PLANIFICATION SUCCESSORALE

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PLANIFICATION SUCCESSORALE
PLANIFICATION SUCCESSORALE
Quels conseils dans le cadre de la gestion patrimoniale privée ? Mariage et
cohabitation – Fondations privées
Lorette ROUSSEAU
Notaire
Maître de conférences invité à l'U.C.L.
PREMIERE PARTIE – MARIAGE ET COHABITATION
Chapitre I. Le mariage
Section 1.- Le droit des régimes matrimoniaux
Est-il possible de planifier sa succession en choisissant ou en modifiant son
régime matrimonial ? Existe-t-il des clauses sécurisantes ?
1° Quel régime matrimonial choisir ?
a) Régime primaire et régime secondaire
Les époux mariés sont soumis à deux groupes de règles qui composent leur régime
matrimonial : d’une part, les règles qui forment le régime primaire (c. civ. 212 à 224)
et d’autre part, celles qui forment leur régime secondaire.
Les règles du régime primaire sont communes à tous les régimes matrimoniaux
(régimes de communauté et de séparation). Elles sont impératives puisqu’elles
s’imposent à tous les époux. Elles concernent les droits et devoirs respectifs des
époux, parmi lesquels ont peut relever principalement :
- le devoir d’habiter ensemble ;
- les devoirs de fidélité, secours et assistance ;
- la protection du logement familial et des meubles le garnissant ;
- le droit d’exercer une profession ;
- le droit de percevoir seul ses revenus ;
- la contribution aux charges du mariage ;
- le droit de faire ouvrir des comptes bancaires ;
1
- la solidarité des dettes contractées pour les besoins du ménage ou l’éducation des
enfants ;
- les pouvoirs du juge de paix de prendre des mesures urgentes et provisoires
lorsqu’un époux manque gravement à ses devoirs.
Le régime secondaire est le régime matrimonial proprement dit, c’est à dire les règles
relatives à la propriété et à la gestion des biens des époux. Il peut être soit le régime
légal, soit un régime conventionnel.
b) Régime légal et régime conventionnel
Le régime légal est celui qui s’applique aux époux mariés sans contrat de mariage (c.
civ. 1390).
Ce régime est celui de la communauté, fondé sur l’existence de trois patrimoines (c.
civ. 1398) : le patrimoine commun et les patrimoines propres de chacun des époux.
Le patrimoine commun se compose notamment :
- des revenus des époux (revenus des activités professionnelles, revenus des biens
propres) ;
- des biens donnés ou légués aux deux époux conjointement ou avec stipulation que
ces biens seront communs ;
- de tous les biens dont il n’est pas prouvé qu’ils sont propres à l’un des époux
(présomption de communauté) ;
- des dettes contractées par les deux époux ;
- des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins du ménage et l’éducation des
enfants ;
- des dettes contractées dans l’intérêt du patrimoine commun ;
- des dettes grevant les libéralités faites aux deux époux conjointement ou à l’un
d’eux avec stipulation de communauté ;
- de la charge des intérêts qui sont l’accessoire de dettes propres à l’un des époux ;
- des dettes alimentaires au profit des descendants d’un seul des époux ;
- des dettes dont il n’est pas prouvé qu’elles sont propres à l’un des époux
(présomption de communauté).
Le patrimoine propre de chaque époux se compose principalement :
- des biens appartenant à chacun des époux au jour du mariage et de ceux que chacun
acquiert au cours du régime par donation, succession ou testament ;
- des accessoires de biens propres ;
- de la part acquise par un des conjoints dans un bien dont il est déjà copropriétaire ;
- des biens acquis en emploi ou remploi de fonds propres ;
2
- des outils et instruments servant à l’exercice de la profession ;
- des droits résultant d’une assurance de personne ;
- des vêtements et objets à usage personnel ;
- des droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle ;
- des droits résultant de la qualité d’associé liés à des parts ou actions sociales
communes dans une société où toutes les parts ou actions sont nominatives, inscrites
au nom d’un seul des époux (ex. : le droit de vote ; par contre, la valeur des parts est
commune) ;
- des dettes antérieures au mariage, de celles qui grèvent les successions et libéralités
qui échoient aux époux pendant le mariage ;
- des dettes contractés par un époux dans l’intérêt exclusif de son patrimoine propre ;
- des dettes résultant d’une sûreté personnelle ou réelle donnée par un des époux
dans un intérêt autre que celui du patrimoine commun ;
- des dettes provenant d’actes que l’un des époux ne pouvait accomplir sans le
concours de son conjoint ou une autorisation en justice ;
- des dettes résultant d’une condamnation pénale ou d’un délit ou quasi-délit commis
par l’un des époux.
La loi prévoit impérativement le mode de gestion de ces biens (c. civ. 1415 à 1426),
ainsi que les droits des créanciers (c. civ. 1409 à 1414) :
- le patrimoine commun est géré par l’un ou l’autre des époux (gestion concurrente),
sauf les exceptions ci-après :
. l’époux qui exerce une activité professionnelle accomplit seul tous les actes de
gestion nécessaires à celle-ci (gestion exclusive) ;
. lorsque les deux époux exercent ensemble une même activité professionnelle, le
concours des deux époux est requis pour les actes autres que d’administration
(gestion conjointe) ;
. le consentement des deux époux est requis pour les actes visés à l’article 1418
du Code civil (gestion conjointe), soit pour :
.. acquérir, aliéner ou grever de droits réels les biens susceptibles
d’hypothèque, les fonds de commerce ou exploitations de toute nature) ;
.. conclure, renouveler ou résilier des baux de plus de neuf ans, consentir
des baux commerciaux ou à ferme ;
.. accepter ou refuser un legs ou une donation lorsqu’il est stipulé que les
biens légués ou donnés seront communs ;
.. contracter un emprunt, sauf pour les besoins du ménage et l’éducation
des enfants.
3
- chaque époux a la gestion exclusive de son patrimoine propre ;
- le paiement des dettes communes peut être poursuivi tant sur le patrimoine
commun que sur le patrimoine propre de chacun des époux ;
- le paiement d’une dette propre à l’un des époux ne peut être poursuivi que sur son
patrimoine propre et ses revenus (sauf les exceptions des articles 1410, 1411 et 1412
du Code civil, pour lesquelles le paiement de la dette propre peut être poursuivi sur
le patrimoine commun dans la mesure où il s’est enrichi).
La loi règle également les modes de dissolution du régime légal (le décès, le divorce
et la séparation de corps, la séparation de biens judiciaire et l’adoption d’un autre
régime matrimonial), ainsi que la liquidation et le partage de ce régime (c. civ. 1427
à 1450).
Les notions de liquidation et de partage ne doivent pas être confondues 1 : la
première consiste à chiffrer les droits des époux dans les avoirs communs, et la
seconde à attribuer à chacun des époux des biens communs pour le remplir des droits
établis par la liquidation.
La liquidation implique dès lors :
- la formation de la masse partageable, c’est à dire la reconstitution du patrimoine
commun et des patrimoines propres de chacun des époux au jour de la dissolution ;
- la détermination du passif et sa répartition entre les trois patrimoines ;
- l’établissement des comptes de récompenses, c’est à dire le décompte des transferts
de valeurs entre le patrimoine commun et les patrimoines propres ;
- éventuellement, l’établissement de comptes d’administration entre le jour de la
dissolution du régime et celui de l’établissement des décomptes.
S’il reste un actif, il se partage par moitié (c. civ. 1445), sauf exercice de
l’attribution préférentielle (c. civ. 1446 et 1447) :
- lorsque le régime prend fin par le décès d’un des époux, le conjoint survivant peut
se faire attribuer par préférence, moyennant soulte s’il y a lieu, un des immeubles
servant au logement de la famille avec les meubles meublants qui le garnissent, ainsi
1
L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, 3è éd., Academia,
Bruylant, 1988, p . 201
4
que l’immeuble servant à l’exercice de sa profession avec les meubles à usage
professionnel qui le garnissent ;
- lorsque le régime prend fin par le divorce, la séparation de corps ou la séparation
de biens, chaque époux peut demander au tribunal de lui attribuer les mêmes biens.
Le tribunal statue en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause et des
droits de récompense ou de créance au profit de l’autre époux.
Le régime conventionnel est celui que les époux adoptent par contrat de mariage, soit
pour apporter certains changements au régime légal (communauté conventionnelle),
soit pour adopter un autre régime.
Ils disposent à cet égard d’une autonomie de volonté, autonomie cependant limitée
par certaines règles :
- l’article 1387 du Code civil interdit aux époux d’adopter un régime ou une clause
d’un régime contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (ex. : clause interdisant
le droit de se remarier ou le droit de divorcer) ;
- l’article 1388 interdit de déroger aux règles qui fixent les droits et devoirs
respectifs des époux (le régime primaire – voir supra) et celles relatives à l’autorité
parentale et à la tutelle ou déterminant l’ordre légal des successions ;
- l’article 1389 interdit d’établir des conventions matrimoniales par simple référence
à une législation abrogée ou, si l’un des époux est belge, à une législation étrangère.
La communauté conventionnelle est celle par laquelle les futurs époux modifient
certaines règles du régime légal, tout en respectant les caractéristiques essentielles de
ce régime :
- existence de trois patrimoines ;
- corrélation entre l’actif et le passif ;
- la gestion des biens propres et communs ;
- les règles relatives à la preuve des biens propres.
On distingue :
- les clauses relatives à la composition des patrimoines : soit l’exclusion de certains
biens du patrimoine commun, soit l’extension du patrimoine commun, voire
l’adoption d’une communauté universelle, soit l’apport d’un bien propre au
patrimoine commun (ex. : l’immeuble dont un des époux est seul propriétaire avant
son mariage) ;
5
- le préciput, à savoir, le droit pour le conjoint survivant de prélever sur le
patrimoine commun, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens
en nature (voir infra).
- les clauses de partage : clauses de partage inégal, attribution de tout ou partie de la
communauté à l’un des époux (voir infra) ;
La séparation de biens se caractérise par une triple séparation : séparation des avoirs,
séparation des dettes (les dettes n’engagent que celui qui les a contractées) et
séparation des gestions (chaque époux gère seul ses biens) 2.
Chaque époux conserve la propriété des biens qui lui appartenaient avant le mariage
et de ceux qu’il acquiert ensuite à quelque titre que ce soit. Il en résulte que ce
régime est défavorable à l’époux dénué de ressources. Pour pallier cet inconvénient,
les praticiens ont imaginé deux types de clauses permettant à ce conjoint dénué de
ressources de « participer » aux gains de son conjoint :
- la séparation de biens avec société, soit limitée à un bien (le plus souvent, le
logement familial), soit étendue aux acquêts effectués pendant le mariage ;
- la séparation de biens avec participation aux acquêts, qui a pour caractéristique de
fonctionner comme un régime de séparation de biens jusqu’à la dissolution et
d’égaliser à ce moment les acquêts de chacun des époux. La détermination de ces
acquêts correspond à la différence entre l’actif final de chacun des époux (c’est à
dire les biens qu’il possède au moment de la dissolution) et l’actif initial (qui se
compose de la manière prévue par le contrat de mariage, le plus souvent les biens qui
appartenaient à l’époux au jour du mariage et ceux qu’il a acquis par succession ou
donation pendant le mariage).
En rapprochant le montant de l’actif final de l’actif initial de chacun des époux, trois
hypothèses peuvent se présenter :
- un déficit lorsque l’actif final est inférieur à l’actif initial ; ce déficit n’incombe pas
au conjoint de l’époux concerné ;
- une équivalence, lorsque les deux actifs sont équivalents ;
- un acquêt , c’est à dire un accroissement, lorsque l’actif final est supérieur à l’actif
initial.
2
L. RAUCENT, op. cit., p. 305
6
Une fois les comptes de chacun des époux établis, on opère une comparaison entre
eux. Plusieurs résultats peuvent se présenter :
- les deux comptes sont en déficit : dans ce cas, chaque époux supporte seul son
passif, il n’y a pas d’égalisation ;
- un des comptes est positif et l’autre en déficit ou en équilibre : l’époux titulaire de
ce compte est quitte de toute participation et créancier de son conjoint ;
- les deux comptes sont positifs : les époux sont réciproquement créancier et débiteur
l’un de l’autre. L’époux dont l’accroissement est le plus faible reste finalement seul
créancier de son conjoint.
La créance – appelée créance de participation – est égale :
- lorsque le compte d’un des époux est en déficit ou en équilibre et celui de l’autre
positif, à la moitié de l’actif net de ce compte positif ;
- lorsque les deux comptes sont positifs, l’époux dont l’accroissement a été le plus
faible est créancier de son conjoint d’un montant égal à la moitié de l’excédent.
2° Peut-on modifier son régime matrimonial ? Comment procéder à cette
modification ?
Avant la loi du 14 juillet 1976, le principe applicable était celui de l’immutabilité du
régime matrimonial. Les seuls changements possibles résultaient soit d’une
séparation de biens judiciaire, soit d’une séparation de corps.
L’article 1394 du Code civil, tel qu’il résulte de la loi du 14 juillet 1976, dispose
désormais que « les époux peuvent, au cours du mariage, apporter à leur régime
matrimonial toutes modifications qu’ils jugent à propos et même en changer
entièrement ». Cet article consacre donc le principe de l’autonomie contractuelle, à la
condition toutefois pour les époux de respecter la procédure et les formalités
imposées pour la modification de régime matrimonial.
L’article 1395 du Code civil prévoit trois types de procédure suivant la modification
projetée :
- la petite procédure ;
- la grande procédure ;
- la grande procédure allégée.
La grande procédure constitue la règle générale. Elle implique un inventaire, un
règlement des droits respectifs des époux, un acte modificatif et un acte de clôture.
L’acte modificatif doit en outre être homologué par le tribunal de première instance.
7
La publicité de cette procédure est assurée par la publication au Moniteur belge de la
requête en homologation de la modification et du jugement d’homologation.
La petite procédure présente un caractère exceptionnel : elle n’est permise que
lorsque la modification du régime matrimonial n’entraîne pas liquidation du régime
préexistant ou changement actuel dans la composition du patrimoine ou porte
seulement sur la rétractation, du commun accord des époux, des donations qu’ils se
sont faites ou que l’un d’eux a faites dans le contrat de mariage (cette dernière
hypothèse visant tant la rétractation que la modification des donations et l’ajout d’une
donation dans le contrat de mariage 3).
Cette petite procédure ne requiert plus, depuis la loi du 9 juillet 1998,
d’homologation par le tribunal de première instance. Sa publicité est assurée par la
notification, par le notaire, dans le mois de la rédaction de l’acte, d’un extrait de
celui-ci à l’officier de l’état civil du lieu où le mariage a été célébré.
La grande procédure allégée présente, elle aussi, un caractère exceptionnel : elle
n’est applicable que lorsque le patrimoine commun est modifié sans que le régime
matrimonial soit par ailleurs modifié dans une mesure telle qu’il doive être
entièrement liquidé. Dans ce cas, la grande procédure reste applicable puisqu’il y a
changement actuel dans la composition des patrimoines, mais l’inventaire et le
règlement des droits respectifs ne sont pas requis : ces deux actes sont facultatifs et
ne doivent être dressés que si un des époux ou le tribunal en fait la demande.
3° Dans les régimes de communauté, quelles clauses de liquidation et de partage du
patrimoine commun peut-on prévoir dans le contrat de mariage ou l’acte modificatif
de régime matrimonial ?
Dans les clauses de liquidation et/ou de partage du patrimoine commun, on
distingue :
- la reprise de certains biens sur prisée (le préciput onéreux) ;
- la reprise de certains biens à titre gratuit (le préciput gratuit) ;
- les clauses de partage inégal ;
- les clauses d’attribution du patrimoine commun au survivant.
Le préciput onéreux (ou clause de reprise sur prisée) est la clause par laquelle il est
attribué à l’un ou à l’autre des époux le droit de prélever, dans le patrimoine
3
Rép. Not., Les régimes matrimoniaux, Art. 1394 à 1396 C.
civ., n° 584
8
commun, tout ou partie des biens communs à des conditions à fixer et à charge d’en
payer la valeur.
Cette clause porte généralement sur l’exploitation commerciale ou industrielle des
époux.
Elle peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du régime par le décès de l’un des époux, et sous la
condition que les époux ne soient pas à cette date séparés de fait, le conjoint
survivant aura le droit de prélever dans le patrimoine commun, avant tout partage :
.. description du ou des biens objets du préciput
Le conjoint survivant pourra exercer ce préciput à charge d’indemniser le
patrimoine commun de la valeur des biens prélevés au jour de l’exercice de la
reprise. Cette valeur sera déterminée à défaut d’accord par un expert désigné par le
président du tribunal de première instance du lieu de l’ouverture de la succession.
Le conjoint survivant imputera les droits prélevés sur sa part dans le patrimoine
commun. Si leur valeur dépasse cette part, il acquittera la soulte due dans les (six)
mois de la notification de l’exercice de la reprise, sans intérêts jusqu’alors.
Le conjoint survivant devra exercer son droit dans les (cinq) mois du décès et
notifier sa décision dans ce délai. A défaut, il sera déchu du droit de reprise. »
Le préciput gratuit est la clause par laquelle il est attribué à l’un ou l’autre des époux
le droit de prélever, par préciput et hors part, certains biens dans le patrimoine
commun, à titre gratuit. Cette clause peut utilement compléter une clause d’apport
d’un bien au patrimoine commun : l’époux qui a effectué cet apport a le droit de
reprendre le bien apporté le jour de la dissolution du régime.
Cette clause peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du régime par le décès de l’un des époux, et sous la
condition que les époux ne soient pas à cette date séparés de fait, le conjoint
survivant aura le droit de prélever dans le patrimoine commun, à titre gratuit, avant
tout partage :
.. description du ou des biens objets du préciput ».
9
Les clauses de partage inégal et les clauses d’attribution du patrimoine commun au
conjoint survivant sont les clauses aux termes desquelles les époux conviennent que
celui qui survivra, ou l’un d’eux s’il survit, recevra lors du partage une part autre que
la moitié, voire tout le patrimoine.
Il faut noter que la clause de partage inégal permet d’attribuer aux époux ou à l’un
d’eux une part plus forte ou plus faible que la moitié du patrimoine commun.
Cette clause peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux et
d'absence de séparation de fait, les parties conviennent que le patrimoine commun
appartiendra au conjoint survivant
- pour l'intégralité en pleine propriété à charge d'en supporter tout le passif,
ou
- à concurrence de … à charge d’en supporter le passif dans les mêmes proportions
ainsi que cela résulte des articles 1461 et 1462 du Code civil. »
La caractéristique essentielle de ces clauses de liquidation est qu’elles ne sont pas
considérées comme des libéralités mais comme des conventions de mariage, même
si elles aboutissent en fait à attribuer à un époux une part supérieure à sa part légale
dans le patrimoine commun (c. civ. 1458 et 1464).
Elles sont cependant considérées comme des donations à concurrence de moitié si
elles ont pour objet des biens présents ou futurs que l’époux prédécédé a fait entrer
dans le patrimoine commun par une stipulation expresse du contrat de mariage.
En outre, dans le cas où il y a des enfants d’un précédent mariage (le terme
« précédent mariage » visant les enfants issus d’une précédente union, même si cette
union n’était pas consacrée par un mariage), toute convention matrimoniale qui a
pour effet de donner à l’un des époux au-delà de la quotité disponible est sans effet
pour l’excédent (c. civ. 1465).
4° Est-il possible de planifier sa succession en choisissant ou en modifiant son régime
matrimonial ?
10
Le contrat de mariage constitue un outil de programmation successorale souvent
ignoré mais extrêmement précieux.
Tant avant le mariage, à un moment où les futurs époux ne savent pas encore de quoi
leur avenir sera fait, qu’au cours du mariage, lorsque leur situation familiale et
patrimoniale se précise, il est possible, par des stipulations du contrat de mariage,
soit de « réduire la facture des droits de succession », soit de protéger le conjoint
survivant et/ou les enfants.
A cet égard, plusieurs opérations et clauses peuvent être conseillées :
a) La réduction des droits de succession par le biais de clauses d’apport de biens
propres au patrimoine commun ou une société créée à côté du régime de séparation
de biens
L’apport de biens propres d’un des époux au patrimoine commun ou à une société
adjointe au régime de séparation de biens permet, dans bien des cas, de réduire la
facture des droits de succession.
Il s’agit, dans chaque cas d’espèce, de calculer l’impact fiscal d’un tel apport pour
vérifier si le recours à ce procédé permet ou non de réduire les droits de succession
et, dans l’affirmative, modifier le régime matrimonial des époux 4.
b) La clause d’attribution alternative
Au moment de leur mariage, les futurs époux ne savent pas de quoi sera faite leur
situation familiale et patrimoniale au moment du décès de l’un d’eux.
Les clauses d’attribution du patrimoine commun au survivant, si elles présentent
l’avantage de permettre à celui-ci de disposer du patrimoine commun comme il
pouvait le faire du vivant des deux époux, n’en restent pas moins désavantageuses
d’un point de vue fiscal puisque la charge des droits de succession sur les biens
communs incombe au seul conjoint survivant.
Il n'en demeure pas moins que les clauses d'attribution conservent une utilité : celle
d'assurer au conjoint survivant la possibilité de continuer à administrer les biens
communs, principalement ceux qu'il a acquis avec le prémourant, et à en disposer
comme il le juge à propos.
4
sur la procédure de modification, voy supra
11
Notre droit ne connaît en effet pas le principe de la communauté "continuée" ou
"prolongée" existant dans certaines législations étrangères, comme celles du Danemark
et de la Norvège. Dans ces pays, en effet, la loi permet au conjoint survivant de
continuer à administrer la communauté et à en disposer à titre onéreux si les enfants du
prédécédé y consentent.
En l'absence d'une telle règle dans notre législation, la seule possibilité pour les époux
de permettre au conjoint survivant de continuer à gérer la communauté et à en disposer
comme il l'entend est la clause d'attribution de cette communauté en pleine propriété au
conjoint survivant.
Il se peut cependant que la situation existant au moment du décès - par exemple si tous
les enfants issus du mariage sont majeurs et s'entendent avec le survivant de leurs
auteurs - rende une telle attribution inutile.
Le contrat de mariage peut apporter une solution pragmatique à cette situation :
l'attribution alternative.
Dans ce cas, le contrat contient une clause suivant laquelle, au décès du premier des
époux, le patrimoine commun appartient, au choix du conjoint survivant :
- soit pour la totalité en pleine propriété ;
- soit pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit ;
- soit, encore, pour la totalité en pleine propriété en ce qui concerne les biens meubles et
pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit en ce qui concerne les
immeubles ;
- ou toute autre variante.
La clause doit également prévoir le délai dans lequel le conjoint survivant doit faire
connaître son option et, à défaut d'une telle option, quelle branche de l'alternative devra
être appliquée.
Cette clause peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et
dans ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, qu'il y ait
ou non descendance issue du mariage, que le patrimoine commun appartiendra au
conjoint survivant, rétroactivement à la date du décès, au choix du conjoint survivant :
- soit pour la totalité en pleine propriété ;
- soit pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit ;
- soit pour la totalité en pleine propriété en ce qui concerne les biens meubles et
pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit en ce qui concerne les
biens immeubles.
12
Le conjoint survivant sera tenu de faire connaître le mode d'attribution qu'il choisit
par déclaration faite par acte notarié dans les trois mois du décès du prémourant.
Passé ce délai, il ne sera plus admis à choisir et le patrimoine commun lui
appartiendra pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit, la moitié en
nue-propriété restante revenant à la succession du prémourant. »
c) La clause d’attribution sans condition de survie
L’article 5 du Code des droits de succession – qui assimile les avantages matrimoniaux à
des dispositions testamentaires - ne trouve à s’appliquer que lorsque l’avantage
matrimonial est stipulé au profit de celui des deux conjoints qui survivra ou au profit de
l’un d’eux seulement s’il survit à l’autre : la clause doit donc être rédigée sous condition
de survie du conjoint bénéficiaire 5. Ainsi, si l’attribution de communauté est stipulée à
un époux sans réciprocité et sans condition de survie, le survivant recevra le patrimoine
commun sans que les droits de succession soient dus, l’article 5 n’étant pas applicable6.
Cette solution est d’ailleurs confirmée par une décision administrative du 6 décembre
2004 7 dans ces termes : « l’article 5 du Code des droits de succession ne peut pas
s’appliquer lors du décès du mari en ce qui concerne la clause de partage inégal du
patrimoine commun lorsque, en vertu de la convention de mariage, l’avantage échoit sans
réserve à un époux bien déterminé indépendamment du fait que cet époux survive à
l’autre ou non ».
Mais cette décision va plus loin en ce qu’elle précise que « de telles clauses de partage
inégal du patrimoine commun peuvent cependant donner lieu à la perception d’un impôt
successoral dans les cas où l’époux avantagé reçoit des biens qui ont été apportés dans le
patrimoine commun par l’autre époux ou que ce dernier possédait des biens propres lors
de l’adoption d’un régime de communauté universelle. La clause de partage inégal, dans
cette hypothèse, ne doit plus être considérée comme étant conclue à titre de convention
de mariage mais comme une donation sur base de l’article 1464, deuxième alinéa C. civ.
La clause doit par conséquent être qualifiée d’institution contractuelle dans la mesure où
le conjoint avantagé reçoit plus que la moitié des biens apportés par l’autre époux. Cette
institution contractuelle tombe sous l’application de l’article 2 du Code des droits de
succession ».
5
L. Weyts, La déclaration de succession, Coll. Droit
Notarial, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 316, n° 391 et « Een
toebedeling van de gemeenschap aan slechts een echtgenoot :
is dit een ontsnappingsroute aan artikel 5 W. succ. Met een
boobytrap of is het een veilig pad ? », T. Not., 2005/1,
pp. 5-6, n° 8
6
J. Decuyper, op.cit., p. 77, n° 133.. Voy dans le même
sens
L. Weyts, « Een toebedeling … », op. cit., p. 6, n° 9
7
Déc. 6 décembre 2004, dr E.E./100.511
13
Elle puise dans les exceptions des articles 1458, alinéa 2, 1464, alinéa 2 et 1465 du Code
civil – qualifiant les avantages matrimoniaux de donations s’ils ont pour objet des biens
que l’époux prédécédé a fait entrer dans le patrimoine commun par une stipulation
expresse du contrat de mariage ou en présence d’enfants d’un précédent mariage – un
argument pour appliquer l’article 2 du Code des droits de succession. Or, cet article vise
uniquement la dévolution légale, la dévolution testamentaire et les institutions
contractuelles, lesquelles sont, aux termes de l’article 1091 du Code civil, des donations
faites par contrat de mariage. Un avantage matrimonial, fût-il requalifié en donation au
terme d’un des articles précités, n’en devient pas pour autant une institution
contractuelle. La requalification en donation a uniquement pour effet de permettre, aux
héritiers réservataires, de demander la réduction de l’avantage matrimonial : le Code civil
stipule en effet que l’avantage matrimonial doit, dans les hypothèses qu’il vise, être
« considéré comme une donation » ; il ne dit nullement qu’il s’agit d’une institution
contractuelle. Il demeure un avantage matrimonial et seul l’article 5 du Code des droits
de succession s’applique aux avantages matrimoniaux. Or, dans la clause analysée,
l’article 5 ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où l’un de ses conditions
d’application – la condition de survie – est précisément absente.
Il apparaît dès lors que la décision administrative dépasse les textes de loi et pourrait ne
pas résister à l’examen d’un juge si l’affaire était portée devant les tribunaux.
L’on aperçoit cependant le risque que peut présenter la clause sur le plan civil : en cas de
dissolution de mariage par le divorce des époux, le bénéficiaire de l’avantage
matrimonial pourrait ainsi devenir propriétaire de la totalité du patrimoine commun,
l’autre époux n’en retirant rien. Il s’ensuit qu’une telle clause ne peut être conseillée que
lorsque les époux sont certains de ne jamais divorcer… Il ne peut dès lors y être recouru
que dans des circonstances particulières 8.
d) Les clauses d’attribution du patrimoine commun modalisées en fonction des enfants à
naître du mariage
Pour les raisons exposées au point b) ci-dessus, les futurs époux peuvent souhaiter
avantager au maximum le survivant d’eux, tout en ayant le souhait, si des enfants
naissent du mariage, que ceux-ci soient également protégés, principalement en cas de
remariage de leur auteur survivant.
En effet, par l’effet de la clause d’attribution du patrimoine commun, celui-ci sera
devenu plein propriétaire de l’ensemble des biens communs. S’il se remarie et vient à
8
L. Weyts, « Een toebedeling … », op. cit., p. 8, n° 11
14
décéder, son nouveau conjoint aura, en vertu des règles du droit successoral,
l’usufruit de ces biens et les enfants du premier mariage devront attendre le décès de
ce deuxième conjoint (qui peut être très jeune) pour pouvoir disposer des biens de
leurs parents.
Sur le plan psychologique, il faut constater que si les enfants du premier mariage
trouvent « normal » de respecter l’usufruit du deuxième conjoint sur la part des biens
qui appartenait à leur auteur survivant, ils ressentent durement le fait que cet usufruit
porte également sur la part des biens communs qui revenait à leur auteur prémourant.
Or, il ne fait pas de doute que lorsque des époux insèrent dans leur contrat de mariage
une clause d'attribution du patrimoine commun, s'ils visent à protéger le conjoint
survivant et à lui assurer le maintien de l'unité du patrimoine familial, ils n'envisagent
nullement de favoriser, par cette même clause, le second conjoint de l'un d'eux.
Plus grave : lorsque le conjoint survivant se remarie, il est fort probable qu'il n'envisage
nullement de porter atteinte aux droits de ses enfants.
N'empêche que le droit successoral n'apporte pas la moindre solution, toute clause ou
convention étant nulle puisque pacte sur succession future. Par contre, la clause
d'attribution insérée dans le contrat de mariage peut être modalisée.
Plusieurs modalités peuvent être proposées :
-
l’application de la loi dite « loi Valkeniers »
Depuis cette loi du 22 avril 2003, ayant inséré un alinéa 2 à l’article 1388 du Code
civil, il est permis, mais sans préjudice du droit de l’un des époux de disposer, par
testament ou par acte entre vifs, au profit de l’autre «époux, ni du droit du conjoint
survivant à l'usufruit portant sur l'immeuble affecté au jour de l'ouverture de la
succession du prémourant au logement principal de la famille et des meubles
meublants qui le garnissent, aux conditions prévues à l'article 915bis §§ 2 à 4, ete ce
même sans réciprocité, de conclure entre époux un accord complet ou partiel relatif
aux droits que l’un peut exercer dans la succession de l’autre, par exemple de priver
le conjoint n’ayant pas d’enfant des droits en usufruit dans la succession de l’autre
époux.
- une attribution assortie d'une clause de residuo, par analogie au legs de residuo,
c’est à dire le legs qui a pour objet ce qui restera des biens légués à un premier
bénéficiaire, au décès de celui-ci 9.
9
L. RAUCENT, Les Libéralités, Academia, Bruylant, 1991, p.
15
En l’occurrence, il s’agit d’une attribution de communauté assortie, en faveur des
enfants du mariage, d’une condition résolutoire du décès du survivant des époux : à son
décès, l’attribution sera résolue et les enfants issus du premier mariage reprendront, par
l’effet de la résolution, les droits qu’ils auraient dû recevoir de leur auteur prémourant
en l’absence de cette attribution.
Cette clause est elle-même modalisée en vue de permettre au conjoint, bénéficiaire de
l’attribution, de disposer de son vivant (soit purement et simplement, soit uniquement à
titre onéreux) des biens communs, objets de l’attribution.
Elle peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans
ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le
patrimoine commun appartiendra au conjoint survivant pour la totalité en pleine
propriété.
En cas d'existence d'enfants ou de descendants issus du mariage, cette convention est
consentie et acceptée sous la condition que ce qui subsistera des biens, objet de la
présente attribution, au décès du conjoint survivant reviendra, au décès de celui-ci, à
titre de 'de residuo' aux ayants droit du prémourant.
Le conjoint survivant pourra librement disposer à titre onéreux des biens objet de la
présente attribution. Il ne pourra cependant pas les aliéner à titre gratuit, ni en
disposer par testament. »
- une clause stipulant le paiement, par le conjoint survivant, d'une somme due en
nue-propriété de manière à être payée à son propre décès
Cette clause a été proposée par Hélène Casman à l'occasion d'une journée d'études
organisée par la Commission Néerlandophone de la Fédération Royale des Notaires de
Belgique le 26 avril 1995 10.
Le Professeur Casman part de la constatation qu'en vertu d'une clause d'attribution du
patrimoine commun au profit du conjoint survivant, celui-ci bénéficie d'un avantage
non soumis à réduction puisque cet avantage n'entre pas en ligne de compte dans la
125
10
H. CASMAN, Enkele suggesties voor het opstellen van
huwelijkscontracten met keuze voor een gemeenschapstelsel,
in Evolutie in de huwelijkscontrakten, Vormingsdag van de
Nederlanstalige Raad van de K.F.B.N., 26 avril 1995
16
masse successorale, c'est à dire ni dans le calcul de la réserve ni dans celui de la quotité
disponible.
De plus, le conjoint survivant, bénéficiaire d'une telle attribution, dispose librement de
tous les biens communs, sans aucune obligation de rendre compte aux héritiers du
prémourant.
Il se pourrait ainsi que le conjoint survivant dilapide l'ensemble des biens ayant fait
partie du patrimoine commun.
Pour tenter de pallier l'absence d'obligation de reddition de compte, le Professeur
Casman a dès lors imaginé une clause d'attribution avec charge : le patrimoine commun
est attribué pour la totalité en pleine propriété au conjoint survivant, à charge pour lui
de payer, à la succession du prémourant, une somme correspondant à la moitié de la
valeur nette du patrimoine commun.
Cette charge n'a cependant pas pour objet d'obliger le conjoint survivant à payer
immédiatement une somme d'argent : il faut considérer que, dans l'hypothèse
envisagée, les époux ont voulu s'avantager au maximum l'un l'autre.
C'est pourquoi cette somme n'est stipulée exigible qu'au décès du conjoint survivant et
doit, en conséquence, être considérée comme n'étant due, par le conjoint survivant,
qu'en nue-propriété, ses droits en usufruit sur la succession du prémourant n'étant pas
battus en brèche par cette stipulation.
Il est également prévu - puisque le but initial reste d'avantager au maximum le conjoint
survivant - qu'aucune sûreté ne peut être exigée pour garantir ce paiement, du moins
aussi longtemps que le conjoint survivant administre lui-même les biens et qu'il n'est
pas en faillite. Une sûreté peut également être prévue en cas de remariage du conjoint
survivant.
Cette clause peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans
ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le
patrimoine commun appartiendra pour la totalité en pleine propriété au conjoint
survivant, à charge pour lui de payer à la succession du prémourant une somme égale
à la valeur nette de la moitié du patrimoine commun au jour du décès, sous déduction
des droits de succession afférents à la succession du prémourant. En aucun cas cette
somme ne sera productive d'intérêts.
Le paiement de cette somme peut être fait à n'importe quel moment par le conjoint
survivant, même partiellement, soit en argent, soit par abandon de biens communs à la
17
succession. Le paiement ne peut cependant être exigé aussi longtemps que le conjoint
survivant exerce son usufruit sur les biens successoraux.
Il ne peut également pas être exigé de sûreté, à l'exception des cas suivants :
- si le conjoint survivant n'est plus en état d'administrer lui-même son patrimoine ;
- si le conjoint survivant est en faillite ou se trouve en état d'insolvabilité notoire ;
- si le conjoint survivant se remarie. »
e) Les clauses de partage du patrimoine commun en présence d’enfants d’un précédent
mariage
La rédaction du contrat de mariage permet également de programmer sa succession
lorsque l’un des futurs époux a retenu des enfants d’une précédente union et que les
futurs époux souhaitent à la fois se protéger mutuellement, mais également avantager
au maximum les enfants du précédent mariage.
Un exemple permet d’illustrer cette hypothèse : un époux, ayant des enfants d'un
précédent mariage, se remarie avec un conjoint qui n'a pas d'enfant. Les époux souhaitent adopter un régime de communauté, mais ils souhaitent également préserver au
maximum les droits des enfants issus du précédent mariage de l'un d'eux. Ils souhaitent
que cette protection aille jusqu'à l'attribution à ces enfants de la totalité du patrimoine
commun qui existera lors du deuxième mariage, sans évidemment perdre de vue les
droits du conjoint survivant si celui-ci est précisément celui qui n'a pas d'enfant.
Pourrait-on, dans le contrat de mariage, stipuler qu'en cas de dissolution du mariage par
le décès de l'un des époux, le patrimoine commun appartiendra :
- en cas de prédécès du conjoint qui a des enfants d'un précédent mariage, pour la
totalité en usufruit au conjoint survivant et pour la totalité en nue-propriété aux enfants
du prémourant;
- en cas de prédécès de l'autre époux, pour la totalité en pleine propriété au conjoint
survivant ?
En d’autres termes, est-il possible d’insérer, dans le contrat de mariage, une clause
attribuant la nue-propriété à l’un des époux et l’usufruit à l’autre ?
L'article 1461 du Code civil prévoit que les époux peuvent convenir que celui qui
survivra, ou l'un d'eux s'il survit, recevra lors du partage une part autre que la moitié,
voire tout le patrimoine. Il n'y a dès lors aucune exigence d'égalité entre les époux.
Cependant, la clause proposée pose trois problèmes :
18
- Il se peut que l'usufruit ainsi attribué au conjoint survivant ait une valeur inférieure à la
valeur de la moitié du patrimoine commun en pleine propriété. Une clause attribuant au
conjoint survivant une part du patrimoine commun inférieure à la moitié est-elle
valable ?
La réponse cette question ne fait aucun doute : lors de la discussion du texte de l'article
1461 du Code civil en commission du Sénat, la première rédaction, où il était question
d'une « part moindre que la moitié » a été remplacée par une « part autre que la moitié »,
ce qui permet l'attribution à l'un des époux d'une part plus grande ou moindre que la
moitié du patrimoine commun.
- A l'inverse, il se peut que l'usufruit attribué au conjoint survivant ait une valeur
supérieure à la valeur de la moitié du patrimoine commun et même supérieure à la
quotité disponible.
Il faudra, dans ce cas, faire application de l'article 1465 du Code civil en vertu duquel la
clause d'attribution sera sans effet pour ce qui a été donné au-delà de la quotité
disponible.
- L'avantage matrimonial peut-il être fait à des héritiers ?
La réponse à cette dernière question est largement controversée.
La Cour d'Appel de Gand, dans un arrêt du 17 juin 194711, a décidé qu' « il est permis
aux époux de stipuler par leur contrat de mariage que la totalité de la communauté
reviendra à l'un d'eux, s'il survit, et en cas de son prédécès à ses héritiers. »
Les articles 1457 et 1461 nouveaux du Code civil visent expressément l'époux
survivant. La rédaction de ces articles donne donc à penser que les clauses de préciput
et de partage inégal constituent des gains de survie et ne peuvent être consenties au
profit des héritiers.
Toutefois, les articles 1377 et 1451 du Code civil consacrent l'autonomie de la volonté
des époux. Les articles 1457 et 1461 du Code civil n'envisagent le préciput et la
stipulation de parts inégales, voire l'attribution de la totalité du patrimoine commun,
qu'en faveur du ou d'un conjoint survivant. Ces articles ne sont pas impératifs. Il semble
que rien n'empêcherait les époux de prévoir d'autres modalités. Certains auteurs sont
d'ailleurs d'avis que ces clauses peuvent être stipulées en faveur des héritiers 12.
11
Gand, 17 juin 1947, Rev. Prat. Not., 1947, p. 417
voy notamment B. DEROUAUX, Clauses modificatives du
régime légal et autres conventions matrimoniales, in Sept
leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, Liège, 1977
12
19
En l'absence de toute disposition impérative contraire, on voit dès lors mal ce qui
empêcherait d'admettre la validité des clauses d'avantages matrimoniaux en faveur des
héritiers d'un conjoint.
Cette clause peut être rédigée comme suit :
« En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans
ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le
patrimoine commun appartiendra :
- en cas de prédécès de A, à son conjoint survivant pour la totalité en pleine propriété;
- en cas de prédécès de B, à son conjoint survivant pour la totalité en usufruit et à sa
succession pour la totalité en nue-propriété. »
20
Section 2.- Le droit des donations – Quelques suggestions de clauses protectrices du
conjoint du donateur et du conjoint du donataire
Comment peut-on, d'une part, assurer la sécurité du conjoint du donateur et, d'autre
part, celle du conjoint du donataire ?
§1.- Conjoint donateur
1° Protection du logement familial.
Formule
Et à l'instant est ici intervenu(e) :
M..... (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M...., comparant(e) qui après
avoir été éclairé(e) par nous, notaire, sur la portée des articles 215, 224 et 858bis du Code
civil, nous déclare :
1° avoir une parfaite connaissance des clauses et conditions du présent acte de donation et
marquer son accord sur celle-ci.
2° que cette donation ne met nullement en péril les intérêts de la famille et qu'en
conséquence, il (elle) renonce purement et simplement à introduire toute action ayant
directement ou indirectement pour objet l'annulation de cette donation ou l'octroi de
dommages et intérêts.
3° soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie
avec dispense de rapport à son égard.
soit qu'il (elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie
avec dispense de rapport à son égard.
COMMENTAIRES
L'article 215 protège le conjoint du donateur lorsque le bien donné constitue le
logement principal de la famille ou les meubles meublants qui le garnissent. En effet, le
conjoint devra donner son accord pour cette donation. Nous sommes favorable à la thèse
selon laquelle cette protection persiste tant que dure le mariage. Reconnaissons cependant
qu'elle ne rencontre pas l'unanimité en doctrine et en jurisprudence.
a) L'intervention du conjoint du donateur est-elle obligatoire à l'acte constatant la
donation?
Rappelons que la loi impose l'accord du conjoint et non son consentement 13.
13
Régimes Matrimoniaux, R.P.D.B. compl. VI, n° 394-398;
L. RAUCENT, Les Régimes Matrimoniaux, Cabay, 1986, p. 101;
21
En conséquence, le conjoint ne doit pas obligatoirement comparaître à l'acte
authentique. Bien que cet accord puisse être prouvé par toutes voies de droit, il est
cependant conseillé de recourir à l'écrit dont un exemplaire sera remis au notaire afin que
celui-ci puisse veiller à la sécurité juridique de l'acte qu'il est requis de dresser. Si le conjoint
du donateur n'intervient pas à l'acte constatant la donation, il est conseillé d'annexer cet écrit
à l'acte authentique dans un souci de pure conservation.
b) Quelle est l'étendue de la protection ?
Elle vise le logement principal de la famille et les meubles meublants qui le
garnissent. En conséquence, le domicile repris sur la carte d'identité n'indique pas toujours le
logement principal de la famille. Par ailleurs, la doctrine et la jurisprudence s'orientent de
plus en plus vers le maintien de la protection du logement familial jusqu'à la dissolution du
mariage même s'il y a séparation de fait des époux 14.
c) Y a-t-il un recours contre le refus abusif du conjoint ?
Le donateur peut se faire autoriser à accomplir la donation par le tribunal de
première instance de la résidence conjugale et même, en cas d'urgence, par le président de
cette juridiction si le conjoint refuse de donner son accord sans motif grave.
d) Sanctions
Rappelons que l'acte constatant la donation est annulable à la demande du conjoint
(art. 224, 1 C. civ.). Cette action en nullité doit être introduite dans l'année à compter du jour
où l'époux demandeur a eu connaissance de la donation (art. 224, § 2 C. civ.). Ses héritiers
disposent d'un nouveau délai d'un an à compter du décès du conjoint du donateur si celui-ci
décède dans l'année du jour où il a eu connaissance de la donation.
e) La donation en nue-propriété est-elle un acte de disposition protégé par l'article 215
du Code civil ?
Mons, 26 mars 1980, Rev. not. b., 1980 p. 309.
14
Régimes Matrimoniaux, R.P.D.B., compl. VI, n° 402 et
403, M. VERWILGHEN et E. BEGUIN, Chronique de Jurisprudence
1977-1984, J.T. n° 43 et suivants; Civ. Liège, 28 juin 1985,
Jur. Liège, 1985 p. 640; J. DE GAVRE, La banque dans la vie
quotidienne, p. 125 à 133; L. RAUCENT, op. cit., p. 99-100.
22
La protection visée par cet article s'applique à tous les actes de disposition même si
ceux-ci ne nuisent pas à la jouissance du bien 15.
Ainsi, la donation d'un immeuble en nue-propriété avec réserve de l'usufruit en
faveur du donateur et réversion de celui-ci sur la tête de son conjoint, nécessite l'accord de
ce dernier même s'il n'y a aucune limitation à la possibilité de jouir du logement principal de
la famille et des meubles meublants qui le garnissent.
Précisons cependant que l'octroi au conjoint d'un droit en usufruit sur le logement
principal de la famille devrait être considéré par le juge comme ne justifiant pas le refus du
conjoint du donateur 16.
2° Donations qui mettent en péril les intérêts de la famille ?
Formule.
Et à l'instant est ici intervenu(e) :
M..... (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M...., comparant(e) qui après
avoir été éclairé(e) par nous, notaire, sur la portée des articles 224 et 858bis du Code
civil, nous déclare :
1.- avoir une parfaite connaissance des clauses et conditions du présent acte de donation.
2.- que cette donation ne met nullement en péril les intérêts de la famille et qu'en
conséquence, il (elle) renonce purement et simplement à introduire toute action ayant
directement ou indirectement pour objet l'annulation de cette donation ou l'octroi de
dommages et intérêts.
3.- soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie
avec dispense de rapport à son égard.
soit qu'il (elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie
avec dispense de rapport à son égard.
COMMENTAIRES
15
L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, Cabay-Bruylant,
1979, n° 64; E. VIEUJEAN, in Sept leçons sur la réforme des
régimes matrimoniaux, p. 27; J. DE GAVRE et M.F. LAMPE, La
Réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des
régimes matrimoniaux, Ed. Jeune Barreau, p. 110 et 125).
16
J. DE GAVRE et M.F. LAMPE, op. cit., p. 110.
23
La notion de logement principal de la famille est sujette à peu d'ambiguïté. En
pratique, le problème réside dans le maintien de la protection visée par l'article 215 du Code
civil lorsqu'il y a séparation de fait des époux et l'octroi d'un droit qui n'affecte pas la
jouissance.
Par contre, la notion d'intérêts de la famille et la mise en péril de ceux-ci est une
question de fait qui est laissée à l'appréciation du juge. La protection des intérêts de la
famille est en conséquence plus sournoise. Un notaire ne disposera pas des éléments de fait
pour apprécier le risque d'une action en annulation de la donation. Ph. De Page n'hésite pas à
parler d'un "véritable cauchemar" 17.
a) Champ d'application
L'article 224 du Code civil vise-t-il toutes les donations?
On pourrait conclure du caractère général de cet article que toutes les donations sont
annulables à la demande d'un époux dès qu'elles mettent en péril les intérêts de la famille.
Les travaux préparatoires 18 et la doctrine 19 considèrent que cette protection vise uniquement :
les biens personnels du donateur lorsque les époux sont mariés sous le régime de la
séparation de biens pure et simple.
Rappelons à ce sujet que le régime primaire est applicable non seulement aux époux
dont le régime matrimonial est régi par le droit belge, mais aussi à ceux qui sont régis en
vertu d'une loi étrangère. Il convient en conséquence d'analyser en droit comparé quel est le
régime matrimonial du donateur.
les biens propres du donateur lorsque les époux sont mariés sous un régime de
communauté.
En conséquence, la donation de biens communs n'est pas susceptible d'être annulée
sur base de l'article 224 du Code civil. Elle pourrait cependant l'être par application de des
articles 1419 et 1422 du Code civil.
17
Chronique de Jurisprudence, 1984-1987 sur les Régimes
Matrimoniaux, Rev. trim. dr. fam., 1988, p. 38
18
Rapport de la sous-commission de la justice du Sénat,
Doc. parl. Sénat, 1974, n° 683, n° 2, p. 24.
19
L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63; J. DE GAVRE et M.P.
LAMPE op. cit., p. 184-185.
24
b) Mise en péril de l'intérêt de la famille
Le tribunal jouit d'un très large pouvoir d'appréciation pour déterminer, d'une part,
s'il y a péril des intérêts de la famille et d'autre part, l'étendue du concept "famille". Les
travaux préparatoires 20 et la doctrine 21 considèrent qu'il faut prendre en considération non
seulement les intérêts du conjoint du donateur mais aussi des parents et des enfants même
s'ils ne vivent pas sous le même toit, par exemple les enfants d'un précédent mariage qui
n'habitent pas avec le donateur 22. La cour de cassation a estimé à juste titre que le juge doit
apprécier la mise en péril des intérêts familiaux en se rapportant au jour de la conclusion du
contrat 23.
c) Sanctions
Celle-ci est double (art. 224, § 2 C. civ.) :
- d'une part, l'annulation de la donation. Il s'agit d'une nullité relative qui ne peut être
demandée que par le conjoint du donateur ou ses héritiers;
- d'autre part, l'octroi des dommages et intérêts, si l'acte n'est pas annulé ou si cette
annulation ne répare pas intégralement le préjudice subi par le conjoint du donateur.
Délai ?
A peine de forclusion, le conjoint du donateur doit introduire sa demande dans
l'année du jour où il a eu connaissance de l'acte. Si ce délai n'est pas encore écoulé, les
héritiers de ce conjoint disposeront d'un nouveau délai d'un an pour demander l'annulation
de la donation et l'octroi éventuellement de dommages et intérêts (art. 224, § 2 C. civ.). Ce
délai ne peut être ni interrompu ni suspendu 24.
d) Peut-on éviter cette double sanction ?
20
Rapport sur commission de la justice du Sénat, p. 24.
21
L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63; J. DE GAVRE et M.F.
LAMPE, op. cit., p. 187.
22
Rapport Hambye à la Commission de la Justice Doc. parl.
Sénat, n° 683 (1974), n° 2.
23
Cass. 5 avril 1985, J.T. 1985, p. 388.
24
Rapport HAMBYE, op. cit., p. 19.
25
Assez curieusement, une partie de la doctrine 25 et de la jurisprudence 26 considère
que l'action en annulation peut être intentée si le conjoint du donateur refuse de donner son
consentement. E. Vieujean considère même que le donateur pourrait se faire autoriser par le
tribunal pour donner un bien personnel si son conjoint refuse d'y consentir 27.
N'y a-t-il pas une confusion entre d'une part, l'accord du conjoint requis par l'article
215 du Code civil et d'autre part, l'action en annulation ou en l'octroi de dommages et
intérêts prévue par l'article 224 du Code civil ?
Cet article n'envisage nullement et contrairement à l'article 215 du Code civil la possibilité d'éviter l'annulation de l'acte s'il y a consentement préalable du conjoint du donateur.
Le terme "consentement" est inexact, il faudrait logiquement dans ce cas demander l'accord
du conjoint. En effet, le conjoint du donateur n'est pas partie à l'acte. Même l'accord
préalable du conjoint n'est pas requis. Par contre, cet accord est requis lorsqu'il s'agit d'un
logement principal de la famille. En conséquence, alors que l'article 215 du Code civil
permet à un époux de se faire autoriser par justice à passer l'acte sans l'accord de son
conjoint, le tribunal ne pourrait dans le cadre de l'article 224 du Code civil, suppléer au
défaut d'accord du conjoint du donateur, puisque cet accord préalable n'est aucunement
requis par la loi. Il serait, en effet, curieux d'introduire une action en justice en raison de
l'absence d'accord de son conjoint, alors que celui-ci n'est pas imposé par la loi.
En réalité, ce n'est pas l'accord ou le consentement à la donation par le conjoint du
donateur qu'il faut obtenir, mais bien son accord de renoncer purement et simplement à
entamer l'action en annulation ou en l'octroi de dommages et intérêts.
Cet accord peut être obtenu :
Préalablement à la donation
Aucune disposition légale n'impose le recours à l'acte authentique. L'accord du
conjoint peut être prouvé par toutes voies de droit. Le notaire soucieux de la sécurité
juridique de l'acte qu'il doit dresser, demandera cependant soit l'intervention à l'acte soit la
production d'un écrit d'où il résulte que le conjoint du donateur renonce à l'action en
annulation ou à l'octroi de dommages et intérêts. Dans un souci de pure conservation, il sera
préférable d'annexer cet écrit à l'acte et d'y relater l'existence de cette annexe.
25
L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63
26
Civ. Gand 9 mai 1983, R.G.E.N., 1984, p. 257.
27
E. VIEUJEAN, op. cit., p. 29.
26
Dans l'acte de donation
De manière générale, cette intervention est très souhaitable. Elle permettra au notaire
d'expliquer au conjoint du donateur la portée de son intervention.
Après l'acte de donation.
Puisqu'il s'agit d'une nullité relative, l'acte de donation peut être ratifié par le conjoint
du donateur. Ainsi que le précise l'article 1338 du Code civil, la ratification "emporte la
renonciation aux moyens et exceptions que l'on pourrait opposer contre cet acte". Il
conviendra de reprendre dans l'acte ratificatif, d'une part, le fait que le conjoint du donateur
a connaissance de la possibilité de demander l'annulation de la donation aux conditions
visées par l'article 224 du Code civil et d'autre part, qu'il souhaite ratifier cet acte et renoncer
à toute action en annulation ou en dommages et intérêts.
3° Donation des biens communs
Formule
Et à l'instant est ici intervenu(e) :
M. (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M.... qui déclare :
1° avoir une parfaite connaissance du présent acte et consentir à la donation faite par son
conjoint.
2° en conséquence, renoncer purement et simplement à introduire toute action ayant
directement ou indirectement pour objet l'annulation de la donation.
3° soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie
avec dispense de rapport à son égard.
soit qu'il(elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie avec
dispense de rapport à son égard.
COMMENTAIRES
L'article 1419 du Code civil pose le principe qu'un époux ne peut sans le
consentement de son conjoint disposer entre vifs à titre gratuit des biens communs.
a) Champ d'application
Par disposition entre vifs à titre gratuit, il faut comprendre uniquement les donations
sensu stricto 28. Sont en conséquence visées, toutes les donations quelles qu'en soient leur
28
L. RAUCENT op. cit., 1979, p. 243, R.P.D.B., Régimes
matrimoniaux, (Droit interne), compl. VI, p. 802, n° 1136;
Civ. Anvers, 30 octobre 1985, Rechts. Weekbl., 1985-1986,
27
forme (donation directe, indirecte ou déguisée, don manuel) et leur objet (meuble ou
immeuble).
Par contre, sont exclus : les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation,
d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et de présents d'usage ainsi
qu'assez curieusement, les donations en faveur du conjoint survivant (art. 1419 al.2 C.Civ.).
Il convient également d'y ajouter les institutions contractuelles 29.
Précisons enfin que ce consentement est requis même s'il s'agit d'une donation à un
enfant commun.
b) Sanction
A défaut de consentement, le conjoint du donateur pourra s'il justifie d'un intérêt
légitime et sans devoir prouver la mise en péril des intérêts de la famille, obtenir l'annulation
de la donation. Toutefois, contrairement à l'article 224 du Code civil, cette annulation ne
peut porter atteinte aux droits des tiers de bonne foi (art. 1422 dernier alinéa C. Civ.).
c) Objet du consentement
Celui-ci est double :
- soit l'époux comparaît à l'acte en qualité de co-donateur avec son conjoint,
- soit l'époux intervient à l'acte pour marquer son accord sur la donation consentie par son
conjoint sans être lui-même donateur.
Précisons que le fait que le conjoint doit consentir à la donation, implique que celleci est réputée faite avec dispense de rapport à son égard à moins qu'il n'en ait disposé
autrement (art. 858bis C.civ.). Il convient en conséquence de préciser dans l'acte la volonté
du conjoint du donateur en ce qui concerne le rapport de la donation. Sans préjudice de
l'application de l'article 858bis du Code civil, lorsque les époux sont tous deux donateurs,
aucun consentement exprès n'est requis; il se déduira de la volonté des époux de donner tous
deux un bien commun.
4° Donation avant ou pendant le mariage
a) Donation avant le mariage
col. 266.
29
L. RAUCENT, op. cit., 1986, p. 160.
28
Toute personne peut librement disposer de ses biens à titre gratuit. Ces libéralités
feront éventuellement l'objet d'une réduction en cas d'existence de descendants ou d'un
conjoint survivant voire d'un ascendant.
Rappelons que la protection légale qui découle de la réserve protège dès lors le
conjoint survivant même s'il n'était pas marié avec le donateur lors de la donation. La
réserve en usufruit du conjoint survivant obéit en principe à toutes les règles qui régissent la
réserve et notamment à celle définie à l'article 922 du Code civil qui fixe l'établissement de
la masse de calcul 30. C’est pour permettre aux époux d’échapper à la rigueur de cette règle
que l’article 1388 alinéa 2 a été inséré dans le Code civil par la loi du 22 avril 2003 (loi
Valkeniers).
Il existe également d’autres possibilités :
Donation à charge de rente viagère, avec réserve d’usufruit ou à fonds perdu (art.918
C.civ.)
Formule
Je soussigné(e) :
M.... époux(se) de M... (domicilié(e) à .... :
1.- reconnais avoir une parfaite connaissance de la donation consentie par mon conjoint
en faveur de M.... le ...
2.- consens en vertu de l'article 918 du Code civil à cette donation et en conséquence
renonce à la réduction et au rapport de cette libéralité.
COMMENTAIRES
Si c'était une donation soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdu, soit avec
réserve d'usufruit, à un descendant, le conjoint du donateur pourra valablement consentir à
cette libéralité conformément à l'article 918 du Code civil. Ce consentement aura pour
conséquence que cette donation ne pourra faire l'objet d'une réduction ou d'un rapport. Le
consentement du conjoint ne doit pas être obligatoirement constaté dans l'acte de donation,
30
P. DELNOY, Questions relatives à la réserve du conjoint
survivant, in Dix années d'application de la réforme des
régimes matrimoniaux, Académia-Bruylant, Patrimoine I, 1987,
p. 339 et 340; R. BOURSEAU, Les droits successoraux du
conjoint survivant, 1981, p. 304; L. RAUCENT, Les droits
successoraux du conjoint survivant, Swinnen, 1981, p. 52.
29
il peut l'être dans un acte séparé même sous seing privé postérieur à la donation ou préalable
à celle-ci 31.
En conclusion, les libéralités consenties par un époux avant son mariage seront
définitivement sorties du patrimoine du donateur, sans possibilité de rapport ou de
réduction32 s'il s'agit de libéralités visées par l'article 918 du Code civil et que le conjoint du
donateur ait consenti à cette libéralité antérieure au mariage.
Autres donations (non visées par l'article 918 C. civ.)
Formule
A.- Je soussigné(e) :
M.... époux(se) de M... domicilié(e) à .... :
1.- reconnais avoir une parfaite connaissance de la donation consentie par mon conjoint
en faveur de M.... le ...
2.- consens en vertu de l'article 858bis du Code civil à cette donation et en conséquence
renonce au rapport de cette libéralité.
Pour ces donations, la possibilité offerte au conjoint du donateur est moins radicale,
puisqu'elle ne vise que le rapport. En effet, le donateur peut tout d'abord nonobstant les
termes de l'acte, marquer son accord que la libéralité est consentie par préciput et hors part.
Il suffira dans ce cas au donataire d'accepter cette nouvelle condition.
§ 2. Donation pendant le mariage.
Rappelons que le conjoint du donateur jouit d'une triple protection qui lui est
reconnue par les articles 215, 224, 1419 du Code civil.
31
A. KLUYSKENS, Schenkingen en testamenten, n° 114.
32
Bruxelles, 13 avril 1972, Pas. 1972, II, 130;
VANQUICKENBORNE et DEKKERS, Examen de jurisprudence 19651972, Rev. crit. jur. b., 1975, p. 93; voyez cependant contra
Gand, 25 juin 1971, Rechts. Weekbl., 1973-1974, 1494; J.M.
RAXHON, L'article 918 du Code civil et la loi interprétative
du 4 janvier 1960, Ann. Fac. Dr. Liège 1962, p. 1949; voyez
enfin avis nuancé de P. DELNOY, Les fondements et moyens
d'interprétation de l'article 918 in fine, Rev. crit. jur.
b., 1978, p. 39 et suiv.
30
5°. Libéralités rapportables en faveur du conjoint survivant
Formules
Dispense de rapport
Est ici intervenu(e) M... qui conformément à l'article 858bis du Code civil déclare (en
outre) consentir à la présente donation afin que celle-ci soit réputée faite avec dispense de
rapport à son égard.
Dispense de rapport en nature.
Est ici intervenu(e) : M.... qui conformément à l'article 858bis du Code civil déclare (en
outre) consentir à la présente donation afin que celle-ci soit réputée faite à son égard avec
dispense de rapport en nature. En conséquence, le donataire sera tenu de lui payer, le cas
échéant, une rente déterminée suivant les modalités fixées par le premier alinéa de cet
article.
Obligation du rapport.
Est ici intervenu(e) : M.... qui déclare conformément à l'article 215 (ou 1419) du Code
civil consentir à la présente donation. Toutefois, ce consentement ne pourra être interprété
comme constituant une dispense de rapport à son égard.
COMMENTAIRES
Il convient tout d'abord de préciser les libéralités qui sont visées par l'article 858bis
du Code civil. Il s'agit de toutes les libéralités : donation par acte authentique, donation
indirecte ou déguisée et don manuel.
Précisons cependant que l'article 858bis du Code civil est applicable depuis le 6 juin
1981. Le conjoint survivant peut-il dès lors exiger le rapport des libéralités consenties avant
cette date. Se fondant sur l'article 2 du Code civil, la doctrine considère que les libéralités
consenties avant le 6 juin 1981, autrement que par testament, continueront à sortir leurs
effets fixés par la loi en vigueur au moment de la conclusion du contrat, même si le décès
intervient à compter du 6 juin 1981 33. Par contre, la nouvelle législation s'appliquera aux
libéralités même si elles sont consenties avant le 6 juin 1981 pour tout ce qui concerne les
dispositions impératives, telles que la réduction des libéralités.
33
L. RAUCENT, Les droits successoraux du conjoint survivant, Swinnen, 1981, p. 206; Les actes de donation,
Recyclage F.R.N.B., 1981, p. 150 et suiv.
31
Lorsqu'il s'agit d'une libéralité qui est rapportable en moins prenant, le conjoint
survivant aura droit au paiement d'une rente viagère et indexée calculée sur base de la valeur
des biens donnés, meubles ou immeubles 34 à la date du décès et suivant un taux fixé soit
par le juge de paix, soit par le tribunal de première instance si une action en partage a été
entamée.
La donation est réputée faite avec dispense de rapport à l'égard du conjoint du
donateur s'il y a consenti à moins qu'il n'en soit disposé autrement. Cette présomption est
regrettable, car la loi impose souvent le consentement ou l'accord du conjoint (voyez à ce
sujet supra commentaire des articles 215, 224 et 1419 du c. civ.). En ce qui concerne l'article
224 du Code civil, l'intervention du conjoint n'implique pas son consentement mais bien le
renon à toute action en annulation ou en dommages et intérêts.
Toutefois, afin d'éviter toute équivoque, il convient de préciser les limites de
l'intervention du conjoint. Intervient-il pour consentir à la donation parce que la loi requiert
son accord ou consentement (art. 215 et 1419 du Code civil) ou marque-t-il également son
accord sur le fait que la donation sera réputée à son égard consentie avec dispense de
rapport.
Recherchons en conséquence la clarté en précisant la portée exacte du consentement du
conjoint.
6° Clauses d'accroissement et de réversion
Formule
a) En cas de donation par deux époux (accroissement).
Chacun des donateurs se réserve sa vie durant l'usufruit des biens donnés. Par ailleurs, à
titre de charge de la présente donation, le donataire laissera au survivant des donateurs et
durant la vie de celui-ci, l'usufruit des biens donnés par le conjoint prédécédé.
En conséquence, le donataire ne disposera de la pleine propriété des biens donnés qu'à
compter du décès du donateur survivant.
b) En cas de donation par un époux (réversion).
Le donateur se réserve sa vie durant l'usufruit des biens donnés. Par ailleurs, à titre de
charge de la présente donation et si le conjoint du donateur lui survit, le donataire laissera
à ce conjoint durant sa vie, l'usufruit des biens donnés.
34
L. RAUCENT, op. cit., p. 194
32
En conséquence, le donataire ne disposera de la pleine propriété des biens donnés qu'à
compter du décès du conjoint du donateur.
COMMENTAIRES
La clause d'accroissement implique que deux époux font conjointement donation de
la nue-propriété soit d'un bien indivis entre eux, soit d'un bien commun, soit enfin de biens
appartenant en partie à l'un des époux et pour le surplus à la communauté, en se réservant la
totalité en usufruit du bien donné jusqu'au décès du survivant des donateurs. L'usufruit du
donateur survivant se verra dès lors accru de celui du donateur prédécédé.
La clause de réversion implique par contre donation de biens personnels au
donateur avec d'une part, réserve d'usufruit en sa faveur et réversion de celui-ci en faveur de
son conjoint s'il lui survit.
En conséquence, sensu stricto, ces clauses d'accroissement et de réversion
s'exécutent sans aucune intervention du donataire qui devra cependant attendre le décès du
conjoint survivant pour disposer de la pleine propriété du bien donné.
a) Validité de ces clauses
Se fondant sur l'article 617 alinéa 2 du Code civil, la doctrine majoritaire considère
que le donateur ne peut transmettre à son conjoint un usufruit qui s'éteint lors de son décès
35
.
Se fondant sur l'article 1097 du Code civil qui interdit la donation entre époux
mutuelle et réciproque par un seul et même acte, la doctrine 36 et la jurisprudence 37
considèrent que la clause d'accroissement dans la mesure où elle est réciproque entre les
donateurs, constitue une donation entre époux par un seul et même acte. Cette clause sera en
conséquence nulle, de nullité absolue. Toutefois, cette doctrine et cette jurisprudence précisent que cette nullité devient relative à compter du décès du donateur et qu'elle peut dès lors
être couverte par confirmation, ratification ou exécution volontaire de la donation (art. 1340
C. civ.).
35
LAURENT, op. cit., T. VI, n° 352 et suiv.; DE PAGE, op.
cit., T. VI, n° 195, 203 et 223, DE BRABANDERE, L'usufruit,
in Rep. Not. Tome II, n° 4, 5 et 214; voyez contra Cass. 12
décembre 1902, R.G., 13.713.
36
DE PAGE, op. cit., T. VIII, p. 844
37
Cass. 29 avril 1977, Pas. 1977, I, 883.
33
Ceci implique que cette nullité ne peut être couverte du vivant du donateur. Elle peut
être invoquée par le donateur, le donataire, par toute personne intéressée ou d'office par le
juge 38.
L'on peut toutefois s'interroger sur l'application de l'article 1097 du Code civil en cas
d'existence d'une clause d'accroissement en usufruit ?
Cet article a depuis longtemps été critiqué par la doctrine 39. Par ailleurs,
l'application de l'article 1097 du Code civil ne nous semble pas aussi évidente. En effet,
l'article 949 du même Code permet au donateur de réserver "à son profit, ou de disposer au
profit d'un autre, de la jouissance ou de l'usufruit des biens meubles ou immeubles". Cet
article s'applique également aux donations entre époux. Ne pourrait-on déduire de son
caractère général que ce droit est reconnu aux époux, même s'il s'agit d'une donation
réciproque effectuée en un seul acte ?
De plus, la clause d'accroissement d'une rente viagère entre époux, constitue
également une donation. Toutefois, cette clause ne sera pas nulle par application de l'article
1097 du Code civil; en effet, l'article 1973 de ce code précise "elle (la rente viagère) peut
être constituée au profit d'un tiers, quoique le prix en soit fourni par une autre personne.
Dans ce dernier cas, quoiqu'elle ait les caractères d'une libéralité, elle n'est point assujettie
aux formes requises pour les donations; sauf les cas de réduction et de nullité énoncés dans
l'article 1970". Cet article énonce pour seules nullités, la libéralité consentie à une personne
incapable de recevoir ou celle qui excéderait la quotité disponible.
Pourquoi le législateur aurait-il autorisé la donation réciproque par un seul acte
lorsqu'il s'agit d'une rente viagère et non lorsqu'il s'agit d'un usufruit. Ceci paraît d'autant
plus curieux qu'en matière de libéralités, il a souvent prévu des conséquences identiques
pour l'usufruit et la rente viagère (voy. notamment art. 917 et 918 C. civ.). Par ailleurs, rien
ne nous semble pouvoir justifier cette différence de statut.
b) Solution - donation avec charge
Afin d'éviter l'application des articles 617 et 1097 du Code civil, la pratique a
imaginé d'imposer au donataire la charge de laisser au conjoint survivant du donateur
38
DE PAGE, op. cit., p. 566.
39
PLANIOL et RIPERT, op. cit., T. V, n° 756; DE PAGE, op.
cit., p. 844; L. WEYTS, in Les actes de donation, Recyclage
F.R.N.B., 1981, p. 80, observations DILLEMANS.
34
l'usufruit sa vie durant des biens donnés par l'époux prémourant. On aboutit ainsi à un
accroissement ou à la réversion de l'usufruit sans cependant avoir des conséquences
identiques aux clauses sensu stricto d'accroissement et de réversion.
c) Conséquences d'une charge établie au profit du conjoint
En droit civil
En réalité, le conjoint survivant reçoit l'usufruit d'une partie du bien donné
(accroissement) ou de la totalité de ce bien (réversion) par le biais du donataire. Il ne s'agit
pas sensu stricto d'une clause d'accroissement ou de réversion mais bien d'une donation avec
charge imposée au donataire, et plus précisément d'une stipulation pour autrui à titre
gratuit. Il convient dès lors d'en tirer les conséquences juridiques :
1° la charge imposée au donataire s'analyse comme une donation dans les relations entre le
donateur (stipulant) et le tiers qui est ici en l'espèce, le conjoint du donateur. Il en résulte que
la donation sera révocable pour les causes prévues par le Code civil et notamment pour les
donations entre époux consenties autrement que par conventions matrimoniales (art. 1096
C. civ.) même s'il y a eu acceptation de la stipulation pour autrui par le conjoint du donateur.
2° La charge imposée au donataire s'analyse comme un droit de créance entre le donataire et
le conjoint du donateur. Ceci justifie que lorsqu'il s'agit d'un immeuble, le conservateur des
hypothèques devra prendre inscription du privilège du donateur afin de garantir l'exécution
de la charge (art. 27, 3° et 32, L. hyp.). Ceci implique que le conjoint du donateur au profit
duquel existe la stipulation pour autrui, pourra exercer ce privilège en cas d'inexécution de
la charge par le donataire 40.
Précisons que cette formule issue de la pratique permet d'éviter l'application de
l'article 617 du Code civil. En effet, comment peut-on transférer en faveur de son conjoint,
tout ou partie d'un usufruit, qui a pris fin par son décès ? On peut par contre l'imposer au
donataire à titre de charge. S'il s'agit d'un accroissement de l'usufruit, il convient cependant
de s'interroger sur l'application éventuelle de l'article 1097 du Code civil. Nous avons vu
que dans les relations entre le donateur et le tiers (conjoint) il s'agit d'une donation. En
conséquence, l'on pourrait en déduire que l'article 1097 du Code civil est applicable et dès
lors que la donation réciproque de l'usufruit du bien donné, ne peut se faire par un seul et
même acte. Il convient cependant de préciser qu'il s'agit d'une donation indirecte et qu'en
conséquence, les conditions de forme prescrites pour les donations, ne sont pas applicables
41
.
40
41
DE PAGE, op. cit., p. 487
Contra DE PAGE, op. cit., p. 478 et note 13; voy.
35
Le conjoint du donateur doit-il accepter cette stipulation pour autrui ?
En principe, la stipulation pour autrui est révocable tant que le tiers ne l'a pas
acceptée expressément ou tacitement (art.1131 in fine C. civ.). Elle deviendrait, en
conséquence, irrévocable dès son acceptation par le tiers. Cependant, entre époux,
nonobstant son acceptation, la stipulation pour autrui à titre gratuit restera révocable
jusqu'au décès du donateur (art. 1096 C. civ.). Elle ne sortira ses effets qu'à compter du
décès du donateur. Dès lors, si celui-ci révoque la donation, le donataire deviendra plein
propriétaire à compter du décès du donateur. Il n'y aura dans ce cas ni accroissement ni
réversion de l'usufruit en faveur du conjoint du donateur.
En conséquence, l'acceptation de cette stipulation n'est pas obligatoire lors de la
donation, elle n'empêchera pas le donateur de la révoquer.
En droit fiscal
L'administration fiscale envisage deux situations :
1° Lorsqu'il s'agit d'une clause d'accroissement soit sensu stricto, soit imposée à titre de
charge au donataire, aucun droit ne sera dû lors du décès du donateur même si l'acte ne
prévoit pas de manière expresse une charge imposée au donataire 42.
2° Lorsqu'il s'agit d'une clause de réversion sensu stricto ou imposée au donataire en vertu
d'une charge, le droit de donation sera perçu au tarif en vigueur le jour de l'acte et sur la
valeur de l'usufruit établie par application de l'article 47 du Code des droits d'enregistrement
43
.
Quand faut-il payer ces droits de donation ?
Dans les quatre mois du décès du donateur (art. 33 C. enreg.), même si le conjoint
du donateur accepte la stipulation pour autrui dans l'acte de donation44. Précisons enfin que
également supra la critique de l'art. 1097, Section 2, § 2.
42
Circulaire 9 août 1941, R.G.E.N., n° 18.213; voy. aussi
DONNAY, R.G.E.N., 1979, n° 22325, n° 17.
43
DONNAY, R.G.E.N., 1979, n° 22.325, n° 15.
44
DONNAY,
op.
cit.,
n°
15;
DONNAY,
Droits
d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, Rép. not., p.
193, n° 189.
36
l'administration considère qu'il y a acceptation de la stipulation en faveur du conjoint du
donateur dès qu'il intervient à l'acte de donation45.
7° Donation conjointe de l'usufruit et de la nue-propriété
Nous limiterons notre sujet à la donation par un époux de l'usufruit à son conjoint et
de la nue-propriété à une ou plusieurs autres personnes (descendants, parents...).
Le souci du donateur est, dans la majorité des cas, de permettre à son conjoint de
jouir sa vie durant de l'usufruit du bien donné. Nous retrouvons ainsi le souci du donateur
qui a été traduit dans la pratique par le recours aux clauses d'accroissement et de réversion
ou aux donations avec charge. La donation entre vifs de l'usufruit à son conjoint du bien
donné nous semble plus favorable en droit civil et en droit fiscal que la charge imposée au
donataire de laisser au conjoint du donateur s'il lui survit, l'usufruit de tout ou partie du bien
donné.
En droit civil
Si le bien donné constitue le logement familial, le donateur nonobstant la donation
en usufruit à son conjoint, pourra continuer à habiter avec lui et jouir éventuellement de
meubles meublants qui le garnissent si ceux-ci sont compris dans la donation (art. 213 C.
civ.).
Si le bien donné ne constitue pas le logement familial ou les meubles meublants qui
le garnissent, les revenus des biens donnés tomberont en communauté si les époux sont
soumis à un régime de communauté. Par contre, si les époux ont adopté le régime de la
séparation de biens pure et simple, les revenus du bien donné resteront acquis au conjoint
usufruitier. Toutefois, même dans cette hypothèse, la donation en usufruit en faveur de son
conjoint permettra dans certains cas de compenser les désavantages pour un époux d'avoir
opté pour cette forme de régime matrimonial.
Par ailleurs, en cas de divorce, de séparation de corps et de biens, de séparation de
fait ou dans toutes autres hypothèses, comme le désaccord entre les époux, le donateur
disposera toujours de la faculté de révoquer cette donation si celle-ci n'est pas consentie par
contrat de mariage ou par acte modificatif du régime matrimonial (art. 1096 C. civ.). Cette
révocation aurait pour effet d'anéantir rétroactivement la donation46.
45
Déc. 30 janvier 1959, R.G.E.N., 1959, n° 20455.
46
DE PAGE, op. cit., p. 833 et 845.
37
A qui profite cette révocation ?
La résolution de la donation implique que l'usufruit donné au conjoint appartiendra à
nouveau au donateur.
En droit fiscal
Outre les conséquences civiles, la donation en usufruit entre vifs en faveur de son
conjoint est également avantageuse sur le plan fiscal. En effet, le donataire ne paiera des
droits d'enregistrement que sur la valeur de la nue-propriété et le conjoint sur la valeur en
usufruit puisque l'usufruit n'est pas réservé par le donateur (art. 48 C. enreg.). En
conséquence, la base imposable sera déterminée en fonction de la valeur de la nue-propriété
et de celle de l'usufruit (art. 133, al. 3 C. Enreg.). Un exemple nous permettra de nous rendre
compte de cet impact fiscal.
Cette formule est-elle applicable dans tous les cas ?
S'il s'agit d'une donation non réciproque par un conjoint de la totalité de l'usufruit à
l'autre époux, le donateur ne disposera plus d'aucun droit sur le bien donné si son conjoint
usufruitier venait à décéder avant lui. En effet, par application de l'article 617 du Code civil,
l'usufruit aura pris fin par le décès du conjoint usufruitier de sorte que le donataire en nuepropriété deviendra plein propriétaire. Il est toutefois possible de pallier cet inconvénient en
stipulant une charge au donataire en nue-propriété. Il conviendra en effet de prévoir qu'en
cas de prédécès du conjoint usufruitier, le donataire en nue-propriété aura la charge de
laisser la jouissance du bien donné au donateur.
Lorsqu'il s'agit d'une donation avec réserve d'usufruit en faveur du donateur,
réversible sur la tête de son conjoint, la donation en usufruit ne pourra être annulée sur base
de l'article 1097 du Code civil puisqu'il n'y a pas de donation réciproque.
Par contre, lorsqu'il s'agit d'une donation par deux époux d'un bien en nue-propriété
avec donation en usufruit entre ces époux, l'on pourrait, même si cela paraît critiquable,
prétendre que cette donation en usufruit est nulle si elle est constatée par un seul et même
acte (art. 1097 C. civ.).
Même si nous ne croyons pas que cet article soit applicable dans ce cas pour les
motifs que nous avons déjà invoqués, il convient cependant que le notaire assure aux parties
la sécurité juridique de l'opération qu'on lui demande de constater.
Deux solutions nous semblent possibles pour aboutir à cette sécurité.
La première est radicale, le notaire devra recevoir deux actes de donation, l'un par
l'époux, l'autre par l'épouse, chacun d'eux devra cependant intervenir à l'acte de donation
38
de son conjoint pour accepter la donation en usufruit et si l'un des articles 215 - 224 et
1419 du Code civil était applicable (voyez à ce sujet supra section 1). Cette solution
pourra sembler extravagante aux praticiens. Précisons cependant que la différence de
coût représentera souvent peu de choses par rapport au bénéfice fiscal de la donation
entre vifs en usufruit en faveur de son conjoint au lieu de recourir à la donation avec
charge qui est actuellement la clause utilisée dans la pratique.
La seconde solution, plus discutable, aurait pour objet :
1° les époux consentent la donation en nue-propriété à un tiers et se font mutuellement
donation entre vifs de la quote-part de l'usufruit qu'ils détiennent chacun dans le bien donné.
2° une charge imposée au donataire de la nue-propriété d'accorder au conjoint survivant la
jouissance de la part qu'il a donnée à son conjoint. Le conjoint survivant disposera ainsi de
la totalité du bien donné en usufruit, partie en vertu de la donation de son conjoint, partie en
vertu de la charge imposée au donataire de la nue-propriété de la donation.
3° une charge imposée au donataire de la nue-propriété d'accorder la jouissance au conjoint
survivant de la part qu'il a donnée à son conjoint si la donation réciproque en usufruit était
contestée. Ce dernier point aurait pour seul objectif le risque très discutable d'une annulation
de la donation réciproque entre époux consentie par un seul et même acte.
§2. Conjoint donataire
1° Double donation
a) Hypothèse
Des parents ont l'intention de donner à leur enfant un terrain. Celui-ci va y construire
au moyen de deniers communs ou en tout ou partie au moyen de deniers propres de son
conjoint. Comment peut-on protéger le conjoint qui aura investi dans un immeuble dont il
n'est pas propriétaire.
Si le bien donné fait l'objet d'un droit de retour légal (art. 366, § 1, 747 et 766 C.
civ.), le conjoint survivant aura l'usufruit sauf disposition contraire (art. 745bis C. civ.).
b) Analyse de différentes solutions
b.1. Donation du terrain à l'enfant et ensuite donation par celui-ci de la moitié du
terrain à son conjoint
En droit civil
39
Cette solution n'assure pas la sécurité du conjoint. En effet, la donation sera
impérativement révocable ad nutum par l'époux donateur (art. 1096 C. civ.). En
conséquence, cette révocation aura pour effet de faire perdre au conjoint ses droits
immobiliers. Il ne conservera qu'un droit de créance contre son époux.
En droit fiscal
Cette solution n'est guère avantageuse. En effet, les droits d'enregistrement seront
perçus sur la totalité de la valeur du terrain lors de la donation par les parents à l'enfant et
ensuite une seconde fois sur la moitié de cette valeur lors de la donation par l'époux à son
conjoint.
b.2. Donation du terrain à l'enfant et ensuite modification du régime matrimonial
ayant pour objet l'apport du terrain en communauté ou en société d'acquêts
En droit civil
Cette solution assure une plus grande sécurité du conjoint. En effet, l'apport en
communauté par l'époux donateur ne constitue pas durant la vie de celui-ci une libéralité en
faveur de son conjoint47. En conséquence, elle ne peut être révoquée. Si les époux sont
mariés sous le régime légal, il convient de préciser les conséquences de cet apport en
communauté :
1° Cet apport en communauté permettra soit au conjoint survivant soit au conjoint désigné à
défaut d'accord par le tribunal en cas de divorce ou séparation de corps et de biens pour
cause déterminée, de se faire attribuer le bien tombé en communauté s'il s'agit du logement
familial ou de l'immeuble servant à l'exercice de la profession du conjoint qui demande cette
attribution (art. 1446 et 1447 C. civ.)48. Le tribunal devra statuer en considération des
intérêts sociaux et familiaux en cause49.
Les époux peuvent conventionnellement adapter cette possibilité d'attribution préférentielle.
47
DE PAGE, op. cit., T. X, n° 1162; Régimes matrimoniaux
(Droit interne), R.P.D.B., n° 1450 et suiv.
48
L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, Cabay-Bruylant,
1986, p. 237 à 239.
49
L. RAUCENT, op. cit., p. 238; CASMAN et VAN LOOK, Les
régimes matrimoniaux, Ced Samson, 1977, III/20, p. 6-7.
40
2° Si l'immeuble apporté est attribué au conjoint survivant pour une part dépassant la moitié,
ce qui excède cette moitié sera considéré comme une libéralité (art. 1464 C. civ.). Cette
règle ne s'appliquera que si le conjoint survivant n'est pas l'époux qui a fait entrer dans le
patrimoine commun l'immeuble qu'il a reçu.
En droit fiscal
Les droits d'enregistrement seront perçus sur la valeur de l'immeuble donné. Par
contre, l'acte constatant l'apport de l'immeuble au patrimoine commun sera enregistré au
droit fixe général.
b.3. Renonciation au droit d'accession et donation du terrain à l'enfant
La pratique notariale antérieure à la réforme sur les régimes matrimoniaux de 1976
recourait déjà à la formule de la donation d'un terrain par les parents à un enfant et, dans le
même acte ou par acte séparé à la renonciation à l'accession par le donataire en faveur de
son conjoint ou de la communauté qui existait entre eux. L'objectif était surtout d'éviter la
perte que subirait le conjoint du donataire si l'immeuble qui a été construit sur le terrain l'a
été au moyen de fonds communs ou personnels à ce conjoint. Il est vrai que le nouveau
mode de calcul des récompenses (art. 1432 et suiv. C. civ.) permet actuellement de réparer
partiellement l'injustice de l'ancien droit. Toutefois ceci implique que les époux conservent
toutes les preuves de paiement afin de savoir quels sont les fonds communs ou propres qui
ont été utilisés pour la construction. La preuve de la totalité des paiements sera souvent
rendue plus difficile en raison du nombre d'années qui séparent le fait générateur de la
récompense et la date de la dissolution du régime matrimonial.
La formule de la donation par les parents suivie de la renonciation à l'accession par
le donataire en faveur de son conjoint ou de la communauté existante entre eux est à déconseiller pour différents motifs :
1° la donation pourra éventuellement faire l'objet d'une action en réduction qui aboutirait à
faire tomber dans la succession du donateur le terrain avec ses constructions même si cellesci ont été payées au moyen de fonds propres du conjoint du donataire (art. 929 C. civ.).
2° La renonciation à l'accession en faveur de la communauté est discutable en raison de
l'absence de la personnalité juridique de la communauté.
3° Si les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens pure et simple, cette
renonciation en faveur du conjoint du donataire impliquerait que les constructions
n'appartiennent pas au donataire. Peut-on renoncer partiellement à l'accession ?
Il est en conséquence préférable de recourir à la formule suivante :
41
- renonciation à l'accession par les parents en faveur de leur enfant et de son conjoint.
- donation par les parents à l'enfant du terrain grevé en vertu de la renonciation au droit
d'accession.
Cette formule présente un double avantage. D'une part, d'éviter en cas de demande
en réduction de la donation que les constructions tombent dans la masse successorale. En
effet, la réduction ne peut porter que sur l'objet de la donation c'est-à-dire, le terrain grevé de
l'abandon à l'accession. Par ailleurs, cette renonciation est consentie en faveur de l'enfant et
de son conjoint et non en faveur du conjoint du donataire ou de la communauté50.
b.4. Donation simultanée à un enfant et son conjoint
Hypothèse
Des parents ont deux enfants, Marc et Paul. Ils ont l'intention de donner un bien
immeuble à Marc. Ils souhaitent une égalité en valeur entre leurs enfants. Toutefois, ils
désirent limiter leur donation à cet immeuble soit parce qu'ils ne disposent pas de fonds
suffisants pour gratifier Paul, soit parce qu'actuellement ils ne souhaitent pas disposer des
fonds qu'ils détiennent. Par ailleurs, ils ne voient aucun inconvénient à ce que l'immeuble
donné appartienne par la suite à Marc et à son épouse, Christine.
En droit civil
Cette opération pourrait, par exemple, s'effectuer comme suit :
1° Donation par les parents de 50/100ièmes à Paul, de 49/100ièmes à Marc et 1/100ième à
Christine.
2° Cession de droits indivis par Paul à concurrence de 1/100ième à Marc et 49/100ièmes à
Christine.
Cette solution permet de créer une indivision entre Marc et Christine. S'ils se sont
mariés sous le régime de la communauté, le bien restera en principe propre (art. 1399 et
1400, 5 C. civ.).
50
Nous éviterons cependant de parler
juridique de la renonciation à l'accession
sujet le lecteur aux nombreux articles
notamment L. WEYTS, Recyclage 1981 F.R.N.B.
42
ici de la nature
et renvoyons à ce
déjà publiés et
p. 95 à 102.
Par ailleurs, cette formule permettra de rencontrer le souhait des donateurs et plus
précisément l'égalité en valeur entre leurs enfants. En effet, Paul recevra lors de la cession
des droits indivis, la valeur de la moitié de l'immeuble le même jour que Marc qui sera
propriétaire de la moitié indivise du bien immeuble. Christine par contre sera propriétaire de
la moitié de cet immeuble en ayant payé 49% de sa valeur à Paul. L'on pourrait d'ailleurs
imaginer que Christine emprunte afin d'effectuer ce paiement.
Cette solution présente ainsi l'avantage que la partie donnée aux enfants est quasi
identique, aucun d'entre eux n'est lésé ni avantagé puisque chacun reçoit une valeur
identique le même jour.
Ce système assure la protection de Christine puisqu'elle sera propriétaire de la moitié
indivise du bien et dès lors à l'abri de toute révocation puisqu'il n'y a eu aucune donation
entre Marc et Christine. Si le bien immeuble est un terrain, les constructions qui seront
érigées appartiendront aux deux époux. Par ailleurs, ce système permettra d'éviter les aléas
voire les difficultés relatives aux comptes de reprises et récompenses et aux créances entre
époux s'ils sont mariés dans ce dernier cas sous le régime de la séparation de biens.
En droit fiscal
Ainsi que nous l'avons analysé, cette formule est avantageuse en droit civil et
notamment parce que :
- l'action en réduction est en principe exclue.
- l'égalité en valeur est assurée.
- le conjoint du donataire disposera d'une partie du bien en pleine propriété sans faculté de
révocation comme l'aurait été une donation directe par son époux.
- aucun décompte entre les époux ne sera nécessaire lors de la dissolution du mariage
(compte de reprises et récompenses ou droit de créances entre époux).
L'on ne pourrait dès lors prétendre que cette solution vise uniquement l'avantage
fiscal qui pourrait en résulter51. Par ailleurs, nous ne percevons pas comment
l'administration fiscale pourrait sur base de l'article 18 du Code des droits d'enregistrement
et par application de la circulaire du 18 décembre 1995 requalifier cette opération.
Cette avantage fiscal est double :
- la donation à plusieurs personnes permettra d'éviter partiellement la progressivité des
droits d'enregistrement. Le taux de taxation sera d'autant plus faible qu'il y a de donataires.
51
Voy. pour la simulation, DONNAY, op. cit., Rép. not.,
p. 413 et 414.
43
- le droit de partage ne sera dû que sur les quotités cédées puisque l'indivision ne prend pas
fin.
Le seul inconvénient réside dans le taux (étranger) applicable en vertu de la donation
d'une quotité au conjoint de l'un des donataires. Cet inconvénient est cependant minime car
cette quotité le sera également (dans notre exemple 1/100ième).
44
Chapitre II. La cohabitation
Le souhait de partenaires non mariés d’assurer la protection du survivant lors du
décès de l’un d’entre eux est un souhait auquel les praticiens sont fréquemment
confrontés puisque, vous le savez, la loi ne prévoit aucun droit légal à hériter de son
partenaire, sauf le cas du mariage. La loi sur la cohabitation légale n’a rien changé à cet
égard.
La transmission du patrimoine et la protection du survivant peut être envisagée de
plusieurs manières :
- la donation ;
- le testament ;
- les contrats aléatoires (tontine et a clause d’accroissement) ;
- le bail à vie ;
- le commodat ;
- la vente.
Section 1.- La donation
Pour rappel, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille
actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire, qui
l’accepte.
Ce caractère irrévocable, inhérent à tous les contrats, est d’ailleurs renforcé quand
il s’agit d’une donation : non seulement les parties au contrat ne peuvent y mettre fin de
manière unilatérale mais, en outre, elles ne peuvent, même de commun accord, assortir la
donation de modalités ou de clauses qui leur permettraient de se réserver un moyen de se
soustraire à l’exécution du contrat (« donner et retenir ne vaut »).
Comme tout contrat, la donation doit avoir une cause, laquelle doit en outre être
licite, c’est à dire qu’elle ne peut être prohibée par la loi, contraire aux bonnes mœurs ou
à l’ordre public.
En matière de cohabitation, la notion de « contrariété aux bonnes mœurs » a subi
une évolution importante ces dernières années pour arriver à la conclusion que le
concubinage, même adultère, n'est plus en soi une présomption d'un mobile illicite
déterminant.
De plus, la reconnaissance - par la loi du 23 novembre 1998 instaurant la
cohabitation légale - de la vie commune, y compris entre personnes du même sexe,
permet de conclure que les juges admettront difficilement que la cause d’une donation
entre cohabitants est illicite parce que contraire aux bonnes mœurs.
45
De même, la loi sur le mariage des homosexuels ne fait que renforcer cette idée
de licéité de la donation entre cohabitants.
COMPARAISON AVEC LE MARIAGE
Si l’on compare la donation entre cohabitants et la donation entre époux, 2
différences fondamentales doivent être soulignées : il s’agit du coût de la donation et du
caractère irrévocable de celle-ci.
§ 1. Le coût
Pour rappel, la donation est en principe un acte solennel qui doit, en vertu de
l’article 931 du Code civil, se réaliser par acte authentique. Or, les donations par acte
authentique sont nécessairement soumises au droit d'enregistrement des donations.
Actuellement, entre époux, le taux s’établit comme suit :
En régions wallonne et flamande
- de 0,01 à 12.500
- de 12.500 à 25.000
- de 25.000 à 50.000
- de 50.000 à 100.000
- de 100.000 à 150.000
- de 150.000 à 200.000
- de 200.000 à 250.000
- de 250.000 à 500.000
- au-delà de 500.000
3%
4%
5%
7%
10 %
14 %
18 %
24 %
30 %
En région bruxelloise
- de 0,01 à 50.000
- de 50.000 à 100.000
- de 100.000 à 175.000
- de 175.000 à 250.000
- de 250.000 à 500.000
- au-delà de 500.000
3%
8%
9%
18 %
24 %
30 %
Entre cohabitants, le taux diffère également d’une région à l’autre du pays. En principe, il
s’agit du taux « entre toutes autres personnes », soit :
Pour les régions wallonne et flamande :
46
- de 0,01 à 12.500
- de 12.500 à 25.000
- de 25.000 à 75.000
- de 75.000 à 175.000
- au-delà de 175.000
30 %
35 %
50 %
65 %
80 %
En région bruxelloise, le taux s’établit comme suit :
- de 0,01 à 50.000
- de 50.000 à 75.000
- de 75.000 à 175.000
- au-delà de 175.000
40 %
55 %
65 %
80 %
Toutefois, chacune des régions a prévu des règles d’assimilation, sous certaines
conditions qui diffèrent d’une région à l’autre, du taux applicable aux cohabitants légaux
à celui du taux applicable entre époux :
- en région bruxelloise : cohabitant = personne qui se trouve en situation de
cohabitation légale au sens du titre Vbis du livre III du Code civil.
- en région wallonne : Cohabitant = personne qui, au moment de l'ouverture de la
succession, était domiciliée avec le défunt et avait avec celui-ci une déclaration de
cohabitation légale conformément aux dispositions du livre III, titre V bis, du Code civil,
à l'exception de deux personnes qui sont frères et/ou soeurs, oncle et neveu ou nièce, et
tante et neveu ou nièce, pour autant que la déclaration de cohabitation légale ait été reçue
plus d'un an avant l'ouverture de la succession
- en région flamande : cohabitant =
1° la personne qui, à la date d'ouverture d'une succession, vivait ensemble avec le défunt
conformément aux dispositions du livre III, titre Vbis du Code civil;
ou
2° la ou les personnes qui, à la date d'ouverture d'une succession, vivaient ensemble avec
le défunt, sans interruption depuis au moins un an et tenaient un ménage commun avec
lui. Ces conditions sont censées également être remplies si la cohabitation et la tenue d'un
ménage commun avec le défunt, consécutive à la période de un an jusqu'au jour du décès,
est devenue impossible pour cause de force majeure. Un extrait du registre de population
constitue une présomption réfutable de la cohabitation ininterrompue et de la tenue d'un
ménage commun.
Il résulte de ce qui précède que l’inconvénient du coût fiscal de la donation n’existe pas
pour les cohabitants qui remplissent les conditions d’assimilation.
47
§2. La révocabilité.
L'article 1096 du Code civil stipule que "toutes donations faites entre époux
pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs,
seront toujours révocables". Cet article déroge donc expressément à l'article 894 du Code
civil qui dispose que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille
actuellement et irrévocablement de la chose donnée.
La motivation de cet article est de lutter contre le risque d'actes de disposition
irréfléchis ou suggérés entre époux.
Mais cohabitation n'est pas mariage.
Dès lors, les donations entre cohabitants seront soumises au régime de l'article
894 du Code civil : elles seront par nature irrévocables. Or, l'expérience montre que les
risques d'actes de disposition irréfléchis ou suggérés entre cohabitants est aussi grand,
voire plus important, qu'entre époux. La motivation de la disposition impérative
organisée par l'article 1096 du Code civil se retrouve dans la plupart des formes de vie
commune.
Section 2.- Le testament
Le testament est un acte unilatéral, à cause de mort, toujours révocable. La
révocabilité est de l’essence du testament.
Il exprime dès lors une volonté précaire, qui ne devient définitive que par le décès
ou par l'incapacité du disposant à modifier cette disposition.
Face à la cohabitation, cette liberté de modifier un testament est normalement le
pendant à la liberté de cesser la vie commune à tout moment. Le testament apparaît donc
comme le mode normal de disposer entre cohabitants, ce qui constitue un premier
avantage.
Il existe un deuxième avantage au testament : sa discrétion totale, y compris dans
les changements qui peuvent y être apportés, spécialement si le testament est olographe.
Sur le plan du coût, le testament pouvait, jusqu’il y a peu, se révéler très
désavantageux, son coût (les droits de succession) n’étant pas différent de celui d'une
autre libéralité (sauf en région wallonne, où les droits de succession sont plus élevés que
les droits de donation).
48
Les législations régionales récentes ont cependant, à certaines conditions
différentes d’une région à l’autre, aligné les droits de succession entre cohabitants sur les
droits de succession entre époux. Cette assimilation est identique à celle qui existe en
matière de droits de donation 52.
Il subsiste cependant deux inconvénients du testament :
- son caractère révocable qui, s’il est un avantage pour le testateur, est un inconvénient
pour le bénéficiaire qui peut, à tout moment, être « dégommé » de la succession ;
- mais, surtout, le recours à ce procédé ne peut être utile lorsqu’en plus du cohabitant, le
testateur laisse des héritiers réservataires et que le testament a pour effet de porter atteinte
à la réserve.
Section 3. Les contrats aléatoires
§ 1.- Généralités et définition
Ces deux procédés permettent d’attribuer, au décès du prémourant des propriétaires d’un
bien en indivision, la totalité du bien au survivant d’entre eux.
La terminologie « tontine » et « clause d’accroissement » est parfois un peu confuse. La
pratique ne retient plus que les clauses d’accroissement, lesquelles font intervenir des
conditions suspensives: “chacun des copropriétaires du bien cède sa part à l’autre, sous la
condition suspensive de son prédécès. En contrepartie de cette cession, le cédant acquiert
une chance égale d’obtenir la part de l’autre si c’est lui qui survit”.
Cette clause peut porter soit sur la pleine propriété soit sur l’usufruit d’un bien.
Son grand avantage est qu’il s’agit d’un contrat à titre onéreux : les parties échangent une
chance d’acquérir au décès de l’autre la totalité du bien. Pour autant que ces chances
soient égales, c’est-à-dire que les parties aient le même âge ou aient compensé la
différence d’âge entre elles par une différence dans le prix qu’elles ont payé, le contrat
est aléatoire pour chacune d’elles, ce qui exclut l’idée de libéralité.
Les concubins peuvent ainsi échapper aux règles de protection des héritiers réservataires.
Situation au point de vue fiscal
52
Voy supra
49
Fiscalement, les différents mécanismes de la tontine aboutissent à des résultats
similaires sur le plan fiscal 53.
Prenant comme hypothèse, une tontine en pleine propriété sur immeuble, lors de
la réalisation de la condition, le droit d'enregistrement dû sur les mutations à titre onéreux
sera perçu au taux en vigueur lors de l'acte et sur la valeur des droits cédés lors de la
réalisation de la condition 54. La perception sera donc la même dans les deux systèmes,
que le cédant soit le vendeur initial (système Nast) ou le coacquéreur.
§ 2. Eléments d'évaluation économique du contrat de tontine
Les éléments mis en jeu : âge, état de santé, sexe
Sauf si elle est conclue sur base d'une cause "animus donandi", et donc quelle que
soit sa forme, la tontine est, dans la réalité des conventions entre les contractants, un
contrat impliquant la détermination des éléments faisant l'objet de l'échange, voire de la
vente si la prestation de l'un d'eux était principalement constituée par un prix.
Dans le cas habituel où deux personnes, acquérant ou possédant ensemble un
immeuble, veulent se céder mutuellement leurs droits à titre onéreux, le prix qu'ils
reçoivent est la chance d'obtenir la totalité du bien aux mêmes conditions.
Il convient donc que les éléments d'appréciation de l'évaluation aléatoire soient
corrects.
En France, le contrat de tontine est classé dans la matière des contrats d'assurance.
Si, en Belgique, la loi n'en fait pas état, les mêmes principes que ceux relatifs aux primes
d'assurance trouvent à s'appliquer. Une corrélation objective doit exister entre la prime
payée et le bénéfice de la police.
Les éléments d'appréciation des risques couverts seront :
- l'état de santé des parties, dans leurs rapports l'un vis-à-vis de l'autre,
- l'âge et le sexe, dans la mesure où il est admis que la durée de vie d'une femme est
statistiquement supérieure à celle d'un homme du même âge de 4 à 5 ans.
Mais il faut aussi tenir compte des éléments contractuels du contrat.
Spécialement, la non rétroactivité du contrat signifie dans la plupart des cas que les
53
voy. P. CULOT, in "Le Notaire, votre partenaire aujourd'hui et
demain", Bruxelles, Bruylant, 1992, p.294
54
c. enr. 15, 16 et 114.
50
contractants vont acquérir l'usufruit en indivision jusqu'au premier décès. Dès lors, le
contrat aléatoire ne porte généralement que :
- sur l'usufruit entre le premier décès et le second, lorsqu'il s'agit d'une tontine en
usufruit;
- sur la nue propriété après le premier décès si la tontine est en propriété.
Eléments de calcul
Les actuaires peuvent établir des normes d'évaluation précise.
Les parties ont tendance à considérer qu'elles sont deux êtres égaux et elles
considèrent a priori les chances égales, quel que soit leur âge.
Une solution raisonnable est d'apprécier la valeur des droits mis en jeu, même de
manière sommaire. Nous nous bornerons ici à la situation la plus fréquente : celle de la
tontine en usufruit. Pour plus de détail, nous renvoyons le lecteur à notre étude lors de
Journées notariales de Louvain-la-Neuve 55.
Normes d'évaluation d'une tontine en usufruit
Nous supposerons que l'état de santé des contractants est normal et n'implique pas
de correction nécessaire. En outre, nous supposerons que selon l'usage le plus fréquent,
les tontiniers souhaitent bénéficier de l'usufruit conjointement jusqu'au premier décès.
Lors d'une Journée d'études dont les travaux n'ont pas été publiés et qui fut tenue
à Louvain-la-Neuve le 1er décembre 1990, les actuaires KUYPER, PHILIPPE et JeanLuc LEDOUX avaient établi des tableaux chiffrés facilitant l'évaluation et, en particulier,
les tableaux de la valeur de l'usufruit sur une tête.
Résumé de ce tableau, pour les principaux âges.
Valeur d'un usufruit sur une tête en pourcentage de la pleine propriété (taux de
capitalisation 4%)
Age
25
28
30
Valeur
85,22
83,37
82,04
Age
50
53
56
55
Valeur
63,59
60,00
56,23
"Aspects économiques de la tontine", in Le notaire , votre
partenaire, aujourd'hui et demain, Bruxelles, Bruylant, 1992, p.264
51
35
38
40
43
45
48
78,33
75,82
74,03
71,15
69,11
65,87
60
63
66
70
75
80
50,96
46,88
42,73
37,19
30,45
24,16
1. Pour tenir compte de la différence de sexe, diminuer l'âge de la femme de 2 et
augmenter l'âge de l'homme de 2.
2. Le tableau donne une approche de la valeur des usufruits acquis par les
tontiniers de manière approximative mais souvent suffisante.
______________________________________________________________
Si deux personnes de sexe différent veulent conclure une tontine en usufruit, il
faut considérer à partir de ce tableau que l'usufruit acheté par un homme de 40 ans
représente 72,5% environ de la valeur de la pleine propriété et que l'usufruit acquis par
une femme de 30 ans représente 83,3% de la même valeur. En simplifiant l'évaluation, on
considérera donc que l'usufruit acquis ou mis en commun dans le cadre du contrat de
tontine a une valeur par rapport à la pleine propriété de 72,5 + 83,5 : 2 = 78% de la pleine
propriété.
S'il y a acquisition et tontine en usufruit et acquisition de la nue-propriété en
indivision ordinaire, les parties devront donc payer :
- 22% du prix de vente au titre de l'acquisition de la nue-propriété (prix de la nuepropriété, devenant pleine propriété à partir du décès du survivant des acquéreurs. Cette
valeur de la nue-propriété peut être répartie entre les acquéreurs comme ils l'entendent et
selon les modalités convenues entre eux.)
- 78% du prix se rapportera à l'achat de l'usufruit et sera réparti entr'eux selon la
règle de valeur de l'usufruit.
Nécessité d'une équivalence des prestations
Dans le cadre de la tontine, il n'y a pas une obligation absolue d'assurer
l'équivalence des prestations, comme dans un acte de vente, il peut y avoir vente même si
le prix est inférieur à la valeur vénale. Dans tout contrat onéreux, les parties disposent
d'une certaine liberté dans la fixation du prix.
On entend parfois dire que le contrat serait nul s'il n'y a pas équivalence des
prestations. Cela est inexact. Mais le contrat pourrait être requalifié en libéralité. Pour
autant que le caractère libéral n'apparaisse pas de manière évidente, on serait alors dans
le domaine des libéralités déguisées.
52
Il n'y a problème qu'à partir du moment où les prestations seraient tellement
déséquilibrées que le caractère libéral du contrat apparaîtrait évident car, dans ce cas, on
pourrait invoquer que le contrat est une libéralité directe soumise à des règles de forme
strictes et obligatoires.
Paiement d'une soulte
L'équivalence des prestations n'implique pas l'égalité immédiate des prestations
assumées par chacun. L'équivalence des prestations peut être assurée par le paiement
d'une soulte à l'expiration du contrat.
Exemple : dans le cas évoqué ci-avant, l'acquisition par Roméo et Juliette âgés
respectivement de 40 et de 30 ans peut être réalisée en répartissant le prix selon la clef de
répartition évoquée ci-avant.
Mais elle pourrait être également assurée en indiquant que Roméo et Juliette
paient chacun la moitié du prix soit 2.000.000Frs. Il convient alors de stipuler qu'en cas
de prédécès de Roméo, compte tenu du fait que Juliette a plus de chances de survivre,
elle devra une soulte à la succession de Roméo. Cette soulte n'étant pas payée maintenant
mais étant payée au décès de Roméo, et uniquement dans cette hypothèse, elle ne devrait
pas être de la moitié de la différence évaluée actuellement soit 110.000Frs (comme dans
l'exemple ci-avant). La soulte sera plus élevée, en tenant compte, par exemple, d'un
intérêt capitalisé. Elle pourrait être dans notre exemple, de 200.000Frs ou de 250.000Frs
environ.
§ 3.- Les contrats de tontine conclus pour une durée déterminée
Un contrat aléatoire, comme tout acte constitutif d'un droit peut être conclu pour
une durée déterminée. Cette règle s'applique aussi bien au contrat de tontine en propriété
qu'en usufruit.
Aujourd'hui, on constate un nombre croissant de contrats aléatoires établissant
une clause d'accroissement en propriété ou en usufruit entre indivisaires conclus pour une
durée limitée. Cette durée varie dans les contrats rencontrés entre deux et dix ans.
Cela ne pose, en soi, aucun problème juridique.
La clause qui appelle réflexion et interrogation est celle qui accompagne
généralement ces dispositions et selon laquelle le contrat se renouvellera tacitement à
l'échéance (avec ou sans préavis avant l'échéance).
53
La difficulté concerne la nature du contrat renouvelé.
En effet, il faut se placer au moment du renouvellement du contrat pour apprécier
si les prestations restent équilibrées et si le contrat peut encore être qualifié d'onéreux. Si
je suppose que lors de l'échéance du contrat et de son renouvellement tacite, Roméo est
dans le coma, en phase finale d'un cancer généralisé, il n'y a évidemment plus respect de
l'équilibre des prestations. Le contrat ne se renouvellerait non plus à titre onéreux mais à
titre gratuit.
Il est difficile de faire comprendre cette problématique aux tontiniers lorsqu'ils
concluent un contrat et, dès lors, la pratique est fort divisée sur l'utilité d'une telle clause
et les risques qu'elle présente.
Personnellement, nous ne pouvons que la déconseiller.
Nous conseillons plutôt de conclure un contrat à durée déterminée en attirant
l'attention des parties sur la nécessité de renouveler ce contrat à son échéance, si les
parties le souhaitent encore.
§ 4. Tontine et droit de sortir de l'indivision
Existe-t-il une indivision entre les tontiniers ?
La question est depuis longtemps posée en doctrine : existe-t-il une indivision
entre les tontiniers ? Au XIXème siècle déjà, le problème était posé 56.
Le tribunal de Nivelles, dans un jugement rendu le 31 mai 1994 57 a, concernant
une "tontine" en usufruit, jugé que les parties étaient en indivision pour la nue-propriété
mais que, pour ce qui concernait l'usufruit, elles étaient liées par une clause de tontine. Il
n'y a, selon ce tribunal, pas indivision sur la partie du droit faisant l'objet de la clause.
Si l'on applique ce raisonnement à la clause d'accroissement en pleine propriété, il
faut conclure qu'il n'existe plus d'indivision entre les tontiniers. En fait, ceux-ci possèdent
le bien en indivision mais, dès la signature de la clause d'accroissement, chacun cède ses
droits à l'autre sous la condition suspensive de son prédécès. Ayant cédé réciproquement
leurs droits, ils ont mis fin à l'indivision et il n'existe plus qu'un seul propriétaire du bien :
celui qui survivra, même si les droits de ce survivant sont conditionnels jusqu'au décès du
prémourant, et si dans cette attente ils exercent conjointement le droit de jouissance.
56
Cass., 3 mai 1880, Rev. Not. b., 1880, p. 629
57
Rev. Not. b., 1994, pp. 536 et 537
54
La jurisprudence française a clairement exprimé ce principe : "par la clause de
tontine, chaque acquéreur est réputé être seul propriétaire des biens acquis, à compter de
la date de son acquisition, sous les conditions résolutoire de son prédécès et suspensive
de sa survie (...). En conséquence, les acquéreurs n'ont jamais eu de droits coexistant sur
le bien acquis 58".
Un tontinier peut-il assigner en sortie d'indivision ?
Puisqu'il n'existe plus d'indivision entre les tontiniers, l'action en partage de
l'article 815 du Code Civil ne pourrait pas être exercée par l'un d'eux. Seule une
convention bilatérale entre les tontiniers permettra de mettre fin à la clause de tontine.
Le jugement du Tribunal de Nivelles dont question ci-avant a d'ailleurs rejeté la
demande de sortie d'indivision au motif que cette demande devait s'analyser en une
renonciation unilatérale à la clause de tontine, une telle renonciation unilatérale étant
impossible.
De même, l'arrêt ci-avant relaté rendu par la Cour d'Appel de Versailles, le 8
janvier 1998 59, rappelle que la clause de tontine exclut que les parties puissent
unilatéralement demander le partage.
Le Tribunal Civil de Bruxelles a cependant jeté un pavé dans la mare : dans un
jugement du 12 septembre 1997 60, il estime qu'il "y a lieu de raisonner à partir du but et
de la cause de la tontine; la tontine a un but fiscal, ainsi qu'un but civil, à savoir permettre
au survivant des concubins de rester dans l'immeuble jusqu'à sa mort. A partir du
moment où la cause et le but disparaissent, la tontine doit disparaître également. Comme
les concubins sont séparés et qu'aucun d'entre eux n'est mort, monsieur demande la sortie
d'indivision. De plus, la volonté des parties ne peut avoir pour effet d'empêcher un bien
d'être vendu (articles 537 et 1598 du Code Civil). 'Tout ce qui est dans le commerce peut
être vendu lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation.' (...) Attendu
que le but poursuivi par la tontine était de partager durant la vie commune une maison
achetée en commun et de se ménager des garanties en cas de décès d'une des parties; que
l'indivision ne peut être soumise au partage tant que dure la vie commune des époux ou
58
H.L., note sous C.A. Versailles, 8 janvier 1998, Droit de la
famille, Ed. Juris-Classeur, novembre 1998, p. 12; V. MORIN, note sous
Cass., 1re civ., 11 janvier 1983, Defrénois, 1983, art. 33114, p. 986;
Cass., 1re civ., 27 mai 1986,
Defrénois, 1987, art. 33888, p. 257
59
Droit de la famille, Ed. Juris-Classeur, novembre 1998, p. 11
60
J.L.M.B., 1999, pp. 1018 et ss
55
des concubins; attendu qu'en l'espèce la dame V. ne conteste pas que le concubinage ait
pris fin; que les buts de la tontine sont devenus impossibles et irréalisables; que le bon
sens impose dès lors une sortie d'indivision pour un immeuble inoccupé".
Nous ignorons si appel a été interjeté de ce jugement. Quoi qu'il en soit, il
invoque deux arguments pour autoriser la sortie d'indivision :
- la libre circulation des biens.
- la disparition de la cause du contrat.
En ce qui concerne le premier argument, on peut se demander s'il est pertinent. En
effet, comme déjà rappelé, le bien est, dès la conclusion de la convention entre les
tontiniers, d'ores et déjà, aliéné. Il l'est certes sous condition suspensive (le décès de l'un
d'entre eux), mais de manière définitive. La seule inconnue est l'identité du propriétaire
final. Pendente conditione, rien n'empêche chacun des tontiniers d'aliéner ses droits dans
l'immeuble même si, sur le plan économique, le fait que ces droits soient conditionnels et
puissent correspondre à zéro en cas de prédécès de l'aliénateur ne change rien à ce
principe.
Concernant le deuxième argument, la réflexion juridique est en pleine évolution et
il semble que la jurisprudence continue à suivre cette voie.
Opposabilité de la clause aux créanciers ?
La question de l'opposabilité de la clause d'accroissement aux créanciers
personnels de l'un des contractants est depuis longtemps posée en doctrine. La majorité
des auteurs a considéré que la convention entre les tontiniers ne pouvait pas préjudicier
aux droits des créanciers. Ceux-ci pouvaient dès lors saisir le bien et provoquer le partage
sur base de l'article 1561 du Code Judiciaire 61.
Le tribunal civil de Liège 62 a ainsi fait droit à la demande en partage d'un
créancier, suivant en cela l'enseignement du Professeur de Leval 63 qui estime que "la
tontine ne peut créer une cause d'insaisissabilité opposable aux créanciers des acquéreurs;
à leur égard, il y aura tout simplement une indivision régie par l'article 1561 du Code
Judiciaire".
61
F. BOUCKAERT, Un procédé juridique oublié : la tontine, Rev. Not.
b., 1983, p. 570; G. RASSON, Tontine - Aspects civil et fiscal, Rev. Not.
b., 1990, p. 313 et notes citées
62
Civ. Liège, 27 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, pp. 727 et ss
63
G. de LEVAL, "La saisie immobilière", Rép. Not., t. XIII, l. II,
p. 115, n° 65
56
Le tribunal ajoute qu'il faut également tenir compte de l'article 815 du Code civil
qui prévoit qu'une convention d'indivision ne peut être illimitée et ne peut être obligatoire
au delà de 5 ans. Or, en l'espèce, le délai de 5 ans était passé sans qu'un renouvellement
du pacte d'indivision ait été transcrit.
Ces arguments se rapprochent étrangement de ceux invoqués dans le jugement du
tribunal de Bruxelles évoqué sous le numéro précédent. Ne faudrait-il pas distinguer
entre les créanciers dont les droits étaient nés avant la conclusion de la tontine
(inopposabilité à leur égard) et ceux dont les droits sont nés postérieurement ?
Le voeu de voir conservés intacts les droits des créanciers a été ignoré en
jurisprudence française, par la Cour de Cassation dans son arrêt du 27 novembre 1970 64,
lorsqu'elle a décidé que les créanciers n'avaient pas le droit de provoquer le partage
puisque, par définition, il n'existe pas d'indivision entre les acquéreurs.
Par ailleurs, admettre l'application de l'article 815 du Code civil aux créanciers,
sans l'admettre aux tontiniers, ne relève-t-il pas de l'incohérence juridique ?
Les créanciers peuvent-ils saisir les droits indivis de leur débiteur ?
Si l'on accepte qu'il y a impossibilité, pour les créanciers, de requérir la sortie
d'indivision, il convient alors de considérer que ces créanciers peuvent saisir les droits de
leur débiteur. Ces droits sont sans doute conditionnels 65 mais ils existent.
En effet, "ne disposant pas d'autres droits que ceux de leur débiteur, ils (les
créanciers) ne peuvent saisir que ce dont ce dernier est propriétaire 66". Certes, la vente
64
D.S., pp. 81 à 83; voy également J. PATARIN, obs. Cass. 27 mai
1986, Rev. Trim. dr. Civ., 1987, p. 383
65
B.H. DUMORTIER, Recherche d'un nouveau fondement de la validité de
la clause d'accroissement eu égard à la prohibition du pacte sur
succession future, Rev. Trim. dr. civ., 1987, n° 8; J. PATARIN, op. cit.,
p. 383; J.F. TAYMANS, "Le sort de l'immeuble acquis en commun dans le
cadre d'une union libre, in L'Union libre, Actes du colloque tenu à
l'U.L.B. le 16 octobre 1992, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 192; J.L.
LEDOUX, R.P.D.B., v° Saisie immobilière, compl. T. VIII, n° 48; J.L.
LEDOUX, Saisie immobilière de biens appartenant à un couple, Rev. Not.
b., 1994, p. 116
66
J.F. TAYMANS, op. cit., p. 194
57
forcée d'une propriété conditionnelle n'attirera pas beaucoup d'amateurs
créancier peut se porter acquéreur.
67
, mais le
Ainsi, dans une clause d'accroissement en pleine propriété, il n'y a plus indivision.
Chaque contractant a, dès la signature de la convention, cédé ses droits à l'autre sous la
condition suspensive et de son prédécès. Il a, de même, acquis les droits de l'autre
contractant dans l'immeuble sous la condition suspensive de sa survie. Les contractants
ont mis fin à l'indivision et la seule inconnue qui subsiste, c'est de savoir lequel des deux
contractants survivra à l'autre, c'est-à-dire de savoir lequel des deux deviendra
propriétaire de tout l'immeuble.
Sans doute peuvent-ils contractuellement recréer l'indivision en annulant le
contrat de tontine. Fiscalement, cette disposition est neutre car l'on admet l'annulation du
contrat sans paiement de droits d'enregistrement en cas de modification du contrat avant
la réalisation de la condition. Il faut également en déduire que si les droits d'un tontiniers
sont saisis par un créancier, il est impossible aux tontiniers de mettre fin au contrat de
tontine, du moins à l'égard de ce créancier.
La Cour de Cassation française, dans un arrêt du 18 novembre 1997 68 a entériné
ce raisonnement : elle a cassé un arrêt de la Cour d'Appel de Limoges qui avait déclaré
nul un commandement de saisie immobilière d'un bien grevé d'une clause de tontine en
pleine propriété. La Cour de Cassation a reconnu que l'immeuble faisait partie du gage
commun des créanciers, tout en précisant que le droit de gage du créancier ne pouvait
s'exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire; en l'occurrence, le droit de
propriété du débiteur est conditionnel.
Le danger, pour les créanciers, ne provient dès lors ni de l'indivision, ni de
l'insaisissabilité des biens, mais du caractère conditionnel de leur gage qui en rend la
valeur économique réduite, voire nulle 69.
L'opposabilité de la clause d'accroissement aux créanciers et le caractère
conditionnel de leur gage ne sont toutefois pas absolus : les créanciers peuvent, en effet,
toujours intenter l'action paulienne lorsque les actes posés par leur débiteur sont
frauduleux à leur égard. L'exercice de cette action nécessite l'existence d'une créance
antérieure à l'acte incriminé, une faute (celle du débiteur et du tiers complice), un
préjudice (celui du créancier) et un lien de causalité : le préjudice du créancier doit avoir
67
J. PATARIN, op. cit., p. 383
68
Droit de la famille, Ed. du Juris-classeur, mai 1998, p. 22
69
G. de LEVAL, op. cit., p. 115
58
été causé par l'acte frauduleux 70. Dans la mesure où la clause d'accroissement entraîne
une diminution de la valeur économique du gage des créanciers et leur cause dès lors un
préjudice, si la créance de ces derniers est antérieure à la convention et s'ils peuvent
établir la complicité du cocontractant, ils pourront indiscutablement se voir déclarer
inopposable, à leur égard, la clause d'accroissement.
Section 4.- Le bail à vie
Une bonne solution ?
Le recours au procédé du bail à vie est depuis longtemps préconisé en vue de
protéger le partenaire survivant 71.
L'inconvénient majeur du bail à vie par rapport à la clause d'accroissement - outre
celui de rendre en pratique l'immeuble indisponible ou à tout le moins difficilement
négociable - est en effet que le bail à vie nécessite la fixation et, partant le paiement d'un
loyer correspondant à un loyer normal du bien. L'absence d'un tel loyer ou la fixation
d'un loyer dérisoire pourra, en effet, constituer une libéralité indirecte 72.
Il y a, à cet égard, lieu de distinguer deux hypothèses :
a) les deux partenaires sont copropriétaires indivis de l'immeuble
Ils peuvent, dans ce cas, se conférer réciproquement un bail sur leur part indivise :
un tel bail d'une chose indivise est parfaitement valable 73.
Quant au loyer, il faut à nouveau distinguer :
70
Civ. Liège, 27 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, p. 728
71
voy e.a. N. VERHEYDEN-JEANMART, "Le statut patrimonial du ménage
de fait", in Le ménage de fait, colloque organisé les 21 et 22 novembre
1985 par le Centre de Recherches Juridiques de l'U.C.L., p. 43; J.F.
TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, Le statut des biens acquis par
deux concubins, Rev. Not. b., 1985, pp. 355 et 356; J.F. TAYMANS,
Considérations complémentaires sur le statut des biens acquis par deux
concubins, Rev. Not. b., 1987, pp. 582 à 584
72
N. VERHEYDEN-JEANMART, op. cit., p. 43; J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE
et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356
73
J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 355
59
- du vivant des deux partenaires : le loyer ne devant pas nécessairement consister en une
somme d'argent, "le caractère réciproque du bail aboutit à ce que chacun fournit à l'autre
une prestation qui équivaut à un prix 74".
En cas de rupture du couple, la contre-prestation ayant disparu, il y aura lieu de
fixer, dans la convention, le montant du loyer à payer au partenaire qui cessera d'habiter
l'immeuble 75.
- de même, au décès de l'un des partenaires, la convention devra fixer le montant du loyer
à payer aux héritiers ou ayants droit du prédécédé.
Jean-François Taymans 76 est cependant d'avis qu'il est possible de stipuler
qu'aucun loyer ne sera dû aux héritiers du prédécédé, "pareille stipulation constituant non
une libéralité, mais un contrat aléatoire", l'élément incertain étant, comme en matière de
clause d'accroissement, le prédécès de l'un ou de l'autre des partenaires : chacun d'eux
confère à l'autre une chance de demeurer habiter dans l'immeuble après son décès, en
échange de la chance qu'il a de lui-même demeurer dans l'immeuble s'il survit.
L'aléa étant le fondement de l'absence de loyer, nous renvoyons à ce sujet à
l'obligation relative à l'égalité des chances en matière de tontine et de clause
d'accroissement, et les manières de rétablir cette égalité en cas de différence d'âge entre
les deux partenaires 77.
Mais observons que l'aléa n'est pas en soi exclusif d'une cause "gratuite" et donc
d'une requalification du contrat en libéralité, au point de vue de la perception des droits
d'enregistrement ou de succession.
b) l'immeuble est la propriété d'un seul des partenaires
Le bail peut prendre cours :
- soit lors de sa conclusion, du vivant du bailleur. Il faut, dans ce cas, préciser que ce bail
ne confère au preneur qu'une jouissance partagée avec le bailleur sous peine de priver
celui-ci de tout droit de jouissance de son propre immeuble 78;
74
J.F. TAYMANS, op. cit., p. 582
75
J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356
76
op. cit., p. 582
77
voy à ce sujet l'exemple proposé par J.F. TAYMANS, op. cit., pp.
582 à 584
78
J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356
60
- soit au décès du bailleur : pour autant que le bailleur ne se réserve pas la faculté de
mettre fin anticipativement au bail, celui-ci n'est pas considéré comme un pacte sur
succession future 79. Il faut, en effet, pour qu'il y ait pacte sur succession future, que le
bien constitue un élément du patrimoine d'une succession non ouverte d'une personne qui
attribue à une autre personne, dans sa succession, des droits purement éventuels sur ce
bien 80. Or, dans le cas d'un bail à vie prenant cours au décès du bailleur avec
impossibilité, pour ce dernier, de mettre unilatéralement fin au bail, le bailleur s'est
définitivement lié, de sorte que les droits du preneur ne sont pas purement éventuels 81.
Il existe évidemment un risque qu'entre la conclusion du bail et le décès du
bailleur, l'entente entre les partenaires se détériore : le bailleur, qui s'est définitivement
engagé et qui ne peut mettre fin unilatéralement à son engagement, ne pourra se libérer
du bail qu'avec l'accord du preneur.
La fixation du loyer
Lorsque le bail concerne un immeuble dont un seul des partenaires est
propriétaire, il paraît nécessaire, sous peine de voir requalifier l'opération en libéralité, de
fixer un loyer correspondant au loyer normal du bien.
Ce loyer pourra soit constituer en des prestations périodiques (mensuelles,
trimestrielles, annuelles, .;.), soit en un loyer unique. Il faudra, dans ce second cas,
déterminer le loyer unique sur base, d'une part, du loyer périodique et, d'autre part, de la
durée probable du bail. Cette durée probable sera particulièrement difficile à déterminer
si le bail prend cours au décès du bailleur puisque, dans ce cas, ni sa date de départ, ni
son terme d'échéance, ni même l'existence du bail (puisque le preneur pourrait décéder
avant le bailleur) ne sont connus.
Il arrive souvent que le bail soit conclu pour un loyer unique payé au bailleur, lors
de la signature du contrat ou même antérieurement à celle-ci. Le contrat peut, dans ce
cas, "couvrir" une libéralité déguisée.
Afin d'éviter tout risque de requalification en libéralité, ou l'obligation pour le
bailleur de ristourner le loyer unique payé lors de la conclusion du contrat en cas de
prédécès du preneur, il suffit de prévoir que ce loyer unique sera payé aux héritiers ou
79
B. CHAMPION, op. cit., p. 113
80
Cass., 10 novembre 1960, R.C.J.B., 1961, p. 6
81
B. CHAMPION, op. cit., p. 113 et note citée
61
ayants droit du bailleur. L'on peut également conseiller de prévoir, dans la convention, le
mode de calcul du loyer unique, sur base de critères strictement fixés (par exemple un
loyer annuel fixé dans la convention, non révisable, multiplié par un coefficient fixé en
fonction de l'âge du preneur au moment de la prise de cours du bail, repris dans des tables
annexées au contrat de bail). Le bail devra prévoir, dans ce cas, le délai dans lequel ce
loyer unique doit être payé par le preneur et les sanctions en cas de non paiement
(intérêts de retard, résolution de plein droit du bail).
Les dispositions légales applicables au bail à vie de la résidence principale du
preneur
La loi du 13 avril 1997 a ajouté à l'article 3 de la loi du 20 février 1991 un 8ème
paragraphe comme suit : "Par dérogation au § 1er, un bail écrit peut être conclu pour la
vie du preneur. Le bail prend fin de plein droit au décès du preneur. Ce bail n'est pas régi
par les dispositions des § 2 à 4 82, à moins que les parties n'en disposent autrement".
L'article 7 § 1, alinéa final, précise en outre que les parties peuvent renoncer à la
faculté de demander la révision du loyer dans le cas du bail à vie.
Il résulte de ces dispositions que :
- Le bail à vie doit être conclu par écrit. A défaut d'écrit, le bail sera censé conclu pour 9
ans 83.
- Le bailleur ne peut donner congé que si les parties en ont convenu dans le contrat de
bail et à la condition, rappelons-le, que le bail ne prenne pas cours au décès du bailleur,
auquel cas une telle possibilité le ferait tomber sous le coup de la prohibition des pactes
sur succession future.
- Le preneur peut, par contre, donner congé à tout moment moyennant préavis de 3 mois
et, le cas échéant, paiement d'une indemnité si le congé est donné au cours du premier
triennat.
84
82
congé pour occupation personnelle, travaux importants ou sans
motif
83
art. 3, § 1er de la loi du 20 février 1991; B. CHAMPION, op. cit.,
p. 109
84
art. 3, § 5 de la loi du 20 février 1991
62
- Le bail prend fin de plein droit au décès du preneur, ce qui signifie qu'aucun congé n'est
requis et "met en exergue le caractère intuitu personae du bail à vie, qui le distingue des
autres baux (qui ne prennent pas fin par le décès de l'une des parties) 85".
Cette disposition légale pose, en pratique, une difficulté aux ayants droit du
preneur : au sens littéral du texte, ils seraient tenus de restituer les lieux loués le jour
même du décès.
Afin d'éviter tout problème à ce sujet, Bernard Champion 86 préconise de prévoir,
dans le bail, une clause d'occupation précaire pour une courte période (de un à trois mois)
afin de permettre aux ayants droit du preneur d'organiser le déménagement et la
restitution des lieux loués, cette occupation précaire étant consentie à titre gratuit ou à
titre onéreux suivant les termes de la convention et le contrat précisant qu'elle ne peut, en
aucun cas, être constitutive d'un nouveau bail au profit des ayants droit du preneur.
- Les parties peuvent convenir d'exclure la révision du loyer, ce qui sera particulièrement
intéressant en cas de bail prenant cours au décès du bailleur, lequel décès peut survenir
plusieurs années après la conclusion du bail. Reste, dans ce cas, l'écueil de la
requalification de l'opération en libéralité si, par la suite de l'écoulement des années, le
loyer fixé est devenu dérisoire eu égard à l'évolution des loyers dans le quartier dans
lequel le bien est situé.
Section 5.- Le commodat
Définition, nature et durée du contrat
Le commodat - ou prêt à usage - est le contrat par lequel une personne met un
bien à la disposition d'une autre personne, en vue de permettre à cette dernière d'en user,
mais à charge de le restituer après usage 87.
Le commodat a été présenté comme une solution alternative intéressante au bail à
vie; il permet, en effet, d'éviter un des inconvénients de ce bail : alors que le bail
nécessite un prix et est, partant, nécessairement conclu à titre onéreux, le commodat est
essentiellement gratuit 88.
85
B. CHAMPION, op. cit., p. 109
86
op. cit., p. 117
87
C. civ. 1875; Cass., 2 décembre 1987, Pas., 1988, I, p. 401
88
C. civ. 1876
63
Ce contrat n'est pas limité aux choses mobilières; il peut parfaitement porter sur
un immeuble 89. Quant à sa durée, elle est fixée par les articles 1888 et 1889 du Code
civil :
- l'article 1888 prévoit que le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme
convenu ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a
été empruntée. Rien n'empêcherait d'ailleurs le prêteur d'insérer dans le contrat une
clause de précarité aux termes de laquelle la restitution est exigible à tout moment, sur
simple demande 90;
- l'article 1889 prévoit, quant à lui, que si, pendant ce délai ou avant que le besoin de
l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin urgent et imprévu de sa chose, le
juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre.
Obligations des parties
Les obligations des parties sont les suivantes :
- l'emprunteur doit veiller, en bon père de famille, à la garde et à la conservation de la
chose prêtée et il ne peut s'en servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou la convention
91
;
- il ne peut répéter les dépenses qu'il a faites pour user de la chose 92;
- le prêteur doit rembourser à l'emprunteur les dépenses qu'il a faites pour la conservation
de la chose si elles étaient extraordinaires, nécessaires et tellement urgentes qu'il n'a pu
prévenir le prêteur 93.
L'article 1879 du Code civil précise également que les engagements formés par le
commodat passent aux héritiers de celui qui a prêté et aux héritiers de celui qui a
89
D. DEVOS, Les contrats, Chronique de jurisprudence, 1986-1987,
J.T., 1993, p. 78 et références citées
90
H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, 3ème éd., T.
V, n° 129 in fine
91
C. civ. 1880
92
C. civ. 1886
93
C. civ. 1890
64
emprunté, à moins que la convention ait été conclue en considération de l'emprunteur et
de lui personnellement, auquel cas ses héritiers ne peuvent continuer à jouir de la chose
prêtée.
Le commodat constitue-t-il une libéralité ?
Eu égard à son caractère gratuit, l'opération ne pourrait-elle être requalifiée en
libéralité ? Autrement dit, le fisc pourrait-il taxer l'opération au droit de donation et les
héritiers réservataires pourraient-ils demander la réduction de la libéralité si elle porte
atteinte à leur réserve ?
D'après Laurent 94, le commodat est une libéralité, mais la "libéralité ne porte que
sur l'usage de la chose, et cet usage n'est pas un démembrement du droit de propriété,
c'est un droit de créance".
Le caractère gratuit est d'ailleurs inscrit dans le Code civil (art. 1876). La
libéralité doit s'analyser comme l'absence de jouissance, pour le propriétaire ou ses
ayants droit, des biens prêtés 95. Les héritiers réservataires pourront dès lors demander la
réduction de cette libéralité si elle excède la quotité disponible. De même,
l'administration fiscale pourra percevoir un droit de donation s'il ressort de l'ensemble des
stipulations de l'acte et des principes de droit civil que l'opération dissimule une
libéralité. Il faut cependant préciser que le commodat n'est pas obligatoirement
enregistrable, de sorte que la question ne se posera que si les parties ont produit au
receveur de l'enregistrement un écrit faisant titre de l'opération.
Est-il possible de déroger à l'article 1889 du Code civil ?
Les parties peuvent-elles déroger à l'article 1889 du Code civil, le prêteur se
privant ainsi de tout droit de demander la restitution de la chose prêtée avant le terme du
contrat, tant pour lui-même que pour ses héritiers ou, à défaut de convention, avant que le
besoin de l'emprunteur ait cessé, même en cas de besoin urgent et imprévu ?
Le Comité d'Etudes et de Législation 96 a conclu au caractère supplétif de l'article
1889 du Code civil et, partant, à la possibilité, pour le prêteur, de s'interdire de demander
la restitution de la chose prêtée même en cas de besoin pressant et imprévu. Cette
conclusion repose sur les arguments suivants :
94
T. XXVI, v° Commodat, n° 458
95
Trav. Com. Et. Lég., 1993-1994, dos . 6250, p. 559
96
dos. 1959, à paraître
65
- l'article 1889 du Code civil est une disposition pleine d'équité qui présume une
condition tacite de pouvoir résoudre le commodat dans certaines circonstances. Il
présume la volonté tacite des parties de ne pas priver le prêteur de sa chose en cas de
besoin pressant et imprévu.
Or, si le législateur présume la volonté tacite du prêteur, "il va de soi que la
présomption doit céder le pas face à la volonté expresse exprimée dans une clause par
laquelle le prêteur renoncerait au bénéfice de l'article 1889 97".
- d'autre part, en renonçant au bénéfice de cet article, le prêteur renonce au fait qu'il
puisse avoir un besoin imprévu. Autrement dit, plus aucun besoin ne pourra être imprévu.
Bien plus, la loi vise les besoins imprévus et non, comme en matière de force majeure, le
besoin imprévisible. "Or, il n'a jamais été contesté que les parties à une convention
puissent exclure les effets de la force majeure et transformer, en ce faisant, une obligation
qui normalement serait de moyen ou de résultat en une obligation de garantie. Qui peut le
plus, exclure l'imprévisible, ne pourrait-il le moins, exclure l'imprévu 98 ?"
- enfin, si le contrat déroge expressément à l'application de l'article 1889 du Code civil,
cela doit signifier que le prêteur est en mesure d'apprécier le risque qu'il prend et il n'y a
alors plus aucun motif de ne pas respecter le principe de la convention-loi (C. civ. 1134).
Dans sa conclusion, le Comité d'Etudes et de Législation a, en outre, précisé que
la renonciation à l'article 1889 du Code civil n'était pas un élément suffisant à lui seul
pour disqualifier le contrat en libéralité. Mais sur ce point la prudence s'impose. Le
contrat de commodat a déjà par lui-même une cause "gratuite" et il nous semble que la
renonciation au droit organisé par l'article 1889 accentue sensiblement ce caractère. Si la
convention devait, de ce chef, être considérée comme une libéralité, sans doute serait-ce
une libéralité indirecte mais dont l'incidence fiscale pourra être importante.
Section 6.- La promesse unilatérale de vendre certains biens
Intérêt du contrat
Outre le bail à vie et le commodat, la pratique a mis en place un troisième
mécanisme en vue de protéger le partenaire survivant : la promesse unilatérale de vendre
97
ibidem
98
ibidem
66
un ou plusieurs biens que l'un des partenaires accorde à l'autre sous la condition
suspensive de son prédécès.
Cette solution est particulièrement recommandée lorsque le défunt souhaite, d'une
part, éviter l'exhérédation de ses ayants droit et, d'autre part, que ces ayants droit puissent
jouir dès son décès des biens dépendant de sa succession. La seule différence, pour ces
derniers, est qu'ils ne recueilleront que la valeur des biens, objets de la promesse de
vente, si le survivant lève l'option, plutôt que de les recueillir en nature.
Elle présente cependant l'inconvénient, pour le survivant s'il lève l'option, de
devoir disposer de fonds lui permettant, d'une part, de payer le prix d'acquisition et,
d'autre part, d'acquitter les droits d'enregistrement calculés au taux de 12,5 % 99 si
l'acquisition concerne un immeuble.
La même solution pourrait être retenue si les deux compagnons sont
copropriétaires de l'immeuble : ils peuvent, dans ce cas, s'octroyer une promesse
réciproque de vente, toujours sous la condition suspensive de prédécès. Une telle
promesse réciproque est valable sur le plan civil et ne constitue pas un pacte sur
succession future puisqu'elle ne vise pas des droits éventuels 100, du moins si la promesse
est irrévocable.
L'inconvénient, pour le concubin survivant, de payer le prix et les droits
d'enregistrement est alors atténué : d'une part, parce que le survivant ne doit payer le prix
qu'à concurrence des droits de son compagnon prédécédé et, d'autre part, parce que le
droit d'enregistrement applicable est le droit de partage de 1 % et non le droit de vente de
12,5 % 101, sauf application de l'article 113 du Code des Droits d'enregistrement, si le
survivant tient ses droits dans l'immeuble du prémourant.
DEUXIEME PARTIE – FONDATIONS PRIVEES
La loi du 2 mai 2002, entrée en vigueur le 1er juillet 2003, sur les associations sans but
lucratif a notamment eu pour objet de créer une fondation d’un nouveau type : la
fondation privée.
99
art. 44 du Code des Droits d'enregistrement
100
L. WEYTS, "A deux ?", in L'accès à la propriété du logement
familial, Journées notariales d'Houffalize, 24, 25 septembre 1987, p. 78
101
art. 109 du Code des Droits d'enregistrement
67
Il en résulte que la fondation n’est désormais plus exclusivement à but d’utilité publique :
une fondation même privée, ne peut toutefois être créée pour la réalisation d’un objectif
purement égoïste, tel que la poursuite de son propre enrichissement.
Une fondation privée ne comprend en fait ni membres ni associés ; il s’agit d’une
institution abstraite, dotée de la personnalité juridique, destinée à poursuivre une œuvre
désignée par son/ses fondateur(s) et ayant un patrimoine qui lui est propre.
L’acte de constitution de la fondation privée est un acte unilatéral, ce qui n’empêche que
la fondation privée peut être créée par une ou plusieurs personnes physiques et morales.
L’acte de fondation doit s’accompagner de l’affectation d’un patrimoine, ce qui la
distingue de l’asbl. En effet, cette dernière n’a pas besoin de patrimoine dans la mesure
où elle compte des membres qui lui permettent, par leurs activités et leur industrie,
d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés.
Concernant ce patrimoine de la fondation, le législateur n’a fixé aucun seuil minimum ni
maximum. Il faut toutefois être attentif au fait que, lors de la rédaction de l’acte de
constitution de cette fondation, le rapport qui doit exister entre l’importance du
patrimoine affecté et les objectifs fixés soit réaliste et proportionné, afin d’assurer la
viabilité du projet.
Ces biens peuvent être soit de nature mobilière (meubles corporels ou incorporels) ou
immobilière.
A ce sujet, il faut noter que le législateur a supprimé l’ancienne disposition selon laquelle
la fondation ne pouvait posséder, en propriété ou autrement, que les immeubles
nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
Cette restriction était en effet de nature à porter entrave à la viabilité économique et
financière de bon nombre de projets, puisqu’une fondation d’utilité publique ne pouvait
être propriétaire d’un immeuble de rapport n’ayant aucun lien direct avec son objet,
même si les revenus de cet immeuble étaient affectés au financement de l’objectif
poursuivi.
Quant à l’affectation des biens au but poursuivi, elle doit être en principe irrévocable, ce
qui ne l’empêcherait pas de n’être que temporaire.
Quant à l’administration de la fondation privée, la loi a prévu un contrôle
d’administration. Rien n’empêchera pendant les fondations de créer d’autres instances et
organes au sein de la fondation (conseils de surveillance, comités d’avis, comités
scientifiques et techniques, conseils artistiques, conseils de famille, …).
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Le Conseil d’Administration de la fondation privée doit être composé d’un minimum de
trois membres, personnes physiques ou morales. Les statuts déterminent le mode de
nomination et de révocation des administrateurs ainsi que les règles de cessation de leurs
fonctions.
Concernant le mode de nomination des administrateurs, deux possibilités existent :
-
soit les nouveaux administrateurs sont nommés par cooptation ;
soit la nomination des nouveaux administrateurs est confiée à un organe tiers et
indépendant.
Aucune exigence n’est fixée par la loi en ce qui concerne la durée du mandat des
administrateurs ; cette durée est précisée dans les statuts.
La loi prévoit également une règle de collégialité : les membres du Conseil
d’Administration exercent en effet leur fonction de manière collégiale. Cette règle est
impérative et il est dès lors impossible d’y déroger dans les statuts. Il est ainsi interdit de
confier la gestion de la fondation à un seul administrateur (par exemple, le fondateur) ou
à quelque membre du conseil seulement.
Quant à la durée de vie de la fondation, la fondation privée sera, dans la plupart des cas,
perpétuelle. Il est cependant possible de stipuler dans les statuts que la fondation existera
pour un terme limité.
Ainsi, une fois la fondation créée, les biens qui lui sont affectés sortent définitivement du
patrimoine du fondateur pour être exclusivement destinés à la réalisation de l’œuvre
choisie.
A la personnification juridique de ce patrimoine, cette œuvre survivra à la volonté
créatrice du fondateur.
Toutefois, cette indépendance juridique patrimoniale perd tout son sens lorsque la
mission qui a donné raison à la personnification des biens affectés est définitivement
accomplie. Les Parlementaires en ont eu conscience et ils ont dès lors prévu que lorsque
le but désintéressé de la fondation est réalisé, le fondateur ou ses ayants droit pourront
reprendre une somme égale à la valeur des biens ou les biens mêmes que le fondateur a
affectés à la réalisation de ce but. Cette disposition spécifique est essentiellement
applicable au cas de la fondation privée constituée par les parents pour subvenir aux
besoins d’un enfant handicapé. S’ils lui survivent, il est logique que les parents puissent
reprendre les biens apportés ou leur équivalent.
Ce retour dans le patrimoine du fondateur ou de ses ayants droit s’effectuera toujours
sous le contrôle du Tribunal de Première Instance compétent, puisqu’il lui appartient à lui
69
seul de prononcer la dissolution de la fondation et d’autoriser l’affectation du boni de
liquidation éventuel proposé par les liquidateurs dans le respect des statuts.
Cette reprise est subordonnée à deux conditions :
-
elle doit être statutairement prévue ;
le but désintéressé de la fondation doit être réalisé.
Il résulte de cette disposition que toute une série de buts élimine de facto la possibilité de
faire usage de cette clause de reprise. Ainsi, une fondation qui aurait pour objet d’assurer
la diffusion des créations d’un artiste peintre : a priori, ce but devra être considéré
comme n’étant jamais entièrement réalisé.
Du point de vue fiscal, la fondation privée doit être constituée par acte authentique, qui
est dès lors soumis à la formalité de l’enregistrement. A défaut de tarif spécifique, le
droit fixe général sera perçu.
Quid des apports faits à une fondation privée ?
Selon l’article 115 du Code des droits d’enregistrement, la notion d’apport ne s’applique
qu’au transfert de propriété vers les sociétés.
Selon la circulaire ACED n° 17/2003 :
« l’affectation par acte entre vifs d’une part de son patrimoine à la création d’une
fondation privée est assujettie au tarif ordinaire de donation entre toute autre
personne ».
Il en résulte que l’apport à la fondation est taxé à 7 % en régions flamande et bruxelloise
et au taux entre étrangers en région wallonne.
Il en résulte qu’en région wallonne, ce régime fiscal étant peu propice, le recours à la
fondation privée restera lettre morte.
Il est également envisageable de léguer des biens à une fondation privée.
Dans ce cas, les droits dus en vertu de ce legs en région wallonne et en région de
Bruxelles-Capitale seront les droits entre étrangers, tandis qu’en région flamande, le taux
applicable est de 8,8 %.
La loi prévoit que la fondation peut être créée tant du vivant de son fondateur, que par
testament.
70
La fondation peut être utilisée dans le cadre d’une planification successorale et une étude
a d’ailleurs été publiée dans la Revue du Notariat Belge au sujet de la fondation privée
comme véhicule de détention et de transmission d’un château et d’une collection
d’œuvres d’art.
Dans cette optique, les fondateurs pourraient affecter à la fondation privée le patrimoine
culturel qu’ils entendent protéger et conserver sur plusieurs générations, rien n’excluant
qu’ils apportent d’autres biens afin de permettre à la fondation de remplir plus facilement
l’objectif de gérer, de promouvoir, de conserver, d’entretenir ce patrimoine culturel. Il est
également envisageable que la fondation soit uniquement une fondation de gestion, le
patrimoine culturel restant dans cette hypothèse dans le patrimoine privé du fondateur qui
se contenterait alors d’apporter à la fondation d’autres biens permettant de dégager des
revenus suffisants pour réaliser l’objectif de la fondation.
Au stade actuel des études, les orientations de la fondation privée concernent
principalement la protection de tels patrimoines culturels comme aussi la protection des
enfants handicapés.
Le peu d’ancienneté du projet n’a pas encore permis de développer d’autres pistes qui,
cependant, ne sont pas à exclure, du moins si la fiscalité de la fondation privée, tant en ce
qui concerne les apports qu’en ce qui concerne les legs qui pourraient être effectués en sa
faveur, était modifiée.
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