Question de confiance - La Gazette du Palais
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Question de confiance - La Gazette du Palais
Actualité INSTITUTIONS JUDICIAIRES Une question de confiance 283b8 L’essentiel À trop vouloir ménager la chèvre et le chou, l’arrêt de la Cour de justice de la République du 19 décembre 2016, qui a déclaré Christine Lagarde coupable de négligence tout en la dispensant de peine, a jeté, dans l’opinion publique, le doute sur l’impartialité du système judiciaire. Faisant rejaillir le spectre d’une justice à deux vitesses. N ’en déplaise aux idéalistes : la justice n’est pas la même pour tous. En témoigne la décision rendue le 19 décembre dernier par la Cour de justice de la République (CJR). En allant à l’encontre de l’avis du parquet qui avait plaidé la relaxe, et en déclarant Christine Lagarde coupable Libre propos par de négligence pour ne pas Laurence GARNERIE avoir exercé de recours Rédactrice en chef contre la sentence arbitrale adjointe de 2008 accordant notamment 45 millions d’euros de dommages et intérêts aux époux Tapie en réparation de leur préjudice moral, la CJR a semblé faire preuve d’une incroyable audace. Mais en s’arrêtant au milieu du gué et en dispensant de peine l’ancienne ministre, elle a surtout confirmé son statut de juridiction d’exception. © Philippe Cluzeau 283b8 À trop vouloir nager entre les deux eaux que sont le judiciaire et le politique, la cour a rendu un arrêt à la fois humiliant pour l’accusée mais dénué de conséquence sur les suites de sa carrière − le Fonds monétaire international a d’ailleurs renouvelé sa confiance à sa directrice générale l’après-midi même − et, surtout, illisible pour le commun des mortels. Car comment comprendre une justice qui condamne sans sanctionner ? Certes, la dispense de peine est prévue par l’article L. 132-59 du Code pénal. Néanmoins, elle s’accompagne de trois conditions cumulatives : le reclassement du coupable, la réparation du dommage causé et la cessation du trouble résultant de l’infraction. En l’espèce, on cherchera en vain la réalisation du deuxième critère, remplacé ici par « la réputation nationale et internationale » de l’intéressée. Pour l’application de l’article 68-1 de la Constitution qui précise que la CJR « est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi », il faudra donc repasser… Depuis sa création en 1993, la Cour de justice de la République n’a cessé d’alimenter les critiques. Destinée 16 G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 3 ja n v i e r 2 0 1 7 - N O 1 à juger les crimes et les délits commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions, sa formation de jugement n’a rendu que cinq arrêts en 23 ans. Avec sa composition de douze parlementaires et trois magistrats, cette bizarrerie juridictionnelle mélange allègrement les genres, dans une République qui a pourtant érigé la séparation des pouvoirs en principe général d’organisation. Et si elle a reconnu la culpabilité de quatre anciens ministres, elle n’a jamais prononcé de prison ferme. À noter que ses décisions sont d’autant plus indéchiffrables que, contrairement à la tendance actuelle en faveur de l’open data, elles ne sont pas consultables sur Internet. De quoi alimenter un peu plus le sentiment d’une justice à deux vitesses : publique et ferme pour les citoyens lambda, discrète et clémente pour les puissants. “ Le futur hôte de l’Élysée, quel qu’il soit, ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur le devenir de ce privilège de juridiction ” Dans ces conditions, pas étonnant que la survie de la CJR soit régulièrement menacée. Un projet de loi constitutionnelle relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement avait d’ailleurs été enregistré à l’Assemblée nationale en 2013 pour y mettre un terme. Mais il est resté lettre morte. Cependant, compte tenu des critiques suscitées par la décision Lagarde – dont une pétition de près de 250 000 signataires sur la plateforme change.org, réclamant un « vrai procès » –, le futur hôte de l’Élysée, quel qu’il soit, ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur le devenir de ce privilège de juridiction. Car le renouvellement de la confiance, que chaque candidat à la présidentielle appelle de ses vœux à longueur d’interviews et de meetings, passe aussi par une justice irréprochable. 283b8