(Le Point / Quand la France s`\351veille)
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Le Point / Quand la France s'éveille 1 sur 1 http://www.lepoint.fr/impression/imprime.html?did=187416&displaym... Quand la France s'éveille Nicolas Baverez Disons-le tout net : le désespoir commençait à gagner, tant chez les Français (de plus en plus nombreux à choisir l'exil, l'extrémisme ou la violence) qu'à l'étranger. D'un côté, les signaux du déclin de la France s'accumulaient, le blocage de l'économie et de la société débouchant non seulement sur le dysfonctionnement aigu des institutions et la montée des extrémismes, mais sur une crise nationale et morale majeure. De l'autre, le système et la classe politiques demeuraient immobiles en dépit de la multiplication des alternances et des insurrections électorales, démontrant son impuissance à réaliser les réformes nécessaires mais plus encore à reconnaître les difficultés du pays et à accepter d'en débattre. Or tout a changé : la France s'est réveillée. Contre la conjuration des gérontes et de leurs affidés qui s'employaient à ce que l'Histoire bégaie et à ce que l'élection présidentielle de 2007 ne constitue qu'un clone des scrutins tronqués de 1995 et 2002, les Français se sont mis en mouvement. Contre leurs dirigeants qui se plaisaient à les considérer comme des veaux et des sots, les citoyens ont défini leur calendrier, puisque la présidentielle vient en tête de leurs préoccupations. Ils ont imposé leurs candidats face aux appareils et aux leaders autoproclamés. Ils ont fait du changement le thème du débat avec trois questions : est-il possible ? quels objectifs lui donner ? quelle méthode emprunter ? Cette élection décisive est ainsi placée sous le signe de la rupture. « Rupture tranquille » pour Nicolas Sarkozy ; appel « pour que ça change fort » du côté de Ségolène Royal ; « changement d'ère » pour François Bayrou. Elle est inscrite dans leur parcours politique, en décalage avec leur formation, leur camp, leurs aînés, mais aussi dans leur personnalité. Nicolas Sarkozy est un avocat, issu d'une famille d'immigrés hongrois d'origine juive, ce qui le rapproche d'un Georges Mandel mais qui le situe aux antipodes des technocrates érigés en notables de la Ve République. Ségolène Royal, en digne héritière de François Mitterrand, plonge ses racines dans une France nationaliste et catholique, très éloignée des valeurs traditionnelles de la gauche française. François Bayrou est le descendant d'une lignée de paysans béarnais, émancipé par l'école de la République. Seule la déclinaison de la rupture les différencie, fondée sur le primat de l'action pour Nicolas Sarkozy, l'incarnation pour Ségolène Royal, l'invocation de l'union nationale pour François Bayrou. A l'origine du basculement se trouve le changement du rapport des Français à la politique. Ils ont placé durant un quart de siècle le pays en pilotage automatique, se contentant de sanctionner par des alternances systématiques les échecs récurrents des majorités successives, tout en émettant des votes de protestation de plus en plus brutaux. Les Français ont massivement réinvesti le champ de la politique parce qu'ils ont pris conscience que l'Histoire s'est remise en marche, que l'avenir des générations futures se trouve compromis. Ils sont en passe de s'émanciper de la démagogie et du contrat antirépublicain qui voyait l'indifférence et le mépris des citoyens faire écho à la corruption et à l'irresponsabilité des dirigeants. La longueur d'avance prise par Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy s'explique par la distance qu'ils ont su mettre avec les dirigeants et la doctrine ankylosée de leurs camps respectifs, mais surtout par un style neuf. Au jeu de la démocratie de proximité, Ségolène Royal a pris l'avantage, investissant le domaine du symbolique avec un imaginaire qui mêle les figures de sainte Geneviève, de Jeanne d'Arc et de Louise Michel, soutenue par une gauche soudée derrière sa candidature et une extrême gauche atomisée, y compris dans sa composante écologiste. Nicolas Sarkozy, pris en tenaille entre une extrême droite relancée par les échecs en chaîne de Jacques Chirac et le centre de François Bayrou, s'appuie sur la force du lien direct qu'il a construit avec l'opinion à partir de sa crédibilité dans l'action et de sa virtuosité inégalée dans la maîtrise des médias. Rien n'est définitivement acquis. Et chacun des candidats comporte sa part d'ambiguïtés qui le ramène aux errements passés. Souveraine dans l'ordre du symbolique, Ségolène Royal est menacée par la confusion et l'incohérence dès qu'elle aborde le réel, qu'il s'agisse des institutions, de la politique économique ou de la diplomatie. L'appartenance au gouvernement brouille la posture de rupture de Nicolas Sarkozy, dont le libéralisme se mâtine par ailleurs de protectionnisme et d'étatisme. La volonté de rénovation de François Bayrou se voit battue en brèche par l'écrasement de toute opposition au sein de l'UDF et son étrange rapprochement de circonstance avec Jacques Chirac, alors même que sa légitimité repose sur sa résistance obstinée à l'actuel président depuis 2002. Tous trois partagent en tout cas une double responsabilité. Débattre en vérité des problèmes du pays, puis construire un espace politique légitime pour le changement qui permette de cantonner les extrémismes, à commencer par le FN. Tout risque de démagogie ou de populisme est loin d'être conjuré. Mais quel(le) que soit l'élu(e), l'après-2007 sera profondément différent des années Mitterrand/Chirac. Le changement est donc une certitude : c'est la bonne nouvelle. Pour une nation qui n'a plus droit à l'erreur, reste à ne pas se tromper de sens et de leader : c'est l'intérêt et l'inquiétude qui sous-tendent le grand débat qui s'ouvre. © le point 21/12/06 - N°1788 - Page 50 - 854 mots retour 02/01/2007 12:28