PLANIFICATION SUCCESSORALE
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PLANIFICATION SUCCESSORALE
PLANIFICATION SUCCESSORALE Quels conseils dans le cadre de la gestion patrimoniale privée ? Mariage et cohabitation – Fondations privées Lorette ROUSSEAU Notaire Maître de conférences invité à l'U.C.L. PREMIERE PARTIE – MARIAGE ET COHABITATION Chapitre I. Le mariage Section 1.- Le droit des régimes matrimoniaux Est-il possible de planifier sa succession en choisissant ou en modifiant son régime matrimonial ? Existe-t-il des clauses sécurisantes ? 1° Quel régime matrimonial choisir ? a) Régime primaire et régime secondaire Les époux mariés sont soumis à deux groupes de règles qui composent leur régime matrimonial : d’une part, les règles qui forment le régime primaire (c. civ. 212 à 224) et d’autre part, celles qui forment leur régime secondaire. Les règles du régime primaire sont communes à tous les régimes matrimoniaux (régimes de communauté et de séparation). Elles sont impératives puisqu’elles s’imposent à tous les époux. Elles concernent les droits et devoirs respectifs des époux, parmi lesquels ont peut relever principalement : - le devoir d’habiter ensemble ; - les devoirs de fidélité, secours et assistance ; - la protection du logement familial et des meubles le garnissant ; - le droit d’exercer une profession ; - le droit de percevoir seul ses revenus ; - la contribution aux charges du mariage ; - le droit de faire ouvrir des comptes bancaires ; 1 - la solidarité des dettes contractées pour les besoins du ménage ou l’éducation des enfants ; - les pouvoirs du juge de paix de prendre des mesures urgentes et provisoires lorsqu’un époux manque gravement à ses devoirs. Le régime secondaire est le régime matrimonial proprement dit, c’est à dire les règles relatives à la propriété et à la gestion des biens des époux. Il peut être soit le régime légal, soit un régime conventionnel. b) Régime légal et régime conventionnel Le régime légal est celui qui s’applique aux époux mariés sans contrat de mariage (c. civ. 1390). Ce régime est celui de la communauté, fondé sur l’existence de trois patrimoines (c. civ. 1398) : le patrimoine commun et les patrimoines propres de chacun des époux. Le patrimoine commun se compose notamment : - des revenus des époux (revenus des activités professionnelles, revenus des biens propres) ; - des biens donnés ou légués aux deux époux conjointement ou avec stipulation que ces biens seront communs ; - de tous les biens dont il n’est pas prouvé qu’ils sont propres à l’un des époux (présomption de communauté) ; - des dettes contractées par les deux époux ; - des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants ; - des dettes contractées dans l’intérêt du patrimoine commun ; - des dettes grevant les libéralités faites aux deux époux conjointement ou à l’un d’eux avec stipulation de communauté ; - de la charge des intérêts qui sont l’accessoire de dettes propres à l’un des époux ; - des dettes alimentaires au profit des descendants d’un seul des époux ; - des dettes dont il n’est pas prouvé qu’elles sont propres à l’un des époux (présomption de communauté). Le patrimoine propre de chaque époux se compose principalement : - des biens appartenant à chacun des époux au jour du mariage et de ceux que chacun acquiert au cours du régime par donation, succession ou testament ; - des accessoires de biens propres ; - de la part acquise par un des conjoints dans un bien dont il est déjà copropriétaire ; - des biens acquis en emploi ou remploi de fonds propres ; 2 - des outils et instruments servant à l’exercice de la profession ; - des droits résultant d’une assurance de personne ; - des vêtements et objets à usage personnel ; - des droits de propriété littéraire, artistique ou industrielle ; - des droits résultant de la qualité d’associé liés à des parts ou actions sociales communes dans une société où toutes les parts ou actions sont nominatives, inscrites au nom d’un seul des époux (ex. : le droit de vote ; par contre, la valeur des parts est commune) ; - des dettes antérieures au mariage, de celles qui grèvent les successions et libéralités qui échoient aux époux pendant le mariage ; - des dettes contractés par un époux dans l’intérêt exclusif de son patrimoine propre ; - des dettes résultant d’une sûreté personnelle ou réelle donnée par un des époux dans un intérêt autre que celui du patrimoine commun ; - des dettes provenant d’actes que l’un des époux ne pouvait accomplir sans le concours de son conjoint ou une autorisation en justice ; - des dettes résultant d’une condamnation pénale ou d’un délit ou quasi-délit commis par l’un des époux. La loi prévoit impérativement le mode de gestion de ces biens (c. civ. 1415 à 1426), ainsi que les droits des créanciers (c. civ. 1409 à 1414) : - le patrimoine commun est géré par l’un ou l’autre des époux (gestion concurrente), sauf les exceptions ci-après : . l’époux qui exerce une activité professionnelle accomplit seul tous les actes de gestion nécessaires à celle-ci (gestion exclusive) ; . lorsque les deux époux exercent ensemble une même activité professionnelle, le concours des deux époux est requis pour les actes autres que d’administration (gestion conjointe) ; . le consentement des deux époux est requis pour les actes visés à l’article 1418 du Code civil (gestion conjointe), soit pour : .. acquérir, aliéner ou grever de droits réels les biens susceptibles d’hypothèque, les fonds de commerce ou exploitations de toute nature) ; .. conclure, renouveler ou résilier des baux de plus de neuf ans, consentir des baux commerciaux ou à ferme ; .. accepter ou refuser un legs ou une donation lorsqu’il est stipulé que les biens légués ou donnés seront communs ; .. contracter un emprunt, sauf pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants. 3 - chaque époux a la gestion exclusive de son patrimoine propre ; - le paiement des dettes communes peut être poursuivi tant sur le patrimoine commun que sur le patrimoine propre de chacun des époux ; - le paiement d’une dette propre à l’un des époux ne peut être poursuivi que sur son patrimoine propre et ses revenus (sauf les exceptions des articles 1410, 1411 et 1412 du Code civil, pour lesquelles le paiement de la dette propre peut être poursuivi sur le patrimoine commun dans la mesure où il s’est enrichi). La loi règle également les modes de dissolution du régime légal (le décès, le divorce et la séparation de corps, la séparation de biens judiciaire et l’adoption d’un autre régime matrimonial), ainsi que la liquidation et le partage de ce régime (c. civ. 1427 à 1450). Les notions de liquidation et de partage ne doivent pas être confondues 1 : la première consiste à chiffrer les droits des époux dans les avoirs communs, et la seconde à attribuer à chacun des époux des biens communs pour le remplir des droits établis par la liquidation. La liquidation implique dès lors : - la formation de la masse partageable, c’est à dire la reconstitution du patrimoine commun et des patrimoines propres de chacun des époux au jour de la dissolution ; - la détermination du passif et sa répartition entre les trois patrimoines ; - l’établissement des comptes de récompenses, c’est à dire le décompte des transferts de valeurs entre le patrimoine commun et les patrimoines propres ; - éventuellement, l’établissement de comptes d’administration entre le jour de la dissolution du régime et celui de l’établissement des décomptes. S’il reste un actif, il se partage par moitié (c. civ. 1445), sauf exercice de l’attribution préférentielle (c. civ. 1446 et 1447) : - lorsque le régime prend fin par le décès d’un des époux, le conjoint survivant peut se faire attribuer par préférence, moyennant soulte s’il y a lieu, un des immeubles servant au logement de la famille avec les meubles meublants qui le garnissent, ainsi 1 L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, 3è éd., Academia, Bruylant, 1988, p . 201 4 que l’immeuble servant à l’exercice de sa profession avec les meubles à usage professionnel qui le garnissent ; - lorsque le régime prend fin par le divorce, la séparation de corps ou la séparation de biens, chaque époux peut demander au tribunal de lui attribuer les mêmes biens. Le tribunal statue en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause et des droits de récompense ou de créance au profit de l’autre époux. Le régime conventionnel est celui que les époux adoptent par contrat de mariage, soit pour apporter certains changements au régime légal (communauté conventionnelle), soit pour adopter un autre régime. Ils disposent à cet égard d’une autonomie de volonté, autonomie cependant limitée par certaines règles : - l’article 1387 du Code civil interdit aux époux d’adopter un régime ou une clause d’un régime contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (ex. : clause interdisant le droit de se remarier ou le droit de divorcer) ; - l’article 1388 interdit de déroger aux règles qui fixent les droits et devoirs respectifs des époux (le régime primaire – voir supra) et celles relatives à l’autorité parentale et à la tutelle ou déterminant l’ordre légal des successions ; - l’article 1389 interdit d’établir des conventions matrimoniales par simple référence à une législation abrogée ou, si l’un des époux est belge, à une législation étrangère. La communauté conventionnelle est celle par laquelle les futurs époux modifient certaines règles du régime légal, tout en respectant les caractéristiques essentielles de ce régime : - existence de trois patrimoines ; - corrélation entre l’actif et le passif ; - la gestion des biens propres et communs ; - les règles relatives à la preuve des biens propres. On distingue : - les clauses relatives à la composition des patrimoines : soit l’exclusion de certains biens du patrimoine commun, soit l’extension du patrimoine commun, voire l’adoption d’une communauté universelle, soit l’apport d’un bien propre au patrimoine commun (ex. : l’immeuble dont un des époux est seul propriétaire avant son mariage) ; 5 - le préciput, à savoir, le droit pour le conjoint survivant de prélever sur le patrimoine commun, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature (voir infra). - les clauses de partage : clauses de partage inégal, attribution de tout ou partie de la communauté à l’un des époux (voir infra) ; La séparation de biens se caractérise par une triple séparation : séparation des avoirs, séparation des dettes (les dettes n’engagent que celui qui les a contractées) et séparation des gestions (chaque époux gère seul ses biens) 2. Chaque époux conserve la propriété des biens qui lui appartenaient avant le mariage et de ceux qu’il acquiert ensuite à quelque titre que ce soit. Il en résulte que ce régime est défavorable à l’époux dénué de ressources. Pour pallier cet inconvénient, les praticiens ont imaginé deux types de clauses permettant à ce conjoint dénué de ressources de « participer » aux gains de son conjoint : - la séparation de biens avec société, soit limitée à un bien (le plus souvent, le logement familial), soit étendue aux acquêts effectués pendant le mariage ; - la séparation de biens avec participation aux acquêts, qui a pour caractéristique de fonctionner comme un régime de séparation de biens jusqu’à la dissolution et d’égaliser à ce moment les acquêts de chacun des époux. La détermination de ces acquêts correspond à la différence entre l’actif final de chacun des époux (c’est à dire les biens qu’il possède au moment de la dissolution) et l’actif initial (qui se compose de la manière prévue par le contrat de mariage, le plus souvent les biens qui appartenaient à l’époux au jour du mariage et ceux qu’il a acquis par succession ou donation pendant le mariage). En rapprochant le montant de l’actif final de l’actif initial de chacun des époux, trois hypothèses peuvent se présenter : - un déficit lorsque l’actif final est inférieur à l’actif initial ; ce déficit n’incombe pas au conjoint de l’époux concerné ; - une équivalence, lorsque les deux actifs sont équivalents ; - un acquêt , c’est à dire un accroissement, lorsque l’actif final est supérieur à l’actif initial. 2 L. RAUCENT, op. cit., p. 305 6 Une fois les comptes de chacun des époux établis, on opère une comparaison entre eux. Plusieurs résultats peuvent se présenter : - les deux comptes sont en déficit : dans ce cas, chaque époux supporte seul son passif, il n’y a pas d’égalisation ; - un des comptes est positif et l’autre en déficit ou en équilibre : l’époux titulaire de ce compte est quitte de toute participation et créancier de son conjoint ; - les deux comptes sont positifs : les époux sont réciproquement créancier et débiteur l’un de l’autre. L’époux dont l’accroissement est le plus faible reste finalement seul créancier de son conjoint. La créance – appelée créance de participation – est égale : - lorsque le compte d’un des époux est en déficit ou en équilibre et celui de l’autre positif, à la moitié de l’actif net de ce compte positif ; - lorsque les deux comptes sont positifs, l’époux dont l’accroissement a été le plus faible est créancier de son conjoint d’un montant égal à la moitié de l’excédent. 2° Peut-on modifier son régime matrimonial ? Comment procéder à cette modification ? Avant la loi du 14 juillet 1976, le principe applicable était celui de l’immutabilité du régime matrimonial. Les seuls changements possibles résultaient soit d’une séparation de biens judiciaire, soit d’une séparation de corps. L’article 1394 du Code civil, tel qu’il résulte de la loi du 14 juillet 1976, dispose désormais que « les époux peuvent, au cours du mariage, apporter à leur régime matrimonial toutes modifications qu’ils jugent à propos et même en changer entièrement ». Cet article consacre donc le principe de l’autonomie contractuelle, à la condition toutefois pour les époux de respecter la procédure et les formalités imposées pour la modification de régime matrimonial. L’article 1395 du Code civil prévoit trois types de procédure suivant la modification projetée : - la petite procédure ; - la grande procédure ; - la grande procédure allégée. La grande procédure constitue la règle générale. Elle implique un inventaire, un règlement des droits respectifs des époux, un acte modificatif et un acte de clôture. L’acte modificatif doit en outre être homologué par le tribunal de première instance. 7 La publicité de cette procédure est assurée par la publication au Moniteur belge de la requête en homologation de la modification et du jugement d’homologation. La petite procédure présente un caractère exceptionnel : elle n’est permise que lorsque la modification du régime matrimonial n’entraîne pas liquidation du régime préexistant ou changement actuel dans la composition du patrimoine ou porte seulement sur la rétractation, du commun accord des époux, des donations qu’ils se sont faites ou que l’un d’eux a faites dans le contrat de mariage (cette dernière hypothèse visant tant la rétractation que la modification des donations et l’ajout d’une donation dans le contrat de mariage 3). Cette petite procédure ne requiert plus, depuis la loi du 9 juillet 1998, d’homologation par le tribunal de première instance. Sa publicité est assurée par la notification, par le notaire, dans le mois de la rédaction de l’acte, d’un extrait de celui-ci à l’officier de l’état civil du lieu où le mariage a été célébré. La grande procédure allégée présente, elle aussi, un caractère exceptionnel : elle n’est applicable que lorsque le patrimoine commun est modifié sans que le régime matrimonial soit par ailleurs modifié dans une mesure telle qu’il doive être entièrement liquidé. Dans ce cas, la grande procédure reste applicable puisqu’il y a changement actuel dans la composition des patrimoines, mais l’inventaire et le règlement des droits respectifs ne sont pas requis : ces deux actes sont facultatifs et ne doivent être dressés que si un des époux ou le tribunal en fait la demande. 3° Dans les régimes de communauté, quelles clauses de liquidation et de partage du patrimoine commun peut-on prévoir dans le contrat de mariage ou l’acte modificatif de régime matrimonial ? Dans les clauses de liquidation et/ou de partage du patrimoine commun, on distingue : - la reprise de certains biens sur prisée (le préciput onéreux) ; - la reprise de certains biens à titre gratuit (le préciput gratuit) ; - les clauses de partage inégal ; - les clauses d’attribution du patrimoine commun au survivant. Le préciput onéreux (ou clause de reprise sur prisée) est la clause par laquelle il est attribué à l’un ou à l’autre des époux le droit de prélever, dans le patrimoine 3 Rép. Not., Les régimes matrimoniaux, Art. 1394 à 1396 C. civ., n° 584 8 commun, tout ou partie des biens communs à des conditions à fixer et à charge d’en payer la valeur. Cette clause porte généralement sur l’exploitation commerciale ou industrielle des époux. Elle peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du régime par le décès de l’un des époux, et sous la condition que les époux ne soient pas à cette date séparés de fait, le conjoint survivant aura le droit de prélever dans le patrimoine commun, avant tout partage : .. description du ou des biens objets du préciput Le conjoint survivant pourra exercer ce préciput à charge d’indemniser le patrimoine commun de la valeur des biens prélevés au jour de l’exercice de la reprise. Cette valeur sera déterminée à défaut d’accord par un expert désigné par le président du tribunal de première instance du lieu de l’ouverture de la succession. Le conjoint survivant imputera les droits prélevés sur sa part dans le patrimoine commun. Si leur valeur dépasse cette part, il acquittera la soulte due dans les (six) mois de la notification de l’exercice de la reprise, sans intérêts jusqu’alors. Le conjoint survivant devra exercer son droit dans les (cinq) mois du décès et notifier sa décision dans ce délai. A défaut, il sera déchu du droit de reprise. » Le préciput gratuit est la clause par laquelle il est attribué à l’un ou l’autre des époux le droit de prélever, par préciput et hors part, certains biens dans le patrimoine commun, à titre gratuit. Cette clause peut utilement compléter une clause d’apport d’un bien au patrimoine commun : l’époux qui a effectué cet apport a le droit de reprendre le bien apporté le jour de la dissolution du régime. Cette clause peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du régime par le décès de l’un des époux, et sous la condition que les époux ne soient pas à cette date séparés de fait, le conjoint survivant aura le droit de prélever dans le patrimoine commun, à titre gratuit, avant tout partage : .. description du ou des biens objets du préciput ». 9 Les clauses de partage inégal et les clauses d’attribution du patrimoine commun au conjoint survivant sont les clauses aux termes desquelles les époux conviennent que celui qui survivra, ou l’un d’eux s’il survit, recevra lors du partage une part autre que la moitié, voire tout le patrimoine. Il faut noter que la clause de partage inégal permet d’attribuer aux époux ou à l’un d’eux une part plus forte ou plus faible que la moitié du patrimoine commun. Cette clause peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux et d'absence de séparation de fait, les parties conviennent que le patrimoine commun appartiendra au conjoint survivant - pour l'intégralité en pleine propriété à charge d'en supporter tout le passif, ou - à concurrence de … à charge d’en supporter le passif dans les mêmes proportions ainsi que cela résulte des articles 1461 et 1462 du Code civil. » La caractéristique essentielle de ces clauses de liquidation est qu’elles ne sont pas considérées comme des libéralités mais comme des conventions de mariage, même si elles aboutissent en fait à attribuer à un époux une part supérieure à sa part légale dans le patrimoine commun (c. civ. 1458 et 1464). Elles sont cependant considérées comme des donations à concurrence de moitié si elles ont pour objet des biens présents ou futurs que l’époux prédécédé a fait entrer dans le patrimoine commun par une stipulation expresse du contrat de mariage. En outre, dans le cas où il y a des enfants d’un précédent mariage (le terme « précédent mariage » visant les enfants issus d’une précédente union, même si cette union n’était pas consacrée par un mariage), toute convention matrimoniale qui a pour effet de donner à l’un des époux au-delà de la quotité disponible est sans effet pour l’excédent (c. civ. 1465). 4° Est-il possible de planifier sa succession en choisissant ou en modifiant son régime matrimonial ? 10 Le contrat de mariage constitue un outil de programmation successorale souvent ignoré mais extrêmement précieux. Tant avant le mariage, à un moment où les futurs époux ne savent pas encore de quoi leur avenir sera fait, qu’au cours du mariage, lorsque leur situation familiale et patrimoniale se précise, il est possible, par des stipulations du contrat de mariage, soit de « réduire la facture des droits de succession », soit de protéger le conjoint survivant et/ou les enfants. A cet égard, plusieurs opérations et clauses peuvent être conseillées : a) La réduction des droits de succession par le biais de clauses d’apport de biens propres au patrimoine commun ou une société créée à côté du régime de séparation de biens L’apport de biens propres d’un des époux au patrimoine commun ou à une société adjointe au régime de séparation de biens permet, dans bien des cas, de réduire la facture des droits de succession. Il s’agit, dans chaque cas d’espèce, de calculer l’impact fiscal d’un tel apport pour vérifier si le recours à ce procédé permet ou non de réduire les droits de succession et, dans l’affirmative, modifier le régime matrimonial des époux 4. b) La clause d’attribution alternative Au moment de leur mariage, les futurs époux ne savent pas de quoi sera faite leur situation familiale et patrimoniale au moment du décès de l’un d’eux. Les clauses d’attribution du patrimoine commun au survivant, si elles présentent l’avantage de permettre à celui-ci de disposer du patrimoine commun comme il pouvait le faire du vivant des deux époux, n’en restent pas moins désavantageuses d’un point de vue fiscal puisque la charge des droits de succession sur les biens communs incombe au seul conjoint survivant. Il n'en demeure pas moins que les clauses d'attribution conservent une utilité : celle d'assurer au conjoint survivant la possibilité de continuer à administrer les biens communs, principalement ceux qu'il a acquis avec le prémourant, et à en disposer comme il le juge à propos. 4 sur la procédure de modification, voy supra 11 Notre droit ne connaît en effet pas le principe de la communauté "continuée" ou "prolongée" existant dans certaines législations étrangères, comme celles du Danemark et de la Norvège. Dans ces pays, en effet, la loi permet au conjoint survivant de continuer à administrer la communauté et à en disposer à titre onéreux si les enfants du prédécédé y consentent. En l'absence d'une telle règle dans notre législation, la seule possibilité pour les époux de permettre au conjoint survivant de continuer à gérer la communauté et à en disposer comme il l'entend est la clause d'attribution de cette communauté en pleine propriété au conjoint survivant. Il se peut cependant que la situation existant au moment du décès - par exemple si tous les enfants issus du mariage sont majeurs et s'entendent avec le survivant de leurs auteurs - rende une telle attribution inutile. Le contrat de mariage peut apporter une solution pragmatique à cette situation : l'attribution alternative. Dans ce cas, le contrat contient une clause suivant laquelle, au décès du premier des époux, le patrimoine commun appartient, au choix du conjoint survivant : - soit pour la totalité en pleine propriété ; - soit pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit ; - soit, encore, pour la totalité en pleine propriété en ce qui concerne les biens meubles et pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit en ce qui concerne les immeubles ; - ou toute autre variante. La clause doit également prévoir le délai dans lequel le conjoint survivant doit faire connaître son option et, à défaut d'une telle option, quelle branche de l'alternative devra être appliquée. Cette clause peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, qu'il y ait ou non descendance issue du mariage, que le patrimoine commun appartiendra au conjoint survivant, rétroactivement à la date du décès, au choix du conjoint survivant : - soit pour la totalité en pleine propriété ; - soit pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit ; - soit pour la totalité en pleine propriété en ce qui concerne les biens meubles et pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit en ce qui concerne les biens immeubles. 12 Le conjoint survivant sera tenu de faire connaître le mode d'attribution qu'il choisit par déclaration faite par acte notarié dans les trois mois du décès du prémourant. Passé ce délai, il ne sera plus admis à choisir et le patrimoine commun lui appartiendra pour une moitié en pleine propriété et une moitié en usufruit, la moitié en nue-propriété restante revenant à la succession du prémourant. » c) La clause d’attribution sans condition de survie L’article 5 du Code des droits de succession – qui assimile les avantages matrimoniaux à des dispositions testamentaires - ne trouve à s’appliquer que lorsque l’avantage matrimonial est stipulé au profit de celui des deux conjoints qui survivra ou au profit de l’un d’eux seulement s’il survit à l’autre : la clause doit donc être rédigée sous condition de survie du conjoint bénéficiaire 5. Ainsi, si l’attribution de communauté est stipulée à un époux sans réciprocité et sans condition de survie, le survivant recevra le patrimoine commun sans que les droits de succession soient dus, l’article 5 n’étant pas applicable6. Cette solution est d’ailleurs confirmée par une décision administrative du 6 décembre 2004 7 dans ces termes : « l’article 5 du Code des droits de succession ne peut pas s’appliquer lors du décès du mari en ce qui concerne la clause de partage inégal du patrimoine commun lorsque, en vertu de la convention de mariage, l’avantage échoit sans réserve à un époux bien déterminé indépendamment du fait que cet époux survive à l’autre ou non ». Mais cette décision va plus loin en ce qu’elle précise que « de telles clauses de partage inégal du patrimoine commun peuvent cependant donner lieu à la perception d’un impôt successoral dans les cas où l’époux avantagé reçoit des biens qui ont été apportés dans le patrimoine commun par l’autre époux ou que ce dernier possédait des biens propres lors de l’adoption d’un régime de communauté universelle. La clause de partage inégal, dans cette hypothèse, ne doit plus être considérée comme étant conclue à titre de convention de mariage mais comme une donation sur base de l’article 1464, deuxième alinéa C. civ. La clause doit par conséquent être qualifiée d’institution contractuelle dans la mesure où le conjoint avantagé reçoit plus que la moitié des biens apportés par l’autre époux. Cette institution contractuelle tombe sous l’application de l’article 2 du Code des droits de succession ». 5 L. Weyts, La déclaration de succession, Coll. Droit Notarial, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 316, n° 391 et « Een toebedeling van de gemeenschap aan slechts een echtgenoot : is dit een ontsnappingsroute aan artikel 5 W. succ. Met een boobytrap of is het een veilig pad ? », T. Not., 2005/1, pp. 5-6, n° 8 6 J. Decuyper, op.cit., p. 77, n° 133.. Voy dans le même sens L. Weyts, « Een toebedeling … », op. cit., p. 6, n° 9 7 Déc. 6 décembre 2004, dr E.E./100.511 13 Elle puise dans les exceptions des articles 1458, alinéa 2, 1464, alinéa 2 et 1465 du Code civil – qualifiant les avantages matrimoniaux de donations s’ils ont pour objet des biens que l’époux prédécédé a fait entrer dans le patrimoine commun par une stipulation expresse du contrat de mariage ou en présence d’enfants d’un précédent mariage – un argument pour appliquer l’article 2 du Code des droits de succession. Or, cet article vise uniquement la dévolution légale, la dévolution testamentaire et les institutions contractuelles, lesquelles sont, aux termes de l’article 1091 du Code civil, des donations faites par contrat de mariage. Un avantage matrimonial, fût-il requalifié en donation au terme d’un des articles précités, n’en devient pas pour autant une institution contractuelle. La requalification en donation a uniquement pour effet de permettre, aux héritiers réservataires, de demander la réduction de l’avantage matrimonial : le Code civil stipule en effet que l’avantage matrimonial doit, dans les hypothèses qu’il vise, être « considéré comme une donation » ; il ne dit nullement qu’il s’agit d’une institution contractuelle. Il demeure un avantage matrimonial et seul l’article 5 du Code des droits de succession s’applique aux avantages matrimoniaux. Or, dans la clause analysée, l’article 5 ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où l’un de ses conditions d’application – la condition de survie – est précisément absente. Il apparaît dès lors que la décision administrative dépasse les textes de loi et pourrait ne pas résister à l’examen d’un juge si l’affaire était portée devant les tribunaux. L’on aperçoit cependant le risque que peut présenter la clause sur le plan civil : en cas de dissolution de mariage par le divorce des époux, le bénéficiaire de l’avantage matrimonial pourrait ainsi devenir propriétaire de la totalité du patrimoine commun, l’autre époux n’en retirant rien. Il s’ensuit qu’une telle clause ne peut être conseillée que lorsque les époux sont certains de ne jamais divorcer… Il ne peut dès lors y être recouru que dans des circonstances particulières 8. d) Les clauses d’attribution du patrimoine commun modalisées en fonction des enfants à naître du mariage Pour les raisons exposées au point b) ci-dessus, les futurs époux peuvent souhaiter avantager au maximum le survivant d’eux, tout en ayant le souhait, si des enfants naissent du mariage, que ceux-ci soient également protégés, principalement en cas de remariage de leur auteur survivant. En effet, par l’effet de la clause d’attribution du patrimoine commun, celui-ci sera devenu plein propriétaire de l’ensemble des biens communs. S’il se remarie et vient à 8 L. Weyts, « Een toebedeling … », op. cit., p. 8, n° 11 14 décéder, son nouveau conjoint aura, en vertu des règles du droit successoral, l’usufruit de ces biens et les enfants du premier mariage devront attendre le décès de ce deuxième conjoint (qui peut être très jeune) pour pouvoir disposer des biens de leurs parents. Sur le plan psychologique, il faut constater que si les enfants du premier mariage trouvent « normal » de respecter l’usufruit du deuxième conjoint sur la part des biens qui appartenait à leur auteur survivant, ils ressentent durement le fait que cet usufruit porte également sur la part des biens communs qui revenait à leur auteur prémourant. Or, il ne fait pas de doute que lorsque des époux insèrent dans leur contrat de mariage une clause d'attribution du patrimoine commun, s'ils visent à protéger le conjoint survivant et à lui assurer le maintien de l'unité du patrimoine familial, ils n'envisagent nullement de favoriser, par cette même clause, le second conjoint de l'un d'eux. Plus grave : lorsque le conjoint survivant se remarie, il est fort probable qu'il n'envisage nullement de porter atteinte aux droits de ses enfants. N'empêche que le droit successoral n'apporte pas la moindre solution, toute clause ou convention étant nulle puisque pacte sur succession future. Par contre, la clause d'attribution insérée dans le contrat de mariage peut être modalisée. Plusieurs modalités peuvent être proposées : - l’application de la loi dite « loi Valkeniers » Depuis cette loi du 22 avril 2003, ayant inséré un alinéa 2 à l’article 1388 du Code civil, il est permis, mais sans préjudice du droit de l’un des époux de disposer, par testament ou par acte entre vifs, au profit de l’autre «époux, ni du droit du conjoint survivant à l'usufruit portant sur l'immeuble affecté au jour de l'ouverture de la succession du prémourant au logement principal de la famille et des meubles meublants qui le garnissent, aux conditions prévues à l'article 915bis §§ 2 à 4, ete ce même sans réciprocité, de conclure entre époux un accord complet ou partiel relatif aux droits que l’un peut exercer dans la succession de l’autre, par exemple de priver le conjoint n’ayant pas d’enfant des droits en usufruit dans la succession de l’autre époux. - une attribution assortie d'une clause de residuo, par analogie au legs de residuo, c’est à dire le legs qui a pour objet ce qui restera des biens légués à un premier bénéficiaire, au décès de celui-ci 9. 9 L. RAUCENT, Les Libéralités, Academia, Bruylant, 1991, p. 15 En l’occurrence, il s’agit d’une attribution de communauté assortie, en faveur des enfants du mariage, d’une condition résolutoire du décès du survivant des époux : à son décès, l’attribution sera résolue et les enfants issus du premier mariage reprendront, par l’effet de la résolution, les droits qu’ils auraient dû recevoir de leur auteur prémourant en l’absence de cette attribution. Cette clause est elle-même modalisée en vue de permettre au conjoint, bénéficiaire de l’attribution, de disposer de son vivant (soit purement et simplement, soit uniquement à titre onéreux) des biens communs, objets de l’attribution. Elle peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le patrimoine commun appartiendra au conjoint survivant pour la totalité en pleine propriété. En cas d'existence d'enfants ou de descendants issus du mariage, cette convention est consentie et acceptée sous la condition que ce qui subsistera des biens, objet de la présente attribution, au décès du conjoint survivant reviendra, au décès de celui-ci, à titre de 'de residuo' aux ayants droit du prémourant. Le conjoint survivant pourra librement disposer à titre onéreux des biens objet de la présente attribution. Il ne pourra cependant pas les aliéner à titre gratuit, ni en disposer par testament. » - une clause stipulant le paiement, par le conjoint survivant, d'une somme due en nue-propriété de manière à être payée à son propre décès Cette clause a été proposée par Hélène Casman à l'occasion d'une journée d'études organisée par la Commission Néerlandophone de la Fédération Royale des Notaires de Belgique le 26 avril 1995 10. Le Professeur Casman part de la constatation qu'en vertu d'une clause d'attribution du patrimoine commun au profit du conjoint survivant, celui-ci bénéficie d'un avantage non soumis à réduction puisque cet avantage n'entre pas en ligne de compte dans la 125 10 H. CASMAN, Enkele suggesties voor het opstellen van huwelijkscontracten met keuze voor een gemeenschapstelsel, in Evolutie in de huwelijkscontrakten, Vormingsdag van de Nederlanstalige Raad van de K.F.B.N., 26 avril 1995 16 masse successorale, c'est à dire ni dans le calcul de la réserve ni dans celui de la quotité disponible. De plus, le conjoint survivant, bénéficiaire d'une telle attribution, dispose librement de tous les biens communs, sans aucune obligation de rendre compte aux héritiers du prémourant. Il se pourrait ainsi que le conjoint survivant dilapide l'ensemble des biens ayant fait partie du patrimoine commun. Pour tenter de pallier l'absence d'obligation de reddition de compte, le Professeur Casman a dès lors imaginé une clause d'attribution avec charge : le patrimoine commun est attribué pour la totalité en pleine propriété au conjoint survivant, à charge pour lui de payer, à la succession du prémourant, une somme correspondant à la moitié de la valeur nette du patrimoine commun. Cette charge n'a cependant pas pour objet d'obliger le conjoint survivant à payer immédiatement une somme d'argent : il faut considérer que, dans l'hypothèse envisagée, les époux ont voulu s'avantager au maximum l'un l'autre. C'est pourquoi cette somme n'est stipulée exigible qu'au décès du conjoint survivant et doit, en conséquence, être considérée comme n'étant due, par le conjoint survivant, qu'en nue-propriété, ses droits en usufruit sur la succession du prémourant n'étant pas battus en brèche par cette stipulation. Il est également prévu - puisque le but initial reste d'avantager au maximum le conjoint survivant - qu'aucune sûreté ne peut être exigée pour garantir ce paiement, du moins aussi longtemps que le conjoint survivant administre lui-même les biens et qu'il n'est pas en faillite. Une sûreté peut également être prévue en cas de remariage du conjoint survivant. Cette clause peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le patrimoine commun appartiendra pour la totalité en pleine propriété au conjoint survivant, à charge pour lui de payer à la succession du prémourant une somme égale à la valeur nette de la moitié du patrimoine commun au jour du décès, sous déduction des droits de succession afférents à la succession du prémourant. En aucun cas cette somme ne sera productive d'intérêts. Le paiement de cette somme peut être fait à n'importe quel moment par le conjoint survivant, même partiellement, soit en argent, soit par abandon de biens communs à la 17 succession. Le paiement ne peut cependant être exigé aussi longtemps que le conjoint survivant exerce son usufruit sur les biens successoraux. Il ne peut également pas être exigé de sûreté, à l'exception des cas suivants : - si le conjoint survivant n'est plus en état d'administrer lui-même son patrimoine ; - si le conjoint survivant est en faillite ou se trouve en état d'insolvabilité notoire ; - si le conjoint survivant se remarie. » e) Les clauses de partage du patrimoine commun en présence d’enfants d’un précédent mariage La rédaction du contrat de mariage permet également de programmer sa succession lorsque l’un des futurs époux a retenu des enfants d’une précédente union et que les futurs époux souhaitent à la fois se protéger mutuellement, mais également avantager au maximum les enfants du précédent mariage. Un exemple permet d’illustrer cette hypothèse : un époux, ayant des enfants d'un précédent mariage, se remarie avec un conjoint qui n'a pas d'enfant. Les époux souhaitent adopter un régime de communauté, mais ils souhaitent également préserver au maximum les droits des enfants issus du précédent mariage de l'un d'eux. Ils souhaitent que cette protection aille jusqu'à l'attribution à ces enfants de la totalité du patrimoine commun qui existera lors du deuxième mariage, sans évidemment perdre de vue les droits du conjoint survivant si celui-ci est précisément celui qui n'a pas d'enfant. Pourrait-on, dans le contrat de mariage, stipuler qu'en cas de dissolution du mariage par le décès de l'un des époux, le patrimoine commun appartiendra : - en cas de prédécès du conjoint qui a des enfants d'un précédent mariage, pour la totalité en usufruit au conjoint survivant et pour la totalité en nue-propriété aux enfants du prémourant; - en cas de prédécès de l'autre époux, pour la totalité en pleine propriété au conjoint survivant ? En d’autres termes, est-il possible d’insérer, dans le contrat de mariage, une clause attribuant la nue-propriété à l’un des époux et l’usufruit à l’autre ? L'article 1461 du Code civil prévoit que les époux peuvent convenir que celui qui survivra, ou l'un d'eux s'il survit, recevra lors du partage une part autre que la moitié, voire tout le patrimoine. Il n'y a dès lors aucune exigence d'égalité entre les époux. Cependant, la clause proposée pose trois problèmes : 18 - Il se peut que l'usufruit ainsi attribué au conjoint survivant ait une valeur inférieure à la valeur de la moitié du patrimoine commun en pleine propriété. Une clause attribuant au conjoint survivant une part du patrimoine commun inférieure à la moitié est-elle valable ? La réponse cette question ne fait aucun doute : lors de la discussion du texte de l'article 1461 du Code civil en commission du Sénat, la première rédaction, où il était question d'une « part moindre que la moitié » a été remplacée par une « part autre que la moitié », ce qui permet l'attribution à l'un des époux d'une part plus grande ou moindre que la moitié du patrimoine commun. - A l'inverse, il se peut que l'usufruit attribué au conjoint survivant ait une valeur supérieure à la valeur de la moitié du patrimoine commun et même supérieure à la quotité disponible. Il faudra, dans ce cas, faire application de l'article 1465 du Code civil en vertu duquel la clause d'attribution sera sans effet pour ce qui a été donné au-delà de la quotité disponible. - L'avantage matrimonial peut-il être fait à des héritiers ? La réponse à cette dernière question est largement controversée. La Cour d'Appel de Gand, dans un arrêt du 17 juin 194711, a décidé qu' « il est permis aux époux de stipuler par leur contrat de mariage que la totalité de la communauté reviendra à l'un d'eux, s'il survit, et en cas de son prédécès à ses héritiers. » Les articles 1457 et 1461 nouveaux du Code civil visent expressément l'époux survivant. La rédaction de ces articles donne donc à penser que les clauses de préciput et de partage inégal constituent des gains de survie et ne peuvent être consenties au profit des héritiers. Toutefois, les articles 1377 et 1451 du Code civil consacrent l'autonomie de la volonté des époux. Les articles 1457 et 1461 du Code civil n'envisagent le préciput et la stipulation de parts inégales, voire l'attribution de la totalité du patrimoine commun, qu'en faveur du ou d'un conjoint survivant. Ces articles ne sont pas impératifs. Il semble que rien n'empêcherait les époux de prévoir d'autres modalités. Certains auteurs sont d'ailleurs d'avis que ces clauses peuvent être stipulées en faveur des héritiers 12. 11 Gand, 17 juin 1947, Rev. Prat. Not., 1947, p. 417 voy notamment B. DEROUAUX, Clauses modificatives du régime légal et autres conventions matrimoniales, in Sept leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, Liège, 1977 12 19 En l'absence de toute disposition impérative contraire, on voit dès lors mal ce qui empêcherait d'admettre la validité des clauses d'avantages matrimoniaux en faveur des héritiers d'un conjoint. Cette clause peut être rédigée comme suit : « En cas de dissolution du patrimoine commun par le décès de l'un des époux, et dans ce cas seulement, les parties stipulent, à titre de convention de mariage, que le patrimoine commun appartiendra : - en cas de prédécès de A, à son conjoint survivant pour la totalité en pleine propriété; - en cas de prédécès de B, à son conjoint survivant pour la totalité en usufruit et à sa succession pour la totalité en nue-propriété. » 20 Section 2.- Le droit des donations – Quelques suggestions de clauses protectrices du conjoint du donateur et du conjoint du donataire Comment peut-on, d'une part, assurer la sécurité du conjoint du donateur et, d'autre part, celle du conjoint du donataire ? §1.- Conjoint donateur 1° Protection du logement familial. Formule Et à l'instant est ici intervenu(e) : M..... (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M...., comparant(e) qui après avoir été éclairé(e) par nous, notaire, sur la portée des articles 215, 224 et 858bis du Code civil, nous déclare : 1° avoir une parfaite connaissance des clauses et conditions du présent acte de donation et marquer son accord sur celle-ci. 2° que cette donation ne met nullement en péril les intérêts de la famille et qu'en conséquence, il (elle) renonce purement et simplement à introduire toute action ayant directement ou indirectement pour objet l'annulation de cette donation ou l'octroi de dommages et intérêts. 3° soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. soit qu'il (elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. COMMENTAIRES L'article 215 protège le conjoint du donateur lorsque le bien donné constitue le logement principal de la famille ou les meubles meublants qui le garnissent. En effet, le conjoint devra donner son accord pour cette donation. Nous sommes favorable à la thèse selon laquelle cette protection persiste tant que dure le mariage. Reconnaissons cependant qu'elle ne rencontre pas l'unanimité en doctrine et en jurisprudence. a) L'intervention du conjoint du donateur est-elle obligatoire à l'acte constatant la donation? Rappelons que la loi impose l'accord du conjoint et non son consentement 13. 13 Régimes Matrimoniaux, R.P.D.B. compl. VI, n° 394-398; L. RAUCENT, Les Régimes Matrimoniaux, Cabay, 1986, p. 101; 21 En conséquence, le conjoint ne doit pas obligatoirement comparaître à l'acte authentique. Bien que cet accord puisse être prouvé par toutes voies de droit, il est cependant conseillé de recourir à l'écrit dont un exemplaire sera remis au notaire afin que celui-ci puisse veiller à la sécurité juridique de l'acte qu'il est requis de dresser. Si le conjoint du donateur n'intervient pas à l'acte constatant la donation, il est conseillé d'annexer cet écrit à l'acte authentique dans un souci de pure conservation. b) Quelle est l'étendue de la protection ? Elle vise le logement principal de la famille et les meubles meublants qui le garnissent. En conséquence, le domicile repris sur la carte d'identité n'indique pas toujours le logement principal de la famille. Par ailleurs, la doctrine et la jurisprudence s'orientent de plus en plus vers le maintien de la protection du logement familial jusqu'à la dissolution du mariage même s'il y a séparation de fait des époux 14. c) Y a-t-il un recours contre le refus abusif du conjoint ? Le donateur peut se faire autoriser à accomplir la donation par le tribunal de première instance de la résidence conjugale et même, en cas d'urgence, par le président de cette juridiction si le conjoint refuse de donner son accord sans motif grave. d) Sanctions Rappelons que l'acte constatant la donation est annulable à la demande du conjoint (art. 224, 1 C. civ.). Cette action en nullité doit être introduite dans l'année à compter du jour où l'époux demandeur a eu connaissance de la donation (art. 224, § 2 C. civ.). Ses héritiers disposent d'un nouveau délai d'un an à compter du décès du conjoint du donateur si celui-ci décède dans l'année du jour où il a eu connaissance de la donation. e) La donation en nue-propriété est-elle un acte de disposition protégé par l'article 215 du Code civil ? Mons, 26 mars 1980, Rev. not. b., 1980 p. 309. 14 Régimes Matrimoniaux, R.P.D.B., compl. VI, n° 402 et 403, M. VERWILGHEN et E. BEGUIN, Chronique de Jurisprudence 1977-1984, J.T. n° 43 et suivants; Civ. Liège, 28 juin 1985, Jur. Liège, 1985 p. 640; J. DE GAVRE, La banque dans la vie quotidienne, p. 125 à 133; L. RAUCENT, op. cit., p. 99-100. 22 La protection visée par cet article s'applique à tous les actes de disposition même si ceux-ci ne nuisent pas à la jouissance du bien 15. Ainsi, la donation d'un immeuble en nue-propriété avec réserve de l'usufruit en faveur du donateur et réversion de celui-ci sur la tête de son conjoint, nécessite l'accord de ce dernier même s'il n'y a aucune limitation à la possibilité de jouir du logement principal de la famille et des meubles meublants qui le garnissent. Précisons cependant que l'octroi au conjoint d'un droit en usufruit sur le logement principal de la famille devrait être considéré par le juge comme ne justifiant pas le refus du conjoint du donateur 16. 2° Donations qui mettent en péril les intérêts de la famille ? Formule. Et à l'instant est ici intervenu(e) : M..... (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M...., comparant(e) qui après avoir été éclairé(e) par nous, notaire, sur la portée des articles 224 et 858bis du Code civil, nous déclare : 1.- avoir une parfaite connaissance des clauses et conditions du présent acte de donation. 2.- que cette donation ne met nullement en péril les intérêts de la famille et qu'en conséquence, il (elle) renonce purement et simplement à introduire toute action ayant directement ou indirectement pour objet l'annulation de cette donation ou l'octroi de dommages et intérêts. 3.- soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. soit qu'il (elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. COMMENTAIRES 15 L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, Cabay-Bruylant, 1979, n° 64; E. VIEUJEAN, in Sept leçons sur la réforme des régimes matrimoniaux, p. 27; J. DE GAVRE et M.F. LAMPE, La Réforme des droits et devoirs respectifs des époux et des régimes matrimoniaux, Ed. Jeune Barreau, p. 110 et 125). 16 J. DE GAVRE et M.F. LAMPE, op. cit., p. 110. 23 La notion de logement principal de la famille est sujette à peu d'ambiguïté. En pratique, le problème réside dans le maintien de la protection visée par l'article 215 du Code civil lorsqu'il y a séparation de fait des époux et l'octroi d'un droit qui n'affecte pas la jouissance. Par contre, la notion d'intérêts de la famille et la mise en péril de ceux-ci est une question de fait qui est laissée à l'appréciation du juge. La protection des intérêts de la famille est en conséquence plus sournoise. Un notaire ne disposera pas des éléments de fait pour apprécier le risque d'une action en annulation de la donation. Ph. De Page n'hésite pas à parler d'un "véritable cauchemar" 17. a) Champ d'application L'article 224 du Code civil vise-t-il toutes les donations? On pourrait conclure du caractère général de cet article que toutes les donations sont annulables à la demande d'un époux dès qu'elles mettent en péril les intérêts de la famille. Les travaux préparatoires 18 et la doctrine 19 considèrent que cette protection vise uniquement : les biens personnels du donateur lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens pure et simple. Rappelons à ce sujet que le régime primaire est applicable non seulement aux époux dont le régime matrimonial est régi par le droit belge, mais aussi à ceux qui sont régis en vertu d'une loi étrangère. Il convient en conséquence d'analyser en droit comparé quel est le régime matrimonial du donateur. les biens propres du donateur lorsque les époux sont mariés sous un régime de communauté. En conséquence, la donation de biens communs n'est pas susceptible d'être annulée sur base de l'article 224 du Code civil. Elle pourrait cependant l'être par application de des articles 1419 et 1422 du Code civil. 17 Chronique de Jurisprudence, 1984-1987 sur les Régimes Matrimoniaux, Rev. trim. dr. fam., 1988, p. 38 18 Rapport de la sous-commission de la justice du Sénat, Doc. parl. Sénat, 1974, n° 683, n° 2, p. 24. 19 L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63; J. DE GAVRE et M.P. LAMPE op. cit., p. 184-185. 24 b) Mise en péril de l'intérêt de la famille Le tribunal jouit d'un très large pouvoir d'appréciation pour déterminer, d'une part, s'il y a péril des intérêts de la famille et d'autre part, l'étendue du concept "famille". Les travaux préparatoires 20 et la doctrine 21 considèrent qu'il faut prendre en considération non seulement les intérêts du conjoint du donateur mais aussi des parents et des enfants même s'ils ne vivent pas sous le même toit, par exemple les enfants d'un précédent mariage qui n'habitent pas avec le donateur 22. La cour de cassation a estimé à juste titre que le juge doit apprécier la mise en péril des intérêts familiaux en se rapportant au jour de la conclusion du contrat 23. c) Sanctions Celle-ci est double (art. 224, § 2 C. civ.) : - d'une part, l'annulation de la donation. Il s'agit d'une nullité relative qui ne peut être demandée que par le conjoint du donateur ou ses héritiers; - d'autre part, l'octroi des dommages et intérêts, si l'acte n'est pas annulé ou si cette annulation ne répare pas intégralement le préjudice subi par le conjoint du donateur. Délai ? A peine de forclusion, le conjoint du donateur doit introduire sa demande dans l'année du jour où il a eu connaissance de l'acte. Si ce délai n'est pas encore écoulé, les héritiers de ce conjoint disposeront d'un nouveau délai d'un an pour demander l'annulation de la donation et l'octroi éventuellement de dommages et intérêts (art. 224, § 2 C. civ.). Ce délai ne peut être ni interrompu ni suspendu 24. d) Peut-on éviter cette double sanction ? 20 Rapport sur commission de la justice du Sénat, p. 24. 21 L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63; J. DE GAVRE et M.F. LAMPE, op. cit., p. 187. 22 Rapport Hambye à la Commission de la Justice Doc. parl. Sénat, n° 683 (1974), n° 2. 23 Cass. 5 avril 1985, J.T. 1985, p. 388. 24 Rapport HAMBYE, op. cit., p. 19. 25 Assez curieusement, une partie de la doctrine 25 et de la jurisprudence 26 considère que l'action en annulation peut être intentée si le conjoint du donateur refuse de donner son consentement. E. Vieujean considère même que le donateur pourrait se faire autoriser par le tribunal pour donner un bien personnel si son conjoint refuse d'y consentir 27. N'y a-t-il pas une confusion entre d'une part, l'accord du conjoint requis par l'article 215 du Code civil et d'autre part, l'action en annulation ou en l'octroi de dommages et intérêts prévue par l'article 224 du Code civil ? Cet article n'envisage nullement et contrairement à l'article 215 du Code civil la possibilité d'éviter l'annulation de l'acte s'il y a consentement préalable du conjoint du donateur. Le terme "consentement" est inexact, il faudrait logiquement dans ce cas demander l'accord du conjoint. En effet, le conjoint du donateur n'est pas partie à l'acte. Même l'accord préalable du conjoint n'est pas requis. Par contre, cet accord est requis lorsqu'il s'agit d'un logement principal de la famille. En conséquence, alors que l'article 215 du Code civil permet à un époux de se faire autoriser par justice à passer l'acte sans l'accord de son conjoint, le tribunal ne pourrait dans le cadre de l'article 224 du Code civil, suppléer au défaut d'accord du conjoint du donateur, puisque cet accord préalable n'est aucunement requis par la loi. Il serait, en effet, curieux d'introduire une action en justice en raison de l'absence d'accord de son conjoint, alors que celui-ci n'est pas imposé par la loi. En réalité, ce n'est pas l'accord ou le consentement à la donation par le conjoint du donateur qu'il faut obtenir, mais bien son accord de renoncer purement et simplement à entamer l'action en annulation ou en l'octroi de dommages et intérêts. Cet accord peut être obtenu : Préalablement à la donation Aucune disposition légale n'impose le recours à l'acte authentique. L'accord du conjoint peut être prouvé par toutes voies de droit. Le notaire soucieux de la sécurité juridique de l'acte qu'il doit dresser, demandera cependant soit l'intervention à l'acte soit la production d'un écrit d'où il résulte que le conjoint du donateur renonce à l'action en annulation ou à l'octroi de dommages et intérêts. Dans un souci de pure conservation, il sera préférable d'annexer cet écrit à l'acte et d'y relater l'existence de cette annexe. 25 L. RAUCENT, op. cit., 1979, p. 63 26 Civ. Gand 9 mai 1983, R.G.E.N., 1984, p. 257. 27 E. VIEUJEAN, op. cit., p. 29. 26 Dans l'acte de donation De manière générale, cette intervention est très souhaitable. Elle permettra au notaire d'expliquer au conjoint du donateur la portée de son intervention. Après l'acte de donation. Puisqu'il s'agit d'une nullité relative, l'acte de donation peut être ratifié par le conjoint du donateur. Ainsi que le précise l'article 1338 du Code civil, la ratification "emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pourrait opposer contre cet acte". Il conviendra de reprendre dans l'acte ratificatif, d'une part, le fait que le conjoint du donateur a connaissance de la possibilité de demander l'annulation de la donation aux conditions visées par l'article 224 du Code civil et d'autre part, qu'il souhaite ratifier cet acte et renoncer à toute action en annulation ou en dommages et intérêts. 3° Donation des biens communs Formule Et à l'instant est ici intervenu(e) : M. (prénoms, nom, profession, domicile) époux(se) de M.... qui déclare : 1° avoir une parfaite connaissance du présent acte et consentir à la donation faite par son conjoint. 2° en conséquence, renoncer purement et simplement à introduire toute action ayant directement ou indirectement pour objet l'annulation de la donation. 3° soit qu'il ne peut être déduit de son intervention que la donation est réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. soit qu'il(elle) consent en outre à la donation afin que celle-ci soit réputée consentie avec dispense de rapport à son égard. COMMENTAIRES L'article 1419 du Code civil pose le principe qu'un époux ne peut sans le consentement de son conjoint disposer entre vifs à titre gratuit des biens communs. a) Champ d'application Par disposition entre vifs à titre gratuit, il faut comprendre uniquement les donations sensu stricto 28. Sont en conséquence visées, toutes les donations quelles qu'en soient leur 28 L. RAUCENT op. cit., 1979, p. 243, R.P.D.B., Régimes matrimoniaux, (Droit interne), compl. VI, p. 802, n° 1136; Civ. Anvers, 30 octobre 1985, Rechts. Weekbl., 1985-1986, 27 forme (donation directe, indirecte ou déguisée, don manuel) et leur objet (meuble ou immeuble). Par contre, sont exclus : les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et de présents d'usage ainsi qu'assez curieusement, les donations en faveur du conjoint survivant (art. 1419 al.2 C.Civ.). Il convient également d'y ajouter les institutions contractuelles 29. Précisons enfin que ce consentement est requis même s'il s'agit d'une donation à un enfant commun. b) Sanction A défaut de consentement, le conjoint du donateur pourra s'il justifie d'un intérêt légitime et sans devoir prouver la mise en péril des intérêts de la famille, obtenir l'annulation de la donation. Toutefois, contrairement à l'article 224 du Code civil, cette annulation ne peut porter atteinte aux droits des tiers de bonne foi (art. 1422 dernier alinéa C. Civ.). c) Objet du consentement Celui-ci est double : - soit l'époux comparaît à l'acte en qualité de co-donateur avec son conjoint, - soit l'époux intervient à l'acte pour marquer son accord sur la donation consentie par son conjoint sans être lui-même donateur. Précisons que le fait que le conjoint doit consentir à la donation, implique que celleci est réputée faite avec dispense de rapport à son égard à moins qu'il n'en ait disposé autrement (art. 858bis C.civ.). Il convient en conséquence de préciser dans l'acte la volonté du conjoint du donateur en ce qui concerne le rapport de la donation. Sans préjudice de l'application de l'article 858bis du Code civil, lorsque les époux sont tous deux donateurs, aucun consentement exprès n'est requis; il se déduira de la volonté des époux de donner tous deux un bien commun. 4° Donation avant ou pendant le mariage a) Donation avant le mariage col. 266. 29 L. RAUCENT, op. cit., 1986, p. 160. 28 Toute personne peut librement disposer de ses biens à titre gratuit. Ces libéralités feront éventuellement l'objet d'une réduction en cas d'existence de descendants ou d'un conjoint survivant voire d'un ascendant. Rappelons que la protection légale qui découle de la réserve protège dès lors le conjoint survivant même s'il n'était pas marié avec le donateur lors de la donation. La réserve en usufruit du conjoint survivant obéit en principe à toutes les règles qui régissent la réserve et notamment à celle définie à l'article 922 du Code civil qui fixe l'établissement de la masse de calcul 30. C’est pour permettre aux époux d’échapper à la rigueur de cette règle que l’article 1388 alinéa 2 a été inséré dans le Code civil par la loi du 22 avril 2003 (loi Valkeniers). Il existe également d’autres possibilités : Donation à charge de rente viagère, avec réserve d’usufruit ou à fonds perdu (art.918 C.civ.) Formule Je soussigné(e) : M.... époux(se) de M... (domicilié(e) à .... : 1.- reconnais avoir une parfaite connaissance de la donation consentie par mon conjoint en faveur de M.... le ... 2.- consens en vertu de l'article 918 du Code civil à cette donation et en conséquence renonce à la réduction et au rapport de cette libéralité. COMMENTAIRES Si c'était une donation soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdu, soit avec réserve d'usufruit, à un descendant, le conjoint du donateur pourra valablement consentir à cette libéralité conformément à l'article 918 du Code civil. Ce consentement aura pour conséquence que cette donation ne pourra faire l'objet d'une réduction ou d'un rapport. Le consentement du conjoint ne doit pas être obligatoirement constaté dans l'acte de donation, 30 P. DELNOY, Questions relatives à la réserve du conjoint survivant, in Dix années d'application de la réforme des régimes matrimoniaux, Académia-Bruylant, Patrimoine I, 1987, p. 339 et 340; R. BOURSEAU, Les droits successoraux du conjoint survivant, 1981, p. 304; L. RAUCENT, Les droits successoraux du conjoint survivant, Swinnen, 1981, p. 52. 29 il peut l'être dans un acte séparé même sous seing privé postérieur à la donation ou préalable à celle-ci 31. En conclusion, les libéralités consenties par un époux avant son mariage seront définitivement sorties du patrimoine du donateur, sans possibilité de rapport ou de réduction32 s'il s'agit de libéralités visées par l'article 918 du Code civil et que le conjoint du donateur ait consenti à cette libéralité antérieure au mariage. Autres donations (non visées par l'article 918 C. civ.) Formule A.- Je soussigné(e) : M.... époux(se) de M... domicilié(e) à .... : 1.- reconnais avoir une parfaite connaissance de la donation consentie par mon conjoint en faveur de M.... le ... 2.- consens en vertu de l'article 858bis du Code civil à cette donation et en conséquence renonce au rapport de cette libéralité. Pour ces donations, la possibilité offerte au conjoint du donateur est moins radicale, puisqu'elle ne vise que le rapport. En effet, le donateur peut tout d'abord nonobstant les termes de l'acte, marquer son accord que la libéralité est consentie par préciput et hors part. Il suffira dans ce cas au donataire d'accepter cette nouvelle condition. § 2. Donation pendant le mariage. Rappelons que le conjoint du donateur jouit d'une triple protection qui lui est reconnue par les articles 215, 224, 1419 du Code civil. 31 A. KLUYSKENS, Schenkingen en testamenten, n° 114. 32 Bruxelles, 13 avril 1972, Pas. 1972, II, 130; VANQUICKENBORNE et DEKKERS, Examen de jurisprudence 19651972, Rev. crit. jur. b., 1975, p. 93; voyez cependant contra Gand, 25 juin 1971, Rechts. Weekbl., 1973-1974, 1494; J.M. RAXHON, L'article 918 du Code civil et la loi interprétative du 4 janvier 1960, Ann. Fac. Dr. Liège 1962, p. 1949; voyez enfin avis nuancé de P. DELNOY, Les fondements et moyens d'interprétation de l'article 918 in fine, Rev. crit. jur. b., 1978, p. 39 et suiv. 30 5°. Libéralités rapportables en faveur du conjoint survivant Formules Dispense de rapport Est ici intervenu(e) M... qui conformément à l'article 858bis du Code civil déclare (en outre) consentir à la présente donation afin que celle-ci soit réputée faite avec dispense de rapport à son égard. Dispense de rapport en nature. Est ici intervenu(e) : M.... qui conformément à l'article 858bis du Code civil déclare (en outre) consentir à la présente donation afin que celle-ci soit réputée faite à son égard avec dispense de rapport en nature. En conséquence, le donataire sera tenu de lui payer, le cas échéant, une rente déterminée suivant les modalités fixées par le premier alinéa de cet article. Obligation du rapport. Est ici intervenu(e) : M.... qui déclare conformément à l'article 215 (ou 1419) du Code civil consentir à la présente donation. Toutefois, ce consentement ne pourra être interprété comme constituant une dispense de rapport à son égard. COMMENTAIRES Il convient tout d'abord de préciser les libéralités qui sont visées par l'article 858bis du Code civil. Il s'agit de toutes les libéralités : donation par acte authentique, donation indirecte ou déguisée et don manuel. Précisons cependant que l'article 858bis du Code civil est applicable depuis le 6 juin 1981. Le conjoint survivant peut-il dès lors exiger le rapport des libéralités consenties avant cette date. Se fondant sur l'article 2 du Code civil, la doctrine considère que les libéralités consenties avant le 6 juin 1981, autrement que par testament, continueront à sortir leurs effets fixés par la loi en vigueur au moment de la conclusion du contrat, même si le décès intervient à compter du 6 juin 1981 33. Par contre, la nouvelle législation s'appliquera aux libéralités même si elles sont consenties avant le 6 juin 1981 pour tout ce qui concerne les dispositions impératives, telles que la réduction des libéralités. 33 L. RAUCENT, Les droits successoraux du conjoint survivant, Swinnen, 1981, p. 206; Les actes de donation, Recyclage F.R.N.B., 1981, p. 150 et suiv. 31 Lorsqu'il s'agit d'une libéralité qui est rapportable en moins prenant, le conjoint survivant aura droit au paiement d'une rente viagère et indexée calculée sur base de la valeur des biens donnés, meubles ou immeubles 34 à la date du décès et suivant un taux fixé soit par le juge de paix, soit par le tribunal de première instance si une action en partage a été entamée. La donation est réputée faite avec dispense de rapport à l'égard du conjoint du donateur s'il y a consenti à moins qu'il n'en soit disposé autrement. Cette présomption est regrettable, car la loi impose souvent le consentement ou l'accord du conjoint (voyez à ce sujet supra commentaire des articles 215, 224 et 1419 du c. civ.). En ce qui concerne l'article 224 du Code civil, l'intervention du conjoint n'implique pas son consentement mais bien le renon à toute action en annulation ou en dommages et intérêts. Toutefois, afin d'éviter toute équivoque, il convient de préciser les limites de l'intervention du conjoint. Intervient-il pour consentir à la donation parce que la loi requiert son accord ou consentement (art. 215 et 1419 du Code civil) ou marque-t-il également son accord sur le fait que la donation sera réputée à son égard consentie avec dispense de rapport. Recherchons en conséquence la clarté en précisant la portée exacte du consentement du conjoint. 6° Clauses d'accroissement et de réversion Formule a) En cas de donation par deux époux (accroissement). Chacun des donateurs se réserve sa vie durant l'usufruit des biens donnés. Par ailleurs, à titre de charge de la présente donation, le donataire laissera au survivant des donateurs et durant la vie de celui-ci, l'usufruit des biens donnés par le conjoint prédécédé. En conséquence, le donataire ne disposera de la pleine propriété des biens donnés qu'à compter du décès du donateur survivant. b) En cas de donation par un époux (réversion). Le donateur se réserve sa vie durant l'usufruit des biens donnés. Par ailleurs, à titre de charge de la présente donation et si le conjoint du donateur lui survit, le donataire laissera à ce conjoint durant sa vie, l'usufruit des biens donnés. 34 L. RAUCENT, op. cit., p. 194 32 En conséquence, le donataire ne disposera de la pleine propriété des biens donnés qu'à compter du décès du conjoint du donateur. COMMENTAIRES La clause d'accroissement implique que deux époux font conjointement donation de la nue-propriété soit d'un bien indivis entre eux, soit d'un bien commun, soit enfin de biens appartenant en partie à l'un des époux et pour le surplus à la communauté, en se réservant la totalité en usufruit du bien donné jusqu'au décès du survivant des donateurs. L'usufruit du donateur survivant se verra dès lors accru de celui du donateur prédécédé. La clause de réversion implique par contre donation de biens personnels au donateur avec d'une part, réserve d'usufruit en sa faveur et réversion de celui-ci en faveur de son conjoint s'il lui survit. En conséquence, sensu stricto, ces clauses d'accroissement et de réversion s'exécutent sans aucune intervention du donataire qui devra cependant attendre le décès du conjoint survivant pour disposer de la pleine propriété du bien donné. a) Validité de ces clauses Se fondant sur l'article 617 alinéa 2 du Code civil, la doctrine majoritaire considère que le donateur ne peut transmettre à son conjoint un usufruit qui s'éteint lors de son décès 35 . Se fondant sur l'article 1097 du Code civil qui interdit la donation entre époux mutuelle et réciproque par un seul et même acte, la doctrine 36 et la jurisprudence 37 considèrent que la clause d'accroissement dans la mesure où elle est réciproque entre les donateurs, constitue une donation entre époux par un seul et même acte. Cette clause sera en conséquence nulle, de nullité absolue. Toutefois, cette doctrine et cette jurisprudence précisent que cette nullité devient relative à compter du décès du donateur et qu'elle peut dès lors être couverte par confirmation, ratification ou exécution volontaire de la donation (art. 1340 C. civ.). 35 LAURENT, op. cit., T. VI, n° 352 et suiv.; DE PAGE, op. cit., T. VI, n° 195, 203 et 223, DE BRABANDERE, L'usufruit, in Rep. Not. Tome II, n° 4, 5 et 214; voyez contra Cass. 12 décembre 1902, R.G., 13.713. 36 DE PAGE, op. cit., T. VIII, p. 844 37 Cass. 29 avril 1977, Pas. 1977, I, 883. 33 Ceci implique que cette nullité ne peut être couverte du vivant du donateur. Elle peut être invoquée par le donateur, le donataire, par toute personne intéressée ou d'office par le juge 38. L'on peut toutefois s'interroger sur l'application de l'article 1097 du Code civil en cas d'existence d'une clause d'accroissement en usufruit ? Cet article a depuis longtemps été critiqué par la doctrine 39. Par ailleurs, l'application de l'article 1097 du Code civil ne nous semble pas aussi évidente. En effet, l'article 949 du même Code permet au donateur de réserver "à son profit, ou de disposer au profit d'un autre, de la jouissance ou de l'usufruit des biens meubles ou immeubles". Cet article s'applique également aux donations entre époux. Ne pourrait-on déduire de son caractère général que ce droit est reconnu aux époux, même s'il s'agit d'une donation réciproque effectuée en un seul acte ? De plus, la clause d'accroissement d'une rente viagère entre époux, constitue également une donation. Toutefois, cette clause ne sera pas nulle par application de l'article 1097 du Code civil; en effet, l'article 1973 de ce code précise "elle (la rente viagère) peut être constituée au profit d'un tiers, quoique le prix en soit fourni par une autre personne. Dans ce dernier cas, quoiqu'elle ait les caractères d'une libéralité, elle n'est point assujettie aux formes requises pour les donations; sauf les cas de réduction et de nullité énoncés dans l'article 1970". Cet article énonce pour seules nullités, la libéralité consentie à une personne incapable de recevoir ou celle qui excéderait la quotité disponible. Pourquoi le législateur aurait-il autorisé la donation réciproque par un seul acte lorsqu'il s'agit d'une rente viagère et non lorsqu'il s'agit d'un usufruit. Ceci paraît d'autant plus curieux qu'en matière de libéralités, il a souvent prévu des conséquences identiques pour l'usufruit et la rente viagère (voy. notamment art. 917 et 918 C. civ.). Par ailleurs, rien ne nous semble pouvoir justifier cette différence de statut. b) Solution - donation avec charge Afin d'éviter l'application des articles 617 et 1097 du Code civil, la pratique a imaginé d'imposer au donataire la charge de laisser au conjoint survivant du donateur 38 DE PAGE, op. cit., p. 566. 39 PLANIOL et RIPERT, op. cit., T. V, n° 756; DE PAGE, op. cit., p. 844; L. WEYTS, in Les actes de donation, Recyclage F.R.N.B., 1981, p. 80, observations DILLEMANS. 34 l'usufruit sa vie durant des biens donnés par l'époux prémourant. On aboutit ainsi à un accroissement ou à la réversion de l'usufruit sans cependant avoir des conséquences identiques aux clauses sensu stricto d'accroissement et de réversion. c) Conséquences d'une charge établie au profit du conjoint En droit civil En réalité, le conjoint survivant reçoit l'usufruit d'une partie du bien donné (accroissement) ou de la totalité de ce bien (réversion) par le biais du donataire. Il ne s'agit pas sensu stricto d'une clause d'accroissement ou de réversion mais bien d'une donation avec charge imposée au donataire, et plus précisément d'une stipulation pour autrui à titre gratuit. Il convient dès lors d'en tirer les conséquences juridiques : 1° la charge imposée au donataire s'analyse comme une donation dans les relations entre le donateur (stipulant) et le tiers qui est ici en l'espèce, le conjoint du donateur. Il en résulte que la donation sera révocable pour les causes prévues par le Code civil et notamment pour les donations entre époux consenties autrement que par conventions matrimoniales (art. 1096 C. civ.) même s'il y a eu acceptation de la stipulation pour autrui par le conjoint du donateur. 2° La charge imposée au donataire s'analyse comme un droit de créance entre le donataire et le conjoint du donateur. Ceci justifie que lorsqu'il s'agit d'un immeuble, le conservateur des hypothèques devra prendre inscription du privilège du donateur afin de garantir l'exécution de la charge (art. 27, 3° et 32, L. hyp.). Ceci implique que le conjoint du donateur au profit duquel existe la stipulation pour autrui, pourra exercer ce privilège en cas d'inexécution de la charge par le donataire 40. Précisons que cette formule issue de la pratique permet d'éviter l'application de l'article 617 du Code civil. En effet, comment peut-on transférer en faveur de son conjoint, tout ou partie d'un usufruit, qui a pris fin par son décès ? On peut par contre l'imposer au donataire à titre de charge. S'il s'agit d'un accroissement de l'usufruit, il convient cependant de s'interroger sur l'application éventuelle de l'article 1097 du Code civil. Nous avons vu que dans les relations entre le donateur et le tiers (conjoint) il s'agit d'une donation. En conséquence, l'on pourrait en déduire que l'article 1097 du Code civil est applicable et dès lors que la donation réciproque de l'usufruit du bien donné, ne peut se faire par un seul et même acte. Il convient cependant de préciser qu'il s'agit d'une donation indirecte et qu'en conséquence, les conditions de forme prescrites pour les donations, ne sont pas applicables 41 . 40 41 DE PAGE, op. cit., p. 487 Contra DE PAGE, op. cit., p. 478 et note 13; voy. 35 Le conjoint du donateur doit-il accepter cette stipulation pour autrui ? En principe, la stipulation pour autrui est révocable tant que le tiers ne l'a pas acceptée expressément ou tacitement (art.1131 in fine C. civ.). Elle deviendrait, en conséquence, irrévocable dès son acceptation par le tiers. Cependant, entre époux, nonobstant son acceptation, la stipulation pour autrui à titre gratuit restera révocable jusqu'au décès du donateur (art. 1096 C. civ.). Elle ne sortira ses effets qu'à compter du décès du donateur. Dès lors, si celui-ci révoque la donation, le donataire deviendra plein propriétaire à compter du décès du donateur. Il n'y aura dans ce cas ni accroissement ni réversion de l'usufruit en faveur du conjoint du donateur. En conséquence, l'acceptation de cette stipulation n'est pas obligatoire lors de la donation, elle n'empêchera pas le donateur de la révoquer. En droit fiscal L'administration fiscale envisage deux situations : 1° Lorsqu'il s'agit d'une clause d'accroissement soit sensu stricto, soit imposée à titre de charge au donataire, aucun droit ne sera dû lors du décès du donateur même si l'acte ne prévoit pas de manière expresse une charge imposée au donataire 42. 2° Lorsqu'il s'agit d'une clause de réversion sensu stricto ou imposée au donataire en vertu d'une charge, le droit de donation sera perçu au tarif en vigueur le jour de l'acte et sur la valeur de l'usufruit établie par application de l'article 47 du Code des droits d'enregistrement 43 . Quand faut-il payer ces droits de donation ? Dans les quatre mois du décès du donateur (art. 33 C. enreg.), même si le conjoint du donateur accepte la stipulation pour autrui dans l'acte de donation44. Précisons enfin que également supra la critique de l'art. 1097, Section 2, § 2. 42 Circulaire 9 août 1941, R.G.E.N., n° 18.213; voy. aussi DONNAY, R.G.E.N., 1979, n° 22325, n° 17. 43 DONNAY, R.G.E.N., 1979, n° 22.325, n° 15. 44 DONNAY, op. cit., n° 15; DONNAY, Droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, Rép. not., p. 193, n° 189. 36 l'administration considère qu'il y a acceptation de la stipulation en faveur du conjoint du donateur dès qu'il intervient à l'acte de donation45. 7° Donation conjointe de l'usufruit et de la nue-propriété Nous limiterons notre sujet à la donation par un époux de l'usufruit à son conjoint et de la nue-propriété à une ou plusieurs autres personnes (descendants, parents...). Le souci du donateur est, dans la majorité des cas, de permettre à son conjoint de jouir sa vie durant de l'usufruit du bien donné. Nous retrouvons ainsi le souci du donateur qui a été traduit dans la pratique par le recours aux clauses d'accroissement et de réversion ou aux donations avec charge. La donation entre vifs de l'usufruit à son conjoint du bien donné nous semble plus favorable en droit civil et en droit fiscal que la charge imposée au donataire de laisser au conjoint du donateur s'il lui survit, l'usufruit de tout ou partie du bien donné. En droit civil Si le bien donné constitue le logement familial, le donateur nonobstant la donation en usufruit à son conjoint, pourra continuer à habiter avec lui et jouir éventuellement de meubles meublants qui le garnissent si ceux-ci sont compris dans la donation (art. 213 C. civ.). Si le bien donné ne constitue pas le logement familial ou les meubles meublants qui le garnissent, les revenus des biens donnés tomberont en communauté si les époux sont soumis à un régime de communauté. Par contre, si les époux ont adopté le régime de la séparation de biens pure et simple, les revenus du bien donné resteront acquis au conjoint usufruitier. Toutefois, même dans cette hypothèse, la donation en usufruit en faveur de son conjoint permettra dans certains cas de compenser les désavantages pour un époux d'avoir opté pour cette forme de régime matrimonial. Par ailleurs, en cas de divorce, de séparation de corps et de biens, de séparation de fait ou dans toutes autres hypothèses, comme le désaccord entre les époux, le donateur disposera toujours de la faculté de révoquer cette donation si celle-ci n'est pas consentie par contrat de mariage ou par acte modificatif du régime matrimonial (art. 1096 C. civ.). Cette révocation aurait pour effet d'anéantir rétroactivement la donation46. 45 Déc. 30 janvier 1959, R.G.E.N., 1959, n° 20455. 46 DE PAGE, op. cit., p. 833 et 845. 37 A qui profite cette révocation ? La résolution de la donation implique que l'usufruit donné au conjoint appartiendra à nouveau au donateur. En droit fiscal Outre les conséquences civiles, la donation en usufruit entre vifs en faveur de son conjoint est également avantageuse sur le plan fiscal. En effet, le donataire ne paiera des droits d'enregistrement que sur la valeur de la nue-propriété et le conjoint sur la valeur en usufruit puisque l'usufruit n'est pas réservé par le donateur (art. 48 C. enreg.). En conséquence, la base imposable sera déterminée en fonction de la valeur de la nue-propriété et de celle de l'usufruit (art. 133, al. 3 C. Enreg.). Un exemple nous permettra de nous rendre compte de cet impact fiscal. Cette formule est-elle applicable dans tous les cas ? S'il s'agit d'une donation non réciproque par un conjoint de la totalité de l'usufruit à l'autre époux, le donateur ne disposera plus d'aucun droit sur le bien donné si son conjoint usufruitier venait à décéder avant lui. En effet, par application de l'article 617 du Code civil, l'usufruit aura pris fin par le décès du conjoint usufruitier de sorte que le donataire en nuepropriété deviendra plein propriétaire. Il est toutefois possible de pallier cet inconvénient en stipulant une charge au donataire en nue-propriété. Il conviendra en effet de prévoir qu'en cas de prédécès du conjoint usufruitier, le donataire en nue-propriété aura la charge de laisser la jouissance du bien donné au donateur. Lorsqu'il s'agit d'une donation avec réserve d'usufruit en faveur du donateur, réversible sur la tête de son conjoint, la donation en usufruit ne pourra être annulée sur base de l'article 1097 du Code civil puisqu'il n'y a pas de donation réciproque. Par contre, lorsqu'il s'agit d'une donation par deux époux d'un bien en nue-propriété avec donation en usufruit entre ces époux, l'on pourrait, même si cela paraît critiquable, prétendre que cette donation en usufruit est nulle si elle est constatée par un seul et même acte (art. 1097 C. civ.). Même si nous ne croyons pas que cet article soit applicable dans ce cas pour les motifs que nous avons déjà invoqués, il convient cependant que le notaire assure aux parties la sécurité juridique de l'opération qu'on lui demande de constater. Deux solutions nous semblent possibles pour aboutir à cette sécurité. La première est radicale, le notaire devra recevoir deux actes de donation, l'un par l'époux, l'autre par l'épouse, chacun d'eux devra cependant intervenir à l'acte de donation 38 de son conjoint pour accepter la donation en usufruit et si l'un des articles 215 - 224 et 1419 du Code civil était applicable (voyez à ce sujet supra section 1). Cette solution pourra sembler extravagante aux praticiens. Précisons cependant que la différence de coût représentera souvent peu de choses par rapport au bénéfice fiscal de la donation entre vifs en usufruit en faveur de son conjoint au lieu de recourir à la donation avec charge qui est actuellement la clause utilisée dans la pratique. La seconde solution, plus discutable, aurait pour objet : 1° les époux consentent la donation en nue-propriété à un tiers et se font mutuellement donation entre vifs de la quote-part de l'usufruit qu'ils détiennent chacun dans le bien donné. 2° une charge imposée au donataire de la nue-propriété d'accorder au conjoint survivant la jouissance de la part qu'il a donnée à son conjoint. Le conjoint survivant disposera ainsi de la totalité du bien donné en usufruit, partie en vertu de la donation de son conjoint, partie en vertu de la charge imposée au donataire de la nue-propriété de la donation. 3° une charge imposée au donataire de la nue-propriété d'accorder la jouissance au conjoint survivant de la part qu'il a donnée à son conjoint si la donation réciproque en usufruit était contestée. Ce dernier point aurait pour seul objectif le risque très discutable d'une annulation de la donation réciproque entre époux consentie par un seul et même acte. §2. Conjoint donataire 1° Double donation a) Hypothèse Des parents ont l'intention de donner à leur enfant un terrain. Celui-ci va y construire au moyen de deniers communs ou en tout ou partie au moyen de deniers propres de son conjoint. Comment peut-on protéger le conjoint qui aura investi dans un immeuble dont il n'est pas propriétaire. Si le bien donné fait l'objet d'un droit de retour légal (art. 366, § 1, 747 et 766 C. civ.), le conjoint survivant aura l'usufruit sauf disposition contraire (art. 745bis C. civ.). b) Analyse de différentes solutions b.1. Donation du terrain à l'enfant et ensuite donation par celui-ci de la moitié du terrain à son conjoint En droit civil 39 Cette solution n'assure pas la sécurité du conjoint. En effet, la donation sera impérativement révocable ad nutum par l'époux donateur (art. 1096 C. civ.). En conséquence, cette révocation aura pour effet de faire perdre au conjoint ses droits immobiliers. Il ne conservera qu'un droit de créance contre son époux. En droit fiscal Cette solution n'est guère avantageuse. En effet, les droits d'enregistrement seront perçus sur la totalité de la valeur du terrain lors de la donation par les parents à l'enfant et ensuite une seconde fois sur la moitié de cette valeur lors de la donation par l'époux à son conjoint. b.2. Donation du terrain à l'enfant et ensuite modification du régime matrimonial ayant pour objet l'apport du terrain en communauté ou en société d'acquêts En droit civil Cette solution assure une plus grande sécurité du conjoint. En effet, l'apport en communauté par l'époux donateur ne constitue pas durant la vie de celui-ci une libéralité en faveur de son conjoint47. En conséquence, elle ne peut être révoquée. Si les époux sont mariés sous le régime légal, il convient de préciser les conséquences de cet apport en communauté : 1° Cet apport en communauté permettra soit au conjoint survivant soit au conjoint désigné à défaut d'accord par le tribunal en cas de divorce ou séparation de corps et de biens pour cause déterminée, de se faire attribuer le bien tombé en communauté s'il s'agit du logement familial ou de l'immeuble servant à l'exercice de la profession du conjoint qui demande cette attribution (art. 1446 et 1447 C. civ.)48. Le tribunal devra statuer en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause49. Les époux peuvent conventionnellement adapter cette possibilité d'attribution préférentielle. 47 DE PAGE, op. cit., T. X, n° 1162; Régimes matrimoniaux (Droit interne), R.P.D.B., n° 1450 et suiv. 48 L. RAUCENT, Les régimes matrimoniaux, Cabay-Bruylant, 1986, p. 237 à 239. 49 L. RAUCENT, op. cit., p. 238; CASMAN et VAN LOOK, Les régimes matrimoniaux, Ced Samson, 1977, III/20, p. 6-7. 40 2° Si l'immeuble apporté est attribué au conjoint survivant pour une part dépassant la moitié, ce qui excède cette moitié sera considéré comme une libéralité (art. 1464 C. civ.). Cette règle ne s'appliquera que si le conjoint survivant n'est pas l'époux qui a fait entrer dans le patrimoine commun l'immeuble qu'il a reçu. En droit fiscal Les droits d'enregistrement seront perçus sur la valeur de l'immeuble donné. Par contre, l'acte constatant l'apport de l'immeuble au patrimoine commun sera enregistré au droit fixe général. b.3. Renonciation au droit d'accession et donation du terrain à l'enfant La pratique notariale antérieure à la réforme sur les régimes matrimoniaux de 1976 recourait déjà à la formule de la donation d'un terrain par les parents à un enfant et, dans le même acte ou par acte séparé à la renonciation à l'accession par le donataire en faveur de son conjoint ou de la communauté qui existait entre eux. L'objectif était surtout d'éviter la perte que subirait le conjoint du donataire si l'immeuble qui a été construit sur le terrain l'a été au moyen de fonds communs ou personnels à ce conjoint. Il est vrai que le nouveau mode de calcul des récompenses (art. 1432 et suiv. C. civ.) permet actuellement de réparer partiellement l'injustice de l'ancien droit. Toutefois ceci implique que les époux conservent toutes les preuves de paiement afin de savoir quels sont les fonds communs ou propres qui ont été utilisés pour la construction. La preuve de la totalité des paiements sera souvent rendue plus difficile en raison du nombre d'années qui séparent le fait générateur de la récompense et la date de la dissolution du régime matrimonial. La formule de la donation par les parents suivie de la renonciation à l'accession par le donataire en faveur de son conjoint ou de la communauté existante entre eux est à déconseiller pour différents motifs : 1° la donation pourra éventuellement faire l'objet d'une action en réduction qui aboutirait à faire tomber dans la succession du donateur le terrain avec ses constructions même si cellesci ont été payées au moyen de fonds propres du conjoint du donataire (art. 929 C. civ.). 2° La renonciation à l'accession en faveur de la communauté est discutable en raison de l'absence de la personnalité juridique de la communauté. 3° Si les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens pure et simple, cette renonciation en faveur du conjoint du donataire impliquerait que les constructions n'appartiennent pas au donataire. Peut-on renoncer partiellement à l'accession ? Il est en conséquence préférable de recourir à la formule suivante : 41 - renonciation à l'accession par les parents en faveur de leur enfant et de son conjoint. - donation par les parents à l'enfant du terrain grevé en vertu de la renonciation au droit d'accession. Cette formule présente un double avantage. D'une part, d'éviter en cas de demande en réduction de la donation que les constructions tombent dans la masse successorale. En effet, la réduction ne peut porter que sur l'objet de la donation c'est-à-dire, le terrain grevé de l'abandon à l'accession. Par ailleurs, cette renonciation est consentie en faveur de l'enfant et de son conjoint et non en faveur du conjoint du donataire ou de la communauté50. b.4. Donation simultanée à un enfant et son conjoint Hypothèse Des parents ont deux enfants, Marc et Paul. Ils ont l'intention de donner un bien immeuble à Marc. Ils souhaitent une égalité en valeur entre leurs enfants. Toutefois, ils désirent limiter leur donation à cet immeuble soit parce qu'ils ne disposent pas de fonds suffisants pour gratifier Paul, soit parce qu'actuellement ils ne souhaitent pas disposer des fonds qu'ils détiennent. Par ailleurs, ils ne voient aucun inconvénient à ce que l'immeuble donné appartienne par la suite à Marc et à son épouse, Christine. En droit civil Cette opération pourrait, par exemple, s'effectuer comme suit : 1° Donation par les parents de 50/100ièmes à Paul, de 49/100ièmes à Marc et 1/100ième à Christine. 2° Cession de droits indivis par Paul à concurrence de 1/100ième à Marc et 49/100ièmes à Christine. Cette solution permet de créer une indivision entre Marc et Christine. S'ils se sont mariés sous le régime de la communauté, le bien restera en principe propre (art. 1399 et 1400, 5 C. civ.). 50 Nous éviterons cependant de parler juridique de la renonciation à l'accession sujet le lecteur aux nombreux articles notamment L. WEYTS, Recyclage 1981 F.R.N.B. 42 ici de la nature et renvoyons à ce déjà publiés et p. 95 à 102. Par ailleurs, cette formule permettra de rencontrer le souhait des donateurs et plus précisément l'égalité en valeur entre leurs enfants. En effet, Paul recevra lors de la cession des droits indivis, la valeur de la moitié de l'immeuble le même jour que Marc qui sera propriétaire de la moitié indivise du bien immeuble. Christine par contre sera propriétaire de la moitié de cet immeuble en ayant payé 49% de sa valeur à Paul. L'on pourrait d'ailleurs imaginer que Christine emprunte afin d'effectuer ce paiement. Cette solution présente ainsi l'avantage que la partie donnée aux enfants est quasi identique, aucun d'entre eux n'est lésé ni avantagé puisque chacun reçoit une valeur identique le même jour. Ce système assure la protection de Christine puisqu'elle sera propriétaire de la moitié indivise du bien et dès lors à l'abri de toute révocation puisqu'il n'y a eu aucune donation entre Marc et Christine. Si le bien immeuble est un terrain, les constructions qui seront érigées appartiendront aux deux époux. Par ailleurs, ce système permettra d'éviter les aléas voire les difficultés relatives aux comptes de reprises et récompenses et aux créances entre époux s'ils sont mariés dans ce dernier cas sous le régime de la séparation de biens. En droit fiscal Ainsi que nous l'avons analysé, cette formule est avantageuse en droit civil et notamment parce que : - l'action en réduction est en principe exclue. - l'égalité en valeur est assurée. - le conjoint du donataire disposera d'une partie du bien en pleine propriété sans faculté de révocation comme l'aurait été une donation directe par son époux. - aucun décompte entre les époux ne sera nécessaire lors de la dissolution du mariage (compte de reprises et récompenses ou droit de créances entre époux). L'on ne pourrait dès lors prétendre que cette solution vise uniquement l'avantage fiscal qui pourrait en résulter51. Par ailleurs, nous ne percevons pas comment l'administration fiscale pourrait sur base de l'article 18 du Code des droits d'enregistrement et par application de la circulaire du 18 décembre 1995 requalifier cette opération. Cette avantage fiscal est double : - la donation à plusieurs personnes permettra d'éviter partiellement la progressivité des droits d'enregistrement. Le taux de taxation sera d'autant plus faible qu'il y a de donataires. 51 Voy. pour la simulation, DONNAY, op. cit., Rép. not., p. 413 et 414. 43 - le droit de partage ne sera dû que sur les quotités cédées puisque l'indivision ne prend pas fin. Le seul inconvénient réside dans le taux (étranger) applicable en vertu de la donation d'une quotité au conjoint de l'un des donataires. Cet inconvénient est cependant minime car cette quotité le sera également (dans notre exemple 1/100ième). 44 Chapitre II. La cohabitation Le souhait de partenaires non mariés d’assurer la protection du survivant lors du décès de l’un d’entre eux est un souhait auquel les praticiens sont fréquemment confrontés puisque, vous le savez, la loi ne prévoit aucun droit légal à hériter de son partenaire, sauf le cas du mariage. La loi sur la cohabitation légale n’a rien changé à cet égard. La transmission du patrimoine et la protection du survivant peut être envisagée de plusieurs manières : - la donation ; - le testament ; - les contrats aléatoires (tontine et a clause d’accroissement) ; - le bail à vie ; - le commodat ; - la vente. Section 1.- La donation Pour rappel, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire, qui l’accepte. Ce caractère irrévocable, inhérent à tous les contrats, est d’ailleurs renforcé quand il s’agit d’une donation : non seulement les parties au contrat ne peuvent y mettre fin de manière unilatérale mais, en outre, elles ne peuvent, même de commun accord, assortir la donation de modalités ou de clauses qui leur permettraient de se réserver un moyen de se soustraire à l’exécution du contrat (« donner et retenir ne vaut »). Comme tout contrat, la donation doit avoir une cause, laquelle doit en outre être licite, c’est à dire qu’elle ne peut être prohibée par la loi, contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. En matière de cohabitation, la notion de « contrariété aux bonnes mœurs » a subi une évolution importante ces dernières années pour arriver à la conclusion que le concubinage, même adultère, n'est plus en soi une présomption d'un mobile illicite déterminant. De plus, la reconnaissance - par la loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale - de la vie commune, y compris entre personnes du même sexe, permet de conclure que les juges admettront difficilement que la cause d’une donation entre cohabitants est illicite parce que contraire aux bonnes mœurs. 45 De même, la loi sur le mariage des homosexuels ne fait que renforcer cette idée de licéité de la donation entre cohabitants. COMPARAISON AVEC LE MARIAGE Si l’on compare la donation entre cohabitants et la donation entre époux, 2 différences fondamentales doivent être soulignées : il s’agit du coût de la donation et du caractère irrévocable de celle-ci. § 1. Le coût Pour rappel, la donation est en principe un acte solennel qui doit, en vertu de l’article 931 du Code civil, se réaliser par acte authentique. Or, les donations par acte authentique sont nécessairement soumises au droit d'enregistrement des donations. Actuellement, entre époux, le taux s’établit comme suit : En régions wallonne et flamande - de 0,01 à 12.500 - de 12.500 à 25.000 - de 25.000 à 50.000 - de 50.000 à 100.000 - de 100.000 à 150.000 - de 150.000 à 200.000 - de 200.000 à 250.000 - de 250.000 à 500.000 - au-delà de 500.000 3% 4% 5% 7% 10 % 14 % 18 % 24 % 30 % En région bruxelloise - de 0,01 à 50.000 - de 50.000 à 100.000 - de 100.000 à 175.000 - de 175.000 à 250.000 - de 250.000 à 500.000 - au-delà de 500.000 3% 8% 9% 18 % 24 % 30 % Entre cohabitants, le taux diffère également d’une région à l’autre du pays. En principe, il s’agit du taux « entre toutes autres personnes », soit : Pour les régions wallonne et flamande : 46 - de 0,01 à 12.500 - de 12.500 à 25.000 - de 25.000 à 75.000 - de 75.000 à 175.000 - au-delà de 175.000 30 % 35 % 50 % 65 % 80 % En région bruxelloise, le taux s’établit comme suit : - de 0,01 à 50.000 - de 50.000 à 75.000 - de 75.000 à 175.000 - au-delà de 175.000 40 % 55 % 65 % 80 % Toutefois, chacune des régions a prévu des règles d’assimilation, sous certaines conditions qui diffèrent d’une région à l’autre, du taux applicable aux cohabitants légaux à celui du taux applicable entre époux : - en région bruxelloise : cohabitant = personne qui se trouve en situation de cohabitation légale au sens du titre Vbis du livre III du Code civil. - en région wallonne : Cohabitant = personne qui, au moment de l'ouverture de la succession, était domiciliée avec le défunt et avait avec celui-ci une déclaration de cohabitation légale conformément aux dispositions du livre III, titre V bis, du Code civil, à l'exception de deux personnes qui sont frères et/ou soeurs, oncle et neveu ou nièce, et tante et neveu ou nièce, pour autant que la déclaration de cohabitation légale ait été reçue plus d'un an avant l'ouverture de la succession - en région flamande : cohabitant = 1° la personne qui, à la date d'ouverture d'une succession, vivait ensemble avec le défunt conformément aux dispositions du livre III, titre Vbis du Code civil; ou 2° la ou les personnes qui, à la date d'ouverture d'une succession, vivaient ensemble avec le défunt, sans interruption depuis au moins un an et tenaient un ménage commun avec lui. Ces conditions sont censées également être remplies si la cohabitation et la tenue d'un ménage commun avec le défunt, consécutive à la période de un an jusqu'au jour du décès, est devenue impossible pour cause de force majeure. Un extrait du registre de population constitue une présomption réfutable de la cohabitation ininterrompue et de la tenue d'un ménage commun. Il résulte de ce qui précède que l’inconvénient du coût fiscal de la donation n’existe pas pour les cohabitants qui remplissent les conditions d’assimilation. 47 §2. La révocabilité. L'article 1096 du Code civil stipule que "toutes donations faites entre époux pendant le mariage autrement que par contrat de mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables". Cet article déroge donc expressément à l'article 894 du Code civil qui dispose que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée. La motivation de cet article est de lutter contre le risque d'actes de disposition irréfléchis ou suggérés entre époux. Mais cohabitation n'est pas mariage. Dès lors, les donations entre cohabitants seront soumises au régime de l'article 894 du Code civil : elles seront par nature irrévocables. Or, l'expérience montre que les risques d'actes de disposition irréfléchis ou suggérés entre cohabitants est aussi grand, voire plus important, qu'entre époux. La motivation de la disposition impérative organisée par l'article 1096 du Code civil se retrouve dans la plupart des formes de vie commune. Section 2.- Le testament Le testament est un acte unilatéral, à cause de mort, toujours révocable. La révocabilité est de l’essence du testament. Il exprime dès lors une volonté précaire, qui ne devient définitive que par le décès ou par l'incapacité du disposant à modifier cette disposition. Face à la cohabitation, cette liberté de modifier un testament est normalement le pendant à la liberté de cesser la vie commune à tout moment. Le testament apparaît donc comme le mode normal de disposer entre cohabitants, ce qui constitue un premier avantage. Il existe un deuxième avantage au testament : sa discrétion totale, y compris dans les changements qui peuvent y être apportés, spécialement si le testament est olographe. Sur le plan du coût, le testament pouvait, jusqu’il y a peu, se révéler très désavantageux, son coût (les droits de succession) n’étant pas différent de celui d'une autre libéralité (sauf en région wallonne, où les droits de succession sont plus élevés que les droits de donation). 48 Les législations régionales récentes ont cependant, à certaines conditions différentes d’une région à l’autre, aligné les droits de succession entre cohabitants sur les droits de succession entre époux. Cette assimilation est identique à celle qui existe en matière de droits de donation 52. Il subsiste cependant deux inconvénients du testament : - son caractère révocable qui, s’il est un avantage pour le testateur, est un inconvénient pour le bénéficiaire qui peut, à tout moment, être « dégommé » de la succession ; - mais, surtout, le recours à ce procédé ne peut être utile lorsqu’en plus du cohabitant, le testateur laisse des héritiers réservataires et que le testament a pour effet de porter atteinte à la réserve. Section 3. Les contrats aléatoires § 1.- Généralités et définition Ces deux procédés permettent d’attribuer, au décès du prémourant des propriétaires d’un bien en indivision, la totalité du bien au survivant d’entre eux. La terminologie « tontine » et « clause d’accroissement » est parfois un peu confuse. La pratique ne retient plus que les clauses d’accroissement, lesquelles font intervenir des conditions suspensives: “chacun des copropriétaires du bien cède sa part à l’autre, sous la condition suspensive de son prédécès. En contrepartie de cette cession, le cédant acquiert une chance égale d’obtenir la part de l’autre si c’est lui qui survit”. Cette clause peut porter soit sur la pleine propriété soit sur l’usufruit d’un bien. Son grand avantage est qu’il s’agit d’un contrat à titre onéreux : les parties échangent une chance d’acquérir au décès de l’autre la totalité du bien. Pour autant que ces chances soient égales, c’est-à-dire que les parties aient le même âge ou aient compensé la différence d’âge entre elles par une différence dans le prix qu’elles ont payé, le contrat est aléatoire pour chacune d’elles, ce qui exclut l’idée de libéralité. Les concubins peuvent ainsi échapper aux règles de protection des héritiers réservataires. Situation au point de vue fiscal 52 Voy supra 49 Fiscalement, les différents mécanismes de la tontine aboutissent à des résultats similaires sur le plan fiscal 53. Prenant comme hypothèse, une tontine en pleine propriété sur immeuble, lors de la réalisation de la condition, le droit d'enregistrement dû sur les mutations à titre onéreux sera perçu au taux en vigueur lors de l'acte et sur la valeur des droits cédés lors de la réalisation de la condition 54. La perception sera donc la même dans les deux systèmes, que le cédant soit le vendeur initial (système Nast) ou le coacquéreur. § 2. Eléments d'évaluation économique du contrat de tontine Les éléments mis en jeu : âge, état de santé, sexe Sauf si elle est conclue sur base d'une cause "animus donandi", et donc quelle que soit sa forme, la tontine est, dans la réalité des conventions entre les contractants, un contrat impliquant la détermination des éléments faisant l'objet de l'échange, voire de la vente si la prestation de l'un d'eux était principalement constituée par un prix. Dans le cas habituel où deux personnes, acquérant ou possédant ensemble un immeuble, veulent se céder mutuellement leurs droits à titre onéreux, le prix qu'ils reçoivent est la chance d'obtenir la totalité du bien aux mêmes conditions. Il convient donc que les éléments d'appréciation de l'évaluation aléatoire soient corrects. En France, le contrat de tontine est classé dans la matière des contrats d'assurance. Si, en Belgique, la loi n'en fait pas état, les mêmes principes que ceux relatifs aux primes d'assurance trouvent à s'appliquer. Une corrélation objective doit exister entre la prime payée et le bénéfice de la police. Les éléments d'appréciation des risques couverts seront : - l'état de santé des parties, dans leurs rapports l'un vis-à-vis de l'autre, - l'âge et le sexe, dans la mesure où il est admis que la durée de vie d'une femme est statistiquement supérieure à celle d'un homme du même âge de 4 à 5 ans. Mais il faut aussi tenir compte des éléments contractuels du contrat. Spécialement, la non rétroactivité du contrat signifie dans la plupart des cas que les 53 voy. P. CULOT, in "Le Notaire, votre partenaire aujourd'hui et demain", Bruxelles, Bruylant, 1992, p.294 54 c. enr. 15, 16 et 114. 50 contractants vont acquérir l'usufruit en indivision jusqu'au premier décès. Dès lors, le contrat aléatoire ne porte généralement que : - sur l'usufruit entre le premier décès et le second, lorsqu'il s'agit d'une tontine en usufruit; - sur la nue propriété après le premier décès si la tontine est en propriété. Eléments de calcul Les actuaires peuvent établir des normes d'évaluation précise. Les parties ont tendance à considérer qu'elles sont deux êtres égaux et elles considèrent a priori les chances égales, quel que soit leur âge. Une solution raisonnable est d'apprécier la valeur des droits mis en jeu, même de manière sommaire. Nous nous bornerons ici à la situation la plus fréquente : celle de la tontine en usufruit. Pour plus de détail, nous renvoyons le lecteur à notre étude lors de Journées notariales de Louvain-la-Neuve 55. Normes d'évaluation d'une tontine en usufruit Nous supposerons que l'état de santé des contractants est normal et n'implique pas de correction nécessaire. En outre, nous supposerons que selon l'usage le plus fréquent, les tontiniers souhaitent bénéficier de l'usufruit conjointement jusqu'au premier décès. Lors d'une Journée d'études dont les travaux n'ont pas été publiés et qui fut tenue à Louvain-la-Neuve le 1er décembre 1990, les actuaires KUYPER, PHILIPPE et JeanLuc LEDOUX avaient établi des tableaux chiffrés facilitant l'évaluation et, en particulier, les tableaux de la valeur de l'usufruit sur une tête. Résumé de ce tableau, pour les principaux âges. Valeur d'un usufruit sur une tête en pourcentage de la pleine propriété (taux de capitalisation 4%) Age 25 28 30 Valeur 85,22 83,37 82,04 Age 50 53 56 55 Valeur 63,59 60,00 56,23 "Aspects économiques de la tontine", in Le notaire , votre partenaire, aujourd'hui et demain, Bruxelles, Bruylant, 1992, p.264 51 35 38 40 43 45 48 78,33 75,82 74,03 71,15 69,11 65,87 60 63 66 70 75 80 50,96 46,88 42,73 37,19 30,45 24,16 1. Pour tenir compte de la différence de sexe, diminuer l'âge de la femme de 2 et augmenter l'âge de l'homme de 2. 2. Le tableau donne une approche de la valeur des usufruits acquis par les tontiniers de manière approximative mais souvent suffisante. ______________________________________________________________ Si deux personnes de sexe différent veulent conclure une tontine en usufruit, il faut considérer à partir de ce tableau que l'usufruit acheté par un homme de 40 ans représente 72,5% environ de la valeur de la pleine propriété et que l'usufruit acquis par une femme de 30 ans représente 83,3% de la même valeur. En simplifiant l'évaluation, on considérera donc que l'usufruit acquis ou mis en commun dans le cadre du contrat de tontine a une valeur par rapport à la pleine propriété de 72,5 + 83,5 : 2 = 78% de la pleine propriété. S'il y a acquisition et tontine en usufruit et acquisition de la nue-propriété en indivision ordinaire, les parties devront donc payer : - 22% du prix de vente au titre de l'acquisition de la nue-propriété (prix de la nuepropriété, devenant pleine propriété à partir du décès du survivant des acquéreurs. Cette valeur de la nue-propriété peut être répartie entre les acquéreurs comme ils l'entendent et selon les modalités convenues entre eux.) - 78% du prix se rapportera à l'achat de l'usufruit et sera réparti entr'eux selon la règle de valeur de l'usufruit. Nécessité d'une équivalence des prestations Dans le cadre de la tontine, il n'y a pas une obligation absolue d'assurer l'équivalence des prestations, comme dans un acte de vente, il peut y avoir vente même si le prix est inférieur à la valeur vénale. Dans tout contrat onéreux, les parties disposent d'une certaine liberté dans la fixation du prix. On entend parfois dire que le contrat serait nul s'il n'y a pas équivalence des prestations. Cela est inexact. Mais le contrat pourrait être requalifié en libéralité. Pour autant que le caractère libéral n'apparaisse pas de manière évidente, on serait alors dans le domaine des libéralités déguisées. 52 Il n'y a problème qu'à partir du moment où les prestations seraient tellement déséquilibrées que le caractère libéral du contrat apparaîtrait évident car, dans ce cas, on pourrait invoquer que le contrat est une libéralité directe soumise à des règles de forme strictes et obligatoires. Paiement d'une soulte L'équivalence des prestations n'implique pas l'égalité immédiate des prestations assumées par chacun. L'équivalence des prestations peut être assurée par le paiement d'une soulte à l'expiration du contrat. Exemple : dans le cas évoqué ci-avant, l'acquisition par Roméo et Juliette âgés respectivement de 40 et de 30 ans peut être réalisée en répartissant le prix selon la clef de répartition évoquée ci-avant. Mais elle pourrait être également assurée en indiquant que Roméo et Juliette paient chacun la moitié du prix soit 2.000.000Frs. Il convient alors de stipuler qu'en cas de prédécès de Roméo, compte tenu du fait que Juliette a plus de chances de survivre, elle devra une soulte à la succession de Roméo. Cette soulte n'étant pas payée maintenant mais étant payée au décès de Roméo, et uniquement dans cette hypothèse, elle ne devrait pas être de la moitié de la différence évaluée actuellement soit 110.000Frs (comme dans l'exemple ci-avant). La soulte sera plus élevée, en tenant compte, par exemple, d'un intérêt capitalisé. Elle pourrait être dans notre exemple, de 200.000Frs ou de 250.000Frs environ. § 3.- Les contrats de tontine conclus pour une durée déterminée Un contrat aléatoire, comme tout acte constitutif d'un droit peut être conclu pour une durée déterminée. Cette règle s'applique aussi bien au contrat de tontine en propriété qu'en usufruit. Aujourd'hui, on constate un nombre croissant de contrats aléatoires établissant une clause d'accroissement en propriété ou en usufruit entre indivisaires conclus pour une durée limitée. Cette durée varie dans les contrats rencontrés entre deux et dix ans. Cela ne pose, en soi, aucun problème juridique. La clause qui appelle réflexion et interrogation est celle qui accompagne généralement ces dispositions et selon laquelle le contrat se renouvellera tacitement à l'échéance (avec ou sans préavis avant l'échéance). 53 La difficulté concerne la nature du contrat renouvelé. En effet, il faut se placer au moment du renouvellement du contrat pour apprécier si les prestations restent équilibrées et si le contrat peut encore être qualifié d'onéreux. Si je suppose que lors de l'échéance du contrat et de son renouvellement tacite, Roméo est dans le coma, en phase finale d'un cancer généralisé, il n'y a évidemment plus respect de l'équilibre des prestations. Le contrat ne se renouvellerait non plus à titre onéreux mais à titre gratuit. Il est difficile de faire comprendre cette problématique aux tontiniers lorsqu'ils concluent un contrat et, dès lors, la pratique est fort divisée sur l'utilité d'une telle clause et les risques qu'elle présente. Personnellement, nous ne pouvons que la déconseiller. Nous conseillons plutôt de conclure un contrat à durée déterminée en attirant l'attention des parties sur la nécessité de renouveler ce contrat à son échéance, si les parties le souhaitent encore. § 4. Tontine et droit de sortir de l'indivision Existe-t-il une indivision entre les tontiniers ? La question est depuis longtemps posée en doctrine : existe-t-il une indivision entre les tontiniers ? Au XIXème siècle déjà, le problème était posé 56. Le tribunal de Nivelles, dans un jugement rendu le 31 mai 1994 57 a, concernant une "tontine" en usufruit, jugé que les parties étaient en indivision pour la nue-propriété mais que, pour ce qui concernait l'usufruit, elles étaient liées par une clause de tontine. Il n'y a, selon ce tribunal, pas indivision sur la partie du droit faisant l'objet de la clause. Si l'on applique ce raisonnement à la clause d'accroissement en pleine propriété, il faut conclure qu'il n'existe plus d'indivision entre les tontiniers. En fait, ceux-ci possèdent le bien en indivision mais, dès la signature de la clause d'accroissement, chacun cède ses droits à l'autre sous la condition suspensive de son prédécès. Ayant cédé réciproquement leurs droits, ils ont mis fin à l'indivision et il n'existe plus qu'un seul propriétaire du bien : celui qui survivra, même si les droits de ce survivant sont conditionnels jusqu'au décès du prémourant, et si dans cette attente ils exercent conjointement le droit de jouissance. 56 Cass., 3 mai 1880, Rev. Not. b., 1880, p. 629 57 Rev. Not. b., 1994, pp. 536 et 537 54 La jurisprudence française a clairement exprimé ce principe : "par la clause de tontine, chaque acquéreur est réputé être seul propriétaire des biens acquis, à compter de la date de son acquisition, sous les conditions résolutoire de son prédécès et suspensive de sa survie (...). En conséquence, les acquéreurs n'ont jamais eu de droits coexistant sur le bien acquis 58". Un tontinier peut-il assigner en sortie d'indivision ? Puisqu'il n'existe plus d'indivision entre les tontiniers, l'action en partage de l'article 815 du Code Civil ne pourrait pas être exercée par l'un d'eux. Seule une convention bilatérale entre les tontiniers permettra de mettre fin à la clause de tontine. Le jugement du Tribunal de Nivelles dont question ci-avant a d'ailleurs rejeté la demande de sortie d'indivision au motif que cette demande devait s'analyser en une renonciation unilatérale à la clause de tontine, une telle renonciation unilatérale étant impossible. De même, l'arrêt ci-avant relaté rendu par la Cour d'Appel de Versailles, le 8 janvier 1998 59, rappelle que la clause de tontine exclut que les parties puissent unilatéralement demander le partage. Le Tribunal Civil de Bruxelles a cependant jeté un pavé dans la mare : dans un jugement du 12 septembre 1997 60, il estime qu'il "y a lieu de raisonner à partir du but et de la cause de la tontine; la tontine a un but fiscal, ainsi qu'un but civil, à savoir permettre au survivant des concubins de rester dans l'immeuble jusqu'à sa mort. A partir du moment où la cause et le but disparaissent, la tontine doit disparaître également. Comme les concubins sont séparés et qu'aucun d'entre eux n'est mort, monsieur demande la sortie d'indivision. De plus, la volonté des parties ne peut avoir pour effet d'empêcher un bien d'être vendu (articles 537 et 1598 du Code Civil). 'Tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation.' (...) Attendu que le but poursuivi par la tontine était de partager durant la vie commune une maison achetée en commun et de se ménager des garanties en cas de décès d'une des parties; que l'indivision ne peut être soumise au partage tant que dure la vie commune des époux ou 58 H.L., note sous C.A. Versailles, 8 janvier 1998, Droit de la famille, Ed. Juris-Classeur, novembre 1998, p. 12; V. MORIN, note sous Cass., 1re civ., 11 janvier 1983, Defrénois, 1983, art. 33114, p. 986; Cass., 1re civ., 27 mai 1986, Defrénois, 1987, art. 33888, p. 257 59 Droit de la famille, Ed. Juris-Classeur, novembre 1998, p. 11 60 J.L.M.B., 1999, pp. 1018 et ss 55 des concubins; attendu qu'en l'espèce la dame V. ne conteste pas que le concubinage ait pris fin; que les buts de la tontine sont devenus impossibles et irréalisables; que le bon sens impose dès lors une sortie d'indivision pour un immeuble inoccupé". Nous ignorons si appel a été interjeté de ce jugement. Quoi qu'il en soit, il invoque deux arguments pour autoriser la sortie d'indivision : - la libre circulation des biens. - la disparition de la cause du contrat. En ce qui concerne le premier argument, on peut se demander s'il est pertinent. En effet, comme déjà rappelé, le bien est, dès la conclusion de la convention entre les tontiniers, d'ores et déjà, aliéné. Il l'est certes sous condition suspensive (le décès de l'un d'entre eux), mais de manière définitive. La seule inconnue est l'identité du propriétaire final. Pendente conditione, rien n'empêche chacun des tontiniers d'aliéner ses droits dans l'immeuble même si, sur le plan économique, le fait que ces droits soient conditionnels et puissent correspondre à zéro en cas de prédécès de l'aliénateur ne change rien à ce principe. Concernant le deuxième argument, la réflexion juridique est en pleine évolution et il semble que la jurisprudence continue à suivre cette voie. Opposabilité de la clause aux créanciers ? La question de l'opposabilité de la clause d'accroissement aux créanciers personnels de l'un des contractants est depuis longtemps posée en doctrine. La majorité des auteurs a considéré que la convention entre les tontiniers ne pouvait pas préjudicier aux droits des créanciers. Ceux-ci pouvaient dès lors saisir le bien et provoquer le partage sur base de l'article 1561 du Code Judiciaire 61. Le tribunal civil de Liège 62 a ainsi fait droit à la demande en partage d'un créancier, suivant en cela l'enseignement du Professeur de Leval 63 qui estime que "la tontine ne peut créer une cause d'insaisissabilité opposable aux créanciers des acquéreurs; à leur égard, il y aura tout simplement une indivision régie par l'article 1561 du Code Judiciaire". 61 F. BOUCKAERT, Un procédé juridique oublié : la tontine, Rev. Not. b., 1983, p. 570; G. RASSON, Tontine - Aspects civil et fiscal, Rev. Not. b., 1990, p. 313 et notes citées 62 Civ. Liège, 27 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, pp. 727 et ss 63 G. de LEVAL, "La saisie immobilière", Rép. Not., t. XIII, l. II, p. 115, n° 65 56 Le tribunal ajoute qu'il faut également tenir compte de l'article 815 du Code civil qui prévoit qu'une convention d'indivision ne peut être illimitée et ne peut être obligatoire au delà de 5 ans. Or, en l'espèce, le délai de 5 ans était passé sans qu'un renouvellement du pacte d'indivision ait été transcrit. Ces arguments se rapprochent étrangement de ceux invoqués dans le jugement du tribunal de Bruxelles évoqué sous le numéro précédent. Ne faudrait-il pas distinguer entre les créanciers dont les droits étaient nés avant la conclusion de la tontine (inopposabilité à leur égard) et ceux dont les droits sont nés postérieurement ? Le voeu de voir conservés intacts les droits des créanciers a été ignoré en jurisprudence française, par la Cour de Cassation dans son arrêt du 27 novembre 1970 64, lorsqu'elle a décidé que les créanciers n'avaient pas le droit de provoquer le partage puisque, par définition, il n'existe pas d'indivision entre les acquéreurs. Par ailleurs, admettre l'application de l'article 815 du Code civil aux créanciers, sans l'admettre aux tontiniers, ne relève-t-il pas de l'incohérence juridique ? Les créanciers peuvent-ils saisir les droits indivis de leur débiteur ? Si l'on accepte qu'il y a impossibilité, pour les créanciers, de requérir la sortie d'indivision, il convient alors de considérer que ces créanciers peuvent saisir les droits de leur débiteur. Ces droits sont sans doute conditionnels 65 mais ils existent. En effet, "ne disposant pas d'autres droits que ceux de leur débiteur, ils (les créanciers) ne peuvent saisir que ce dont ce dernier est propriétaire 66". Certes, la vente 64 D.S., pp. 81 à 83; voy également J. PATARIN, obs. Cass. 27 mai 1986, Rev. Trim. dr. Civ., 1987, p. 383 65 B.H. DUMORTIER, Recherche d'un nouveau fondement de la validité de la clause d'accroissement eu égard à la prohibition du pacte sur succession future, Rev. Trim. dr. civ., 1987, n° 8; J. PATARIN, op. cit., p. 383; J.F. TAYMANS, "Le sort de l'immeuble acquis en commun dans le cadre d'une union libre, in L'Union libre, Actes du colloque tenu à l'U.L.B. le 16 octobre 1992, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 192; J.L. LEDOUX, R.P.D.B., v° Saisie immobilière, compl. T. VIII, n° 48; J.L. LEDOUX, Saisie immobilière de biens appartenant à un couple, Rev. Not. b., 1994, p. 116 66 J.F. TAYMANS, op. cit., p. 194 57 forcée d'une propriété conditionnelle n'attirera pas beaucoup d'amateurs créancier peut se porter acquéreur. 67 , mais le Ainsi, dans une clause d'accroissement en pleine propriété, il n'y a plus indivision. Chaque contractant a, dès la signature de la convention, cédé ses droits à l'autre sous la condition suspensive et de son prédécès. Il a, de même, acquis les droits de l'autre contractant dans l'immeuble sous la condition suspensive de sa survie. Les contractants ont mis fin à l'indivision et la seule inconnue qui subsiste, c'est de savoir lequel des deux contractants survivra à l'autre, c'est-à-dire de savoir lequel des deux deviendra propriétaire de tout l'immeuble. Sans doute peuvent-ils contractuellement recréer l'indivision en annulant le contrat de tontine. Fiscalement, cette disposition est neutre car l'on admet l'annulation du contrat sans paiement de droits d'enregistrement en cas de modification du contrat avant la réalisation de la condition. Il faut également en déduire que si les droits d'un tontiniers sont saisis par un créancier, il est impossible aux tontiniers de mettre fin au contrat de tontine, du moins à l'égard de ce créancier. La Cour de Cassation française, dans un arrêt du 18 novembre 1997 68 a entériné ce raisonnement : elle a cassé un arrêt de la Cour d'Appel de Limoges qui avait déclaré nul un commandement de saisie immobilière d'un bien grevé d'une clause de tontine en pleine propriété. La Cour de Cassation a reconnu que l'immeuble faisait partie du gage commun des créanciers, tout en précisant que le droit de gage du créancier ne pouvait s'exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire; en l'occurrence, le droit de propriété du débiteur est conditionnel. Le danger, pour les créanciers, ne provient dès lors ni de l'indivision, ni de l'insaisissabilité des biens, mais du caractère conditionnel de leur gage qui en rend la valeur économique réduite, voire nulle 69. L'opposabilité de la clause d'accroissement aux créanciers et le caractère conditionnel de leur gage ne sont toutefois pas absolus : les créanciers peuvent, en effet, toujours intenter l'action paulienne lorsque les actes posés par leur débiteur sont frauduleux à leur égard. L'exercice de cette action nécessite l'existence d'une créance antérieure à l'acte incriminé, une faute (celle du débiteur et du tiers complice), un préjudice (celui du créancier) et un lien de causalité : le préjudice du créancier doit avoir 67 J. PATARIN, op. cit., p. 383 68 Droit de la famille, Ed. du Juris-classeur, mai 1998, p. 22 69 G. de LEVAL, op. cit., p. 115 58 été causé par l'acte frauduleux 70. Dans la mesure où la clause d'accroissement entraîne une diminution de la valeur économique du gage des créanciers et leur cause dès lors un préjudice, si la créance de ces derniers est antérieure à la convention et s'ils peuvent établir la complicité du cocontractant, ils pourront indiscutablement se voir déclarer inopposable, à leur égard, la clause d'accroissement. Section 4.- Le bail à vie Une bonne solution ? Le recours au procédé du bail à vie est depuis longtemps préconisé en vue de protéger le partenaire survivant 71. L'inconvénient majeur du bail à vie par rapport à la clause d'accroissement - outre celui de rendre en pratique l'immeuble indisponible ou à tout le moins difficilement négociable - est en effet que le bail à vie nécessite la fixation et, partant le paiement d'un loyer correspondant à un loyer normal du bien. L'absence d'un tel loyer ou la fixation d'un loyer dérisoire pourra, en effet, constituer une libéralité indirecte 72. Il y a, à cet égard, lieu de distinguer deux hypothèses : a) les deux partenaires sont copropriétaires indivis de l'immeuble Ils peuvent, dans ce cas, se conférer réciproquement un bail sur leur part indivise : un tel bail d'une chose indivise est parfaitement valable 73. Quant au loyer, il faut à nouveau distinguer : 70 Civ. Liège, 27 janvier 1997, J.L.M.B., 1997, p. 728 71 voy e.a. N. VERHEYDEN-JEANMART, "Le statut patrimonial du ménage de fait", in Le ménage de fait, colloque organisé les 21 et 22 novembre 1985 par le Centre de Recherches Juridiques de l'U.C.L., p. 43; J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, Le statut des biens acquis par deux concubins, Rev. Not. b., 1985, pp. 355 et 356; J.F. TAYMANS, Considérations complémentaires sur le statut des biens acquis par deux concubins, Rev. Not. b., 1987, pp. 582 à 584 72 N. VERHEYDEN-JEANMART, op. cit., p. 43; J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356 73 J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 355 59 - du vivant des deux partenaires : le loyer ne devant pas nécessairement consister en une somme d'argent, "le caractère réciproque du bail aboutit à ce que chacun fournit à l'autre une prestation qui équivaut à un prix 74". En cas de rupture du couple, la contre-prestation ayant disparu, il y aura lieu de fixer, dans la convention, le montant du loyer à payer au partenaire qui cessera d'habiter l'immeuble 75. - de même, au décès de l'un des partenaires, la convention devra fixer le montant du loyer à payer aux héritiers ou ayants droit du prédécédé. Jean-François Taymans 76 est cependant d'avis qu'il est possible de stipuler qu'aucun loyer ne sera dû aux héritiers du prédécédé, "pareille stipulation constituant non une libéralité, mais un contrat aléatoire", l'élément incertain étant, comme en matière de clause d'accroissement, le prédécès de l'un ou de l'autre des partenaires : chacun d'eux confère à l'autre une chance de demeurer habiter dans l'immeuble après son décès, en échange de la chance qu'il a de lui-même demeurer dans l'immeuble s'il survit. L'aléa étant le fondement de l'absence de loyer, nous renvoyons à ce sujet à l'obligation relative à l'égalité des chances en matière de tontine et de clause d'accroissement, et les manières de rétablir cette égalité en cas de différence d'âge entre les deux partenaires 77. Mais observons que l'aléa n'est pas en soi exclusif d'une cause "gratuite" et donc d'une requalification du contrat en libéralité, au point de vue de la perception des droits d'enregistrement ou de succession. b) l'immeuble est la propriété d'un seul des partenaires Le bail peut prendre cours : - soit lors de sa conclusion, du vivant du bailleur. Il faut, dans ce cas, préciser que ce bail ne confère au preneur qu'une jouissance partagée avec le bailleur sous peine de priver celui-ci de tout droit de jouissance de son propre immeuble 78; 74 J.F. TAYMANS, op. cit., p. 582 75 J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356 76 op. cit., p. 582 77 voy à ce sujet l'exemple proposé par J.F. TAYMANS, op. cit., pp. 582 à 584 78 J.F. TAYMANS, G. GAHYLLE et D. DE PAOLI-CLAUSE, op. cit., p. 356 60 - soit au décès du bailleur : pour autant que le bailleur ne se réserve pas la faculté de mettre fin anticipativement au bail, celui-ci n'est pas considéré comme un pacte sur succession future 79. Il faut, en effet, pour qu'il y ait pacte sur succession future, que le bien constitue un élément du patrimoine d'une succession non ouverte d'une personne qui attribue à une autre personne, dans sa succession, des droits purement éventuels sur ce bien 80. Or, dans le cas d'un bail à vie prenant cours au décès du bailleur avec impossibilité, pour ce dernier, de mettre unilatéralement fin au bail, le bailleur s'est définitivement lié, de sorte que les droits du preneur ne sont pas purement éventuels 81. Il existe évidemment un risque qu'entre la conclusion du bail et le décès du bailleur, l'entente entre les partenaires se détériore : le bailleur, qui s'est définitivement engagé et qui ne peut mettre fin unilatéralement à son engagement, ne pourra se libérer du bail qu'avec l'accord du preneur. La fixation du loyer Lorsque le bail concerne un immeuble dont un seul des partenaires est propriétaire, il paraît nécessaire, sous peine de voir requalifier l'opération en libéralité, de fixer un loyer correspondant au loyer normal du bien. Ce loyer pourra soit constituer en des prestations périodiques (mensuelles, trimestrielles, annuelles, .;.), soit en un loyer unique. Il faudra, dans ce second cas, déterminer le loyer unique sur base, d'une part, du loyer périodique et, d'autre part, de la durée probable du bail. Cette durée probable sera particulièrement difficile à déterminer si le bail prend cours au décès du bailleur puisque, dans ce cas, ni sa date de départ, ni son terme d'échéance, ni même l'existence du bail (puisque le preneur pourrait décéder avant le bailleur) ne sont connus. Il arrive souvent que le bail soit conclu pour un loyer unique payé au bailleur, lors de la signature du contrat ou même antérieurement à celle-ci. Le contrat peut, dans ce cas, "couvrir" une libéralité déguisée. Afin d'éviter tout risque de requalification en libéralité, ou l'obligation pour le bailleur de ristourner le loyer unique payé lors de la conclusion du contrat en cas de prédécès du preneur, il suffit de prévoir que ce loyer unique sera payé aux héritiers ou 79 B. CHAMPION, op. cit., p. 113 80 Cass., 10 novembre 1960, R.C.J.B., 1961, p. 6 81 B. CHAMPION, op. cit., p. 113 et note citée 61 ayants droit du bailleur. L'on peut également conseiller de prévoir, dans la convention, le mode de calcul du loyer unique, sur base de critères strictement fixés (par exemple un loyer annuel fixé dans la convention, non révisable, multiplié par un coefficient fixé en fonction de l'âge du preneur au moment de la prise de cours du bail, repris dans des tables annexées au contrat de bail). Le bail devra prévoir, dans ce cas, le délai dans lequel ce loyer unique doit être payé par le preneur et les sanctions en cas de non paiement (intérêts de retard, résolution de plein droit du bail). Les dispositions légales applicables au bail à vie de la résidence principale du preneur La loi du 13 avril 1997 a ajouté à l'article 3 de la loi du 20 février 1991 un 8ème paragraphe comme suit : "Par dérogation au § 1er, un bail écrit peut être conclu pour la vie du preneur. Le bail prend fin de plein droit au décès du preneur. Ce bail n'est pas régi par les dispositions des § 2 à 4 82, à moins que les parties n'en disposent autrement". L'article 7 § 1, alinéa final, précise en outre que les parties peuvent renoncer à la faculté de demander la révision du loyer dans le cas du bail à vie. Il résulte de ces dispositions que : - Le bail à vie doit être conclu par écrit. A défaut d'écrit, le bail sera censé conclu pour 9 ans 83. - Le bailleur ne peut donner congé que si les parties en ont convenu dans le contrat de bail et à la condition, rappelons-le, que le bail ne prenne pas cours au décès du bailleur, auquel cas une telle possibilité le ferait tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future. - Le preneur peut, par contre, donner congé à tout moment moyennant préavis de 3 mois et, le cas échéant, paiement d'une indemnité si le congé est donné au cours du premier triennat. 84 82 congé pour occupation personnelle, travaux importants ou sans motif 83 art. 3, § 1er de la loi du 20 février 1991; B. CHAMPION, op. cit., p. 109 84 art. 3, § 5 de la loi du 20 février 1991 62 - Le bail prend fin de plein droit au décès du preneur, ce qui signifie qu'aucun congé n'est requis et "met en exergue le caractère intuitu personae du bail à vie, qui le distingue des autres baux (qui ne prennent pas fin par le décès de l'une des parties) 85". Cette disposition légale pose, en pratique, une difficulté aux ayants droit du preneur : au sens littéral du texte, ils seraient tenus de restituer les lieux loués le jour même du décès. Afin d'éviter tout problème à ce sujet, Bernard Champion 86 préconise de prévoir, dans le bail, une clause d'occupation précaire pour une courte période (de un à trois mois) afin de permettre aux ayants droit du preneur d'organiser le déménagement et la restitution des lieux loués, cette occupation précaire étant consentie à titre gratuit ou à titre onéreux suivant les termes de la convention et le contrat précisant qu'elle ne peut, en aucun cas, être constitutive d'un nouveau bail au profit des ayants droit du preneur. - Les parties peuvent convenir d'exclure la révision du loyer, ce qui sera particulièrement intéressant en cas de bail prenant cours au décès du bailleur, lequel décès peut survenir plusieurs années après la conclusion du bail. Reste, dans ce cas, l'écueil de la requalification de l'opération en libéralité si, par la suite de l'écoulement des années, le loyer fixé est devenu dérisoire eu égard à l'évolution des loyers dans le quartier dans lequel le bien est situé. Section 5.- Le commodat Définition, nature et durée du contrat Le commodat - ou prêt à usage - est le contrat par lequel une personne met un bien à la disposition d'une autre personne, en vue de permettre à cette dernière d'en user, mais à charge de le restituer après usage 87. Le commodat a été présenté comme une solution alternative intéressante au bail à vie; il permet, en effet, d'éviter un des inconvénients de ce bail : alors que le bail nécessite un prix et est, partant, nécessairement conclu à titre onéreux, le commodat est essentiellement gratuit 88. 85 B. CHAMPION, op. cit., p. 109 86 op. cit., p. 117 87 C. civ. 1875; Cass., 2 décembre 1987, Pas., 1988, I, p. 401 88 C. civ. 1876 63 Ce contrat n'est pas limité aux choses mobilières; il peut parfaitement porter sur un immeuble 89. Quant à sa durée, elle est fixée par les articles 1888 et 1889 du Code civil : - l'article 1888 prévoit que le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée. Rien n'empêcherait d'ailleurs le prêteur d'insérer dans le contrat une clause de précarité aux termes de laquelle la restitution est exigible à tout moment, sur simple demande 90; - l'article 1889 prévoit, quant à lui, que si, pendant ce délai ou avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin urgent et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l'emprunteur à la lui rendre. Obligations des parties Les obligations des parties sont les suivantes : - l'emprunteur doit veiller, en bon père de famille, à la garde et à la conservation de la chose prêtée et il ne peut s'en servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou la convention 91 ; - il ne peut répéter les dépenses qu'il a faites pour user de la chose 92; - le prêteur doit rembourser à l'emprunteur les dépenses qu'il a faites pour la conservation de la chose si elles étaient extraordinaires, nécessaires et tellement urgentes qu'il n'a pu prévenir le prêteur 93. L'article 1879 du Code civil précise également que les engagements formés par le commodat passent aux héritiers de celui qui a prêté et aux héritiers de celui qui a 89 D. DEVOS, Les contrats, Chronique de jurisprudence, 1986-1987, J.T., 1993, p. 78 et références citées 90 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, 3ème éd., T. V, n° 129 in fine 91 C. civ. 1880 92 C. civ. 1886 93 C. civ. 1890 64 emprunté, à moins que la convention ait été conclue en considération de l'emprunteur et de lui personnellement, auquel cas ses héritiers ne peuvent continuer à jouir de la chose prêtée. Le commodat constitue-t-il une libéralité ? Eu égard à son caractère gratuit, l'opération ne pourrait-elle être requalifiée en libéralité ? Autrement dit, le fisc pourrait-il taxer l'opération au droit de donation et les héritiers réservataires pourraient-ils demander la réduction de la libéralité si elle porte atteinte à leur réserve ? D'après Laurent 94, le commodat est une libéralité, mais la "libéralité ne porte que sur l'usage de la chose, et cet usage n'est pas un démembrement du droit de propriété, c'est un droit de créance". Le caractère gratuit est d'ailleurs inscrit dans le Code civil (art. 1876). La libéralité doit s'analyser comme l'absence de jouissance, pour le propriétaire ou ses ayants droit, des biens prêtés 95. Les héritiers réservataires pourront dès lors demander la réduction de cette libéralité si elle excède la quotité disponible. De même, l'administration fiscale pourra percevoir un droit de donation s'il ressort de l'ensemble des stipulations de l'acte et des principes de droit civil que l'opération dissimule une libéralité. Il faut cependant préciser que le commodat n'est pas obligatoirement enregistrable, de sorte que la question ne se posera que si les parties ont produit au receveur de l'enregistrement un écrit faisant titre de l'opération. Est-il possible de déroger à l'article 1889 du Code civil ? Les parties peuvent-elles déroger à l'article 1889 du Code civil, le prêteur se privant ainsi de tout droit de demander la restitution de la chose prêtée avant le terme du contrat, tant pour lui-même que pour ses héritiers ou, à défaut de convention, avant que le besoin de l'emprunteur ait cessé, même en cas de besoin urgent et imprévu ? Le Comité d'Etudes et de Législation 96 a conclu au caractère supplétif de l'article 1889 du Code civil et, partant, à la possibilité, pour le prêteur, de s'interdire de demander la restitution de la chose prêtée même en cas de besoin pressant et imprévu. Cette conclusion repose sur les arguments suivants : 94 T. XXVI, v° Commodat, n° 458 95 Trav. Com. Et. Lég., 1993-1994, dos . 6250, p. 559 96 dos. 1959, à paraître 65 - l'article 1889 du Code civil est une disposition pleine d'équité qui présume une condition tacite de pouvoir résoudre le commodat dans certaines circonstances. Il présume la volonté tacite des parties de ne pas priver le prêteur de sa chose en cas de besoin pressant et imprévu. Or, si le législateur présume la volonté tacite du prêteur, "il va de soi que la présomption doit céder le pas face à la volonté expresse exprimée dans une clause par laquelle le prêteur renoncerait au bénéfice de l'article 1889 97". - d'autre part, en renonçant au bénéfice de cet article, le prêteur renonce au fait qu'il puisse avoir un besoin imprévu. Autrement dit, plus aucun besoin ne pourra être imprévu. Bien plus, la loi vise les besoins imprévus et non, comme en matière de force majeure, le besoin imprévisible. "Or, il n'a jamais été contesté que les parties à une convention puissent exclure les effets de la force majeure et transformer, en ce faisant, une obligation qui normalement serait de moyen ou de résultat en une obligation de garantie. Qui peut le plus, exclure l'imprévisible, ne pourrait-il le moins, exclure l'imprévu 98 ?" - enfin, si le contrat déroge expressément à l'application de l'article 1889 du Code civil, cela doit signifier que le prêteur est en mesure d'apprécier le risque qu'il prend et il n'y a alors plus aucun motif de ne pas respecter le principe de la convention-loi (C. civ. 1134). Dans sa conclusion, le Comité d'Etudes et de Législation a, en outre, précisé que la renonciation à l'article 1889 du Code civil n'était pas un élément suffisant à lui seul pour disqualifier le contrat en libéralité. Mais sur ce point la prudence s'impose. Le contrat de commodat a déjà par lui-même une cause "gratuite" et il nous semble que la renonciation au droit organisé par l'article 1889 accentue sensiblement ce caractère. Si la convention devait, de ce chef, être considérée comme une libéralité, sans doute serait-ce une libéralité indirecte mais dont l'incidence fiscale pourra être importante. Section 6.- La promesse unilatérale de vendre certains biens Intérêt du contrat Outre le bail à vie et le commodat, la pratique a mis en place un troisième mécanisme en vue de protéger le partenaire survivant : la promesse unilatérale de vendre 97 ibidem 98 ibidem 66 un ou plusieurs biens que l'un des partenaires accorde à l'autre sous la condition suspensive de son prédécès. Cette solution est particulièrement recommandée lorsque le défunt souhaite, d'une part, éviter l'exhérédation de ses ayants droit et, d'autre part, que ces ayants droit puissent jouir dès son décès des biens dépendant de sa succession. La seule différence, pour ces derniers, est qu'ils ne recueilleront que la valeur des biens, objets de la promesse de vente, si le survivant lève l'option, plutôt que de les recueillir en nature. Elle présente cependant l'inconvénient, pour le survivant s'il lève l'option, de devoir disposer de fonds lui permettant, d'une part, de payer le prix d'acquisition et, d'autre part, d'acquitter les droits d'enregistrement calculés au taux de 12,5 % 99 si l'acquisition concerne un immeuble. La même solution pourrait être retenue si les deux compagnons sont copropriétaires de l'immeuble : ils peuvent, dans ce cas, s'octroyer une promesse réciproque de vente, toujours sous la condition suspensive de prédécès. Une telle promesse réciproque est valable sur le plan civil et ne constitue pas un pacte sur succession future puisqu'elle ne vise pas des droits éventuels 100, du moins si la promesse est irrévocable. L'inconvénient, pour le concubin survivant, de payer le prix et les droits d'enregistrement est alors atténué : d'une part, parce que le survivant ne doit payer le prix qu'à concurrence des droits de son compagnon prédécédé et, d'autre part, parce que le droit d'enregistrement applicable est le droit de partage de 1 % et non le droit de vente de 12,5 % 101, sauf application de l'article 113 du Code des Droits d'enregistrement, si le survivant tient ses droits dans l'immeuble du prémourant. DEUXIEME PARTIE – FONDATIONS PRIVEES La loi du 2 mai 2002, entrée en vigueur le 1er juillet 2003, sur les associations sans but lucratif a notamment eu pour objet de créer une fondation d’un nouveau type : la fondation privée. 99 art. 44 du Code des Droits d'enregistrement 100 L. WEYTS, "A deux ?", in L'accès à la propriété du logement familial, Journées notariales d'Houffalize, 24, 25 septembre 1987, p. 78 101 art. 109 du Code des Droits d'enregistrement 67 Il en résulte que la fondation n’est désormais plus exclusivement à but d’utilité publique : une fondation même privée, ne peut toutefois être créée pour la réalisation d’un objectif purement égoïste, tel que la poursuite de son propre enrichissement. Une fondation privée ne comprend en fait ni membres ni associés ; il s’agit d’une institution abstraite, dotée de la personnalité juridique, destinée à poursuivre une œuvre désignée par son/ses fondateur(s) et ayant un patrimoine qui lui est propre. L’acte de constitution de la fondation privée est un acte unilatéral, ce qui n’empêche que la fondation privée peut être créée par une ou plusieurs personnes physiques et morales. L’acte de fondation doit s’accompagner de l’affectation d’un patrimoine, ce qui la distingue de l’asbl. En effet, cette dernière n’a pas besoin de patrimoine dans la mesure où elle compte des membres qui lui permettent, par leurs activités et leur industrie, d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Concernant ce patrimoine de la fondation, le législateur n’a fixé aucun seuil minimum ni maximum. Il faut toutefois être attentif au fait que, lors de la rédaction de l’acte de constitution de cette fondation, le rapport qui doit exister entre l’importance du patrimoine affecté et les objectifs fixés soit réaliste et proportionné, afin d’assurer la viabilité du projet. Ces biens peuvent être soit de nature mobilière (meubles corporels ou incorporels) ou immobilière. A ce sujet, il faut noter que le législateur a supprimé l’ancienne disposition selon laquelle la fondation ne pouvait posséder, en propriété ou autrement, que les immeubles nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Cette restriction était en effet de nature à porter entrave à la viabilité économique et financière de bon nombre de projets, puisqu’une fondation d’utilité publique ne pouvait être propriétaire d’un immeuble de rapport n’ayant aucun lien direct avec son objet, même si les revenus de cet immeuble étaient affectés au financement de l’objectif poursuivi. Quant à l’affectation des biens au but poursuivi, elle doit être en principe irrévocable, ce qui ne l’empêcherait pas de n’être que temporaire. Quant à l’administration de la fondation privée, la loi a prévu un contrôle d’administration. Rien n’empêchera pendant les fondations de créer d’autres instances et organes au sein de la fondation (conseils de surveillance, comités d’avis, comités scientifiques et techniques, conseils artistiques, conseils de famille, …). 68 Le Conseil d’Administration de la fondation privée doit être composé d’un minimum de trois membres, personnes physiques ou morales. Les statuts déterminent le mode de nomination et de révocation des administrateurs ainsi que les règles de cessation de leurs fonctions. Concernant le mode de nomination des administrateurs, deux possibilités existent : - soit les nouveaux administrateurs sont nommés par cooptation ; soit la nomination des nouveaux administrateurs est confiée à un organe tiers et indépendant. Aucune exigence n’est fixée par la loi en ce qui concerne la durée du mandat des administrateurs ; cette durée est précisée dans les statuts. La loi prévoit également une règle de collégialité : les membres du Conseil d’Administration exercent en effet leur fonction de manière collégiale. Cette règle est impérative et il est dès lors impossible d’y déroger dans les statuts. Il est ainsi interdit de confier la gestion de la fondation à un seul administrateur (par exemple, le fondateur) ou à quelque membre du conseil seulement. Quant à la durée de vie de la fondation, la fondation privée sera, dans la plupart des cas, perpétuelle. Il est cependant possible de stipuler dans les statuts que la fondation existera pour un terme limité. Ainsi, une fois la fondation créée, les biens qui lui sont affectés sortent définitivement du patrimoine du fondateur pour être exclusivement destinés à la réalisation de l’œuvre choisie. A la personnification juridique de ce patrimoine, cette œuvre survivra à la volonté créatrice du fondateur. Toutefois, cette indépendance juridique patrimoniale perd tout son sens lorsque la mission qui a donné raison à la personnification des biens affectés est définitivement accomplie. Les Parlementaires en ont eu conscience et ils ont dès lors prévu que lorsque le but désintéressé de la fondation est réalisé, le fondateur ou ses ayants droit pourront reprendre une somme égale à la valeur des biens ou les biens mêmes que le fondateur a affectés à la réalisation de ce but. Cette disposition spécifique est essentiellement applicable au cas de la fondation privée constituée par les parents pour subvenir aux besoins d’un enfant handicapé. S’ils lui survivent, il est logique que les parents puissent reprendre les biens apportés ou leur équivalent. Ce retour dans le patrimoine du fondateur ou de ses ayants droit s’effectuera toujours sous le contrôle du Tribunal de Première Instance compétent, puisqu’il lui appartient à lui 69 seul de prononcer la dissolution de la fondation et d’autoriser l’affectation du boni de liquidation éventuel proposé par les liquidateurs dans le respect des statuts. Cette reprise est subordonnée à deux conditions : - elle doit être statutairement prévue ; le but désintéressé de la fondation doit être réalisé. Il résulte de cette disposition que toute une série de buts élimine de facto la possibilité de faire usage de cette clause de reprise. Ainsi, une fondation qui aurait pour objet d’assurer la diffusion des créations d’un artiste peintre : a priori, ce but devra être considéré comme n’étant jamais entièrement réalisé. Du point de vue fiscal, la fondation privée doit être constituée par acte authentique, qui est dès lors soumis à la formalité de l’enregistrement. A défaut de tarif spécifique, le droit fixe général sera perçu. Quid des apports faits à une fondation privée ? Selon l’article 115 du Code des droits d’enregistrement, la notion d’apport ne s’applique qu’au transfert de propriété vers les sociétés. Selon la circulaire ACED n° 17/2003 : « l’affectation par acte entre vifs d’une part de son patrimoine à la création d’une fondation privée est assujettie au tarif ordinaire de donation entre toute autre personne ». Il en résulte que l’apport à la fondation est taxé à 7 % en régions flamande et bruxelloise et au taux entre étrangers en région wallonne. Il en résulte qu’en région wallonne, ce régime fiscal étant peu propice, le recours à la fondation privée restera lettre morte. Il est également envisageable de léguer des biens à une fondation privée. Dans ce cas, les droits dus en vertu de ce legs en région wallonne et en région de Bruxelles-Capitale seront les droits entre étrangers, tandis qu’en région flamande, le taux applicable est de 8,8 %. La loi prévoit que la fondation peut être créée tant du vivant de son fondateur, que par testament. 70 La fondation peut être utilisée dans le cadre d’une planification successorale et une étude a d’ailleurs été publiée dans la Revue du Notariat Belge au sujet de la fondation privée comme véhicule de détention et de transmission d’un château et d’une collection d’œuvres d’art. Dans cette optique, les fondateurs pourraient affecter à la fondation privée le patrimoine culturel qu’ils entendent protéger et conserver sur plusieurs générations, rien n’excluant qu’ils apportent d’autres biens afin de permettre à la fondation de remplir plus facilement l’objectif de gérer, de promouvoir, de conserver, d’entretenir ce patrimoine culturel. Il est également envisageable que la fondation soit uniquement une fondation de gestion, le patrimoine culturel restant dans cette hypothèse dans le patrimoine privé du fondateur qui se contenterait alors d’apporter à la fondation d’autres biens permettant de dégager des revenus suffisants pour réaliser l’objectif de la fondation. Au stade actuel des études, les orientations de la fondation privée concernent principalement la protection de tels patrimoines culturels comme aussi la protection des enfants handicapés. Le peu d’ancienneté du projet n’a pas encore permis de développer d’autres pistes qui, cependant, ne sont pas à exclure, du moins si la fiscalité de la fondation privée, tant en ce qui concerne les apports qu’en ce qui concerne les legs qui pourraient être effectués en sa faveur, était modifiée. 71