Dans la sombre forêt des fantasmes
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Dans la sombre forêt des fantasmes
8 HISTOIRE VIVANTE LA LIBERTÉ VENDREDI 18 JUILLET 2008 Dans la sombre forêt des fantasmes ENQUÊTE • Ce dont le documentaire diffusé ce dimanche par TSR2 ne parle pas: la sexualité humaine est animée par des fantasmes. Portant sur 19 000 personnes, une recherche britannique lève un coin du voile. JACQUES STERCHI Ce que le documentaire «Pour le plaisir» diffusé dimanche par TSR2 ignore et aurait eu bien de la peine à aborder (lire ci-dessous), ce sont les fantasmes. Depuis Freud, il est admis par les psys qu’il n’y a pas de sexualité sans fantasmes. Mais à quoi servent-ils? Y a-t-il un fantasme «normal»? Une dangerosité latente? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles le psychothérapeute anglais Brett Kahr a décidé de tenter de répondre. En marge de sa pratique quotidienne, il a mené une vaste enquête portant sur 19 000 personnes, dont les résultats viennent de paraître en traduction française. Comme rarement, 19 000 Britanniques se sont «lâchés» sous le couvert de l’anonymat. Un échantillon dont Brett Kahr assure qu’il est représentatif de toutes les couches sociales de la population, de 18 à plus de 90 ans. Le résultat est parfois gratiné, ne censurant aucune image mentale même si celle-ci en réfère souvent à des tabous tels l’inceste ou le sado-masochisme. Un immense déballage qui resitue clairement l’importance souvent inconsciente du sexe. Brett Kahr: «On se moque souvent des «psys», soi-disant obsédés par le sexe – et c’est peut-être vrai. Mais si nous parlons de sexe et pensons au sexe plus que les dentistes ou les agents de la circulation, ce n’est pas notre faute – c’est que, dans nos cabinets, nous entendons parler tous les jours de ce sujet (surtout quand il est sujet à problèmes!)». Une structure inconsciente Défini comme une image voire souvent un scénario complet qui traverse notre esprit au moment d’une activité sexuelle, le fantasme n’a rien à voir avec une rêverie passagère. Brett Kahr en souligne le côté récurrent. La psychanalyse parle de structure inconsciente qui trouve sa représentation lors de l’activité sexuelle. Un cinéma intérieur particulièrement révélateur du caractère profond de l’individu, qu’il soit sadique, masochiste, dépressif, etc. Brett Kahr: «D’après les résultats de mon enquête, environ 96% des hommes et 90% des femmes déclarent avoir des fantasmes. Rappelons que ces chiffres sont sans doute plus élevés en réalité, dans la mesure où certaines personnes affirment ne pas avoir de fantasmes, alors qu’un simple entretien sur la question, ou parfois une psychothérapie, révèle souvent le contraire.» Mais à quoi peut bien servir un fantasme? Pour les psychologues évolutionnistes, c’est un moyen de faciliter l’excitation sexuelle, donc, à terme, la procréation. Pour les adeptes de Freud, le fantasme joue un rôle autre: satisfaire un désir non exprimé et surmonter des traumatismes d’enfance. L’absurdité du «normal» Où l’étude de Brett Kahr intéresse, c’est lorsqu’il s’interroge sur le possible passage à l’acte, soit entre conjoints soit avec une tierce personne. Il rappelle au passage l’absurdité, bien souvent, du qualificatif «normal» en matière de sexe. La dangerosité de jeux sado-masochistes entre partenaires est entièrement dépendante, par exemple, de la fragilité ou non des individus, et non d’une normalité. Cela peut paraître une lapalissade, mais le travail de Kahr complète et enrichit bien des «histoires de la sexualité» qui voudraient tant contraindre le désir dans des schémas normatifs. Le praticien anglais souligne même le nombre de personnes qui ont des fantasmes qu’ils jugent eux-mêmes potentiellement ennuyeux pour les autres... Le fantasme n’a rien à voir avec une rêverie passagère La sombre forêt des fantasmes, c’est la part immergée de l’iceberg en quelque sorte. Quelque chose, rappelle Brett Kahr, qui détermine grandement les relations dans le couple, l’équilibre ou non de celui-ci. «Heureusement, ajoute-t-il à propos d’une potentielle dangerosité, les fantasmes remplissent une très importante fonction régulatrice sur l’esprit humain, en se chargeant de certains aspects agressifs et destructeurs de notre personnalité.» L’exemple type des gens dont la profession est de prendre soin d’autrui, mais qui avouent des fantasmes violents sans jamais songer à passer à l’acte. Au cœur de l’étude de Kahr, un constat: s’il y a évolution de la sexualité, elle est moins révélatrice dans son histoire sociale que dans la découverte, peu à peu, des méandres de l’inconscient. Des ressorts du sexe comme positionnement de l’individu face à luimême et au réel. Une véritable histoire du plaisir ne peut se concevoir que comme histoire de l’inconscient. Pour être au plus près possible des véritables mécanismes humains. Et non dans des représentations normatives. I > Brett Kahr, «Le livre des fantasmes», tr. par Pierre Demarty, Ed. Grasset, 398 pp. La lingerie fine, vieux fantasme, ici au... Salon du mariage à Espace Gruyère en 2002. VINCENT MURITH Une histoire du plaisir, ou l’art de ne pas y toucher «Chaque fois qu’il m’est arrivé dans ma vie d’embrasser une femme pour la première fois, vraiment, c’est pas une blague, j’ai toujours l’impression que c’est un miracle, c’est pas possible quoi!» Heureusement que Luc Ferry – puisque cette déclaration est due au philosophe officiel de la République... – précise que ce n’est pas une blague! Tout le reste du documentaire «Pour le plaisir» de Philippe Pouchain et Yves Riou, diffusé ce dimanche sur TSR2, est du même tonneau. Des discours théoriques peu inspirés, comme tétanisés par le sujet, et un survol bâclé de l’histoire de la sexualité en France depuis les années 1950. Le mariage, glissé dans l’histoire du plaisir par Pouchain et Riou. CHRISTOPHE BOSSET Passons sur le discours franco-français comme si l’on n’avait une sexualité que dans les frontières de l’Hexagone. Plus gênant, la méthode. Et méthodologiquement, ce documentaire présente le défaut de démarrer arbitrairement après la Deuxième Guerre mondiale. Alors qu’il faut rechercher dans les an- nées de conflit – d’Occupation pour la France – les premiers grands bouleversements des mœurs, ceux-là même qui vont déterminer l’approche de la sexualité au XXe siècle. Il n’y a pas par exemple de subit appétit sexuel à la Libération, mais les conséquences d’une complexe découverte de l’Autre, cet Allemand qui fascine et révolte. Des chercheurs plus sérieux ont démontré entre autres la présence latente de l’homosexualité dans le régime de Vichy, le changement compliqué du statut de la femme durant la guerre, etc. Or donc messieurs Pouchain et Riou ont choisi de nous ennuyer dans une bien trop longue première partie avec des interviews de jeunes filles particulièrement empotées, et de boutonneux guère plus inspirés, pour dessiner une image d’Epinal du prince charmant et des vertus du mariage... Tout ça pour donner la parole à l’inamovible Pascal Bruckner, qui nous rappelle pour la énième fois sa grande découverte: «Je pense que les hommes flottent. Nous sommes aujourd’hui à une époque où les hommes et les femmes se doivent de bricoler des rôles à partir de leurs anciennes positions et on est dans une ère du flou.» Ah! la bonne vieille ère du flou, cette brume diffusée par ceux qui n’ont rien à dire et qui le font savoir. Replacez cette brillante tirade de l’intelligence paresseuse dans les années 50, 60, 70 ou 80, etc.: ça fonctionne. Autre défaut de méthode: passer comme chat sur braise sur le sida. Face aux banalités que nous propose ce documentaire sur la «libération de la femme» des années soixante, il eût été honnête de relever comment la notion de risque se réapproprie nos corps via l’épidémie mortelle. Au lieu d’analyser ce mouvement de balancier et la pornographie qui s’y greffe, Pouchain et Riou finissent de s’égarer en concluant que l’amour c’est beau, c’est le désir d’un autre monde, que c’est notre destin... Sauf que ce n’est pas le sujet! JS LA SEMAINE PROCHAINE L'HOMME QUI VOULAIT CHANGER L’AMÉRIQUE John F. Kennedy, président charismatique, était un homme d’action et un politique. A ses côtés, dans son ombre, son frère Bob. Un homme aux convictions profondes, aux exigences morales élevées. L’assassinat du président à Dallas aurait-il quelque chose à voir avec les croisades très engagées de son frère contre la mafia et pour les droits des Noirs? Un dossier à revoir le dimanche 27 juillet, sur TSR 2. RSR-La Première Du lundi au vendredi de 15 à 16 h Géopolis Histoire vivante Dimanche 20 h 30 Lundi 21 h 40