Les premiers pas de l`apprenant en classe de FLE

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Les premiers pas de l`apprenant en classe de FLE
Le Langage et l’Homme, vol. XXXXIII, n° 2 (décembre 2008)
Les premiers pas de l’apprenant
en classe de FLE
Luc COLLES
Centre de recherche en didactique
des langues et litteratures romanes (Cedill)
Universite catholique de Louvain-la-neuve (UCL)
Cette année 2007-2008, le séminaire thématique de Louvain-la-Neuve était
consacré aux premiers pas de l’apprenant en classe de FLE.
Le 14 novembre 2007, Pierre Muanda, membre de l’asbl Lire et Ecrire, a
mis les participants en situation d’apprenants d’une langue étrangère en donnant
une leçon zéro de lingala. Répétant les mots de base en appuyant ses propos avec
des gestes très éclairants, il leur a appris à dire bonjour et à se présenter en
utilisant cette langue africaine. Après avoir travaillé l’oral en insistant sur la
prononciation, le rythme et l’intonation au moyen d’incessantes répétitions, il a
montré une vidéo illustrant le dialogue appris, afin de satisfaire tant les auditifs
que les visuels. Ensuite, les participants ont écouté ce dialogue en fermant les
yeux, se concentrant sur le son qui sortait d’un lecteur de cassette audio et qui
pouvait être réglé en vue d’accélérer ou de ralentir le débit de parole.
L’apprentissage de l’écrit n’intervenait qu’en dernier lieu, l’objectif étant de
permettre aux apprenants de se débrouiller oralement dans les situations
quotidiennes de première nécessité.
Le 12 décembre 2007 venait l’intervention de René Bastin, concepteur de la
méthode interactive d’apprentissage oral du français BALINGUA. Résultat de
quarante ans d’expérience d’enseignement et de recherches en linguistique, cette
méthode a pour objectif d’améliorer l’acquisition de diverses langues. Balingua
se base sur les universaux du langage de type syntaxique et phonétique, autrement
dit sur des savoir-faire que tout homme possède dans son cerveau, pour faire
apprendre des langues de manière intuitive et très rapide. Grâce à des phrases
découpées en séquences où chaque mot est représenté par une image, les
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apprenants activent ou réactivent dans leur cerveau leur savoir-faire en
compréhension et expression orales. Par un échange de questions-réponses avec
le professeur (le logiciel), l’élève est amené à répéter des mots et des structures
syntaxiques selon la technique dite « du marteau » jusqu’à ce que ceux-ci
s’ancrent de manière presque automatique dans sa tête. Dès la première heure de
cours, l’apprenant sera ainsi capable de construire ses propres phrases simples
dans la langue étrangère, et cela le motivera à continuer son apprentissage et à
oser s’exprimer dans la langue cible. Spécialement conçue pour des personnes
débutantes ou éprouvant des difficultés à l’oral, Balingua ne s’intéresse pas à la
compétence écrite des apprenants. Elle se limite à 200 ou 300 mots de
vocabulaire. Elle doit donc être utilisée en complément à d’autres méthodes
d’apprentissage des langues.
L’importance accordée à l’immersion totale en langue cible est confirmée
dans les deux méthodes. Si l’enseignant désire ancrer rapidement des
connaissances linguistiques dans l’esprit de ses élèves, il doit absolument leur
parler dans la langue étrangère dès le début de son cours. Le procédé de la
répétition utilisé pour articuler chaque son et insister sur l’intonation correspond
au principe qui sous-tend les deux méthodes du séminaire. Toute méthode doit
commencer par habituer les oreilles des apprenants à la prononciation et
l’intonation spécifiques à la langue étrangère avant de s’atteler à ce qu’ils
comprennent le sens des mots. Notons néanmoins que Pierre Muanda et René
Bastin faisaient correspondre des gestes expressifs ou des images aux sons
entendus.
Le 12 décembre 2007, Claire-Lise Dautry, la directrice de l’Alliance
française Bruxelles-Europe, est venue animer une séance du séminaire sur le
thème des écrits du quotidien. Sous cette appellation, elle range tous les
documents authentiques auxquels des étrangers seraient susceptibles d’être
confrontés dans la vie quotidienne, tels que par exemple des horaires de
transports en commun, des modes d’emploi, des factures, des formulaires
d’inscription, etc. Selon Madame Dautry, la langue écrite constitue une langue
étrangère en soi, avec ses conventions spécifiques que les apprenants doivent
apprendre à décoder. S’inscrivant dans la lignée des approches communicatives,
elle considère tout document comme une énigme à résoudre grâce à une récolte
d’indices. Pour illustrer son approche, elle mit les participants dans la situation
d’élèves découvrant une nouvelle langue en projetant différents documents
authentiques en langue étrangère. A partir de ces documents, elle fit la
démonstration qu’il est possible, passé le cap du blocage psychologique dû à
l’écart qui sépare la langue maternelle de la langue que l’on apprend, de repérer
des éléments significatifs dans la présentation graphique du document ou de
relever des formes linguistiques identiques. Dès lors, elle encouragea à partir des
documents authentiques rencontrés par les apprenants à construire ses cours dans
une perspective fonctionnelle. Son principe consiste à donner la priorité à la
compréhension du sens global d’un support pour ensuite conceptualiser certaines
structures linguistiques grâce à l’observation de leur forme. Madame Dautry
termina sa présentation en distribuant aux participants différentes publicités et en
leur demandant de créer des activités didactiques selon la progression
communicative dont elle venait de donner des exemples. Ainsi, il existe un
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parallèle entre les principes qui sous-tendent la méthode Balingua et celle de
Mme Dautry, qui se basent toutes les deux sur des savoirs et savoir-faire déjà
présents dans le cerveau afin d’atténuer le caractère étrange de la langue cible et
de faire acquérir de nouvelles connaissances.
Le 16 janvier 2008, Emmanuelle Rassart a parlé de la chanson en classe de
FLE. Même si le CECR ne mentionne pas les chansons actuelles parmi les
documents audio-visuels exploitables au niveau A1, celles-ci peuvent être
utilisées en classe de FLE avec des débutants. Après avoir pointé les
caractéristiques intrinsèques du genre chanson et délimité les objectifs
d’apprentissage spécifiques aux débutants, l’auteur pose quelques balises pour
l’emploi de la chanson dès les premiers pas en FLE : réception affective et mixte,
approche didactique en trois étapes (découverte, compréhension, expression),
priorité à l’expression individuelle. Des exemples d’activités autour de chansons
authentiques illustrent l’exposé.
Le 13 février 2008, Christine Renard est venue expliquer l’intérêt
d’apprendre une langue en jouant. Outre le fait qu’ils permettent de sortir du
carcan scolaire des manuels et font appel à la créativité trop souvent oubliée des
apprenants, les jeux favorisent la spontanéité et l’expression des élèves, qui ne
sont plus centrés sur la correction de leurs productions orales mais orientés vers
l’objectif fonctionnel de l’activité ludique. De plus, les jeux provoquent de
nombreuses interactions entre les élèves et contribuent souvent à créer une bonne
ambiance dans le groupe classe. Mais surtout, ils amènent les apprenants à
exercer inconsciemment leurs compétences communicatives. Ils leur permettent
en effet d’acquérir des savoirs et savoir-faire de manière moins formelle, sans le
poids de la théorie à mémoriser. Concrètement, Christine Renard a ensuite
présenté différents exemples de jeux à pratiquer avec les élèves apprenant le
français, en reliant chacun d’eux à des objectifs linguistiques, fonctionnels et
culturels, et en précisant le mode d’évaluation qui pourrait leur être appliqué.
Le 5 mars 2008, Claire Faber-André traite de son expérience de travail au
sein d’écoles à discrimination positive dont la population scolaire est
essentiellement composée d’enfants immigrés. Elle y a créé des petits groupes (5
à 10 enfants) de stimulation du langage dans lesquels elle accueille des enfants de
deux ans et demi à quatorze ans. Ces groupes se composent de primo-arrivants
qui ne possèdent aucune notion de la langue du pays d’accueil, d’enfants accusant
un gros retard de langage et/ou d’importantes difficultés de communication. Le
travail trouve son fondement dans la méthode d’apprentissage de la langue aux
enfants sourds (la méthode verbo-tonale mise au point par Gubérina), celui qui
apprend une langue étrangère étant lui aussi, d’une certaine manière et à un
certain degré, sourd car tributaire du crible phonologique de sa langue maternelle.
Le rôle fondamental de l’audition, du corps et de la prosodie dans l’apprentissage
de la langue est mis en évidence. Afin de favoriser leur développement, l’auteur a
adapté deux techniques de base du travail de la langue avec les enfants sourds : le
« rythme corporel » et le « rythme musical ». Ces deux techniques sont travaillées
en symbiose, le rythme corporel faisant appel à des mouvements somatiques
globaux pour favoriser la mise en place des organes phonateurs et le rythme
musical travaillant de manière plus spécifique le rythme et l’intonation.
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La description d’une séance de stimulation du langage illustre concrètement
son propos.
L’animatrice relève ensuite quelques éléments d’évaluations et établit des
liens entre cette activité et le travail pédagogique notamment par l’aide que ces
séances apportent à l’élaboration d’une conscience phonologique indispensable à
l’acquisition de la lecture et de l’orthographe.
Le mercredi 9 avril 2008, Dominique Léonard, Muriel Labiau et AnneCatherine Cravatte, toutes trois enseignantes au Centre communal
d’enseignement technique Pierre Paulus à Saint-Gilles, ont évoqué leur
expéreience en classes-passerelles. Rappelons ici que les classes-passerelles en
Belgique accueillent depuis 2001 des enfants et des adolescents primo-arrivants et
leur dispensent un apprentissage du français afin de faciliter leur intégration dans
le système scolaire belge. Après avoir demandé aux participants de réfléchir aux
activités possibles lors d’un premier cours avec des apprenants étrangers, les trois
enseignantes leur ont fait comparer les premières unités des manuels Extra,
Entrée en matière, Bien joué ! et Rond-point en termes d’objectifs communicatifs,
linguistiques, phonétiques et culturels. Enfin, elles ont expliqué ce qu’ellesmêmes réalisent avec leurs apprenants et ont montré le matériel qu’elles avaient
accumulé au fil des années. Si ces trois dames se basent sur certains manuels,
elles ne manquent pas de s’en écarter pour créer leurs propres activités et les
adapter en fonction du groupe.
Le 7 mai 2008, Aphrodite Maravelaki, enseignante à la Haute Ecole de
Namur et collaboratrice à l’UCL, a présenté les grands principes qui doivent
nous guider dans l’évaluation des apprenants en FLE. Avant de procéder à une
évaluation, nous devons savoir pourquoi nous évaluons, ce que nous voulons
évaluer exactement et à qui cette évaluation va être utile. Ensuite, nous devons
élaborer une grille d’évaluation critériée qui aidera les enseignants à être objectifs
lors de la correction. Il s’agit alors de s’inspirer des apports de la pédagogie de
l’erreur afin d’évaluer les apprenants de la meilleure manière possible, c’est-àdire en donnant la priorité à la correction des erreurs qui entravent la
communication, puis aux erreurs de fréquence et enfin à celles qui concernent des
savoirs et savoir-faire qui devraient normalement être acquis à ce moment-là.
Après toute évaluation, nous pouvons proposer aux élèves de s’auto-évaluer, mais
il est en tout cas essentiel de leur donner un feed-back utile, pertinent et positif,
qui les encourage à progresser dans leur apprentissage de la langue.
Suite au rappel de ces grands principes, Aphrodite Maravelaki a résumé les
apports de divers documents officiels en matière d’évaluation, tels que par
exemple le CECR ou les diplômes DILF, DELF et DALF. Puis, elle a distribué
différents documents et a demandé aux participants de trouver une situation de
communication et de s’en inspirer pour créer une évaluation dont les consignes
porteraient sur des compétences précises. Enfin, elle a distribué des copies
d’élèves : les participants devaient retrouver la situation de communication et la
consigne qui avait été donnée pour cette production. Il s’agissait aussi de corriger
ces copies en classant les erreurs en fonction de la typologie établie par la
pédagogie de l’erreur, de créer une grille d’évaluation pour mettre des points aux
apprenants et enfin de rédiger un feed-back efficace.
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En conclusion, du point de vue méthodologique, retenons qu’un cours de
langue étrangère doit être donné exclusivement dans cette langue, la langue
maternelle des apprenants ne pouvant être utilisée que pour de rares exceptions.
Afin d’éviter que les élèves ne soient bloqués par un problème sémantique, la
meilleure méthode consiste à associer des éléments visuels, tels que des gestes,
des dessins, des images ou des vidéos, aux phonèmes entendus. Dans cette
optique, l’introduction de documents authentiques ne pourra qu’augmenter la
motivation des apprenants. Si la priorité d’un cours de langue pour débutants doit
porter sur la compétence phonologique de ceux-ci, les enseignants veilleront ainsi
à travailler le sens et la forme des mots le plus conjointement possible, comme le
propose le Cadre européen commun de référence pour les langues. Les
présentations du séminaire thématique ont démontré que les méthodes, les
supports et les contenus des cours de langue étrangère pour débutants étaient
aussi nombreux que variés. Nous en donnons ci-après différentes traces, textes
remis par les animateurs du séminaire.