Anne Vosgien - Femme Majuscule
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Anne Vosgien - Femme Majuscule
Portrait Anne Vosgien Avocate générale à la cour d’assises de Paris, cette magistrate, confrontée à bien des drames humains au cours de sa carrière, a comme obsession d’obtenir pour les coupables une peine ferme mais juste, confiante que chez le pire des criminels subsiste une part d’humanité. Au nom de la loi Quelques dates 1950 Naissance à Boulogne-sur-Mer 1976 Réussit le concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature à Bordeaux 1978-1983 Premier poste : juge d’instruction à Boulogne-sur-Mer 1983-1986 Présidente du tribunal correctionnel de Béthune 1986 Arrivée à Paris en tant que juge affecté aux comparutions immédiates puis chargée de mission au Conseil national de prévention de la délinquance 1995-1999 Premier substitut à la section antiterroriste 1999-2003 Vice-procureur, chef d’une section du parquet de Paris 2003 Substitut général à la cour d’appel de Paris 2007 Avocat général à la cour d’assises de Paris 68 ✴ Femme Majuscule ✴ N° 12 « J’ai la réputation d’être plutôt sévère », confie Anne Vosgien, attablée dans un café au pied du parc des Buttes-Chaumont à Paris. On peine à la croire en regardant cette femme blonde au visage avenant, entourée par deux yorkshires sautillants. Cependant, une fois vêtue de sa robe rouge, cette magistrate de 62 ans ne s’en laisse pas conter. Il suffit de se souvenir du procès pour évasion d’Antonio Ferrara. Le « Roi de la belle », qui a acquis son surnom au prix d’une fuite fracassante de la prison de Fresnes le 12 mars 2003 à grand renfort d’explosifs et de fusils d’assaut, s’est retrouvé dans le box des accusés face à Anne Vosgien, avocat général en première instance, en 2008, puis en appel en 2010. Lors de ces procès qui comptent parmi les plus médiatiques de sa carrière, cette dernière ne s’est laissée amadouer ni par l’humour, ni par le bagout du légendaire Nino : elle a d’abord requis 20 ans d’emprisonnement, puis 18 ans, lors du second procès. « Un réquisitoire très lourd », a-t-on pu lire dans la presse. C’est le prix à payer, selon la magistrate, pour ce pied de nez à l’administration pénitentiaire. « Le procès en appel a été pour moi un combat loyal et intéressant. C’était un moment à la fois dur et plaisant : lors des débats, les échanges avec l’accusé ont été sympathiques, ce qui ne m’a pas empêchée d’être ferme dans mes réquisitions », se souvient-elle. Représentant le ministère public à la cour d’assises de Paris depuis 2007, Anne Vosgien est le porte-parole de la société et la voix de la loi. Face à chaque accusé, elle photos Christine d’Hauthuille Par Julie Brafman se pose les mêmes questions : les preuves sont-elles suffisantes pour établir la culpabilité ? Quelle peine requérir ? Comment trouver un équilibre dans la sanction demandée ? « La peine juste doit à la fois prendre en compte le devenir de l’accusé et satisfaire la partie civile, souligne-t-elle. Je suis très ferme dans la mesure où je n’admets pas l’indifférence et l’égocentrisme chez l’accusé. La peine juste est donc aussi celle qui permet une prise de conscience. Les assises représentent la Rolls-Royce de la justice : il ne faut pas laisser de place à la haine ou à l’excès. » Si le réquisitoire est un art délicat, il ne connaît à ses yeux qu’un mot d’ordre : convaincre. Là où d’autres « La peine juste doit à la fois prendre en compte le devenir de l’accusé et satisfaire la partie civile » misent sur l’éloquence, elle recourt à l’émotion. Elle veut avant tout que « la parole porte » et construit son récit en alternant temps forts et ruptures. Mais, quelle que soit sa prestation, celle-ci se termine toujours par une angoisse muette : « Vais-je être suivie dans mes réquisitions ? » Jusqu’à présent, Anne Vosgien n’a connu qu’un seul échec, lors d’une affaire de viol. L’accusé, dont la culpabilité ne faisait pour elle aucun doute, s’en est sorti, malgré tout, sans encombre. Cette défaite a été vécue comme un véritable « choc » par la magistrate, pour qui le droit est inextricablement lié à des principes d’équité, de respect des gens, des règles et de la société. Anne Vosgien Née à Boulogne-sur-Mer en 1950, Anne Vosgien est la fille d’une infirmière qu’elle décrit comme « une femme forte, volontaire, une résistante décorée de la Légion d’honneur ». De cette figure maternelle au caractère bien trempé, elle retient une chose : elle ne doit dépendre de personne. Son père, pharmacien, est quant à lui « un doux rêveur, un homme un peu évanescent, perdu dans les alambics ». Il initie sa fille à l’astrologie, à la botanique et aux règles mathématiques. Pendant un temps, « passionnée par l’esprit humain dans ses dérives », la jeune femme envisage même de devenir psychiatre. C’est pourtant le droit et les lettres qu’elle choisit à la faculté de Lille. Puis, très vite, seulement le droit. « Cette matière est une petite merveille, j’ai tout de suite été conquise. Elle régit tout : la vie en société, la succession, le patrimoine… » En stage dans un cabinet de magistrats instructeurs, elle prend rapidement une décision quant à son avenir : « Je voulais devenir partenaire de la justice. » Une fois son diplôme de magistrat en poche, en 1978, elle commence sa carrière en tant que juge d’instruction à Boulognesur-Mer. Elle restera six ans à ce poste. L’occasion de se frotter à ses premières affaires de vol à main armée, de proxénétisme, de violence conjugale ou d’inceste. Dans la pile des dossiers qui ont façonné la juge, celui d’une jeune femme accusée d’avoir tué sa sœur avec un fusil reste 70 ✴ Femme Majuscule ✴ N° 12 « Le droit est une petite merveille, j’ai tout de suite été conquise. Il régit tout : la vie en société, la succession, le patrimoine… » articulièrement ancré dans sa mémoire. p A priori, le cas ne pose guère de difficultés : la suspecte a avoué sans se faire prier devant les gendarmes et s’apprête à réitérer ses déclarations devant Anne V osgien. Mais l’affaire comporte bien trop d’incohérences. « La justice, ce n’est pas simplement coincer quelqu’un », précise-t‑elle. En effet, celle qui s’accuse est incapable d’expliquer comment elle a chargé le fusil et les expertises balistiques ne corroborent pas sa description du meurtre. Finalement, la juge d’instruction parviendra à confondre le véritable coupable : le mari de la jeune femme. « Le combat contre les apparences doit être mené dans chaque affaire », explique-t-elle. Par la suite, elle continue de gravir les échelons : la voici présidente du tribunal correctionnel de Béthune. Là, elle « apprend à gérer l’horreur et le tragique ». L’affaire de ce petit garçon que ses parents avaient laissé mourir de faim dans un placard la hantera pendant plusieurs années. Elle a côtoyé l’abominable, elle doit a pprendre à vivre avec. « Il faut faire front », dit-elle simplement. Comment ? « En devenant un professionnel aguerri mais pas endurci au crime. Il faut à la fois rester humain et garder ses peines dans un tiroir secret afin qu’elles n’émergent pas dans de la vie professionnelle. » Le conseil est avisé mais pas toujours évident à appliquer. Un déplacement sur une scène de crime aura, une fois seulement, raison de son sangfroid. Au début des années 1990, alors qu’elle fait ses premiers pas de substitut du procureur à Paris, elle est confrontée à un spectacle insoutenable : un homme a massacré sa femme à coups de marteau et tué son fils avant de déposer sa tête dans la chaudière. L’horreur atteint son comble lorsqu’elle découvre une petite fille, seule rescapée de cette folie meurtrière, cachée dans un placard. Cette fois-ci, elle a bien du mal à « faire front » lorsqu’elle prend l’enfant dans ses bras pour la conduire chez les voisins. Cela n’entame pas pour autant sa profonde conviction : « Même dans l’abominable, il reste une parcelle d’humanité. » Cependant, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’affaire la plus marquante de sa carrière, Anne Vosgien n’hésite pas longtemps : c’est en 1995, lorsqu’elle rejoint le parquet antiterroriste. Elle débarque alors en pleine vague d’attentats, durant cette époque sanglante où la France est touchée par huit attaques à la bombe (huit morts et près de 200 blessés). La plus meurtrière a lieu le 25 juillet à Paris, dans la station de RER Saint-Michel. Pour Anne Vosgien, cette série noire représente plusieurs mois de travail acharné et des milliers de pages de dossier. Elle se répare au premier procès, le 9 décembre p 1996, d’une vingtaine de prévenus appartenant à un réseau islamiste recruté en France et ayant commis des actions armées au Maroc. Pour l’occasion, elle soigne longuement son réquisitoire. Il faut dire que le texte est voué à faire date : c’est la première fois que l’on applique le délit d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Cet article du Code pénal permet l’arrestation de terroristes présumés avant que des faits soient commis. Il est la clé de voûte d’un système qui permet de juger l’intention et non l’acte lui-même. « La pression médiatique était très forte, c’était le premier procès de la sorte », se souvient Anne Vosgien, qui a même reçu des crachats de la part d’un avocat. Pour évacuer ces tensions professionnelles, elle cloisonne hermétiquement « ses deux vies ». Lorsqu’elle quitte sa robe de pourpre et d’hermine, elle devient une citoyenne curieuse et avide de voyages. Elle part suivre des femmes dans leur parcours Hors du tribunal, Anne Vosgien a une autre passion, les animaux. À travers le projet « Mon chien, ma ville », elle se bat pour réhabiliter l’espèce canine en ville. « Il faut devenir un professionnel aguerri mais pas endurci au crime. À la fois rester humain et garder ses peines dans un tiroir secret » i nitiatique dans une case au Gabon ou encore s’envole, en 2005, pour la République démocratique du Congo. Frappée par la dégénérescence de l’environnement, elle décide alors de fonder le comité OKA, réunissant des juristes, journalistes, photographes, policiers, vétérinaires et experts pour lutter contre la disparition des espèces. Leur première mission concerne les bonobos. « En sauvant ces animaux, on s’intéresse à l’homme, raconte-elle. Notre action a permis la création d’un village et donc d’emplois. » Persuadée que « même un monde de béton a besoin de l’animalité », Anne Vosgien poursuit son combat avec le projet « Mon chien, ma ville » pour réhabiliter l’espèce canine en ville. Aujourd’hui, celle qui à l’âge 62 ans n’envisage pas encore la retraite bénéficie d’une autre arme pour garder la distance nécessaire : la maturité. « Je me sens plus sereine, explique-t-elle. Je suis pleine de vie et de projets et je pense que j’ai appris à mieux comprendre les choses. »