matchdocument - Action Sida Ville

Transcription

matchdocument - Action Sida Ville
PARIS MATCH - 14/11/2013 - N° 3365
matc hd oc um e nt
APRÈS LA MORPHINE,
LE CANNABIS VA ENTRER
DANS LA PHARMACOPÉE
pour traiter les
douleurs aiguës et
permettre aux Français
d’être pris en
charge comme des
millions de malades
dans le monde…
il était temps !
P A R R I C H A R D Z A R Z AVAT DJ I A N
Un flacon de Sativex sous forme de spray
qui est vendu sur le marché espagnol.
LE CANNABIS
EN BLOUSE
BLANCHE
pa r ism atc h .co m 141
PARIS MATCH - 14/11/2013 - N° 3365
matchdocument
ans quelques semaines, Sarah et Philippe n’auront
plus peur d’être arrêtés par la police ni par les
douanes pour importation, utilisation et distribution sur le territoire français d’un médicament issu de la plante de cannabis. Le Sativex,
une molécule utilisée depuis des années au
Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne,
aux Pays-Bas, en Italie ou en Espagne, va
recevoir une autorisation de mise sur le marché français. « Nous allons enfn pouvoir
soulager nos douleurs comme nos voisins
européens, sans être considérés comme des
délinquants ou des trafquants », soupirent-ils.
Agés de 46 et 72 ans, ils souffrent depuis des
années de sclérose en plaques (Sep), une maladie qui affecte l’enveloppe des nerfs mais aussi la
motricité des membres, des muscles et qui s’accompagne de douleurs souvent insupportables liées à des raideurs
et des crampes. Parmi les 80 000 personnes qui souffrent de
Sep, le médicament sera effcace pour seulement 8 000 à
10 000 malades, douloureux chroniques. Une « niche », pour
reprendre la formule consacrée, fortement symbolique
puisque la France interdit le produit depuis 1953 et refuse
d’alléger la législation,
même à titre antalgique
ou compassionnel. Les
procédures d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), souvent
appliquées pour des
médicaments innovants contre des maladies comme le cancer,
les myopathies ou les affections rares auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ont toujours été
rejetées dans la mesure où le Sativex contenait des extraits de
la plante de cannabis, un stupéfant interdit en France. « Une
façon de nous dire, à nous, malades, souffrez et taisez-vous »,
s’insurgent Sarah et Philippe.
L’Agence du médicament va autoriser le Sativex dès 2014
Le point de départ de cette révolution a eu lieu le 5 juin 2013,
avenue de Ségur, au siège du ministère de la Santé. Marisol
Touraine, contre toute attente, a publié un décret autorisant
la mise sur le marché de médicaments issus du cannabis, ouvrant une véritable brèche dans la pharmacopée française.
C’est l’ANSM qui a été missionnée pour étudier les conditions
de mise sur le marché et de délivrance du Sativex que tout le
monde attend pour le début de l’année prochaine. Mais de
nombreux spécialistes, malades, médecins, industriels et politiques considèrent que cet événement, tant espéré par les malades, n’est qu’une première étape. « D’autres indications du
Sativex sont à l’étude, explique le Pr Patrick Vermersch, un
des spécialistes de la sclérose en plaques au CHU de Lille, qui
a réalisé des essais cliniques sur le produit. Je pense aux douleurs liées au cancer… » En France, le Marinol, un autre cannabinoïde pharmaceutique, présenté sous forme de gélules,
est actuellement utilisé contre certaines douleurs fulgurantes
des neuropathies, par exemple. C’est le cas dans le centre antidouleur de l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt,
près de Paris, où le Pr Nadine Attal, neurologue, le prescrit
depuis une dizaine d’années, dans le cadre d’une autorisation
Le Sativex soigne les douleurs neuropathiques, et aussi les soufrances
liées au cancer” Pr VERMERSCH
LE CANNABIS ANTIDOULEUR
Le processus est mécanique.
Parmi la soixantaine d’agents
présents dans la plante, le
tétra-hydro-cannabinol (THC)
et le cannabinol (CBN) vont agir
sur deux récepteurs (CB1 et
CB2) de notre système nerveux
central et moduler ainsi le signal
de la douleur. C’est le cas, par
exemple, du Sativex, utilisé en
Europe qui diminue d’un tiers les
douleurs liées aux raideurs chez
les patients soufrants de
sclérose en plaques. Mais pas
seulement. La combinaison des
deux agents THC et CBN va
limiter le phénomène de
142 PAR I S MATC H DU 14 AU 20 NOV E MBR E 2013
dépendance au médicament et
donc au cannabis. Ce qui
conduit de nombreux spécialistes à écarter le caractère
addictif de cette nouvelle
molécule, d’autant que sa
prescription sera très encadrée.
« Contrairement à d’autres
drogues, comme l’héroïne,
explique le Pr François Chast,
chef du service de pharmacie
clinique des hôpitaux universitaires Paris-Centre, l’efet du
cannabis dure plus longtemps et
va permettre d’élargir notre
arsenal thérapeutique face à des
patients douloureux chroniques. »
temporaire d’utilisation, à une vingtaine de patients résistants
à de nombreux antalgiques, même très puissants. Le cannabis
est recommandé pour d’autres indications, en particulier pour
les malades atteints du sida afn de leur permettre de retrouver l’appétit et de supporter les effets secondaires, nausées et
vomissements, de leurs trithérapies. Toutefois, aujourd’hui,
rares sont ceux qui peuvent bénéfcier de ces molécules. Depuis 2001, seulement 150 demandes d’ATU ont été acceptées
pour le Marinol, mais aucune pour le Sativex, alors qu’il est
prescrit par nos voisins européens !
450 euros pour du cannabis médical acheté à Londres
Une situation jugée révoltante par les malades français qui
n’ont pas attendu Marisol Touraine pour se soigner avec du
cannabis. Depuis des années, des patients résistants à de nombreux antalgiques, y compris la morphine, franchissent le Rubicon à leurs risques et périls et se fournissent en médicaments
ou en plantes sur les marchés européens. Il sufft de parcourir
les réseaux sociaux, les forums et les chats pour s’en convaincre.
Lasse de se voir refuser l’utilisation de ces molécules et plantes,
Sarah a choisi l’année dernière de se rendre à Londres avec
une prescription d’un médecin français. Elle a pu rencontrer
un homologue anglais et se procurer un médicament en phar-
PARIS MATCH - 14/11/2013 - N° 3365
Les médicaments à base de
cannabis aident à retrouver l’appétit
et à supporter les trithérapies” Pr ATTAL
macie à base d’extraits de
plantes ; trois flacons sous
forme de spray buccal pour
450 euros. Coût du voyage,
honoraires du médecin britannique (200 euros) et déplacement en Eurostar compris :
près de 1 000 euros. Sarah se
rend également tous les trois
mois à Amsterdam dans un
coffee shop pour se fournir en plantes de cannabis dont elle
connaît la qualité. « J’en achète environ 30 grammes à 12 euros
le gramme, ce qui me coûte 360 euros, et j’ai toujours sur moi
une ordonnance de mon médecin français qui stipule que le
produit Amnesia Haze, qui n’est pas de la résine, me fait du
bien. » Car, en l’absence de réglementation et surtout d’autorisation de consommer des médicaments à base de cannabis,
les utilisateurs, aussi souffrants soient-ils, sont considérés
comme délinquants et condamnables par les tribunaux français. Dominique Liumachi, 40 ans, en a fait la triste expérience.
Atteint d’une myopathie avec dégénérescence musculaire depuis l’âge de 7 ans, il vient d être condamné par Cette ordonnance
la cour d’appel de Besançon pour détention et utilisa- permet à Sarah
tion de plantes de cannabis. « C’est scandaleux de me de justifier de
prendre pour un toxicomane, s’indigne-t-il. Je suis un l’intérêt du cannabis
contre ses douleurs.
malade et le cannabis que je consomme depuis près de
vingt ans me soulage et me permet de survivre. » Son Elle achète le
cas n’est pas unique. D’autres patients ont (Suite page 144) Sativex à Londres.
QUATRE MALADES DOULOUREUX
CHRONIQUES, QUI UTILISENT DES CANNABINOÏDES, ONT ACCEPTÉ DE TÉMOIGNER AU
RISQUE DE S’EXPOSER À DES POURSUITES.
UNE INITIATIVE MILITANTE ET COURAGEUSE
POUR EN FINIR AVEC L’AMALGAME ENTRE
CANNABIS MÉDICAL ET CANNABIS RÉCRÉATIF.
PHILIPPE DECULP
atteint de sclérose en plaques
A 72 ans, il soufre depuis plus
de trente ans. La spasticité, qui
se traduit par des raideurs et des
crampes liées à la maladie, provoque des douleurs très violentes aux jambes, surtout en fin
de journée et la nuit. « J’ai essayé
de nombreux antidouleurs sans
vraiment de résultats », juge-t-il. Comme beaucoup de malades douloureux chroniques, il sait qu’au Canada, depuis 2005,
puis au Royaume-Uni, en 2010, ou en Espagne, en 2011, les
malades douloureux comme lui sont soulagés par le cannabis.
Et c’est avec l’aide d’une amie qui s’est rendue en Espagne qu’il
a pu tester le Sativex sous forme de spray. « Grâce à ce produit, reconnaît-il, ma douleur a diminué d’environ 30 %. » Pas
question d’en rester là, il envisage à nouveau de s’approvisionner sur le marché espagnol.
ELISABETH DURAND
soufre de douleurs neuropathiques
C’est à la suite de deux opérations chirurgicales dans le bas
du dos qu’Elisabeth, 62 ans, est entrée dans le tunnel de la
douleur permanente. Elle soufre depuis 2007 de douleurs
neuropathiques qui l’obligent à marcher avec des béquilles.
Aucun traitement, même la morphine, ne la soulage vraiment. « Parfois, je me traîne par terre tellement la douleur est
forte », explique-t-elle. Son médecin, spécialiste de la douleur, lui a proposé la solution de la dernière chance : le Marinol, à base de cannabis de synthèse. « J’ai immédiatement
accepté car je ne veux pas qu’on
m’opère à nouveau pour m’implanter une électrode antidouleur. » Elle a commencé le
traitement en juillet dernier. « Les
résultats sont limités pour l’instant, avec parfois des effets
secondaires comme les nausées », avoue-t-elle.
PA R ISM ATC H .CO M 143
PARIS MATCH - 14/11/2013 - N° 3365
matchdocument
lution dans la prise en charge de la
douleur. « L’arrivée de ces produits
va élargir l’arsenal des médicaments mis à la disposition du
monde médical et des malades »,
ajoute Nadine Attal. Un sentiment
partagé par les utilisateurs, notamment du Marinol, du Sativex et du Bedrocan (vendu sous forme
de plantes de cannabis dans les offcines hollandaises). En utilisant le Sativex en spray buccal, Sarah a été déçue alors que Philippe a constaté une diminution de sa douleur de l’ordre de 30 %.
Mais pour tous ces patients et leurs associations, comme l’Union
francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFCM) ou
Principes actifs, présidée Fabienne Lopez, il faut aller encore
plus loin que la mise sur le marché. « Des malades qui le souhaitent et sous attestation de leur médecin, explique-t-elle,
doivent pouvoir se soigner seuls avec leur propre production de
cannabis sans risquer d’être poursuivis. » Une façon de rendre
légale l’autoproduction à destinée médicale, couramment pratiquée depuis des années, parmi les dizaines de malades que nous
avons rencontrés au cours de notre enquête. n
Risque de dépendance au
cannabis : préfère-t-on voir soufrir
des malades pendant des années ?
Richard Zarzavatdjian
FAbIenne LoPez
en traitement contre un cancer du sein
été inquiétés ou condamnés par les tribunaux. Les médecins prescripteurs français aussi sont dans le collimateur. En octobre 2012, à Lyon, lors d’un congrès
international sur la sclérose en plaques, les spécialistes
français se sont vu interdire l’entrée à une session sur
le Sativex, dans la mesure où le cannabis est toujours
interdit sur le territoire national. Pas question pour le laboratoire espagnol Almirall, en négociation avec les autorités françaises, de prendre le moindre risque. La société est en train de
négocier une autorisation de mise sur le marché et un prix
confortable qui devrait avoisiner les 400 euros pour un conditionnement de trois facons du produit.
Gélules d’un autre
médicament à base
de cannabis, qui
fait l’objet d’essais
cliniques en France.
Le cannabis médical n’est pas une révolution thérapeutique
Pour beaucoup de malades, cette crispation française est
le résultat d’un amalgame entre cannabis médical et cannabis
récréatif et est liée à la crainte de créer une dépendance auprès des patients sous cannabinoïdes. Ce que réfutent les médecins spécialisés dans la douleur, la sclérose en plaques ou le
cancer. « Si le risque et les effets secondaires ne sont pas absents mais minimes, explique le Pr Attal, la prescription sera
hyper encadrée et surveillée comme pour celle des morphiniques afn d’éviter ce type de problème. » Même avis pour le
Pr Patrick Vermersch ainsi que le Dr William Lowenstein,
addictologue, qui ne redoutent pas le risque de dépendance
des patients sous cannabis. Préfère-t-on les laisser souffrir des
journées entières pendant des années ? Reste une dernière
question, sûrement la plus importante : ces médicaments sontils véritablement effcaces contre les douleurs ? La plupart des
études internationales affchent un chiffre de 30 % de bons répondants pour le Sativex. « Dans notre essai sur 25 patients, nous
avons enregistré des scores de l’ordre de 40 % », commente
Patrick Vermersch. Mais aucun spécialiste ne croit en une révo-
144 PAR I S MATC H DU 14 AU 20 nov e MbR e 2013
Présidente de l’association Principes actifs qui milite pour
l’utilisation thérapeutique du cannabis, Fabienne, 57 ans, est
aussi une malade. Après un protocole de chimiothérapie, de
radiothérapie et de chirurgie, elle est aujourd’hui sous hormonothérapie pour éviter une récidive. « J’ai des douleurs au
niveau des jambes et des articulations avec des crampes »,
explique-t-elle. Face à ces efets délétères liés à sa thérapie,
auxquels s’ajoutent des nausées et des vertiges, Fabienne
peut inhaler jusqu’à quatre ou cinq fois par jour une vaporisation de plante de cannabis fournie par des amis. « Ça m’aide
beaucoup et j’aimerais que tous les malades douloureux
puissent avoir accès, sous contrôle médical, à ces plantes et
à des fournisseurs sérieux, comme il en existe en Hollande. »
beRTRAnD RAMbAUD
malade du sida
Ancien toxicomane et président
de l’Union francophone pour les
cannabinoïdes en médecine
(UFCM), Bertrand, 52 ans, a
contracté le virus du sida en 1984
ainsi que deux hépatites virales
qui ont justifié des traitements
lourds. « Face aux efets secondaires des trithérapies, comme la
perte d’appétit, des crampes musculaires et des troubles du
sommeil, le cannabis m’aide », explique-t-il.
Il inhale une vaporisation de la plante et prend quelques
gouttes d’une préparation qu’il absorbe avec son café. « Je
vais deux fois par an en Hollande, à 35 kilomètres de Maastricht, pour m’approvisionner grâce à la prescription d’un médecin français qui connaît parfaitement les efets médicaux
du cannabis et le dosage précis selon les pathologies de chacun. Ça me coûte 800 euros à chaque fois. »