anciens élèves - Externat Saint Joseph Ollioules

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anciens élèves - Externat Saint Joseph Ollioules
Chronique d'anciens élèves des années 60 et 70 :
De la place de la Liberté à La Cordeille
Par Pierre MAZZONI et Christian RAMAGE
Nous sommes tous deux anciens élèves de l’Externat Saint Joseph et nous y avons suivi toute
notre scolarité, de 1960 à 1974, du "jardin d’enfants" au baccalauréat. Pour les petites
personnes que nous étions, débuter sa scolarité à l’ESJ n’était pas une mince chose : comme
on disait alors à Toulon, on "entrait chez les Maristes", gage de qualité, de discipline et de
sérieux. On savait aussi qu’à défaut de travail, on risquait fort d’être "mis à La Seyne", c’est à
dire en pension complète chez des Maristes réputés autrement sévères, destinés aux fortes
têtes, ce que nous n’étions certes pas, mais la menace a dû être très en usage, pendant de
longues décennies, dans les familles toulonnaises. A l’époque, l’ESJ était situé à deux pas de
chez nous. Nous habitions en effet tous les deux dans la même rue et dans le même immeuble,
au cœur de la "basse ville", plus connue alors sous son surnom de "Petit Chicago", quartier
pittoresque, typique d’un port militaire et aujourd’hui disparu. L’Externat et la place de la
Liberté n’étaient qu’à quelques minutes de marche, avec halte pratique au kiosque à bonbons
sur la place (il est toujours là !), en face des "Dames de France".
L’école primaire, en ce début des années 60, ce sont trois bâtiments gris encadrant une cour
goudronnée, de mémoire sans arbres. La cantine se trouve en sous-sol, salle au plafond bas et
plongée dans la pénombre. Seul élément de lumière, la terrasse, où nous jouions souvent au
"ballon prisonnier". En 1963, en dixième, nos familles reçoivent une brochure distribuée par
l’Externat et présentant l’avenir, c’est-à-dire la future école. Je me souviens (Christian) d’une
photo de maquette d’architecte montrant un bois parsemé de petits bâtiments blancs, comme
les maisons de mon train électrique. Tout cela semblait lointain et irréel à l’âge où l’horizon
ne dépasse pas la prochaine partie de billes ou la récitation à apprendre pour le lendemain.
Pourtant, au printemps 1965, le déménagement a bien eu lieu et il nous laissé le souvenir d’un
véritable éblouissement. Nous découvrons en effet une école très différente de l’ancienne,
endroit magique, baigné de soleil, en pleine nature, au milieu d’oliviers, de pins, de cyprès et
de fleurs. Ah, la pinède ! A la fois terrain de jeux, terrain de sports (les fameux cross), lieu de
détente et cour de récréation quand le Père Berne, "Préfet du Primaire", organise les "jeux de
collerette" puis rameute son monde à la fin des récréations, au son de sa corne. Le réfectoire,
lumineux, est situé au sommet d’une colline, avec une vue magnifique sur la région et la
Méditerranée. Nous verrons, au fil des ans, s’édifier le "théâtre de verdure", le gymnase et le
lycée professionnel. Avec le recul (Christian), j’ai l’impression d’avoir étudié sur un campus
d’université américaine. Le transfert, c’est aussi l’apprentissage d’un nouveau nom, "La
Cordeille", qui fleure bon le Midi et rime avec Mireille et soleil. Pour rejoindre ce "paradis
pour les études" (et nous pesons nos mots), nous prenons les bus de la R.M.T.T. réservés au
transport des élèves de l’ESJ.
Bien qu’elles soient plus estompées dans nos mémoires, les figures des enseignantes du
Primaire ne sont pas les moins attachantes. Des institutrices à l’ancienne pour qui la
responsabilité d’une classe relevait du sacerdoce et qui savaient conjuguer pédagogie, douceur
et réconfort pour les enfants tristes, mais aussi rigueur et parfois sévérité pour les plus
turbulents (qui n’a pas écopé de quelques centaines de lignes ?). Elles nous ont appris
beaucoup, et nous devons tant de choses à ces "maîtresses" : Melle Moureau, imprégnée par
son passé de chef scout, la discrète Melle Ourtiès, Mme Sergigobert, Melle Maillot, Melle
Barret, Melle Duchêne, "affectueuse grand-mère" ! Nous les retrouvons dans ce jeu auquel
nous nous sommes livrés, Christian et moi, de décryptage des photos de classe où nous
figurons, sagement peignés et en culottes courtes, à la recherche des noms de nos anciens
condisciples.
1967-1968 : Nous entrons dans le secondaire. Les "évènements de mai" ont peu d’effets à
l’externat, qui ne fermera que quelques jours. Nous découvrons en sixième un nouveau
rythme de travail et une nouvelle espèce d’enseignants : les professeurs. Beaucoup nous
marqueront, comme Henri Guerrero, professeur de français rigoureux et exigeant ou Madame
Perrot, flamboyante et parfaite professeur d’espagnol, qui ne nous a jamais dit que quelques
phrases en français, au début de notre tout premier cours et justement pour nous expliquer
qu’elle ne nous parlerait désormais plus qu’en espagnol. Tous les jours, après une courte
récréation, c’est "l’étude du soir" : de 17h00 à 18h30, nous sommes en étude surveillée et
nous devons rédiger un devoir, à rendre à la fin de l’étude : mathématiques un jour, français le
lendemain, puis langue, etc. Exercice quotidien, difficile et prenant mais, avec le recul,
bénéfique. Une fois par mois, de manière très solennelle, le Père de Fournoux, "Préfet des
études" vient dans la grande salle qui réunit chaque niveau (sixième ou cinquième etc.) afin de
distribuer les "carnets de note". Chaque matière est notée sur 5 en fonction des résultats du
mois et se trouve pondérée par un coefficient. Après addition de toutes les notes, le total
maximum est le mythique "125". Rares sont ceux qui l’atteignent mais, pour l’heureux élu,
dont la note est lue à voix haute, c’est un petit moment de gloire, vite tempéré par les
commentaires des copains (et des copains seulement car, à l’époque, l’Externat n’est pas
mixte, du moins dans le secondaire).
L’entrée en seconde nous sépara. Christian opta pour les sections scientifiques et Pierre pour
l’économie, mais cette année équivaut pour chacun de nous à l’irruption à La Cordeille d’une
nouvelle génération de professeurs : laïques, jeunes diplômés, partageant pour la plupart une
même passion pour le magistère qui allait être le leur. Qu’on se souvienne des deux historiens
de la bande : Jean Martinon et sa fougue enseignante, Marc-André Pey aux cours si
minutieusement préparés et délivrés avec conviction. Lui avouerais-je (Pierre) au travers de
ces lignes avoir été à l’origine de quelques désordres, qui nous semblaient alors (comme les
temps changent…) de la dernière audace, comme ce déménagement de l’estrade et
l’escamotage de son bureau, qui le firent un jour entrer dans une salle de classe privée de tous
les attributs dévolus à l’enseignant. Quant aux classes scientifiques, elles sont alors le
"domaine des Calcagno" ! Cette jeune génération trouvait pleinement sa place aux côtés de
personnalités plus chevronnées comme Madame Lenoble qui nous chaperonna durant nos
premiers séjours en Angleterre. Comment ne pas citer aussi quelques belles figures de prêtres
qui accompagnèrent ces années de scolarité. Après le Père de Fournoux, déjà évoqué, élégant
clergyman de grande compétence qui assumait la lourde tâche de "Préfet des études" du
Premier cycle, vint le tour du redouté Père Peuchot, "Préfet des études" du Second cycle
(lycée) plus doux qu’il n’y paraissait mais pourtant capable de colères froides qui le faisaient
blêmir. Les frères Guerre nous firent découvrir la musique et, au rang des enseignants,
comment ne pas se souvenir du Père Béranger, professeur de français des sections littéraires ?
Petit et chétif, pétillant de culture, il avait une ferveur particulière dans laquelle beaucoup ont
puisé la maîtrise du style et le goût de la littérature. Je songe en cet instant (Pierre), avec une
reconnaissance filiale, à cet éveilleur d’esprit.
En 1974, après le baccalauréat, nous devenons majeurs (les premiers "majeurs à 18 ans" !)
et nous empruntons des voies différentes. Après 15 ans à vivre dans la même rue du vieux
Toulon et à étudier dans la même école, nos destins divergent pendant une décennie… pour se
croiser de nouveau : depuis une vingtaine d’années, nous appartenons tous deux au ministère
des Affaires étrangères et travaillons un peu partout dans le monde.
Dans les années 70, m’était tombé entre les mains un fascicule publié pour célébrer le 100ème
anniversaire de l’ESJ (Pierre). Malgré un mauvais papier jauni et des photos bien floues,
j’avais découvert avec émotion une histoire que je ne connaissais pas, découvert aussi les
visages jeunes de certains de mes professeurs, et nourri le sentiment encore diffus
d’appartenir à une communauté qui avait su rayonner bien au-delà des limites de notre petite
ville. Nous voilà aujourd’hui en train d’apporter notre contribution au "Livre des 150 ans".
Les garnements au fond si sages que nous étions retrouvent le parfum d’une enfance et d’une
adolescence si étroitement liées à ce Collège. Ils retrouvent aussi le sentiment d’appartenir à
ce que l’on appelait, il n’y a pas si longtemps, la "Famille Mariste", et font acte de mémoire et
de reconnaissance envers des professeurs, dont beaucoup ont maintenant disparu, et qui ont
forgé la matrice de ce que nous sommes devenus.
Que nos Maîtres soient honorés ici avec le respect et la tendresse de ceux qui se souviennent,
et que nos successeurs à La Cordeille partagent avec la même fierté que nous ce sentiment
d’appartenance et de solidarité. Quant au plus lointain lecteur qui découvrira, qui sait, ces
lignes pour préparer le livre du 200ème anniversaire, qu’il se dise que, décidément, nous, "les
Maristes", nous sommes Légion.
Les oliviers de La Cordeille – Photographie B. TAFANI