Les représentations maternelles prénatales

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Les représentations maternelles prénatales
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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 481–486
Article original
Les représentations maternelles prénatales
Antenatal maternal representations
E. Devouche a,∗,b , G. Apter b
a
Laboratoire psychopathologie et processus de santé (EA4057), université Paris Descartes, 71, avenue Édouard-Vaillant, 92100 Boulogne-Billancourt, France
b Unité de recherche en psychiatrie et psychopathologie, EPS Erasme, 14, rue de l’Abbaye, 92160 Antony, France
Résumé
But de l’étude. – L’objectif de cette recherche est d’étudier les représentations de futures mères en nous appuyant sur une méthode d’évaluation en
rupture avec les questionnaires ou entretiens semi-directifs traditionnellement utilisés dans la littérature en psychopathologie ou en psychologie
du développement qui tendent à contraindre la représentation. La technique d’évocation permet d’obtenir un corpus de mots ou expressions par
association libre et d’accéder ainsi au noyau de la représentation. Un second objectif est de comparer la représentation des femmes attendant une
fille à celle attendant un garçon.
Sujets. – Quatre-vingt-trois femmes dans leur troisième trimestre de grossesse, nullipares et de grossesse unique ont accepté de participer à cette
recherche. Quarante pour cent sont enceintes d’une fille, et 47 % d’un garçon.
Méthode. – Les futures mères ont été invitées à indiquer les cinq mots ou expressions qui leur venaient spontanément à l’esprit à l’évocation du
mot bébé, puis à les classer par ordre d’importance.
Résultats. – Parmi les 132 mots appartenant au lexique de cet échantillon de femmes, trois mots composent le noyau central de la représentation :
amour, bonheur, responsabilité. Seuls huit mots à connotation négatives sont cités. Les évocations des futures mères de garçon se distinguent par
le concept de vitalité tandis que celles des futures mères de filles par celui de fragilité et de responsabilité.
Conclusion. – La discussion proposée aborde cette approche de la représentation maternelle prénatale sous un angle psychodynamique, et soulève
le potentiel de cette méthode dans une visée de détection et de prévention.
© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
Mots clés : Représentations maternelles prénatales ; Noyau de représentation ; Représentation en fonction du sexe ; Grossesse
Abstract
Background. – Parental and specifically maternal representations during pregnancy have been shown to be correlated to maternal sensibility during
the postpartum, therefore influencing parent–infant interactive patterns and ultimately attachment security. Access to representation is facilitated by
specific psychological mechanisms during pregnancy that give easier access to internal psychic processes. This is often called the “gravidic psychic
transparency”. The first aim of this research was to study the maternal representations of their future infants through the use of a novel evaluative
method. Developmental psychology or psychopathology have generally used semi-directed interviews or questionnaires that limit representational
expression. Core representation can be more easily reached through the use of evocation techniques that are utilized in this study, thus allowing
free association and open word expression. The second objective of this research was to compare maternal representations of women expecting a
girl versus women expecting a boy.
Method. – Eighty-three women participated in the study. Forty percent knew they were expecting a girl, 47% a boy, the rest chose not to know.
They were invited during the third trimester of their first pregnancy to spontaneously express five words or expressions associated with the word
“baby” and to give them an order of importance.
Results. – Among the 132 different words used by the whole sample, three words constituted the central core of representation: love, happiness,
responsibility. Only eight words had a negative value. Maternal evocation of those expecting boys differed by the use of “vitality” as a concept
whereas those expecting girls used “fragility” and “responsibility”.
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (E. Devouche).
0222-9617/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2012.09.009
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E. Devouche, G. Apter / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 481–486
Perspectives. – In a control group where we had excluded mothers presenting any psychiatric known or probable pathology (women with an EPDS
score above 11 were not included) it is already essential to note that in a given western cultural context any negative representation of the future
baby is pushed away. However differences in use of representations for boys and girls already appear before the infant’s birth. We discuss the use
of maternal spontaneous prenatal representation psychodynamically raising the potentiality of this method in prevention and early detection of
postnatal interactive risk.
© 2012 Published by Elsevier Masson SAS.
Keywords: Prenatal maternal representation; Core representation; Sex-oriented representation; Pregnancy
Les représentations maternelles pendant la grossesse sont
abordées de manières très différentes selon le champ de la psychologie dans lequel on se situe. Si l’on adopte une approche
clinique, il s’agit du premier berceau imaginaire tissé autour
de l’enfant, un premier contenant psychique pour l’enfant à
naître [1] ; l’accent est mis sur la dimension fantasmatique
des représentations de la mère sur l’enfant à naître [2,3] et
sur la transmission intergénérationnelle des modèles internes
maternels du lien d’attachement [4]. Dans cette approche, les
représentations internes de la mère sur son lien d’attachement
(ou modèles internes) sont intrinsèquement liées à la typologie comportementale que la mère va adopter vis-à-vis de
son bébé. Elle transmettra de par ses fantasmes et ses représentations imaginaires le mandat trangénérationnel dont elle
est à la fois porteuse et qu’elle transforme au prisme de sa
propre conflictualité intrapsychique à son enfant [5]. Ces représentations pendant la grossesse sont accessibles en grande
partie grâce à la levée des mécanismes de refoulement, « la
transparence psychique » [6,7], et en postpartum au travers
de l’observation des scénarios narcissiques de la parentalité
[8].
Appréhendées selon une approche développementale,
les représentations maternelles (parentales) renvoient aux
croyances [9], idées [10,11], connaissances et attitudes [12] face
au développement et à l’éducation de l’enfant. Selon Holden et
Edwards [13], les représentations parentales sont fonction des
croyances, connaissances, jugements et perceptions, et selon
Bornstein [14], les croyances parentales renvoient aux idées,
connaissances et compréhensions que les parents ont des attitudes de leurs enfants. Ainsi, bien que clairement polysémique,
l’accent est toujours mis sur l’impact des représentations sur le
développement de l’enfant, souvent sous l’angle du lien entre
les « idées » des parents et leurs « actions » [10]. Pêcheux [15]
propose de parler de théories implicites et souligne le fait que les
descriptions de l’enfant et les pratiques éducatives dont il peut
être l’objet sont intimement mêlées.
Si l’on adopte enfin une approche interculturelle, on
s’intéressera aux spécificités propres à une culture donnée.
Dans une étude interculturelle, Bornstein et al. [16] ont mis en
évidence que les idées parentales chez les parents argentins,
français et américains comprenaient une composante culturelle
indéniable dans la façon d’envisager l’éducation d’un enfant.
Impliquées dans le parentage et l’ajustement, ces idées exerceraient une influence directe et indirecte sur le développement de
l’enfant. Cet impact culturel semble toutefois s’enraciner dans
l’histoire personnelle du parent qui apporte non pas une définition mais une certaine représentation de ce qu’est un enfant, de
comment il se développe et de jusqu’où il pourra être aidé pour
atteindre ses objectifs dans la vie [11].
La mesure de ces représentations maternelles se fait majoritairement par questionnaire dont voici une liste non exhaustive
qui donne un aperçu informatif. Le KIDI1 et le CODQ2
s’intéressent aux concepts, aux connaissances et à la compréhension que les parents ont sur le développement de l’enfant.
Benasich et Brook-Gunn [12] ont utilisé ces outils dans
une étude longitudinale et ont montré l’existence d’un lien
entre les connaissances sur le développement de l’enfant, les
concepts sur l’éducation aux 12 mois de l’enfant et la qualité
de l’environnement au domicile familial (organisation, jouets,
matériels, ajustement, participation parental et autres stimulations), le QI et certains troubles du comportement aux 36 mois
de l’enfant. Le AAPI3 mesure les préconceptions maternelles.
Kiang et al. [17] trouvent un effet direct important de ces
préconceptions mesurées par le AAPI sur l’évaluation du tempérament de leur enfant. Dans l’approche psychanalytique, le
monde fantasmatique de la future mère et son imaginaire sont
appréhendés notamment avec l’Interview pour les représentations maternelles pendant la grossesse (IRMAG), un entretien
semi-structuré élaboré par Ammaniti et al. [18] organisé en six
axes.
Toutefois, de nombreux facteurs entremêlés influencent la
construction des représentations, et les rendent difficiles d’accès.
Dans une méta-analyse sur les études impliquant la relation entre
représentations maternelles de l’attachement, l’ajustement de la
mère et l’attachement de l’enfant, Van IJzendoorn [19] confirme
certes le lien existant entre ces différentes variables (représentations maternelles, ajustement, attachement de l’enfant) mais
souligne en même temps que les relations entre ces variables
sont complexes et que les outils utilisés ne sont pas suffisamment à même de refléter toutes les subtilités des mécanismes en
jeu dans une telle interaction. Il remet même en question l’idée
que l’ajustement serait le principal médiateur entre représentations maternelles de l’attachement et patterns d’attachement.
Pêcheux [15], dans une revue critique sur la question des préconceptions parentales, constate une désertion de la psychologie
du développement pour ce champ de recherche au cours des
années 1990, et l’explique par les difficultés d’interprétations
que posent ces divers outils. De fait, s’agissant de relier les représentations prénatales et la période postnatale, il faut contrôler les
effets potentiels liés à la culture, au milieu socioéconomique, à
1
2
3
Knowledge of Infant Development Inventory (KIDI), McPhee (1981).
Concepts of Development Questionnaire (CODQ), Sameroff et Feil (1985).
Adult-Adolescent Parenting Inventory (AAPI), Bavolek (1984).
E. Devouche, G. Apter / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 481–486
l’éducation que la mère a reçue, à sa personnalité, aux évènements de vie, au soutien social et familial, à la structure familiale
et à l’enfant lui-même.
Certaines recherches ont appréhendé les représentations prénatales des futures mères en vue de comparer des sous-groupes
basés sur des facteurs tels que le sexe de l’enfant à naître ou la
parité. Pêcheux [15] relève que les « connaissances » de mères
primipares sur le développement précoce sont approximatives.
Elle souligne toutefois que compte tenu de la construction même
de la plupart des questionnaires évaluant les pratiques parentales,
on peut se demander si les parents expriment leurs connaissances, leurs évaluations ou leurs espoirs. L’étude de Pêcheux
et al. [20] montre que les attentes des parents liées au sexe de
l’enfant constituent une dimension importante de leurs représentations. Ainsi, à trois mois et neuf mois, les parents font plus
de commentaires sur l’humeur et les aspects physiques de leur
fille donnant le sentiment de se préoccuper davantage de leurs
émotions. De plus, ils utilisent le prénom de l’enfant plus souvent pour les garçons que pour les filles, les garçons étant perçus
comme individualisés plus précocement que les filles.
Dans cet article, nous souhaitons étudier les représentations
de futures mères primipares en nous appuyant sur une méthode
d’évaluation en rupture avec les outils traditionnellement utilisés dans la littérature. En effet, l’inconvénient commun à tous
les outils évoqués ci-avant est d’appréhender les représentations
par questionnaire ou entretien semi-directif, autrement dit par
des méthodes qui de fait brident l’accès à la représentation.
Nous proposons d’avoir recours à une technique de psychologie sociale — la technique d’évocation — qui permet d’utiliser
la méthode élaborée par Vergès [21], pour l’approche du noyau
central de la représentation. Cette technique consiste à présenter aux sujets un mot inducteur (dans notre recherche, le mot
« bébé ») et à leur demander de produire tout ce qui leur vient
spontanément à l’esprit lorsqu’ils pensent à ce mot. Le corpus de
mots et expressions obtenus ainsi par association libre est alors
organisé en fonction de deux indicateurs de hiérarchie : la fréquence d’apparition ou la saillance, et l’ordre d’évocation ou le
rang d’importance. Ainsi, en croisant la fréquence d’apparition
des termes et leur primauté en fonction du rang de survenue,
on met en évidence les éléments les plus saillants et les plus
signifiants de la représentation que l’on appelle le noyau central
ou zone centrale de la représentation, c’est-à-dire les mots ou
expressions dont la fréquence est élevée et le rang d’apparition
faible [21,22].
La théorie du noyau central conçoit les représentations
sociales comme des structures sociocognitives régulées par le
système central et le système périphérique. Le noyau central
constitue l’élément unificateur et stabilisateur de la représentation, une partie qualifiée de stable et résistante au changement.
Le système périphérique regroupe des informations contradictoires car soit la fréquence est élevée mais le rang aussi, soit le
rang est faible mais la fréquence aussi. Ces zones en périphérie
de la représentation sont, selon Vergès [21] une source de changements potentiels de la représentation. En se fondant sur cette
approche théorique de la représentation, il est possible de déterminer si deux populations diffèrent en comparant leurs noyaux
centraux. Cette technique d’évocation, de par son analogie avec
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« l’association libre » qui caractérise l’approche psychodynamique, nous semble une manière innovante d’aborder la question
de la représentation durant la période de la transparence psychique [7] voire de la préoccupation maternelle primaire [23].
Dans la présente étude, nous proposons de comparer les femmes
enceintes d’un garçon aux femmes enceintes d’une fille afin de
déterminer si dès avant la naissance, les futures mères élaborent
une représentation différenciée en fonction du sexe de l’enfant à
naître. En effet, plusieurs études pointent que dès l’âge de trois
mois, les filles présentent plus de comportements de sociabilité,
et qu’à six mois celles-ci se régulent plus facilement que les
garçons en se concentrant sur des objets [24,25].
1. Méthode
1.1. Échantillon
L’échantillon est composé de 83 femmes âgées de
31,3 ans ± 5,2 (étendue 19–43), nullipares au moment de l’étude
et de grossesse unique. La majorité de ces femmes vit en
couple (92 %, maritalement [41 %], mariées [42,2 %] ou pacsées [4,8 %]), les 8 % se déclarant célibataires au moment de
l’enquête. Le niveau d’études est assez élevé (65 % ont un niveau
bac + 3 ou plus), et 85 % exercent un emploi. Toutes les femmes
sont de langue maternelle française. Quand on les interroge sur
le sexe de l’enfant à naître, 40 % répondent attendre une fille,
47 % un garçon, et 13 % ne pas savoir par choix. Les femmes
enceintes d’un garçon et celles enceintes d’une fille ne diffèrent
pas du point de vue des caractéristiques sociodémographiques.
1.2. Procédure
L’enquête a été menée dans trois maternités du sud des
Hauts-de-Seine. Les femmes enceintes ont été contactées lors
du dernier cours de préparation à l’accouchement. Nous avons
été présentés par la sage-femme en charge du cours, à la fin
de la séance. La participation était basée sur le volontariat. Les
futures mères acceptant de participer étaient invitées à remplir
un petit questionnaire anonyme d’environ dix minutes incluant
les données sociodémographiques, une échelle de dépression
(Edinburgh Postnatal Depression Scale [EPDS]) et le questionnaire d’évocation présenté ci-dessous. Nous avons exclu toutes
les femmes présentant un score de 11 et plus à l’EPDS [26]. La
sage-femme nous a par ailleurs aidé à cibler les mères non suivies par la psychologue de la maternité et dont les grossesses se
déroulaient sans problème particulier.
1.3. Mesures effectuées
Le corpus de mots et expressions a été recueilli par la technique d’évocations qui consiste à proposer aux sujets un mot
inducteur et à leur demander de produire spontanément tout ce
qui leur vient à l’esprit lorsqu’ils pensent à ce mot. La consigne
écrite est la suivante : « Lorsque vous entendez le mot “bébé”,
quels sont les cinq mots ou expressions qui vous viennent spontanément à l’esprit ? » Un espace permet à la mère d’écrire ces
cinq mots ou expressions, puis la consigne propose en second
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E. Devouche, G. Apter / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 481–486
Tableau 1
Représentation sociales du « bébé ». Évocations hiérarchisées selon la fréquence
et le rang (fréquence ; rang moyen).
Fréquence ≥ 10
Fréquence
comprise entre
5 et 10 exclus
Tableau 2
Représentation sociales du « bébé ». Noyau central des femmes enceintes d’un
garçon et des femmes enceintes d’une fille (fréquence ; rang moyen).
Rang < 2,5
Rang ≥ 2,5
Rang < 2,5
Amour (31 ; 1,52)
Bonheur (17 ; 2,1)
Responsabilité (15 ; 2,48)
Fragile (22 ; 2,91)
Petit (21 ; 3,19)
Famille (19 ; 2,74)
Tendresse (18 ; 2,94)
Douceur (16 ; 3,56)
Joie (14 ; 2,86)
Garçon
Fille
Amour (17 ; 1,47)
Bonheur (8 ; 2,38)
Vie (7 ; 1,60)
Amour (11 ; 1,46)
Bonheur (6 ; 2,0)
Fragile (8 ; 2,0)
Responsabilité (7 ; 2,14)
Vie (9 ; 1,56)
Sourire (6 ; 2,17)
Nouvelle vie (5 ; 2,4)
Maman (9 ; 2,89)
Câlin (7 ; 2,57)
Maternité (6 ; 2,67)
Dépendance (6 ; 3,0)
Grossesse (5 ; 3,4)
Partage (5 ; 4,0)
Pleurs (5 ; 4,8)
temps : « Maintenant, classez ces mots ou expressions dans
l’ordre d’importance que vous leur accordez. Mettez le chiffre
1 devant le plus important pour vous, puis le chiffre 2, et ainsi
de suite, par ordre décroissant jusqu’à 5 ».
Compte tenu du caractère pilote de cette étude sur le plan
méthodologique pour ce domaine de recherche, le choix des
critères de fréquence et de rang a été déterminé de manière arbitraire puisque sans référence possible à la littérature. Le choix
du rang moyen a été basé sur un critère objectif en se situant
en dessous du rang médian (qui est de 3 du fait que les rangs
s’échelonnent de 1 à 5) afin de ne conserver que les rangs en
dessous de la médiane donc les mots les plus importants. Pour
la fréquence, nous avons choisi 10, soit un mot cité par au moins
10 % de l’échantillon.
2. Résultats
Après une phase de nettoyage lexicographique4 , il est apparu
que les 83 femmes interrogées ont élaboré 417 associations avec
le mot bébé, correspondant à 132 mots ou expressions différentes. Pour faire émerger la zone centrale du noyau des
représentations induites par le mot bébé, nous nous sommes
basés sur un rang moyen de 2,5, et sur des limites de fréquence
égales à 5 et 10. La zone centrale ainsi obtenue est constituée
des éléments suivants : amour, bonheur, responsabilité comme
le montre le Tableau 1.
Parmi les 132 mots appartenant au lexique de cet échantillon
de futures mères, différentes sous-catégories peuvent être créées
selon que le mot ou l’expression révèle une représentation positive, négative, pragmatique. . . On observe notamment que huit
présentent une valence négative : deux appartiennent au système périphérique de la représentation (pleurs et dépendance)
parce que leur fréquence est au moins de 5, et six sont apparus une à trois fois dans les réponses des femmes interrogées
4 Le nettoyage lexicographique a consisté à regrouper sous un même mot
certains mots très proches dont la distinction n’était pas pertinente (exemple,
câlin = câlins, fragile = fragilité).
Fréquence ≥ 5
(angoisse, fatigue, inconnu, nuit difficile, perpétuité, vulnérable,
inquiétude).
L’étude du système périphérique révèle que des mots comme
vie ou famille sont très proches d’intégrer le noyau central. Il est
intéressant de comparer la représentation des femmes attendant
un garçon à celle des femmes attendant une fille pour déterminer
si leurs noyaux centraux diffèrent l’un de l’autre et de ce noyau
central5 . Pour faciliter la lecture, ce noyau central sera qualifié
de « général », tandis que celui des futures mères de garçon sera
appelé « garçon » et celui des futures mères de fille sera appelé
« fille ». Pour déterminer le noyau central de ces sous-groupes,
nous avons utilisé le même critère de rang moyen (2,5) mais
avons diminué l’exigence de fréquence (3 et 5) s’agissant de
groupes plus faibles en effectif.
Le Tableau 2 montre que le noyau central fille se compose de
quatre mots : les trois qui caractérisent le noyau central obtenu
sur l’ensemble de l’échantillon : amour, bonheur, et responsabilité, et un mot supplémentaire propre à ce sous-groupe : fragile.
Le noyau central garçon présente deux éléments communs avec
le noyau central général (amour et bonheur) et un élément
propre (vie). En d’autres termes les noyaux de ces deux sousgroupes diffèrent par les mots fragile et responsabilité propres
aux femmes attendant une fille, et par le mot vie propre à celles
attendant un garçon. Ces mots apparaissent toutefois systématiquement en périphérie du noyau. Pour les futures mères de
garçons, les mots fragile et responsabilité présentent une fréquence élevée (respectivement 11 et 5) mais un rang moyen
faible (respectivement 3,46 et 3,0). De même pour les futures
mères de fille, le mot vie présente un rang moyen faible (1,67)
mais également une fréquence faible (3).
Des mots à représentations plus négatives apparaissent en
périphérie et plus sporadiquement. Il est déjà intéressant de noter
qu’ils ne sont pas strictement identiques en fonction du sexe
de l’enfant mais il sera nécessaire de tester cet aspect sur un
échantillon plus grand compte tenu de leur faible fréquence et
de leur plus faible rang. Le Tableau 3 permet de visualiser les
évocations à connotation négative apparues en périphérie dans
chaque sous-groupe.
5 Seront de fait exclues de cette analyse les 11 femmes ne connaissant pas le
sexe de leur enfant au moment du recueil.
E. Devouche, G. Apter / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 481–486
Tableau 3
Évocations à connotation négative en périphérie du noyau central, respectivement pour les femmes enceintes d’un garçon et pour les femmes enceintes d’une
fille (fréquence).
Garçon
Fille
Pleurs (3)
Dépendance (3)
Fatigue (2)
Nuit difficile (1)
Pleurs (1)
Dépendance (2)
Angoisse (1)
Perpétuité (1)
Vulnérable (1)
Inquiétude (1)
3. Discussion
L’étude des éléments centraux et périphériques de la représentation que de futures primipares en fin de grossesse ont du
« bébé » met en évidence deux sentiments positifs très forts que
sont l’amour et le bonheur, et un sentiment de responsabilité
que cette naissance imminente va entraîner. On voit pointer en
périphérie très proche les notions de vie et de fragilité dont la
non-inclusion dans le noyau central repose sur le choix de critères de fréquence et de rang moyen. Il serait intéressant, sur un
échantillon plus grand, de tester la résistance de ce noyau central
à des variations sensibles de ces deux critères.
Spontanément, il apparaît donc que des mères tout-venant
(donc a priori ne présentant pas de troubles psychopathologiques
connus) mettent en avant en premier les aspects positifs de leur
grossesse. Cela traduit a priori un phénomène social, sur une
population qui a une éducation moyenne ou supérieure et qui a
donc a priori choisi sa grossesse (en France près de 90 % des
grossesses sont « programmées », un taux très élevé même au
sein d’une société occidentale). De plus les attendus sociaux suscitent et renforcent ces « choix positifs » et rendent plus difficiles
l’expression de difficultés inhérentes à la venue d’un enfant qui
apparaissent alors plus sporadiquement et moins fréquemment.
Restent deux interrogations majeures. Cette expression est-elle
si normalisée que la manifestation de représentations négatives
serait le signe de difficultés psychopathologiques, par exemple,
l’expression a minima d’un trouble de l’humeur en anténatal
(bien que les femmes ayant un score élevé à l’EPDS aient été
exclues, il reste les potentiels faux négatifs [27]) ? Ou bien
l’expression des aspects conflictuels intrapsychiques ne peuvent
s’exprimer que si leur expression est facilitée par un entretien
clinique mené par un professionnel ce qui tendrait à complexifier
la compréhension que l’on aurait de cette expression.
La comparaison des noyaux centraux basés sur le sexe de
l’enfant à naître au noyau central général confirme la stabilité
des mots amour et bonheur communs aux trois noyaux. Elle
révèle également que le mot responsabilité, élément constitutif
du noyau central général, a disparu du noyau garçon, suggérant
l’impact spécifique d’un sous-groupe dans la représentation qui
caractérise le groupe et donc la pertinence de cette distinction
fille-garçon en l’occurrence. De plus, la comparaison du noyau
central fille au noyau central garçon révèle que les futures mères
d’un bébé fille se le représentent davantage comme fragile et
impliquant une responsabilité tandis que les futures mères d’un
bébé garçon évoquent la vie. Par ailleurs, il apparaît que les
485
quelques évocations à connotation négative des femmes attendant un garçon touche plutôt au concret de la fatigue physique,
tandis celles des femmes attendant une fille sont plus centrées
sur une dimension émotionnelle.
Bien que les possibilités d’interprétation soient limitées, il
semble que la connaissance du sexe de l’enfant oriente déjà
une partie des représentations. Il s’agit moins de spéculer sur
l’intérêt ou non de ces représentations (interruption volontaire
de fantasme disait Michel Soulé [28]) que de constater qu’il
s’agit d’un phénomène tellement massif (87 %) qu’il fait désormais partie du fonctionnement dans les sociétés occidentales en
tous les cas. Il s’agit alors de considérer que la représentation
des futurs garçons est habituellement liée à une expression de
vitalité alors que celle des futures filles est associée à celle de
responsabilité et de fragilité. Rappelons que cela est contraire à
la réalité médicale, l’espérance de vie d’un bébé fille étant supérieure à celle d’un bébé garçon et ce d’autant plus qu’il présente
une pathologie, c’est-à-dire à troubles somatiques équivalents
le risque de décès du garçon est plus élevé [29]. Cela serait-il
corrélé indirectement à l’émergence de difficultés périnatales
voire de troubles de l’humeur dont l’expression serait modifiée non pas en fonction du sexe de l’enfant mais du fait de
l’interaction entre les représentations moyennes liées au sexe
du bébé et des caractéristiques propres aux parents ? De ce
fait l’écart entre le bébé imaginaire et le bébé réel souvent
reconnu comme un des éléments intervenant dans la survenue
de troubles maternels postnataux (lorsque l’écart est trop grand,
les ressources parentales sont mises à mal, et les vulnérabilités parentales antérieures décompensent d’autant plus) serait
déjà en germe. Il y aurait peut-être un abord de prévention primaire à considérer ici, voire un aspect de compréhension de
la meilleure régulation émotionnelle des filles constatées lors la
première année de la vie [30]. Les représentations sont corrélées
à certaines caractéristiques interactives telles les interactions de
regard pendant un jeu ou pendant une vocalisation (plus ou
moins de toucher ou de regards avec une fille ou un garçon)
qui seraient intéressantes à revisiter au regard de ces éléments
de base [30].
Le recueil ayant été réalisé en fin de grossesse, il serait
utile de tester la stabilité de ces représentations en interrogeant
les futures mères en début de grossesse et après la naissance,
en évitant toutefois des recueils trop rapprochés qui favoriseraient un effet d’apprentissage. En effet, une dimension des
représentations maternelles peu étudiée est celle de la stabilité
dans le temps. Benoit et al. [31] trouvent une stabilité notable
entre la période prénatale et la période postnatale. Fonagy et al.
[32] montrent, dans une étude longitudinale, une bonne prédiction entre les représentations maternelles prénatales du lien
d’attachement et les patterns d’attachements de l’enfant dans la
situation étrange, un résultat confirmé par Ward et Carlson [33]
sur des mères adolescentes. Theran et al. [34] nuancent toutefois
en précisant que la stabilité entre les représentations pendant la
grossesse et après la naissance serait plus significative pour les
mères ayant des modèles internes équilibrés au départ. Cette
question de la stabilité, et implicitement de l’instabilité est intéressante à aborder dans le cadre de l’étude de population à risque
dans un but de détection et de prévention.
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Bien que revêtant un caractère pilote, avec un échantillon
de taille modeste, cette étude originale dans sa méthodologie
apporte déjà des éléments de réponse qualitatifs à la question
des représentations prénatales de futures primipares avec une
technique d’interrogation peu coûteuse et objective. Elle révèle
de plus, et ce malgré la taille de l’échantillon, des différences
qualitatives intéressantes en fonction du sexe de l’enfant à naître.
Le potentiel dans une visée de détection et de prévention sur des
populations à risque nous semble à explorer plus avant.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Remerciements
Nous remercions Anne-Gaël et Samira pour leur aide dans
le recueil des données et toutes les femmes qui ont accepté de
participer à cette recherche.
Références
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seconde grossesse. Neuropsychiatr EnfanceAdolesc 2010;58:448–55.
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