Le_Bout_de la langue -- mars 2011 -
Transcription
Le_Bout_de la langue -- mars 2011 -
Le Bout de la langue Quiconque a déjà eu un mot sur le bout de la langue sait que celui-ci est très vaste! Voilà pourquoi je me propose d’en faire périodiquement l’exploration, en votre compagnie, grâce à cette chronique sans prétention. Je vous convie à un voyage sans fin dans cet univers fabuleux, parsemé d’écueils certes, mais également d’îles paradisiaques! Je compte sur vous pour me proposer des passages à éclaircir, des criques à cartographier. Comme ces navigateurs qui sont partis vers l’horizon avec la soif de voir le bout du monde, nous avancerons enthousiastes, dans l’espoir de nous approcher toujours un peu plus du bout de la langue! Nous n’oublierons pas toutefois qu’il en va du bout de la langue comme du bout du monde… chaque fois que nous pensons y arriver, nous découvrons un nouveau recoin insoupçonné! Rédaction épicène Mars 2011 La langue exprime, représente, reflète la réalité qui nous entoure. Par conséquent, quand cette réalité change, la langue change également. Elle se transforme progressivement, au rythme des changements sociaux, technologiques et scientifiques. L’évolution de la place des femmes dans la société et dans les textes est un bon exemple de ce lien entre langue et réalité. En effet, pendant longtemps, les femmes n’occupaient que très peu de place dans la sphère publique. La langue n’avait donc que très peu de termes pour les nommer. Au cours des dernières décennies, toutefois, cette situation a grandement évolué. Petit à petit, un nombre croissant de locuteurs (… en fait… surtout de locutrices!) ont senti le besoin de faire ressortir cette nouvelle réalité. Nous avons donc assisté aux premiers efforts de « féminisation » des textes. Ces premiers efforts, avouons-le, n’ont pas été toujours heureux. Ils ont souvent été synonymes de lourdeur et de redondance, ce qui n’a pas aidé la cause. En effet, les personnes qui éprouvaient déjà certaines réticences devant ces changements linguistiques ont eu beau jeu pour les critiquer allègrement. Cependant, les efforts se sont raffinés et du simple ajout systématique de formes féminines, nous sommes passés à la rédaction épicène. Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que le mot « épicène » signifie « qui désigne aussi bien le mâle que la femelle d’une espèce » (ex. : une personne, une marmotte, le personnel) et « dont la forme ne varie pas selon le genre1 » (ex. : habile, agréable, collègue, élève). La rédaction épicène est donc une pratique d’écriture renouvelée visant à assurer une place équitable aux hommes et aux femmes dans le langage. Pour atteindre cet objectif, il convient d’avoir, dès le début du processus de rédaction (soit à l’étape du plan), l’intention ferme d’accorder, dans son texte, la même visibilité aux femmes qu’aux hommes. Cette intention, de même que la conscience qui en découle, guidera le choix des expressions, des structures, des termes utilisés. Le secret du succès de la rédaction épicène repose aussi sur le souci de préserver la lisibilité et l’intelligibilité des textes, et ce, en évitant les procédés lourds et en ayant plutôt recours à des stratégies diverses, chacune adaptée au contexte. Nous présentons, à la page suivante, des stratégies qu’il est souhaitable de combiner et quelques-uns des procédés à éviter2. 1 Ces définitions proviennent du Nouveau petit Robert de la langue française 2008, version Windows, [Cédérom], Paris, Dictionnaires Le Robert, c2007. 2 Pour de l’information plus complète sur la rédaction épicène (stratégies, exercices, pièges à éviter, formes féminines des appellations de personnes, etc.), consulter la publication Avoir bon genre à l'écrit : guide de rédaction épicène (VACHONL'HEUREUX, Pierrette, et Louise GUÉNETTE, Les Publications du Québec, 2007, 209 p.), ainsi que les fiches de la Banque de dépannage linguistique à l’adresse suivante : http://66.46.185.79/bdl/gabarit_bdl.asp?T1=r%E9daction+%E9pic%E8ne. Stratégies à combiner Recours à des noms épicènes Recours à des noms collectifs Recours à la fonction ou à l’unité administrative Exemples La personne plutôt que L’utilisateur ou l’utilisatrice Le ou la responsable du projet plutôt que Le chargé ou la chargée de projets Les spécialistes plutôt que Les experts et les expertes Le personnel plutôt que Les employés et les employées Le corps enseignant plutôt que Les enseignants et les enseignantes La population québécoise plutôt que Les Québécois et les Québécoises La présidence plutôt que La présidente ou le président La direction plutôt que Le directeur ou la directrice Le secrétariat plutôt que La secrétaire ou le secrétaire Le service de l’informatique plutôt que Les informaticiens ou les informaticiennes Procédés à éviter Emploi de parenthèses Emploi de traits d’union Emploi de barres obliques Emploi de majuscules Exemples les député(e)s, les usager(ère)s, les citoyen-ne-s, l’entraîneur-euse, les lectrice/teur/s, l’historien/ne les auteurEs, les étudiantEs En ce qui concerne la note explicative parfois placée en début de texte pour dire que, dans celui-ci, la forme masculine englobe les deux genres et que son emploi ne vise qu’à alléger le texte, elle est considérée, selon les principes de la rédaction épicène, comme un aveu d’échec, une démission devant le défi visant à accorder une même visibilité aux femmes et aux hommes. La rédaction épicène ne se fait pas dans un carcan rigide. Grâce à la grande variété de ressources qu’offre le français, la personne qui écrit peut choisir les meilleures stratégies selon le type de texte qu’elle doit rédiger (publicitaire, informatif, administratif, pédagogique, etc.), dans un souci de clarté, de lisibilité et de créativité stylistique pouvant plaire au plus grand nombre. Dire que la rédaction épicène est un jeu d’enfant serait un mensonge éhonté. Il y a des années d’habitudes avec lesquelles il faut rompre. Cependant, l’ampleur de la tâche ne devrait pas nous décourager de participer à rendre la langue plus représentative de l’ensemble des gens qui l’utilisent. Tous pour une et un pour toutes! Le saviez-vous? (Aujourd’hui, repos linguistique du côté d’une expression rigolote : dès potron-minet.) Dès potron-minet L’expression littéraire dès potron-minet signifie dès l’aube, dès le point du jour. Son origine est incertaine, mais l’hypothèse la plus répandue est celle la liant à l’ancienne expression « dès poitron-jacquet », où « poitron » est un dérivé de « poistron », du latin « posterio », « postérieur », et où « jacquet » est « écureuil » en normand. Cette expression signifiait donc « dès qu’on voit le derrière des écureuils », animaux reconnus comme matinaux. Avec l’urbanisation (française), le chat (« minet »), plus commun en ville, aurait remplacé l’écureuil comme symbole des matinaux (…à vous maintenant de l’adapter selon ce qui est pour vous synonyme de « matinal » : dès potron-enfant de deux ans; dès potron-marteau-piqueur, etc.). Exemple : C’est décidé! Demain, dès potron-minet, je me mets à la rédaction épicène!