Philippe Voluer Fiche technique

Transcription

Philippe Voluer Fiche technique
L’Echo 31
Trappistes
Le tour des bra
sseries trappis
Westmalle
Rochefort, une succession
de résurrections
Rochefort
Chimay
«C
urvata,
resurgo»
(«Courbée, je me redresse»): encastrée
dans un mur de l’abbaye Notre-Dame de Saint-Remy, à
Rochefort, la devise de Dom Philippe est particulièrement bien
choisie puisqu’au fil des siècles la
communauté est plusieurs fois renée de ses cendres.
Photo P. Voluer
La brasserie de Rochefort est la dernière des trappistes à utiliser encore les cuves de brassage en cuivre.
d’Achel. La communauté «moderne» voit ses rangs grossir rapidement, pour culminer dans les années 1930 à 80 membres, en
majorité néerlandophones.
Fidèle à la règle de saint Benoît prônant le travail manuel, l’abbaye vit
de culture et d’élevage jusqu’à la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Le
secteur agricole traverse alors une
crise grave, qui précipite le choix
des moines de se diversifier. Ils décident de donner de l’ampleur à
leur activité brassicole, développée
par le passé (depuis la fin du XVIe
siècle) pour leur consommation
propre, et de passer au stade de la
commercialisation. Nous sommes
en 1952 et les bases des installations
actuelles sont jetées.
HISTORIEN DE LA BIÈRE
2
De quels monastères
s'agissait-il?
Du Mont des Cats à
Godewaersvelde, de Notre-Dame du
Saint-Lieu à Sept Fons, dans l'Allier,
de Chambarand, dans le
Dauphiné… Toutes ces brasseries
sont fermées aujourd'hui.
buvaient-ils de la bière?
La règle de Saint-Benoît oblige les
moines à vivre de leur travail. Cela
sous-entend l'autorisation de boire
de la bière, qui n'est pas une
boisson mais un aliment liquide - il
n'y a que les moines de Rochefort,
soit dit en passant, qui ne boivent
pas leur bière aujourd'hui. La règle
cistercienne autorise en effet la
minent le goût de la bière. Elles sont
entretenues ici, dans notre laboratoire, ainsi que dans une levurothèque à Louvain-la-Neuve. Nous
avons commencé la production en
1952 avec des souches de levure de la
brasserie de Chimay. Nous avons effectué tout un travail dessus pour
les personnaliser… Il faut savoir que
nous marions toujours trois sou-
de production n’y est pas qu’un
slogan: les capacités actuelles des
installations permettraient de
doubler le volume à 40.000 hl par
an, mais les moines s’y refusent.
Parce que Rochefort est avant tout
un monastère et que la communauté ne veut pas être dérangée
par un va-et-vient incessant de camions. Ce qui ne l’empêche pas
d’investir. Elle vient d’injecter
500.000 euros dans la construction d’une nouvelle chambre
chaude. Et elle accroît légèrement
la production d’année en année
afin de satisfaire la demande des
distributeurs agréés. Il n’empêche
que la demande globale dépasse
toujours l’offre.
Selon le directeur de production,
les demandes d’aide sociale qui
parviennent à l’abbaye ont tendance à croître sensiblement, ce
qui pourrait inciter la communauté à consentir à augmenter la
cadence. Car comme les autres
trappistes, les moines de SaintRemy consacrent le surplus financier dégagé par la brasserie à des
aides sociales et caritatives.
«Les levures sont notre secret de
fabrication. Ce sont elles qui déterminent
le goût de la bière. Elles sont entretenues
ici dans notre laboratoire...»
tive quand un de nos clients s’en va.
Ils sont 5 ou 6 à patienter sur la liste
actuellement.» Delhaize est le seul
des grands groupes à figurer parmi
les 74. On y retrouve aussi trois distributeurs spécialisés dans les trappistes: Weynans, Vandermolen et
Philippe Jordan.
On brasse quatre jours par semaine à Saint-Remy. La limitation
Démarche qu’ils effectuent dans la
plus grande discrétion: on ne cite
pas de montant, aucun nom ne circule, mais dans la région on sait
qu’ils se montrent très actifs. Reste
qu’entre-temps, après Westvleteren, Rochefort est la
deuxième brasserie trappiste… qui
produit le moins. Vous avez dit
Michel Lauwers
dommage? 앳
Goûté pour vous
Virgile Gauthier
Initiateur de l’exposition «Trappistes: bières et fromages» à l’abbaye de Stavelot
쑺 Capacités: 40.000 hl
consommation de boissons
alcoolisées. Une règle modulée
selon les monastères: dans nombre
d'entre eux, on choisit sa boisson
pour une période donnée, 6 mois
par exemple: vin, cidre, bière…,
avec une quantité double de bière
par rapport au vin, toujours dans
une démarche considérant la bière
comme un aliment liquide. C'est du
pain liquide, ainsi qu'on le voit en
analysant les ingrédients entrant
dans sa fabrication: céréales +
levure + fermentation… A l'abbaye
du Bec-Hellouin, la règle maison
portait que la bière était autorisée
pendant le Carême, y compris le
jour du Vendredi saint où aucun
aliment solide n'était autorisé. A la
Trappe, bière et cidre étaient
autorisés. La bière était surtout la
boisson des moines ayant des
problèmes de santé, car elle est
riche en levures, vitamines, sucre…
4 Où les moines travaillentils encore à la brasserie?
3 Pourquoi les moines
Depuis 1952, Rochefort produit une
bière brune à fermentation haute
«saisie» à trois niveaux d’alcoolisation différents ( la 6, la 8 et la 10 qui
titrent 7,5%, 9,2% et 11,3%) et à nulle
autre pareille. «Les levures sont notre secret de fabrication, explique
Vital Streignard, le directeur de la
production. Ce sont elles qui déter-
쑺 Production: 20.000 hectolitres
en 2006 contre 15.600 hl en
2003
Philippe Voluer
Au départ, les moines trappistes ne
brassaient que pour leur
consommation propre et pour leurs
visiteurs. Puis avec la construction
ou la modernisation de leurs
bâtiments, et aussi dans une vision
largement partagée au XIXe siècle,
les brasseries trappistes françaises
ont été les premières à vendre leur
produit, vers 1830-1850.
SMALL IS BEAUTIFUL
Fiche technique
Cinq questions à...
commencé à commercialiser la
bière?
Orval
ches de levure. Et une fois par an, durant une semaine nous ne produisons que de la Rochefort 6 afin de régénérer les souches.» L’eau
constitue aussi une partie du secret: l’abbaye possède les droits sur
une nappe phréatique d’excellente
qualité, mais qu’elle doit défendre
contre les risques de pollution soulevés par certains voisins industriels… envahissants.
La brasserie produit 20.000 hectolitres par an. Constituée en ASBL,
elle emploie 9 laïcs, que viennent
aider ponctuellement trois moines.
La communauté compte 15 moines.
Ceux-ci assurent aussi les tâches de
gestion et facturation. Côté distribution, Rochefort a adopté un système simple mais efficace: «Nous
travaillons avec un réseau de 74
clients distributeurs, souligne Streignard: des magasins, des petits
brasseurs, des sociétés de distribution… Ils reçoivent tous le même
prix. Comme nous limitons notre
volume de production, nous
n’avons pas envie de prendre de
nouveaux clients. Il y a une liste d’attente pour les candidats, que l’on ac-
LA RENAISSANCE AVEC L’AIDE
DE L’ABBAYE D’ACHEL
1 Quand les trappistes ont-ils
Achel
Westvleteren
L’abbaye Notre-Dame de Saint-Remy a manqué disparaître à plusieurs reprises au fil
de l’histoire. Le contraste avec la bière trappiste, inchangée depuis un demi-siècle, est frappant.
Son acte de naissance mentionne
l’année 1230. Un seigneur de Rochefort, Gilles de Walcourt, a donné
cette année-là l’alleu (terre libre de
toute redevance) de Saint-Remy à
une communauté de religieuses qui
y ont fondé le couvent du Secours
Notre-Dame. Celles-ci se sont rattachées à l’Ordre cistercien et ont
animé les lieux deux siècles durant,
avant de passer le témoin à la fin du
XVe à une communauté de moines.
L’abbaye a été ravagée par les calvinistes en 1568, guerre de religion
oblige, puis pillée cent ans plus tard
par des soudards lorrains avant
d’être investie par les hommes du
prince de Condé (Louis II). Ce qui justifia, en 1664, sa reconstruction.
L’épreuve suivante s’inscrit dans le
«classique» contexte de la Révolution française. Dans les années
1790, les moines sont expulsés et le
domaine accaparé par un commissaire républicain qui ne trouve rien
de mieux que de démolir l’église et
une partie du monastère. Cette fois,
l’abbaye paraît bien morte. Jusqu’à
ce qu’en 1887, Victor Seny, un abbé,
ne décide de racheter le bien dans
l’espoir d’y faire revivre une communauté monastique. Il parviendra à ses fins avec l’aide des trappistes de l’abbaye campinoise d’Achel,
qui y délèguent des membres pour
y reconstruire un monastère. La Rochefort nouvelle est donc fille
tes
Tilburg
«Ora et labora»: les trappistes ont
développé plus avant cette règle.
C'est aussi pour cela que l'argent
des brasseries sert à financer des
projets à but social ou caritatif…
Aujourd'hui, il n'y a toutefois plus
qu'une seule abbaye trappiste où
les moines travaillent réellement à
la brasserie: Westvleteren, qui
compte 24 moines, y compris le
père abbé, plus deux laïcs. A la
brasserie d'Orval, il n'y a que
l'administrateur délégué qui soit un
moine. A Rochefort, les moines
participent à la gestion, décident et
facturent,… plus un ou deux
moines qui font du soutirage et
surveillent la fermentation le weekend. Ailleurs, les moines ne sont
plus présents qu'au conseil
d'administration.
5 Comment se fait-il qu'il n'y
ait plus aucune abbaye trappiste française qui brasse?
쑺 Chiffre d'affaires: 4,12 millions
d'euros en 2006 contre 4,33 millions en 2005
쑺 Dernier investissement: 500.000
euros dans l'installation d'une
nouvelle chambre chaude (2007)
쑺 Effectif : 9 personnes + travail
partiel de quelques moines.
Tâches de gestion effectuées
par les moines
쑺 Forme de société : asbl
Pour deux raisons. La première renvoie à la lutte contre les congrégations, en 1901, et à la séparation de
l'Eglise et de l'Etat en 1905, quand le
parti Radical est venu au pouvoir en
France. Cette loi a obligé nombre
d'abbayes à fermer, en particulier
celles qui avaient une brasserie. Ces
brasseries ont été vendues à des
laïcs, après quoi elles ont généralement vivoté puis disparu. L'abbaye
du Mont des Cats n'a pas cédé sa
brasserie, car l'abbé Dom Chautard,
qui avait des relations avec le gouvernement radical, avait réussi à
conclure des accords particuliers
avec l'Etat, mais l’installation a
néanmoins été détruite en 14-18.
Beaucoup de communautés monastiques ont été contraintes de quitter
la France suite à la loi de 1905. L’autre raison renvoie à la Première
guerre mondiale et à la destruction
des brasseries d'abbayes.Après la
guerre, les communautés qui ont reconstruit n’ont plus érigé de brasserie, en raison de leur expérience malheureuse, et se sont réorientées vers
M.Lw.
la fromagerie.앳
쑺 Distribution : réseau de 74 clients
distributeurs exclusifs
쑺 Date de fondation du domaine:
1230
쑺 Première implantation de moines
cisterciens: 1464
쑺 Débuts de la reconstruction de
l’abbaye moderne: 1887
쑺 Abbaye trappiste mère:Achel
쑺 Date de création de la brasserie
moderne : 1952
쑺 Bières:Trappistes Rochefort 6, 8
et 10
쑺 Site internet:
www.trappistes-rochefort.com
쑺 Visites:
on ne visite pas la brasserie,
mais bien l’église abbatiale.
Tél.: 084/22 01 40
En quittant l'abbaye de Stavelot,
vous devriez enfin savoir qu'il
n'existe, dans le monde entier, que
sept bières qui peuvent bénéficier de
cette «glorieuse» appellation. Six en
chacune de ces abbayes», poursuit
le directeur de l'abbaye de Stavelot.
Mais elle vise aussi à expliquer la
spécificité du monachisme bénédictin et l'originalité des bières trappisPremière dégustation:Virgile Gautes. Enfin, une derthier. Directeur de
nière étape est dédiée
l'abbaye de Stave«Une bière charnue et complexe»
à l'élaboration de ces
lot, il a eu l'idée de
bières de haute fermonter de toutes
«Amateur de trappistes gustation entre amis
avec, bien entendu, des
mentation qui ont
pièces une exposibien typées, qui détienfromages trappistion sur les bières
chacune leur recette
nent un haut detes. Mais je
trappistes. Une idée
gré d'alcool, ma
propre.
conseille aussi de
originale qui a d'ailpréférence va à la
«J'ai été assez étonné
la boire en dégusleurs récolté un sucRochefort 10°. Je
en préparant cette extant des plats cuicès évident: ouverte
l'apprécie pour le
position de voir l'intésinés avec cette
depuis le mois de
fait qu'elle dérêt qu'il y avait pour
bière, notamfévrier, elle a déjà
gage une cerles pièces de collecment avec du coaccueilli plus de
taine amertion se référant aux
quelet à la Ro21.000 spectateurs.
tume, elle tient
bières trappistes»,
chefort. Pour des
Ce qui la situe en
bien en bounote encore Virgile
plats comme
très bonne place
che, elle est asGauthier.A Stavelot, il
ceux-là, il est
parmi les exposisez ronde. On
a réuni plus de 900
inutile de
tions à succès en
peut facileobjets: anciennes
prendre du
Région wallonne.
ment faire
bouteilles, machines
vin. Il vaut
«Un tiers des visil'associade brassage, verres,
mieux marier
teurs vient de
tion avec un
plaques émaillées et
la boisson
l’étranger dont une
bon vin.
une collection de
avec la sauce.
bonne part des
C'est une
fausses trappistes
Dans le
Pays-Bas», observe
bière trapdont le clou du specmême genre
son responsable.
piste chartacle reste la …
de trappistes
Si vous ne l'avez
nue et comfausse Trappiste de
bien typées,
pas encore vue, il
plexe avec
Stavelot. Diantre, si la
je l'associerai
n'est pas trop tard
des partrappiste avait été
à la Chimay
fums puispuisqu'elle a été
brassée au pays des
Bleue ainsi
sants.
prolongée jusqu'au
Blancs Moussis, perqu’à la
22 juillet.
Mon mosonne ne l'ignorerait!
J.-M. L.
Westvleteren
ment préBut de l'exposition:
12°.»
féré: une défaire découvrir ce
Photo Doc
qui se cache réelle쑲 «Les trappistes: bièment sous l'appelres et fromages»,
lation de la bière
abbaye de Stavelot
Belgique et une aux Pays-Bas.
trappiste. «Beaucoup de gens
jusqu'au 22 juillet 2007.
«Notre expo propose des explicaconfondent encore trappiste et bière
Infos : 080/88 08 78
d'abbaye», explique Virgile Gauthier. tions détaillées sur les spécificités de www.abbayedestavelot.be
Chaque semaine, un passionné
de la bière trappiste nous livre
ses impressions sur la brasserie
visitée.