Lettre ouverte à Mesdames les ministres de Santé et
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Lettre ouverte à Mesdames les ministres de Santé et
Paris, le 18 mai 2015 Lettre ouverte aux ministres de la Santé et de la Justice Mesdames, Je me permets de vous faire parvenir cette lettre ouverte tout en la diffusant comme il se doit pour ce type de courrier. En tant que malade, séropositif VIH et VHC depuis 1984, j'en suis à ma 17ème trithérapie. Intolérant aux antirétroviraux, j'utilise et je produits depuis quinze ans mon cannabis à des fins exclusivement thérapeutiques pour me soulager des effets secondaires des traitements, des douleurs physiques et neurologiques que je subis quotidiennement. Grâce au cannabis thérapeutique, j’ai pu retrouver l’appétit, limiter les vomissements, contrôler les spasmes, supporter les douleurs indescriptibles et éviter de graves dépressions. Grâce au cannabis thérapeutique j’ai tout simplement pu continuer mes traitements et vivre, voir grandir mes enfants et m’engager dans des combats de santé publique. Si je suis en vie aujourd'hui c'est donc aussi bien grâce aux trithérapies et autres traitements préventifs qu'à l'usage médical du cannabis. Le 1er avril de l'année dernière, je me suis fait arrêter par une patrouille de CRS et placer en garde à vue pendant trente heures parce que j’avais sur moi quelques grammes de cannabis. Lorsque la police a perquisitionné mon domicile, elle y a trouvé du cannabis ainsi que les pieds que je fais pousser moi-même. Si ma grade-à-vue a été extrêmement longue, c’est parce qu’elle a été prolongée au motif de « faire la lumière sur les origines de ma séropositivité ». Cela en dit long sur le regard encore aujourd’hui posé en France sur les malades. Le 16 juin 2014, le tribunal de Strasbourg m’a certes dispensé de peine, mais tout de même reconnu coupable de détention de stupéfiants. Je ne peux accepter d'être condamné, à quelque peine que ce soit, pour avoir simplement voulu vivre. J’ai donc décidé de faire appel de cette décision, et la cour d’appel de Colmar jugera ma situation le 18 juin 2015. De quoi ai-je été reconnu coupable ? D’avoir fait le choix de vivre ? D’avoir fait le choix de consommer une substance légalement prescrite dans des dizaines de pays, y compris de très nombreux voisins européens ? Malheureusement, je ne suis pas le seul dans cette situation dramatique. Des milliers de malades attendent que la législation française obsolète et absurde évolue et permette de se soigner avec une substance aux effets médicalement bénéfiques reconnus depuis des siècles et utilisée à travers le monde. L’évolution enclenchée en juin 2013 est insuffisante et trop lente. Nous, malades, avons besoin de pouvoir nous soigner dès maintenant. Nous ne pouvons accepter de mourir en attendant, des années durant, que de nouveaux médicaments à base de cannabinoïdes soient autorisés. Mais surtout, nous ne pouvons accepter d’être considérés comme des criminels alors que nous nous trouvons face à un choix cornélien : mourir ou enfreindre la loi sur les stupéfiants. Dans mon dossier pour le tribunal, il y a 11 attestations médicales et de bonne moralité. Trois de ces certificats médicaux disent explicitement que, sans le cannabis, je serais mort. Monsieur Daniel Vaillant, ancien ministre de l'intérieur que j'ai eu l'occasion de rencontrer à l'assemblée Nationale lors de son enquête sur l'usage médical du cannabis, a également apporté son témoignage pour expliquer la nécessité d’une démarche humaniste envers les personnes malades. Il n'est pas question « d'usage de drogue » mais d'un usage médical du cannabis. Je suis, encadré par mes médecins qui sont au courant de mes pratiques, et qui savent que sans le cannabis thérapeutique, je ne pourrais pas supporter ma maladie et les traitements, et vivre dans une « pseudo-harmonie » avec le VIH. La législation médicale rétrograde et la politique répressive en matière de stupéfiants ont eu de lourdes conséquences sur ma vie. Après mon arrestation et la saisine de mon cannabis thérapeutique, j’ai sombré dans une dépression dont je ne suis toujours pas remis. Suite à cette dépression, j'ai perdu 14 kilos, les traitements contre le VIH m'ont empoisonné, il a fallu que je les arrête. N'étant pas suffisamment en bonne santé pour me rendre au mariage de mon fils à Marseille, mes enfants ont décidé de ne plus me voir. Mesdames, je n'ai tout simplement pas d'autres choix que de continuer à suivre le seul traitement qui me permette de vivre dignement. De vivre tout simplement. Bertrand Rambaud