Sénart entre en scène - Théâtre

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Sénart entre en scène - Théâtre
Sénart entre en scène
25/01/2016 10:20
Sénart entre en scène
LE MONDE | 23.01.2016 à 09h17 | Par Clarisse Fabre (/journaliste/clarisse-fabre/)
Le Théâtre-Sénart. FLORENT MICHEL
« Il faut que ça vive. Que les gens soient heureux de venir, découvrent des spectacles et les
commentent au bar, après la représentation. La voiture est garée sur le parking, ils ont tout leur
temps… » Ainsi rêve, à voix haute, le directeur du nouveau « Théâtre-Sénart, scène nationale »,
Jean-Michel Puiffe, tout en faisant visiter le bâtiment de la ville nouvelle de Seine-et-Marne, sorti de
terre au milieu de nulle part. Des champs à perte de vue, des habitations reléguées au loin, derrière
une frange d’arbres… Dépaysement garanti à quarante-cinq minutes du centre de Paris, par le RER
D. Il fallait un « totem » dans cette banlieue verte au sud de la capitale, qui a longtemps cherché son
identité. Le voici avec ce théâtre à la peau métallique, perforée de trous, tel un engin de Star Wars
revenu du combat. Mission accomplie pour l’agence d’architecture Chaix & Morel et associés, à qui
l’on doit les premiers « Zénith » des années 1980.
L’immense vaisseau a connu un bien triste baptême : après plusieurs contretemps, la date
d’inauguration avait été fixée au 13 novembre 2015. La soirée commençait bien. Deux artistes
associés au Théâtre-Sénart, le metteur en scène Patrick Pineau et le chorégraphe Sylvain Groud,
ancien du ballet Preljocaj, avaient préparé une surprise : ils ont lancé la bande-son de l’abécédaire
de Gilles Deleuze, qui se résume à la voix chevrotante du philosophe, et ont dansé sur la lettre R de
résister : « En quoi créer, c’est résister ? C’est plus net pour les arts… », commence Deleuze. « Les
artistes ont vraiment la force d’exiger leur rythme à eux (…) Personne n’a le droit de bousculer un
artiste. »
Les attaques terroristes à Paris ont coupé court à la fête – et les mots de Deleuze ont pris tout leur
sens. La ministre de la culture, Fleur Pellerin, s’est éclipsée et les invités ont mis au placard le sac
en coton qui leur avait été offert… On ne peut quand même pas se promener avec une telle
inscription en bandoulière : « Théâtre-Sénart. 13 novembre 2015. J’y étais ! » Depuis, les militaires
ne quittent pas les abords de l’établissement, les soirs de représentation. « Ils me demandent
toujours : “A quelle heure exactement finit le spectacle ?” Car c’est au moment de la sortie, quand
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les gens arrivent en grappe, qu’il faut être vigilant », précise Jean-Michel Puiffe.
« Pas plus cher qu’un ticket de cinéma »
Que le spectacle continue… Mais comment remplir un théâtre qui semble loin de tout ? « “Ils sont
où les spectateurs ? Et la ville, elle est où ?”, me demandent les visiteurs occasionnels », raconte
« Puiffe », comme on l’appelle dans la profession. A cent mètres à vol d’oiseau, il y a bien le cinéma
Gaumont, une école d’ingénieur et quelques bâtiments, mais pas un piéton à l’horizon. A ces
questions, le programmateur a une réponse toute prête : « Le multiplexe Gaumont comptabilise
1,75 million d’entrées ; le Centre commercial du Carré-Sénart, à cheval sur l’Essonne et la Seine-etMarne, draine près de 15 millions de visiteurs annuels. Pourquoi un théâtre ne fonctionnerait pas ?
Pour les abonnés de moins de 30 ans, la place ne coûte pas plus cher qu’un ticket de cinéma ! »,
répète-t-il. D’autant qu’un public a été fidélisé : le nouveau Théâtre-Sénart a été construit pour
remplacer les deux sites originels de la scène nationale, la Coupole, construite en 1986 par Jean
Nouvel, et la Rotonde (1991, Witold Zandfos), lesquelles enregistraient entre 30 000 et 32 000
entrées payantes par an. Mais les deux lieux ne répondaient plus aux besoins de cette
agglomération de plus de 120 000 habitants.
« Le Théâtre-Sénard, c’est comme si les Bouffes du Nord et le Paris-Villette avaient fusionné pour
devenir le Théâtre de la Ville », ajoute « Puiffe », qui dirige la scène nationale depuis 2001 (créée
en 1986, elle est labellisée par l’Etat depuis 1992). Le nouvel outil devrait permettre d’attirer 45 000
spectateurs à l’horizon 2018.
Un miracle s’est-il produit ? Pour l’instant, le public afflue. Dès la réouverture des portes, au
lendemain des attentats, les spectateurs assistaient, les 17 et 18 novembre, à la pièce de la
metteuse en scène Pauline Bureau, Sirènes. Il manquait tout de même à l’appel une centaine de
« scolaires ». Aujourd’hui, l’équipe croise les doigts : avec plus de 6 000 abonnés, les 40 000
entrées payantes ont déjà été dépassées pour l’année 2016.
Défendu par des élus de tous bords
Il y a deux flacons à remplir : d’une part, la « black box », ou boîte noire, avec son gradin de 303
places rétractable, face au public ou « bifrontal » ; d’autre part, la grande salle aux fauteuils rouges
dans son cocon de noyer sculpté (une jauge de 843 places, sécable à 500). Le 29 novembre 2015,
le premier opéra accueilli par le Théâtre-Sénart affichait complet – Le Nozze di Figaro, avec une
mise en scène de Galin Stoev. « La grande salle élargit la palette de nos propositions. Si je veux
programmer The Do, le duo électro-pop, j’ai besoin de vendre beaucoup de billets pour entrer dans
l’équation économique », explique l’infatigable directeur.
Un patio central ouvre sur un espace de répétition, de même taille que le plateau de la grande salle
(29 x 14 mètres). On enlève le rideau noir et hop, voici le studio de danse, avec son miroir. C’est
aussi le lieu consacré aux ateliers amateurs, animés tous les jeudis soirs par la compagnie de
Patrick Pineau (Pipo). Du 28 au 30 janvier, le metteur en scène présentera sa dernière création,
L’Art de la comédie. Le Théâtre-Sénart, qui coproduit des spectacles, a son atelier de fabrication de
décor. Au printemps, l’espace chapiteau sera inauguré, au-dehors, pour accueillir le cirque Trottola
(du 27 mai au 4 juin).
Il a bien fallu un autre miracle pour que ce temple de la culture soit érigé, en cette période de
coupes budgétaires et de discours populistes. Des critiques se sont bien exprimées : ne devrait-on
pas mettre l’argent ailleurs ? Quel besoin d’aller construire un nouveau lieu !… Mais des élus de
tous bords ont défendu le projet. L’Etat a commencé par s’engager sur une enveloppe de 6 millions
d’euros. Puis le député de droite Guy Geoffroy (alors étiqueté UMP) est allé plaider la cause auprès
de Dominique de Villepin, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac (2005-2007). Et 3 millions
d’euros de plus, soit 9 millions au total. Les collectivités locales ont fortement contribué à réunir le
reste : 25 millions d’euros de la communauté d’agglomération de Sénart, 7 millions de la région Ilede-France, et 4 millions du département. Coût total du chantier, 45 millions d’euros. Elu en
juin 2012, le député socialiste Olivier Faure a dénoué quelques casse-tête financiers, etc.
« Nous sommes des tisserands »
C’est une véritable coproduction : « L’action politique s’est alliée aux artistes et aux professionnels
de la culture. Ensemble, nous pouvons faire plus que réparer. Nous sommes des tisserands »,
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souligne René Réthoré, vice-président du syndicat d’agglomération de Sénart, chargé de la politique
culturelle, et maire de Nandy. L’inspecteur général de la ville de Paris, qui a mené des audits dans la
culture, a suivi le montage financier : « On a tout calibré jusqu’en 2018. On a renoncé à une
troisième salle. On en garde deux, et on a les moyens de tout faire fonctionner », ajoute-t-il.
Jean-Michel Puiffe compte les jours. Le 28 janvier, le restaurant aux allures de bistrot ouvrira ses
portes. « Toute l’année ! », clame-t-il. Pour finir, il ne résiste pas à citer le patron de la Philharmonie,
Laurent Bayle, venu présenter au Théâtre-Sénart son projet Démos, pour rendre plus accessible la
musique classique. En quittant le vaisseau en aluminium, il a lancé ce compliment : « La
Philharmonie a sa petite sœur en banlieue… »
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