (gonocoque, méningocoque, Haemophilus influenzae) • destruction des phagocytes par les leucocidines (Pseudomonas, Streptocoques…) ; • inhibition de la fusion phagosome-lysosome (Mycobacterium tuberculosis) ; • résistance aux enzymes lysosomiales (Salmonella Typhimurium) ; • résistance au « burst » oxydatif (Salmonella, Legionella pneumophila, Listeria monocytogenes). L'infection engendre les premiers signes cliniques non spécifiques (fièvre, douleurs…). Le conflit hôte/bactéries peut avoir des manifestations locales ou plus étendues. 3. La toxinogenèse (ou « pouvoir toxique ») Les bactéries toxinogènes produisent des toxines, c'est à dire des substances toxiques capables de nuire à l'hôte, même en l'absence du micro-organisme producteur. On distingue deux types de toxines : • les exotoxines sont des protéines produites lors de la croissance bactérienne, totalement ou partiellement libérées pendant la croissance du micro-organisme, • les endotoxines sont des molécules complexes, faisant partie de la paroi bactérienne, et libérées uniquement lors de la destruction du micro-organisme. Type Localisation Nature chimique Exemples Endotoxine Paroi bactérienne Lipopolysaccharidique Salmonella Exotoxine cytoplasmique Cytoplasme Protéine Exotoxine mixte Exotoxine vraie Cytoplasme et libération pendant la croissance Libération pendant la croissance Tableau 1 : classification des toxines Protéine Protéine Yersinia pestis Shigella dysenteriae Clostridium botulinum Clostridium tetani Vibrio cholerae Corynebacterium diphteriae 3.1. Les endotoxines Les endotoxines correspondent aux lipopolysaccharides (LPS) de la membrane externe des bactéries à Gram négatif. Des trois constituants de la molécule (lipide A, polysaccharide central ou « core », chaîne latérale ou antigène O), seul le lipide A est le support de la toxicité. A faible concentration, l’endotoxine entraîne l’apparition de réactions d’alarme (fièvre, activation du complément et des macrophages, stimulation des lymphocytes B). A forte concentration (sepsis), elle entraîne un choc endotoxinique. Faible concentration Forte concentration Effet pyrogène Hypotension Vasodilatation Coagulation intravasculaire Production d’anticorps disséminée Inflammation Tableau 2 : effets des endotoxines Figure 2 La figure 2 illustre les effets physiologiques des endotoxines des bactéries Gram négatives sur un hôte mammifère : 1) initiation de la cascade de la coagulation sanguine conduisant à la formation de caillots ; 2) activation du système du complément entraînant une réaction inflammatoire ; 3) activation de la fibrinolyse ; 4) libération de bradykinines provoquant une hypotension. 3.2. Les exotoxines (tableau 3) Les exotoxines sont des protéines dont l’action peut être locale (au niveau où elles sont synthétisées) ou à distance (loin du site de production). Les toxines protéiques possèdent un pouvoir toxique très élevé : les toxines tétanique et botulique présentent une dose minimale mortelle (DMM) chez la souris de l'ordre de 10-11 gramme (soit 0,00000000001 g) ! Ce sont des substances beaucoup plus « actives » que les poisons chimiques les plus toxiques. Les toxines protéiques agissent de manière spécifique, et engendrent donc des symptômes particuliers. Une toxine se fixant sur la membrane des cellules intestinales pourra donc être appelée « entérotoxine » (toxine cholérique). Une toxine agissant sur les cellules nerveuses est une neurotoxine (toxine botulique). Type d’exotoxine Mécanisme d’action Exemples Toxine α de Staphylococcus aureus (formation de pores de 2 à Pores Destruction de la membrane plasmique par perméabilisation 3 nm de diamètre entraînant la perte de métabolites) ; Streptolysine O, Listeriolysine (liaison au cholestérol membranaire et formation de pores de diamètre variable, jusqu’à 30 nm !). Toxines AB : la sous-unité A est Blocage de la synthèse protéique responsable de la toxicité intracellulaire (« active »), la sousunité B est impliquée dans la liaison aux récepteurs cellulaires (« binding »). Toxines ayant une activité adénylate cyclase calmoduline dépendante Augmentation du taux intracellulaire d’AMP cyclique Toxine diphtérique (Corynebacterium diphteriae), exotoxine A de Pseudomonas aeruginosa : le facteur d’élongation 2 (EF2) est ADP-ribosylé, inhibant ainsi le déplacement du ribosome sur l’ARN messager. La toxine de Shigella dysenteriae (toxine « shiga ») semble agir au niveau du ribosome. Une des toxines charbonneuses (Bacillus anthracis) et une des toxines de Bordetella pertussis. Les effets varient en fonction des cellules cibles. Toxine cholérique, entérotoxines de Campylobacter jejuni et Toxines AB agissant par ADPribosylation de la protéine G, régulant l’activité de l’adénylate cyclase. d’Escherichia coli (LT) : l’élévation de la concentration intracellulaire d’AMPc entraîne une fuite d’eau et d’ions au niveau de l’épithélium intestinal ( diarrhée). Une autre toxine de B. pertussis agit de la même manière, mais sur les leucocytes (inhibition de la phagocytose...) Toxine tétanique : empêche la libération de Toxines AB également, se liant aux Neurotoxines récepteurs gangliosidiques, et agissant au niveau des synapses. neurotransmetteurs inhibiteurs, provoquant ainsi une paralysie musculaire rigide. Toxine botulique : bloque la libération d’acétylcholine au niveau de la jonction neuro-musculaire, entraînant une paralysie flasque, pouvant conduire à un arrêt respiratoire. Tableau 3 : principaux modes d’action des exotoxines Les exotoxines sont fortement immunogènes. Pour certaines d’entre-elles, l’immunisation active (vaccination) peut être obtenue par injection d’anatoxines, molécules ayant perdu leur pouvoir toxique mais conservé leur immunogénicité. Dans le vaccin « DTPolio » par exemple, des anatoxines diphtériques et tétaniques permettent la prévention efficace de la diphtérie et du tétanos. Chez les sujets non vaccinés, la maladie peut être combattue par administration d’antitoxines (immunisation passive). Les exotoxines bactériennes sont des protéines directement issues de l’expression des gènes qui les codent. Mais la localisation de ces gènes est variable : elle peut être plasmidique (entérotoxines LT d’E. coli, toxines charbonneuses, toxine tétanique), chromosomique (exotoxine A de P. aeruginosa, toxines de B. pertussis, toxines cholérique et « shiga ») voire même phagique (toxines botulique et diphtérique). 4. Le rôle du terrain Les mécanismes de défense non spécifique sont représentés par : - les barrières physico-chimiques : la plus importante est la peau qui empêche l’entrée de la majeure partie micro-organismes tandis que les muqueuses recouvrant les voies digestives et respiratoires sont recouvertes d’un film protecteur, le mucus, qui est évacué avec les corps étrangers ; - les cellules phagocytaires (polynucléaires neutrophiles et monocytes/macrophages) ; - le système du complément ; - la réaction inflammatoire. Les défenses de l'hôte peuvent être affaiblies pour diverses raisons : diabète, cirrhose, grandes brûlures, greffe nécessitant un traitement immunodépresseur, infection par le VIH… Dans ce cas, l'organisme est beaucoup plus sensible aux agents pathogènes, voire même à des micro-organismes habituellement non virulents. Ces micro-organismes sont dits opportunistes car ils « profitent » de l'affaiblissement de l'hôte (on parle de « terrain débilité » pour qualifier l’état de santé de l’hôte). Les causes des déficits des mécanismes de défense se partagent en deux groupes : • les facteurs affectant les mécanismes de défense non spécifiques : primaires : déficience du complément, déficience de l'activité macrophagique ; secondaires: • traumatisme, chirurgie, cathéter, implant, brûlure... les facteurs affectant les mécanismes de défense spécifiques : primaires : déficience des lymphocytes T, déficience des lymphocytes B ; secondaires : malnutrition, irradiation, chimiothérapie, splénectomie, autre infection, traitements immunosuppresseurs... De nombreuses personnes hospitalisées sont victimes de telles infections, qualifiées de nosocomiales (« contractées à l'hôpital »).