la contribution du français à la formation du langage medical roumain
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la contribution du français à la formation du langage medical roumain
LA CONTRIBUTION DU FRANÇAIS À LA FORMATION DU LANGAGE MEDICAL ROUMAIN Dorina CHIŞ-TOIA La fin du XVIII-ème et le début du XIX-ème siècles représentent une période où le roumain parcourt une étape très importante de son histoire: on passe de l'époque ancienne (où la langue littéraire était une manière rudimentaire de s'exprimer et les livres religieux se situaient au premier plan, les sciences sociales et naturelles étant considérées des activités subordonnées à la religion) à celle moderne de la langue roumaine littéraire. Ce passage est fait en même temps que le développement des sciences, la perte de la supériorité de la théologie, la réorganisation de l'état et de la vie sociale. La première branche qui a essayé de se libérer de l'autorité de la théologie a été la branche sociale. La libération de la science a commencé au moment où les sciences naturelles se sont développées 1 . La modernisation de la vie publique commence avec les sciences et la préoccupation essentielle de l'époque est l'enrichissement de la langue avec les termes nécessaires aux sciences, la recherche des moyens d'exprimer une culture nouvelle. Par conséquent, le problème de la modernisation de la langue littéraire est, en premier lieu, le problème de la constitution de ses styles actuels. Le style scientifique (style fonctionnel, parfois nommé langage scientifique) a pour caractéristique principale le fait que l'on recourt à des raisonements pour communiquer ce qu'il y a à communiquer. Il se réalise dans plusieurs variantes stylistiques, chacune représentant les éléments de langue et de style d'une branche scientifique qui se soumettent au langage scientifique général 2 . Les ouvrages scientifiques sont des démonstrations logiques et quel que soit le domaine de recherche, on ne sollicite pas la sensibilité ou l'imagination, mais le raisonnement. Ainsi, au niveau lexical, voit-on le déplacement d'un vocabulaire spécial, dont les éléments concrets sont différents d'un domaine scientifique à l'autre, vers le noyau et la possibilité d'employer beaucoup de mots et de noms propres étrangers 3 . On commence à parler d'une préoccupation soutenue pour enrichir la langue roumaine avec des termes scientifiques au moment où l'on voit entrer dans la culture roumaine les éléments de la culture moderne soit directement, soit par l'intermédiaire de la filière néogrecque ou russe vers la fin du XVIII-ème et la première moitié du XIX-ème siècle. Mais on retient également le rôle fondamental que le français a joué dans la constitution des terminologies scientifiques roumaines. Il est intéressant de souligner que l'emprunt au français (à côté de celui à l'italien et au latin, à peu près 22,12%) – ce que S. Puşcariu nommait la «réromanisation du roumain» - a contribué à l'inventaire actuel du roumain. L'influence du français a déterminé le remplacement massif des termes anciens dans certains langages (notamment ceux scientifiques) 4 . On voit les boyards roumains apprendre le français, comme langue d'une culture élevée et de la diplomatie européenne. Par la réforme de l'enseignement de 1775-1776 le français devient obligatoire et pour ce faire on élabore des grammaires et des dictionnaires français, on traduit des manuels pour diverses disciplines scientifiques enseignées dans les écoles. On peut parler également d'une influence française par des contactes directes avec la France, c'est-à-dire par la présence de certains secrétaires français pour les «hospodars» roumains, ayant le rôle d'agents secrets. Dans le même but, on a envoyé des médecins et des chirurgiens français qui ont exercé une influence directe, profonde et durable. De même, des étudiants roumains ont étudié la médecine à Paris 5 . Dans cette démarche, le développement de l'enseignement et de la presse dans la langue roumaine ont joué un rôle très important: on voit grandir le nombre des connaissances scientifiques enseignées dans les écoles roumaines des trois principautés et, en même temps, la plupart des publications inscrivent dans leur programme le but de populariser la science 6 . Le nombre impressionnant de traductions en roumain, suite au développement de l'enseignement national et de la culture du goût pour la lecture ont déterminé, après 1829, une préoccupation des intellectuels roumains pour la culture de la langue roumaine. Les pages des journaux et des revues de cette époque contiennent de nombreuses opinions concernant la nécessité d'enrichir le vocabulaire, d'unifier les normes phonétiques et morphologiques, d'introduire l'alphabet latin dans l'écriture de la langue roumaine et d'établir l'orthographe. Les traducteurs ont exprimé «l'insuffisance» du roumain pour pouvoir traduire comme il faut les ouvrages, surtout ceux contenant des notions scientifiques 7 . Des ouvrages ayant un contenu médical ont commencé à apparaître (en roumain) assez tard, vers le milieu du XVIII-ème siècle, mais il y a des termes scientifiques du domaine de la médecine dans les documents, dans les chroniques et surtout dans les œuvres de Dimitrie Cantemir. Plus on avance vers le milieu du XIX-ème siècle, plus on voit le nombre d'ouvrages médicaux augmenter: Ioan Albineţ, Macrovirotica sau regule pentru păstrarea sănătăţei şi prelungirea vieţei (Iaşi, 1838), I. Sporer, Meşteşugul moşirii, pentru învăţătura moaşelor (Bucureşti, 1839), C. Vîrnav, Despre holera epidemiască (Iaşi, 1848), D. Cornea, Encolpiul doctorilor sau medicina practică (două volume, Iaşi, 1849), N. Turnescu, Curs elementar de medicină operatorie sau de operaţie (1857, texte resté non publié), Gh. Polizu, Prescurtare de anatomie descriptivă (Bucureşti, 1859). L'organisation moderne des principautés roumaines suppose une préoccupation plus soutenue pour l'assistance médicale à la population, une réorganisation des hôpitaux anciens et la création d'autres nouveaux, la création d’écoles pour l'instruction du personnel de service des hôpitaux (Filantropia, Pantelimon, Colţea Bucureşti), l'organisation d’actions pour combattre les maladies, l'étude et la valorisation des eaux minérales de la Roumanie et la popularisation des connaissances médicales 8 . Dans l'ensemble de la terminologie scientifique, le nombre des mots d'origine française est, vraiment, impressionnant. Quant au langage de la médecine, il faut préciser que l'explosion du néologisme français est évidente surtout dans la deuxième moitié du XIX-ème siècle. On retient des noms désignant: des maladies: abces (< fr. abcès); afecţiune (< fr. affection); bronşită (< fr. bronchite); epatită (< fr. hépatite); maladie (< fr. maladie); melancolie (< fr. mélancolie); pneumonie (< fr. pneumonie); tifus (< fr. typhus); ulceraţie/ulceraţiune (< fr. ulcération); des parties du corps humain: abdomen (< fr. abdomen); alveolă (< fr. alvéole); articulaţiune (< fr. articulation); bazin (< fr. bassin); colon (< fr. colon); farinx «faringe» (< fr. pharynx); intestin (< fr. intestin); vertebră (< fr. vertèbre) des instruments médicaux: bisturiu/bisturi (< fr. bistouri) des remèdes: bandaj (< fr. bandage); cataplasmă (< cataplasme); pastilă (< fr. pastille); unguent (< fr. onguent); tratament (< fr. traitement); des spécialisations/spécialistes de la médecine: anatomist (< fr. anatomiste); chirurgie (< fr. chirurgie); dentist (< fr. dentiste); doctor (< fr. docteur); farmacie (< fr. pharmacie); nevrologie, neurologie (< fr. névrologie, neurologie) des adjectifs: cardiac (< fr. cardiaque); incurabil (< fr. incurable); oftalmic (< fr. ophtalmique); patologic (< fr. pathologique); pulmonar (< fr. pulmonaire); respirator (< fr. respiratoire) des verbes: absorbi (< fr. absorber); cauteriza (< fr. cautériser); circula (< fr. circuler); infecta (< fr. infecter); injecta (< fr. injecter); irita (< fr. irriter); opera (< fr. opérer); prezerva (< fr. préserver); regenera (< fr. régénérer) Il est important de mentionner que le roumain a introduit dans son vocabulaire des termes venant du français ayant soit des étymons latins, soit des étymons grecs. En voici quelques-uns parmi les plus employés, faisant partie de la catégorie des étymons latins: adipo(< fr. adipo-, du latin adeps); cancero- (< fr. cancero-, du latin cancer); imuno- (< fr. immuno-, du latin immunis); infecţio- (< fr. infectio-, du latin infectio); radio- (< fr. radio-, du latin radius). Dans la deuxième catégorie, on signale: acro- (< fr. acro-, du grec akron); adeno- (< fr. adeno-, du grec aden); alo- (< fr. allo-, du grec allos); bacterio- (< fr. bactério-, du grec bactêria); bio- (< fr. bio-, du grec bios); endo- (< fr. endo-, du grec endon); entero- (< fr. entéro-, du grec enteron); hemato- (< fr. hémato-, du grec haimatos); hepato- (< fr. hépato, du grec hêpatos); onco- (< fr. onco-, du grec onkos); uro- (< fr. uro-, du grec ouron); pneumo- (< fr. pneumo-, du grec pneumôn). Le style scientifique est caractérisé par des séries terminologiques assez riches, ayant une circulation universelle. Voilà le cas de quelques suffixes nominaux: -algie (< fr. -algie), dans les mots alergie (< fr. allergie); gastralgie (< fr. gastralgie); nevralgie (< fr. névralgie); -ie (< fr. -ie) dans les mots: anatomie (< fr. anatomie); apoplexie (< fr. apoplexie); epidemie (< fr. épidemie); paralizie (< fr. paralysie); -itate (< fr. -ité) dans les mots: cavitate (< fr. cavité); debilitate (< fr. débilité); maturitate (< fr. maturité); obezitate (< fr. obésité); sterilitate (< fr. stérilité) et celui du suffixe -ită (du français -ite), qui conduit à l'idée de maladie dont la forme de manifestation est l'inflamation: conjunctivită (< fr. conjonctivite); laringită (< fr. laryngite); meningită (< fr. méningite); otită (< fr. otite). On signale également des suffixes adjectivaux: -al (< fr. -al): abdominal (< fr. abdominal), chirurgical (< fr. chirurgical); intestinal (< fr. intestinal); medical (< fr. médical); -(a)bil (< fr. -ble): incurabil (< fr. incurable); respirabil (< fr. respirable). Enfin, en voilà quelques-uns verbaux qui représentent un nombre infiniment plus réduit par rapport à ceux lexicaux nominaux et adjectivaux: -iza (< fr. -iser): cauteriza (< fr. cautériser); paraliza (< fr. paralyser); -ifica/ ifia (< fr. -ifier): osifica/osifia (< fr. ossifier). Une observation particulière s'impose en ce qui concerne le suffixe français -tion qui a généré des termes en -ţie et -ţiune à la fois (dans une concurence permanente) dans toutes les régions roumaines. On considère la variante -ţiune, plus récente, plus savante que -ie, parce qu'elle représente la culture française: circulaţie, inflamaţie, nutriţie, operaţie, respiraţie, mais aussi circulaţiune, inflamaţiune, nutriţiune, operaţiune, respiraţiune du fr. circulation, inflammation, nutrition, opération, respiration 9 . On vient de mentionner le rôle de la presse dans la circulation des termes scientifiques dans toutes les provinces roumaines. Puisque la plupart des observations sont faites pour la Moldavie et la Valachie, nous nous proposons de présenter brièvement les éléments caractéristiques du style scientifique pour la région du Banat. Vers la fin du XIX-ème siècle (1886), à Caransebeş voit le jour la publication «Foaia diecesană» qui, comme toutes les publications de cette époque-là, se proposait de continuer les orientations de «l'illuminisme» roumain, de véhiculer les informations de la région du Banat à l'aide de ses correspondants, mais aussi celles des autres régions roumaines à l'aide des informations obtenues des publications qui y circulaient. Pour le langage de la médecine il faut remarquer la présence, à côté des termes allemands et des formations roumaines, des néologismes d'origine française, mais, il est vrai, en nombre très réduit. On retient: bronchitis (< fr. bronchite); catar (< fr. catarrh); scrofulă (< fr. scrofule); trachoma (< fr. trachome) 10 . Parmi les mots présentés ci-dessus il y a des mots pour lesquels le principe de l'étymologie multiple peut être appliqué sans doute, car plusieurs mots peuvent entrer dans le roumain en ayant pour étymologie plusieurs langues. Il est important de relever le fait que l'aspect phonétique, celui morphologique et celui sémantique des termes ont constitué l'argument dans le processus de leur intégration dans le roumain. Theodor Hristea 11 considère que parfois on a emprunté au français le sens du néologisme et au latin ou à l'italien la forme. Marius Sala 12 partage la même idée : le fait que le français a été la langue qui a contribué le plus à la modernisation du roumain (à côté du latin, néogrec, italien, allemand) a déterminé des exagérations en ce qui concerne l'influence du français. Pour conclure, nous dirons qu'après une étape (1780-1860) dans laquelle on a essayé d'assimiler la science moderne 13 et de former l'esprit scientifique des Roumains, une deuxième période suit, celle de la création scientifique roumaine, où l'on pose les bases d'une terminologie adéquate. Le développement économique, social, politique et culturel de la société, l’appartion des écoles roumaines, la traduction, la publication des ouvrages de spécialité, des manuels dans les divers compartiments de la science 14 , la création des universités, de l'Académie Roumaine (1866), des instituts de recherche et des sociétés scientifiques; tout contribue au développement de l'esprit scientifique dans les principautés roumaines. Dans le processus de formation de la terminologie scientifique, les termes des langues romaines, surtout ceux d'origine française, ont une importance essentielle dans la constitution d'un vocabulaire moderne de la langue littéraire roumaine. Il faut toutefois mentionner que l'introduction massive des termes néologiques détermine une réaction antinéologique; la tendance à emprunter au-delà des besoins de la langue rend de plus en plus difficile leur adaptation 15 . NOTES 1 Ion Coteanu, Româna literară şi problemele ei principale, Bucureşti, Editura Ştiinţifică, 1961, p. 51. Elena Toma, Probleme ale formării terminologiei ştiinţifice româneşti în secolele XVIII-XIX (Terminologia medical-biologică), vol. I, Bucureşti, Tipografia Universităţii Bucureşti. (curs litografiat), 1988, p. 19. 3 Lidia Sfârlea, Delimitarea stilurilor literare româneşti, în Ion Gheţie şi Alexandru Mareş (Coord.) Institutul de lingvistică al Academiei RSR, Studii de limbă literară şi filologie, vol. II, Bucureşti, Editura Academiei RSR, 1972, p. 198. 4 Marius Sala, Limba română, limbă romanică, Bucureşti, Editura Academiei Române, 1997, p. 12. 2 5 Elena Toma, op. cit., p. 95-97. N.A. Ursu, Formarea terminologiei ştiinţifice româneşti, Bucureşti, Editura Ştiinţifică, 1962, p. 9. 7 N.A. Ursu, Despina Ursu, Împrumutul lexical în procesul modernizării limbii române literare, I, Studiu lingvistic şi de istorie culturală, Iaşi, Editura Cronica, 2004, p. 235. 8 N.A. Ursu, op. cit., p. 75. 9 Elena Toma, op. cit., p. 203-212. 10 Dorina Chiş-Toia, Limba literară în presa din Banat. Contribuţii. Aspecte ale limbii literare în publicaţia „Foaia diecesană” (1886-1918), Timişoara, Editura Mirton, 2006, p. 167-176. 11 Probleme de etimologie. Studii. Articole. Note, Bucureşti, Editura Ştiintifică, 1968, p. 107. 12 Introducere în etimologia limbii române, Bucureşti, Editura Univers Enciclopedic, 1999, p. 205. 13 N.A. Ursu, op. cit., p. 10. 14 Ştefan Munteanu, Munteanu, Ştefan, Ţâra, Vasile, Istoria limbii române literare, Bucureşti, Editura Didactică şi pedagogică, 1983, p. 280. 15 Ion Gheţie, Istoria limbii române literare, Bucureşti, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, 1978, p. 169. 6 BIBLIOGRAPHIE Academia Română, Institutul de lingvistică „Iorgu Iordan-Al. Rosetti”, Micul dicţionar academic, Bucureşti, Editura Univers Enciclopedic, 2001 Chiş-Toia, Dorina, Limba literară în presa din Banat. Contribuţii. Aspecte ale limbii literare în publicaţia „Foaia diecesană” (1886-1918), Timişoara, Editura Mirton, 2006 Coteanu, Ion, Româna literară şi problemele ei principale, Bucureşti, Editura Ştiinţifică, 1961 David, Doina, Sinteze de limba română literară II, Timişoara, Tipografia Universităţii din Timişoara, 1988 Gheţie, Ion, Istoria limbii române literare, Bucureşti, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică, 1978 Hristea, Theodor, Probleme de etimologie. Studii. Articole. Note, Bucureşti, Editura Ştiintifică, 1968 Munteanu, Ştefan, Vasile Ţâra, Istoria limbii române literare, Bucureşti, Editura Didactică şi pedagogică, 1983 Sala, Marius, Limba română, limbă romanică, Bucureşti, Editura Academiei Române, 1997 Sala, Marius, Introducere în etimologia limbii române, Bucureşti, Editura Univers Enciclopedic, 1999 Sfârlea, Lidia, Delimitarea stilurilor literare româneşti, în Ion Gheţie şi Alexandru Mareş (Coord.) Institutul de lingvistică al Academiei RSR, Studii de limbă literară şi filologie, vol. II, Bucureşti, Editura Academiei RSR, 1972 Toma, Elena, Probleme ale formării terminologiei ştiinţifice româneşti în secolele XVIII-XIX (Terminologia medical-biologică), vol. I, Bucureşti, Tipografia Universităţii Bucureşti. (curs litografiat), 1988 Ursu, N.A, Formarea terminologiei ştiinţifice româneşti, Bucureşti, Editura Ştiinţifică, 1962 Ursu, N.A., Despina Ursu, Împrumutul lexical în procesul modernizării limbii române literare, I, Studiu lingvistic şi de istorie culturală, Iaşi, Editura Cronica, 2004 French contribution to the formation of medical language Romanian (Abstract) In this article we aim to present the contribution that the French language had on the formation of the Romanian medical language. In this sense, we highlight the remarkable role that the translations into Romanian had on the development of the national education system, the cultivation of the taste for reading and the last but not the least, the journalism. Besides the general observations we must also remark some aspects specific to Banat, as they appear in the journals of the time in this part of the country. Keywords: medical language, journalism, scientific style, derivation, neologism, etymon.