GIVAJA Gautier - Sciences Po Toulouse
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GIVAJA Gautier - Sciences Po Toulouse
Institut d'Études Politiques de Toulouse L'Armée Zapatiste de Libération Nationale, ou l'apparition d'un nouveau type d'acteur au sein du jeu politique national et des Relations Internationales. Mémoire de recherche présenté par M. GIVAJA Gautier Directeur du mémoire : M. LABATUT Bernard Année universitaire 2007 1 2 Institut d'Études Politiques de Toulouse L'Armée Zapatiste de Libération Nationale, ou l'apparition d'un nouveau type d'acteur au sein du jeu politique national et des Relations Internationales. Mémoire de recherche présenté par M. GIVAJA Gautier Directeur du mémoire : M. LABATUT Bernard Année universitaire 2007 3 « No odies a tu enemigo, porque si lo haces eres de algun modo su esclavo. Tu odio nunca sera mejor que tu paz » Jorge Luis Borges 4 Remerciements Merci à Bernard Labatut pour la liberté qu’il a su me laisser dans mon travail de recherche et de production de mon mémoire de fin d’études. J’aimerais adresser un profond remerciement à la famille Alanis Palma García pour l’affection et l’aide qu’elle m’a portée tout au long de mon séjour au Mexique. J’exprime ma gratitude à Don Pedro pour ses conseils avisés quant à la façon de concevoir la culture mexicaine, à Dona María et à Don Hector Salvador pour leur hospitalité. Merci à Fabiruchis pour m’avoir accompagné tout au long de mes aventures mexicaines et dans la découverte de son beau pays. Merci à tous ceux qui ont su me donner envie de m’intéresser davantage au Mexique et à l’Amérique latine en général. Merci aux argentins, aux paraguayens, aux brésiliens, aux uruguayens, aux boliviens, aux péruviens, au chiliens, au mexicains que j’ai eu la chance de rencontrer, et merci à tous ceux qui peuplent ce continent aux mille et un visages. Aussi, un grand merci à ma Ninnin d’avoir toujours eu une pensée pour moi lors de mon long travail de recherche et surtout lors de mon périple en Amérique latine. Encore merci à Solange C. pour le salon cossu dont elle nous a pourvu lors de la rédaction du mémoire de recherche. Enfin, ma reconnaissance et ma gratitude va à mes amis de longue date, qui ont su me supporter depuis si longtemps et m’apporter leur indispensable soutien. 5 Avertissement L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. 6 Abréviations ALENA : Association de Libre Échange du Nord Amérique CND : Convention Nationale Démocratique CIDH: Cour Internationale des Droits de l'Homme COCOPA: Commission de Concorde et de Pacification (Comision de Concordia y Pacificacion) EPR: Armée Populaire Révolutionnaire(Ejército Popular Revolucionario) ETA: Pays basque et liberté (Euskadi Ta Askatasuna) EZLN : Armée Zapatiste de Libération Nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional) FZLN:Front Zapatiste de Libération National (Frente Zapatista de Liberación Nacional) FMN : Firmes Multi Nationales GATT: Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce (General Agreement on Tariffs and Trade) IFE: Institut Fédéral Electoral (Instituto Federal Electoral) NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ONG : Organisation Non Gouvernementale ONU: Organisation des Nations Unies PAN : Parti d’Action Nationale (Partido de Acción Nacional) PANiste: partisan du PAN PRI : Parti Révolutionnaire Institutionnel (Partido Revolucionario Institutional) PRIiste: partisan du PRI PRD : Parti de la Révolution Démocratique (Partido de la Revolución Democrática) PRDiste: partisan du PRD PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement TLC : Traité de Libre Commerce 7 SOMMAIRE INTRODUCTION GENERALE........................................................................................... 10 PREMIERE PARTIE LE CHIAPAS, ACTEUR INCERTAIN DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE LA DISSIDENCE DE L'EZLN A LA PROPULSION DU CHIAPAS SUR LA SCENE NATIONALE ET INTERNATIONALE.. 27 CHAPITRE 1. LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPECIFIQUE: ENTRE CONFLIT POTENTIEL ET CRISE LATENTE, LE ZAPATISME INCUBATEUR.......................... 29 CHAPITRE 2. LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN CONTEXTE FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE REVENDICATION ZAPATISTE.........................................................................................................................45 CHAPITRE 3. LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE AU ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE INTERNATIONALE........................................................................................................... 53 CONCLUSION PARTIE 1........................................................................................................ 63 SECONDE PARTIE: LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE L'ACTEUR ZAPATISTE AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL A LA CONSECRATION D'UN NOUVEAU TYPE D'ACTEUR............................................................................................... 65 CHAPITRE 1. LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION NOVATRICE ET ATTRACTIVE.....................................................................................................................67 CHAPITRE 2. L'ORIGINALITE D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION D'UNE MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET POTENTIALISER LES MERITES DES INSURGÉS................................................................................................85 CHAPITRE 3. LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA CONSECRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET INTERNATIONALE........................................................................................................... 98 CONCLUSION PARTIE 2..................................................................................................107 8 TROISIEME PARTIE LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINÉ DANS LE JEU POLITIQUE NATIONAL ET DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS UN PANAORAMA DES HERITAGES DE L'ACTEUR ZAPATISTE ................................................................................................110 CHAPITRE 1. L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES?................................................. 112 CHAPITRE 2. L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE CONONISÉ A L'INTERNATIONAL........................................................................................................ 124 CHAPITRE 3. VERS UN APERCU DU TRIPLE DEFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE DU NOUVEAU MILLENAIRE...............................................................................................132 CONCLUSION GENERALE.............................................................................................. 145 TABLE DES ANNEXES...................................................................................................... 153 BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................190 TABLE DES MATIERES.................................................................................................... 199 9 INTRODUCTION GENERALE Intérêt et actualité du sujet traité S’il est certain que l’actualité du Chiapas a fait couler beaucoup de sang dans les années 1990 au Mexique, il est tout aussi certain qu’à la même période elle a fait couler beaucoup d'encre dans le monde entier. Présentée par les médias du monde entier comme la « première insurrection déclarée contre la mondialisation néolibérale », cette « utopie en acte », comme se plaît à la définir son leader charismatique, le sous-commandant Marcos, n’a cessé de susciter un engouement international, basé sur des espoirs d’égalité politique et sociale. Lorsque la première déclaration de la Selva Lacandona est rendue publique aux yeux du monde entier par le biais d’internet, l’opinion publique internationale s’émeut pour ce mouvement néozapatiste qui se lève en arme le 1er janvier 1994 pour revendiquer qu’au Mexique « le travail, la terre, un toit, l'alimentation, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix » soit désormais le lot de tout un chacun, « sans distinction de race, de sexe, d’origine ou de couleur ». A l’instar de Pierre Vayssières, certains affirment que désormais « le Chiapas exerce un rôle de révélateur des idéologies et des fantasmes, aussi bien en Amérique latine qu'en Europe »1. Il est sûr que la presse internationale, rompue à presque trente ans de guérillas marxistes en Amérique latine, se retrouve déroutée face à ce mouvement qui ne cesse d’affirmer jour après jour sa personnalité et son originalité. Si l’arrière plan social du conflit zapatiste reste comparable à de nombreux autres foyers, en Équateur ou au Pérou notamment, il est certain que non seulement le contexte politique national mais aussi le contexte international sont désormais différents de celui de la seconde moitié du XXè siècle, et que donc les modes d'action et les revendications des zapatistes ont du s’adapter à la nouvelle configuration internationale qui a pris place à la suite de la fin de la logique bipolaire. Au Chiapas, cette adaptation au contexte d’alors est rapidement démontrée par le mouvement qui ne tarie de mettre en valeur son décalage par rapport aux autres guérillas latino-américaine qui sévissent à la même époque, mais qui semble toujours crispées sur une conception et des méthodes de 1 VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris, 2001. 10 guérilla d’antan. Dans les pays andins par exemple, la tendance à l'apaisement et à la réadaptation stratégique des mouvements de guérilla est nettement moins observable. Il est sûr en effet que le facteur “drogues” joue un rôle capital dans le maintien de ces guérillas jusqu'à aujourd'hui. Au Pérou avec Sentier Lumineux, ou surtout en Colombie, les guérillas restent plus actives que jamais à cause des drogues. Alors, et comme pour prendre ses distances avec les guérillas marxistes traditionnelles discréditées, l’acteur zapatiste, en inventant une nouvelle forme de « faire la guerre », va se créer doter d’une personnalité assez originale pour s’imposer dans le débat public national et international. Dans le nouveau contexte des années 1990, le Chiapas de l’EZLN a donc su tirer son épingle du jeu et délivrer au monde entier un message qui a eu un retentissement plus que certain dans l’opinion publique nationale et internationale. Ainsi, si le mouvement zapatiste a su répondre aux critères d’acceptabilité du moment, tant sur la scène nationale qu’internationale, il est indispensable de montrer à quel point les mutations du contexte international, tout en les replaçant dans la logique nationale du Mexique, ont eu un impact crucial quant à la possibilité de résonance et de réussite dont a bénéficier l’Armée Zapatiste de Libération Nationale dans l’opinion publique. 1. Présentation du cadre opératoire L’importance de la théorie scientifique dans la construction du mémoire de recherche « Les sciences sociales, à l’image de toute science, se caractérisent par l’étude d’un objet limité et une démarche scientifique reconnue »2. En ce sens, le but de notre recherche est de tendre vers l’impératif scientifique. Afin d’analyser de manière satisfaisante notre sujet, il est apparu indispensable de se référer aux théories des Relations Internationales que présentent les ouvrages spécialisés en la matière. En effet, la dynamique internationale qui y est expliquée, et les mutations de la configuration internationale qui y sont analysées, permettront de comprendre davantage dans quel cadre nous nous situons et d’appuyer par alors notre démonstration sur des bases théoriques indéniables. Notre étude devra donc s'efforcer d' « aller au-delà du point de vue des acteurs participants au processus, pour en chercher les raisons sous sous-jacentes ou la signification 2 SOCCOL Brice, Manuel de Relations Internationales. Paradigmes, Orléans, 2003. p°157. 11 cachée »3. Ce que l'analyse théorique vise, complétée par l'étude postérieure que nous allons faire de la situation particulière du Chiapas et du Mexique, est de « dévoiler les rouages et les ressorts invisibles à l'oeil nu, et qui régissent le comportement des acteurs »4 auxquels nous allons nous intéresser. Ce que nous tenterons de faire ici sera de montrer en quoi le problème du Chiapas s’insère réellement dans le jeu politique mexicain et dans les Relations Internationales. Analyse synthétique et préalable des théories des Relations Internationales Les propriétés du système international ont considérablement évolué au cours de la deuxième moitié du XXè siècle. Nous analyserons ici les principales mutations de ce système, afin de présenter alors sa configuration actuelle et expliquer en quoi l'avènement du Chiapas sur la scène internationale s'intègre alors pleinement dans cette nouvelle configuration et en fait par là même un nouveau type d’acteur du jeu politique national et des Relations Internationales. Précisons ici que les mutations internationales que nous allons présenter sont liées tant à des variables exogènes (rapport de forces économiques, régimes internes des États, etc.), qu’à des variables endogènes (émergence de conflits infra-étatiques, etc.). La refonte de l’ordre international qui s’est amorcée dès novembre 1989 a donc eu une importance capitale dans la forme que va prendre cette nouvelle configuration. La conjugaison de ces variables a débouché sur un nouveau type de configuration dans lequel bien que les États restent les acteurs principaux du système complexe de relations et d’interdépendance5, ils sont désormais fortement concurrencés par une diversité d’acteurs émergeants. D’un point de vue méthodologique, il est indispensable de préciser que cette multiplication des acteurs a amené à mettre sur pied une analyse qui combine deux niveaux : l’analyse microscopique et l’analyse macroscopique. Ainsi l’analyse se focalise sur deux aspects : une analyse systémique qui établit une grille d’analyse du système national, et une analyse des composantes de ce système, qui elle établit l’étude des acteurs internationaux. Jamais notre analyse ne donnera la primauté à seulement l’un des deux aspects : en effet les deux sont complémentaires. En ce qui nous concerne nous devrons nous efforcer donc de mettre en 3 GOUNELLE Max, Mémentos de Relations Internationales, Editions Dalloz, Paris, 2004. p°83. Idem. 5 Par cette formule nous désignons le “ Système International ”. 4 12 œuvre un permanent va-et-vient entre l’aspect local (le Chiapas et l’EZLN) et l’aspect systémique (le système national et international). Selon des considérations d’ordre général, l’analyse microscopique présente la multiplication du nombre d’Etats, l’intensification des échanges internationaux et l’emprise croissante des SMN sur l’activité économique mondialisée, l’accroissement du rôle des ONG au cours de la décennie 1990 surtout, et la tendance contemporaine qui affirme que les opinions publiques et les individus tiendraient un rôle croissant dans la Société Internationale. Tous ces facteurs disparates ont tendu à affecter le monopole de puissance des États dans le système international. La tendance contemporaine est donc à la minorisation du rôle des États sur le long terme : à l’évidence il y a eu renforcement de centres de décisions concurrents de l’Etat au cours des cinquante dernières années. La grille de lecture macroscopique s’en est donc trouvée affectée, d’autant plus que ce phénomène s’est accentué au lendemain de la chute de l’URSS et de la victoire des “ démocraties libérales ”. Enfin, l’émergence des minorités, ethniques notamment, et l’exacerbation des revendications identitaires qui s'en suit, tendent à affaiblir encore davantage le rôle des États. Le contexte dans lequel prend place le conflit du Chiapas est donc relativement complexe. Si l’Histoire du Mexique, et surtout l’analyse du fonctionnement politique que nous en ferons, nous amènerons à comprendre comment les zapatistes ont réussi à faire s’élever leur voix au sein du système national, il est certain que l’étude des Relations Internationales devra elle nous permettre de comprendre comment l’EZLN a pu réussir à s’imposer sur une scène internationale renouvelée. La mutation du Système international et de la "nouvelle configuration" des années 1990: des éléments favorables à l'émergence du Chiapas sur la scène internationale. Maintenant que nous avons précisé le cadre général de l’analyse, et selon le souci de rigueur scientifique dans lequel nous nous inscrivons, nous allons préciser les éléments que nous avons évoqués ci-dessus. Cette démarche nous permettra de présenter la nouvelle configuration internationale dans laquelle nous placerons par la suite notre thème de recherche. 13 L’Etat, ou l'unité de référence du système interétatique : XVIIè-XXè siècle. Les Traités de Westphalie confirment dès 1648 le triomphe de l’Etat comme forme privilégiée d’organisation politique des sociétés. Le système interétatique westphalien qui se construit alors, va se caractériser par le principe de souveraineté (interne et externe) des États. Emerge alors la figure emblématique de l’Etat-nation, symbole de la suprématie de la figure étatique. La Scène Internationale et les Organisations Internationales : 1945-1990. Dès le XIXè siècle des évolutions notables commencent à faire changer le système international. L’idée d’une communauté d’intérêt fondée sur la solidarité entre les États voit le jour et va se traduire par la création des premières Organisations Internationales. Dans un souci de paix et de justice, il s’agit désormais de tisser un réseau complexe d'interdépendances basé sur le consentement des États. Les États vont donc désormais être soumis à l’ordre juridique international6. Très rapidement, la Société Internationale va assister à l’ « universalisation et à l’institutionnalisation de ces Organisations Internationales »7. Cependant, et même si le pouvoir politique de la Société Internationale demeure essentiellement défendu et exercé par l’Etat - qui reste l’acteur prédominant- , ce dernier n’a plus l’exclusivité et les Relations Internationales ne sont désormais plus réductibles aux seules relations interétatiques. De la sorte, la donne internationale est renouvelée, et même si le système reste basé sur la figure de l’Etat, la diversification des acteurs internationaux et la concurrence entre eux peut prendre place. La recomposition de l’ordre international : l’hégémonie libérale. Au tournant des années 1990, et suite à la confirmation de la suprématie de l’idéologie libérale dans le monde, l’interdépendance telle qu’elle était esquissée par le système interétatique d’Organisations Internationales devait aboutir à l’interdépendance commerciale au niveau transnational. En effet, lorsque le 11 novembre 1989 le mur de Berlin s’effondre et que le camp occidental libéral prend les rênes des Relations Internationales, l’heure est au tout libéral et la figure des Firmes Multi Nationales, emblématique de la philosophie d’alors, se généralise. Très rapidement les FMN constituent un acteur incontournable des Relations Internationales. Face à la « capitalisation » du monde, l’Etat va désormais être réduit à jouer un rôle de régulateur du système international, et notamment par le biais des diverses Organisations Internationales. 6 Ce système va lier les Etats par des engagements conventionnels ou contractuels qui les rendent alors titulaires de droits et d’obligations. 7 GOUNELLE Max, Mémentos de Relations Internationales, Editions Dalloz, Paris, 2004. p°121. 14 La “ globalization ”, qui résulte des mouvements et des logiques précédemment décrites, est « un processus complexe et non linéaire »8 qui concerne avant tout les relations économiques internationales, mais aussi d’autres domaines tels que la culture, les communications, les Droits de l’Homme ou les questions environnementales. Cependant ce nouveau système, piloté par des FMN en quête constante de profit, va favoriser l’avènement de contestations quant aux effets contrastés et contradictoires qu’elle tend à révéler : la répartition des richesses et du profit produit par la mondialisation apparaît aux yeux de certains comme inéquitable et injuste et masque la domination d’un petit nombre d’acteurs sur le monde. Dans les années 1990, les FMN se sont imposées comme acteur dominant des relations internationales. Elles se sont proposées indirectement de structurer le système à leur guise et selon leurs intérêts. Face à ces velléités, et s’il est sûr que seul une minorité d’Etats se sont sentis capable de maîtriser ce processus, de nouveaux acteurs sont apparus en masse sur la scène internationale pour tenter de faire face à cette nouvelle configuration internationale. L’ouverture du système international et la multiplication des acteurs : années 1990. La décennie 1990 sera marquée par la diversification des acteurs du système international : le système s’est ouvert à d’autres acteurs internationaux qui se situent en deçà et en dehors de la société étatique, interétatique ou des EMN. De la sorte, les ONG ou d’autres acteurs potentiels comme les opinions publiques (pour peu que nous puissions les personnifier), ou les individus eux-mêmes, se sont fait une place au sein du système international. S'il arrive alors que des gouvernements l'emportent dans le bras de fer avec des acteurs non-étatiques, il est fréquent que l’on assiste régulièrement à des marchandages entre acteurs gouvernementaux et non-étatiques. De plus, le tournant des années 1990 voit l’avènement, le renforcement et la diversification des thématiques internationales : promotion des Droits de l’Homme, suprématie de la Démocratie, etc. Les Relations Internationales des années 1990 s’annoncent donc résolument plurielles. Cette évolution qui a mis fin à la séparation étanche entre l’interne (souveraineté de l’Etat) et l’externe (la multitude des acteurs est désormais patente), a produit un bouleversement jusqu’alors inédit au sein des Relations Internationales : tout évènement se produisant à un endroit du monde peut avoir un impact potentiel dans tout autre endroit du monde. 8 SOCCOL Brice, Manuel de Relations Internationales. Paradigmes, Orléans, 2003. p°221. 15 Si l’on s’intéresse aux paramètres micro-politiques, on voit que l’on assiste alors à une véritable révolution : des individus lambdas, deviennent “ sources de turbulence globale"9. Les peuples se sont vus reconnaître une existence officielle dans les relations internationales et une possibilité d’avoir voix au chapitre : cette dynamique est d’autant plus renforcée que le principe du Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes10 est désormais pleinement enraciné dans les consciences mondiales. Ce que l’analyse montre c’est qu’à l’échelle mondiale il n’y a pas convergence “ mécanique ” autour des mêmes valeurs et que l’on assiste au contraire à une diffusion de la capacité à faire entendre ses propres valeurs. De nos jours l'impact de l'opinion des individus et l'intrusion des mouvements de masse sont trop importants pour être ignorés par les États. Ces individus manifestent désormais leur multi-appartenance: « citoyens d'Etats-nations, ils s’ouvrent au monde globalisé et se reconnaissent des enjeux de luttes globales »11. La mobilisation des individus peut d’ailleurs parfois créer, au-delà des États, une véritable opinion publique internationale. Cette dernière a été renforcée par le biais des moyens de télécommunication, par le phénomène de la mondialisation économique mais aussi par la simplification de l’information. Ces facteurs ont contribué à revaloriser le rôle de l’opinion publique, désormais transfrontalière, sur la scène internationale. Issue des influences multiples (culturelles, idéologiques, sociales, politiques, etc.) cette opinion publique internationale aspire à se développer au-delà de la souveraineté juridique des États, telle une « conscience mondiale libre et fraternelle ”12. Souvent, cette opinion internationale s’est présentée comme la morale internationale, gardienne des droits de l’Homme et de la paix. Les Organisations Non Gouvernementales13 (ONG) ont émergé sur la scène internationale dans les années 1990. Ce sont des groupements qui se proposent d’apporter leur pierre à l’édifice de la solidarité humaine dans des domaines aussi variés que l’humanitaire, l’environnement, l’idéologie ou le social. En ce sens, elles expriment elles aussi des solidarités transnationales. Le rôle des ONG est désormais essentiel : elles contribuent à renforcer la coopération transnationale dans de nombreux domaines. Plus souples, plus 9 ROSENAU J. in GIRARD M. (dir.), Les individus dans la politique internationale, Paris, Economica, 1994, p° 81-105. 10 Il est notamment défini dans l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 : “ tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. ” 11 ROSENAU J. idem. 12 idem 13 Il s’agit d’organisations internationales non gouvernementales et sans but lucratif. 16 fonctionnelle et parfois plus efficaces que les structures institutionnelles étatiques ou celles des Organisations Intergouvernementales, les ONG sont de véritables instruments de la régulation de la société mondialisée. Les évolutions de la configuration internationale que nous venons d’analyser montre que certaines structures -à l’instar des ONG surtout- ou certains éléments plus atomisés -à l’instar des individus et de l’opinion publique- ont donné corps à la perception d'intérêts communs à l'ensemble de la planète. Désormais, ces nouveaux acteurs “ solidaires ” mettent en œuvre des stratégies de pression sur les autorités étatiques et les Organisations Intergouvernementales afin d’orienter les politiques nationales et internationales. Nous avons donc tenté ici d’analyser quelles ont été les évolutions marquantes des Relations Internationales dans la dernière moitié du XXè siècle. Du système interétatique au système international dominé par les FMN puis contrebalancé par un nombre d’acteurs grandissant issus surtout de la société civile, il est certain que les Relations Internationales ont été totalement bouleversées depuis les années 1950. Cette tendance s’est d’autant plus accentuée au tournant des années 1990, grâce notamment à la victoire du camp occidental et à la généralisation de la démocratie libérale. Cependant, et comme nous allons le voir, d’autres acteurs souvent moins conventionnels ont aussi vu le jour à cette période et ont élevé leurs voix contre le processus d’unipolarité uniformisante qui s’est alors abattu sur le monde au lendemain de 1989. C’est en effet semble t’il ce contexte unipolaire et les valeurs qu’il défend qui a favorisé l’émergence d’un monde multipolaire composé d’une grande diversité d’acteurs potentiels. C’est dans ce contexte que le Chiapas et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) ont pu profiter de la brèche qui était alors ouverte dans les Relations Internationales pour tenter de propulser sur cette scène internationale renouvelée un mouvement qui portait des revendications en accord avec le contexte d’alors. 2. Identification des acteurs : la mise en perspective du problème du Chiapas dans les Relations Internationales. Du tournant des années 1990 environ à aujourd’hui, il est indéniable que la société internationale a connu une évolution centrifuge. En effet, la diffusion de la démocratie et de l’économie de marché n’a pas suffit à stabiliser la nouvelle donne internationale de l’aprèsguerre froide. Le “ village planétaire ” qui a été reconfiguré par la mondialisation a favorisé 17 dans les années 1990 l’avènement d’un “ Nouvel Ordre International ”14, basé sur des principes de paix et de droit, mais l’espoir de ce NOI si longtemps attendu s’est progressivement étiolé. Son principal défaut résidait dans le fait qu’il ait surtout voulu privilégier la mise en avant du système de valeurs occidentales : suprématie de la démocratie, du libre marché, et espoir d’un monde unitaire et solidaire. Ce NOI résidait donc en l’imposition de l’universalité aux dépens des particularités. Les chances gâchées de l’après guerre froide sont donc devenues patentes lorsqu’une multitude de conflits ethniques, nationalistes, minoritaires et identitaires sont apparus aux yeux du monde. La trop forte prétention à l’universalité occidentale a dilapidé les chances de l’après guerre froide15. Dans le même temps les pays du non-occidentaux (non seulement les pays musulmans mais aussi les pays dits du “ Sud ” et d’Extrême Occident16), heurtés par cette volonté d’hégémonie et cette prétention occidentale, se sont considérablement renforcés et affirmés. Dès lors, les réactions à cette prétention se sont rapidement organisées. L’insurrection zapatiste du 1er janvier 1994 a probablement été l’évènement fondateur de ce mouvement d’opposition à l’hégémonie des valeurs occidentales. La force du zapatisme a été de défendre l’identité et les revendications spécifiques des Indiens du Chiapas et de lancer en même temps un appel à la démocratie et contre le libéralisme sauvage. Cette capacité à défendre des identités et des spécificités propres, tout en développant des solutions au niveau mondial, est l’une des caractéristiques essentielles du mouvement zapatiste qui lui a permis sont succès semble t’il. La clé de réussite de ce mouvement résiderait surtout dans l’imbrication des niveaux “macro” et “micro” que nous évoquions précédemment: l’EZLN a joué, entre autre, sur la dialectique universalisme/ particularisme pour réussir la propulsion du Chiapas su la scène internationale. Le conflit du Chiapas ouvre donc le XXIè siècle sur une prise de conscience collective des acteurs du système international: la nécessité de penser une nouvelle Société internationale plurielle et solidaire, sans universalisme triomphant, et donc de respecter l’hétérogénéité des sociétés –désormais internationales. 14 En 1991, dans un discours prononcé à l’université de Princeton (New Jersey), le secrétaire d’Etat américain James Baker affirmera : “ Aujourd’hui, au lendemain de la guerre froide, nous nous tenons de nouveau au bord du précipice de l’histoire. Si, durant la guerre froide, nous nous affrontions comme deux scorpions dans une bouteille, à présent, les pays occidentaux et les anciennes républiques soviétiques peuvent être comparés à des grimpeurs maladroits affrontant ensemble une montagne abrupte ”. 15 Cette prétention s’est révélée d’une manière flagrante lors de la Première Guerre du Golfe de 1991. 16 ROUQUIE A., Amérique latine : introduction à l’Extrême-Occident (1987), Editions du Seuil, Paris, 1998. 18 La notion de revendications identitaires est fortement liée à cette question que soulève les zapatistes. Samuel Hunttington va jusqu’à affirmer que “les grandes causes de division de l’humanité et les principales sources de conflits sont culturelles […]. Les principaux conflits politiques mondiaux mettront aux prises des nations et des groupes appartenant à des civilisations différentes”17. Pour ce qui nous intéresse, les minorités qui se déploient au sein de la nation mexicaine souhaitent le respect de leurs droits -religieux, civiques, politiques, ou linguistiques- et vont jusqu’à aspirer à une plus grande autonomie ou à une reconnaissance internationale. Dans l’action qu’ils vont mener, les zapatistes vont privilégier une approche non statocentrées des Relations Internationales, en privilégiant par conséquent l’analyse marxiste et la perspective transnationaliste. Selon eux, l’asymétrie entre les États entretient des relations horizontales entre eux, les plaçant alors dans des rapports d'interdépendance asymétrique : pour éviter de tomber dans les pièges lancés par la figure étatique, il faudra donc coûte que coûte réussir à s’internationaliser. Depuis la fin de la Guerre Froide, et sous l'influence conjuguée des politiques étatiques, des mouvements intellectuels, d'institutions religieuses ou humanitaires, d'organisations internationales ou d'ONG, les droits de l'Homme –au sens des droits civils et politiques- sont devenus une référence internationale habituelle pour apprécier la politique intérieure des États. Les constats établis montrent que les États du Sud restent plutôt à l'écart des progrès démocratiques. Les États de tradition démocratique, qui sont en même temps les mieux nantis, se considèrent comme investies d'une mission universelle: la promotion de la démocratie politique. Par les pressions qu'ils exercent, les systèmes d’aides et d’assistance conditionnelle qu'ils dispensent aux autres États, ils tentent de faire émerger un principe de légitimité démocratique qui impliquerait un droit à des élections libres, voire même à la “gouvernance démocratique”. En ce sens, et comme nous le démontrerons dans notre étude, il est certain que l’appropriation par les zapatistes des thématiques internationales dans le but de refonder le système mexicain a été un formidable tremplin pour la reconnaissance et l’affirmation du mouvement sur le plan international. Au lendemain de la guerre froide la tentative d’hégémonie des Occidentaux sur le reste du monde n’est donc pas restée sans réaction. Dans un monde désormais multipolaire, certains se sont organisés pour faire face à la tentation de façonner le contexte international à l’image de 17 HUNTINGTON Samuel, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000. 19 l’Amérique. L’EZLN est alors apparu. Pour défendre la refonte du système mexicain elle a su mettre en œuvre des méthodes, des techniques et des stratégies surprenantes, qui ont désarçonné le gouvernement mexicain. Dans notre mémoire, nous avons donc chercher à présenter le fait que l’EZLN, par le biais de méthodes et de stratégies qui lui sont propres, et que nous expliquerons ultérieurement, a su saisir l’opportunité offerte par l’ouverture du système international, et par la rénovation des thématiques qui y prennent place, pour non seulement se donner les moyens de s’imposer dans le débat mexicain international. Ainsi, l’EZLN a su suscité l’intérêt des opinions publiques internationales et nationales, en préfigurant notamment un nouveau type d’acteur politique, à la marge de la guérilla et du système politique traditionnel, ce qui lui a permis notamment de placer le Chiapas sur la scène politique nationale et internationale pendant plus d’une dizaine d’années. 3. Problématique Le traitement de notre sujet d’étude doit s'attacher à nous faire comprendre in fine pourquoi, comment, et dans quelle mesure une zone infra-étatique et une organisation marxiste-indigéniste ont été propulsée sur la scène internationale à la suite des conflits du Chiapas qui ont agité le Mexique au début de l'année 1994. Selon les données que nous avons indiquées plus haut, il est évident que l’EZLN a su s’imposer comme nouvel acteur du jeu politique national et international grâce à la reconfiguration du système international et à l’usage réussi des techniques et des éléments du processus de glocalisation18. Pour autant, et bien que l’EZLN ait pu bénéficier d’un contexte et des “matériaux” favorables à son renforcement, ce “succès” n’était pas automatique. En effet, d’autres mouvements d’obédience marxiste19 qui existaient à la même époque, dans le même pays, et dans les mêmes régions du sud-est, n’ont pas eux réussi à trouver un écho favorable sur la scène nationale et internationale. C’est alors que l’on peut penser que la réussite du conflit du Chiapas, mise en exergue par l’EZLN, n’était pas un processus mécanique et automatique : l’originalité et la spécificité du mouvement, surtout dans le contexte national et international dans lequel il émerge, sont sans conteste les éléments qui lui ont donné sa force. 18 Ce phénomène présente l’imbrication croissante des niveaux locaux et globaux et amène à penser à ce que ces deux niveaux sont désormais fortement dépendant dans la logique de mondialisation dans laquelle nous sommes. 19 Le plus emblématique de ces autres mouvements reste l’EPL (Armée Populaire de Libération). 20 La problématique qui va alors nous préoccuper et à laquelle nous allons tenter de répondre tout au long de notre travail de recherche est la suivante: Comment suite à la chute du « socialisme réel » et à l’avènement du « monde unipolaire » organisé autour de la puissance américaine, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, présentée comme un mouvement révolutionnaire, a t’elle réussi à s’imposer non seulement comme nouvel acteur mais aussi comme nouveau type d’acteur au sein du jeu politique national et des Relations Internationales? De la même manière, cette question nous amènera à envisager une autre question qui lui est intimement liée: comment et dans quelle l'EZLN a t'il préfigurer les nouveaux combats nationaux et internationaux du XXIè siècle? 4. Outils méthodologiques et difficultés rencontrées Afin de réaliser notre mémoire de recherche, et de tenter de respecter au maximum les objectifs de scientificité qui lui sont reconnus, nous nous sommes attachés à mettre en œuvre une méthode recoupant plusieurs type d’outils. Tout d’abord, nous avons eu recours à un certain nombre d’entretiens avec des acteurs liés de prêt ou de loin avec le problème du Chiapas. En annexe du mémoire, nous avons retranscrits un exemple d’entretien que nous avons organisé au mois de mars 2007 avec Monsieur le Consul du Mexique à Toulouse. Outre cet entretien, ma recherche a bénéficié de l’appui de divers entretiens informels que j’ai pu organiser avec certaines personnes rattachées à des associations de Toulouse ayant trait au Mexique et avec des enseignants de l’IPEALT de Toulouse. Enfin, j’ai pu m’entretenir longuement avec le professeur Enrique Serrano, intervenant extérieur de l’IEP Toulouse, et fin connaisseur de l’Amérique latine. Ensuite, la base théorique de mon mémoire repose surtout sur des analyses issues de revues scientifiques spécialisées et qui étudiait le Mexique sous des angles d’approches divers. Je détaillerai davantage cet élément dans la rubrique « état de la littérature » qui suit. Pour palier à ces difficultés, j’ai souvent du faire appel aux nombreuses déclarations publiques de l’EZLN, aux accords et législations négociés entre le gouvernement mexicain et les insurgés. Aussi, j’ai souvent choisi de m’appuyer sur ces documents car ce sont ces actes qui ont rythmés le conflit et permis de donner des avancées significatives. 21 En ce qui concerne les difficultés que j’ai rencontré, outre l’impossibilité qui fut la mienne de me rendre sur mon terrain d’étude afin de donner davantage de validité à mes hypothèses, je dois notifier une complication majeure. Lorsque j’ai voulu étudier le rôle du Chiapas dans les relations internationales et sur la scène nationale, j’ai choisi de m’attaquer au problème d’un point de vue relativement neuf. Cependant, j’ai été très vite confronté à deux types de difficultés majeures. Premièrement, il m’est apparu extrêmement difficile, sinon impossible, de trouver des ouvrages ou des revues qui traitaient de mon thème, et sur lesquelles je pourrais donc l’appuyer par la suite. Alors, après quelques temps de doute, j’ai du réorienter mes choix de littérature sur le sujet (voir dans « état de la littérature »). Le deuxième écueil que j’ai rencontré, et que je détaillerai dans la section suivante, a trait à ce que la littérature accessible sur le Chiapas est généralement très emprunte de partialité et de visions tendancieuses. Dès lors, il m’a fallu souvent passer beaucoup de temps à croiser les données afin de ne pas tomber dans le piège idéologique tendu par les auteurs de ces ouvrages. La forte polarisation du thème de l’EZLN m’a donc extrêmement dérouté lors de mes recherches. Malgré tout, au final, je pense avoir su comment éviter de tels écueils, notamment en m’étant appuyé fortement sur les déclarations, les accords et les législations dont je faisais part. 5. État de la littérature Les ressources accessibles et dont on dispose actuellement sur le Chiapas, et qui se trouvent principalement en bibliothèque –dans des ouvrages ou des revues spécialisées- et sur Internet, sont d'ordre varié. En effet, plusieurs types de littérature ont émergé sur le sujet : Nous pouvons citer dans un premier temps l'existence d'un certain type de littérature qui explore des aspects spécifiques du Chiapas. Il s'agit d'ouvrages anthropologiques et ethnologiques20, d'ouvrages présentant des récits d'aventures au Chiapas21, ou encore d'ouvrages que l'on pourrait qualifier de "sectoriels"22. Certes, il s'agit d'une littérature assez abondante, mais qui ne concerne pas le sujet qui nous préoccupe. Nous aurons donc très peu 20 Par exemple: LENKERSDORF Carlos, Les hommes véritables: paroles et témoignages de Tojolobales indiens du Chiapas, LUDD, Paris, 1998; ou aussi MONOD-BECQUELIN Aurore et BRETON A., La “guerre rouge”ou une politique maya du sacré: un carnaval tzeltal au Chiapas, Mexique, CNRS, Paris, 2002. 21 Par exemple: LLOYD STEPHENS J., Aventures devoyages en pays Mayas, de Pygmalion, Paris, 1993. 22 Par exemple: ELLIS Philip, Changes in agriculture and settlement in coastal Chiapas, southern Mexico, Glasgow University, Glasgow, 1971; ou encore ALMA Amalia y GONZALEZ C., Etica y exclusion: las reglas del juego del mercado del café, Univ. Tlse2, Toulouse, 2003. 22 recours à ce genre de littérature, sauf cas ponctuels éventuellement précisé en note de bas de page. Ensuite, un grand nombre d'ouvrages ont été publié sur le mouvement qui a propulsé le Chiapas sur la scène internationale. Ce sont des ouvrages qui présentent entre autre la genèse du conflit, l'émergence du mouvement, les idéaux "humanistes" que celui-ci se propose de défendre23. Ces ouvrages s'attachent à présenter une perspective apparemment sociologicohistorique du mouvement. A priori ce type de littérature nous intéresse davantage, mais il semble délicat d’utiliser une telle bibliographie. En effet, cette littérature nous donne à explorer des récits dont les auteurs sont souvent emprunts de partialité et font part soit de complaisance marquée, soit d’un désenchantement trop visible envers le mouvement. Le caractère tendancieux de cette littérature pourrait donc nous amener à tomber dans les travers idéologiques dans lesquels elle nous pousserait à nous retrancher, ce qui n'est pas le propos de notre recherche scientifique. Il reste à préciser que bien que ce type de littérature ne nous intéresse pas en tant que tel, il pourra parfois s'avérer utile de s’y référer de façon judicieuse pour préciser certains éléments indispensables à notre démonstration. De la même manière, il semble important de préciser ici que nous nous reporterons souvent à des documents officiels qui ont été produits tant par l’EZLN (Déclarations "de la Selva Lacandona", Déclarations "de La Realidad", actes des “ Rencontres Intergalactiques ”, etc.) que par le gouvernements, les organismes officiels, ou les commissions de résolution du conflit (Accords de San Andrés, Réformes Constitutionnelles, etc.). En effet cette démarche nous permettra de nous appuyer sur des documents qui ont eu, à des degrés différents bien entendu, une certaine répercussion quant à l’avancée et au déroulement du conflit chiapanèque. De la sorte, ce type de documents servira à appuyer notre démonstration, dans ce sens notamment qu’ils permettent d’analyser quelle est la stratégie des deux parties en présence, quant au dialogue et aux avancées qu’ils souhaitent donner au conflit. Certains ouvrages qui ne se consacrent pas en tant que tels à notre thème d’étude (le Chiapas de l’EZLN), pourront aussi nous être utiles. En effet, la perspective internationaliste dont nous allons faire preuve au long de notre étude nous amènera à adopter une approche davantage “ pluridisciplinaire ” que monolithique. Ainsi, la logique d'internationalisation de la zone chiapanèque est, comme nous l’avons souligné, le fait d'une kyrielle de facteurs. La 23 Par exemple: NADAL Marie José, A l'ombre de Zapata: vivre ou mourir dans le Chiapas, Ed du Félin, Paris, 1995; ou encore MONTEMAYOR Carlos, Chiapas la rebelion indigena de México, Espasa Clape, Madrid, 1998. 23 dimension internationale du conflit, ou tout au moins la portée internationale qu'il a eut, s'explique notamment par le “ facteur ONG ” ou encore par le “ facteur Internet ” par exemple. Pour pouvoir analyser les mécanismes d’internationalisation du conflit et les rouages qui ont aussi aidé à propulser le Chiapas sur la scène internationale, il semble notamment judicieux d’avoir recours à ce type de documentation. De la sorte, il semble pertinent de s'attacher à étudier, expliquer et analyser de manière précise et documentée ce genre de données, qui ne sont pas traitées en tant que telles dans les ouvrages et fonds de documentation sur le Chiapas et dont nous avons déjà fait le recensement. Entre autre, nous devrons par exemple nous référer à la thématique des Droits de l’Homme et de la Démocratie24, des ONG25 et d’internet26, et ce notamment au moyen d’ouvrages et de rapports spécifiques. Nous aurons aussi fréquemment recours à une littérature de fond, qui se trouve dans des revues spécialisées ou sur internet. En ce sens, nous privilégierons les sites, souvent institutionnels, qui présentent des recherches scientifiques sur le sujet. Nous tenterons de contrôler au maximum de nos possibilités l’indépendance de ces sites quant à tout organisme tendancieux duquel il pourrait dépendre. Le site de L'Institut International de Gouvernabilité de Catalogne27 est un bon exemple du type de documents auxquels nous auront recours par internet: des études qui fournissent des analyses de fond sur les différents aspects du sujet, basées sur des recherches scientifiques et libres de toutes contraintes idéologiques. Enfin, certaines publications de la Documentation française28 ou d’autres laboratoires de recherche nous aideront parfois à compléter notre étude. Malgré tout, et en systématisant cette démarche, nous pensons pouvoir répondre de manière convenable à nos objectifs de démonstration. 24 Par exemple: BOURG Dominique et BOY Daniel, Conférences de citoyens, mode d'emploi: les enjeux de la démocratie participative, Ed C/L Meyer, Paris, 2005. 25 Par exemple: STANGHERLIN G., Les acteurs de l'ONG: l'engagement pourl'autre lointain, L'Harmattan, Paris, 2005; ou encore LECHERVY C. et RYFMAN P., Action humanitaire et solidarité national, les ONG, Hatier, Paris, 1993. 26 Par exemple: CROUZET T., Cinquième pouvoir: comment internet bouleverse la politique?, Ed Bourin, Paris, 2007; ou encore LEVY P., Cyberdémocratie: essai de philosophie politique, O Jacob, Paris, 2002. 27 Hébegé et en libre accès sur la page web www.iigov.org. 28 Le site internet de la Documentation française offre une base de données importantes. 24 6. Plan expliqué et hypothèses: Thèse Il semble que l’EZLN ait su mettre en œuvre une stratégie nouvelle de lutte, stratégie pleinement adaptée et facilitée par le contexte de l’après-guerre froide au Mexique et dans le monde. En outre, il est certain qu’il est impossible d’affirmer que la lutte du Chiapas est un combat du XXè siècle : du fait de son originalité et de sa spécificité, tant si l’on s’intéresse à son fond qu’à sa forme, cette lutte fait la charnière avec les combats politiques et les formes de luttes qui s’annoncent pour le XXIè siècle. Ainsi, si l’EZLN a su tirer son épingle du jeu, il est sur qu’elle l’a fait sur deux points principaux : tout d’abord le fond, avec la réactualisation des discours indigénistes et la rénovation des thématiques que le mouvement propose, puis ensuite sur la forme, avec notamment les méthodes d’action et d’adaptation que mettent en œuvre l’originalité des zapatistes et la capacité inouïe de communication externe du mouvement. Tous ces éléments auront permis, entre autres, ont clairement permis à l’EZLN non seulement de s’imposer au sein du débat national et international, mais aussi et surtout, et c’est en cela que réside la force de l’EZLN, s’imposer comme nouveau type d’acteur au sein du jeu politique national et des Relations Internationales. Cette position allait notamment mettre toutes les cartes au mouvement pour se proposer de préfigurer les combats internationaux du XXIè siècle. Hypothèse Dans le but de répondre au problème que nous avons posé en introduction, nous allons tenter de montrer successivement les choses suivantes : La principale réussite de l’EZLN repose sur le fait que le conflit a su, à partir de conditions objectives préalables au combat et indispensables à sa réussite, transformer cette configuration en potentiel subjectif d’action. C’est ainsi que l’EZLN a réussi à éclore dans le contexte national mexicain et dans le contexte mondial renouvelé des années 1990. La menace qu’il a fait un temps peser sur l’ordre national et donc l’impact qu’il a eu sur la scène internationale n’était pas pour autant mécanique. La brèche était ouverte, et il s’agissait désormais de s’y engouffrer avec succès. L’EZLN semblait proposer aux yeux du monde entier une guérilla inédite. 25 De fait, c’est seulement en stabilisant le combat, notamment grâce à la mise à son service des moyens de la mondialisation et de l’adaptation constante du discours et des actes aux nouvelles donnes, que le mouvement a réussi à se maintenir vivant et incisif. Le potentiel d’action présent au départ s’en trouvait donc stabilisé et démultiplié. Le retentissement du conflit était alors certain, et ce jusqu’à l’inscrire sur l’agenda public international. Notamment, l’inscription de l’EZLN sur la scène internationale a permis au mouvement de ne pas s’essouffler, et surtout elle lui a donné la possibilité de relancer le processus de négociation interne avec le gouvernement et donc de viser à certaines avancées qui sans cela n’auraient sûrement jamais été obtenus. Ainsi, la dimension quasi visionnaire de l’EZLN quant aux techniques de combats, et l’attitude désopilante et provocante dont elle a fait preuve en invoquant la particularité tout en abusant de l’universalité, préfigure les nouvelles qui émergent dans le XXIè siècle naissant. C’est de cette manière donc que l’EZLN a doté le Chiapas d’une capacité internationale et a inscrit cette région du monde dans les agendas nationaux et internationaux, en s’affirmant alors comme un nouveau type d’acteur dans la sphère nationale et sur la scène internationale. Enfin, si la propulsion du Chiapas sur la scène internationale a été pendant un moment jugée comme certaine, et que l’on a pu y voir à ce mouvement l’archétype d’un nouveau type d’acteur des Relations Internationales, il semble qu’à l’aune de l’Histoire, et sans toutefois déconstruire les réussites de l’entreprise zapatiste, le véritable coup de force que le conflit ait réussi est surtout d’avoir préfigurer les nouveaux combats internationaux du XXIè siècle, comme on peut en juger au vue des formes d’actions mises au jour par les zapatistes, désormais à leur paroxysme dans les luttes contemporaines 26 PREMIERE PARTIE LE CHIAPAS, ACTEUR INCERTAIN DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE LA DISSIDENCE DE L'EZLN A LA PROPULSION DU CHIAPAS SUR LA SCENE NATIONALE ET INTERNATIONALE. Lorsqu’une province périphérique s'invite au banquet d'une nation internationnalisée... 27 Si au début des années 1990 le regard du monde et du peuple mexicain n’était en rien porté sur le Chiapas, il est certain que les évènements de janvier 1994 dans cette partie du monde auront propulsé l’intérêt médiatique et politique pour cet État de la République fédéré du Mexique. Assurément, cette propulsion ne s’est pas faite du jour au lendemain : elle résulte bien entendu d’un certain nombre d’éléments qui se sont unis à un processus déjà enclenché, et qui ont permis de donner forme à l’action que les zapatistes ont lancé le 1er janvier 1994. Nous chercherons ici à déconstruire le processus d’élaboration du projet de l’EZLN, et à comprendre en quoi et comment cette organisation s’est donnée les moyens de réussir son avènement sur la scène politique nationale, élément indispensable à son parachutage sur la scène internationale. Pour répondre à cette interrogation, nous devrons entre autre dévoiler non seulement les origines de l’EZLN, mais aussi les stratégies adoptées par l’EZLN, le contexte dans lequel a éclot le conflit mettant en scène l’organisation, et enfin l’attrait pour le mouvement dans l’opinion publique nationale. Ainsi, tout ces éléments devraient nous permettre de montrer en quoi, après plus de 80 ans de domination du PRI et d’un schéma d’encadrement de la société qui semblait avoir fait ses preuves, l’EZLN a réussi non seulement à remettre en question la sécurité nationale du Mexique, mais aussi, dans le contexte d’intégration des économies et de sécuritisation globale qui suivirent l’unipolarisation du monde, à s’affirmer comme une menace tangible de l’ordre international établi. Bien entendu, il nous faut préciser dès lors que nous nous efforcerons de ne pas tomber dans les travers d’explications causales, déterministes et simplistes, afin d’expliquer la réussite de l’EZLN à se propulser sur la scène nationale et internationale, mais que tout au contraire, la complexité du sujet nous amènera à mettre en œuvre une lecture critique du mouvement, notamment en croisant deux courants de pensée généralement choyés par la littérature internationaliste, à savoir le courant marxiste29 et l’approche tourainienne30. La complémentaire de cette démarche nous permettra en outre de mettre sur pied une analyse féconde des deux registres. 29 qui étudient les causes structurelles de l’origine du mouvement et explique l’évolution organisationnelle de celui-ci. 30 qui explique elle différemment les mécanismes de mobilisation autour de l’EZLN. 28 CHAPITRE 1. LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPECIFIQUE: ENTRE CONFLIT POTENTIEL ET CRISE LATENTE? LE ZAPATISME INCUBATEUR. Dans cette partie nous allons présenter le réceptacle sur lequel repose les revendications zapatistes qui sont exprimées dès l’année 1994. Ainsi, si les zapatistes ont pu s’exprimer sur la scène internationale en 1994, il est certain que cela est fortement lié au fait que ces derniers surent répondre à une situation de crise particulière et affirmer la logique et la légitimité du mouvement aux yeux du monde entier. Mais il est certain que cela n’a pas toujours été évident. En effet, le mouvement n’a pas toujours suivi un chemin sans embûche. Ainsi, si l’EZLN s’est fondée sur une idéologie marxiste, il est indispensable de souligner le fait que cette idéologie répondait véritablement aux problèmes matériels rencontrés par de multiples communautés dans un État dont les richesses incommensurables n’avaient paradoxalement pas permis de créer une situation de bien-être pour les populations du Chiapas. La logique qui animait le mouvement zapatiste semblait donc répondre parfaitement aux injustices ressenties par une population chiapanèque discriminée et dépossédée de ses richesses. Mais le nouveau contexte de l’hégémonie libérale a amené le mouvement à ne pas pouvoir affirmer de but en blanc une identité monolithique marxiste, ce qui aurait risqué de le stigmatiser et de légitimer l’écrasement que le pouvoir mexicain autoritaire aurait pu décider. Ainsi, le contexte international a amené à revisiter la théorie marxiste et à l’adapter aux nouvelles conditions de lutte. Enfin, dans ce contexte international qui, de prime abord, rendait leur sortie publique plus difficile, les zapatistes ont réussi un véritable tour de force en se rappropriant les communautés indigènes chiapanèques acquises à la théologie de la libération. Alors, suite à l’hybridation réussie des deux discours, indigéniste et marxiste, l’organisation zapatiste a su se donner une légitimité sans précédent. Section 1. L’existence d’un potentiel de conflit : le Chiapas, un État en détresse L’analyse des conditions matérielles préalables à l’avènement du conflit au Chipas est indispensable pour comprendre comment le mouvement zapatiste a pu affirmer sa légitimité. En effet, la situation particulière du Chiapas au sein de l’entité nationale, n’a fait que radicaliser la position et le malaise des populations chiapanèques au cours du temps. Ainsi, si 29 comme 1994 marque un tournant dans la réalité du Chiapas et du Mexique, c’est surtout par la remise en cause d’une situation « vieille de plus de cinq cent ans » qu’opère le mouvement. Dans cette section, nous analyserons d’abord le contexte local dans lequel a pris pied le zapatisme, pour voir ensuite quelles sont les causes et conséquences de cette situation. Ainsi, cette étude préalable nous permettra d’appuyer par la suite le rapprochement logique que l’on fera entre l’état des lieux du Chiapas, caractérisé par l’injustice qui y prend place, et la logique marxiste qui anime les zapatistes. A. Les contexte local de mise en place du conflit zapatiste: le Chiapas et sa place particulière au sein de la nation mexicaine. Comme de nombreux auteurs ont démontré l’existence « des » Amériques, l’analyse de la situation mexicain nous révèle qu’il existe tout autant de Mexiques au pluriel aussi. Ainsi, l’étude approfondie du Mexique laisse entrevoir les diverses facettes de ce pays situé à la croisée des deux Amériques. Les données statistiques produites sur l’Amérique font état d’un constat déjà visible à l’œil nu : le continent américain est marqué par deux sous ensembles. Le premier, qui se situe au Nord du Rio Grande, se distingue par son haut niveau de développement économique et technologique, par des niveaux de vies de qualités élevés, mais aussi des revenus par habitants les plus élevés de la planète ; le second bien au contraire, réunit lui des carences économiques, technologiques, niveaux de pauvreté très élevés, inégalités sociales exacerbées, etc. En somme, les données statistiques confirment ces analyses : il existe bel et bien « deux Amériques ». A cette fracture entre « le nord » et « le sud » de l’Amérique, il faut souvent ajouter des lignes de fractures toutes aussi marquées qui traversent la majorité des pays du sous-continent. Ainsi, si l’on peut réellement parlé « des » Amériques, les données statistiques fournies par les autorités mexicaines révèlent que l’on peut tout autant parlé « des » Mexiques. En effet, s’il est évident qu’une analyse de l’Amérique latine révèle la diversité « des » Amériques, le Mexique se situe « à la croisée des deux Amériques » : tout comme il existe une ligne de démarcation entre une Amérique du Nord et une Amérique latine, il existe aussi une ligne de démarcation entre un Mexique du nord et un Mexique indien. La fracture nationale que l’on relève au Mexique s’établit sans nul doute sur une ligne Guadalajara-México, et concentrerait en son nord les niveaux de revenus et les indices de développement les plus élevés du pays, et en son sud les plus faibles 31. Pour éviter d’être 31 Le Pib dans les Etats du Chiapas, d’Oaxaca ou du Guerrero varie entre 3000 et 4000 dollars par habitant, soit 30 exhaustif, et tout en sachant que, comme cela est observable pour la majorité des données statistiques présentées par le Ministère de l ‘Économie32, la fracture nord/sud peut s’observer à la lumière de tous les indicateurs du Mexique, nous nous contenterons de citer pour exemple le cas de le l’éducation, et tout particulièrement de l’alphabétisation : le taux d’analphabétisme de 3,9% dans le Nuevo Léon atteint les 30,5% des enfants chiapanèques. Certes, cette situation s’explique surtout car le Chiapas manque d'écoles, mais cela n’en est pas moins vrai pour autant : il existe une réelle pauvreté dans le sud, d’autant plus difficile qu’elle côtoie chaque jour des inégalités abyssales. Conscient de la situation, chaque ministère insiste sur le fait que la région sud/sud-est requiert une attention prioritaire : à l’instar Martine Dauzier33, les gouvernements sont effectivement bien conscients qu’il faut « prendre le sud au sérieux »34. En effet, les luttes agraires, les guérillas paysannes, les vendettas et la délinquance -liée au trafic de drogue comme à sa répression militaire et policière- sont en recrudescence dans cette partie du pays, et ne cessent de miner chaque fois davantage la légitimité d’un pouvoir qui semblent avoir oublié la pauvreté dont souffre le pays au sud. Le constat est patent : le sud reste exclut de la modernisation, et ce qu’elle soit économique ou sociale, et au début des années 1990 la situation et le décalage entre le sud et le nord est bien loin de s’être résorbé. Dans ce constat de malaise, le Chiapas, situé au sud/ sud-est du Mexique, est l’Etat le plus défavorisé de la République. En 1993 en effet, c’est cet État qui détient le triste record de l'indice de pauvreté national. Mais si le Chiapas est souvent stigmatisé au niveau national comme étant l’Etat le plus pauvre de la fédération, son identité ne se réduit pas à cette donnée. En effet, à cet état des lieux d’un Chiapas hautement lésé sur le point de vue économique, il faut souligner l’existence d’une seconde variable qui caractérise généralement l’identité de cet État : le Chiapas est l’emblème d’un Mexique du vestige de l’Empire maya, un “Mexique indien” qui regroupe quelques huit millions d'indigènes. Ainsi, et même s’il est certain que le Mexique recèle un taux de population aborigène des plus forts de toute l’Amérique latine, il n’est pas moins vrai que le Chiapas possède malgré tout une identité bien spécifique, et qui le des chiffres plus proches de ceux du Nicaragua ou du Salvador (2366 et 5260 dollars en 2001) que des Etats du nord du pays, où la moyenne est proche de 10 000. (source INEGI). 32 Les données statistiques auxquelles nous faisons référence dans notre mémoire se trouver sur le site de l’Institut National de Statistiques. L’INEGI est un organe déconcentré du Ministère de l’Economie. En ce sens, il possède une autonomie technique et administrative. Son adresse internet est la suivante : http://www.inegi.gob.mx. 33 Du Centre d’Etudes sur le Mexique et l’Amérique centrale de México. 34 DAUZIER Martine, « Mexique: prendre le sud au sérieux », in Problèmes d’Amérique latine numéro 27, La Documentation française, octobre-décembre 1997. 31 différencie fortement de l’Etat voisin d’Oaxaca lui aussi peuplé d’indigènes : au Chiapas il est patent de constater l’existence de multiples ethnies originaires, à l’instar des ethnies tzotziles, tzeltales, tojolabales, lacandones, choles, ou d’autres encore. Certaines d’entre elles sont d’origine millénaire, d’autres d’arrivée récente dans la région, et le reste de « création récente35 ». Cette « spécificité chiapanèque », comme certains s’adonnent à la nommer, offre au sûr un panorama culturel compliqué, et donne à considérer le Chiapas comme un réservoir ethnique, écologique et géostratégique. L’étude des Mexiques que nous avons effectuée précédemment, nous aura permis de faire ressortir le fait qu’il existe clairement un « paradoxe » au Chiapas : comme nous allons le voir, le Chiapas est un territoire pauvre, mais aux richesses incommensurables. Le constat de pauvreté que l’on vient d’établir plus haut souligne le paradoxe observable pour les populations chiapanèques. Si l’Etat du Chiapas est un des États où le malaise social est le plus prononcé, il est aussi l’Etat où les richesses de la nature s’y trouvent le plus en abondance. Ainsi, en 1994, l’Etat du Chiapas est un État extrêmement riche. En apportant un cinquième du pétrole de la République mexicaine, il est l'un des premiers États pétroliers de la Fédération. En outre, il fournit aussi 55% de l'électricité que le Mexique consomme, produit un quart du gaz, génère la moitié de l’énergie hydroélectrique du Mexique, et occupe le premier lieu national dans la production de café et de maïs et le second pour l’élevage. Cependant, cet état de fait n’empêche pas l’Etat du Chiapas d’être à la même période l’Etat un des plus pauvre de la République du Mexique, et de connaître alors des niveaux de pauvreté parfois supérieurs à certains États qui eux pourtant n’ont pas tant de ressources sur leurs sols. Ainsi, à la même période les constats du marasme économique et social qui s’abattait sur la région était saisissant : l’industrie y était presque inexistante, le secteur des services était plus que réduit, les communications déficientes, les centres éducatifs était peu nombreux et de mauvaise qualité, trois logements sur cinq n'avait pas accès à l'eau courante, 80% des habitants n'avaient pas accès au système de santé, et un tiers était analphabète, 19% des actifs était « sans ressources » et 40% disposaient d'un revenu inférieur au salaire minimum. Entre autres statistiques fournies par l’INEGI, il faut aussi souligner que 29% des enfants échappaient à la scolarisation obligatoire, que 35% des agglomérations ne possédaient pas l'électricité, ou encore que 94% des municipios (municipalités) de l’Etat concentraient le plus fort degré de pauvreté nationale. 35 DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”, in Mouvements numéro 45-46, mai-août 2006. 32 Les constats de pauvreté du Chiapas font donc bilan d’un État qui, malgré des richesses parfois plus qu’abondantes, présente des indices de pauvreté bien supérieurs à la moyenne nationale. C’est en ce sens que Martine Dauzier, entre autre, parle du Chiapas comme étant l’emblème d’un « Mexique rude, barbare et profond »36 , un Mexique pour lequel les richesses n’ont pas su se substituer à l’état généralisé de pauvreté. Cet État serait donc l’étendard du paradoxe national mexicain : un État où la richesse naturelle coule à flot et État où tous les indicateurs de pauvreté atteignent leur paroxysme. B. Le paradoxe chiapanèque : de la clarification des raisons du conflit à l’ébauche de la radicalisation à venir. D’après le constat que nous avons établit précédemment afin de mieux appuyer notre réflexion, il semble certain que l’état du Chiapas relève d’un paradoxe. En effet, comment un territoire peut-il être pauvre et manquer de toutes les infrastructures et services nécessaires à son développement, alors qu’en même temps cet État jouit d’une extrême richesse ? Il nous faut dès lors préciser que, s’il est certain que ce paradoxe a été le noyau sur lequel l’EZLN s’est greffé par la suite, il est d’autant plus sûr que le succès ou l’échec du mouvement ne s’explique pas seulement par cette variable. Alors, et afin d’éviter toute surdétermination de l’importance majeure de ce paradoxe, et donc afin d’éviter de tomber dans les travers d’un marxisme aveugle, nous nous contenterons de répertorier brièvement les éléments qui expliquent le mieux ce paradoxe. Le Chiapas, se trouve donc confronté à des défaillances tant structurelles que conjoncturelles, et qui créent une situation de malaise social dans la région. Tout d’abord, l’accès à la terre reste être la problématique centrale et surdéterminante pour expliquer cette situation. Ainsi, dans cet État riche en ressources naturelles et pratiquement non industrialisé, « les rapports de force entre un paysannat indigène en situation de survie et une oligarchie locale assoupie sur ses monopoles depuis l’époque coloniale ont aboutit à des tensions très vives ». En effet, il faut préciser que la Révolution mexicaine de 1910 s'est longtemps arrêtée aux portes de l'Etat. Par la suite, et sous la présidence d’Obregón et de Cárdenas surtout, les réformes ont tenté de réagir à cette carence majeure en liquidant le grand domaine et en touchant alors la moyenne propriété. Depuis lors, la paysannerie s’est organisée en ejidos, sorte d’exploitation collective de terres communautaire de terres inaliénables. La réforme agraire, pourtant animée par un désir de 36 DAUZIER Martine, « Mexique: prendre le sud au sérieux », in Problèmes d’Amérique latine numéro 27, La Documentation française, octobre-décembre 1997. 33 changement en faveur des communautés indigènes longtemps mise de côté, va rapidement connaître ses limites : de fortes tensions voient le jour entre les communautés bénéficiaires de ces mesures, et cette réforme, qui favorise indirectement l’expansion des troupeaux et la détérioration écologique, s’est parfois révélée contre-productive dans le sens où elle a renforcé les relations de travail de type féodal déjà généralisées dans l’Etat du Chiapas. Au début de l’année 1992 le système agraire est confronté une nouvelle fois à une réforme qui, par le biais d’une modification de la Constitution mexicaine, offre la possibilité aux paysans de vendre les ejidos. Cependant, la pression démographique qui atteint son paroxysme dans l’Etat du Chiapas va participer à multiplier les conflits ayant trait à la problématique de l’accès à la terre. Les lignes de fractures s’affirment au sein des populations de l’Etat, et voient s’affronter entre autre des « couples » jugés irréconciliables : propriétaires/ paysans, communiers/ ejidatarios, ou encore désormais entre ejidos. Enfin, il est important de noter que le mode d’exploitation agricole au Chiapas, basé sur une vocation principalement exportatrice plutôt que sur l’autosuffisance, n’aidera pas à obtenir un « effet d’entraînement » sur le secteur industriel, et n’aura pas davantage d'incidence directe ou indirecte sur l'emploi. Les problèmes liés à l’accès à la terre semblent donc relever bien plus de défaillances structurelles que conjoncturelles, et il est certain qu’au Chiapas, les secteurs les plus lésés par ces réformes successives, les secteurs qui ont le moins profité de la revalorisation de l’accès à la terre, sont, comme nous le verrons un peu plus loin, les indigènes. Mais si la terre est l’élément de premier ordre qui explique la situation économique catastrophique du Chiapas et le marasme social qui l’accompagne, il n’est pas le seul. Outre le problème de la terre, les causes de la rébellion sont aussi à expliquer par le croisement de multiples variables, conjoncturelles notamment. Ainsi, la pauvreté et la mauvaise distribution des revenus observable au Chiapas fait écho à de nombreuses mesures prises par les gouvernements successifs, parmi lesquelles : la coupe des subventions à la production agricole et le retrait de l’Etat dès les années 1980, l’ouverture commerciale à l’étranger et la mise en compétitivité d’économies aux dynamismes très différenciés –et qui amplifie le rendement décroissant du maïs sur les terres épuisées du Chiapas-, ou encore la hausse du prix des intrants agricoles. Entre autres variables qui ont leur importance, il faut aussi souligner : le poids de la croissance démographique dans l’Etat du Chiapas, l’oscillation des prix internationaux du café –et surtout la chute du prix du café en 1989, et dont les effets sot accentués par le retrait de l’Etat et la coupe des subventions-, ou encore l’afflux de migrants centraméricains – qui représentent en 1984 un total de 46000 individus, et qui ne sont pas sans provoquer un certain nombre de problèmes dans la sécurité intérieure de l’Etat. Enfin, les 34 affrontements entre les divers groupes de pouvoir qui dominent au Chiapas et la corruption quasi viscérale qui prend place dans l’Etat –et qui consiste souvent à recevoir des ressources publiques contre la misère puis à les détourner afin d’alimenter une clientèle, et donc de préserver les positions sociales et de cadenasser toute réelle possibilité de changement économico-social. Le paradoxe du Chiapas s’explique donc, entre autre, par l’accumulation de facteurs divers et variés. Les facteurs structurels, et au premier chef les défaillances de la régulation de l’accès à la terre, ont souvent été accentués par les facteurs conjoncturels qui sont venus s’y ajouter, et la persistance de ces éléments ont contribuer à empirer la fracture sociale que l’on observait déjà au Chiapas. De la sorte, la situation déplorable du Chiapas ne s’explique pas par un manque d'espace et de temps, mais surtout par une répartition des ressources profondément inégalitaire et par des causes structurelles de premières importances, et qui n’ont pas pu résister face à la pression exercée par d’autres données conjoncturelles. En 1994 donc, la situation est à son paroxysme, et le malaise social, qui a déclencher le cercle vicieux « pression démographique/ exode rural/ généralisation des bidonvilles/ décomposition de la paysannerie/ chômage », révèle la situation de précarité et d'insécurité économique et sociale profonde dans laquelle se trouve la grande majorité des habitants, et surtout les indigènes, du Chiapas. La situation de détresse qui se généralise et s’installe au Chiapas va constituer dès lors le terreau propice à des mouvements d’idéologie marxiste, favorables à la défense des opprimés et des exploités : c’est ainsi en effet qu’émerge sur la scène chiapanèque l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, ou plus connue sous le sigle de l’EZLN. Section 2. L’existence d’un potentiel idéologique au Chiapas : l ’Armée Zapatiste de Libération Nationale et son diagnostic L’étude du contexte du Chiapas nous aura permis de préciser dans quel état d’injustice et de malaise se trouvent les communautés du Chiapas à l’aune de l’année 1994. Ici, nous allons tout d’abord nous intéresser à la nature de l’organisation zapatiste, afin démontrer que ses antécédents, entre autre, tendent à classer l’EZLN comme mouvement marxiste. Cependant, les zapatistes ayant compris qu’il ne suffirait pas de s’insurger contre la situation de pauvreté, et de s’affirmer comme guérilla marxiste pure et dure, au risque de se faire écraser par le gouvernement mexicain pour cause de « résurgence du communisme » dans un monde désormais sous le joug hégémonique du libéralisme, ils ont du revisiter le discours marxiste et l’adapter aux nouvelles conditions de lutte. Ainsi, cette stratégie d’adaptation qui 35 précède le conflit leur permettra entre autre de nuancer les héritages marxistes qui sont les leurs, et de trouver par alors comment affirmer une nouvelle légitimité d’action au Chiapas. A. L’EZLN, ou une organisation marxiste : vers un soulèvement d’exclus ? Comme nous allons le montrer, l’EZLN est une organisation de mouvance marxiste, et les héritages sur le mouvement en sont patents. L’armée zapatiste, qui se lève en arme en date du 1er janvier 1994, pour réclamer la fin des injustices au Chiapas surtout, est un mouvement de filiation clairement marxiste. Il faut préciser ici que la postérité de l’Histoire ne doit pas nous amener à porter un jugement tronqué sur le mouvement : si par la suite du soulèvement, le mouvement a été présenté surtout, et de manière monolithique, par son identité indigène, il ne fait nul doute que l’émergence du mouvement obéit davantage à l’utilisation d’un discours teinté de marxisme plutôt qu’autre chose, ou qu’autrement dit le mouvement s’est inspiré avant toute chose d'un marxisme des plus orthodoxes, et même si plus tard il a du, comme nous l’étudierons, réorienter ses choix initiaux. En ses débuts donc, et afin de se donner les moyens de percer au sein d’une population chiapanèque pour qui la lutte des classes et l’exploitation des indigènes par un « État bourgeois » aidé d’une minorité de privilégiés pouvait expliquer la situation paradoxale de l’Etat que nous avons précisé ci-dessus, l’EZLN a surtout véhiculé un discours emprunt d’idéologie et de références marxistes. Pour appuyer notre démonstration, et pour alimenter notre réflexion, nous nous sommes appuyés surtout sur la « déclaration de principes du PFLN »37, et qui a servi de base pour élaborer le « règlement interne de l'EZLN »38. Ces deux documents posent donc les fondements et définissent les bases de l’action de l’EZLN avant même 1994, il est évident que l’armée zapatiste a tout d’abord émergée en tant qu’organisation marxiste, léniniste et guévariste. Par la suite, et même si le mouvement a du réorienté ses stratégies afin de se donner les moyens de ses ambitions, il est pourtant clair que la base du mouvement n'a pas été trompée sur la nature et le sens de l'engagement qui leur était demandé. En effet, plutôt que d'affirmer une identité ethnique, les zapatistes semblent bien se définir tout d’abord comme des prolétaires. Au Chiapas cette logique ne se révèle en rien paradoxale : en effet, et comme nous l’avons déjà précisé, la majorité des prolétaires chiapanèques sont avant tout des indigènes. En outre, de nombreuses pratiques de l’EZLN évoquent celles de Sentier Lumineux39: 37 Le Partido Fuerzas de Liberacion Nacional, dont la déclaration de principe date de 1993, Mexico. Le Reglamento Insurgente, établi dans la Selva Lacandona, en 1993. 39 Sentier Lumineux est un mouvement d’extrême gauche qui sévit au Pérou dans les années 1980 surtout: au départ il s'agit d'une dissidence du Parti Communiste Péruvien. 38 36 « l’endoctrinement et l’enrôlement sous les armes d’enfants dès l'age de dix ans, l’établissement de hiérarchies parallèles dont l'une, en façade [le CCRI] masque l'autre, qui détient la réalité du pouvoir, etc. ». S’il ne nous appartient pas de juger ici le bien fondé de ces pratiques, il reste incontestable que, dès lors que l’idéologie marxiste qui anime le mouvement péruvien Sentier Lumineux n’est plus à prouver, le mouvement zapatiste s’affirme lui aussi comme mouvement marxiste. Il faut dés lors précisé que, et même si les réorientations stratégiques du mouvement n’aideront pas à rendre davantage visible cette donnée, les origines marxistes de l’EZLN n’ont jamais été occultées. Le porte-parole du mouvement, le sous-commandant Marcos, en date du 30 juillet 1996, a lui-même présenté le noyau initial de l’EZLN comme étant : « un groupe porteur de toute la tradition des guérillas latino-américaines des années 1970, groupes d’avant-garde, d’idéologie marxiste-léniniste, qui lutte pour la transformation du monde et l’accès au pouvoir d’une dictature du prolétariat »40. C’est en ce sens que certains analystes, à l’instar de Pedro Pitarch 41, ont pu affirmé dès lors que « rien ne différenciait l’EZLN des autres groupes latino-américains qui essayaient de reproduire la révolution cubaine par le moyen de la lutte armée ». Cependant, et comme nous le préciserons plus tard, dans de nombreux domaines l’analyse et la stratégie zapatiste va se démarquer des mouvements révolutionnaires traditionnels. Pour le moment donc, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il est avéré que l’EZLN est au départ une organisation de filiation clairement marxiste-léniniste. Face à le situation paradoxale de l’Etat du Chiapas, et face au mouvement de libéralisation de la sphère économique et financière qui s’abat sur le Mexique dans les années 1980/ 1990, il est évident que l’armée zapatiste va trouver les moyens de conforter ses racines dans cet État dévasté du Chiapas. Au vu des préoccupations qu’émet l’EZLN quant à la situation d’un Mexique « si loin de Dieu et si proche des États-Unis » tend à montrer qu’il s’agit d’une guérilla consciente des défis de son temps. En effet, lorsqu’en octobre de l’année 1993, le Sénat américain entérine l’accord de libre commerce entre les États-Unis, le Canada, et le Mexique, l’orgueil marxiste de l’organisation zapatiste en est affecté. Cet accord vise selon le mouvement à « accentuer deux siècles d’impérialisme capitaliste sur le Mexique ». La relation de tutelle qui s’est progressivement installée sur le sous-continent est dévoilée aux yeux de la nation : l’ALENA n’est que l’aboutissement des variantes de la doctrine Monroe de 182342. Si le pays avait déjà 40 Voir dans EZLN :, Documentos y comunicados, 5 vol., de. Era, México 1994-2003. PITARCH Pedro, “Les zapatistes et l’art de la ventriloquie”, in Communisme numéro 83/ 84, 2005. 42 Déclaration du 2 décembre 1823 devant le Congrès américain, dans laquelle James Monroe avertissait les 41 37 subit les assauts de la « politique du gros bâton » de Théodore Roosevelt, de la « diplomatie du dollar » de William Taft, de la « politique de bon voisinage » de Franklin D. Roosevelt, de l’« Alliance pour le progrès » de John F. Kennedy, de l’« Initiative pour le bassin des Caraïbes » de Ronald Reagan, ou encore de la « politique des droits de l’homme » de John Carter, l’ALENA venait désormais accentuer et systématiser cette logique. « L’entrée dans la modernité » se concrétisait par la généralisation des logiques d’intégration, et pour le Mexique le projet de création d’une zone de libre-échange entre les trois nouveaux partenaires, n’était que la concrétisation de l’impérialisme économique aux yeux des zapatistes. La logique fut d’autant plus démasquée par le mouvement, que la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International s’adonnaient à rendre public le fait qu’ils n’accorderaient désormais des aides internationales qu’à la condition de mener une politique économique conforme à ce que l’on a appelé le Consensus de Washington43. Cette intégration régionale à laquelle visait l’Alena n’était donc visiblement que la confirmation de l’orientation politique libérale décidée par les États parties à ce traité, et dans laquelle le gouvernement du Mexique avait engagé le pays. Face à cette jetée à bras le corps du pays dans le libéralisme sauvage, l’EZLN pointa du doigt les dérives et les conséquences négatives du traité ALENA pour le pays, et notamment aussi ses implications au Chiapas : la grande réforme de l'ejido –faite par voie de révision constitutionnelle- que le traité imposait, la coupe des aides pour les petits producteurs de café, de bétail, ou de bois, entre autres. Pour tenter de nuancer les conséquences de ce libéralisme constitutionnalisé, et rendre plus supportable les ajustements structurels que l’ALENA imposait, le gouvernement mis sur pied des programmes d’assistance aux communautés : ce fut le cas du programme “Solidaridad”, grand projet social et politique, ou encore de “Progresa”, qui se substitua à Solidaridad dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'alimentation. Quand la rébellion éclate, le 1er janvier 1994, et s’il est pourtant sûr que le sud est loin d'avoir été vendu à l'étranger, il est d’autant plus certain que cette région du sud-est mexicain a inévitablement accumulé les frustrations devant des programmes ponctuels et peu transparents, qui visaient surtout à tranquilliser les populations à court terme. Mais en ces termes il est cependant certain que l’Alena qui promet, entre autre, « l’importation massive d’un maïs étasunien plus compétitif », ne va faire qu’aiguiser les craintes et les anciens colonisateurs que désormais toute intervention européenne dans les affaires du continent serait perçue comme une menace pour la paix et la sécurité : « l’Amérique aux Américains ». 43 Le Consensus de Washington se réfère à un certain nombre de mesures adoptées libérales qui visent à l’ouverture des frontières aux économies étrangères, à la réduction du rôle de l’Etat dans l’économie, à la privatisation des entreprises publiques, à l’abandon des subventions aux produits ou services, ou encore à la suppression des déficits budgétaires. 38 frustrations de ces populations délaissées et manipulées. C’est à ce moment que l’EZLN, déjà implantée de façon ponctuelle dans la région, va trouver un terreau plus que favorable pour diffuser efficacement la verve marxiste-léniniste dans la région. B. Les bases de l’EZLN revisitée : du marxisme orthodoxe au marxisme nuancé par le pragmatisme du mouvement. Malgré tout ce que nous venons de démontrer, et nonobstant les règlements internes qui définissent les bases marxistes de l’action zapatiste, les références au marxisme vont presque complètement disparaître du discours de l’EZLN avant même le soulèvement. Comment appréhender alors ce revirement de position ? Certains éléments pertinents se détachent et permettent d’expliquer tout ou partie de cet état de fait. Ainsi, au lendemain de 1990 et s'apercevant que le mur de Berlin est tombé et que l'Union soviétique n'existe plus, les zapatistes auraient-ils renoncé au socialisme pour se faire les chevaliers de l'indianité. De la sorte, au contact de la « sagesse millénaire des indiens », auraient- ils auraient modifié les buts de leur action ? Évidemment, et à l’instar de Jérôme Baschet qui pose la question, « comment penser que les évènements de 1989-91 aient pu ne pas influencer la manière de concevoir le marxisme et de s’y référer ? », il semble indéniable que si les zapatistes voulaient se donner une chance de rester en vie dans un monde où « la chasse aux sorcières » avait laissé des traces plus que marquées, il était indispensable pour eux de reléguer en arrière plan le discours marxiste, afin de se prémunir d’un discours davantage policé, et désormais plus accepté. C’est en ce sens que les zapatistes commencèrent à envisager le potentiel que leur offrait l’indigénisme chiapanèque. En effet, il reste clair que cette nouvelle stratégie présentait un avantage substantiel énorme : tout en leur permettant d’éviter les attaques meurtrières d’un ordre unipolaire désormais rétif au discours marxiste, cette nouvelle stratégie leur donnait la possibilité de construire à terme des territoires indigènes autonomes, aisément pénétrables et facilement transformables en "zones libérées", en vue de poursuivre par la suite leur objectif marxiste initial. Plutôt que de rester figée sur les traces pétrifiées d’un passé ne correspondant plus à la réalité présente, et tout en acceptant que les cartes avaient été redistribuées au lendemain de 1989 et que le « socialisme réel » avait connu son heure de gloire, les zapatistes reconnaissaient qu’il fallait désormais voir au-delà de cette état de fait, et donc adopter une attitude pragmatique et nuancer et adapter leur discours. Malgré tout, il est indéniable, 39 comme le fait remarquer Jérôme Baschet, que la dogmatique marxiste restera à jamais la « vérité cachée du zapatisme44 ». Pourtant, et afin de mettre en pratique les réflexions précédemment édictées, les militants urbains de toutes les gauches, qui connaissaient parallèlement une baisse d’audience généralisée, vont redéployer un nouvel activisme clairement orienté sur « la recherche de bases ». Dans ce trouble des nouvelles conditions de luttes sociales, les formations concurrentes45 présentes au Chiapas vont tenter chacune de tirer leur épingle du jeu. Le but de chacune d’entre elles va porter non seulement sur l’élargissement de son assise sociale, mais aussi sur les efforts pour se démarquer des autres formations de gauches qui ont mettent en œuvre le même processus. Dans ce nouveau contexte, le succès de l’EZLN va s’expliquer par l’ampleur du travail qu’elle réussit : après s’être autonomisée du PFLN, dont la tendance marxiste était trop fortement marquée et stigmatisait par conséquent le mouvement, l’organisation va tenter et réussir à créer un pont entre son organisation gauchisante et la population. Véritable coup de maître, l’EZLN réussit à s’imposer au Chiapas par l’utilisation notamment d’un intermédiaire peu commun pour une organisation marxiste : l'Église catholique. A la suite de tout ce que nous venons d’analyser dans cette section, le constat que nous pouvons tirer de cette étude est le suivant : si l’EZLN est clairement une organisation inspirée de l’idéologie marxiste-léniniste-guévariste, il est certain que dans un contexte renouvelé en 1989/ 1990, la particularité de l’EZLN va être liée à son interaction avec l’histoire spécifique du Chiapas, caractérisée par des décennies de processus d’organisation paysanne et par une construction diocésaine inspirée de la théologie de la libération. Ainsi, et grâce au contact avec les communautés indiennes, l’EZLN va s’opérer la transformation du noyau zapatiste communisme, et lui donner par alors une chance inouïe de se donner les moyens de ses ambitions. 44 BASCHET Jérôme, « Les zapatistes : “ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ? », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. P°156. 45 Nous pouvons citer en guise d’exemples les noms de celles qui connaissent le plus d’audience au Chiapas : Forces Libération Nationale, Union du Peuple, ou encore Ligne prolétarienne, etc. 40 Section 3. L’existence d’un potentiel spécifique au Chiapas : de l’indigénisme des théologiens aux zapatistes paladins de l’indianité. Comme nous l’avons expliqué, l’EZLN, de filiation marxiste, a trouvé dans le Chiapas un laboratoire de combat inespéré. Mais très rapidement, le mouvement s’est rendu compte qu’il fallait nuancer ses héritages afin de se créer une crédibilité et une légitimité. Dans leur tentative de correspondre aux nouveaux « canons » des guérillas du monde unipolaire libéral, et de prendre leur distance avec une théorie marxiste souvent décrédibilisée par l’expérience du socialisme réel, l’EZLN va donc se proposer de mettre en œuvre une nouvelle méthode pour atteindre les communautés indigènes. En effet, le mouvement va se rendre compte du potentiel d’infiltration dans les communautés indigènes du Chiapas que peut lui fournir l'Église locale et la théologie de la « libération des indigènes » qu’elle prône. L’emprise de cette église sur les communautés indigènes de la région, est analysée comme une bénédiction de Dieu par le mouvement. Dès le milieu des années 1980, des rapprochements sont fait entre les deux forces (les zapatistes et l’église), et l’hybridation de la lutte et des discours va commencer à s’opérer. Le bassin d’indigènes prolétaires dont dispose l’EZLN sera désormais sa force. C’est surtout grâce à cet élément qu’elle pourra se permettre d’exposer publiquement et avec un écho sans précédent les revendications indigénistes teintées de marxisme qu’elle va exposer au monde entier dès 1994. A. La force de l'Église catholique dans la région : la constitution d’un bassin de fidèles en quête de dignité. L'Église catholique locale chiapanèque va être l’acteur principal de la montée en puissance de l’indigénisme dans la région. Il faut préciser que l'Église catholique locale n’est plus la même au début des années 1990 que ce qu’elle était au début du siècle. En effet, ses discours et ses positions face aux problèmes contemporains ont sensiblement évolués depuis le milieu des années 1960. Ainsi, dans la foulée de la conférence de l’épiscopat latinoaméricain de 1968, cette Église catholique locale a opté pour l’ « option préférentielle pour les pauvres. En monde indien cela s’est traduit par la mise en œuvre de la « libération des indigènes ». Le schisme religieux qu’a connu l'Église en Amérique latine depuis les années 1960 explique en grande partie ce repositionnement idéologique. De nouveaux clivages ont vu le jour : l'Église catholique traditionnelle est de plus en plus concurrencée par de nouveaux mouvements religieux, tels que le protestantisme46, et le pullulement des sectes -pentecôtistes, avantistes, etc.- qui se disputent frontalement avec l'Église catholique pour accroître leur zone 46 L’Eglise presbytérienne s’implante au Chiapas dans les années 1920. 41 d’influence. Ces nouveaux mouvements religieux font des adeptes chez les individus déracinés, atomisés et précarisés, et face au délitement constant du lien social elles offrent des repères et des espérances. Le Chiapas représente donc pour elles un bassin de fidèles surdimensionné. Pour réagir à cette situation, et pour éviter de perdre son monopole, l'Église catholique va être amenée à proposer une réponse dès les années 1960. Dès lors l’idéologie de base est mise en conformité avec les enjeux de l’époque, et il est décidé de restreindre l’enseignement du dogme du haut de la chaire afin de faire découvrir la parole divine au sein des communautés. Ainsi, les missionnaires et les religieux vont préparer des catéchistes, des diacres, et de nouvelles élites religieuses sociales et politiques dans leurs communautés afin de faire pénétrer la théologie de la libération au sein des communautés chiapanèques. Bien que cette nouvelle orientation provoque de fortes tensions entre les catholiques traditionnels – davantage attachés aux coutumes, et à un catholicisme tridentin- et les néo-catholique – partisans de cette réorientation stratégique de l'Église latino-américaine-, l'Église locale présente cette stratégie comme la seule capable de stabiliser sa zone d’influence dans l’Etat du Chiapas. Dès lors, et malgré les réticences du Vatican, l’évêque de San Cristóbal, Samuel Ruiz, va s’attacher à impulser cette « théologie indigène », variante de la « théologie de la libération. L’insurrection zapatiste de 1994 ne peut donc pas s'expliquer sans tenir compte de l'activité de l'Eglise catholique dans la région : il est certain que l’œuvre des dominicains américains qui prennent en charge la paroisse d'Ocosingo –lieu où débutera le soulèvement du 1er janvier 1994- dès 1963 a eu un rôle déterminant : l’oeuvre missionnaire soutenue par eux dès 1971 dans le territoire de Las Cañadas véhicule un catéchisme qu'ils intitulent « Nous sommes à la recherche de la liberté », et qui impulse dès lors cette théologie de la libération dans la région, et offrent alors un potentiel de révision de l’histoire pour les populations indigènes chiapanèques. Ce travail de conscientisation va être accéléré notamment par la marge de manœuvre que va indirectement laisser aux partisans de la théologie de la « libération des indigènes » par la décomposition du pouvoir national et local qui s’annonce dès les années 1980. Alors, la marge de manœuvre laissée à l’Eglise catholique dans l’encadrement des sujets va être de plus en plus large. Dès 1982 en effet, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) entre en décomposition. C’est à cette époque donc qu’il perd sa capacité à concilier les intérêts concurrents et à imposer ses arbitrages. Le monopole et l'encadrement social, cadenassé par le PRI depuis les années 1920, n’est désormais plus que partiellement assuré. 42 Pour tenter de conserver son autorité, les politiques d'endiguement ethnique47, ont été substitués par des politiques de répression, et le pouvoir opte parallèlement pour mettre en valeur le développement économique et social du Chiapas, mais sans stimuler l'activité productive. C’est en partie pour cela qu’il perdra sa chance de maintenir son pouvoir dans la région et dans le pays. Des programmes qui s’apparente à de gigantesques opération de charité publique48 voient alors le jour afin de déguiser la perte d’autorité substantielle du PRI dans la région. B. Les zapatistes à l’assaut du potentiel chiapanèque : de la récupération de la dynamique indigéniste aux zapatistes paladins de l’indianité. A cette étape de notre étude, nous pouvons présenter l’analyse d’Yvon le Bot, qui conçoit le conflit par un angle d’approche davantage tourainien que marxiste. Dans cette approche, la crise chiapanèque résulte d’une rupture, d’une « crise d’un mouvement social empêché dans son émancipation »49. Après des décennies de pression démographique et de colonisation de nouveaux territoires – et en précisant que la Lacandonie est le lieu où les victimes du processus de décomposition sociale vont échouer-, et conjugué à des facteurs de modernisation, une « nouvelle génération d’élites indigènes » a émergé. Formée à l’école de la théologie de la libération, cette nouvelle génération est émancipée et émancipatrice. Attachée au démantèlement des relations qui les lient au PRI par le biais de la soumission du caciquisme conservateur aux administrations officielles indigénistes, cette élite tend à questionner les raisons de sa situation. Dès lors, il est certain que les zapatistes vont disposer d’un potentiel de révolte fournit par le cocktail injustice/ influence d’une Église acquise à la cause des indigènes/ perte d’autorité du PRI dans la région. Dès lors, le seul effort à fournir de la part des zapatistes, résidait à établir des ponts avec cette société indigène dépossédée et révoltée : le travail de l’Eglise locale pouvait alors offrir un tremplin à l’organisation. Très rapidement, les zapatistes vont donc comprendre l’avantage à tirer à jouer sur le tableau de l’indigénisme, et on va alors assister à l’hybridation de la lutte zapatiste et indigéniste. Les zapatistes vont donc rapidement s’attabler à établir des relations avec 47 Les politiques d’endiguement ethnique se réfèrent à l’édification de réserves indigènes et à la vieille pratique de l'indigénisme intégrateur. 48 entre autre nous pouvons citer certains programmes, à l’instar de PRODESCH, de COPLAMAR, de PRONASOL, ou encore de PROCAMPO. 49 Dans DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”, in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006. 43 l’Eglise. Les ambitions de l’EZLN et de l’Eglise, bien que divergentes sur un certain nombre de points, convergent fortement sur la portée et le changement que les deux organisations cherchent à apporter au Chiapas : libérer des indigènes exploités, et exploités parce qu’indigènes. Dès lors, la « stratégie d’alliance » fonctionne, et « le contact entre l’église locale et les militants de gauche va jeter les bases d’un mouvement social indien et paysan, affirmatif et progressiste, structuré autour de revendications socio-économiques ». Mais les difficultés que connaît le Chiapas amènent à l’asphyxie du mouvement d’émancipation et aboutissent à sa fragmentation. Le passage à l’acte en 1994 est loin d’être l’expression la plus élevée du mouvement social : il apparaît qu’il soit davantage la « manifestation de son empêchement ». Le soulèvement du 1er janvier 1994 serait donc l’une seulement des options retenues par un secteur social confronté aux impasses de la modernisation et du développement, et en butte à la répression et au racisme : c’est en ce sens que doit s’entendre le soulèvement zapatiste. L’état des lieux du Chiapas fait le constat d’un État pauvre, laissé à l’abandon par le pouvoir central, et où la Révolution ne serait jamais arrivée. La grande propriété foncière coexisterait avec une paysannerie misérable, et les indiens, spoliés de leurs terres, continuerait d'être victimes de ségrégation et d'exploitation comme au temps du « Porfiriato »50. Dès lors, l’insurrection de l’EZLN semble être la réédition actualisée des "guerres de castes". Mais, et afin de s’émanciper –du moins en apparence- de l’influence marxiste, les zapatistes vont tout faire pour donner un visage plus « acceptable » au mouvement, et vont donc pour ce faire établir des liens étroits avec l’église locale, qui leur offre alors une clientèle irriguée d’un discours « libérationniste ». Au Chiapas donc, le brassage d’influences réciproques exercé par les trois traditions à l’œuvre dans la préparation de la mixtion zapatiste constitue le véritable lit du mouvement : la tradition communautaire indigène, la tradition révolutionnaire des guérilleros urbains, et la tradition prophétique de l’Eglise locale sont autant d’éléments qui vont se conjuguer et donner au mouvement un formidable potentiel d’action préalable au soulèvement. Le Chiapas est donc en situation de crise latente, et le mouvement de l’EZLN va lui réussir à construire et ordonner réellement le potentiel qui s’offre à lui. Cependant, et comme nous l’avons déjà précisé, si l’EZLN va pouvoir profiter du potentiel local que lui offre le malaise chiapanèque, et va mettre en œuvre une stratégie complexe afin de réussir à donner une chance de succès à ce potentiel, il n’est pas moins sûr que le mouvement aurait pu réussir sans la décomposition du PRI et la marge d’action que cela va laisser à l’EZLN. 50 Le « Porfiriato » est la période de l’Histoire mexicaine qui va de 1876 à 1911. 44 CHAPITRE 2. LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN CONTEXTE FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE REVENDICATION ZAPATISTE. Ce chapitre nous permettra d’expliquer comment l’EZLN, dans un pays caractérisé par un encadrement strict de la population, a pu bénéficier d’un contexte nationale favorable à l’avènement de ces revendications sur la scène publique en 1994. Le « chemin convulsif vers le pluralisme politique »51 que connaît le Mexique dès les années 1980 va favoriser la remise en cause du maillage qui visait à encadrer la population afin de préserver « la paix sociale » et de cristalliser les positions. De plus, il va provoquer la mise en place d’un système davantage démocratique et donc davantage apte à capter et à accepter les revendications populaires. Ainsi, si depuis 1921 et jusque dans les années 1980 le PRI est conçu comme le ciment de la nation mexicaine, dès 1982 et plus encore dans les années 1990, la perte de vitesse du parti va donner une opportunité aux populations de remettre en cause l’ordre établi. Cette situation sans précédent va alors ouvrir à l’EZLN une porte dans laquelle elle va pouvoir s’engouffrer : la porte de la revendication populaire est désormais possible. La décrépitude du PRI, qui s’est donc amorcée depuis les années 1994, va donc permettre à l’EZLN de réussir le passage d’une « classe probable » à une « classe mobilisée » et revendicative. Section 1. Du PRI ciment de la nation… Lorsque le PRI arrive au pouvoir au début des années 1920, il met en place une architecture institutionnelle qui lui permettra de rester en place et de dominer de façon hégémonique la vie politique mexicaine durant tout le XXè siècle. Ainsi, le parti verrouille la société et met sur pied un système quasi monarchique qui lui donne la prééminence sur tous les secteurs de la société. Tout acte de rébellion ou de soulèvement est donc presque impossible tant le maillage mis en place par le PRI sur l’ensemble du territoire de la République est dense et rigide. Cependant, dès 1982, et pour tenter de répondre à « la crise de la dette », le PRI est contraint de mettre en place un nouveau système basé sur des « pactes » négociés avec la société civile. Dès lors, la brèche est ouverte, et le maillage se desserre : la 51 COUFFIGNAL Georges, « Mexique : le chemin convulsif vers le pluralisme politique », in Problèmes d’Amérique latine numéro 15, La Documentation française, octobre-décembre 1994. 45 population comprend les avantages qu’elle va pouvoir tirer de cette rénovation du système d’encadrement. A. La « monarchie » mexicaine : un système politique immobile et une société muselée. Le rite de la succession présidentielle qui caractérise la vie politique mexicaine est finement réglé depuis 1921 pour permettre au PRI de consolider son autorité sur le système politique mexicain et sur la République. Depuis les années 1920, et pendant trois quarts de siècle, il n’y aura pas d’alternance politique au sein du gouvernement national. Pour parvenir à cet état des choses, le mécanisme est simple, mais efficace : le régime combine un principe monarchique avec le principe républicain. Expliquons brièvement le fonctionnement de cette mécanique: tout d’abord le président sortant désigne son successeur, puis le parti se contente de ratifier ce choix, et mobilise ensuite toutes ses immenses ressources humaines et financières pour que les électeurs en fassent de même. Cette pratique relève donc de contraintes d’ordre juridique qui sont bien entendu davantage coutumières que formelles. En effet, et même si l’article 82 de la Constitution mexicaine (à voir en annexe) définit les conditions pour être présidentiable, la logique de désignation du futur président par le président sortant obéit bel et bien à une logique tout autre que celle formulée dans la Carta Magna. A cet état de fait, la coutume ajoute depuis 1946 l’obligation de désigner les candidats parmi les personnes ayant occupé un poste de secrétaire d’Etat dans le cabinet sortant. Cela permet d’assurer la continuité de l’action étatique et de privilégier un certain professionnalisme. Tous les présidents depuis 1982 sont donc issus de la bureaucratie : Luis Echeverria (1970-76), José Lopez Portillo (1976-82), Miguel de la Madrid (1982-1988), Carlos Salinas de Gortari (1988-94), et enfin le 21 août 1994 –à la majorité absolue et avec 50,18% des suffrages exprimés- Ernesto Zedillo Ponce. La seule véritable fonction de l’élection présidentielle réside davantage dans la pratique du rite de communion patriotique auquel elle convie, plutôt que de proposer un mécanisme par lequel les citoyens choisiraient réellement leurs dirigeants. Dans ce système, l'opposition se voit alors reléguée dans un rôle de figuration, et surtout lorsqu'elle ne consentait pas à endosser celui de comparse du parti en place. Mais petit à petit, ce système qui paraissait si finement réglé et qui remplissait le rôle qui lui était assigné, à savoir favorisé le statut quo et éviter tout changement social négatif pour les positions privilégiés, va affronter un certain nombre d’éléments qui vont remettre en question son efficacité. 46 Ainsi, lorsque qu’en 1982 la « crise de la dette »52 s’abat sur le Mexique, le président au pouvoir, décide de contenir celle-ci par le biais de la mise en œuvre de la libéralisation de l’économie. Les « pactes » avec les secteurs corporatistes mis sur pied par le gouvernement de Miguel de la Madrid, tenteront de remplir ce rôle. Cette « politique des pactes » consistait en effet à modifier la structure de l’économie mexicaine grâce à divers plans qui, non seulement, changeaient le rôle de l’Etat, mais modifiaient aussi la participation des secteurs traditionnels dans l’économie. Le PND, le PIRE, ou encore le PAC serviront à moderniser et ouvrir l’économie. Les plans volontaristes mis en œuvre pendant la période précédente semblent donc désormais définitivement abandonnés au profit des « pactes négociés ». Le « Pacte pour la Stabilité et la Croissance Économique » (PECE), de décembre 1987, est l’un des pactes qui aura le plus de conséquences quant à la relation entre l’Etat et la société civile, notamment car il institue de nouveaux rapports entre l’appareil d’Etat et ses partenaires économiques et sociaux. Dès lors, la configuration des soutiens de la machine PRIiste s’en trouvera affectée. B. La modernisation économique des années 1980 et ses conséquences sur la société : les débuts de la désarticulation du PRI et le déverrouillage de la société civile. S’il est sûr que le rôle du président sortant dans la désignation de son dauphin est crucial, il est aussi certain que les rapports de forces internes au parti pèsent considérablement sur le choix du président et de sa possible investiture. Le PRI a été fondé de telle sorte que les ouvriers, les paysans, les employés de l’administration et des entreprises publiques constituent l’assise de sa légitimité du parti et de celle du régime, ce qui était censé, entre autre, lui assuré une durabilité supérieure. Pour réussir à conforter cette assise, le parti unique a su développer un stratégie d’intégration des différents secteurs du monde du travail – en pratiquant le « syndicalisme vertical » notamment-, et ce, afin de contrôler la population dans son ensemble. Cependant, le poids de ces « secteurs corporatifs » dans l’Etat et dans le parti, du fait du développement très rapide du tertiaire et du changement de modèle de développement à partir de 1986 –qui marque l’adhésion du Mexique au Gatt-, leur fait perdre leur importance particulière. Face à ce constat de mutation progressive de ses bases, et tout au moins de leur importance quant à leur implication dans le parti, et donc de la légitimité qu’elles apportent à ce dernier, le PRI semble rester aveugle. Ainsi, tout se passe -en ce qui concerne le fonctionnement du parti- de la manière la plus traditionnelle qu’il soit : le rite de désignation 52 La crise de la dette intervint dans l’’économie mondiale au début des années 1980. Elle toucha le Mexique en 1982, et allait provoquer la faillite de l’Etat. Des Politiques d’Ajustement Structurel furent alors mise en place pour palier à cette crise. 47 et la libéralisation du pays s’amplifie, alors que dans le même temps la société connaît de profonds bouleversements dans le champ politique et économique. De fait, la « décorporatisation » de la société mexicaine déjà amorcée, et qui se précipite sous l'effet des réformes néolibérales, tout en entraînant le démantèlement progressif du système d'encadrement politique de la population, amène les populations à revendiquer chaque fois davantage de démocratie et à remettre en cause de plus en plus vigoureusement le rôle de l’Etat. Plus le mouvement de libéralisation s’accélère, et plus le lancement du processus de modernisation démocratisante se fait pressant : il devrait bientôt aboutir à organiser des élections compétitives qui consacreraient la coupure du cordon reliant le PRI à l'Etat. Section 2. … au PRI catalyseur du conflit. A la suite de 1982, l’encadrement de la population mexicaine par le PRI se fait donc plus souple. Cette réforme du système de régulation de la société mexicaine abouti très rapidement à des velléités démocratiques sans cesse plus affirmées. Mais l’autoritarisme du chef d’Etat qui succède à De la Madrid, Salinas de Gortari, semble pendant un temps étouffer la « révolution démocratique » en puissance. Cependant, les réformes économiques mise en œuvre pour moderniser la société mexicaine vont très rapidement amener le gouvernement à mettre de côté l’encadrement de la société civile : cette stratégie va alors se révéler être l’erreur fatale pour le gouvernement, dans le sens où elle n’aura cesse d’accentuer la désarticulation entre le PRI et sa base et de donner à la société la possibilité inouïe de remodeler à sa guise le dialogue avec le gouvernement. Dès lors le PRI est dépassé, et la société mexicaine se retrouve dans un état d’effervescence ou les revendications populaires et de justice peuvent désormais prendre place. C’est dans ce contexte que les revendications de l’EZLN vont prendre place et pouvoir alors être écoutée par une population alerte à tout espoir de changement. A. L’avènement d’une « démocratie » tardive … mais trop incomplète : les remouds de la présidence de Salinas dans l’opinion. Lorsqu’en 1988 Salinas de Gortari est élu à la magistrature suprême, il doit répondre à cette demande de démocratie exprimée dans la rue et les médias. Dès lors le défi, il est confronté à un défi majeur et qu’il va devoir s’appliquer à résoudre : comment démocratiser le régime avec un parti non démocratique ? Pour tenter de résoudre cette situation, la quatorzième assemblée nationale du PRI va être organisée en 1990. A cette occasion Salinas va manifester sa volonté d’opérer des changements en profondeur dans les structures et le 48 fonctionnement du parti. La « refondation structurelle » qui est alors décidée par l’accord de Querétaro du 26 juin 1992 se propose de remplacer les secteurs traditionnels –en perte de vitesse- par trois nouvelles organisations : un « pacte ouvrier- paysan », un « mouvement territorial », et un « Front national d’organisations citadines » . En apparence cette réforme vise à faire du PRI un parti « au gouvernement » et non plus le parti « du gouvernement ». Les véritables enjeux de la réforme semblent avoir été compris par Salinas : il s’agit de produire la nécessaire osmose entre démocratisation du régime et démocratisation du fonctionnement interne du parti. Pourtant engagé dans la voie de la démocratisation mexicaine, Salinas oublie très vite ces velléités « démocratisantes ». A partir du moment où il reconquiert une légitimité forte, lors des élections législatives de 1991 notamment, il cesse d’agir dans ce domaine avec le même volontarisme et la même ferveur qu’en matière économique. Aller dans le sens contraire nuirait à ses ambitions : pour faire accepter les mutations qu’il promeut dans le champ économique il a besoin en effet besoin du PRI, de ses méthodes traditionnelles de mobilisation et de contrôle, et il est juste de penser que la démocratisation du pays se ferait à l’encontre de ses projets de modernisation. Pour tenter de contenir la poussée démocratique, et d’assurer le succès de la réforme économique qu’il promeut, Salinas va asseoir son autorité sur les caciques syndicaux qui vont se révéler être des alliés précieux, voire incontournables. Dès lors, les perspectives de démocratisation se font plus que faibles, et c’est notamment ce que Lorenzo Meyer résume en ces termes pour dénoncer le chao de la démocratisation politique mexicaine : « le problème de la démocratie mexicaine aujourd’hui peut se résumer ainsi : l’élite ne veut pas et la société ne peut pas »53. Salinas tente donc à tous prix de mettre en place une grande réforme économique du pays, et l’Alena restera la mesure emblématique de son gouvernement en ce domaine. Si la « politique des pactes » mise en place sous de la Madrid a permis au Mexique de retrouver les grands équilibres macro-économiques et de renouer avec la croissance, et compte tenu de la financiarisation de l’économie, c’est désormais la question de la solidité de cette stabilité qui est posée. Au vu de la teneur des réformes qu’il propose, il est fondé de penser que le président Salinas ne peut pas compter sur l’appui des organisations paysannes pour changer en profondeur, et dans les termes qu’il propose, le système économique. En effet, depuis la Révolution du début du siècle et la mise sur pied du système de l’ejido, tous les président se sont attelés à distribuer des terres. Dans un pays comme le Mexique, et conformément à son Histoire, il est vrai que le clientélisme d’Etat fonctionne particulièrement bien pour entretenir le mythe de la « terre à ceux qui la cultivent ». La seconde fonction de cette redistribution 53 MEYER Lorenzo, Larga transicion mexicana, la secunda muerte de la revoluion mexicana, Mexico, Cal y Arena, 1992, p°175. 49 consiste à fixer des votes pour le PRI, et à assurer la paix sociale dans les régions qui ont pris les armes avec Emiliano Zapata et Pancho Villa. Alors, lorsque Salinas choisi de modifier l’article 27 de la Constitution54- l’indignation des paysans, et des communautés indiennes surtout, fait rage. La réforme prévoit que désormais les ejidatarios -propriétaires des ejidospeuvent vendre, louer ou hypothéquer leur parcelle, ou encore que des entreprises privées nationales ou étrangères peuvent investir dans le secteur. De la sorte la terre redevient un bien comme un autre, soumis au mécanisme des lois du marché telles que les promeut le gouvernement Salinas. Dès lors, c’est l’un des symboles les plus forts de la révolution mexicaine qui disparaît. Au Chiapas, terre d’indigènes déjà lésés par les réformes agraires successives qui n’ont réellement rien apporté aux prolétaires indiens, la tension se fait ressentir suite à cette mesure, à ce hold-up symbolique. Mais, dès 1993, Salinas et le parti vont s’attacher à mettre en place des réformes afin de s’attacher à donner en apparence un visage plus démocratique au Mexique, et à faire alors oublier les coups de forces successifs du gouvernement de Salinas envers la population mexicaine, et plus particulièrement envers les plus démunis. La réforme électorale que le gouvernement adopte en août 1993, visaient à faciliter la ratification par le Sénat américain de l’Alena à un moment où la campagne sur le caractère non démocratique du Mexique est forte aux États-Unis. En effet, la ratification par le Sénat à l’automne 1993 de l’Alena voit la réticence de certaines parts des élus américains, à l’instar de Ross Perot, au rapprochement avec un pays réputé pour sa tradition de fraude électorale. L’accord politique de 1994 vise quant à lui à renforcer la dynamique précédente, en ce sens qu’il permet de garantir la transparence des scrutins lors des élections générales de l’été 1994. Cet accord décidé en mars 1994, et bien qu’il soit la conséquence directe du soulèvement, se situe surtout dans la continuité de cette volonté de réformer le système pour rendre plus visible son caractère démocratique : face aux revendications sur la garantie d’élections honnêtes, les partis émettent un engagement mutuel pour jouer proprement les élections. Cet engagement se manifestera notamment par le renforcement de l’indépendance des organes de contrôle, la nomination d’un groupe de « sages » à la tête de l’IFE, ou encore le principe d’observateurs étrangers lors des élections –et ils seront d’ailleurs cinq milles le 21 août 1994. Afin de ne pas faire capoter son projet du « grand Mexique moderne », Salinas donne donc à son régime un semblant de visage démocratique. Il convient de préciser ici que les réformes e 1993 et de 1994, qui visent avant tout à sauver le projet du « grand Mexique moderne de Salinas », 54 Article de la Constitution qui organise le système de l’ejido et interdit jusqu’alors l’aliénation de la terre. Pour davantage d’explications sur ce thème, se référer à MELE Patrice, « Reforme agraire, fin et suite », in Etudes foncières, n°63, juin1994, pp 27- 34. 50 résultent d’un compromis entre le pouvoir et les partis d’opposition. C’est notamment cette dernière donnée qui guidera le choix ferme des zapatistes de ne soutenir que très ponctuellement le PRD –principal parti d’opposition- en 1994, et à ne pas vouloir s’intégrer au système politique national, et ce, afin de rester une force d’opposition féconde. En outre, il est certain que la modernisation des structures politiques ne s’est pas faite sans difficultés, et comme le confirment les assassinats de Luis Donaldo Colosio (le dauphin de Salinas de Gortari) et de José Francisco Ruiz Massieu (qui voulait séparer le PRI et l’Etat), les velléités démocratiques sont mises en œuvre, mais elle le sont sous le regard vigilant des éléphants du PRI, qui veillent à la teneur et à la « pertinence » qu’ils jugent des réformes. B. La financiarisation de l’économie mexicaine dans les années 1990 et la vulnérabilité du système : la société civile en proie à ses « démons ». La financiarisation de l’économie mexicaine, promue par l’Accord de Libre Échange, dévoile très rapidement ses effets néfastes. Le malaise social, bien que déjà fortement présent, ne fait que s’accentuer. Les poches de pauvreté et de marginalité gonflent, et le malaise est aggravé par la rapidité des réformes structurelles que l’accord met en oeuvre. La situation actuelle, et l'absence de pouvoir qui en découle, fait se radicaliser de nombreux conflits potentiels. Comme l’indique Bernard Duterme, sur le plan politique, les choses sont tranchées : « l’Etat mexicain, du parti unique qui l’incarne depuis les années 1920, le PRI, est rendu coupable de la généralisation de politiques de libéralisation économique et des mesures sociales inadéquates, et conçu comme le responsable des actes du gouvernement fédéré de l’Etat du Chiapas (clientélisme, soutien aux grands propriétaires, répression, etc.) »55 . Comme nous l’avons déjà précisé, la médiation entre le pouvoir et la population a été profondément affectée lors des réformes successives des années 1980, et cette dissociation entre les deux s’est relativement accentuée à la suite de la mise en œuvre de l’Alena. En 1994, le paysage politique ne partage plus grand chose avec celui du début des années 1980 : si auparavant aucune décision étatique nécessitant des relais dans la société civile pour être appliquée n’échappait au contrôle du PRI, « désormais le dialogue avec la société est direct et sans médiation du PRI entre le pouvoir et les associations spontanément issues de la société civile ». La configuration du système politique sort donc totalement bouleversée des changements économiques mis en œuvre par les gouvernements successifs depuis les années 1980. En outre, tant la « politique des pactes » de de la Madrid, que la politique de 55 DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”, in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006. 51 financiarisation de l’économie nationale de Salinas, auront œuvré à la désarticulation entre le PRI et sa base. Désormais, et malgré les tentatives de démocratisation, qui se sont d’ailleurs soldées par des échecs, le PRI ne peut plus prétendre avoir le monopole sur la société civile. La monarchie exercée par la « dictature » du parti institutionnel, face au marasme social qui se profile au Mexique, et en particulier dans certains États comme le Chiapas, doit désormais céder la place à un système de nature davantage républicaine. Dès lors, les partis d’opposition semblent être les acteurs qui vont être privilégiés par ces franges de la population qui ont été lésées pendant des décennies par le gouvernement autoritaire du PRI. Mais la situation n’est pas si évidente : en effet, et même si le PRD reste la principale force d’opposition de gauche à cette date, sa force d’emprise dans la société est plus que relative. De la sorte, et même si à l’aube de 1994 le système politique mexicain se soit quelque peu ouvert et modernisé, il lui manque toujours un parti capable de rassembler la gauche sur un projet actualisé, d'orienter et de canaliser les mouvements populaires. Dès lors, de larges secteurs de la population, les marginaux et exclus surtout, sont livrés aux organisations d'extrême gauche : c’est alors que l’EZLN peut faire surface. Aidée notamment par cette anomie d’acteurs politiques institutionnels, et favorisée par le discours moderne –ou modernisé- qu’elle véhicule, l’EZLN pense pouvoir en ce sens se proposer d’être la force qui tirera son épingle du jeu de cette situation, et surtout, celle qui s’imposera comme l’acteur politique défenseur des opprimés mexicains. 52 CHAPITRE 3. LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE AU ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE INTERNATIONALE. Le 1er janvier 1994 la nouvelle du soulèvement zapatiste dans le sud de la République du Mexique fait le tour du monde. L’EZLN semble donc avoir réussi à s’engouffrer dans la porte que le PRI a laissé ouverte dans sa chute aux enfers. Les zapatistes saisissent alors la possibilité que la nouvelle situation leur donne pour exprimer leurs revendications. Ainsi, l’EZLN va très rapidement essayer de se conforter une assise, afin notamment d’éviter d’être écrasée par la force. Pour ce faire, les zapatistes vont mettre en œuvre une excellente stratégie : au lieu d’affirmer la primauté d’une lutte indigéniste, le mouvement va s’ingénier au contraire à mettre en exergue l’envergure national du mouvement. Ainsi, la mise en valeur non ambiguë de la lutte pour la justice « pour tous les mexicains » donne à un pays longtemps muselé par un parti unique et omniprésent la sensation de pouvoir penser en un véritable changement. La population mexicaine, touchée dans son ensemble par la crise et la malaise social qui se fait ressentir davantage encore lors de la crise économique qui débute en 1994, va alors se positionner clairement en faveur des insurgés. Dès lors, et malgré les tentatives du gouvernement pour contenir le mouvement et la sympathie populaire chaque fois plus affirmée envers celui-ci, l’EZLN s’impose sur la scène nationale. Enfin, et dans le but de s’assurer une durabilité certaine, le mouvement va tout faire pour internationaliser le conflit. Pour les aider dans à réussir ce coup de maître, les zapatistes vont donc rapidement s’attacher à revendiquer l’identité indigène qui est la leur. Ainsi, s’il est certain que la menace que l’EZLN fait peser sur le gouvernement mexicain fait craindre à une déstabilisation de l’ordre national, l’intégration croissante de l’économie mexicaine et l’intérêt soudain de l’opinion publique internationale pour les insurgés indigènes mexicains va placer le Chiapas dans la capacité de menacer l’ordre international établi et promu depuis la chute du mur de Berlin. Les risques que font peser le conflit zapatiste sur la sécurité internationale notamment sont d’autant plus grands que certains tendent à concevoir le mouvement comme une véritable alternative extra-constitutionnelle pour la nation. 53 Section 1. La « guerre éclair » et ses conséquences immédiates, ou de l’éclatement du conflit à l’échec de sa contention et de sa désactivation : l’EZLN catapultée sur la scène nationale. Dès le 1er janvier 1994, les zapatistes vont rendre public la première déclaration de la Selva Lacandona, véritable programme qui détaille leurs intentions et leurs ambitions56. Face au gouvernement qui tente coûte que coûte de saper la légitimité des zapatistes et de feindre de garder sous contrôle la situation, les tentatives mises en place par celui-ci pour minimiser la situation seront un échec : comment un pouvoir jugé corrompu et autoritaire, pourrait-il, dans sa perte de vitesse, contenir une dynamique populaire qui tend à le dépasser ? Il semble que les chances soient plus que maigres. A Le détonateur du 1er janvier 1994 : la première déclaration de la Selva Lacandona et le combat des zapatistes « pour la nation mexicaine ». La déclaration de guerre de l’EZLN a lieu au matin du 1er janvier 1994, date de l’entrée en vigueur de l’Alena. Les zapatistes s'emparent de quatre localités importantes de l'Etat du Chiapas dont San Cristóbal de las Casas, Las Margaritas et Ocosingo, prennent possession de quelques haciendas, séquestrent leurs propriétaires, commettent des exécutions extrajudiciaires et célèbrent quelques rapides succès militaires contre l’armée mexicaine. Au matin du 1er janvier 1994, la population mexicaine découvre donc avec horreur, épouvanté par les relents d’images que les guérillas marxistes ont laissés dans leurs têtes, qu’une guérilla d’extrême gauche a éclot dans le sud-est du pays. C’est dans la première déclaration de la Selva Lacandona que les zapatistes font état de leurs griefs. Afin de présenter en toute objectivité le contenu, et donc de pouvoir par la suite pouvoir baser notre réflexion sur la base de ces propos –sans toutefois chercher à leur attribuer une valeur de vérité ou de mensonge-, nous avons étudié cette déclaration. Nous l’intégrons donc à nos annexes, afin de pouvoir y faire des vas et viens permanents. « Après 500 ans d’oppression et d’esclavage, et à la suite des guerres d’indépendances contre l’Espagne, contre l’expansionnisme des États-Unis, contre l’invasion française et la dictature de Porfirio Diaz »57, l’EZLN se donnait à être perçue comme la « prolongation de la Révolution mexicaine de 1910 et de la lutte d’Emiliano Zapata »58. Tout en soulignant sa 56 L’analyse que nous allons présenter par la suite, dans ce chapitre, fait référence à ce texte. Nous l’avons donc mis en annexe. Voir annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona, 1er janvier 1994. 57 Voir “Première déclaration de la Selva Lacandona”, annexe 3. 58 Idem, annexe 3 54 répudiation de la gestion du PRI et de l’application de l’article 39 de la Constitution59, en ce jour du 1er janvier 1994, l’organisation clandestine déclarait la guerre à l’armée fédérale mexicaine et à « un président illégitime »60. Dans cette déclaration, les insurgés faisait raison de leur acte, en énonçant notamment : "nous luttons pour le travail, la terre, un toit, l'alimentation, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix. Nous ne cesserons pas de nous battre avant d'avoir obtenu satisfaction et formé un gouvernement libre et démocratique pour notre pays"61. La diffusion internationale de la « déclaration de guerre » au gouvernement de Salinas, par le biais du réseau internet surtout, saisit le monde entier : aux yeux du monde, une « armée » de quelques milliers d’indiens mayas, munis ou non de véritables fusils, le visage souvent caché par un foulard ou un passe-montagne, avait eu l’audace de s’emparer de quatre localités importantes de l’Etat du Chiapas en vue d’exiger une réforme en profondeur des institutions mexicaines, une réforme qui ne serait pas cette fois si la nième réforme d’un cortège de réformes qui au final n’avait toujours rien changé pour la nation toute entière. Ce 1er janvier 1994, l’EZLN décida donc de passer à des objectifs nationaux : c’est pour la nation mexicaine que le mouvement s’élevait, et non pas pour défendre des intérêts particuliers. S’il est pourtant certain, comme nous l’avons déjà démontré au chapitre 1, qu’il s’agit d’une armée marxiste de communautés indigènes, il est d’autant plus sûr que dès la première déclaration l’EZLN préfère ne pas donner place à la priorité des revendications indigènes. De cette façon, l’organisation marxiste- indigéniste choisit de ne pas tabler sur le caractère national de ce soulèvement : il s’agit d’un « soulèvement au profit du peuple mexicain ». Au vue des éléments que nous allons présenter ci-après, il est indéniable que cette stratégie de l’EZLN, qui consiste à reléguer au second plan le caractère particulariste de l’organisation et à mettre en avant sa perspective nationale, va lui donner une force sans précédent, au grand dam du gouvernement. C’est cette stratégie notamment qui dans l’immédiateté va permettre à l’organisation de tirer son épingle du jeu et de trouver un écho très favorable au sein de la population nationale notamment. 59 Article 39 de la Constitution mexicaine : « La souveraineté nationale réside essentiellement et originairement dans le peuple. Tout le pouvoir public émane du peuple et s’institue pour le bénéfice de celui-ci. Le peuple a le droit inaliénable d’altérer ou de modifier la forme de son gouvernement ». 60 Par cette expression la Déclaration fait référence au Président Salinas de Gortari, dont les résultats aux élections de 1988 ont été entachés de suspections de fraudes. Voir annexe 3. 61 Idem, annexe 3. 55 B. L’absence d’alternative concrètes du gouvernement pour étouffer la rébellion : l’échec des manœuvres gouvernementales pour canaliser et absorber le conflit. Dès le 10 janvier, la Commission Fédérale pour la Réconciliation et la Paix au Chiapas est mise sur pied afin de tenter de désamorcer le conflit tout en évitant de réprimer la révolte par un bain de sang, ce qui, vu la popularité acquise à une vitesse fulgurante par le mouvement dans l’opinion nationale, serait une preuve de l’incapacité du gouvernement de Salinas. Dès le 12 janvier 1994, et à peine douze jours après le début des hostilités armées, une manifestation a lieu à dans la ville de Mexico pour réclamer l’arrêt des combats. Sous la pression nationale, et sous le regard du monde entier, le gouvernement de Salinas déclare un « cessez-le-feu unilatéral » et une loi d’amnistie en vue de négociations. La phase politique du conflit est donc dès lors entamée. L’affrontement des 2000 guérilleros de l’EZLN aux 24000 soldats mexicains n’aura donc duré qu’une dizaine de jours. Les bilans du conflit armé font état de lourdes pertes, de milliers de blessés, et d’exodes. La table de dialogue s’ouvre le 2 mars 1994. Sont conviés aux négociations le souscommandant Marcos, le Commissionnaire du Président - Manuel Camacho- et il est décidé d’un commun accord que l’intermédiation entre les deux parties sera assurée par le chef de l’Eglise catholique du Chiapas, l’évêque Samuel Ruiz. Les négociations débouchent alors sur un accord de principe qui comprend trente quatre engagements politiques et économiques concernant: la réforme de l’Etat, l’amélioration des conditions de vie des secteurs marginaux, les droits des indigènes, etc. Malgré la rapidité avec laquelle le gouvernement a du réagir face aux insurgés, il est pourtant certain que le gouvernement Salinas fut moins surpris par l'insurrection zapatiste que par son immense écho. En effet, depuis 1991 le groupe clandestin avait été parfaitement identifié, et les services de renseignements avaient déjà prévenu qu’il se préparait à une lutte armée dans la Lacandonie. En mai 1993 d’ailleurs, dans le camp retranché de Las Calabazas, les autorités firent la découverte des structures et des locaux qui serviraient au soulèvement. Enfin, en décembre 1993, à la veille de la levée de boucliers, le gouvernement pris connaissance de l’expulsion de la population des Cañadas qui s'opposait à l'EZLN. Depuis 1991, l’EZLN avait envoyé un certain nombre de signaux forts pour avertir le gouvernement de l’imminence de leur action. Pourtant le gouvernement n’en a rien fait. X avance l’argument selon lequel Salinas aurait préféré « laisser l'abcès mûrir dans l'espoir de mieux le vider ». Mais le 1er janvier 1994 les zapatistes prennent donc de cours le gouvernement, et le piège se referme sur ce dernier. Il est déjà trop tard pour le gouvernement pour tenter de régler cette affaire de manière silencieuse. De la même manière, il est certain qu’écraser l’insurrection ne ferait que sanctifier son chef, par le martyre et condamnation de la communauté internationale notamment. Dès lors donc, 56 le gouvernement se retrouve au milieu du guet, et les cartes sont en main de l’EZLN. Malgré tout, il est indispensable pour le gouvernement de donner des signes clairs à la population, et de montrer que le pouvoir central est toujours en pleine possession de son autorité, et ce, afin notamment d’éviter toute hémorragie que pourrait provoquer la révolte au sein de la nation. La riposte du gouvernement doit donc s’organiser. Pour tenter de sauver la « sécurité nationale » et la nation, mais surtout de se sauver lui, l’Etat décide de diviser la nation et de militariser la région dans laquelle s’étend le conflit62. Alors que les négociations sont en cours, et que le gouvernement tente coûte que coûte de reprendre du terrain sur les insurgés et d’étouffer le mouvement, les zapatistes aussi vont s’ingénier à mener des actions parallèles. Ainsi, et tout en faisant traîner en longueur les négociations, les zapatistes s'ingéniaient entreprenait donc de coordonner en sous-main l'activité des organisations populaires qui les appuyaient dans le pays. Face à l’attitude ambiguë du gouvernement, les zapatistes ne sont pas pressés de parvenir à un accord. En effet, selon eux, le pourrissement de la situation ne faisait que les aider, dans le sens qu’il leur permettait d’accueillir des soutiens de plus en plus forts de la population, et que d’autre part il servait aussi à précipiter la lente crise du régime. Mais un point d’ombre dans le mouvement des insurgés indigènes va tendre à redynamiser les positions de l’organisation : la population, chiapanèque notamment, ne s’exprime pas d’une seule et même voix. Ainsi, si de nombreuses communautés indigènes se déclarent en faveur des zapatistes, et prennent clairement les armes pour défendre leurs convictions, d’autres n’auront cesse de délégitimer le mouvement, et donc de perturber la lecture monolithique qui faciliterait sa visibilité. De la sorte, et afin de consolider le potentiel du mouvement, l’EZLN va devoir désormais s’attacher à trouver les moyens pour conforter les bases et les appuis dont elle bénéficient. Une nouvelle stratégie, qui permettrait à l’EZLN de ne pas laisser miner dans son action par des forces centripète, doit donc être mise sur pied. Section 2. La cristallisation de l’EZLN : de l’envergure nationale à l’envergure internationale. Afin de parvenir à s’imposer réellement dans le débat public, l’EZLN va tout mettre en œuvre pour consolider son travail. Dès lors, elle va s’attacher à s'ancrer solidement dans la société nationale. Comme nous l’avons déjà expliqué auparavant, le contexte national n’est pas au beau fixe pour le PRI, ce qui donne alors à l’EZLN une possibilité certaine de réussir 62 Les données statistiques montrent un gonflement croissant des effectifs de l'armée mexicaine depuis 1994 au Chiapas : de 170 000 militaires en 1992 l’effectif passait à 236 000 en 1996. 57 ce qu’elle a entrepris. Entre autre, le mouvement va bénéficier de la radicalisation des opinions suite à l’entrée en vigueur de l’Alena et à la crise économique qui s’amorce dès 1994. Pourtant, et bien que soutenue par une frange importante de la population, l’EZLN va souffrir du manque d’expérience démocratique de la population, qui amollir rapidement ses positions. Alors, et tout en s’appuyant sur les soutiens national tout de même conséquent dont elle dispose encore, et comme préparant ses arrières, l’EZLN va tout faire pour se donner une envergure internationale. C’est alors que le mouvement, tout en refusant de nier son identité marxisme bien trempée, va commencer à agiter le drapeau indigène ; comme pour susciter les intérêts d’une opinion internationale de plus en plus engagée en faveur de la protection des minorités et des opprimés. Enfin donc, l’EZLN réussi à se propulser sur la scène internationale. A. Briser la colonne vertébrale du système : se garantir un ancrage national par le recours à la société civile en son entier. Les zapatistes vont alors s’attacher à donner une visibilité réellement nationale au mouvement. Pour ce faire, ils vont mettre en lumière l’aspect inclusif et intégrateur de la lutte qu’ils entendent mener. Les réclamations formulées dans la première déclaration de la Selva Lacandona (cf. annexe 3), sont avant tout nationale. Les zapatistes entreprennent alors de bien mettre en valeur le fait que, malgré le fait que le mouvement soit composé essentiellement d’indigènes déshérités, s’ils demandent «le travail, la terre, un toit, l'alimentation, la santé, l'éducation, l'indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix » c’est avant tout, et selon les propres dires de la déclaration, « pour notre pays »63. Les zapatistes vont donc tenter de réussir un coup de maître : donner un ancrage national à une lutte menée par une organisation présentée comme marxiste et menée par des indigènes armés. La mise en œuvre de cette stratégie ne parait pas évidente au premier abord, mais très rapidement les zapatistes vont prouver la capacité et le potentiel extraordinaire de leur organisation. Dans leur entreprise de légitimation, les insurgés vont être aidés par un certain nombre d’éléments extérieurs qui vont contribuer à la réussite de cette stratégie. Au Mexique, les associations de quartier, les syndicats autonomes et les organisations populaires qui n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer sur le virage néolibéral du régime, et qui redoutent les conséquences néfastes de l'Alena, prennent fait et cause pour les insurgés. Cette position se justifie pour ces acteurs comme étant la conséquence adaptée à la mesure des félonies de Salinas de ne pas les avoir consulté et d’avoir préféré continuer à cadenasser la société dans 63 Annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona. 58 les carcans dans lesquels elle était enfermée depuis le début du siècle. La classe moyenne urbaine manifeste elle aussi ouvertement de la sympathie pour ce mouvement qui prétend combattre le PRI afin d'élargir les espaces démocratiques. L'intelligentsia fait elle savoir l'espoir qu'elle place dans ce sursaut populaire et sur lequel elle projette ses nostalgies nationalistes, ses préoccupations sociales et ses aspirations à une plus grande libéralisation de la vie publique. Tous ces soutiens publics extérieurs, qui se font surtout dans un premier temps en faveur de l’EZLN pour affirmer certes de la sympathie avec ce mouvement, mais surtout la rancune envers le style autoritaire et monarchique du gouvernement de Salinas, vont donc formidablement profité à l’EZLN. Mais pour autant, les zapatistes ne sont toujours pas assez forts et assez appuyés pour se permettre de réussir leur dessein. Le régime résiste. Les zapatistes, qui n'étaient pas parvenus à renverser le régime par les armes, ne réussissent pas non plus à provoquer l'effondrement en mobilisant contre lui la "société civile" : malgré les négociations qui sont menées, le régime continue de tenir tête à la nation et persévère dans ses efforts de contenir les insurgés. Cependant, une nouvelle donne politique va encore une fois venir donné raison aux insurgés : la crise financière et économique qui se profile déjà en 1994, offre de nouvelles perspectives. En effet, au Mexique les années d'élections générales tendent à se révéler critiques64. En 1994, une nouvelle débâcle financière est à redouter : la financiarisation de l’économie, priorité du gouvernement de Salinas, et l’insurrection du Chiapas vont précipiter la dévaluation du peso et son flottement boursier. La stabilité monétaire, fleuron de l’administration de Salinas est d’entrée de jeu mise à mal. Dès lors, le mouvement de polarisation croissant de la société se confirme: les manifestations et les mécontentements s’amplifie à mesure que la paupérisation et le chômage augmentent. La spirale de l'agitation populaire amène l’EZLN à exhorter davantage à l’union de la nation contre « l’imposteur » et son gouvernement et à rejoindre le mouvement des insurgés. Les évènements –auxquels s’ajoute notamment la répression orchestrée par le gouvernement- favoriseraient la relance de la guerre de libération nationale sur une base considérablement élargie. Dès le début de l’année 1994, l’EZLN se retrouve donc propulsée sur la scène nationale. Au fur et à mesure que les répercussions des réformes promues par le gouvernement de Salinas se font ressentir de manière négative par une population fatiguée d’un pouvoir monarchique allergique à se remettre en question, les sympathies affluent de la part de la grande majorité de la population. L’EZLN jouit très vite d’une côte de popularité, 64 A titre d’illustration nous pouvons citer le cas de l’année électorale 1976 (forte dévaluation de la monnaie) ou de 1982 (« crise de la dette »). 59 d’une base nationale élargie et d’un soutien de la population. Malgré tous ces éléments, la crise économique, si elle a fournit à l’EZLN un bassin de sympathie sans précédent, elle n'a pas radicalisé les opinions : la radicalisation et la mobilisation de la population va décroissant. S’il est sûr que, bien que conscients de l’estime de la population pour leur mouvement, les insurgés sont tout aussi conscients qu’ils ne doivent pas se laisser couper dans leur élan. Désormais, et afin de donner voie au « Tiers- Mexique », les zapatistes vont entreprendre, tout en restant dans une idéologie de référence nationale, de dévoiler le cri de la révolte indigène. B. Affirmer la singularité du conflit : se connecter à la sphère internationale par le biais de la première révolution humaniste du XXIè siècle. Ainsi, si les indigènes ne sont pas clairement mentionnés dans la première déclaration de la Selva Lacandona, ils n’y sont pas déniés pour autant. Lorsque la déclaration annonce que « nous sommes le produit de 500 ans de luttes »65, cette phrase peut prêter à confusion, ou tout au moins à double interprétation : fait-on référence à la découverte des Amériques et à l’exploitation organisée par les métropoles, ou fait on référence à la date de création de la nation mexicaine et donc au début de l’asservissement des indigènes par les autres secteurs de la population ? Sur ce point la déclaration reste muette. Mais compte tenu de la composition essentiellement indigène du mouvement, la résonance indigène de celui-ci est indéniable. Même si les zapatistes n’ont pas voulu révéler au grand jour cette caractéristique dès le début du conflit, afin sûrement de ne pas effrayer les populations qui pourraient croire à la volonté des indiens de remettre en cause les « acquis nationaux », et notamment de vouloir proclamer « une République maya ». Mais l’EZLN va très rapidement réussir, du moins partiellement car elle reconnaît au fond la légitimité d’une telle supposition, à couper l’herbe sous le pied des accusations du gouvernement et des franges les plus extrémistes et nationalistes de la nation, qui voient en l’EZLN le spectre de l’autodétermination et de la volonté des indigènes de faire sécession. Pour contrer ces arguments, l’EZLN va mettre en œuvre une entreprise de clarification de ses engagements. Si l’organisation reconnaît formellement que la majorité des indiens qui se sont levés en armes le 1er janvier 1994 sont des hautes terres chiapanèques, elle reconnaît aussi que ces individus, en fuyant les contraintes du milieu coutumier et ayant opté pour la modernité, se sont détachés de la condition indienne car ils en ont perdu les marqueurs culturels. Ainsi en 1994, la base sociale du zapatisme est comparable à celle sur laquelle repose Sentier 65 Annexe 3: première déclaration de la Selva Lacandona. 60 Lumineux au Pérou. Elle est formée majoritairement d'individus d'origine indienne mais qui ne sont plus Indiens, qui n'entrent plus dans aucune autre condition et que la société nationale, incapable de leur donner une utilité et de satisfaire à leurs aspirations, relègue dans les plus lointaines de ses marges. En ce sens, il est évident que l’on peut affirmer avec conviction que l'insurrection zapatiste est d'abord et avant tout un soulèvement d'exclus. Pour autant, les zapatistes se hasardent sur la piste du débat sur la thématique indigène, car ils reconnaissent aussi qu’elle est l’une des thématiques qui animent le plus l’action des zapatistes. Au Mexique il est vrai, la question de l’identité indienne est énigmatique tant les discours présentent l’essence de l’être mexicain comme étant fondée sur le syncrétisme : une conception qui croise les cultures originaires américaines et les traditions arrivées du monde européen et asiatique. Le métissage qui en résulte est saisissant, et les gouvernements ont soidisant tenté de préserver ce bénéfice national en pratiquant un « nationalisme unificateur et intégrateur ». Malgré la diversité des communautés, le Mexique s’efforcerait donc d’une part de ne pas créer une identification exclusive, mais surtout de révéler l’identité polyforme de la nation. La construction identitaire mexicaine qui en découle semble pour le moins innovante : l’édifice de « la mexicanité » résiderait dans le fait de faire coexister la modernité et la complémentarité des cultures. Il est donc déjà possible de comprendre pourquoi les zapatistes ont cherché à mettre en arrière plan cette donnée, tant en apparence la revendication d’un droit distinct des droits existants aurait blessé gravement la thèse du métissage. Lorsque les zapatistes déterrent la notion de droits des indiens, ils précipitent alors la question de l’unité de la nation ou des droits des indiens à être différent et à l’autodétermination. La défense de l’unité culturelle du Mexique est alors en jeu, et à ce jeu là il semble que la nation soit davantage du parti pris du gouvernement que des insurgés. Mais les zapatistes vont se révéler fins stratèges en exprimant clairement leur volonté expresse d’inclusion de « toutes » les cultures au sein de la nation mexicaine. Dès lors, l’EZLN met en exergue le fait que les indiens se battent pour expliquer que eux, sans vouloir cesser d’appartenir au Mexique, désirent avoir une identité propre et conserver leurs us et coutumes. Pour la population mexicaine, cette dernière donnée semble difficile à entendre : comment les zapatistes pourraient-ils prétendre à la fois appartenir à la nation, et à a fois prendre leurs distances avec celle-ci afin de respecter une organisation qui leur est propre et qui ne se retrouve pas dans l’identité nationale ? Afin de tenter de s’engager sur cette piste, et afin de montrer que la lutte des indiens obéit à une logique nationale, l’EZLN formule le fait que même si la révolte reste menée avant tout par des indiens, et que les droits de ces derniers sont évoqués, la situation lamentable qui est décrite dans la déclaration n’est pas propre qu’aux Indiens. La volonté de 61 « liberté, de justice, d’indépendance nationale, et de paix » trouve ses attaches avant tout dans le peuple mexicain. Ce que les indigènes en rébellion revendiquent est avant tout leur volonté d’être mexicain, mais tout en soulignant que cette option ne doit pas les priver de ce qui pour eux complète leur identité, à savoir : leur indianité. En tentant d’ouvrir le débat sur la thématique indigène les zapatistes vont trouver le moyen de se démarquer des concepts révolutionnaires du marxisme classique. En effet, c’est en cette stratégie que va résider l’un des principaux coups de maître de l’EZLN : l’affirmation de la volonté de construire une « identité plurinationale ». Dès lors, le mouvement peut être crédité d’un certain nombre de mérites. Tout d’abord, en présentant la lutte de l’EZLN comme la lutte des plus démunis, le mouvement a réussi à inclure les indigènes au centre de l’action, et donc il a réussit à amener la société et le gouvernement à prendre connaissance de la condition des indigènes. Ensuite, et tout en se servant de ce premier acquis, l’EZLN a aussi réussi à dévoiler aux yeux du pays la grande fracture qu’il y avait entre les indiens et les métis et la stigmatisation de ces premiers. Enfin, véritable coup de force, l’EZLN a réussi a commencer à ébaucher devant la nation la possibilité pour les indigènes de pouvoir revendiquer des droits qui leurs sont propres et distincts du reste de la nation, mais tout en restant activement inclus et présents dans cette même nation. C’est cet élément surtout qui, tout en dessinant la possibilité d’une première brèche dans le système politique, contribue et confirme l’EZLN dans sa lancée. Si la nation et le gouvernement ne sont pas prêts à concevoir et à accepter l’idée d’une double identification des indigènes, tant au monde mexicain dans lequel ils vivent que du monde indien duquel ils viennent, il faudra donc en déférer sur la scène internationale. 62 CONCLUSION PARTIE 1 La filiation de l’EZLN aura pendant un temps dérouté de nombreux analystes. En effet, même si l’organisation est finalement issue d’un étonnant mélange de tendances historiques ayant trait à l’indigénisme, au marxisme (ligne guévariste), et au christianisme (ligne libérationniste), il est évident que son identité ne se réduit pas à cela. De nombreuses variables sont ainsi rentrées en compte dans la définition du mouvement, et ont réorienté les stratégies qui l’animent. Cette multiplicité d’éléments qui composent son identité aura entre autre permis à l’EZLN de transformer un conflit local probable en conflit national. Ensuite, et si comme nous l’avons montré, l’EZLN a certes bénéficié d’un contexte propice, il est surtout apparu évident que l’organisation a avant tout su construire solidement ses bases, les faire mûrir, et s’assurer d’avoir mis toutes les chances de son côté afin de se tenter dans l’« aventure zapatiste ». C’est notamment grâce à cette conception de l’action que le mouvement a pu s’imposer comme nouvel acteur national et nouvel acteur au sein des Relations Internationales. Ainsi, si l’EZLN a réussi à acquérir une envergure nationale, il est certain que cela a à voir avec la transfiguration que les zapatistes ont su opérer « par la rencontre des marxistes urbains avec le monde indigènes, par l’affirmation en son sein d’une volonté d’émancipation féminine et, après le soulèvement du 1er janvier 1994, par la rencontre avec la société civile ». De la sorte, l’EZLN a su se rallier toutes les franges de la population nationale ambitieuses d’un changement et d’une rénovation des perspectives de société. A coup sûr, le mouvement a bénéficié sans aucun doute de la marge de manœuvre laissée par le PRI à la suite de son retrait progressif de la société. Du zapatisme militaire, au bout de ses possibilités depuis les premiers jours de l’insurrection, l’EZLN a cherché à faire émerger un zapatisme social, civil, ouvert et pluriel qui lui permettrait inéluctablement d’atteindre la sphère international66 Par conséquent notamment, la situation du pays telle qu’elle apparaît à la suite du soulèvement du 1er janvier 1994 donne à concevoir le mouvement comme une véritable alternative extra-constitutionnelle pour la nation, et donc comme une possibilité de remise en question l’ordre établi et donc de la sécurité nationale du Mexique. Au vu de l’intégration croissante des pays et de la logique onusienne de maintenir la paix et la sécurité dans le 66 Notamment car il lui permettait de se démarquer des mouvements de guérilla révolutionnaire traditionnels d’Amérique latine, et donc allait pouvoir susciter davantage d’intérêt. 63 monde, la situation au Mexique a donc tendu à projeter ce conflit sur la scène internationale. En outre, il est certain que la mise en scène de ce conflit et de la donnée indigéniste qui le caractérise ne sont pas sans avoir eu de conséquences quant à l’écho que le conflit a connu au lendemain de l’insurrection. En effet la communauté internationale avait déjà exprimée dès 1989 son intérêt pour la protection des droits des peuples indigènes67. Suite à l’insurrection zapatiste, il était évident que le maniement par les rebelles de cette identité n’allait pas laisser l’opinion publique internationale indifférente. Comme nous l’avons précisé en introduction, la reconfiguration du système international au tournant des années 1990 aura surtout abouti à l’ouverture de celui-ci à de nouveaux acteurs internationaux. L’importance de cette reconfiguration et les possibilités qu’elle offre va donc permettre à l’audace des insurgés, jugée dans un premier temps suicidaire, d’entrevoir une possibilité de s’imposer au niveau international, pour réussir notamment à exercer les pressions nécessaires sur le gouvernement national dans la perspective des changements demandés. Enfin donc, s’il est certain que grâce au conflit du Chiapas l’EZLN a réussi à se propulser sur la scène nationale et internationale, la durabilité de cette situation n’est pas assurée pour le moment. Ainsi, l’EZLN va devoir transformer le potentiel que lui offrait ce combat spécifique en véritable enjeu de lutte internationale. La deuxième déclaration de la Selva Lacandona va quant à elle définir, ou plutôt redéfinir la stratégie d’action des zapatistes, qui ont bien compris la potentialité qui s’est ouvert à eux après le conflit. La tentative d’amarrage durable à la société nationale et internationale était alors lancée. 67 1989 marque l’adoption par l’ONU d’une Déclaration Universelle des Droits des Peuples Indigènes. 64 SECONDE PARTIE: LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE L'ACTEUR ZAPATISTE AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL A LA CONSECRATION D'UN NOUVEAU TYPE D'ACTEUR. Lorsqu'un mouvement guérillero suscite un engouement retentissant... 65 Dans la première partie de notre étude, nous nous étions attaché à démontrer en quoi dès 1994 le Chiapas réussit à se frayer un chemin pour atteindre la sphère internationale. Cependant, nous nous sommes aussi efforcer de montrer que pour autant la propulsion du Chiapas sur la scène internationale n’était pas assurée sur le long terme. Ainsi, il en aurait suffit d’une manipulation (supplémentaire) du gouvernement de Salinas de Gortari pour réduire le mouvement à peau de chagrin. Alors, et même si les zapatistes avaient réussis à donner un enjeu national et mondial à leur lutte, il leur fallait désormais l’inscrire durablement dans la sphère internationale. Le génie qu’ils ont su mettre à l’œuvre pour réussir à court-court-circuiter les embûches qui lui étaient tendues, par le gouvernement notamment, semblait déjà être visible dans les premières actions qu’ils avaient menées. A l’avenir, il ne leur resté plus qu’a systématiser ce génie, et faire preuve d’innovation pour réussir à obtenir des résultats conséquents, et se proposer alors d’inscrire le mouvement au patrimoine des Relations Internationales. Les techniques de lutte, la stratégie médiatique et l’adaptabilité discursive sont quelques uns des éléments les plus forts qui vont tendre à donner à l’EZLN une originalité interne. Ainsi, si l’EZLN se démarque des autres mouvements de guérilla qui l’ont précédé, ces éléments que nous venons de citer y sont réellement pour quelque chose. L’originalité interne du mouvement va donc être un des aspects principaux qui va caractériser l’EZLN et le donner à voir comme un nouveau type d’acteur des Relations Internationales. Mais cette originalité de l’EZLN ne s’arrête pas là pour autant. Certes l’innovation quant à la structuration et à l’attitude de l’EZLN aurait pu être une donnée suffisante pour en faire un nouveau type d’acteur au sein des Relations internationales, mais cette originalité interne est renforcée par l’originalité externe indéniable du mouvement. Ainsi, le mouvement saisi pleinement le sens et les enjeux qu’offre la glocalisation, c’est notamment la maîtrise de ce processus et du recours fréquent qu’en fait l’EZLN, qui lui permet de tirer son épingle du jeu et de prendre pied sur la scène internationale. 66 CHAPITRE 1. LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION NOVATRICE ET ATTRACTIVE. Lors de la manifestation qui réunissait des millions de personnes à Mexico le 10 janvier 1994, le peuple décidait indirectement et sans trop le savoir, du destin de l’EZLN. Déterminé à ne pas laisser le conflit dégénéré en une âpre compétition entre prozapatistes et antizaptistes, l’opinion publique s’évertuait alors revendiquer l'intégration des néozapatistes au système politique mexicain. Considérant cette option comme non viable, l’EZLN, elle aussi résolue à solutionner la situation au plus vite, feint de ne pas se déclarer en faveur de cette logique. Dès lors, et le gouvernement oeuvra lui aussi en ce sens, la pacification du conflit commençait. Pourtant, la bataille n’était pas finie pour autant. Il s’agissait désormais pour l’EZLN de mener un véritable conflit armé pacifique. La question était de savoir les modalités qu’allait prendre un telle décision. La motivation de cette stratégie était simple : continuer le conflit armé serait improductif car cela ne ferait que susciter l’antipathie de l’opinion, et intégrer la revendication dans la voie institutionnelle ne ferait que suicider l’organisation. Dès lors, les zapatistes devaient veiller à mettre en œuvre une structuration interne suffisamment forte pour être capable de s’adapter aux évènements à venir et pour paraître ouverte et flexible quant aux négociations et aux dialogues qui pourraient être menés en vu de résoudre le conflit. L’inscription dans la sphère nationale et internationale du mouvement ne réussirait donc que s’il à se démarquer sensiblement des guérillas traditionnelles et à affirmer une identité propre. C’est en ce sens que résidait tout le défi interne pour les zapatistes. Section 1. De la capacité d’organisation interne à la stratégie de communication de l’EZLN : la construction de la personnalité publique du mouvement. L’originalité interne de l’EZLN est un des facteurs qui expliquent le mieux sa réussite, ou tout au moins le succès de sa propulsion sur la scène nationale et internationale. Ainsi, s’il est certain que le mouvement, afin de consolider ses bases et s’attirer les sympathies de l’opinion publique, a du de nombreuses fois adapter son discours et le réorienter vers des thématiques et des modes d’actions attractifs, il est indéniable que la configuration interne de l’EZLN, c'est-à-dire sa structuration, a été l’élément déterminant qui a permis et facilité la mise en œuvre de telles stratégies. Si en ses débuts l’EZLN a souvent été conçu comme une prolongation des guérillas d’Amérique centrale, comme un mouvement que « rien ne 67 différenciait des autres groupes latino-américains qui essayaient de reproduire la révolution cubaine par le moyen de la lutte armée »68, il est pourtant clair que lorsque l’on s’intéresse à la structure interne du mouvement cette affirmation apparaît comme plus qu’erronée. Ainsi, tant la structuration du mouvement que sa capacité d’ouverture, sa stratégie médiatique et son art de la mise en scène seront des éléments cruciaux quant à l’acquisition par l’EZLN d’une véritable personnalité publique à part entière et de sa figure de nouveau type d’acteur à naître au sein des Relations Internationales : un acteur flexible, ouvert au dialogue et qui sait tirer avantage d’une stratégie médiatique bien rodée, et qui alors se démarque des mouvements de guérilla latino-américains traditionnels qui l’ont précédés et qui paraissaient plus que tout retranchés dans leurs positions et réfractaires à toute remise en cause personnelle. Alors, c’est cette capacité de l’EZLN qui lui donne son originalité et qui lui permet de s’imposer comme nouvel acteur potentiellement international. Afin de démontrer ce que nous avons avancé précédemment, nous allons analyser une série d’éléments, qui nous permettrons alors de justifier notre perspective. Ainsi, il est indispensable d’établir dès à présent une distinction entre l’EZLN et d’autres mouvements de guérilla qui vont naître au Mexique à la même période. En effet, et comme nous l’avons précisé dans la première partie, s’il est sûr que l’EZLN est la plus connue des organisations d'extrême gauche qui préconise la voie insurrectionnelle, il est d’autant plus certain que celleci partage ces visées avec divers mouvements d’extrême gauche qui fleurissent déjà au Mexique dans les années 1980. A la même période en effet, il existe au Mexique une bonne vingtaine d’organisation du même genre qui fleurissent dans le pays depuis quelques années déjà: l’organisation “Commandant révolutionnaire armé du sud au Front” de Libération Villa, les “Forces Armées clandestines de Libération Nationale’, ou encore le “Parti révolutionnaire ouvrier clandestin-Union du peuple”, qui sont parmi les plus connues. Mais il est certain que toutes n'ont pas la même base militante, ni les mêmes moyens matériels ou la même capacité opérationnelle. Malgré tout, chacune à l'ambition de se donner une envergure nationale. En 1996 quatorze de ces organisations d’extrême gauche fusionnent pour donner naissance à l'Armée populaire révolutionnaire –l’EPR-, et tenter alors de passer à la lutte armée. Le 28 juin 1996, des attentats dans l’Etat de Guerrero mettent cette organisation en première ligne des médias. Dès lors, l’opinion publique et les médias pensent que cette toute dernière organisation n’est qu’un avatar de l’EZLN, que les revendications sont identiques, et que les méthodes d’action et de promotion du mouvement vont aussi être les mêmes Cependant, la 68 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 68 population comprend très vite que l’EPR n’est en rien la reproduction de l’EZLN, et alors que l’EZLN attire toujours de nombreuses sympathies, l’EPR elle ne réussit pas à émerger réellement et à s’imposer dans le débat public. Pour comprendre les désaveu de la population vis-à-vis de l’EPR, et saisir alors pourquoi l’EZLN continue d’attirer les sympathies, il est indispensable de s’intéresser aux caractéristiques des deux mouvements : en de nombreux points de leur organisation interne les deux organisations sont diamétralement opposées. Preuve en est qu’aux yeux de l’opinion, l’EPR véhicule l’image d’un mouvement de guérilla traditionnelle, alors que l’organisation interne de l’EZLN s’en éloigne. L’EPR, ou l’agitation dans l’Etat de Guerrero L’EPR est un mouvement guérillero du Mexique. Son bras politique est le Parti Démocratique Populaire Révolutionnaire. Sa première apparition publique remonte au 28 juin 1996, dans l’Etat du Guerrero. Cette « Armée Populaire » déploie ses activités dans une douzaine d’Etats du Mexique, dont principalement les États de Guerrero et du Michoacán, d’Oaxaca et du Chiapas. Sa première apparition publique fait suite à un acte affligeant en mémoire de l’assassinat de 17 paysans appartenant à l’Organisation Paysanne de la Sierra Sur (OCSS), dans le vado de Aguas Blancas, dans l’Etat de Guerrero, par la police mexicaine. Ce jour là, elle improvisa un acte de masse en commémoration de cette tuerie : quelques cent hommes et femmes, avec fusils AK-47 et AR-15 à l’épaule, et vêtis d’uniformes vert olive, de bottes et le visage recouvert, arborant le sigle de l’EPR sur le bras, descendirent les montagnes qui entourent le "vado" dd'Aguas Blancas. Ils lurent leur Manifeste, qui fut ensuite prononcé en nahuátl, et qui se terminait par le slogan suivant : « Justice, justice, justice ! ». Les personnes massacrées l’ont été parce qu’elles ont osé demander la justice, la démocratie et la liberté. « Dans ce pays il n’existe pas d’Etat de droit », et « face à la violence institutionnalisée, la lutte armée est un recours légitime et nécessaire du peuple pour restituer sa volonté souveraine et rétablir l’Etat de droit ». C’est en ces termes que l’EPR énonçait les cinq points suivants: 1. Pour le renversement gouvernement antipopulaire, antidémocratique, démagogique et illégitime, au service du grand capital national et étranger et des forces qui le soutienne, et ce, afin d’y substituer un nouveau gouvernement essentiellement distinct de celui qui détient le pouvoir aujourd’hui. 2. Pour restituer la souveraineté et les droits fondamentaux de l’homme. Cet objectif nous y parviendrons avec la participation du peuple et l’établissement d’une République Démocratique 69 Populaire, en exerçant le droit légitime du peuple à altérer ou modifier la forme de son gouvernement. 3. Par la réponse aux demandes et besoins immédiats du peuple, en réalisant les changements économiques, politiques et sociaux qui sont nécessaires. 4. Par l’établissement de relations justes avec la communauté internationale. 5. Par le châtiment des coupables qui pratiquent ou favorisent l’oppression politique, la répression, la corruption, la misère, la faim et les crimes de lèse humanité commis contre le peuple. L’acte de commémoration dura une vingtaine de minutes. Parmi les sympathisants il y avait plusieurs jeunes en uniformes, certains avec un accent indigène. L’un d’entre eux informa le public que le mouvement était déjà présent dans tout l’Etat de Guerrero, et qu’ils étaient quelques 500 intégrants prêts à mener la lutte. Dans le Guerrero, la « persécution, les condamnations, les assassinats, les massacres, les tortures et les disparitions continuent d’être, un an après la tuerie, la politique du gouvernement, situation similaire à celle qui en 1967 et 1968 a amené les commandants Lucio Cabañas Barrientos et Genaro Vázquez Rojas à prendre les armes contre l’exploitation et l’oppression ; cette expérience, l’injustice de la situation actuelle et l’esprit révolutionnaire qui les anima inspirent de nouveau la lutte du peuple mexicain ». C’est cette volonté de justice qu’essaiera de mettre en œuvre l’EPR. Cependant, quelques temps après cet acte de commémoration, si l’EPR apparaît faible, fragile et toujours peu soutenu par les populations, il est certain que les « méthodes de guerre » qu’il pratique y sont pour quelque chose. Synthèse élaborée à partir de plusieurs articles de journaux publiés sur internet, dont le quotidien mexicain El Universal Bien que l’EPR ait elle aussi voulu créer un site sur la toile et recycler certaines méthodes qui avait fait le succès de l’EZLN, elle n'a pourtant pas réussi à susciter en sa faveur une mobilisation comparable celle que l'EZLN a provoqué au niveau national et international. Si l’EZLN a davantage réussi, c’est surtout car elle est parvenue à combiner, non sans génie, l’ordinateur et, comme nous le préciserons dans un chapitre à venir, l’ONG. Enfin, l’EPR perd nettement en notoriété potentielle lorsqu’elle décide de faire l'aveu public de son idéologie marxiste alors même que le marxisme est passé de mode dans les milieux politiquement corrects. Cette erreur stratégique constitue sans doute une des plus lourdes erreurs de ce mouvement dont la politique de communication externe, au demeurant peu 70 expressive et mal ciblée, n’aura pas suffit à gommer les défauts et les imperfections structurelles qui gangrènent cette organisation. En plus de la qualité de sa stratégie médiatique, il est évident que la réadaptation stratégique de l’EZLN que nous avons déjà précisé dans la première partie, lui aura permis de lisser l’image du mouvement dont ses orientations stratégiques et techniques auront alors clairement servi à concentrer l’attention du public sur une organisation dont les base était déjà assainie et dont l’image qu’elle véhiculait ne faisait que prolonger celle d’une lutte nationale, inclusive et égalitaire qui caractérisait le mouvement. Sur tous ces points donc l’EZLN se distingue formellement de l’EPR et des autres mouvements d’extrême gauche qui fleurissaient au Mexique dans les années 1990. Cependant, et si cette la structure et les bases internes, surtout philosophiques et idéologiques, sur lesquelles repose le mouvement ont indubitablement servi à renforcer l’attrait pour cette organisation, il est tout aussi indéniable que la qualité du discours et de l’éloquence du mouvement quant à son fonctionnement et à ses objectifs a été déterminante quant à l’accueil que l’organisation a connu sur la scène nationale et internationale. L’art de la mise en scène du mouvement, particulièrement soigné, est à étudier avec grand intérêt. « L’imagerie de Marcos, avec son passe-montagne noir, sa visière et son foulard rouge, sa cartouchière, ses armes et ses pipes, qui signait ses communiqués « depuis les montagnes du Sud-est mexicain », et se présentait comme le sous-commandant Insurgeant, porte-parole du mouvement a été tout spécialement mis en scène ». Marcos a su à la fois attiré les dames de la bonne société, mais aussi respecter la plus fidèle tradition du caciquisme69 latino-américain. De nombreux observateurs du conflit admettent facilement le parallèle, souvent recherché d’ailleurs, entre le sous-commandant Marcos et le commandant Che Guevara, et qui sert formidablement le mouvement. Mais les zapatistes, tels de véritables professionnels de la communication, en plus de reprendre des images fortes et frappantes pour l’opinion publique, ne cessent de mettre en œuvre leur désir d’améliorer le potentiel que celles-ci recèlent en les réadaptant à la société actuelle notamment. Preuve en est, si dans les années 1950/ 1960, les organisations communistes avaient besoin de véritables commandants, à l’image du Che, désormais la configuration des années 1990 amène à préféré parler d’un « sous-commandant » Marcos, érégie du mouvement mais dont le grade évoque l’absence de suprématie de celui-ci sur les décisions et les actions de l’organisation. Les zapatistes, tout en reprenant les formules qui ont fonctionné dans le passé, ne cessent d’améliorer ces dernières 69 Le caciquisme peut être défini de la façon suivante : « réseaux de pouvoir et de clientèles locales dont dispose un « homme fort », le cacique, spécifiques à l’Amérique latine et à l’Espagne » (Encyclopédie Encarta). 71 et de leur donner un caractère davantage démocratique. Sans doute cette dernière donnée estelle aussi un aspect important de l’identité de ce mouvement, et explique t’elle la qualité d’organisation interne du mouvement. Même si Marcos n’est pas le seul et unique visage – caché- du mouvement70, son protagonisme est pour le moins avéré. Le succès discursif du sous-commandant Marcos est immense, et son analyse auto-ironique et auto-critique du mouvement et du rôle que celui-ci doit jouer dans l’histoire de son pays n’ont cessé de donner de l’intérêt aux « pensées philosophiques » du sous-commandant. Rafael Guillen Vicente, alias " sous-commandant Marcos " Né le 19 juin 1957 à Tampico, port industriel de l'Etat de Tamaulipas (nord-est du pays) sur le Golfe du Mexique, il grandit dans une famille relativement aisée de négociants en meubles. Après une scolarité dans un collège de Jésuites, il suit des études de philosophie à Mexico et devient professeur d'arts graphiques à l'université. En 1984, cet admirateur de Che Guevara rejoint le mouvement néo-zapatiste, où son autorité et ses qualités de pédagogue assurent rapidement son ascension. En 1993, sous le pseudonyme de Marcos, le "subcomandante" dirige le front sud-est de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) qui comprend le Tabasco, l'Oaxaca et le Chiapas. Information tirées de l’article « De Zapata au néo-zaptisme », En libre accès sur le site de la Documentation française Marcos est certainement une force incontestable pour l’EZLN. En effet, l’auto-analyse du guérillero cagoulé et de l’observateur coïncident, notamment dans la transformation du noyau guévariste armé du début en un nouveau mouvement social « pluriel, inclusif, antimilitariste, postcommuniste, indéfini et réflexif, identitaire et démocrate »71. De la sorte, et pour se distinguer par exemple des révolutionnaires latino-américains qui les ont précédés, ainsi que d’autres mouvements indiens du continent, les zapatistes ne cessent de garantir leur préoccupation de réussir l’articulation entre le respect des diversités et l’impératif d’égalité. Cette position les différencie également d’autres mouvements identitaires contemporains, séparatistes, repliés et souvent crispés dans la violence, attachés à défendre de mythiques 70 Cette affirmation est notamment appuyée sur les interventions de Tacho et Moisés : Le BOT Yvon, Le rêve zapatiste, Ed Seuil, Paris, 1997. 71 DUTERME B. et le BOT Y., « Le zapatisme c’est cela ou ce n’est rien ! », in La Revue Nouvelle, n°11, 1999. 72 identités homogènes. Mais l’agilité de l’EZLN et sa maîtrise du terrain médiatique ne s’arrête pas là : face aux accusations la présentant comme une guérilla importée d’Amérique centrale, l’organisation multiplie les références à l’histoire nationale et à ses symboles, face aux soupçons d’une « manipulation » tramée par des « professionnels de la violence » ils insistent sur le caractère indigène du soulèvement, et enfin, face à l’épouvantail de la sécession, le risque d'une nouvelle République maya, et la menace de l'intégrité nationale, les zapatistes se défendent avec un hymne, un drapeau et des références aux héros nationaux. Si les zapatistes ont opté pour faire directement référence à Emiliano Zapata, sait qu’ils savent le potentiel de mobilisation et d’accréditation que ce nom porte en lui. Toutes les données évoquées précédemment sont autant d’éléments qui confirment notre hypothèse de ce chapitre : l’EZLN dispose d’une formidable capacité de communication et d’organisation afin de récupérer et mettre en valeur les éléments qui fondent son identité et qui lui donnent un atout certain. L’EZLN est donc un mouvement au milles visages : un mouvement qui combine exigence éthique (justice), besoin de reconnaissance (liberté et dignité) et revendication politique (démocratie). En ce sens, et face aux crispations violentes d’acteurs identitaires, le zapatisme est une tentative d’articuler identités culturelles, modernité et démocratie. Michel Wieviorka déclamait d’ailleurs que les mouvement sociaux « qui correspondent le mieux à l’émergence du sujet, dans le monde contemporain, sont ceux dans lesquels […] la revendication de reconnaissance des particularités de l’acteur est associée à un combat destiné à réduire une domination sociale et à mettre en cause un principe de hiérarchie »72. C’est bien le potentiel intrinsèque de cet énoncé que les zapatistes ont su remettre en jeu dans leur lutte. En effet, la complexité du sujet zapatiste, à la croisée de l’ethnique, du national et de l’universel, éclaire sous un nouvel angle la possibilité d’être « égal mais différent ». Sur un tout autre registre, la portée du mouvement zapatiste, sa signification exceptionnelle, à savoir l’avènement d’une « antiguérilla » qui met fin au modèle guévariste- marxiste et léniniste de changement social, dans le but d’affirmer le projet démocratique au cœur de l’action collective. La force de l’EZLN réside encore notamment dans l’aptitude qu’a eue cette organisation armée à passer très rapidement d’une théorie léniniste de prise de l’Etat à l’affirmation de son désintérêt pour le pouvoir. Cette capacité de conversion dévoile elle aussi la logique qui caractérise ce mouvement : une logique qui tente coûte que coûte de remettre en question toute donnée acquise comme telle, et qui cherche à repousser jusqu’à leur confins les limites de l’enfermement dans un cadre conceptuel trop strict ou trop étroit. C’est peut-être 72 WIEVIORKA M., « Sociologie postclassique ou déclin de la sociologie ? », in Cahiers internationaux de sociologie, volume 108, 2000. 73 cette logique de fonctionnement du mouvement qui amène l’EZLN à faire se succéder plusieurs discours politiques plutôt qu’à amener ces discours à coexister. Le caractère novateur du mouvement est un des éléments fondamentaux de sa personnalité publique. Sur les questions qu’il posent, le mouvement affirme sans cesse sa capacité de remettre en cause ombre de problèmes qui ne trouvaient plus leur place dans un débat mexicain devenu stérile après plus de quatre-vingt ans de règne du PRI. Ainsi, une des principales revendications de l’EZLN se réfère à la question de l’Etat et de l’autonomie : leur vision libertaire, ou « libérationniste » du mouvement amène à remettre en cause le modèle jacobino- léniniste qui caractérise les mouvements traditionnels des guérillas latinoaméricaines, et préconise alors non seulement l’auto-organisation de la société mais aussi une inscription dans les traditions du nationalisme mexicain et les « luttes anti-impérialistes de libération nationale »73. Le second grief des zapatistes réside en leur demande instante de démocratie pour le Mexique. Malgré une certaine démocratisation du système politique mexicain, pour les zapatistes la situation restait insatisfaisante. L’existence d’injustices et la nécessité d’y remédier avant tout par l’instauration d’une « véritable démocratie » guidait la rébellion. Mais contrairement aux mouvements traditionnels l’EZLN « ne proposait pas un changement radical de la structure de l’Etat, un changement du régime de propriété ou un parti politique ». Comme le soulignait la première déclaration de la Selva Lacandona, les principaux ennemis à abattre était « la corruption et l’injustice » symbolisées par le Président de la République et le parti au pouvoir. Sur le point de l’autonomie comme de leur demande de démocratie, les zapatistes sauront montrer leur aptitude au dialogue, notamment en se refusant à toute inconditionnalité et en montrant leur inscription dans un cadre relativement large. Dès les premières revendications qu’ils formulent, les zapatistes s’ingénient à démontrer leur ouverture et leur volonté de dialogue afin de ne pas fermer le débat et renvoyer le Mexique sous le giron unique du PRI. Le caractère ouvert du mouvement et l’attitude de dialogue qu’il revêt sont observables dans l’analyse que nous pouvons effectuer des déclarations de l'EZLN rédigées entre 1994 et 2005. D’une part, et s’il est certain que les positions de l’EZLN ont été sensiblement réorientées depuis son éclosion en 1994, il reste certain que le discours du mouvement a toujours cherché à donner une priorité à la dynamique d’ouverture et de construction du débat politique et sociétal auquel l’organisation zapatiste voulait parvenir. Dans ces documents il est incontestable que le centre du discours ne tourne pas autour de 73 Se réfère à la transformation de la société par son propre biais : priorité à la rébellion à l’ouverture d’espaces civils de lutte, création de formes d’auto-organisation sociale, décentralisée et participative. 74 revendications de type « indianiste », mais que l’EZLN ouvre la polémique à la nation toute entière. L’EZLN n'est pas non plus un mouvement ethnico-nationaliste, qui équivaudrait les "nationalismes divisifs" crispés, caractéristiques de la seconde moitié du 20ème siècle 74. De la même façon, l’attitude de l’EZLN ne peut se comprendre comme une « simple stratégie de pouvoir appuyée sur le fait ethnico-régional différentiel ». En effet, dans aucune phase l’EZLN n'a demandé l'indépendance du Chiapas ou n'a soutenu un mouvement souverainiste dirigé exclusivement par des indigènes et régis selon leurs us et coutumes. Comme nous l’avons dit, ce que cherchent avant tout les zapatistes est d’améliorer le Mexique dans son ensemble. Dans leur point de vue, il faut adapter l'Etat et non pas s’adapter à lui. La « justice, la liberté et la démocratie », ne peuvent être défendue qu’au sein d’un « État de droit » -qui n'aurait pas de raison d'être dirigiste ou obèse- et de la construction d'une identité plurinationale. La similitude des propos zapatiste avec les recommandations de diverses organisations internationales75 est parfois frappante, et tout en révélant en partie leur aptitude à vouloir discuter de problèmes importants et reconnus d’intérêt public par ces dernières, placent les zapatistes dans la volonté pratique et l’ouverture. Ainsi, en vue de créer les conditions de réussite de l’avènement de sociétés plus justes, les zapatistes songent à améliorer l'Etat de droit au Mexique, et en Amérique latine plus en général. Le projet néolibéral, qui s’est généralisé en Amérique latine dans les années1990, a abouti à la détérioration de la distribution du revenu, ainsi qu’à la gouvernance et à la gestion démagogique des affaires publiques. Dans ce contexte certains auteurs, dont Francis Fukuyama76, que l’on ne peut en rien caractériser de progressiste ou de révolutionnaire, dans son ouvrage « La construction de l'Etat. Vers un nouvel ordre mondial au 21ème siècle », a souligné la nécessité d'impulser le fonctionnement des institutions dans le sein d’Etats solides. Ainsi, si Marcos apparaît comme un guérillero romantique marxiste des années 1960, camarade de Che Guevara, ses prétentions à être un citoyen du XXIè siècle se retrouve dans sa préoccupation de construire un monde démocratique. Selon Marcos, la dualité traditionmodernité est une forme de stéréotype bipolaire, excessivement réductrice, et qui ne permet pas comprendre la réalité du discours des zapatistes, davantage progressiste que rétrograde. Ce que Marcos vise, et que José de Vasconcelos exprimait dans le langage de "race cosmique", est l’avènement de sociétés plurielles, pacifiques et libres, qui s’épanouiraient au sein de véritables entités démocratiques. Ce que Marcos soulève de forme claire c'est la 74 A titre d’illustration, nous pouvons citer ici les exemples de l’Irlande, Pays basque, Québec, Corse, etc. A l’instar du PNUD et de son étude sur « L’état de la démocratie en Amérique latine, vers une démocratie de citoyennes et de citoyens », 2004. 76 FUKUYAMA Francis, La construction de l'Etat. Vers un nouvel ordre mondial au 21ème siècle, Editions B, Barcelone, 2004 75 75 nécessité de partir de la reconnaissance de l'existence des différences culturelles pour pouvoir construire un État de droit plurinational et véritablement démocratique. Mais dans le cas du Mexique, le grand problème réside en l’affrontement entre la tradition juridique libérale, qui reste basé sur le droit individuel, et les traditions juridiques de nombreuses communautés ethniques originaires basées sur des droits collectifs des peuples. Le véritable défi est donc celui de réussir la conjugaison entre démocratie et reconnaissance de l’existence de valeurs plurielles au sein de la nation. Un défi qui marque donc son inscription dans un réformisme ouvert que dans un conservatisme aveugle et crispé. C’est donc en s’appuyant sur une structure interne innovante, adaptée aux nécessité de son époque, que l’EZLN a réussi à créer les conditions de son éclosion et à faire d’un conflit probable un conflit certain. Les ingrédients « organisationnels » internes à l’EZLN ont une importance centrale dans cette réussite. Si les zapatistes ont réussi à transformer les conditions objectives du conflit en véritable action, cela n’aurait pas pu se faire sans la haute capacité d’organisation du mouvement et le leadership résolu de Marcos. C’est donc surtout grâce à l’avantage que lui a accordé sa structure organisationnelle flexible, démocratique et visionnaire, que l’EZLN a pu adopter des positions souples et donc réussir non seulement à se démarquer des autres mouvements d’extrême gauche, mais aussi à rénover le combat politique au Mexique, et somme toute à s’attirer de nombreux appuis dans l’opinion publique. Enfin, si la stratégie de communication zapatiste est une des raison de leur succès planétaire, pour un temps tout au moins, d’un point de vue plus pratique il est indéniable que cet élément aura donné à l’organisation une puissante capacité de dialogue. Section 2. La capacité d’action de l’EZLN : de la capacité de dialogue du mouvement aux premières avancées sur la scène nationale. La mise en œuvre par l’EZLN de la stratégie que nous avons précédemment expliquée va lui permettre de réaliser certains résultats plus qu’encourageants du point de vue des changements qu’elle peut se proposer d’atteindre. Ainsi, en passant de la rébellion armée à l'alternance politique, l’EZLN n’a cessé de s’attirer les sympathies de l’opinion, mais surtout elle a pu participer à la résolution partielle du conflit. La démocratisation de la vie politique chiapanèque semble alors engagée. Le processus vise à terme à réparer les injustices et à promouvoir une nouvelle façon de prodiguer plus de justice au Chiapas. Cette rénovation du système devrait donc automatiquement passée par la rénovation de la sphère politique sinon nationale, du moins régionale. Cependant, l’attitude archaïque du gouvernement, qui va 76 vouloir mener en sous-main une résolution différente du conflit, va pousser l’EZLN à réorienter ses choix d’actions. Ainsi, au lieu de se retrancher dans ses positions, et comme pour faire face à la malice du gouvernement, l’organisation zapatiste va devoir repenser son discours et ses méthodes d’actions, mais tout en restant dans le pacifisme bien évidemment. Encore une fois, cette démonstration à venir montrera l’importance de la structuration interne de l’EZLN qui lui permet, entre autre, d’actualiser et de réorienter très facilement et très amplement ses positions. A la suite du soulèvement des insurgés zapatistes en janvier 1994, les analystes politiques vont commencer à évoquer la possible fin de l'hégémonie du PRI sur le pays et sur la région. Ainsi, le soulèvement de l’EZLN a eu des répercussions graves et directes sur le système politique. En effet, il est patent de constater l’effondrement de l'hégémonie du PRI dans la région après le 1er janvier 1994 : de 90% des suffrages exprimés en 1988, le PRI récupère seulement 49% des suffrages de 1994. Dans ces élections d'août 1994, les zapatistes ont soutenu le candidat du PRD -Amado Avendano Figueroa- au poste de gouverneur et ont contribué à canaliser la forte mobilisation populaire vers les élections générales de 1994. C’est une véritable “révolution électorale” qui se produit alors. Il est certain que la démocratisation timide de Salinas pour pallier son déficit de légitimité, et le contexte d'ouverture constitutionnelle qui cela aura permis, a largement favorisé cette “révolution”. Ainsi, s’il est sûr que bien avant la rébellion de nouveaux acteurs politique ont émergé et commencent à menacer la puissance électorale du PRI, il aura fallu attendre le soulèvement zapatiste pour que cette transformation s'accélère. Enfin, et même si l'EZLN n'a pas pris les armes pour obtenir la réforme électorale de mars 1994, sans le soulèvement celle-ci n'aurait jamais abouti. Au Chiapas la rébellion est alors ressentie comme telle, et trouve un impact inattendu : elle ouvre une période d'intense effervescence politique. En outre, la Création du Conseil Ethnique d'Organisations Indiennes et Paysannes (CEOIC), dès janvier 1994, facilite la convergence des associations populaires et la résurgence du mouvement paysan. Dès lors les conflits qui font suite à l’émergence de véritables débats participatifs et démocratiques se multiplient et aboutissent à la destitution de quinze maires PRIistes entre janvier et août 1994. Dès le début du soulèvement, et afin de prouver sa volonté de résolution des conflits pour le pays, l'EZLN invite la gauche mexicaine à participer à une "Convention Nationale Démocratique" –CND- pour le début du mois d’août 1994. C’est en ces circonstances que 77 Marcos appelle à voter "contre le système du parti-État" lors des élections générales à venir. Les manoeuvres misent en place porte leurs fruits, et facilitent la canalisation de la contestation vers les élections générales du 21 août 1994: 66% des chiapanèques y participent et les taux atteignent les 75% dans les fiefs zapatistes. Mais tant au niveau national que régional, ni Cauhtemoc Cardenas ni Amado Avendano Figueroa ne parviennent à rallier l'ensemble de l'opposition : le PRI est trop enraciné dans les rouages internes de l’Etat, et grâce à la puissance de la machine électorale de son parti le PRIiste Eduardo Robledo Rincon remporte la victoire au Chiapas et Ernesto Zedillo est élu président. La population, déjà échauffée par la contestation de l’EZLN, comprend l’enjeu de cette victoire. Le conflit postélectoral qui s’ensuit alors ne parviendra pas à redonner à l’EZLN et à l’opposition une reviviscence suffisante pour continuer dans leur ligne « révolutionnaire ». Le mouvement semble se ralentir. Fait marquant en est la mise entre parenthèse de la démocratisation chiapanèque. La population n’ayant pas réussi à se faire attendre clairement par le système, la réaction générale est au désenchantement croissant des chiapanèques. Dès lors, la mobilisation dans l’Etat du Chiapas connaîtra un fort recul, et accentuera encore d’avantage la crise déjà annoncée du mouvement social. La désaffection des électeurs déçus par les résultats de la mobilisation intense des mois précédents s'explique également par la prolongement du conflit armé, la militarisation croissante de l'Etat, la fermeture des espaces politiques, et enfin par la scission et la radicalisation des secteurs de gauche. Face à cette démobilisation, et tout en la comprenant, les zapatistes décident de changer de stratégie. S’ils ont appelé à voter pour le PRD en 1994, dès 1995 ils se sont abstenus. Entre ces deux dates les consignes électorales de l'EZLN étaient suivies par près de 50 000 citoyens77, ce qui révèle l’influence considérable des rebelles dans la région. Par delà la baisse généralisée de la participation dans l’Etat (voir tableau), c'est le retrait des zapatistes du jeu électoral qui expliquera le mieux que jusqu'en 1998 la démocratisation ait été mise entre parenthèse dans la zone du conflit. Dans les bureaux de votes majoritairement zapatistes, et si le PRI part d'une position moins favorable en 1991 et qu’il est débordé par les zapatistes en 1994 au profit du PRD 78, l’impact électoral du soulèvement reste cependant aussi fort qu'éphémère. En effet, le taux d'abstention élevé 77 Ces 50 000 citoyens sont répartis sur 18 municipes indiens des hautes terres (El Bosque, Chalchihuitan, Chanalho, Huxtan, LArrainzar, Oxchuc, Pantelho, Tenejapa et Zinacantan), de la foret Lacandone (Altamirano, Chilon, Las MArgaritas, et Ocosingo) et du Nord (Sabanilla, Salto de Agua, Simojovel, Tila et Tumbala). 78 Qui passe alors de 8,7% à 74,3% des suffrages exprimés entre 1991 et 1994. 78 qui suivra aux prochaines élections affaiblit le PRD et favorise le parti au pouvoir. La démocratisation chiapanèque est donc définitivement mise entre parenthèse pour le moment. Si les négociations qui ont débuté dès le mois de mars 1994 afin de procéder à la pacification du conflit et à la mise en valeur de la possibilité d’une voie de sortie digne pour les deux côtés en présence, es accords semblent esquisser une voie de sortie au conflit, les espoirs sont vite déçus. En parallèle aux Accords, les rebelles vont essayer de trouver leur salut en profitant de cette table de dialogue pour se créer une plate forme nationale et internationale, alors que le gouvernement local va lui tenter d’en profiter pour déloger les organisations paysannes-indiennes des terres occupées afin de les contraindre à des négociations parallèles. Le PRI tente de tirer partie de la pression qu’il est toujours à même de faire sur la base, et les accords agraires qui légalisent à terme la distribution de 243 191 hectares au bénéfice de 60 199 paysans sont révélateurs de cette attitude. Les bénéficiaires des largesses du gouvernement sont accusés de “traîtres” par Marcos, et dès lors l'alliance entre les zapatistes et l’organisation paysanne-indienne (CEOIC), désormais acquise au gouvernement, dégénère en une âpre compétition pour le contrôle des bases sociales. Le PRI semble dès lors avoir réussi ses desseins, à savoir: aboutir à la fragmentation du mouvement populaire en une véritable mosaïque de factions. En se retirant du jeu électoral, l'EZLN va certes céder les espaces aux alliés locaux du PRI, et ce dès la fin 1995, mais l’organisation formalise son contrôle politico-militaire dans sa zone d'influence, en créant notamment des municipes "autonomes rebelles". De la sorte, et même s’il est certain que l’attitude du PRI pour reconquérir les bases paysannes qui avaient affiché leur soutien à la rébellion y a beaucoup contribué, il est évident que cette dernière initiative exacerbe les conflits locaux car elle oblige coûte que coûte les bases à prendre position. La polarisation extrême que cela induit aboutit à des affrontements et des expulsions violentes de civils. Désormais, l’EZLN doit donc faire face à l’agressivité du gouvernement qui mène de manière sournoise des pressions sur les bases favorables au PRI. Par conséquent, et comme le mouvement a déjà pâti de la démobilisation populaire, il décide de redynamiser le combat en faisant passer le concept indigéniste au premier plan de ces revendications. C’est alors un moment clé de l’évolution interne de l’EZLN. La création du Comité Clandestin de Révolution Indigène (le CCRI, en janvier 1993), indique depuis longtemps la perspective de transformation sociale que promeut l’EZLN, par la mise en valeur de la dimension indigène notamment. Cependant, et dans le but de ne pas nuire à la visibilité des objectifs nationaux du soulèvement par la mention d’intérêts particuliers, il faut noter que la « dignité indigène » a 79 été d’abord relayée en second plan dans les déclarations de la Selva Lacandona79. Dès lors les zapatistes vont donc s’attacher à mettre en œuvre une entreprise de revalorisation de la dimension indigène du mouvement. Restée en sommeil pendant un temps, la dimension indigène du mouvement –sa « vocation » selon certains- deviendra par la suite un concept clé dans le discours zapatiste. La stratégie de l’EZLN est désormais offensive. Il s’agira d’insister sur une dimension indigène qu’elle jugeait auparavant nécessaire de subordonner aux objectifs nationaux. Si la transition forcée de la lutte armée à la lutte politique a amené à rendre omniprésent la thématique indigène, les circonstances dans lesquelles se retrouvent l’EZLN dans le courant des années 1995 et 1996 vont l’amener à renforcer ce choix. Le dialogue qui s’est établit à San Cristobal dès le mois de mars 1994 reste sans précédent pour « l’indigénité » : dès lors qu’elle ne peut plus compter sur une insurrection nationale, l’EZLN doit se rabattre sur les moyens dont elle dispose. Les évènements vont donc amener l’organisation à réaffirmer que le caractère indigène fait partie de ce qu’elle est et, au lieu d’être maintenu au second plan, il est remis en évidence. La reformulation qui s’est alors opérée est décisive pour le mouvement. Afin de donner davantage de visibilité et de chance de succès à la nouvelle stratégie, l’EZLN mise donc sur la thématique indigène. Cependant, l’excessive identification du mouvement à la question indigène ne sera pas sans impact, et contribuera notamment à lui faire perdre une part de son impact national. Malgré tout, il est sûr que dans un contexte de perte d’influence tel qu’il était engagé, l’EZLN a su trouver une stratégie qui lui permettrait de redynamiser les sympathies dont elle bénéficie. Par conséquent, et afin de réussir à consolider son poids national et à stopper l’hémorragie de soutiens, le mouvement va s’évertuer à redonner toute sa place à la revendication ethnique. Section 3. De la capacité d’adaptation de l’EZLN à la revalorisation de la thématique indigène : du Chiapas objet au Chiapas sujet de la mondialisation. Avant d’aborder ce point, il faut préciser que la nouvelle stratégie de l’EZLN laisse appréhender clairement l’adaptation extraordinaire des ressources tant organisationnelles qu’idéologiques du mouvement. Marcos s’affirme dès lors comme une de ces « élites marginales »80 du mouvement, porte-parole des indigènes, et qui invite à débattre et à 79 Voir en annexe dans la “Première déclaration de la Selva Lacandona”. Annexe 3. SKOCPOL T., « A structural analysis of social revolutions », in J.Goldstone (dir.), Revolutions: theorical, comparative and historical studies, San Diego, CA, 1986. p°84 à 86. 80 80 reconstruire les opinions sur l’identité indienne. Le sous-commandant Marcos adapte donc son travail politique, son discours et ses objectifs aux réalités et aux rapports de force du moment. En effet, il est surprenant de voir de quelle façon il a réussi à modifier substantiellement ses positions de départ après la redéfinition et la réorientation que les circonstances ont imposées au mouvement. C’est donc le discours du sous-commandant Marcos, interlocuteur médiatique privilégié dans le conflit, qui dévoile le plus le repositionnement de l’EZLN. Si certains ont vu en lui la continuation anachronique d’un guérillero du milieu du XIXè siècle, d’autres, surpris par la capacité discursive de Marcos, ne cessent d’affirmer qu’il s’agit bien au contraire d’un révolutionnaire du XXIè siècle, fin stratège et excellent analyste. Dès lors, l’originalité et la capacité interne du mouvement ne sont plus à démontrer. De même, il est certain que ces éléments placent l’EZLN comme nouveau type d’acteur du XXIè siècle. Le discours revendicatif de Marcos n’a cessé d’évoluer au cours du conflit. Son véritable coup de maître est d’avoir réussi à faire changer les idées du zapatisme au cours du temps. Les principales déclarations de l’EZLN et les discours du sous-commandant mettent clairement en lumière cette affirmation. Le caractère « postmoderne, extraordinairement original et créatif »81 du mouvement, constamment reconnu par les observateurs, se comprend mieux à l’aune de ces faits. Ainsi, l’originalité de l’EZLN se trouve autant dans la dynamique des répertoires d’actions, qui font appel au symbolique, au médiatique à l’expressif, que dans les pratiques de la rébellion, ou dans l’« hardiesse des ses positions, de son utopie, de son discours ». Tous ces éléments donnent entre autre une forte capacité d'adaptation du mouvement aux circonstances changeantes de la conjoncture. La révolution armée, teintée de marxisme, a débouché sur la réclamation pacifique et de forme immédiate d’une nouvelle constitution, de la réforme du système politique mexicain et de la remodélation de l'Etat nation. C’est ce qu’a tenté l’EZLN lorsqu’elle a essayé de se convertir en front politique (FZLN) pour impulser la réforme de l'Etat, réclamer les droits de l'Homme et une véritable justice démocratique, afin de capter la scène internationale. Dans le contexte d’après-guerre froide, la mobilisation de la société internationale pour ces thématiques aurait du donner à l’EZLN un réservoir de soutien. Mais il est certain que la force du gouvernement mexicain pour écarter la voix du mouvement et la relayée en second plan aura été un des éléments d’échec de cette tentative de coup de force de l’EZLN. Dès lors, il fallait au mouvement une nouvelle stratégie afin de permettre la survie de celui-ci. 81 GONZALEZ CASANOVA P., Los zapatistas del siglo XXI, Publication OSAL, n°4, 2001. 81 La stratégie d’adaptation de l’EZLN ne doit pas pour autant être comprise comme une trahison à des idéaux ou comme la démonstration de l'échec d'un programme d'action. Cette adaptation du discours aux circonstances changeantes, quoique jugée opportuniste par certains analystes, a été pour l’EZLN la seule façon faire face à la machine en marche de l’appareil d’Etat pour écraser la rébellion. L’art de Marcos en terme de communication et de publicité du mouvement est indéniable, et est un des éléments fondamentaux qui aura permis à l’organisation de tirer son épingle du jeu et de s’assurer d’une durabilité plus forte. En effet, c’est avec habileté que le chef insurgé a mis en scène l'image de l'Indien victimisé, a manipulé la figure de héros nationaux, à l’instar de Zapata, et a joué sur des symboles patriotiques et religieux entremêlés. « Il recourt au langage évangélique aussi bien qu'à un pastiche de l'éloquence indigène, avec ses répétitions, ses métaphores et ses métonymies »82, assure Pitarch pour tenter d’expliquer le succès de la nouvelle stratégie du mouvement. Si cette importance donnée à l’image du mouvement a parfois énervé, et a amené certains auteurs à formuler cet état en affirmant que « le but recherché de Marcos n'est pas de convaincre par une argumentation logique, mais de provoquer l'émotion », il est certain que c’est cette image qui a permis de redonner une voie à l’EZLN et de lui assurer un nouveau bassin de soutien peut-être davantage stable: grâce à sa rhétorique et à son talent théâtral, grâce aussi au parti qu'il sait tirer des moyens de communication les plus modernes, il gagne très tôt la bataille de l'opinion publique ». L'image de l'indien que l’organisation manipule et diffuse en recourant aux techniques les plus modernes de l'information lui vaudrait en effet des sympathies nationales et internationales, ainsi que le soutien d'un réseau planétaire d'ONG qui aura lui une double utilité : d’un côté drainer d'importantes ressources vers le Chiapas insurgé, et de l’autre offrir à l’EZLN des canaux de diffusion aux capacités incommensurables. Face à cette tentative de l’EZLN de « recycler » la thématique indigène afin de reprendre les devants, le gouvernement s'attache à reconquérir la population. Dès 1995, et plutôt que de reconquérir les territoires, l’Etat s’adonne à ramener vers lui la sympathie de ceux que le discours zapatiste indigéniste pourrait attirer. Pour ce faire, il va d’une part limiter le recours à la force, et d’autre part mettre en vigueur des programmes d'aides sociales. Les effets de ces derniers seront souvent jugés trop lents, et surtout cette logique d’assistance n’est accompagnée d’aucun plan de création d'emploi. Les populations chiapanèques se désistent alors en faveur de l’EZLN. 82 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 82 Les accords de San Andrés Larrainzan83, conclus en février 1996, faisaient porter la négociation sur la protection de la culture indienne. Souvent, ces accords ont été soumis à des interprétations maximalistes et minimalistes, qui en fin de compté ne faisait que dévoiler l’ambiguïté de ces accords et le fait que le gouvernement resté campé sur ces positions. A la suite de l’entêtement du gouvernement a n’accomplir que partiellement les accords, les zapatistes se résolurent à suspendre les négociation, et par la même occasion, le dialogue avec les pouvoirs publics. Profitant alors de sa capacité d’adaptation aux circonstances, l’EZLN tire alors profit des thématiques qui pouvaient le mieux amplifier son écho dans la société mexicaine, et ce, sans hésiter lorsque le cas s’est présenté, quitte à passer par la sphère internationale. Mais, point d’ombre pour les zapatistes, la teneur du combat repose sur un concept toujours flou et auquel ils n’auront jamais réussi à donner une définition précise. En effet, la notion de peuple indigène s’inscrit dans un débat assez large, et pour réussir à donner un sens à ce débat, il faudrait préalablement définir le terme. Certains définissent les peuples indiens comme « ceux qui descendent des populations qui habitaient sur le territoire actuel du pays en commençant la colonisation et qui conservent leurs propres institutions sociales économiques, culturelles et politiques ou en partie ». Mais cette définition pose certaines questions : en laissant si ouverte le critère de sa définition, on rend possible l’apparition de possibles tensions. De la sorte, le discours indianisant que tient le néo-zapatisme semble réservé à la communication externe du mouvement. L’analyse du discours montre que les revendications des zapatistes ont glissées d'un indigénisme classique –qui met en valeur les ethnies, les groupes ethniques, le fondement de la nation, et le caractère intégrationniste- vers l'indianisme –des peuples, des nationalités, de l’autonomie culturelle, économique et politique, afin de défendre l' « identité menacée ». C’est en ce sens que de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer la tentative du zapatisme de reprendre à son compte des débats hautement complexes, et, pour des raisons de stratégies relatives à la survie et à la percée de l’organisation dans l’opinion publique, d’avoir parfois complexifié le débat sur les droits et l’identité indigène. Désormais pourtant, et envers et contre toute critique, la lutte que mène les zapatistes n’est pas une lutte de classe, ou une révolte anti-étatique à proprement parler, mais selon les 83 Voir en annexe 8: “Accords de San Andrés Larraizán”. 83 discours adapté des zapatistes, un mouvement indien. L’action des zapatistes s'ancrera désormais pleinement dans la multiculturalité et le nationalisme mexicain. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’originalité du profil novateur de la rébellion se retrouve aussi notamment dans la nouveauté des formes d’organisation (démocratiques et horizontales), dans les valeurs qui sont défendues (dignité et diversité), dans les revendications (autonomie et reconnaissance), dans le rapport au politique (contre-pouvoir civil) ou dans les identités mobilisées (culturelles et sexuelles). L’originalité du statut de l’organisation et de ses pratiques a eu une importance vitale quant à la capacité de dialogue et d’adaptation du mouvement. Il est notamment certain que l’opinion publique, qu’elle soit nationale ou internationale, n’est pas en reste face à ces évolutions. L’auto-dévalorisation constante et souvent ironique de l’EZLN en tant qu’organisation instituée84, qui ne serait qu’ « une aberration » est un marqueur fort de la personnalité de cette organisation, et qui participe en tant que tel à lui donner une originalité certaine. La conscience aiguë affichée à l’autodérision quant aux limites de ses propres pratiques ne cesse de donner à cette organisation, d’abord présentée comme marxiste et guerrière et désormais pacifiste et indigène, un attrait certain auprès de l’opinion fascinée par l’aptitude de ce mouvement à évoluer et à se remettre en question. Les ingrédient initial du « cocktail zapatiste », aurait donc été revisité au fur et à mesure du temps, afin de ne pas perdre un bassin de « clientèle » indispensable au succès du mouvement. Si pour les zapatistes « la justice sociale reste l’étoile à atteindre », sa quête repose nécessairement sur la responsabilisation du pouvoir, la revalorisation de la démocratie et la construction d’espaces autonomes multiculturels au sein d’Etats pluriethniques et souverains. Autant de problématiques soulevées successivement par les zapatistes et qui ne cessent de donner un intérêt à l’action du mouvement. Enfin, s’il est certain que les caractéristiques flexibles de l’EZLN lui ont permis de s’adapter aux circonstances et de rester ouvertes quant à ses conceptions, il est certain que le mouvement a pu acquérir une envergure nationale et internationale parce que d’un côté, à la suite de quatrevingts ans d’hégémonie du PRI, les populations étaient avides de changements, et que de l’autre côté « le mouvement s’est développé parallèlement à la décomposition des idéologies du sens de l’Histoire et à la crise de la modernité », offrant alors à une population mondiale un espoir de voir se redynamiser des luttes désormais écrasées par la chape de plomb unipolaire. 84 La rébellion stigmatisation les formes traditionnelles du pouvoir, de l’avant-gardisme éclairé, du verticalisme décisionnel, de la confiscation de la démocratie par le leadership, des risques de la délégation, de la conception sacrificielle du militantisme, et tente de mettre en œuvre une organisation basée sur l’horizontalisme de décisions collectives, l’inclusion et la tolérance, et la reconnaissance de la diversité subjective. 84 CHAPITRE 2. L'ORIGINALITÉ D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION D'UNE MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET POTENTIALISER LES MERITES DES INSURGÉS. Les élections de 1994 ont donc mis en lumière l’avènement d’un jeu politique transformé. Désormais, la vie politique semble prendre réellement des apparences plus démocratiques, et la structuration de l’électorat parait se faire autour de 3 blocs : le PRI, le PAN, et le PRD. Aussi, il faut dès lors préciser que pour autant, il n’est pas si aisé de mettre un coup d’arrêt brut et définitif au PRI, tant il est facile pour ce dernier de mobiliser l’appareil d’Etat. De plus, il est généralement admis en 1994 que cet état de fait risque de perdurer, notamment car le Mexique ne dispose pas d’une fonction publique dotée d’1 statut garantissant son indépendance. Malgré tout, il est évident que l’opposition est de plus en plus forte au sein de la population mexicaine. Afin de renforcer l’assise nationale qu’ils semblent avoir déjà acquise, les zapatistes vont mettre en place une plate-forme nationale. Celle-ci devrait servir à leur donner davantage de lisibilité. Mais dans un jeu mexicain toujours dominé par les vieux réflexes autoritaires et rigides du PRI, l’EZLN va souvent se retrouver en perte de vitesse par rapport aux ambitions qu’elle se donne. Alors, et après avoir tenté pendant un temps d’avoir un dialogue fécond avec les autorités nationales, le mouvement se heurte à l’autisme déguisé du gouvernement. Ainsi, déçus par les faibles chances de changement que donnent les accords de San Andrés, les zapatistes décident alors de privilégier leur positionnement sur la scène internationale. Par le biais des instruments de la mondialisation l’EZLN va activer le potentiel international de la lutte. De la sorte, et aidés d’une technologie nouvelle, l’ordinateur, et d’une institution nouvelle, l’ONG, les zapatistes vont mettre en œuvre la construction d’une audience internationale solide et acquise à leur cause. La construction d’une véritable interface entre les zapatistes et la sphère internationale devient alors réalité, et les deux niveaux vont s’interpénétrer au point de faire bénéficier les zapatistes d’avancées considérable et d’une reconnaissance internationale. L’originalité externe du mouvement n’était alors plus à démontrer et était visible aux yeux de tous : autant sur le fond que sur la forme de ses engagements, l’EZLN s’affirmait comme un acteur détenant une véritable capacité internationale. 85 Section 1 : La création d’une plate-forme nationale : les débuts de l’amarrage de l’EZLN dans le cadre national … et ses échecs. Les accords de San Andrés Larraizan, seuls accords conclus à ce jour entre les zapatistes et le gouvernement, se furent au prix de laborieuses négociations qui prirent fin le 16 février 1996. La thématique « Droits et culture indigènes »85, qui fut privilégiée par rapport à d’autres, telles que « Démocratie et justice » notamment, indiquait dès lors la ferme volonté des zapatistes de consolider la lutte en s’appuyant davantage sur la base indigène que sur la base nationale. Cependant, et comme nous l’avons déjà précisé avant, la logique des zapatistes obéit à une double stratégie : inscrire leur mouvement dans la durabilité en évitant pour se faire d’être balayé du débat par la machine PRIiste, mais aussi de placer le débat indigène au sein de la nation, et ce, afin d’éviter d’accentuer la tension et les différences entre les divers acteurs nationaux. Par conséquent, la logique zapatiste ne relevait pas d’un paradoxe insurmontable, mais semblait être la meilleure stratégie, dans le sens notamment qu’elle lui permettait de se démarquer du gouvernement en se plaçant sur un domaine peu maîtrisé par ce dernier, mais aussi de continuer à inscrire activement sa lutte dans l’optique nationale. Début septembre de l’année 1996, les commandants rebelles décident de « suspendre » le dialogue. Face aux réticences gouvernementales à appliquer les conclusions de cet accord, et face au harcèlement militaire des villages et hameaux favorables aux zapatistes, l’EZLN décidait de rompre le « processus de paix ». Si Zedillo visait à miser sur le potentiel supposé d’une guerre d’usure, l’EZLN devait désormais miser elle sur une stratégie offensive, inclusive et efficace : il en allait de la survie ou de la mort annoncée du mouvement. De là, la construction d’une véritable plate-forme nationale. C’est en effet dans ces circonstances que l’EZLN s’appliqua à développer activement et à renforcer une plate-forme politique nationale qu’elle avait à peine esquissée jusqu’alors. Lorsque le sous-commandant Marcos s’exprime dans la deuxième déclaration de la Selva Lacandona, le 10 juin 1994, c’est avec un langage plus soigné, voire presque poétique, qu’il le fait, même si le ton reste ferme malgré tout.86 Dans cette déclaration il n’hésite pas à réaffirmer qu’ « il n’y aura pas reddition », et qu’il faut « en finir avec les fraudes, les vols, et l’inéquité » qu’ont favorisés les gouvernements PRIistes successifs. Selon les propos du leader, la Constitution d’alors ne reflète pas la volonté de tous les mexicains, et la tentative de rétablissement de la démocratie engagée par Salinas n’était que poudre aux yeux. Comment croire en ce « traître » qui s’est fait élire surtout grâce à la fraude que le PRI sait mettre en 85 Voir annexe 8. Ici nous nous réferons donc à la “Seconde Déclaration de la Selva Lacandona”, consultable en annexe 4 86 86 œuvre ? Dans cette déclaration Marcos lance un appel à la société civile, et ce, dans le but de mettre sur pied un véritable dialogue national. Afin de faire taire les critiques qui présenté le mouvement comme une utopie, Marcos est clair : s’il ne propose pas la création utopique d’un « monde nouveau », il se restreint à proposer la création jugée faisable d’un « espace libre et démocratique de lutte politique », moins fictif certes, mais davantage faisable. Pour ce faire, il est nécessaire d’établir une Convention Nationale Démocratique87 - la CND-, afin d’élire un gouvernement provisoire -ou de transition- pour élaborer une nouvelle constitution. Cette dernière revendication, qui s’inscrit dans la perspective d’une réforme jugée indispensable à la remise en cause en profondeur de ce « système corrompu », ne cesse de confirmer la stratégie nationale que le mouvement met à l’œuvre à cette époque. Dans la résistance, Marcos change clairement de ton, de contenu et de style. La priorité de l’EZLN est donc de changer le système politique, et cette volonté repose sur l’argument central des zapatistes, à savoir : Salinas et son parti étaient illégitimes au vue de la corruption et des injustices commises. Pour mettre en acte cette volonté, le mouvement nécessite la création de la CND. De la sorte, la stratégie belligérante des premiers temps se transformait en un plan constitutionaliste pacifique capable de réinventer la politique au Mexique. Les premiers jalons de la politique de création d’une plate-forme politique nationale étaient alors lancés88. Le 1er janvier 1995, les zapatistes publient la Troisième déclaration de la Selva Lacandona89. Cette déclaration commémore donc le premier anniversaire du soulèvement zapatiste, 1er janvier 1994. Les revendications qui y sont exprimées sont principalement les suivantes : il faut d’une part « renverser le gouvernement de Zedillo », entaché de fraude électorale massive, de violation des droits, et de « crime d’Etat », et d’autre part il s’agira de solutionner la « question indigène »90, toujours en suspens. Une des voies à privilégier, selon les zapatistes, pour réussir dans ce second point, serait l’introduction du modèle des « autonomies municipales », et l’instauration du Mouvement de Libération Nationale pour instaurer le gouvernement de transition qui aurait pour tâche de rédiger la nouvelle Carta Magna. Par la même occasion, et en réaction aux résultats des élection du 8 décembre 1994 dans l’Etat du Chiapas, et qui ont donné pour nouveau gouverneur le PRIiste Eduardo Robledo Rincon, la déclaration évoque aussi la nécessité de reformuler la loi électorale – nécessité présentée comme corollaire des revendications précédentes. L’accent est donc mis sur l’impérieuse exigence de transformation de la structure politique, économique et sociale 87 Le site internet de la CDN est hébergé à l’adresse suivante: http://www.cnd.org.mx. Nos propos s'appuient sur le texte de la seconde Déclaration de la Selva Lacandona, disponible en annexe 4. 89 En annexe 5: “Troisième déclaration de la Selva Lacandona”. 90 Idem. Dans “annexe 5”. 88 87 du Mexique. Comme nous l’avons précisé, l’EZLN faisait dépendre ce chantier d’une nouvelle plate-forme politique, le Mouvement de la Libération Nationale –le MLN-, qui consistait à organiser des assemblées paysannes et à inciter à la création de municipes autonomes. Le MLN servirait donc non seulement à garantir les droits et coutumes des populations indigènes, mais aussi à rédiger la nouvelle Constitution. Si la finalité du mouvement s’affirme dès lors comme nationale, et à la lueur de cette troisième déclaration de la Selva Lacandona il est impossible d’affirmer le contraire, les zapatistes n’oublient pas de tendre la main aux indigènes, à qui ils dirigent notamment certains actes. De la sorte, et tout en approfondissant l’idée de la création d’une plate-forme nationale déjà évoquée lors de la formation de la CDN, les zapatistes insèrent peu à peu l’idée de la défense des communautés indigènes qu’ils se font. Parallèlement à ce processus, un « gouvernement de transition en rébellion » a vu le jour au Chiapas. Peut-être, ce gouvernement de transition cherchait-il à contrer les attaques du gouvernement qui visait à déstabiliser l’avancée des zapatistes, dans la création et la formalisation de leur plate-forme nationale. En effet, et dès 1995, Zedillo tente de réduire la crédibilité de l’EZLN. Le sous-commandant est attaqué de manière frontale, et le fait qu’il ne soit pas d’origine indigène est clairement mis en avant lors de cette campagne de désacréditation. L’offensive de l’armée, qui freine les projets des municipes autonomes, vise elle aussi à contenir l’effort d’expansion de l’EZLN. Cependant, et face aux soutiens de l’EZLN dans l’opinion publique, le gouvernement est contraint à négocier : la négociation de paix s’entame le 21 avril 1995, et se fait par le biais d’une plate-forme officielle, la Commission Parlementaire de Concorde et de Pacification –plus connue sous le sigle de Cocopa-, et qui sera à l’origine des fameux accords de San Andrés Larráinzar, signés dans le village chiapanèque du même nom. Ce dialogue complexe et lent qui débute en 1995 ne trouvera d’issue qu’en février 1996. Ici, se ne sont pas les sorties de cet accord qui nous intéresserons (car nous les avons déjà évoquées), mais le processus de tractation parallèle mis en œuvre par les zapatistes alors même que les négociations était en cours. Ainsi, d’août à septembre 1995, en parallèle des négociations, Marcos convoquait à une « consultation pour la paix et la démocratie », pour écouter les pensées nationales et internationales sur le sujet débattu à San Andrés, et confirmer par la même occasion, au Mexique et au monde, que l’esprit de lutte pour la liberté continuait au Chiapas, mais que désormais il s’agissait davantage d’ « une bataille de mots, de dialogue, et non de force ou de fusils ». Non sans doute, les zapatistes faisait des négociations de San Andrés un motif à appeler la société civile à s’exprimer sur l’orientation et la teneur des négociations, et donc en l’espace de quelques 88 mois l’EZLN détenait à son actif deux tentatives de coup de force pour s’imposer dans le débat national et, en moindre mesure pour l’instant, international. Alors que les négociations de San Andrés étaient toujours en cours, et pour commémorer cette fois le second anniversaire de la levée en arme, l’EZLN publia la Quatrième déclaration de la Selva Lacandona le 1er janvier 199691. Dans le souci de redonner de la vitalité au mouvement, et face aux tentatives du gouvernement qui, en sous-main des négociations s'éreintait à discréditer l’EZLN, les zapatistes s’efforçaient dans cette déclaration de réaffirmer que les communautés du Chiapas n’étaient pas les seules en lutte, que le projet était avant tout national, et que somme toute le but ultime de l’organisation était la construction d’« une société plurielle, tolérante, incluente, démocratique, juste et libre dans une patrie nouvelle »92. Dans cette même déclaration, était annoncé l’avènement d’une « nouvelle force politique », le Front Zapatiste de Libération Nationale93 –la FZLN. La particularité de cette organisation réside surtout dans le fait qu’elle soit créée d’en bas, sans aspiration au pouvoir, et sans vocation à se convertir en parti politique. La logique du FZLN se résume alors dans la formule suivante : « mande obedeciendo ».La quatrième déclaration, dont les griefs devaient être solutionnés grâce à l’aide de cette « nouvelle force politique », contribua donc à affirmer le caractère national et inclusif de la lutte. La tâche principale du FZLN résidait donc apparemment à faciliter l’intégration de « tous les mexicains indépendamment de leur origine, de leur couleur, de leur langue, de leur sexe, de leur culture ou de leur religion ». Dans cette déclaration, et au vu des mesures qu’elle mettait en œuvre, Marcos démontrait sa capacité d’adaptation aux nouvelles circonstances. Les mots et le dialogue se convertissaient en son instrument principal, et Marcos confirmait que l’EZLN en avait définitivement fini avec les armes. Par cette occasion donc, et dans l’optique déjà annoncée de l’établissement d’une nouvelle constitution, l’EZLN émettait sa décision de mettre sur pied une nouvelle force politique pour inclure tous les mexicains, assurant par là même que la lutte pour les droits des communautés indigènes s’incluait dans une lutte plus ample pour la libération de tout le Mexique. Dès lors, la lutte était formellement ouverte à de nouveaux secteurs de la société civile. Cette impression sera confirmée plus tard d’ailleurs, lorsque les zapatistes admettront que le FZLN était un essai pour organiser la société civile dans le but ultime de transformer le système politique et économique du Mexique. 91 En annexe 6: “Quatrième déclaration de la Selva Lacandona”. Voir dans annexe 6, idem. 93 Plusieurs sites internet traitent du FZLN. Voir http://www.geocities.com/pagina_fzlnchih /pagina_nueva_7.htm, ou http://es.wikipedia.org/wiki/Frente_Zapatista_de_Liberaci%C3%B3n_Nacional 92 89 entre autre: Les accords de San Andrés resteront emblématiques de l’attitude schizophrénique du gouvernement à laquelle les zapatistes devaient faire face. Ainsi, si dans ses accords la plupart des souhaits des zapatistes étaient respectés, à savoir la sauvegarde des formes traditionnelles de vie des plus des dix millions d’indigènes mexicains, la concession de l’autonomie politique, la fourniture de ressources pour le développement socio-économique, l’engagement du gouvernement ne suffisait pas à faire oublier aux zapatistes que l’autonomie municipale y était mise à mal. Les accords restèrent donc invalidés par les zapatistes. Le gouvernement s’offrait donc le luxe de répondre favorablement aux zapatistes de manière publique, en leur concédant les changements nécessaires à résoudre une partie des problèmes, tout en manipulant en sous-main les ressources à sa disposition pour saboter les accords et garder les cartes en main. La seule solution viable pour revitaliser et redynamiser le mouvement, et tenter enfin de donner aux problèmes du Chiapas une solution viable, consistait alors à ouvrir son discours à l’extérieur, et à établir des connexions stratégiques internationales. Alors que le gouvernement s'est lui efforcé de cantonner le conflit armé sur les municipes les plus affectés par la rébellion, afin notamment d’éviter une poussée nationale trop forte de l'EZLN, le mouvement n’a cessé lui de chercher à étendre le conflit, ou tout au moins faire remonter les discutions locales au niveau de la société civile mexicaine dans son entier, ou voire à l'internationaliser. En effet, il faut préciser que la principale plate-forme mise en forme par les zapatistes jusqu’alors remontaient aux négociations entamées avant les accords de San Andrés, soit depuis mars 1994, et qu’elle s’était retrouvée trop enlisée dès février 1996. Mais heureusement pour les zapatistes, et dans un souci de clarté il est indispensable de préciser ce point, le zapatisme ne se réduit toutefois pas à ses interactions avec le gouvernement fédéral et aux avatars d’un processus de négociation embourbé. Pour leur propre survie, les zapatistes ont du développer des relations parallèles avec la société civile : ils tentèrent ainsi de mettre sur pied une plate-forme nationale, qui devait leur permettre de trouver des relais de dialogue et des canaux de revendications au cas ou le gouvernement essaierait de court-circuiter délibérément l’organisation. Mais la volonté sournoise du gouvernement qui pris place lors des accords de San Andrés, dévoilait aux zapatistes la limite de leur stratégie : même s’ils disposaient déjà d’un embryon de plate-forme nationale, celle-ci n’était pas assez mature pour faire face aux tergiversations délibérées du gouvernement. Ainsi, et face à l'enlisement et à la défiance du gouvernement, les zapatistes choisissent d’opter pour une redéfinition de leur stratégie d’action : si la négociation sur le plan national n’a pas eu les résultats escomptés, pour cause de « mauvaise volonté » de la part du gouvernement, et que la plate-forme nationale n’a pas suffit à faire suffisamment pression sur le gouvernement pour qu’il se 90 contraigne à mettre en place une solution viable au conflit, la seule solution pour redonner du dynamisme au mouvement et tenter de l’imposer dans l’agenda politique national, paraissait être un détour obligatoire par l’agenda politique international. Section 2 : La création d’une plate forme internationale : les tentatives de résolution de l’enlisement du conflit… et ses réussites. Afin donc de palier à l’impasse dans laquelle elle semblait se mettre petit à petit, l’EZLN décide dès l’année 1996 d’approfondir sa stratégie internationale et globale. S’il est certain que cette année là le mouvement se place de manière plus active sur la scène internationale, il faut rappeler que dès le début du conflit armé déjà, en janvier 1994, l’EZLN demandait aux organismes internationaux et à la croix rouge de surveiller et réguler les combats. L’écho international que va connaître le mouvement se révèle vital, et c’est notamment en période d’ « impasse » que cela apparaître plus clairement. Tout en faisant connaître aux yeux du monde la rébellion des oubliés du « miracle mexicain », l’EZLN s’ingénie donc à conforter son potentiel de pression sur le gouvernement. C’est donc ce que nous allons étudier ici. La campagne d’image et de communication mise en place par Marcos a largement participé à ce que la nouvelle du soulèvement soit connue de forme immédiate aux quatre coins du monde. En s’imposant comme la première révolution de l’histoire des temps qui utilisa Internet et l’image pour se faire connaître, l’EZLN se plaçait à la pointe de la nouvelle forme effective de la communication globale. Les caméras vidéo étaient devenues la meilleure arme de défense des zapatistes, et les images diffusées sur la toile internet de la lutte de ceux qui se soulevaient avec leurs fusils de bois, et leurs masques eurent un retentissement inattendu. N’ayant pas de capacité de feu pour faire face à l’armée mexicaine, les insurgés pouvaient seulement refuser les agressions de forme pacifique. Cette dernière donnée fut cruciale dans l’acquisition par le mouvement d’une personnalité et d’une reconnaissance, dans le sens où elle propageait l’image d’un mouvement guérillero pacifiste et conscient des défis de son temps. L’utilisation des nouveaux médias semblait alors être une perspective sans précédent pour les mouvements contestataires que les pouvoirs nationaux n’hésitaient pas à écraser en silence dans les décennies précédentes. Les zapatistes possédaient donc le génie de l’utilisation de ces nouveaux médias, et cette donnée octroyait au mouvement une personnalité toute particulière. Le mouvement apparaissait donc comme une révolution dans la révolution des médias, et au 91 vu de l’utilisation de ces nouveaux médias, le conflit ne peut pas se comprendre sans l’avancée spectaculaire des communications94. Face au fracas des négociations avec le gouvernement et à l’intensification de la violence, la seule solution viable aux yeux des zapatistes restait être l’internationalisation du mouvement. A la suite de l’avènement du monde unipolaire, les zapatistes ont su comprendre très rapidement, dans le nouvel ordre qui était annoncé, quelles étaient les valeurs présentes dans la raison d’être de l’organisation et celles que le nouvel ordre essayait de répandre bon gré mal gré autour de la planète : c’est ainsi que les zapatistes tentèrent dès lors de placer leur propulsion sur la scène internationale sous le signe de la défense des droits de l’Homme et de la démocratie. Afin de garantir que ses mots soient écoutés et jamais oubliées et encore moins tergiversées, Marcos décidait donc de s’appuyer sur une stratégie internationale. Au début 1996 en effet, l'intérêt que l'opinion mexicaine et étrangère portait à l'insurrection commençait à donner des signes de fléchissement. Dans le but de réalimenter cet intérêt, et comme pour marquer clairement la nouvelle ligne « internationaliste » du mouvement, l’EZLN décidait donc de commencer une série de déclarations à destination de la société civile internationale. Pour ce faire, l’EZLN émis la première déclaration de la Realidad en janvier 1996, intitulée « Contre le néolibéralisme et pour l’Humanité »95. Dans cette déclaration, Marcos se dirigeait aux « peuples du monde » : « indigènes, jeunes, femmes, homosexuels, lesbiennes, gens de couleur, immigrants, ouvriers, paysans ; les majorités qui forment les soutanes mondiales se présentent, pour le pouvoir, comme des minorités dont on peut se dispenser. […]. Le nouveau partage du monde détruit l’humanité […]. Contre l’internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons lever l’internationale de l’espoir. Une fleur oui, la fleur de l’espoir. Un chant oui, le chant de la vie »96. Dans cette déclaration Marcos convoquait tous les habitants de la terre à la première Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme –qui devait avoir lieu d’avril à août 1996 dans les « Aguascalientes » zapatistes. Cette rencontre devait servir à discuter les aspects économiques, politiques, sociaux et culturels de l’humanité, et ce, dans le but de construire à terme « un monde alternatif, juste, solidaire, pluriel, démocratique et divers ». La première conférence intercontinentale contre le néolibéralisme fut donc organisée en juillet 1996. A la suite de cette première rencontre, et content du succès de celle-ci, Marcos 94 Sur ce point voir divers ouvrages ont été publiés, dont entre autre : HALLOWAY J., Zapatista ! Reinventing revolution in México, Editions Y E Peláez, Londres, 1998. 95 Voir en annexe 7: “Première déclaration de La Realidad”. 96 Consulter annexe 7: idem 92 invita dès le 3 août 1996, par le biais de la seconde déclaration de la Realidad 97, à une nouvelle rencontre intergalactique qui était à prévoir pour la fin de l’année 1997. Lors de ces rencontres, et comme pour tenter de réussir son premier amarrage à la société globale, l’EZLN semblait revenir à l’idéologie gauchisante de ses débuts, et Marcos dénonçait ainsi « la mondialisation convertie le monde en un seul pays, les États nation se fragmentait à l’intérieur d’eux-mêmes en montrant ses frontières internes ». Face à ce constat négatif de la situation du monde, et tout en mettant en forme la logique inclusive du mouvement, Marcos réaffirmait la nécessité de bâtir « un monde fait de plusieurs mondes ». Cette dernière logique semblait alors similaire à celle de la reconnaissance revendiquée par le mouvement d’un monde indigène au sein du monde mexicain. Désormais, l’EZLN affirmait alors que sa nouvelle finalité consistait à réussir à contribuer à construire un monde meilleur, tout en affirmant que « ya basta ! Ca suffit ! Démocratie ! Liberté ! Justice ! Pour un monde meilleur ! »98. Pour réussir dans ses desseins, Marcos proposait même de bâtir un « réseau international de communication de toutes les luttes et résistances particulières »99. Sur le plan international, il semblait donc évident qu’à cette date les zapatistes étaient déterminés à mener une politique offensive d’amarrage à la scène internationale. La diffusion des griefs et des solutions que l’EZLN tentait d’apporter au conflit, fut relayée par un certain nombre d’intellectuels. En effet, chez les « intellectuels de gauche » et chez les activistes internationaux taxés d’ « antiglobalisation » le mouvement connaissait un succès certain. En outre, cet état de fait donnait au mouvement un avantage incontestable : il lui offrait un canal d’expression mondialisé. Parmi ces intellectuels, nous pouvons en citer un certain nombre : le directeur du Monde diplomatique, fondateur d’Attac et promoteur du Forum social de Porto Alegre, Ignacio Ramonet , le directeur général du Monde diplomatique, Bernard Cassen, le prix Nobel de la paix 1992 Rigoberta Manchú, le prix Nobel de littérature 1998 José Saramago, le linguiste Noam Chomsky, le politologue Alain Touraine, le sociologue Yvon le Bot, l’écrivain Elena Poniatowska, le romancier Maunuel Vàzquez Montalbàn, et enfin des penseurs mexicains comme Carlos Monsiváis, Carlos Motemayor ou Pablo Gonzalez Casanova, qui se dernier n’hésita pas à saluer la lucidité, « la pertinence universelle » et « la contribution au renouvellement de la gauche latino-américaine et de la 97 Voir en annexe 9: “Seconde déclaration de La Realidad”. Consulter annexe 9, idem. 99 Consulter annexe 9: idem. 98 93 pensée émancipatrice »100. Bien entendu, le mouvement connaît aussi ses détracteurs, à l'instar de Maite Rico et de Bertrand de la Grange par exemple101. Les réformes constitutionnelles proposées par la Cocopa le 29 novembre 1996, et qui faisaient suite au retrait de l’EZLN des négociations ouvertes avec le gouvernement, tentaient de préciser les propositions de solution du conflit : le pluriculturalisme de l’Etat mexicain, la libre autodétermination et l’autogouvernement des peuples indigènes sont les solutions mises en avant par la Cocopa afin de résoudre le conflit et d’éviter le processus déjà amorcé par l’EZLN de projeter le Mexique sur la scène internationale. Mais cette proposition de la Cocopa ne prenait guère en considération la radicalisation des positions des deux côtés des parties prenantes: d’un côté le Congrès PRIiste rejetait pour « inconstitutionnalité » les Accords de San Andrés, et de l’autre ceux-ci étaient aussi refusés par l’EZLN qui les jugeait trop minimalistes. Alors que sur la scène nationale l’activité de l’EZLN semblait enlisée et sans issue, la stratégie d’internationalisation commençait à donner des résultats. En avril 1997 a lieu la « première rencontre œcuménique pour la réconciliation et la paix au Chiapas », qui réunit les représentants des églises évangéliques et l’église catholique, se proposait d’ébaucher les premiers changements nécessaires à la résolution du conflit. De son côté, à la même époque, l’organisation humanitaire américaine Human Right Watch publiait son « Rapport sur la situation des droits de l’homme au Mexique »102, dans lequel elle fustigeait l’attitude du gouvernement mexicain vis-à-vis des insurgés et déplorait la triste situation dans laquelle se trouve le Mexique. Dès lors, les acteurs internationaux qui intervinrent pour appuyer la réalité du constat dressé par les zapatistes commencèrent à acquérir un véritable poids sur la scène nationale. A peine quelques mois plus tard, lorsque les citoyens furent appelés à renouveler leur confiance au gouvernement, lors des élections législatives du 6 juillet 1997, la sanction tombait: le PRI perdait la majorité absolue à la chambre des députés. Cette situation, inédite dans l’histoire électorale du Mexique, stigmatisait désormais la machine PRIiste qui se retrouvait dépossédée du monopole de la représentation, et souffrait alors encore davantage d’une détérioration de son image dans et au dehors du Mexique. La stratégie d’internationalisation commençait donc à donner des signaux d’impacts sur la scène nationale. Le 5 octobre 1997, d’importantes ONG françaises de Droits de l’Homme se 100 GONZALEZ CASANOVA P., Los zapatistas del siglo XXI, Publication OSAL, n°4, 2001. De la GRANGE Bertrand et RICO Maite, Subcomandante Marcos. La genial impostura, El Pais-Aguilar, Madrid, 1998. 102 Rapport consultable sur le site internet de Human Right Watch: www.hrw.org. 101 94 réunirent à Paris avec le Président Zedillo. A cette occasion, elles questionnèrent l’attitude de son gouvernement face à la situation des droits de l’homme au Mexique. Bien que cette tentative des ONG françaises puissent être perçue comme un acte d’ingérence à la souveraineté d’un pays sur son territoire, elle confirmait que désormais le gouvernement PRIiste ne pouvait plus se défausser de sa responsabilité internationale. Consciente des avantages que la nouvelle configuration lui offrait, l’EZLN allait dès lors apprendre à cultiver certains appuis stratégiques internationaux afin de maintenir vivant l’esprit de la lutte indigène du Chiapas. Une marche zapatiste est organisée à San Cristóbal à la fin de ce même mois d’octobre 1997 pour exiger l’accomplissement intégral des Accords de San Andrés. Cette action médiatique servait alors aux zapatistes à réaffirmer leur volonté de dialogue et de construction d’une paix sociale viable. De la même façon elle ne faisait que stigmatiser davantage l’attitude ambiguë du gouvernement mexicain à son égard et accentuait alors les possibles pressions internationales exercées sur celui-ci. Mais le gouvernement de PRIiste, habitué à gérer les affaires intérieures comme bon lui semblait depuis plus de quatrevingts ans, et jugeant l’attitude de l’EZLN comme une provocation, décidait alors de resserrer l’étau. En réaction, le gouvernement réanima de nouveau la violence envers les insurgés : preuve en est la tuerie de quarante-cinq personnes réfugiées à Acteal 103 le 22 décembre 1997. En ces termes, les zapatistes, excédés par le massacre n’hésitèrent à dénoncer ce massacre en diffusant leur réaction par les moyens de communications contemporains, et en lui donnant alors une envergure internationale. Tout en ayant pris conscience de l’erreur stratégique qu’il avait commise, et comme pour afficher sa volonté de suivre les recommandations de la Cocopa (qui appelait au pacifisme), le 28 février 1998 le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillen, annonça un « Accord étatique pour la réconciliation au Chiapas ». Très vite la supercherie de l’accord était démasquée, en particulier grâce au Parti d’Action Nationale –le PAN- et à la Centrale Indépendante des Ouvriers Agricoles et Paysans –la CIOAC- qui critiquèrent le positionnement unilatéral du gouvernement qui selon eux ne prenait pas en compte tous les secteurs touchés par l’ampleur des revendications que les zapatistes mettaient en avant, et qui donc continuaient de stigmatiser les positions infécondes du gouvernement. Lorsque le 5 mars 1998, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (la fameuse CIDH), après des mois d’observation sur le terrain, déclarait que le gouvernement mexicain n’avait pas fait les changements nécessaires pour protéger les droits de l’homme, elle contribuait sans aucun 103 La tuerie d’Acteal eu lieu dans le municipe de Chenalhó, Chiapas, México. 95 doute à accentuer la pression internationale que les zapatistes avait réussi à mettre en place sur le gouvernement, et à laquelle le gouvernement était désormais indéniablement soumis. Face à cette pression internationale, le gouvernement décidait de changer sa stratégie : il s’attelait désormais à sous-estimer le nombre de personnes inscrites dans le « problème du Chiapas » et à minimiser la situation. En avril 1998, c’est ainsi qu’il justifie sa politique lorsqu’il démantela le municipe autonome Ricardo Flores Magon104. Dans cette situation, le gouvernement rappelait que le Mexique n’acceptait aucune admission d’étrangers au Chiapas, et ce, notamment pour éviter que ce territoire ne se convertisse en un lieu de « tourisme révolutionnaire ». En mai 1998 s’en suivit alors le démantèlement du municipe autonome « Tierra y Libertad », et la détention de cent vingt observateurs italiens. La stratégie du gouvernement était donc claire : par ces actions, il tentait coûte que coûte de montrer au mode sa volonté de rester maître chez lui, et donc de se défaire des pressions internationales et autres processus qui pesaient désormais trop lourd sur lui. Mais le gouvernement semblait alors ne pas prendre conscience de l’ampleur du processus dans lequel il était désormais fait prisonnier. En réponse à ces attaques, l’EZLN décida donc stratégiquement de s’appuyer de nouveau sur les institutions internationales. C’est en ce sens notamment, que le Parlement Européen proposait l’installation d’un observateur de droits humains au Mexique, et dont le siège se situerait à San Cristobal. Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) se proposait quant à lui de donner de l’aide aux populations civiles du Chiapas. En juin 1998 Mireille Roccatti Velázquez, alors présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, demanda non seulement au gouvernement fédéral la réorientation des camps militaires dans les zones de la Selva et du haut Chiapas mais aussi le désarmement des groupes civils illégaux –les paramilitaires, sous le contrôle du gouvernement- qui menaçaient les communautés indigènes. A la même époque, l’Organisation des Nations Unies dénonça la présumée existence de violations aux Droits de l’Homme au Chiapas. A la même date, l’église locale du Chiapas se retira de la Commission National de Médiation –la CONAI- et dénonçait la survivance de la violence au Chiapas. Cette attitude de rejet de participer à résoudre un conflit qui ne pouvait l’être tel quel, au vu de l’attitude gouvernementale surtout, tendait à stigmatiser davantage l’hostilité du gouvernement envers 104 Sur ce point, voir entre autres les articles en libre accès sur les pages internet suivantes: http://cciodh.pangea.org/segundoinf/entrevistas/ent_IVd08.html ou http://www.laneta.apc.org/consultaEZLN/noticias/990918fm.htm. 96 les insurgés. Lorsque les représentants d’organismes humanitaires et cinq prix Nobel de la Paix105 donnèrent une reconnaissance à l’évêque Samuel Ruiz pour son travail de médiateur dans le conflit du Chiapas, ils ne faisaient que renforcer l’opinion de l’église vis-à-vis du gouvernement. La stratégie de l’EZLN de s’appuyer sur les institutions internationales de défense des droits de l’homme pour garantir que ses revendications soient écoutées connaissait alors un triomphe : à l'étranger, des Comités de soutien au Chiapas en lutte fleurissaient à bon train, et à Barcelone, à Paris, au Canada, ou encore aux États-Unis, ces comités se mobilisaient pour dénoncer la répression de indiens. Aussi, des professionnels des Droits de l'Homme adoptaient des motions et pétitions qui faisaient le tour du monde et qui se proposées de venir en aide au Chiapas insurgé. Enfin, et c’est une dimension du zapatisme international qu’il ne faut pas négliger, le zapatisme offrait alors à une gauche qui se remettait mal de l'effondrement du « socialisme réel » un motif de remobilisation et une cause à défendre. Précisons dès lors, et nous l’étudierons plus tard dans notre analyse, que les zapatistes, dans leur stratégie d’internationalisation, ont certes obtenus des répercussions de la sphère internationale, mais ils ont aussi contribué, dans le sens contraire, à donner à la société globale un certain nombre de thématiques et de problématiques d’un grand intérêt pour la société mondiale, et qui connaîtront plus tard un véritable succès au sein d’organisations nouvelles qui tenteront d’organiser la mondialisation libérale, à l’instar des mouvements altermondialistes notamment. L'image internationale du Mexique pâtie indéniablement de la réussite de l’internationalisation du conflit. Tous les éléments s’accordent à dévoiler la pression internationale qui s’exerça de manière croissante sur le gouvernement mexicain, et qui révélait la qualité de la réussite des zapatistes quant à leur stratégie d’internationalisation du conflit chiapanèque. En outre, le service diplomatique mexicain, qui ne fut pas à la hauteur des ambitions gouvernementales, et encore moins à la hauteur de l'importance du pays, se révéla incapable d'enrayer la dégradation de l’image du pays et de son gouvernement surtout dans l’opinion publique internationale. L’engouement international pour le zapatisme se cristallisait alors. 105 Adolfo Pérez Esquivel, Rigoberta Menchu, Oscar Arias Sanchez, Desmond Tutu et le 14ème dalai lama. 97 CHAPITRE 3. LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA CONSECRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET INTERNATIONALE. La pression exercée sur le gouvernement par les zapatistes, surtout grâce à la stratégie internationale qu’ils ont su privilégier lorsque le conflit était enlisé, est l’élément le plus pertinent qui leur a permis de s’assurer une durabilité et une légitimité réelle. Alors que le pouvoir tentait d’étouffer les zapatistes ou de leur couper l’herbe sous les pieds, l’EZLN n’a eu cesse de mener un combat transversal avec le gouvernement. Ainsi, au lieu d’opter pour une stratégie d’affrontement frontal avec ce dernier, les zapatistes ont largement préféré mettre à l’œuvre leur génie et faire preuve d’une intelligence stratégique hors du commun. L’originalité interne et externe du mouvement n’en était alors que confirmée. Alors, la stratégie de pacification que les zapatistes entreprennent de construire va définitivement les éloigner de tout archétype et révéler la position privilégiée de nouveau type d’acteur qu’ils ont su acquérir. Leur inscription validée dans la sphère internationale, ils vont alors être clairement bénéficiaire des nombreux avantages que cela procure. La preuve la plus flagrante de la réussite de l’entreprise zapatiste est clairement visible lors de la Marche de l’EZLN sur Mexico en 2001. Section 1. La stratégie de pacification des zapatistes : d’une nouvelle initiative politique de l’EZLN à la mise en lumière du germe de la solution au conflit. En juillet 1998, et alors que le conflit s’essouffle et connaît un retentissement moindre tant au niveau national qu’internationale, et comme pour palier à ce déficit d’audience et relancer le mouvement, Marcos rompt le silence avec deux communiqués. C’est ainsi que le 16 juillet 1998 il dénonce la trahison des accords de San Andrés, et que le 19 juillet 1998, il rend publique la cinquième déclaration Selva Lacandona. Dans cette déclaration, l’EZLN marque désormais sa volonté inconditionnelle d’une stratégie de paix, de lutte pour les droits indigènes et de transition à la démocratie. C’est en ces termes en effet que Marcos exhorte au changement politique, tout en insistant sur le fait que la réforme ne doit pas être faite seulement pour les indigènes. C’est dans un contexte de violence croissante au Chiapas qu’intervient cette déclaration et donne à voir l’EZLN comme une organisation réellement pacifiée, mais surtout comme une organisation qui ne voulait plus résister à la violence gouvernementale mais plutôt s’engager définitivement dans la résolution pacifique et 98 constructive du confit. En outre, il est sûr que la pression internationale exercée sur le gouvernement mexicain allait dans le sens des zapatistes, et confortait ces derniers dans la possibilité de réussite de leur proposition. Comme l’avaient déjà souligné les ONG qui eurent leur voix au chapitre en ce domaine, l’EZLN réaffirme que « les peuples indigènes devaient parler », que « la société civile nationale et les organisations politiques et sociales indépendantes devaient juger », que la Cocopa devait quant à elle intervenir de façon active, et que quant à lui le Congrès de l’Union devait faire son travail. Somme toute, les zapatistes réclamaient la chose suivante : la réalisation d’une consultation populaire –revendication acceptée immédiatement par le Conseil National Indigène- basée sur la société civile et les organisations sociales indépendantes, et avec une marge de confiance accordée au Congrès. Par la même occasion, Marcos invitait à une consultation nationale sur l’initiative de loi de la Cocopa, la fin de la guerre d’extermination menée envers les indigènes, un changement politique général au Mexique, la défense des droits de l’Homme, et la reconnaissance spécifique des droits des communautés indigènes. Autant de revendications, qui certes montraient l’attitude pacifiste des zapatistes, mais qui furent considérées par le pouvoir politique comme une provocation, et qui organisa alors le renforcement des tensions : cinq bataillons militaires supplémentaires furent dépêchés dans l’Etat de Tabasco, aux portes du Chiapas. C’est dans ce contexte que le 3 août 1998, le Centre de Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casa dénonçait que depuis le début de l’année 2006 le Centre avait enregistré dans l’Etat du Chiapas cinquante-sept exécutions sommaires, six assassinats politiques, cent quatre-vingt-cinq expulsions d’étrangers, des cas de torture, et des dizaines d’attentats contre les droits de l’homme. C’est aussi à cette occasion que le Groupe de Travail pour les Peuples Indigènes de l’ONU, alors présidé par Erica Irene Daes, dénonçait que le Mexique était le pays où l’on violait le plus les droits de l’homme des peuples indigènes. Cette analyse était notamment appuyée par la Fondation Arturo Rosenblueth et la sous-commission de prévention des minorités de la commission des droits de l’homme de l’ONU. Amnesty International confirmait elle aussi les rapports précédents, tout en ajoutant que les détentions massives et arbitraires d’indigènes dans les municipalités autonomes était en recrudescence. En janvier 1999, et alors que Human Right Watch106 pointait du doigt la persistance de la torture, des disparitions et des exécutions ultra judiciaire au Chiapas, le Pape Jean Paul II, en se déclarant notamment pleinement en faveur de la reconnaissance du droit à la terre des 106 Le rapport de Human Right Watch est accessible sur le site de l’association : www.hrw.org. Consultable dans la rubrique « Informe anual 1998 ». 99 indigènes, et se faisant alors le défenseur des « premiers habitants du Mexique », tenta ainsi de sonner le glas de la violence au Mexique, et d’y mettre un coup d’arrêt, L’idée de consultation nationale réclamée par l’EZLN fera alors son chemin, notamment lorsque le PRD l’appuiera par la suite. L’idée d’une loi sur les droits et la culture indigène, qui devait résoudre le conflit dans les conditions les plus satisfaisantes pour tous, atteignait ainsi l’organe suprême de la nation, à savoir, le « Congrès de l’Union ». L’EZLN ayant avancée dans sa stratégie de conscientisation de la société civile et l’ONU exprimant ses préoccupations pour la « situation des droits humains et les libertés fondamentales au Mexique », la marge de manœuvre pour le gouvernement est désormais réduite. La volonté d’aboutir rapidement à la pacification inconditionnelle du Chiapas et à la résolution rapide du conflit sera appuyée par les manifestations de diverses personnalités internationales ou d’organisations. En septembre 1999, le Prix Nobel de la Paix de 1977, le nord-irlandais Mairead Maguire, se rendit au Chiapas pour se prononcer en faveur des insurgés, et pour une résolution rapide du conflit. Il fut suivit dans cette démarche par Simon Pérez, qui à peine un mois plus tard en fit de même. L’intention du gouvernement était alors de faire baisser la tension. L’attitude de celui-ci oscillait alors entre le versement d’indemnisations, aux victimes d’Acteal notamment, et la politique de renforcement de la présence militaire dans les communautés chiapanèques. Malgré la volonté affichée du gouvernement de calmer la situation au Chiapas, les résultats restaient longs à entrevoir. Afin de donner davantage de rapidité à la résolution du conflit, et de profiter d’un prestige redoré, l’EZLN décida en 2001 de passer à l’offensive : si la stratégie de paix, de lutte pour les droits indigènes et de transition à la démocratie devait réussir, il était désormais indispensable de la présenter devant le Parlement national. Section 2. Le « Zapatour » et l’apparente apogée de l’EZLN : vers l’avènement d’un « groupe armé qui fait de la politique » ? Si à la fin 1999 la situation était telle que nous l’avons décrite dans le paragraphe précédent notamment, le processus de réconciliation amène les zapatistes à présenter le 28 mars 2001 les fondements de leurs revendications au Congrès de l’Union, et à défendre leur position. Grâce au « zapatour », les zapatistes vont passer en un temps éclair du silence radio, dans lequel ils étaient confinés depuis un temps, à la présentation devant le Congrès d’un discours préalable à l’adoption de mesures législatives relatives aux droits des indigènes. Enfin, et s’il est sûr qu’en 2001 les zapatistes trouvent un espoir envisageable de réussir enfin 100 à trouver une issue au conflit, il est certain que la rénovation du contexte politique n’y est pas pour rien. En 2000, l’heure est au bilan du sextennat de Zedillo. Le rétablissement des grands équilibres économiques est un succès du gouvernement qui arrive à terme. En effet, le Crédit du Trésor américain et les Institutions Financières Internationales multilatérales ont connu une excroissance sans précédent au Mexique depuis 1994. L’inflation est plus ou moins jugulée, et les équilibres macroéconomiques rétablis. En 1996 la croissance qui repart, soutenue notamment par les IDE et les exportations, est pourtant de plus en plus conditionnée par l'évolution de la croissance des États-Unis. Le mouvement montre que l'intégration de l'économie mexicaine à l'économie américaine s'est accélérée depuis la mise sur pied de l’Alena. Notamment, la rapidité de Washington en 1995 pour venir en aide à l’économie mexicaine restera symptomatique de cet état de fait. Mais malgré tout, cette amélioration économique ne va pas gommer l'accumulation du retard social. Les couches populaires sont les plus touchées parmi des mexicains. L’augmentation du chômage, la diminution du pouvoir d'achat et l’extension de la pauvreté, sont autant de constats déplorables pour le Mexique de 2000. Cette situation s’explique par le fait notamment que la restauration des grands équilibres s’est faite en utilisant l’emploi et la consommation comme variables d'ajustement. Alors, les salaires ne sont pas parvenus à rattraper l'inflation, qui a amputé le pouvoir d'achat d'un quart en cinq ans et a précipité la chute du salaire minimum notamment. Cette situation a favorisé l’accentuation des inégalités sociales et des disparités régionales. En 1997, et comme pour stopper l’hémorragie, le gouvernement lance le programme Progresa en faveur des nécessiteux victimes de sa politique économique. Cependant, et dans la longue tradition de corruption qui caractérise le Mexique, ces programmes servent de manipulation à des fins politiques. Outre ces programmes ponctuels, le gouvernement de Zedillo n’a pas mis en oeuvre de véritables programmes de résolution de la fracture sociale107. Cette même année, le patronat mexicain exprime ses inquiétudes quant à la tension sociale que cette situation provoque, et la banque américaine JP Morgan classe le Mexique au 6ème rang mondial des pays à risque. Dès lors donc, la montée de l’opposition à la veille des élections de 2000 se fait de plus en plus visible. Le malaise social avait déjà donné des signes lors des législatives de 1997. La situation inédite dans la vie politique mexicaine qu’avait provoqué cette situation, a débouché sur une configuration où le PRI conserve aisément le contrôle du Sénat mais perd la 107 En effet, la dépense sociale au Mexique est faible: en 1999 elle représente 9,1% du PIB, alors qu’elle est de 15,2% au Chili et atteint les 33,9% en France. 101 majorité absolue à la Chambre des députés. Cette situation avait donc déjà contribué à rééquilibrer les rapports entre l'exécutif et le législatif. En 2000, les élections marquent la conclusion d'un cycle politique: cette année marque l’articulation entre deux périodes. Année critique pour le PRI, 2000 ouvre la voie à un renouvellement du personnel politique apte à candidater à la magistrature suprême. En juillet 2000, Vicente Fox, candidat du PAN, est élu président de la République du Mexique. Dès juillet 1997, Vicente Fox Quesada, gouverneur PANiste de Guanajuato et ancien directeur général de Coca-Cola au Mexique, prend une envergure nationale. L’outsider Fox interfère avec la stratégie du parti: sa stratégie réside dès lors à ne pas prendre le pouvoir au sommet mais à le conquérir graduellement à partir de sa base. Fox, certain qu’il hériterait nécessairement d'une administration toute dévouée au PRI et qui ne lui permettrait pas de gouverner, décide de s’implanter tout d’abord auprès des municipes. De plus, celui-ci bénéficie de l’état déplorable dans lequel se trouve la gauche mexicaine: les chances du principal adversaire, Cuauhtémoc Cardenas, se sont amenuisées au point de paraître trop faibles, et notamment à cause de la gestion contestée de la mégalopole mexicaine. Surtout, le PRD doit sa victoire dans les États de Nayarit, de Zacatecas et de Tlaxcala, à des candidats PRIistes dissidents et à l'appareil local du PRI dont ces derniers ont conservé le contrôle. En ce sens, le PRD connaît une érosion certaine et une baisse de légitimité. Cette situation favorisera donc le candidat PANiste. Le 2 juillet 2000, les élections présidentielles consacrent le triomphe de l’outsider, Vicente Fox, qui gagne les élections à 52,8% contre le PRIiste Pablo Salazar. Dès lors, la situation politique mexicaine apparaît comme profondément rénovée et redynamisée. Dans l’Etat du Chiapas Pablo Salazar Mendiguchia, de l’« Alliance pour le Chiapas », est élu gouverneur. S’il parvient à remporter les élections, il faut souligner que sa victoire est surtout due à la coalition de différentes forces qui recoupent huit partis –dont le PAN et le PRD surtout. Malgré le changement à la tête de l’Etat du Chiapas, l’EZLN préfère afficher une prudence avertie envers cette coalition : le but est de ne pas se lier à une « alliance » qui n’a toujours pas dévoiler ses véritables ambitions quant à la résolution de la crise. Le 1er décembre 2000, et dès le premier discours qu’il donne, Fox ordonne le « retrait inconditionnel de l’Armée » du Chiapas, et annonce un « projet de loi sur les Droits et Culture des Indigènes » élaboré par la Cocopa. Très rapidement, et comme pour se démarquer des précédents gouvernements PRIistes, Fox signe avec la Haute commission de l’ONU pour les droits humains un accord engageant l’Etat mexicain sur le respect des droits et des libertés fondamentales de l’Homme, et va jusqu’à offrir à l’EZLN une rencontre officielle à haut niveau et sans intermédiaires. De la même façon, il s’engage à libérer les prisonniers de 102 l’EZLN. Face à cette attitude inespérée, qui semblait marquer définitivement le changement d’attitude et la volonté d’ouverture impulsée par le haut de l’Etat, l’EZLN se considérait alors satisfaite des nouvelles conditions dans lesquelles la paix pourrait être négociée, et par là même elle décidait de revenir à la table des négociations. Mais Marcos, pape de la stratégie médiatique, s’annonça certes en faveur de la reprise des négociation, mais posa ses conditions de but en blanc: s’il revenait à négocier avec un gouvernement fédéral qui de nombreuses fois avait déçu les revendications et les espoirs des zapatistes, il exigeait de le faire par « la grande porte ». Dès lors, commençait la « Marche pour la dignité indigène », plus communément connu sous le surnom de « zapatour ». Une fois de plus, Marcos parvenait incontestablement à confirmer son habileté médiatique. La marche s’engagea le 24 février 2001 à partir San Cristobal de Las Casas. Ce n’est qu’après avoir parcouru quelques trois milles kilomètres et traversé douze États de la République, que la caravane zapatiste arrivait dans la capitale, le 9 mars 2001. Dès sa première prise de parole, et comme pour montrer que le dialogue entre les zapatistes et le gouvernement était plus que jamais renoué, et que cette marche devait être le climax des négociations , Marcos offrit « la disparition de l’EZLN en échange de la paix et de a justice sociale au Chiapas ». Dès son arrivée à Mexico, l’EZLN étalait donc fièrement sur la place publique son désir d’en découdre définitivement avec le conflit qui avait déjà duré sept ans. Le mouvement réalisé alors un énorme coup médiatique, et la stratégie n’était pas sans confirmer l’habileté politique du mouvement : en refusant de s’entrevoir avec le président Fox et en choisissant de parler directement au Congrès de l’Union, Marcos s’assurait non seulement d’une audience, mais aussi de la redynamisation du mouvement, et surtout il évitait que la parole de l’EZLN ne soit tergiversée. De plus, l’organisation zapatiste tout en affirmant son attachement à croire en la valeur du Congrès, et donc au possible avènement de la démocratie, et si publiquement cela lui servait à donner des signaux de sa bonne volonté, en sous-main il est possible de penser que cette tentative lui permettait notamment de s’extraire de l’emprise de l’exécutif, et donc d’augmenter les chances de réussir à établir un consensus auprès des législateurs et d’aboutir alors à la promulgation d’une loi qui réponde réellement aux attentes de l’organisation. La seule explication possible à cette nouvelle dynamique n’était autre que l’ouverture du système politique était le seul macro-élément qui permettait d’envisager une telle refonte des relations entre les deux partis pris au conflit 103 Aidé par la « Commandante Esther », Marcos clamait la « nécessité de construire un monde pluriel de paix dans lequel tous les mexicains auraient leur place, un Mexique juste, respectueux des différences, une société dans laquelle toutes les femmes récupèrent leur dignité »108. Dans cette intervention, il faut notamment noter la tentative de repositionnement du moment quant à la dignification de la femme. Mais donc, cette déclaration synthétique des volontés de Marcos, prononcée devant le Congrès national, résume les principales thématiques défendues par les zapatistes à cette occasion : la défense des droits indigènes, la dignification de la femme, la justice, la liberté et la démocratie. Désormais, et après tant de temps de conflit, la compassion ou le complexe de faute parfois devait être définitivement laissé de côté, afin de donner place à la légalité et à la justice. Comme pour marquer son attachement à privilégier la dynamique nationale, et donc à inscrire le conflit dans un registre inclusif, Marcos précisait à la même occasion qu’« avec les peuples indiens, vive le Mexique, la démocratie, la liberté et la justice ! ». Dans cette optique, le zapatisme représente un ambitieux projet de construire une relation humaine différente de l'actuelle. Selon eux, il est possible de créer un monde distinct, et c’est sans doute cet aspect du zapatisme –international notamment- que l’EZLN a tenté de diffuser. Ce que le zapatisme remet au centre des discutions en cette phase d’audience nationale, c’est qu’il ne demande aucun type d'indépendance, qu’il n'est pas partisan de la guerre, qu’il ne veut pas le pouvoir, qu’il n'éprouve pas de nostalgie pour un communisme primitif, qu’il n'est pas anxieux de construire une autonomie excluante, qu’il ne cherche pas à proclamer la naissance la Nation Maya, qu’il ne lutte pas pour l'immobilisme des peuples indiens et pour le maintient à tous les prix de ses coutumes ancestrales, qu’il ne désire pas fragmenter la République en une multitude de petits pays indigènes. En ce sens notamment, les propositions du zapatisme s'éloignent ainsi des revendications classiques des guérilleros du XIXème siècle, et établit un cadre d'action propre au XXIème siècle. En ce sens, et selon les mots d'Octavio Paz109, l’EZLN n’est pas un mouvement "postmoderne" mais "ultramoderne". La stratégie médiatico-politique du mouvement connaissait alors un succès sans précédent, et le sous commandant Marcos accomplissait sa promesse de janvier 1994 : en avançant vers la capitale, il démontrait non seulement sa confiance dans la valeur des mots en parlant au sein de l'institution politique la plus importante, mais aussi il exhibait la nature clandestine du mouvement -en continuant d'utiliser des passe-montagnes notamment-, et se 108 Source : Commandant Esther, « Message central de l’EZLN devant le Congrès de l’Union », mercredi 28 mars 2001. 109 PAZ Octovio, "Chiapas: hechos, dichos, gestos ", in Vuelta, numéro 208, 1994, p°55-57. 104 moquer de l'armée en se baladant dans les rues de la capitale. Dès lors, l’EZLN occupait de nouveau les titres de la presse nationale et internationale. Sous la pression internationale, et sur le poids d’une opinion nationale favorable à la résolution définitive du problème du Chiapas, la « loi sur les Droits et la culture indigène » voyait le jour le 25 avril 2001. La réforme prévue par cette loi annonçait la réforme structurelle pacifique des institutions, et la construction d’un véritable État de droit. Surtout, il est indéniable que le gouvernement, séduit par le succès des zapatistes sur la scène internationale, tentait lui aussi de faire un clin d’œil à cette même scène internationale et de lui dévoiler ces volontés de résoudre le conflit par la voie légale. Cette loi visait à régler le problème en laissant en apparence une grande marge de manœuvre aux municipes et aux États, mais les nouvelles obligations prévues par cette loi devaient reposer exclusivement sur la loi de recettes et de dépenses de la Fédération. Dès lors, la solution du conflits "des indiens" restait une fois de plus dans les mains des autorités fédérales plus que dans celles des autorités étatiques ou municipales. De la même façon, la loi fermait la possibilité de créer une pluralité d'identités au sein de la nation : en effet, la nouvelle loi défendait l"unité de la Nation" mexicaine, et refusait la possibilité d'établir un quelconque « État plurinational ». Dès lors, et comme pour montrer la détermination des législateurs à ne pas transiger avec ce principe fondateur de la République mexicaine, cette dernière expression fut frappée d'inconstitutionnalité. Un coup d’arrêt était alors porté aux revendications des zapatistes, et les indigènes étaient désormais qualifiés d’ « entités d'intérêt public", comme pour prévenir toute nouvelle stratégie de la part des zapatistes. Tout dans l’attitude du Congrès paraissait donc indiquer que malgré le nouveau cadre d’action dans lequel on se situait désormais, on conservait les pratiques du passé. En ces termes, et tout refusant cette nouvelle loi, Marcos retranchait le conflit dans une situation autrement conflictuelle : après l'approbation de la nouvelle loi, la voie légale se refermait. Pour réagir face à ce nouveau défi tendu par le gouvernement, les zapatistes décidèrent d’impulser des « municipes autonomes rebelles zapatistes », suivis plus tard par les Juntes de Bon Gouvernement. Ce que les zapatistes mirent surtout en avant lors de leur croisade sur Mexico restait être avant tout le pari pour l'autonomie municipale, et il est certains que les propositions formulées par le gouvernement en la matière ne correspondait en rien aux revendications portées par le mouvement. Cette attitude montre en effet l’éloignement des positions entre les zapatistes et le gouvernement à la suite de la Marche sur Mexico : malgré la nouvelle donne politique, les zapatistes se trouvaient donc une nouvelle 105 fois en porte-à-faux avec le gouvernement. Notamment, et si cette loi limitait dès lors l'autodétermination pactée dans les accords de San Andrés, les zapatistes insistèrent sur les ambiguïtés sur les mécanismes pour la rendre effective. Les « municipes autonomes », premier pas vers la construction d’un État plurinational, était considéré comme une « pratique inconstitutionnelle ». L’attitude des zapatistes devait donc permettre de tester la capacité de réaction du système politique mexicain. 106 CONCLUSION PARTIE 2 L’une des questions auxquelles nous avons tenté de répondre dans cette partie, est de savoir dans quelle mesure le conflit chiapanèque a t’il permis d’imposer une relecture de la stratégie et des tactiques des mouvements de guérilla (en Amérique latine notamment), au point de lui permettre de se hisser durablement sur la scène politique nationale et internationale ? Suite à la démonstration que nous avons effectué dans cette deuxième partie, nous disposons de plusieurs éléments. Sans trop revenir sur les détails, nous allons brièvement en retracer les grands traits. En 10 ans de vie publique, l’EZLN a marqué les esprits en profondeur. Par ses actes, ses écrits, ses évolutions, ses dialogues avec l’extérieur, ses ajustements aux circonstances, l’originalité du mouvement n’a cessé de faire le consensus. La caractère novateur du mouvement n’est plus à démontré, et preuve en est que sa seule originalité lui suffit à s’imposer durablement sur la scène publique nationale et internationale. Ainsi, le retentissement de l’EZLN est inversement proportionnel à ses faits d’armes. L’originalité et le caractère novateur du mouvement, tant sur le plan interne qu’externe, sont donc deux traits importants de sa personnalité qui lui ont permis de prétendre acquérir un retentissement national et international durable. Une des réussite du mouvement est aussi d’avoir réussi a établir une connexion entre les deux sphères. La logique de mise en réseau (des acteurs et des informations) qu’il a mis en œuvre lui a ainsi donné la possibilité de trouver des canaux pour relayer sa contestation et l’appuyer. Les méthodes de l’EZLN, qui mettent à contribution et donne la parole à des acteurs généralement de second ordre, à l’instar de la société civile par exemple, s’intégrait totalement dans la nouvelle logique des Nations Unies (qualifiée « méthode du bottom-up »), et allait donc servir amplement le mouvement. La stratégie entreprise par celui-ci sur la scène médiatique contribuera à accentuer encore davantage l’écho international dont il bénéficiait déjà. Cependant, si la logique internationale a beaucoup servi aux insurgés pour leur permettre de débloquer la situation lorsque celle-ci était enlisée, certains auteurs évoquent la possibilité d’une « instrumentalisation110 » de la sphère international. 110 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 107 Ensuite, il s’agissait de présenter la portée du discours zapatiste, qui oscille entre le particularisme et l’universalisme. En effet, l’audace des zapatistes est probante lorsqu’ils invoquent la particularité tout en usant et abusant de l’universalité. Dans un contexte postguerre froide, les zapatistes ont donc servis à attirer l’attention internationale sur l’hégémonie des valeurs occidentales et la revendication des particularités. Ainsi, les zapatistes sont novateur, dans le sens notamment qu’ils « n’en appelle pas à des principes universels abstraits […] mais à la formation d’acteurs historiques concrets, à leurs droits […]. Son horizon est celui d’une universalité […] qui se conjugue avec la diversité culturelle111 ». Dans l’extrait ci-dessous, Bernard Duterme dévoile en quelques mots la nature du zapatisme comme celle d’un mouvement aux milles visages : « Une insurrection indigène qui lutte à coups de communiqués à la presse, de déclarations solennelles, d’actions symboliques et de happenings pacifiques. Un porte-parole, le « souscommandant » Marcos, érudit et ironique, dont les bons mots filent sur le Web et déstabilisent ses interlocuteurs. Une armée d’Indiens mayas, « premier mouvement symbolique contre la globalisation », qui revendique des droits légitimes, encourage à démocratiser le Mexique et à combattre le néolibéralisme. Une jacquerie post-guerre froide suffisamment identitaire pour ne pas se diluer, suffisamment universelle pour ne pas se replier. Un mouvement social régional qui multiplie les ancrages – indien, mexicain et humaniste – sans les opposer, et qui tempère son cosmopolitisme par l’enracinement et son attachement au territoire par l’autodérision. Des révolutionnaires démocrates qui somment la « société civile » de prendre le relais. Une révolte qui parle d’« indéfinition » quand on la pousse à se définir, qui affiche ses doutes en guise de vérités. Un groupuscule pionnier de l’altermondialisme qui, dès 1996, invite le monde entier à la « première rencontre intergalactique pour l’humanité et contre le néolibéralisme ». »112 (Bernard Duterme) Il est évident que cette multitude de facette contribue indéniablement à donner aux zapatistes une originalité apparemment certaine. 111 Le BOT Y., « Chiapas : malaise dans la mondialisation », in Les Temps Modernes, N°607, 2000. DUTERME Bernard, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas », in Le monde diplomatique, Paris, janvier 2004. p°14-15. 112 108 S’il est indubitable que le conflit a été internationalisé, il est tout aussi certain que l’EZLN que depuis 2001 le mouvement est plus ou moins rentré dans sa « traversée du désert ». Ainsi, de nombreuses voix se sont élevées pour relativiser l’originalité de l’organisation zapatiste. Pour donner quelques pistes d’analyses, il faut par exemple soulever le fait que les modes de consultation des « bases d’appui » zapatiste, décrits comme participatifs et démocratiques par certains leaders rebelles ne sont pas vérifiés. Ainsi, il semble que la plus importante faille des zapatistes soit que les hypothèses qui font la renommée restent peu vérifiées et que par alors la lecture du mouvement demeure plus subjectiviste qu’objectiviste Suite à la "marche des zapatistes sur Mexico", en mars 2001, une réforme constitutionnelle pour donner suite aux Accord de San Andrés vit le jour. La situation semblait réglée, et l’EZLN revenait pacifiquement à la forêt. Mais il n’en était rien. Au cours des deux dernières années le mouvement insurrectionnel s'est quelque peu éssoufflé. En effet, l’EZLN semble avoir perdu l'initiative et se retrouver sur la défensive. Le courant de symphatie qu'elle a suscité commence à se tarir. Les avancées du conflit paraissent minces, et donnent à penser que le Chiapas restera plusieurs années encore une zone grise du globe ou prévaut sur toute autre la loi de l'entropie. En effet, et en dépit de la démocratisation du jeu politique mexicain, et des diverses avancées que l’on peut incomber aux zapatistes, les données sur le terrain n'ont pas réellement changées. 109 TROISIEME PARTIE LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINE DANS LE JEU POLITIQUE NATIONAL ET DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS UN PANAORAMA DES HERITAGES DE L'ACTEUR ZAPATISTE POUR LES FUTURS COMBATS A VENIR. Lorsqu'un nouvel acteur s'inscrit dans la postérité... 110 Les parties précédentes de notre étude nous ont surtout servi à démontrer que l’EZLN avait acquis une réelle capacité internationale. Ainsi, le mouvement avait su s’inscrire sur l’agenda public nationale et international, comme nous le démontrions dans le chapitre précédent. Ici, il sera donc question d’interroger la pérennité du mouvement. Cette question des héritages de l’EZLN est relativement importante dans le sens que, comme nous l’avons montré dans les chapitres précédents, l’EZLN a su s’imposer sur le plan national et se propulser sur le plan international pour tenter de donner une solution viable au conflit du Chiapas. Mais, si l’EZLN a su s’inscrire comme nouveau type d’acteur au sein des Relations Internationales, la question de la permanence de l’organisation au sein de celles-ci est révélatrice des failles qui peuvent venir gangrener la capacité de ce nouveau type d’acteurs. En 2007, il semble que l’activité de l’EZLN soit en suspens, non pas parce que les buts visés ont été atteints, mais bien parce que les données du terrain ont changé et que la capacité du mouvement à intégrer ces mutations s’est faite moindre. Sans vouloir présenter les éléments dans un quelconque ordre d’importance, il est indéniable que le mouvement a connu de nombreux succès, toujours palpables dans la sphère nationale et internationale, mais il a aussi connu de nombreuses failles internes. 111 CHAPITRE 1. L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES? Au vu de l’évolution des zapatistes, tant dans leur discours que dans leurs actes, il est certain que désormais le mouvement n’a plus rien à voir avec celui qui était né en 1994. Cet état de fait s’explique donc tant par l’évolution du contexte politico-économico-social du début du 21ème siècle, que par les positions qu’ont du adopté les gouvernements et le mouvement pour tenter d’aboutir à la pacification des tensions et à la production d’accord féconds. Du point de vue de l'architecture de l'organisation politique du pays et de la région, ce travail a participé à mettre en place une gouvernance plus effective. Dès les années 2000 en effet, le Mexique connaissait la fin d’une ère politique et l’avènement d’une nouvelle : l’EZLN n’était en rien étranger à ces avancées. Cependant, et malgré cette approche par le haut qui tendrait à donner à présenter l’entreprise de l’EZLN comme un succès total, la « loi indigène » de 2001 est venu ternir le tableau, et l’attitude des zapatistes face aux « provocations » du gouvernement a quelque peu remis en question la capacité de ces derniers à privilégier le dialogue par-dessus tout. Désormais, les « caracoles » qui ont vu le jour, contre les indications du gouvernement notamment, sont le signe emblématique de la volonté zapatiste d’arriver à leurs fins par tous les moyens. Section 1.La transformation politique et la coopération : les résultats de dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas. Comme nous l’avons ébauché dans les chapitres antérieurs, le soulèvement des zapatistes va laisser un legs majeur au système politique national et régional : le catalyseur chiapanèque a contribué formidablement a accélérer la démocratisation du pays et a favoriser l’avènement d’un nouveau type de pouvoir, davantage basé sur des méthodes nouvelles de gouvernance et d’exercice du politique que sur une gestion du pays fondée sur l’archaïsme et l’autoritarisme tel que cela fut le cas pendant l’ère PRIiste désormais révolue. Alors que nous avons commencé à aborder avant l’ampleur de la démocratisation dans le pays, nous allons ici nous intéresser à analyser quels sont les défis majeurs que les zapatistes ont ouverts quant à la possibilité de succès de la nouvelle ère de gestion politique au Mexique. 112 A. Les effets contrastés des stratégies de l’EZLN sur la vie politique chiapanèque Au niveau local tout d’abord, quel sont en effet les défis que la démocratisation chiapanèque suppose à l'aube du nouveau millénaire? Les résultat des votes de 2OOO nous serviront à nous éclairer quant à ces point. En effet, les élections du Chiapas furent à cette date les plus disputées de l’histoire de cet État. Le candidat de l'opposition, Pablo Salazar Mendiguchia, est élu gouverneur du Chiapas. Le fait remarquable de ces élections fut la construction d’une ample coalition qui vu le jour et qui dès lors favorisa la récupération de la participation électorale dans la région. Ainsi, lors de ces élections, la population vota en faveur de la paix, et favorisa alors la mise en place d’un gouvernement de transition beaucoup plus pluriel, démocratique et légitime que les gouvernements précédents. Dès lors donc, de nouveaux espaces de dialogue et de négociation était ouverts, et la configuration politique d’alors permettait d’envisager une meilleur intégration des secteurs sociaux autrefois exclus de la vie institutionnelle. Ainsi, le dialogue ouvert par les zapatistes avait donc amené à garantir de façon plus certaine la gouvernabilité de la région. Il est sûr en effet, que lorsque les zapatistes prirent les armes en 1994, le Mexique expérimentait à peine ses premières alternances électorales, et que la gouvernabilité, quant elle était obtenue, l’était davantage par la force et les transactions politiques douteuses que par un véritable accord viable sur le long terme. Aujourd'hui le système institutionnel s'est transformé, et l’ouverture à un jeu politique plus représentatif et démocratique tend à rendre plus difficiles et inefficientes les pratiques anciennes. Alors, s’il est sûr que la rébellion zapatiste a contribué à l'essor de la démocratisation chiapanèque, il faut aussi bien lui reconnaître le mérite d’avoir, grâce à la dynamique qu’elle a lancé, d’avoir favorisé la gouvernance dans cet état conflictuel du Chiapas. Ainsi, et sans s’attacher au fait que la redynamisation de la vie chiapanèque résulte de la dynamique lancée par l’EZLN, le mouvement a indéniablement permis de créer une synergie et de d’ouvrir le dialogue à d'autres acteurs, issus du champ politique notamment, et de l’opposition plus précisément, ce qui permettait au final de mettre sur pied une alternance politique féconde et de favorisé le débat et la discussion en vu de donner réellement naissance à une gouvernance effective et potentiellement efficace. Mais la stratégie d’action des zapatistes n’aura pas été sans avoir des contre-effets. Les éléments de l’histoire électorale du pays montrent entre autre, que la volonté d’une gouvernance réelle au Chiapas était en gestation depuis quelques temps déjà, et correspondait à l’idée des zapatistes de construire une démocratie réelle au Mexique. En effet, lorsque Zedillo déclenche la contre initiative en novembre 1997, et met fin à la possibilité de 113 poursuivre les négociations, les zapatistes ne trouvent d’autres moyens de protester qu’en brûlant des urnes, comme pour s’attaquer au symbole emblématique de l’absence de légitimation d’un pouvoir qui, selon leur vision, ne résidait pas en la démocratie mais davantage en la corruption. Cependant, et paradoxalement, cette action a affaibli à nouveau les partis d'opposition et contribue à augmenter le fort taux d'abstention. Dans leur tentative d’impulser la gouvernance dans l’Etat du Chiapas, il semble que les zapatistes se soient d’abord heurter, de par leurs propres méthodes de questionnement du système politique en place, à affaiblir la dynamique nécessaire au renouvellement de la vie politique au Chiapas notamment. Dès lors, le rétrécissement des espaces institutionnels qui en découle, conduit à faire entrer le conflit dans une phase de pourrissement, de retrait des négociations, de violence politique, et de guerre civile larvée. Les conflits sociaux qui ressurgissent alors dans ce contexte vont maintenir l'Etat dans une situation d'ingouvernabilité constante. B. L’amélioration visible du climat politique : la gouvernance politique du Mexique Le conflit armé qui a commencé au Chiapas en 1994, a très rapidement induit une polarisation à outrance des opinions publiques et politiques, et ce phénomène a vite abouti à la fermeture des espaces politiques institutionnels au niveau national. Lorsque les zapatistes décident de couper le dialogue avec le gouvernement, à la suite des accords de San Andrés, ils se coupent de la même façon d’une partie de l’audience nationale qu’ils avaient. Mais en ce sens, comment prétendre alors renforcer la gouvernabilité démocratique et le développement humain au Mexique, alors que les négociations ne pouvaient désormais plus aboutir ? Ce que les zapatistes ont entrepris de mener, depuis le début des hostilités, reste être sans aucun doute la tenue d’un véritable dialogue social. Cette perspective mise ne œuvre par les zapatiste devait répondre à des enjeux inattendus. En effet, comme le souligne le PNUD, « la frustration croissante due au manque d’opportunité et aux hauts niveaux d’inégalité, de pauvreté, et d’exclusion sociale, s’exprime dans la perte de confiance dans le système politique, et dans des actions radicalisées »113. L’analyse de la situation au Mexique montre dans quelle mesure cette affirmation a pu se vérifier, depuis 1994 tout au moins, avec entre autre l’apparition de l’EZLN sur la scène publique. Les zapatistes visaient non seulement à accélérer la création d’un « agenda de réforme pour renforcer le développement de la démocratie, l’efficience, la transparence, et l’équité dans les institutions publiques »114, mais 113 Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D), Etat de la démocratie en Amérique latine, vers une démocratie de citoyennes et de citoyens, Madrid, Mundi-Prensa, 2004 114 Ibidem 114 aussi la mise en place dans des délais satisfaisant d’une véritable « démocratie de citoyens »115 , qui cette dernière devait se substituer à la démocratie électorale (faussement) généralisée dans le pays. Si selon les zapatistes, et comme le soutien le Rapport sur le Développement Humain de 2002116 qui affirme que « la démocratie n’est pas seulement une valeur en soi même, mais un moyen nécessaire pour le développement », le mouvement aura à de multiples occasions tenté de favorisé l’avènement d’une véritable démocratie, si l’on conçoit bien entendu la démocratie comme étant « le cadre propice pour ouvrir des espaces de participation politique et sociale, en particulier pour ceux qui souffrent le plus : les pauvres et les minorités ethniques et culturelles »117. En tentant d’intégrer la lutte des indigènes oubliés dans celle de la démocratie falsifiée telle que le PRI la pratiquée, l’EZLN a dès lors servi à mettre en lumière au Mexique la véritable dimension de ce qu’est la démocratie et à souligner le fait que pour mettre sur pied un tel système il faudrait s’attaquer aux deux principaux mots qui gangrènent le potentiel de la démocratie au Mexique, à savoir : la pauvreté et l’inégalité, qui sont toutes deux particulièrement liées au monde indigène dans ce pays. Pour ce faire, et parvenir à l’avènement rapide de cette véritable démocratie, les zapatistes ont dès lors pointé l’urgence de la mise en œuvre d’une politique génératrice de pouvoir démocratique et dont l’objectif soit la citoyenneté intégrale. Les indiens nécessitait la « pleine reconnaissance de la citoyenneté politique, civile et sociale »116, et les zapatistes dénonçaient alors le fait que cette citoyenneté ne se réduisait pas qu’aux élections et que la citoyenneté sociale, celle qui a trait à l’inégalité et à la pauvreté, devait être au fondement de la nouvelle démocratie à naître, pour peu bien entendu que l’on veuille que celle-ci soit stable et viable à long terme. Mais, et comme le souligne le PNUD, la démocratie est surtout basée sur la perception que les individus qui y sont assujettis s’en font. Ainsi, si « 54,7% des latino-américains seraient prêts à accepter un gouvernement autoritaire si celui-ci résolvait la situation économique », cette donnée tend à dévoiler les limites de la volonté motivée de mettre sur pied cette démocratie : en effet, si « la démocratie est une immense expérience humaine », ce n’est pas pour autant qu’elle n’est pas « liée à la recherche historique de liberté, de justice et de progrès matériel et spirituel ». De la sorte, c’est seulement avec une meilleure démocratie que les sociétés latino-américaines pourront être plus égalitaires et développées. Mais pour le 115 116 Ibidem Ibidem 115 moment, et les chiffres donnés par le PNUD en la matière peuvent interpeller, la majorité des latino-américains restent sceptiques face à l’effectivité de la démocratie sur le continent : 64,7% pensent que « les gouvernements ne respectent pas leur promesses électorales parce qu’elles ne sont que mensonges pour gagner les élections »117. Pendant les deux dernières décennies l’Etat s’est terriblement affaibli et, dans certaines zones de nos pays, « il s’est virtuellement évaporé »118 Comme le révèle le conflit chiapanèque, qui dure depuis désormais plus de treize ans, la tension entre les pouvoirs institutionnels et les pouvoirs factices continue à être présente dans la réalité latino américaine. De manière générale on peut dire que, sauf exceptions119, le scepticisme envers les partis politique est très étendu, et la disposition à se lier à eux tend à diminuer en Amérique Latine : les partis politiques traversent une forte crise de représentation qui se canalise alors par d’autres voies. C’est donc dans ce contexte que la lutte menée par les zapatistes aura permis de renouveler le débat sur la démocratie en Amérique latine et au Mexique en particulier, et aura permis d’esquisser certaines issues, de donner certains éléments nouveaux à prendre en considération dans la construction d’une démocratie viable et effective. De plus, il est certain que le processus de gouvernance qui émerge au Chiapas, et qui a montré ses réussites quant à la gouvernabilité de l’Etat, ne s’est pas amorcé, et ne se fait toujours pas aujourd’hui, sans difficultés. Entre autre, il est certain que la difficulté de mettre sur pied la « loi indigène » votée à la suite de la marche sur Mexico de 2001 ne fait que remettre en question la capacité et la réussite des zapatistes à aider à créer un véritable système de démocratie et d’en faciliter la gouvernabilité. Section 2. L’émergence d’une « loi indigène » Comme nous l’avons annoncé en fin de chapitre 2, la reprise des dialogues entre les zapatistes et le gouvernement a en effet débouché en 2001 sur l’approbation par le Congrès national d’une « loi sur les droits et cultures indigènes », et ce, afin de résoudre le problème des « indiens ». A. La promulgation de la « loi indigène » de mars 2001 : … Le 11 mars 2001 est marqué par l'adoption par le Parlement du projet de « loi sur les droits et la culture des Indiens », rédigé par une commission mixte à partir des accords signés 117 Ibidem, p°51. Ibidem, p°65. 119 Parmi lesquelles nous pouvons citer ici par exemple l’Uruguay et le Honduras. 118 116 en février 1996 à San Andrés. En substance cette loi prévoyait d’une part de créer les conditions pour renouer le dialogue avec le gouvernement, et d’autre part de préparer la reconversion des rebelles et leur intégration dans la vie politique mexicaine. Dès lors, la volonté du nouveau gouvernement dirigé par Vicente Fox était claire : mettre fin au « problème du Chiapas » et aux tensions que provoque le discours de l’EZLN à la théorie du nationalisme intégrateur que favoriserait le métissage à la mexicaine. Si le texte de loi approuve la « composition pluriculturelle » de l’Etat, il se garde pourtant bien de faire une référence explicite à la « composition pluriethnique » de l’Etat. En optant pour cette formule, le Congrès choisit par conséquent de consacrer le caractère culturel et non pas ethnique des indiens. La volonté des législateurs est claire : l’être mexicain continuera d’être ancré dans le « nationalisme intégrateur » et le « métissage culturel ». C’est en partie ce que confirme la dénomination « multiculturelle » que met en valeur cette loi. Pour clarifier davantage le cadre de manœuvre que permet la loi, le Congrès spécifie que « le droit des peuples indigènes à la libre détermination s’exercera dans le cadre constitutionnel d’autonomie qui assure l’unité nationale »120. Si les premiers chapitres de la loi l’amènent à être perçue comme permissive, très rapidement le texte de loi se referme : « cette reconnaissance indigène devra se retrouver dans les constitutions et les lois des entités fédératives ». Ce dernier élément vient donc compliquer par avance l’équation, car il implique notamment la prise en compte de critères ethnologiques et géographiques pour permettre cette reconnaissance. Cette loi permet donc non seulement de passer le « témoin » aux États de la fédération et aux municipalités, mais aussi de sacraliser le fait que le principe de reconnaissance du droit « indiens » doit être sanctionné par des autorités non indigènes. Le problème majeur réside donc dans le fait que la loi devra être édictée en conformité avec la Constitution mexicaine et avec l’accord des autorités des États respectifs de la Fédération et des municipalités. La loi établit aussi que la Chambre nationale des Députés, les législatures des entités fédératives, et les mairies, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent « établir les partages spécifiques » -en vue d’accomplir les obligations- « dans les budgets qu’ils approuvent annuellement ». Mais la réalité se trouve clairement distancée de la théorie: les nouvelles obligations déclarées dans la « loi indigène » finissent par reposer une nouvelle fois sur la loi de recettes et de dépenses de la Fédération. Ainsi, une fois de plus, la solution aux 120 Voir en annexe: “loi indigène de 2001”.Tout notre raisonnement sur la loi de 2001 se fonde sur le texte de loi disponible en annexe. 117 conflits des « indiens » restera dans les mains des autorités fédérales et étatiques. Cette logique laisse alors penser que les réactions clientélistes resteront encore davantage surdéterminantes par rapport au jeu transparent entre les droits et les obligations que prévoit la loi. Il est présumable alors que les indiens « collaborationnistes » recevront plus d’appuis –en terme financier et en terme d’autonomie notamment- que ceux qui persisteront dans leur position rebelle. En apparence donc, il s’agit d’une déclaration de bonne volonté qui se trouverait certes un peu compliquée à exécuter. Mais la loi, qui défend clairement la thèse de « l’unité de la nation », et refuse la possibilité d’établir un « État plurinational », connaît par conséquent un succès indéniable sur le plan national. Malgré les premières critiques qui se lèvent contre l’étau constitutionnel que représente cette loi, les défenseurs de l’autonomie indigène ne voient pas eux d’un bon œil que l’on déclare que les « peuples indiens » ont le droit à leur libre « détermination ». Pour eux la loi évite de peu de préciser le terme d’ « autodétermination », ce qui ne lui permettrait qu’à peine de protéger l’unité nationale. Pour faire face à cette critique, les législateurs se sont appliqués à confirmer pourtant qu’une quelconque réclamation d’autodétermination sera interprétée comme un mouvement subversif « anticonstitutionnel ». Cette volonté de sacraliser l’unité nationale et d’empêcher à tout prix que la loi puisse amener les communautés indigènes à clamer leur autodétermination, ces communautés sont qualifiées dans la nouvelle loi comme « entité d’intérêt public », comme pour garantir le faible cadre de « détermination » qui leur ait attribué. De la sorte, cette loi déclenche des tensions certaines dans sa mise en pratique. De plus, et si désormais la tension a été déplacée de la responsabilité de la Fédération à celle des États et des municipalités, la capacité de décision reste toujours indirectement contrôlée par le Congrès National. B. … entre changement et continuité de l’attitude ambiguë du gouvernement Le fonctionnement de la « loi indigène » tel que nous l’avons expliqué ci-dessus, révèle donc à quel point la marge de manœuvre pour les communautés indigène est réduite, notamment en vu de ne pas remettre en cause l’essence de l’être mexicain. En outre donc, cette loi ne respecte pas les demandes de l’EZLN émises depuis 1994, et va changer sensiblement les revendications de l’organisation zapatiste. 118 Désormais donc, c’est un nouveau scénario qui prend place : bien que certaines communautés indigènes acceptent le nouveau cadre constitutionnel –en considérant notamment qu’il leur permettra de bénéficier et de dépasser les situations de retard et de marginalisation- cette résignation ne va pas être globale. En effet, lors du Congrès National Indigène célébré à Nurio, dans l’Etat de Michoacán, le 4 mars 2001, les indigènes réunis rendent publique la Déclaration pour la reconnaissance constitutionnelle des droits collectifs des peuples indigènes, qui revendique l’exigence pour les indigènes d’être considéré comme peuple à part entière avec « les droits à la libre détermination exprimée dans l’autonomie et dans le cadre de l’Etat121 ». L’autre option qui est soulignée lors du Congrès est que, en cas de refus catégorique de l’Etat, les indigènes réunis seraient amenés à opérer dans l’inconstitutionnalité et à être considérés comme des terroristes. Dès lors, le mouvement indigène doit choisir entre la transformation de son identité, telle que prévue par la « loi indigène », ou se convertir à la violence, et tout en admettant que cette deuxième solution ne laissait que peu de possibilités d’être accepté et appuyé internationalement, hypothèse notablement renforcée après les faits du terrorisme du 11 septembre 2001. Dans ce scénario de négociation apparemment ouvert, les zapatistes durent donc confirmer leur position et donner des signaux clairs pour montrer s’ils s’engageaient à rentrer dans le cadre de la loi et accepter les faibles avancées que celle-ci octroyait aux indigènes, ou si au contraire ils préféraient se situer hors la loi, dans l’ « inconstitutionnalité », et être poursuivre par alors dans la voie de la révolte indigène. Section 3. L’inconnue zapatiste : vers l’invention de nouvelles formes d’action pour combattre l’ostracisme des indigènes ? A. La création des « caracoles » en 2001 : dernière initiative en date de l’EZLN Présentée comme une avancée sans précédent par le gouvernement mexicain, la loi est pourtant loin de remplir les attentes qui été portées sur elle : il est indéniable que la loi approuvée en mars 2001 dénaturait le projet rédigé en 1996 par la Cocopa lors des accords de San Andrés. Pour les zapatistes cette loi n’était en définitive qu’une nouvelle insulte aux réalités des indigènes : « une négation des populations autochtones en tant que sujets de 121 “Déclaration pour la reconnaissance constitutionnelle des droits collectifs des peuples indigènes”, consultable sur le site de l'Unesco: http://portal.unesco.org. 119 droit »122. Dès lors donc, les zapatistes décidèrent de ne pas accepter le « cadeau empoisonné » que leur offrait le gouvernement, et reprirent alors l’initiative des actes. En août 2003, la nouvelle initiative de l’EZLN pris forme avec la création de cinq « Caracoles »123, dans les régions rebelles du Chiapas, en lieu et place des anciens Aguascalientes –où s’étaient notamment déroulés les actes des deux rencontres intergalactiques. Cette initiative se présentait alors comme un « nouveau pas dans l’affirmation de l’autonomie zapatiste »124. Ces « caracoles » visaient à « à appliquer les accords de San Andrés dans les territoires rebelles par la voie des faits », selon la volonté zapatiste. A la suite de cette initiative une trentaine de communes, déjà autoproclamées « communes autonomes zapatistes » depuis décembre 1994, accèderont à la création de leur gouvernement régional, chargé entre autre de l’éducation, de la santé, de la justice et du développement. Ces gouvernements régionaux, qui allaient prendre le nom de « conseils de bonne gouvernance » été conçus pour être des « espaces de résistance et de dialogue » avec la société civile notamment. Le but affiché par l’EZLN avec la création de ces « caracoles » était certes d’atteindre la justice sociale, mais surtout de favoriser la « responsabilisation » du pouvoir. Les « caracoles » zapatistes : idée et fonctionnement Ces caracoles sont présentés par les zapatistes comme étant les ébauches de ce qu’ils prévoient de construire à terme, à savoir : un réseau d'espaces autonomes au sein d'Etats pluriethniques et souverains, et dans lequel le mot d’ordre est clairement défini par le slogan « mandar obedeciendo » (commander en obéissant). A partir d’août 2003, et s’inspirant de l’imaginaire collectif maya, les communautés zapatistes ont concentré leurs efforts sur la reconstitution de leurs techniques anciennes de résistance, construisant alors une autonomie à travers des zones baptisées « caracoles » (spirales) et des conseils de bon gouvernement (juntas de buen gobierno), instances de coordination des communes autonomes dans chaque zone. L’idée principale qui préfigure la construction de ces espaces est que « le vent vienne d’en bas », et que l’impulsion doit donc venir des communautés et non pas d’une équipe de supérieurs. N’acceptant ni l’argent ni les projets du gouvernement, ces 122 Déclaration de Gilberto Lopez y Rivas, ancien président de la Cocopa. Nous nous référons ici aux lieux suivants: La Garrucha, Morelia, Oventic, La Realidad et Roberto Barrios. 124 DUTERME Bernard, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas, » in Le monde diplomatique, Paris, janvier 2004. p°14-15. 123 120 communautés définissent de façon critique leur temps contre celui de la marchandisation, et affrontent le discours de la mondialisation grâce au souvenir et aux légendes indiennes. Texte élaboré à partir de l’article de Bernard Duterme, « Dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas », in Le Monde diplomatique Dès lors que les zapatistes décident de préférer la voie « inconstitutionnelle » à la voie légale, le défi pour eux va être clairement de mieux maîtriser les relations externes des communautés partisanes tant avec leurs interlocuteurs extérieurs -ONG, solidarité internationale- qu’avec les indigènes non zapatistes. Il en va semble t’il de la survie du mouvement : en effet, plus de dix ans après le début du conflit, les tensions inter ou intra communautaire persistent, et même si les zapatistes bénéficient toujours de « bases d’appui » certaines, la lassitude a gagné du terrain au sein de la population, chiapanèque notamment, dont le quotidien n’a cessé de se détériorer depuis 1994. B. Les zapatistes pris au piège : le « suicide » de l’isolement ? Ce faisant, la loi ferme un cycle et ouvre une nouvelle phase dans le dialogue entre les zapatistes et les autorités fédérales. Pour l’EZLN et les communautés il est indispensable de marquer leur position. Mais le mouvement doit désormais affronté une situation qui peut l’amener à sa perte : l’insurrection et l’adoption d’une position essentialiste de type indianiste, qui a un coût politique élevé et qui peut amener à des positions fondamentalistes excluantes, se situe en totale opposition avec le discours revendicatif incluant et pacifique que l’EZLN a toujours cherché à mettre en valeur auparavant. Il est notamment certain que la situation internationale a bien changé depuis les actes terroristes du 11 septembre 2001 : si l’EZLN compte se convertir en référant international, étendard de la critique des conséquences perverses du « néolibéralisme », elle va désormais être confronté à davantage de difficultés. De manière plus essentielle, il est important de souligner que le problème relève tout autant de l’attitude de l’EZLN que de celle des communautés indigènes. En effet, il s’agit de voir si les communautés indigènes du Mexique, indépendamment de la position de l’EZLN, sont disposées à se battre pour la reconnaissance d’une identité propre alternative, intégrée au sein de la nation, ou si au contraire elles s’inclinent pour bénéficier des promesses déclarées dans la nouvelle Constitution issue de l’approbation du projet de loi. Il faut cependant préciser à ce 121 point de la réflexion que dans tous ces textes l’EZLN reconnaît l’unité de la Nation pour se donner les moyens d’appeler de façon plus commode à la pluralité culturelle et au droit à la libre détermination, sans que ces revendications ne soient considérées comme sécessionnistes. La pérennité du Mexique n’est pas en décision : c’est davantage le caractère « pluriculturel » ou « plurinational » qui doit être débattu. Mais pour le gouvernement, l’EZLN a de son côté un formidable potentiel qu’elle pourrait s’ingénier à utiliser : en effet, conjugué aux effets de variabilité de l’économie et de malaise social national, il s’agit pour le gouvernement de tempérer la situation et de tout faire pour que la pauvreté, qui atteint les 50% de la population mexicaine, ne commence pas à se teindre de valeurs indigènes. En effet, si la variable indigène était récupérée par les plus miséreux, afin notamment de bénéficier des programmes d’appui qu’offre la nouvelle constitution, les effets pour le gouvernements seraient catastrophiques. De la sorte, ce dernier doit s’attacher à tout faire pour consolider la démocratie dans le pays, et accompagner celle-ci des améliorations économiques qui y sont liées. Pour les pouvoirs publics il s’agit donc de défendre la version selon laquelle le cadre institutionnel “remodelé” répond de plus en plus aux exigences de la démocratie. Dans l’opinion publique, ils peuvent pou ce faire se justifier en invoquant la “marche zapatiste” de mars 2001, qui démontrerait la réalité de ces propos, et même si cette marche a surtout servi dans sa dimension hautement symbolique. En effet, cet événement aura mis en scène la guérilla pauvrement armée, et qui, aspirant à devenir une force politique, a laissé ses armes pour se lancer dans une vaste campagne de promotion médiatique. Ainsi, si le gouvernement peut brandir sa volonté de négociation et l’ouverture de l'espace politique institutionnel, l’EZLN en est aussi sortie gagnante de cette marche: le gouvernement fédéral l'a appuyé, et la réception au Congrès a fait oublié qu’il s’agissait d’une organisation clandestine qui avait déclaré la guerre au gouvernement. Face au défi que pose l’attitude des zapatistes suite au refus de la « loi indigène », le gouvernement devra non seulement faire preuve de volonté démocratique –et non plus de force- et de consensus, mais aussi proposer une sortie digne et une possibilité effective de reconversion politique et sociale pour les rebelles. Après cette longue période de résistance, l'EZLN devra décider si elle veut persister comme organisation politico-militaire ou si elle veut se transformer en une force politique démocratique. Cependant, il est certain que l’option à prendre sera fortement influencée par les partisans du mouvement, qui lors des appels de 1995 et de 1999 ont clairement choisi de privilégier la deuxième option. 122 Pour autant, les zapatistes peuvent continuer de lutter comme un "groupe armé qui fait de la politique"125. Cela reviendrait alors à se transformer en mouvement politique du jeu démocratique, créateur de dynamiques fécondes. L’autre option serait de se replier sur leur structure militaire de "lutte populaire prolongée". Mais dans ce cas l’EZLN serait hautement mis en difficulté: le cadre institutionnel a cessé d'être le monopole d'un parti hégémonique et c’est ouvert à la liberté d'expression, au pluralisme et aux formes civiles de participation politique. Comment dans ce cas justifier que le mouvement reste campé dans ses positions? Le processus de négociation entre le gouvernement et l’EZLN semble réellement enlisé. Si la « loi indigène » était présentée comme la « dernière chance » pour résoudre ce conflit « vieux de 500 ans », il est pourtant certain qu’elle n’a pas vraiment répondu aux revendications portées par l’EZLN depuis 1994. Dès lors, se pose la question de l’attitude que l’EZLN et le gouvernement vont adopter pour relancer le dialogue. Mais il est certain que les deux parti pris au conflit bénéficient d’un contexte désormais très différent à celui de 1994. Ainsi, et comme il est sûr que le gouvernement du Mexique des années 2000 n’a plus que peu de choses à voir avec celui des années 1990, il est tout aussi certain que l’EZLN a suivi le même bouleversement interne. Déjà très distincte d'autres mouvements indiens du continent, crispés et repliés sur de mythiques identités, et des révolutionnaires latino-américains qui les ont précédés, l’EZLN s’affirmait en 1990 comme un mouvement presque anachronique. Sa capacité de dialogue, de négociation, et surtout, de transformation, lui auront permis maintes fois de redorer une image qui, au bout de plus de dix ans de lutte, tendait parfois à s’être détériorée. Pourtant, et malgré ce formidable potentiel interne, il est certain que l’EZLN connaît depuis un certain nombre d’année déjà une dynamique qui doit l’amener à se repositionner sur certains plans si elle veut survivre aux défis qu’elle doit surmonter. 125 Entrevue de Julio Scherer Garcia avec le sous-commandant Marcos, in Proceso, 11 mars 2001, p°13. 123 CHAPITRE 2. L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE CONONISÉ A L'INTERNATIONAL. L’attitude du mouvement, notamment quant à ses méthodes d’actions, a commencé à remettre en cause la capacité du mouvement à défendre réellement les intérêts des populations qu’il revendiquait défendre. Ainsi, les résultats matériels pour les populations chiapanèques notamment sont plus que faibles, et les désespérassions ont gagné du terrain. Cependant, et si comme nous allons le voir il est certain que les zapatistes ont été marginalisé de façon croissante sur le plan local et national, il est tout aussi surprenant que sur le plan international ils aient laissés des legs importants. Cette dernière donnée notamment, tend à appuyer notre démonstration et la logique de notre étude, en ce sens qu’elle dévoile clairement le fait que bien que l’EZLN soit un mouvement tout d’abord national et local, tant ses méthodes et ses modes d’action que ses héritages, tendent à imposer l’imposer comme nouvel acteur des relations internationales. Cet élément entérine donc le fait que l’EZLN préfigure les combats internationaux du XXIè siècle, et donc qu’il a su s’imposer comme nouvel acteur des relation internationales. Section 1. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau local et régional A. Le contrecoup du soulèvement zapatiste sur la région. L’impact contradictoire du soulèvement dans la région chiapanèque a été notamment souligné par Willibald Sonnleitner126. Afin d’étudier la transition politique au Chiapas et de dresser par alors un panorama qualitatif de la démocratisation du Chiapas, cet auteur s’est efforcer à mettre en oeuvre une méthode mixte et complète, recoupant les deux éléments suivant: d’une part l “étude des tendances électorales au Chiapas”, ce qui permet d' “appréhender le rapport des forces politiques régionales, municipales et locales, et qui renseigne également sur l'implantation effective et les stratégies des divers acteurs collectifs”, et d’autre part un travail d’ “interprétation sociologique et anthropologique des changements politiques” dans la région. Il faut bien entendu préciser qu’il est indispensable pour ce faire de replacer la transition démocratique du Chiapas dans son contexte historique: les macro126 SONNLEITNER Willibald, « Chiapas: de rébellion armée à l’alternance politique », in Problèmes d’Amérique latine numéro 41, La Documentation française, avril-juin 2001. 124 changements au Mexique ont fait passer le pays d’un système de parti unique à un jeu politique plus ouvert, pluriel et compétitif. En ce qui concerne le travail de Sonnleitner, et en ce qui nous intéresse quant à notre démonstration, l’auteur souligne les “conséquences néfastes” de l’action de l’EZLN sur le processus de démocratisation au Chiapas. Les positions que l’EZLN a successivement fait adopter aux populations qui soutenaient le mouvement, allant par exemple d’un soutien inconditionnel au PRD en 1994 à une attitude plus qu’attentiste qui se manifesta par le soutien en faveur d’aucun candidat aux élections suivantes, ont certainement déboussolé les électeurs. De fait, les données révèlent les logiques et les contradictions de cette stratégie pour laquelle l'EZLN a opté: si le mouvement a favorisé l'ouverture démocratique dans le Chiapas et dans le pays, il est certain qu’à partir de 1995 le conflit a freiné la démocratisation électorale chiapanèque. De la sorte, et si “le Mexique est entré dans une nouvelle ère politique”, la situation du Chiapas reste pour le moment en-deça des espérances originelles sur ce point. Désormais donc, le Mexique est entré dans un nouveau contexte politique. Il est indéniable que le contexte national est dorénavant clairement favorable à la consolidation des conquêtes démocratiques. La fin du régime postrévolutionnaire, dominé par un seul part, a donné naissance au niveau national a un Congrès dont la composition est désormais particulièrement plurielle. Pourtant, au Chiapas la situation reste plus problématique: la division de l'opposition favoriserait l'ancien parti au pouvoir. De plus, l’intransigeance du PRI dans la région met fortement à l'épreuve la gouvernabilité de l'Etat. En outre, il est sûr que l’état des autres partis présents dans la région n’aide pas à favoriser la diffusion de la dynamique nationale dans la région. En effet, les autres partis ne sont pas forcément à la hauteur: c’est surtout le cas pour le PRD, principale force d'opposition au PRI dans la région, qui connaît une crise profonde. La Chiapas est donc dans une situation plus délicate que le reste du pays. La région est confrontée à un double défi: contenir les ambitions dévorantes du PRI, et restaurer la capacité des parti d’opposition au pouvoir. Il est certain notamment que la tâche est particulièrement ardue, surtout parce qu’il s’agit de gouverner un Etat particulièrement hétérogène, tout en y proposant un projet de développement cohérent et en créant des conditions favorables à la résolution d'un conflit armé qui a eu un coût social élève. Enfin, dans l’aile la plus radicale du mouvement zapatiste, il est certain que la « mascarade » démocratique actuelle, qui a trouvé son climax lors du vote des « lois indigènes » de 2001, marque le désaveu de la part du gouvernement. Face à cette logique, 125 certains auteurs, à l’instar notamment d’Yvon le Bot, fervent partisan de la cause zapatiste, il faudrait craindre de l’EZLN « la possibilité d’une régression, d’un retour à l’idéologie et aux pratiques révolutionnaires anciennes »127 tant les chances de trouver des issues au conflit sont en train de s’amenuiser. S’il n’est pas question ici de porter un jugement normatif sur cette attitude, il est pourtant certain que les voies de négociation et de dialogue n’auraient alors plus lieu d’être dans ce cas. B. L’EZLN face à l’ambition des partis politiques : les effets contradictoires des actions des zapatistes. Les élections locales du 7 octobre 2001, et qui se sont donc déroulées après la Marche zapatiste sur Mexico, ont esquissé la possibilité d’une nouvelle donne au Chiapas. Les partis d’opposition ont pu réellement affronter le PRI dans des conditions compétitives. De la sorte, ils ont du laisser de coté leurs divergences: même si les élections se sont soldées par l’échec de l’opposition, les partis semblent avoir compris que tant qu’ils ne parviendront pas à consolider leurs structures, l'ancien parti hégémonique continuera à bénéficier de sa longue expérience électorale et de sa forte présence dans tout l'Etat, et donc a monopoliser les rênes du pouvoir au Chiapas. Les résultats électoraux du Chiapas, que l’on s’intéresse aux élections locales, municipales ou régionales, montrent que le PRI est encore le parti le plus puissant au Chiapas. Malgré cela, il apparaît aussi que celui-ci a perdu la plupart de ses privilèges politiques et que dans l’avenir il devra être performant pour se donner les moyens de faire face à une concurrence politique qui met tout en œuvre pour réussir ses ambitions. Ainsi, et s’il est certain que ce “conflictuel” Etat du sud-est fait parti intégrante du processus qui a transformé la vie politique mexicaine au long des années 1990, deux bilans sont a tirer de cette situation: Premièrement, l’attitude de l’EZLN vis-à-vis des partis d’opposition n’a pas réellement permis de transfuser la dynamique nationale qu’elle avait sur créer de l’Etat national à la région du Chiapas. Son attitude vis-à-vis des élections dans la région, à quelque échelon que ce soit, et vis-à-vis des partis d’opposition, à commencer par le PRD surtout, s’est révélée contre-productive sur ce point. Ensuite, dans le contexte de forte compétitivité électorale et politique qui a pris place depuis la fin du règne du PRI et le retour à la “normalisation démocratique”, l'attitude de l'EZLN vis-à-vis des prochaines élections va peser considérablement en terme symbolique plus que numérique. C’est par les options qu’elle va décider de soutenir qu’elle va pouvoir donner des 127 Le Bot Y., Le rêve zapatiste, Paris, Seuil, 1997, p° 72. 126 signaux forts quant à sa volonté de relancer la démocratisation dans la région, et donc de prouver aux observateurs la réalité de ses “dires” démocratiques. Les changements que nous venons donc d’analyser tendent à montrer que l'EZLN n'a pas été l'unique acteur de cette transition démocratique mexicaine. Les partis ont commencé à canaliser la croissante diversité sociale, économique, religieuse et culturelle vers des voies plus institutionnelles. Les suffrages qui ont eu lieu depuis le début des années 2000, ont tous tendu à montrer à quel point le système politique a changé et à quel point les partis politiques doivent désormais y jouer un rôle majeur, dans le but notamment d’asseoir cette transition. Il faut préciser enfin que les conflits inter ou intra-communautaires persistent au Chiapas et que ces tensions semblent avoir un impact sur les "bases d'appui" des zapatistes dans la région surtout, et dans le pays plus généralement. Ainsi, la lassitude des populations dont la quotidien s'est détérioré depuis 1994 semble donner des signaux de l’essoufflement du mouvement au niveau régional, ce qui tend à questionner la capacité des zapatistes quant à leur aptitude a désormais pouvoir influencer le changement politique régional. Ainsi, le processus dynamique de reconsidération des structures politiques au Mexique, et l’orientation démocratique que ces derniers ont favorisés depuis l’émergence du mouvement en 1994, semble avoir atteint ici leurs limites. La capacité de l’EZLN dans la région ne semble plus suffisamment forte pour pouvoir influencer en profondeur les rythmes du changement démocratique au Chiapas. Dorénavant, la situation dans la région semble indiquer qu’il serait plus efficace, plus prudent et plus productif de laisser aux partis politiques, qui ont engagé un processus de renforcement de leur structure, les rênes de la transition démocratique chiapanèque. Somme toute donc, il est certain que la marginalisation de l’EZLN au niveau local s’est faite autant à cause des échecs de la politique de transition menée par l’EZLN au niveau de la région, que par la concurrence des partis et par les conflits inter ou intra communautaires qui tendaient à remettre chaque fois davantage en question l'aptitude de l'EZLN à gérer maintenant les avancées de la transition qu'elle avait elle même déclenché. 127 Section 2. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau national A. Des signes de fléchissement de l’intérêt de l’opinion Comme nous l’avons précisé lorsque nous avons évoqué les « lois indigènes » de 2001, ces dernières, bien qu’elle ne répondirent pas aux attentes que les zapatistes plaçaient en elles, sont passé pour être des « preuves » de la volonté du nouveau pouvoir politique de rendre concrète la volonté de démocratisation politique et d’amélioration des conditions des indigènes, et par la même occasion de donner une sortie « digne » au conflit chiapanèque. L’adoption par les autorités de cette loi indigène « paternaliste », a surtout souligné aux yeux de l’opinion publique l’action volontariste de la part du pouvoir, et a sans nul doute provoqué la « marginalisation de l’acteur zapatiste128 » sur la scène nationale. La sympathie flottante des zapatistes dans l’opinion publique nationale est désormais réelle. La tentation de soutenir activement la « parole des sans-visage » se fait chaque jour moins forte. Comme le précise Bernard Duterme129, la radicalité démocratique des rebelles « séduit plus qu’elle n’engage ». Les multiples tentatives d’articulation avec la société, qu’elles soient nationales, sociales, partisanes ou organisationnelles, mise en œuvre par les zapatistes afin de restaurer leur prestige, ne leur a pas permis de parvenir à ces fins : « leur atterrissage sur la scène politique nationale a fini par capoter »130 notifie Duterme. La raison principale de cet échec réside sans doute dans la difficulté d’inscrire un mouvement contestataire au sein de la sphère publique d’un pays moteur de la mondialisation néolibérale. Le projet zapatiste est un projet exigeant des renouvellements de la culture politique, mais qui doit dépasser le fait que les contours de cette culture politique sont volontairement non arrêtés. Entre-temps, et l’approfondissement de l’ALENA et des problématiques afférentes (telle que celle de l’effusion de migrants mexicains vers les ÉtatsUnis), ont réorienté les priorités du gouvernement (sous la pression du voisin du Nord notamment), et « le problème Chiapas », déjà en perte de vitesse, est « sorti des priorités de l’agenda national »131. 128 DUTERME Bernard, “ Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste ”, in Mouvements numéro 45-46, mai-juin-juillet-août 2006. 129 idem 130 idem 131 idem 128 B. L’amélioration du climat national Malgré tout, les zapatistes ont légué au pouvoir politique la volonté de mener un dialogue régulier entre l’Europe et l’Amérique latine, et ce notamment pour sortir du joug hégémonique des États-Unis sous lequel demeure le territoire national. Les accords de libreéchange signés entre l’Union Européenne et le Mexique en 2000 sont notamment le fruit de cette prise de conscience. Nouveauté donc, fortement reprise du débat avec les zapatistes, les négociations se sont accompagnés d’un volet visant à certes à élargir les échanges économiques, mais aussi à instaurer un dialogue politique. Divers programmes européens132, qui intègrent souvent divers pays latino-américains, ont d’ailleurs été mis sur pied en ce sens. Un autre élément qui dévoile l’influence et la fécondité du débat zapatiste sur le pouvoir national mexicain, reste être la tenue à Guadalajara en 2004 du troisième « Sommet des chefs d’Etat d’Europe et d’Amérique latine et des Caraïbes », et qui a eu le mérite d'insister sur l’importance à accorder aux échanges entre les deux régions en matière politique, sociale et culturelle. Si les zapatistes ont depuis toujours dénoncé l’hégémonie américaine sur le continent, et critiqué le manque de réaction de gouvernement latino-américains soumis à Washington, il est certain qu’ils voient d’un très bon œil que l’échéance fixée par les ÉtatsUnis à 2005 pour la création du grand marché continental –la ZLEA- n’ait pu être respectée. En outre, il est tout aussi certain que la « virée à gauche » qu’a connue le sous-continent au cours des dernières années, et qui va pleinement dans l’orientation que les zapatistes ont donné dès 1994, explique grandement cette remise en question. Section 3 La béatification de l’acteur zapatiste au niveau international A. Des zapatistes aux Nouveaux Mouvements Sociaux : même jeu, même combat Sur la scène internationale, le mouvement zapatiste a là encore été marginalisé. La « guerre entre l’hyperpuissance américaine et le terrorisme islamiste », ou encore la « montée des communautarismes »133, ont renouvelé les thématiques internationales, et ont relégué le Chiapas au rang de fait divers. Tout comme cela s’est passé au niveau national, il semble que le Chiapas soit aussi sorti des priorités de l’agenda international. Ainsi, et comme ce fut le cas pour le traitement médiatique du mouvement antinucléaire des années 1970 et 1980 par exemple, le Chiapas est en perte de vitesse sur la scène internationale. Il est monnaie courante 132 Pour ne donner que quelques exemples de ces programmes nous pouvons citer les suivants: Alfa, Alban, Eurol, @lys, Alinvest, Urbal. 133 Le BOT Y., « Le zapatisme, première insurection contre la mondialisation néolibérale », in WIEVIORKA M. (dir.), Un autre monde, Paris, Balland, 2003 129 au niveau international que des thématiques soient éclipsés aussi vite qu’elles n’y soit parvenu, et selon Duterme le Chiapas a lui aussi obéit à la logique « investissement- illusion ; désillusion- désinvestissement »134. B. La continuation et la pérennisation du combat des zapatistes : « changer le monde sans prendre le pouvoir ». Désormais, sur la scène internationale, le zapatisme repose essentiellement sur ce qu’en font les observateurs et les « zapatisans » d’Europe et d’Amérique du Nord, d’une part, et sur les « sorties » intermittentes du porte-parole Marcos, de l’autre. Dans l’agenda des premiers, la dynamique altermondialiste des forums sociaux mondiaux a quelque peu bousculé la destination Chiapas. Il est évident que les débats militants et théoriques qui portaient sur le zapatisme renvoient désormais à ceux qui interrogent le mouvement altermondialiste. Les questions sont identiques, mais sont dorénavant traitées au niveau international et livrées telles quelles au Chiapas. Il est certain pourtant que la « nouvelle pensée critique » qui émerge au niveau international, et qui anime les débats contemporains sur l’identité, le respect des différences, l’égalité formelle, etc., trouve notamment ses origines dans le conflit du Chiapas et les thématiques que les insurgés ont su mettre en avant. C’est principalement pour son rôle de précurseur dans ce domaine, que les zapatistes bénéficient d’une reconnaissance mondiale. Si les zapatistes ont été taxés par certains détracteurs, à l’instar de Pedro Pitarch 135, de « reprendre le langage du mouvement anti-globalisation » tout en lui donnant une coloration indigène, il est indéniable que cela perception est plus qu’incertaine. Cette affirmation réside clairement en un « brouillage chronologique », selon les mots de Jérôme Baschet136. En effet, lorsqu’en 1996 l’EZLN invite à la première rencontre intercontinentale, le « mouvement antiglobalisation » n’existait pas encore. A la suite de l’EZLN prendront lieu la réunion de l’OMC à Seattle en novembre 1999, et le Forum social de Porto Alegre en janvier 2001. C’est à ces occasions surtout que le mouvement altermondialiste est lancé, sur la base des questions posées par les zapatistes notamment. 134 DUTERME Bernard, « Quelles lunettes pour des cagoules ? Approches sociologiques de l’utopie zapatiste », in Mouvements numéro 45-46, p° 116 135 PITARCH Pedro, “Ventriloquie confuse”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 136 BASCHET Jérôme, “Les zapatistes : “ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ?”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 130 En ce sens, il est indéniable que l’EZLN a eu une longueur d’avance sur le mouvement altermondialiste. L’EZLN « ne plagie pas mais innove », comme le fait remarquer Jérôme Baschet. Lorsqu’il pose les questions de l’unité dans la diversité, des particularismes dans les universalismes, l’EZLN fait preuve d’une véritable capacité de questionnement sur la société contemporaine et sur les dynamiques actuelles. Dans la société de l’après-guerre froide, où les consciences sont gagnées par le pragmatisme et le déclin des idéologies, les zapatistes ont su donner à penser aux populations du monde entier. Au niveau international notamment, les zapatistes auront eu un rôle d’anticipation des revendications à venir. Lorsqu’ils dénoncent le capitalisme globalisé comme cause des inégalités sociales et des souffrances des populations, les zapatistes, à leur manière, tendent à redynamiser un débat devenu stérile du fait de l’hégémonie d’une valeur, d’une conception du monde et d’un ordre sur le reste du monde. Insoumis, les zapatistes ont contribué à lancer un mouvement qui prétend repenser les données acceptées sans être interrogées jusqu’alors. Les mouvements altermondialistes qui ont fleuri depuis lors137, ne cesse d’être redevable à l’EZLN et aux questionnements que l’organisation a ambitionné de soulever, sur la scène publique internationale, dès 1994. 137 Et qui recoupe des positions aussi variées que celles prises par exemple par: Attac, FSM, Amnesty international, Max Havellar, Via Campesina, etc. 131 CHAPITRE 3. VERS UN APERCU DU TRIPLE DEFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE DU NOUVEAU MILLENAIRE. A l'aube du nouveau millénaire, et même s’il préfigure le renouvellement de la configuration des acteurs internationaux, l’EZLN doit faire face à de nombreux défis. La campagne électorale de 2006 au Mexique a clairement révélé cette impression. Ainsi, les zapatistes, réduit au silence depuis qu’ils ont opté pour la construction des « caracoles », souffrent clairement d’un baisse d’audience dans l’opinion publique nationale et internationale. Les tentatives de l’EZLN pour se maintenir coûte que coûte dans l’agenda public ne connaissent plus que des semi succès. Ainsi, de l’ « Autre Campagne » aux appels internationaux qu’il lance, le mouvement tente désespérément de reconquérir une place dans la vie publique. Aussi, les zapatistes font ils les frais de la politique de privatisation de l’espace public qui connaît une recrudescence au Chiapas et qui tend à transposer la tension des communautés envers les entreprises et non plus envers le gouvernement. Peut-être le gouvernement y a-t-il donc trouvé le salut de son âme ? En attendant, les effets pour les populations autochtones sont des plus redoutables, notamment quant à la perspective peu encourageant que cela leur offre. Enfin, quant aux méthodes d’action des zapatistes, de nombreuses critiques ont vu le jour et sont venus contrastés cette originalité apparemment sans faille qui lui été reconnue. Ainsi, l’autonomisation des peuples indigènes qui était recherchée par le mouvement semble connaître certaines limites, notamment quant à l’utilisation des NTIC pour se promouvoir et assurer leur survie. De la sorte, certaines analyses que nous présenterons, à l’instar de celles de Oscar de Alamo, de l’Institut International de Gouvernabilité de Barcelone, affirme que même si cette technique d’utilisation des NTIC présente des avantages indéniables pour les communautés indigènes, elle ne fait que maintenir la domination, ne serait ce car ils ne maîtrisent pas les NTIC et que l’on se charge de les maîtriser pour eux. Cet argument ne fait en effet que préciser la thèse de Pedro Pitarch, qui met en lumière la possible existence d’une « ventriloquie indienne » qui reflèterait l’instrumentalisation des indigènes qui a été faite par l’EZLN, et qui tendrait donc à révéler une des failles majeures de cet acteur et amenuiserait 132 par alors les potentialité de cet acteur à s’enraciner durablement sur la scène nationale et internationale. Section 1. L’acteur zapatiste lancé dans une nouvelle quête d’oxygène ? : les élections de 2006 et l’« Autre Campagne ». A. La volonté des zapatistes de rester dans l’agenda politique international… Conscients de l’essoufflement de leur mouvement, les zapatistes réapparaissent soudainement avec la « Sixième déclaration de la Selva Lacandona »138 de juin 2005 dans laquelle ils affirment : « un nouveau pas dans la lutte indigène n’est possible que si elle s’allie avec les ouvriers, les paysans, les étudiants, les enseignants, les employés, c’est-à-dire les travailleurs de la ville et de la campagne”. Dès lors, il apparaît clair aux yeux des analystes que les zapatistes sont clairement « en quête d’oxygène face au suicide de l’isolement ». Proposant une alliance avec les organisations populaires et une concertation en vu de l’élaboration d’un « programme national de lutte anticapitaliste et de gauche », l’EZLN aimerait s’inscrire dans le renouveau des résistances mondiales dont, à ses yeux, les rassemblements de Seattle, Rome, Paris, Hongkong, La Havane, Caracas, Brasília, La Paz ont porté témoignage. En effet, et comme nous l’avons précisé précédemment, si l’EZLN est la matrice spirituelle de ces mouvements, il n’est pas moins sûr que les divers processus de marginalisation dont l’EZLN a du faire face a considérablement affaibli le rayonnement de l’organisation sur la scène internationale et a par alors favorisé le rayonnement de ses héritiers spirituels. Mais avant de pouvoir atteindre ces objectifs internationaux, l’EZLN est désormais consciente qu’il lui faudra envisager de passer par la sphère nationale. Face à l’effervescence des mouvements de gauche altermondialistes qui bourgeonnent sur la scène internationale, l’EZLN ne peut désormais plus utiliser les mêmes recettes pour réussir : lorsque avant elle devait passer par la scène internationale pour entrouvrir un espoir de trouver une audience et un soutien national, elle doit désormais passer par la porte mexicaine pour trouver un hypothétique soutien mondial. 138 En annexe 11: “Sixième déclaration de la Selva Lacandona”. 133 B…. passe par la nécessité de se réinscrire dans l’agenda politique national. Lors de la campagne des élections présidentielles de 2006, les zapatistes vont mesurer leur perte de vitesse. Désormais, et alors que Andrés Manuel Lopez Obrador –“AMLO”s’impose comme le “candidat de l’espoir » pour des millions de citoyens. L’enthousiasme pour les zapatistes, surmédiatisés dans les années 1990, dévoile alors ces limites. Pour faire face à cette hémorragie, Marcos, rebaptisé « sous-délégué Zéro », décide d’une nouvelle initiative politique. A cette occasion, il ne cessera de lancer des clins d’oeil qui visent à faire de lui l’effigie de la « révolution » qu’il veut annoncer : sur sa moto – rebaptisé elle aussi « la Poderosa » à cette occasion- Marcos mène l’ « Autre campagne » à travers le pays. Le but de sa démarche consiste alors à « mener véritablement une autre campagne », selon ses dires, une campagne qui « écoute les gens ». Le discours lui, par contre, ne semble pas avoir changé radicalement : « nous avons défini une ligne très claire : une ligne de gauche et anticapitaliste. Pas du centre, pas de droite modérée, pas de gauche rationnelle et institutionnelle. Mais de gauche, là où se situe le coeur, là où est l’avenir », annonce t’il en guise d’engagement. Peut-être cette stratégie (médiatique) s’explique t’elle par le fait que Marcos aurait voulu sanctionner l’opposition politique (le PAN et le PRD surtout), qu’il avait soutenu lors des élections de 2000. Comme nous l’avons précisé en effet, le vote « utile » pour le PAN a abouti à la « loi indigène », décevant alors les espoirs que les zapatistes plaçaient sur la volonté de relancer les accords de San Andrés. L’“Autre campagne” serait donc la réaction des zapatistes au triangle PAN/ PRI/ PRD qui, tous trois, ont voté une cette loi “nocive” aux autochtones. C’est donc par une marche de 3 000 kilomètres jusqu’à la capitale que les zapatistes rompaient une nouvelle fois un silence jugé peu fécond. Il faut préciser ici qu’en les faisant sortir de la clandestinité et en leur donnant les armes symboliques pour se réimplanter sur la scène nationale, et même si les zapatistes restèrent finalement éloignés de cette dernière entre 2001 et 2006, la stratégie de dialogue et de médiatisation adoptée par le mouvement dès les débuts du conflit, servait encore les zapatistes en 2006: elle leur offrait une sortie nationale. Mais cette « consolidation silencieuse » du pouvoir local ne va pas sans des difficultés : depuis leur sortie au grand jour les temps ont changé, et malgré les avancées qu’a connu l’EZLN, l’organisation n’a pas su se transformer en force nationale. Désormais donc, « Marcos a été éclipsé par M. Andrés Manuel López Obrador », l’ex-maire PRD de Mexico. Comme le souligne Fernando Matamoros Ponce, « comme Marcos, López Obrador est un 134 symbole de la volonté historique de transformation. Il représente non seulement un passé de luttes, mais aussi la parole exaltée par les néozapatistes et les chilangos . Les symboles s’entremêlent : dans l’imaginaire populaire, « AMLO » est associé à Marcos, il concentre les particules de désir de changement”139. Autant d’éléments qui, il est sûr, ne font que rendre plus difficile la tentative de retour des zapatistes sur la scène nationale à la veille des élections de juillet 2006. Afin de se démarquer du « concurrent » AMLO, de tirer de nouveau leur épingle du jeu, et de réaffirmer leur originalité des débuts, les zapatistes ont rappelé que leurs formes d’organisation ne sont pas centrées sur les élections, et que l’« Autre campagne » constituait avant tout un bouclier de réflexion face aux « pratiques politiciennes ». C’est en se positionnant en marge de l’échiquier politique que les zapatistes pensent donc tirer profit de la situation. Une attitude qui, il faut le noter, n’a elle pas vraiment évolué depuis la décennie 1990. L’ « Autre campagne » a désarçonné bien des gens au Mexique : comment expliquer que ces deux courants, l’un institutionnel et l’autre non, ne fassent pas route ensemble ? De nombreux PRDistes se sont en effet solidariser avec les zapatistes, mais cela n’a pas suffit. Les zapatistes aiment à faire entendre qu’ils n’oublient pas que d’autres PRDistes les ont abandonnés, condamnant alors le mouvement à se réduire à peau de chagrin. Entre autre, il semble que pour réacquérir une envergure internationale le mouvement soit prêt à beaucoup de choses. En effet, lorsque dès 2002 il tenta d’étendre ses propositions d'actions à d'autres régions, l’attitude opportuniste et ventriloque du mouvement tendait à apparaître clairement. Ainsi, lorsque dans le conflit entre le gouvernement espagnol et l’ETA140 il essayait de se convertir en intermédiaire entre les deux en défendant le dialogue et refusant la violence, le mouvement indiquait clairement sa volonté de se retrouver un destin international. Certains ont même pensé que Marcos soutenait le terrorisme141, ce qui montre bien le bourbier dans lequel le sous-commandant s'enfonçait pour tenter de garder une place sur la scène internationale. De la même manière, lorsqu’il s’insurgeait contre la guerre d'Irak142, en 2003, le mouvement réaffirmait cette même volonté. Au vu de tous ces éléments, et comme nous le traiterons plus en avant, certains analystes du Chiapas, à l’instar de Pedro Pitarch, on mis en avant le fait que l’EZLN, par son attitude à brouiller les pistes et à 139 MATAMOROS PONCE Fernando, « L’ “autre campagne ” des zapatistes », in Le Monde diplomatique, Paris, février 2006, p°20. 140 Lettre de Marcos en date du 7 décembre 2002, " A la société civile espagnole et basque. Péninsule Ibérique, Planète Terre”. 141 Sur ce point, consulter le sites internet suivants: http://hns.samizdat.net/article2701.html. 142 Se référer au communiqué de l'EZLN diffusé pendant la manifestation de Rome, Italie, 15 février 2003 (lu par Heidi Giuliani) par exemple. 135 réadapter constamment son discours pour obtenir diverses sympathies, était une organisation en proie à pratiquer la « ventriloquie indienne ». Ainsi, il est certain que la volonté suprême des zapatistes de connaître un rayonnement international l’a sûrement amené à faire perdre au mouvement une certaine « naturalité » qui, en ses débuts tout au moins semblait le caractériser. Section 2. L’acteur zapatiste face à la privatisation des biens publics au Mexique : deux visions d’un projet national divergent. A. De la mise en valeur du patrimoine écologique et culturel … La création des « caracoles » par l’EZLN date d’il y a cinq ans déjà. Créés en réaction à la « loi paternaliste » qui visait à encadrer les communautés indigènes, ces structures, qui ont connu un certain succès, ont aussi servi à diffuser l’idée qu’une autre forme d’organisation sociale, davantage respectueuse des hommes et des femmes qui y vivent, est possible. Bien entendu, face à la menace que peut représenter une telle idée pour le pouvoir central, il est sûr que l’attitude des autorités fédérales vis-à-vis de ces structures parallèles de pouvoir sera déterminante. Aujourd’hui il semble que le gouvernement n’est toujours pas décidé d’opter pour une politique féroce d’éradication de ces « caracoles » : bien au contraire, l’attitude semble presque hésitante, voire conciliante. Bien entendu, et tradition militaire mexicaine aidant, les forces armées restent toujours visibles au Chiapas. Pour éviter de se laisser prendre de court, le gouvernement assure ses bases- arrières. Ces structures dénommées “caracoles” sont présentées par les zapatistes comme la partie visible de leur projet. En effet, la taille et l’engagement bien ancré de ces structures, sont autant d’éléments qui, conjugués à la vision maya de l’environnement, permettent de donner des réponses à la gestion durable des ressources naturelles et au maintien du patrimoine écologique et culturel. Pour le moment il ne s’agit bien sûr que de réussites partielles, mais l’idée semble séduire, au moment surtout où les touristes européens et nordaméricains qui affluent au Chiapas voient en cet essai un formidable potentiel à cultiver et où l’EZLN y voit une potentiel novateur à exploiter pour “se redresser”. Cependant, certains éléments viennent troubler cette expérimentation : entre autre, le mouvement de libéralisation qui s’abat sur le Mexique, et la privatisation qui l’accompagne vont bel et bien dans un sens tout opposé à ce projet. 136 B. … à la construction du « Mexique de l’avenir ». La privatisation des biens publics est donc un des défis majeurs qui pèsent désormais sur le Chiapas. Alors que le mouvement de privatisation et d’IDE dans cette partie de la péninsule mexicaine était plus que minime lors de la décennie 1990, la dynamique s’est accélérée depuis le début du XXè siècle. Sûrement l’ALENA n’est-il pas étranger à ce phénomène. Dans les privatisations en cours, l'Etat du Yucatan et la Banque du Mexique invitent les IDE à penser au Sud et à son grand potentiel. Désormais, le sud-est du Mexique, aux portes de l’Amérique centrale et des Caraïbes, est présenté comme le “Mexique de l’avenir”. Autant d’éléments donc qui ont suscité l’engouement des investisseurs privés pour cette région143. Néanmoins pour le Chiapas, la privatisation des biens publics pose un certain nombre de problèmes. Le souci majeur est surtout que cette privatisation tend à transformer la tension entre peuples indigènes et Etat en une confrontation entre peuples indigènes et entreprises transnationales, avec comme enjeu central les richesses naturelles du Chiapas. Ce point a été développé de façon exhaustive par Braulio Moro dans son article intitulé « Une recolonisation nommée « plan Puebla Panamá » »144. L’ampleur et les répercussions à attendre de ce phénomène sont notamment à redouter lorsque l’on évoque le "mégaprojet de l'Isthme" mis sur pied sur initiative du gouvernement PANiste. De fait donc, il est certain que le Chiapas voient aujourd’hui l’affrontement de deux visions de la gestion du territoire : l’une, d’inspiration libérale et utilitariste, tend à vouloir privatiser l’espace public et à le rendre alors plus productif et plus exploitable, alors que l’autre, d’inspiration davantage humaniste et presque animiste, tend à désirer une protection majeure du patrimoine écologique et culturel, dans le but notamment de préfigurer le développement durable de cet espace. Aujourd’hui encore, le conflit qui se déroule aux confins du Chiapas cristallise les luttes menées au niveau international par une série d’acteurs conscients de l’importance des décisions qui seront tranchées sur ce sujet. 143 Sur ce point, voir notamment : “Des Espagnols se disposent à investir dans une chaine de froid”, in La Jornada, 4 avril 1997 144 BRAULIO Moro, « Une recolonisation nommée « plan Puebla-Panamá » », in Le Monde diplomatique, décembre 2002. 137 Section 3. L’acteur zapatiste face aux fondements de sa propre nature : les enjeux de la « ventriloquie indigène » et des technologie de la communication. Nous avons déjà envisagé un certain nombre de défi auxquels l’EZLN est confronté et qu’elle tente, dans la mesure de son possible, de résorber afin de s’assurer une durée de vie maximale. Cependant, il s’agissait de défis mineurs, mais qui ont une importance cruciale quant à l’espérance de vie que l’EZLN veut se donner, en comparaisons de défis structurels que l’EZLN doit s’efforcer de surmonter si elle veut aujourd’hui survivre. Ce sont notamment quelques uns de ces défis structurels que nous allons analyser ici. A. La crédibilité des zapatistes remise en question : la nécessaire refonte des « statuts » de l’organisation. L’historien madrilène Pedro Pitarch, dans la revue Lettres Libres, a entre autre relevé l’un des problèmes majeurs qui ronge la capacité de l’EZLN a s’imposer dans le débat: l’EZLN, « continue de construire des « indiens imaginaires » et de « pratiquer la ventriloquie » indienne ». Malgré les diverses tentatives des zapatistes de s’auto-légitimer, en invoquant notamment le principe d’organisation « horizontale » qui fonde la structure interne de l’EZLN, les arguments qu’elle met en avant ne semblent plus très convaincants à la lumière de cette observation que fait Pitarch. Selon lui, « on continue » d’écouter le discours de zapatistes « sans voir le problème depuis la perspective des propres populations affectées ». L’analyse montre alors que les indigènes, sorte de « marionnettes manipulées de l’extérieur », ne serait que les instruments du mouvement pour mettre en action son « art de la ventriloquie145 ». De la sorte, la superposition du « je » de Marcos et du « nous » indigène146 relèverait du mensonge, de l’illusion, de l’« indigénisme artificiel instrumentalisé ». En outre donc, l’attitude de l’EZLN, et de Marcos surtout, est parfois jugée d’opportuniste. L’EZLN est parfois taxée d’avoir instrumentalisé l’indigénisme. L’’ « indigénéité est à la mode », et Marcos l’a bien compris. Il est certain que les observateurs ont été parfois déroutés par ce mouvement qui en l’espace de quelques semaines a présenté des séquences successives de discours révolutionnaire marxiste, de discours nationaliste, et de discours indigéniste enfin. La stratégie de l’EZLN pour se donner à voir, est qualifiée par Pitarch de « tromperie ». Cette « recherche d’avantages tactiques et l’adaptation opportune aux circonstances » n’aurait 145 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 146 Entretien avec Julio Scherer, journal Proceso, 10 mars 2001 138 fournit finalement à l’EZLN qu’une « visibilité illusoire ». Peut-être est-ce pour cela que le mouvement peine désormais à « faire entendre la voix des sans voix ». Si l’observateur peut être déboussolé par les adaptations successives du mouvement, ce n’est pas pour autant que celles-ci restent sans explication. La technique de l’EZLN, qui réside à maximiser sa visibilité, tire obligatoirement avantage à parler au nom d’une catégorie abstraite ou sans existence réelle : le prolétariat, la paysannerie, le peuple, l’indien. En effet, à la suite des nombreux travaux sociologiques parus sur le thème de communication, il est démontré que l’appropriation et l’approbation d’une catégorie confère un bénéfice très élevé aux dirigeants qui s’en font les représentants : tout au moins, elle justifie et leur octroie toute une légitimité. Un des lieux communs associés au zapatisme a été celui d’affirmer que grâce à l’EZLN, les indigènes sont enfin parvenus à « faire entendre leur voix ». La ventriloquie pratiquée par le mouvement a clairement supplanté et modifié la « voix des sans voix ». Le constat d’échec de l’EZLN est d’autant plus patent lorsque nous prenons conscience qu’aujourd’hui encore « les indigènes ne nous importent que dans la mesure où il est possible de parler à travers eux », et que tout comme il y a cinq siècles, « les seuls paroles d’indigènes qui nous émeuvent sont celles que nous les européens mettons dans leur bouche en projetant nos propres préoccupations et débats ». Un des arguments de poids avancé par les observateurs sceptiques quant à la transparence et à la réalité de l’incarnation du discours des « vrais » indigènes dans la bouche du mouvement, réside en la concordance de nombreux discours quant à l’attitude « suspecte » du mouvement lorsqu’il s’agit de s’entretenir directement avec les indigènes. En effet, pour pouvoir s’entretenir avec un indigène quel qu’il soit, il est d’abord nécessaire d’obtenir l’autorisation de la Junta de Buen Gobierno correspondante. Il est évident que cela requiert un bon nombre d’identifications et de justifications, et prend en général beaucoup de temps. Ensuite, il faut fournir une liste des questions qui seront posées et dont aucune ne doit avoir un caractère politique ou apparenté à la politique. Une fois que l’officier a éliminé les questions considérées comme « inappropriées », l’entretien peut avoir lieu, mais sans dictaphone. Au final, et malgré toutes ces précautions douteuses quant à la sincérité du mouvement, un quelconque entretien ne sert pas à grand-chose : « les gens savent qu’en acceptant de répondre à un entretien, ils deviennent suspects ». C’est ce qui conduit Pitarch a affirmer qu’il « reste persuadé que les différences entre la présentation publique de l’EZLN et 139 son fonctionnement interne, en tant qu’organisation à la fois militante et civile, sont immenses »147. C’est dans le fait que l’EZLN est mis sur pied un langage indianisme mais toutefois nationaliste que réside la ventriloquie pratiquée par le mouvement. Suite à la relégation du mouvement en arrière plan de la scène publico-médiatique, Marcos tenta alors de faire changer la trajectoire du zapatisme. Désormais il déplaçait le cœur de ses opérations sur la scène européenne. C’est entre autre l’utilisation ahurissante d’arguments utilisés d’abord par l’organisation terroriste basque Herri Batasuna, qui l’a amené entre autre situations absurdes, à l’erreur stratégique mémorable qu’il commis et qui consista à accuser l’ex-premier ministre espagnol Felipe Gonzalez d’être l’auteur intellectuel du massacre d’Acteal. C’est notamment à ces occasions que le mouvement montrait ses limites propres, en dévoilant clairement aux observateurs la portée opportuniste du mouvement. Plusieurs analyses montrent à quel point, depuis le 1er janvier 1994, l’EZLN a du opter pour l’opportunisme afin d’acquérir en notoriété. Dans la concurrence avec les autres organisations gauchisantes, et dès 1994, l’attitude de l’EZLN dévoile déjà ses limites : la tension exploitée par le mouvement dans le Chiapas relève avant tout d’initiatives extérieures d’organisations qui se disputent sur la clientèle et les questions, et non pas une tentative active de prise en charge de la population elle-même. Lorsqu’en 1997 la grève de l'Université Nationale Autonome de Mexico –la UNAM- éclate, là encore les tentation de l’EZLN de gérer en sous main cette dynamique sont fortement visibles. En effet, le Comité Général de Grève –le CGH- qui se met en place est dominé par les milieux syndicaux proches du PRD et connus des autorités rectorales dont ils constituent les interlocuteurs attitrés. Cependant, et très vite, ces dirigeants se trouvent marginalisés et supplantés par de nouveaux leaders mal identifiés, et dont on apprendra par la suite qu'ils sont issus entre autre du FZLN 148 et du Front de Libération Francisco Villa. Dès lors, le CGH radicalise ses positions, et le mouvement change de nature: de corporatiste la grève se fait politique et tend à devenir insurrectionnelle. Le président Zedillo, hanté par 1968149, cherche alors d’éviter à tout prix le piège de la CGH: il décide de miser sur le pourrissement du conflit. A partir d'octobre les grévistes cherchent directement la répression de leur mouvement: les actions qu'ils lançaient en ville depuis le campus s’approchait véritablement à une guérilla urbaine. Mais alors que la tension était à son maximum, à 292 jours des débuts du conflit, l'opinion publique, gagnée par la lassitude, 147 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 148 Comme nous l’avons précisé il s’agit du FZLN, le bras politique dont s'est doté l'EZLN en 1997. 149 Fait allusion au massacre de Tlatelolco en octobre 1968 dans la ville de Mexico. 140 penche de plus ne plus en défaveur des insurgés, et en faveur du gouvernement. La tentative de l’EZLN de récupérer un mouvement gréviste étudiant et de le transformer en fer de lance de sa machine revendicative échoue alors. En outre, cette stratégie de l’EZLN démontre bien que, dans la course à la visibilité publique, le mouvement n’hésite pas à utiliser un opportunisme actif. Pourrait-on penser que l’utilisation de la thématique indigène par le mouvement relève elle aussi de l’opportunisme du mouvement ? Jun-Ichi Yamamoto, de la Keio University, a analysé le nombre de références faites à certains termes dans les cinq déclarations de la Selva Lacandona faite par l’EZLN entre 1994 et 1998. En ce qui concerne le terme « indigène », la récurrence qu’il a relevé est la suivante : dans la première déclaration de la Selva Lacandona le terme apparaît 0 fois, puis il apparaît 6 fois dans la seconde, 12 fois dans la troisième, 15 fois dans la quatrième, et enfin 32 fois dans la cinquième. Cette analyse de Jun-Ichi Yamamoto montre bien comment l’EZLN a utilisé chaque fois davantage la thématique indigène à mesure que la dynamique du mouvement le nécessitait et que l’organisation gagnait des sympathies dans l’opinion publique. Les discours de l’EZLN, et la prise de position successive du sous-commandant Marcos révèle en effet la ligne générale du mouvement : un abandon soudain et définitif du langage marxiste, l’adoption d’un langage nationaliste et populiste, pour passer immédiatement à un langage indien. Il est alors possible d’expliquer cette étude par l’existence d’un jeu complexe de relations et d’intermédiations qui existe entre les secteurs intellectuels, la presse et le sous-commandant Marcos dans la « ré-création » du zapatisme. Si le zapatisme indigéniste eut d’abord un caractère négatif associé aux carences matérielles, il acquit ensuite un caractère fondamentalement positif, de type identitaire, et qui connotait la possession d’une culture propre. Les arguments de Pitarch sont nombreux sur ce thème, et il n’est pas utile de tous les répertorier. Cependant, et en ce qui nous concerne, l’analyse de Pitarch a réellement appuyé notre propos, surtout dans le sens où elle dénonçait clairement ce qu’en définitive l’EZLN n’a en définitive jamais changé en l’espace d’une dizaine d’année dans la vie publique : sont art de pratiqué la ventriloquie. 141 B. Les méthodes de communication des zapatistes remises en question : de l’usage dangereux des NTIC pour les communautés indigènes vers l’ « Apartheid global ». Afin de réussir son internationalisation, et de pouvoir ainsi résoudre un certain nombre de difficultés qu’il rencontrait, le mouvement a du faire usage, comme nous l’avons montré dans les chapitres précédents, des nouvelles technologies de l’information (NTIC). En effet, il n’est pas un seul acte de l’EZLN qui n’est était retransmis dans le monde par le biais d’internet durant les dix dernières années. Mais l’on peut se demander si les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont réellement des outils valables pour consolider les processus de développement humain et la résolution des conflits des indigènes du Chiapas notamment ? La massification des nouvelles technologies a fait d’internet l’outil technologique et de communication le plus important de la période contemporaine, notamment grâce à sa nature démocratique et interactive. Lorsque les mouvements indigènes cherchent donc à modifier sensiblement la situation actuelle dans laquelle elles vivent, elles commencent à voir internet comme l'outil chance de changement dont elles doivent se prémunir. Sur l’exemple des populations d’Europe et des États-Unis, il est certain qu’internet a déjà montré qu’il pouvait se mettre au service de l’amélioration des droits et des conditions de vie de certains secteurs de la population, qui tentent de donner une résonance à leurs revendication par le biais d’internet. En Amérique latine, et même si l’usage de la technologie de l’information et de la communication en Amérique latine n’est pas nouveau150, il est pourtant certain que le réseau internet à jouer un rôle majeur dans la reconfiguration de l’espace des luttes dans lequel s’inscrivent les revendications indigènes. En effet, internet leur a servi pour créer un espace de connaissance et d’expériences partagées entre les peuples indigènes et non indigènes à travers le monde. Le cyberespace a donc été un moyen de favoriser au niveau mondial la représentation de la diversité culturelle existante: internet présente des opportunités énormes pour la conservation et le développement de la diversité linguistique et culturelle propre aux populations indigènes. De plus, il est certain que le réseau planétaire leur permet de communiquer avec le reste du monde en s’émancipant des contraintes d’isolement géographique dans lequel elles vivent 150 Les moyens de communication traditionnels, depuis les années 1940 ont en effet servi pour appuyer leurs demandes 142 habituellement. Dès lors, les contacts entre les diverses communautés indigènes du Mexique ou d’Amérique latine ont connu une révolution : l’intégration dans un réseau transfrontalier et transnational a permis a des cultures et des traditions souvent confinées au fin fond d’un territoire de connaître une véritable renaissance, notamment par le bénéfice que l’ouverture au monde et l’échange avec d’autres cultures leur a apporté. Dans les territoires marginalisés dans lesquels vivent habituellement les communautés indigènes, internet est apparu comme un aspect clé pour le développement éducatif et sanitaire : les opportunités de lutte contre l’analphabétisme151 et de télémédecine152 qu’offrait le réseau internet ont permis à des communautés de s’engager dans la voie de la redynamisation active de leur groupe. Aussi, élément intéressant, internet a parfois ouvert des communautés indigènes au dynamisme économique, avec notamment les débuts du commerce électronique et du tourisme durable, qui permet de traiter directement avec le consommateur. Mais pour parvenir à demander l’égalité des droits et l’amélioration de leurs conditions de vie, les communautés doivent souvent lutter pour avoir leur propre territoire dans le cyberespace et jouir de l’utilisation des nouvelles technologies. Certaines études sur le sujet ont tendu à montrer que si internet pouvait avoir des avantages pour des groupes jusque là stigmatisés et confinés, la lutte dans le cyberespace n’était que le prolongement par la lutte virtuelle d’une lutte déjà menée dans la réalité. Alors, les effets néfastes des NTIC pour des communautés marginalisés ont rapidement été soulevés. En effet, certains acteurs, à l'instar d'Oscar del Alamo se sont particulièrement intéressés à ce sujet153. Cette appropriation des NTIC par les communautés indigènes ne consiste pas en une lutte contre l’impérialisme culturel et économique mais à profiter des avantages de la technologie pour pouvoir satisfaire ses demandes, c’est-à-dire réussir la survivance de ses cultures au début du XXI siècle. Dès lors, la logique de lutte des indigènes zapatistes notamment, est réorientée et semble, en apparence du moins, s’affaiblir quelque peu. Ensuite, il est certain que les communautés indigènes ne disposent pas réellement des ordinateurs ou des lignes téléphoniques indispensables pour avoir accès à internet. De plus, certaines menaces et 151 Internet peut aussi servir à l’éducation : se référer au réseau Inkarri-net né en 1998, réseau télématique qui sert de support de formation , de communication, d’info et de doc aux peuples indigènes à travers les NTIC. 152 Il faut préciser sur ce point que l’attention sanitaire dans les régions indigènes les plus inaccessibles par voie de conférence vidéo notamment. 153 DEL ALAMO Oscar, Indigenas en la red, Institut International de Gouvernabilité de Catalogne, Espagne; et DEL ALAMO Oscar, Esperanza tecnológica:Internet para los pueblos indigenas de América Latina, idem. 143 certains risques inhérents à l’utilisation des NTIC par les communautés indigènes pour diffuser leurs revendications ont été identifiés154, parmi lesquelles : l’augmentation des inégalités (manque d’accès, absence d’infrastructures nécessaires), l’homogénéisation et l’imposition (les contenus, les langues ou les cultures dominantes sur internet peuvent uniformiser les idées, les préférences et les visions du mode, et cela pourrait tendre à reproduire les relations de domination existantes dans la société), l’isolement et la fragmentation (le monde virtuel recevrait plus d’attention que le monde réel). Par conséquent, et s’il est certain que les NTIC ne sont pas intrinsèquement bonnes ou mauvaises, il est très difficile d’évaluer les usages positifs ou négatifs qu’elles ont dans le développement humain155. Les résultats de l’usage d’internet par les communautés indigènes dépendent de l’application qu’elles souhaitent en faire. Si internet a permis de satisfaire des besoins qui, d’une autre façon, n’auraient pas été satisfaits, il est tout aussi sûr qu’il n’a pas non plus réellement fermé les brèches sociales du monde réel. Ainsi, les sites des communautés indigènes, et cela est vrai pour le Chiapas, sont créés et gérés par des usagers particuliers (souvent européens ou nord-américain) qui se chargent ainsi de diffuser les thématiques indigènes depuis leurs propres pays. Cette méthode dévoile alors ses propres limites : elle accentue la dépendance technologique des communautés (et malgré les bonnes intentions), et pourrait se convertir en base de la perpétuation et de la marginalisation des indigènes en les privant alors des possibilités pour l’instant existantes de leur autoreprésentation. Par conséquent, il est évident que les NTIC pourrait avoir un usage contre-productif. Alors, et s'il est tout de même indéniable qu'au Chiapas elles ont souvent servi à médiatiser le conflit et donc le désenliser, il est tout de même certain que l'usage des NTIC doit être strictement étudier, dans le sens notamment d'éviter les travers énoncés précédemment. 154 MARTÍNEZ, J. et GÓMEZ R., “Internet y Sociedad. Más allá del acceso: ¿Qué puede hacer la Internet por una mayor equidad social?” Serie Políticas Públicas. IDRC, Canadá; Fundación Acceso, Costa Rica, 2001. 155 GÓMEZ, R. & CASADIEGO, B. Carta a la Tía Ofelia: Siete propuestas para un desarrollo equitativo con el uso de Nuevas Tecnologías de Información y Comunicación. IDRC. Abril, 2002. 144 CONCLUSION GENERALE « Le petit rebelle tenait bon, protégé et résistant sous son bouclier, attendant le moment propice pour l’arc et la flèche. » Marcos, in La Jornada, Mexico, 3 février 2003. Comme nous l’évoquions dès l’introduction de notre étude, la fascination ou l’exaspération dont font preuve les analystes et les observateurs vis-à-vis de l’EZLN a abouti à une forte polarisation des opinions et à une idéalisation inconditionnelle ou une disqualification viscérale de l’EZLN : il s’agit d’« amasser des pierres pour accabler l’EZLN ou des fleurs pour la glorifier »156. Il nous a donc été extrêmement coûteux de développer une analyse qui essaye de sortir de ces carcans et d’examiner le rôle du Chiapas dans la reconfiguration nationale du Mexique et son intégration réussie dans la nouvelle configuration de l’ordre international. Ce point là étant définitivement souligné, il s’agit maintenant de présenter une conclusion à notre étude, et de voir quelles semblent être les perspectives que l’on peut en dégager. L’avènement de l’EZLN sur la scène nationale et internationale « ne fait pas suite à la « mort du marxisme », mais plutôt à la liquidation du « socialisme réel », qui n’avait depuis longtemps plus rien de réellement socialiste, mais qui tenait le marxisme en otage »157. C’est en ce sens notamment que le mouvement zapatiste a ébauché une critique de la tradition révolutionnaire dont il est issu, et surtout de son noyau léniniste, caractérisé par la centralité de la conquête de l’appareil d’Etat. Si l’EZLN a voulu remettre en cause la justice et l’égalité si souvent mis à mal au Mexique (et dans le monde), il est certain que dans le contexte d’après-guerre froide le mouvement allait devoir s’adapter, pour des raisons tactiques notamment. La recherche de l’avantage politique et médiatique maximal amènera l’EZLN à des ajustements tactiques successifs dictés par un impératif de survie. Dès lors, à la figure marxiste devait s’ajouter un élément supplémentaire : la politique identitaire. Si lorsque le conflit du Chiapas éclate en 1994, le Mexique fonctionnait comme une monarchie absolue, le pays fonctionne aujourd’hui comme une monarchie limitée. En effet il 156 BASCHET Jérôme, “Les zapatistes : ““ ventriloquie indienne ” ou interactions créatives ?”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006, page 153. 157 VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris, 2001. 145 est patent que les élections locales sont très fragiles (pratiques électorales anciennes et désintérêt des médias étrangers), et que la vie politique s’apparente surtout à une très performante machine électorale : la fonction de mobilisation du système est encore difficile à remplir. Malgré tout, il est certain que la vie politique est plus ouverte, et que l’électorat mexicain a connu son « entrée en citoyenneté »158. Cependant, l’"ivresse de la démocratie"159 qu'expérimente le Mexique est évidente : à Tuxtla, au Chiapas, et dès la fin 1994, le gouverneur est du PRI, le maire du PAN, et le district électoral a été gagné par le PRD. Dans un espace complexe, chargé de mémoire et où coexistent depuis longtemps plusieurs modèles, le politique demeure la pierre angulaire de constructions nouvelles. Comme nous l’avons montré, l’EZLN a fortement favorisé ce processus d’ouverture du système politique et de démocratisation. Ainsi, et même s’ils n’ont jamais réellement voulu s’intégrer au jeu politique (au sens strict), les zapatistes ont bien compris que la coopération entre les partis politiques et avec de nouveaux acteurs était plus viable que le système archaïque et verrouillé qui étouffait la société civile, et surtout sa composante indigène, depuis plus de quatre-vingts ans. L’EZLN a donc été le catalyseur de la démocratisation du Chiapas et du Mexique, l’artisan de la chute du PRI, et le moteur de la constitution d'un « mouvement indigène national, voire latino-américain, affirmatif, massif et démocratique, initiateurs d'un universalisme nouveau qui respecte les particularités ». C’est ce dernier caractère qui s’est le plus démarqué de l’action de l’EZLN et a confirmé sa personnalité originale. Le mouvement allait tout mettre en œuvre pour "dépasser ces oppositions que la modernité occidentale croit irréconciliables"160, et tenter de démontrer qu’il peut ne pas y avoir de tension entre unité et différence. C’est en ce sens le zapatisme participe "à la mise en place d'une nouvelle pensée critique"161. L’EZLN a bel et bien montré que ses revendications pouvaient s’inscrire dans un « Mexique pluriel », dans lequel on déterre définitivement l’affrontement manichéen entre la « République des blancs » et la « République des Indiens ». Les processus internes et les interactions externes, qui caractérisent la dynamique qui ne cessera d’animer le mouvement pendant ses dix ans de vie publique, ont été pour une bonne part favorable à l’avènement de l’EZLN sur la scène nationale et internationale. Si les zapatistes ont pendant un temps triomphé, il est certain que la réussite interne du mouvement (le fait de transformer un noyau guévariste en une armée des communautés indigènes), et 158 COUFFIGNAL Georges, « Mexique : le chemin convulsif vers le pluralisme politique », in Problèmes d’Amérique latine numéro 15, La Documentation française, octobre-décembre 1994. 159 Idem. 160 BASCHET Jérôme, L'Etincelle zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire. Denoël, Paris, 2002 161 ibid 146 l’interaction déterminante qu’il a réussi à mettre en place avec la société mexicaine, ainsi qu’avec des tendances globales du système –monde n’y sont pas pour rien. Ainsi, l’EZLN a su mettre en œuvre un remarquable processus d’auto-transformation. Le mouvement a certes une base indigène, mais sa lutte s’affirme à la fois comme indigène et non-indigène, et invite à rejeter toute définition étroite de l’identité, au nom de l’indéfinition. Pedro Pitarch tente de minimiser ce succès interne de l’EZLN en portant sur l’organisation un regard démystificateur : « L’EZLN, qui se présentait d’abord comme une organisation révolutionnaire communiste, en est venu, pour des raisons purement stratégiques, à se présenter comme un mouvement d’autonomie culturelle indigène »162. Il est sûr en effet que le passage du marxisme-léninisme au populisme nationaliste, et finalement à l’indianisme aura déboussolé certains analystes qui ne conçoivent le mouvement que comme un opportunisme en action. Cependant, il est certain que ces interrogations n’ont pas réduit à néant le grand capital moral et le rôle de premier ordre qu’a joué l’EZLN dans la transition mexicaine. Enfin, et même si l’EZLN n’a pas pu se transformer en force nationale (notamment car elle a favorisé l’avènement d’un système basé sur les partis politiques), le mouvement a fortement marqué les esprits de la « société civile mondialisée ». Les zapatistes auront eu le mérite d’établir un dialogue transparent dans le cadre de l'Etat de droit. Malgré tout, et même si les problèmes du Chiapas ne peuvent pas être solutionnés en « un quart d’heure »163, il est certain qu’il y a des sorties possibles. La dimension internationale du zapatisme lui a permis, entre autre artifice tactique, de désenliser les problèmes auxquels le mouvement était confronté un certain nombre de fois. Les enjeux du zapatisme sont nombreux, mais un certain nombre d’entre eux ont déjà été résolus. Ainsi, pour les anciens défenseurs des positions les plus radicales de l’EZLN, la nécessité de passer d’une lutte du monde indigène à une convocation capable d’incorporer tous les mexicains et les mexicaines s’est faite sans difficulté, car il était sûr que le futur du mouvement allait dépendre grandement de cette donnée. Le mouvement devait démontrer que ce n'était pas pour des peuples du passé qui se réfugient dans la nostalgie des temps historiques et naviguent contre la modernité qu'il s’était engagé. Il s’agissait de construire un 162 PITARCH Pedro, “Ventriloquie confuse”, in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 163 Comme l'avait maladroitement affirmé Vicente FOX lors de sa première allocution en décembre 2000. 147 nouveau cadre socio-politico-culturel dans lequel tous auraient leur place et où aucun ne soit obligé de souffrir d’acculturation forcée et encore moins de discriminations ancestrales. La valeur humaniste du mouvement, qui s’affirmait dès les débuts de l’insurrection, allait donner au mouvement une portée nationale et internationale. Ignacio Ramonet affirme : « le zapatisme représente un ambitieux projet dont la finalité est de construire une relation humaine différente de l’actuelle, fondée sur la conviction qu’il est possible de créer un monde distinct dans lequel personne ne soit de trop ni de doive être soumis à des acculturations forcées ; et qui est un processus d’affirmation des différences qui ne signifie pas la fermeture, qui ne veut pas non plus continuer de lutter pour reconstruire le modèle social basé sur des compartiments étanches qui ne font qu’aider à maintenir séparés les divers peuples entre eux . […] Le zapatisme dans cette nouvelle phase ne demande aucun type d’indépendance, il n’est pas partisan de la guerre, il ne veux pas le pouvoir, il ne regrette pas un retour au communisme primitif, il ne lorgne pas une autonomie excluante, il ne prétend pas instaurer un égalitarisme radical qui occulte les différences existantes, il ne cherche pas à proclamer la naissance de la Nation maya, il ne lutte par pour l’immobilisme des peuples indiens et le maintien à n’importe quel prix de ses coutumes ancestrales, ne désire pas non plus fragmenter la République en une multitude de petits pays indigènes . Son objectif est la paix, le dialogue, la justice, la liberté, la démocratie ». L’identité, la stratégie, la structuration et les interactions qu’a réussi à construire l’EZLN durant ces quelques dix années de vie publique en ont fait un acteur novateur et innovant, et on donc favorisé sa propulsion sur la scène nationale et internationale. Preuve en est d’ailleurs que la région du Chiapas est désormais un laboratoire qui accueille chaque jour de nombreux médiateurs, experts transnationaux, institutions internationales, grandes fondations, et ONG. Des acteurs prêts à évaluer, proposer, et résoudre les défaillances du système qu’ils observent, et qui parfois il est sûr seront porteurs de remèdes ou bien du mal (du fait qu’ils proviennent souvent de système socio-culturels distincts de ceux du Chiapas). En outre, l’EZLN a marqué l’apparition d’un nouveau type d’acteur au sein des Relations Internationales. Un acteur qui usait un déguisement militaire pour donner de la visibilité au marasme mexicain, et qui se dépêchait par la suite de s’auto-dissoudre en tant que tel pour s’assurer d’une légitimité et d’une estime d’autant plus grande. 148 La convergence entre les propositions zapatistes et les tendances globales des mouvements sociaux actuels a déjà été démontrée dans notre étude, mais il faut la repréciser ici afin de comprendre l’avantage majeur qu’a eu le zapatisme pour le système international : l’usage zapatiste s’adresse non pas au prolétariat ou aux masses seulement, mais à la diversité de la société sociale. Avant l’avènement de l’EZLN, aucun ordre n’avait eu à agir sous les yeux d’une opinion démocratique mondiale et dans un contexte caractérisé par une explosion technologique de cette ampleur. Les zapatistes ont donc ouvert la boite de pandore, et ont consolidé pendant une dizaine d’année la brèche qu’ils avaient ouverts dans l’ordre international. Si « le Chiapas exerce un rôle de révélateur des idéologies et des fantasmes, aussi bien en Amérique latine qu'en Europe »164, il a aussi favorisé la prise de conscience du monde entier que le monde de l’après-guerre froide n’est pas celui que l’on espérait. En effet, le système de sécurité collective dont rêvait les États Unis n’a pas succédé à la bipolarisation du monde : face à l’universalisme grossier dont a fait preuve le système à la suite de 1989, les zapatistes ont fait prendre conscience au monde entier que le système ne pourrait fonctionner efficacement, et ne serait effectivement une démocratie mondiale, s’il ne participait pas à construire « un monde qui contienne plusieurs mondes ». C’est donc en ce sens que le « nouvel ordre international » ne sera effectif que s'il régule le statut de ces nouveaux acteurs non étatiques et s'il définit leur position respective au sein du système-monde. Plus de dix ans après le début du conflit du Chiapas, il est indéniable que l’on peut affirmer que l’EZLN a marqué les esprits en profondeur au-delà du Mexique. Le soulèvement des zapatistes a fait le tour du monde et a connu un écho international sans précédent : peut-être est-ce parce que, dans le contexte de perte d’influence des idéologies qu’a favorisé l’avènement du monde unipolaire, « le réenchantement du monde »165 commençait dans la Chiapas ? Il est bien entendu difficile de trancher cette question. 164 VAYSSIERE Pierre, Les révolutions d’Amérique latine, Collection Points Histoire, Editions du Seuil, Paris, 2001. 165 Le BOT Y., « Le zapatisme, première insurection contre la mondialisation néolibérale », in WIEVIORKA M. (dir.), Un autre monde, Paris, Balland, 2003. 149 Ce qui est plus certain par contre, est que l’originalité du mouvement fait le consensus. L'EZLN est décrite comme une « armée » contestataire, de filiations indigène-marxisteguévariste-chrétienne, qui n’aspire pas à prendre le pouvoir mais bien davantage à disparaître. Les communiqués de presse, les déclarations solennelles et les actions symboliques du mouvement pour tenter d’imposer ses revendications dans le débat, en auront fait le "premier mouvement symbolique contre la globalisation", qui revendique des droits légitimes, et encourage à démocratiser le Mexique et à combattre le néolibéralisme. Comme le précisait Ignacio Ramonet, l’EZLN est « une jacquerie post-guerre froide suffisamment identitaire pour ne pas se diluer, suffisamment universelle pour ne pas se replier. […] un groupuscule pionnier de l'altermondialisme qui dès 1996 invite le monde entier à la "première rencontre intergalactique pour l'humanité et contre le néolibéralisme" ». L’aspiration républicaine à la démocratie politique et à la citoyenneté, conjugué à la quête socialiste et Tiers-mondiste d’égalité entre les groupes sociaux et entre les peuples sont autant d’éléments qui ont distancé l’EZLN des mouvements de guérilla marxiste d’Amérique latine qui l’ont précédée, et qui lui ont permis alors d’acquérir une personnalité publique. Mais si l’EZLN séduit, s’est aussi parce qu’elle a su s’enrichir d’accents plus inattendus : le souci du sujet, le statut de l’individu dans le collectif et de son émancipation, la reconnaissance des diversités et des identités culturelles, la conscience écologique des limites du progrès, la revendication d’égalité entre les hommes et les femmes, les liens étroits entre problèmes locaux et réalités mondiales, la culture expérimentale et participative, etc. C’est en conjuguant habilement toutes ces données, que le soulèvement isolé de l’EZLN dans la région la plus marginale d'un Etat périphérique de la Fédération mexicaine a réussi a acquérir un retentissement national et international sans précédent dans le monde d'aprèsguerre froide. Appréhendée comme « la première insurrection post-communiste du XXIè siècle », l’EZLN n’aura cessé de révéler au monde entier l’originalité des diverses données qui construisent sa personnalité. Mais désormais, il semble que l’EZLN ait connu son apogée. Le problème du Mexique ce n’est pas les peuples indigènes sinon un nationalisme qui oblige tous les groupes sociaux à se comporter d’une forme prédéfinie, et l’inexistence d’un cadre juridique et politique qui permette la diversité. Les zapatistes se sont donc trouvés confrontés à certains problèmes inhérents à l’identité de la nation mexicaine. En 2001, la grande majorité de la société mexicaine acceptait la « loi indigène » et pensait que l’EZLN devait s’asseoir à la table des négociations. S’il est certain que cette loi redéfinissait les bases de la discussion, il est tout 150 aussi sûr qu’elle tentait de cristalliser l’attitude ambiguë du pouvoir vis-à-vis des populations autochtones. Aussi, l’EZLN est confronté à l’affirmation de valeurs nouvelles (celles du modèle américain par exemple), et les valeurs du passé auquel elle est lié ne font que favoriser son isolement. De plus, certains analystes ont souligné le fait que si l’EZLN est en marge, c’est surtout parce qu’il s’agit d’un acteur qui s’auto-exclut, qui s’affirme pour la nation mais qui ne souhaite pas intégrer son action au sein d’un schéma politique et institutionnel stabilisé. Par conséquent, la perspective géopolitique et politique du mouvement n’a cessé de diminuer, et la nébuleuse que le mouvement avait contribué à construire tend à éclater. Enfin, aux critiques d’opportunisme et de ventriloquie qui caractérisent le mouvement, et qui semblent être le talon d’Achille de celui-ci, il est d’une nécessité impérieuse pour l’EZLN de corriger cet élément tant il mine la légitimité et la lisibilité du mouvement sur la scène nationale et internationale. Ainsi, si les zapatistes avaient su s’affirmer comme les tenants des nouvelles méthodes d’organisation interne dont devaient faire preuve les acteurs afin de se légitimer, leur entreprise a été à plusieurs reprise mise à mal par différents analystes. A titre d’exemple, nous citerons le cas de Pedro Pitarch qui à la suite d’une tribune dans El Pais le 12 janvier 1998 et dans laquelle il avait émis la volonté de penser de façon plus complexe le zapatisme, a du faire face aux réaction suivantes : « au lieu de débattre et critiquer l’article, quelques pro-zapatistes espagnols et latino-américains ont préféré envoyer des lettres à la direction du journal m’accusant d’ignorer la réalité chiapanèque, mais surtout d’être au service du gouvernement mexicain, d’accepter des bourses octroyer par l’ambassade [..](Paradoxalement plusieurs pro-zapatistes recevaient, eux, des bourses du gouvernement mexicain). Mon bureau de l’université fut couvert de graffitis, j’ai été menacé de mort, et plusieurs collègues ne m’adressaient plus la parole. C’étaient les mêmes qui lors des manifestations répétaient le slogan « Un monde composé de plusieurs mondes ! ». Ce témoignage incite donc à souligner le fait que le zapatisme, malgré son apparente ouverture, tend à fonctionner comme une alternative du tout ou du rien : on est pour ou contre les zapatistes, mais les positions intermédiaires nuancées sont rares. Autant d’éléments qui contrastent avec l’attitude de dialogue que les zapatistes se sont évertués de mettre en avant comme l’une des caractéristiques principales de leur mouvement, et qui semble désormais avoir clairement montré ses limites. Aussi, si le succès du zapatisme réside à la fois dans sa capacité à être plusieurs choses à la fois, « c’est là certes son avantage, mais aussi au final le secret de son impuissance »166. Le côté extraordinairement vague du discours zapatiste n’aura 166 PITARCH Pedro, « Ventriloquie confuse », in Problèmes d’Amérique latine numéro 61-62, La Documentation française, Eté/Automne 2006. 151 cessé de favoriser l’hémorragie de ses soutiens, tant dans la sphère nationale qu’internationale. Mais ce que les zapatistes auront réussi à coup sûr, est d’avoir remis la question indienne dans le débat politique des pays latino-américains. Désormais, il semble qu’une tendance forte à l’apparition de l’indianité comme nouvel acteur de la vie politique se dessine en Amérique latine, et l’EZLN a largement contribué à cette dynamique. Depuis les années 1990 en effet, la question des droits a gagné de l’importance dans un grand nombre de pays d’Amérique centrale ou andine. Les indigènes sont ainsi passés des revendications culturelles aux revendications sociales. Dans cette dynamique, l’EZLN est emblématique de la lutte politique des indigènes. Avec le slogan « Tierra y libertad », ce mouvement a remis en avant la question des droits des Indiens dans le débat politique mexicain et plus largement latinoaméricain. Le mouvement a donc ouvert la voie à un nouveau type d’acteur au sein des entités politiques nationales. De nouveaux acteurs politiques indigènes ont émergé sur la scène politique : au Pérou (Alejandro Toledo élu en 2001, premier président d’origine indienne d’Amérique latine), ou en Equateur par exemple (deux indiens ont accédé en 2002 à des postes de ministre : Luis Maca à l’Agriculture et Nina Pacari aux Affaires étrangères, première femme indienne à accéder à une haute fonction politique). Enfin, en décembre 2005, l’aymara Evo Morales était élu président de la République de Bolivie avec 54% des suffrages. Le combat qu’il tente de mener depuis est révélateur des espoirs que l’organisation marxisteindigéniste zapatiste rêvait d’entreprendre pour le Mexique : Morales refuse tout ethnicisme et rassemble autour de lui de nombreux métis. Il met en œuvre un programme radical basé sur la nationalisation des hydrocarbures (du gaz naturel surtout), la légalisation de la culture de la coca et la lutte contre l’impérialisme américain. Mais la force de Morales a été de savoir intégrer habillement le jeu politique bolivien, afin de pouvoir par la suite disposer de canaux plus influents pour entreprendre ses réformes. Les zapatistes eux, bien qu’ils ait tout fait pour donner les preuves de leur ouverture et de leur originalité, n’ont pas réussi à sauter ce pas (de peur notamment de donner l’image de s’être corrompu au système qu’ils dénonçaient), et n’ont donc pas réussi à imposer solidement les avancées qu’ils revendiquaient. Au milieu 2005 en effet, et après plus de dix ans de lutte, les communautés autonomes de la région du Chiapas continuent le combat pour un idéal et pour la défense de formes de vies spécifiques. 152 TABLE DES ANNEXES Annexe 1 : Carte de la République des États-Unis du Mexique et de l’Etat du Chiapas..................154 Annexe 2: Entretien avec Monsieur Raymond de Saint-Martin, Consul honoriaire du Mexique à Toulouse.............................................................................................................................155 Annexe 3 : Première déclaration de la Selva Lacandona...................................................................157 Annexe 4 : Deuxième Déclaration de la Forêt Lacandone................................................................ 159 Annexe 5 : Troisième déclaration de la jungle lacandone................................................................. 161 Annexe 6 : Quatrième déclaration de la foret lacandone................................................................... 164 Annexe 7 : Première déclaration de " La Realidad "contre le néolibéralisme et pour l'humanité..168 Annexe 8 : Les accords de San Andrés Larraizan ............................................................................. 171 Annexe 9 : Deuxième déclaration de la Realidad............................................................................... 173 Annexe 10 : Cinquième déclaration de la forêt Lacandone................................................................. 175 Annexe 11 : Sixième déclaration de la forêt Lacandone...................................................................... 180 Annexe 12 : Balance comparativo entre la propuesta de reformas constitucionales presentada por la Cocopa y las observaciones del Ejecutivo.........................................................................187 153 Annexe 1 : Carte de la République des États-Unis du Mexique et de l’Etat du Chiapas 154 Annexe 2: Entretien avec Monsieur Raymond de Saint-Martin, Consul honoriaire du Mexique à Toulouse. Mercredi 14 mars 2007. ● Le Chiapas, un potentiel de revendications: Comment présenteriez vous brièvement la situation au Chiapas? La pression politique et religieuse est très forte dans cette région du Mexique. Le catholicisme est fortement présent dans les communautés les plus faibles. Les guerres fratricides à l’intérieur de l’Eglise a renforcé le poids de l’Eglise dans les milieu simples. Lors du conflit la pacification a été obtenue par l’intermédiaire de l'évêque de San Cristóbal, Samuel Ruiz, afin de tempérer les deux parties en conflit. Il lui a été reproché d’être trop favorable aux Indiens, notamment car il étalé trop visiblement la culture de la compassion, directement liée à l’idée chrétienne. Le marxisme-léninisme présent dans la région de l’Amérique centrale, et les reflux des guérillas des années 1980 ont amené au Chiapas, région frontalière avec cette zone, l’idéologie et la ferveur révolutionnaire d’alors. Une sorte de cousinage donc. Selon vous, les caractéristiques principales des communautés chiapanèques ont-elles été propice a déclenché le conflit de 1994 au Chiapas? L’isolation des peuples chiapanèques, les a conduit au final a une crise d’identité sans précédent. La différence sociale au Mexique à toujours existé entre les métis et les Indiens, et les mexicains en sont généralement conscients. Ce que Marcos et l’EZLN ont fait, a été somme toute de sonner l’alerte rouge, le fameux “Ya basta!”. Au sûr, le Chiapas est dans le tiers-monde, mais cela se remarque surtout dans les mentalités des chiapanèques, attachés à l’ancestral. Lors du processus de conflit, et au moment de trouver des solutions, cette caractéristique à largement eu son importance. Ces gens sont engagés dans une culture de la préservation. Les États de Puebla, Oaxaca, Chiapas, et Tlaxco sont des régions ou les mentalités de gens sont beaucoup plus fermées, comme rétive au changement. Laissez-moi vous conter une anecdote: A la fin des années 1990, les pouvoirs publics avaient mis en place la déviation d’un cours d’eau qui passait au pied de la montagne, et où les villages environnants allés faire leur lessive, dans le but de leur rendre la vie plus commode et de leur amener plus de confort. Le phénomène qui a suivi a été surprenant. Les communautés se sont rendues compte que le nouveau système réduisait le lien social entre elles, et ce car le service de déserte d’eau été désormais plus individualisé. En réaction, les communautés ont naturellement décidé, dans le but de préserver le lien social existant, de sacrifier cette commodité, et de retourner en bas des montagnes. ● Le Chiapas glocalisé: Comment peut-on expliquer qu’après plus de 10 ans de conflit, le mouvement existe toujours? Il est évident que le conflit du Chiapas ne pouvait pas être réglé en l’espace d’un moment. Les négociations vont être longue. La domination des indigènes du Chiapas date de l’arrivée des espagnols au Mexique, et elle s’est renforcée davantage après l'indépendance du pays. Les zapatistes ont ouvert 155 la boite de pandore. Après tant de siècle de domination, il est sûr que l’on s'apprête à vivre au Chiapas une sorte de guerre de Cent Ans des temps modernes. Quelle image avez-vous du sous-commandant Marcos? Le sous-commandant est un véritable stratège politique. De plus, il bénéficie désormais, et ce depuis 2000, de l’ouverture des moyens de communication, avant sous le contrôle de l’Etat. Considérez-vous ce mouvement comme étant un “mouvement populaire”? Au Chiapas, l’EZLN ne représente l’opinion que d’une partie de la population. De nombreux groupes d’Indiens ne suivent pas ou plus le mouvement. En effet, tout dépend des mentalités inhérentes à chaque communauté, de l’intérêt que chacune a pu trouver dans le mouvement, et des factions présentes au Chiapas. ● Les héritages du mouvement: Quel a été l’impact de la guérilla chiapanèque? Dans la région: le mouvement a eu un formidable attrait quant au développement du tourisme dans la région du Chiapas. Désormais le tourisme est devenu un véritable moteur de l’économie de ce territoire. Le monde et les Institutions Internationales portent désormais plus d’attention à cette région, et les subventions s’en font ressentir. De plus, les infrastructures et les moyens de communication ont été améliorés largement depuis 1994. Dans le pays: il est clair que l’EZLN a été un détonateur pour mettre fin à l’hégémonie du PRI qui dominait le pays depuis 80 ans. Ce que le mouvement a fait, dans le pays, a surtout été de réaffirmer à une nation qui l’avait souvent oublié au cours de son Histoire la dignité du peuple indigène. Dans le monde: il est clair que l’EZLN a largement contribué à la diffusion et à la proclamation de l’existence des indigènes et de l’oppression des communautés au Mexique et dans le monde. En ce qui concerne le lancement politique du mouvement (La Otra Camapana): Selon vous, est-ce paradoxal pou les zapatistes de se lancer dans l’arène politique, bien que revendiquant leur non intention de se présenter, etc., et d’avoir toujours affirmé ne pas vouloir faire partie du système politique? Marcos a adopté une stratégie déroutante pour les mexicains, peu compréhensible. Il donne l’impression d’être une comète qui ressort à chaque veille d’élection politique. L’activité de l’EZLN depuis 2001 se réduit à peu. Elle s’apparente à un cycle qui alternerait les moments d’euphorie et les moments d’hibernation. 156 Annexe 3 : Première déclaration de la Selva Lacandona AUJOURD'HUI NOUS DISONS : BASTA! 1er janvier 1994. AU PEUPLE DU MEXIQUE, FRÈRES MEXICAINS, Nous sommes le produit de cinq cents ans de lutte, d'abord contre l'esclavage, durant la guerre d'indépendance contre l'Espagne menée par les insurgés, ensuite contre les tentatives d'expansionnisme nord-américain, puis pour promulguer notre Constitution et expulser l'Empire français de notre sol, enfin contre la dictature porfiriste qui refusa une juste application des lois issues de la Réforme. Du peuple insurgé formant ses propres chefs surgirent Villa et Zapata, des pauvres comme nous, à qui on a toujours refusé la moindre formation, destinés que nous étions à servir de chair à canon, afin que les oppresseurs puissent piller impunément les richesses de notre patrie, sans qu'il leur importe le moins du monde que nous mourions de faim et de maladies curables; sans qu'il leur importe que nous n'ayons rien, absolument rien, ni un toit digne de ce nom, ni terre, ni travail, ni soins, ni ressources alimentaires, ni instruction, n'ayant aucun droit à élire librement et démocratiquement nos propres autorités, sans indépendance aucune vis-à-vis de l'étranger, sans paix ni justice pour nous et nos enfants. Mais nous, AUJOURD'HUI, NOUS DISONS : BASTA ! Nous, les millions de dépossédés, héritiers des véritables fondateurs de notre nationalité,nous appelons tous nos frères à suivre cet appel, seule possibilité pour ne pas mourir de faim devant l'ambition insatiable d'une dictature vieille de soixante-dix ans, dirigée par une bande de traîtres qui représentent les groupes les plus conservateurs, les bradeurs de la patrie. Ce sont les mêmes que ceux qui se·sont opposés à Hidalgo et à Morelos, qui ont trahi Vicente Guerrero, les mêmes qui ont vendu plus de la moitié de notre sol à l'envahisseur étranger, qui ont amené un prince européen pour nous gouverner, les mêmes encore qui ont formé la dictature des scientifiques portïristes, qui se sont opposés à l'expropriation des compagnies pétrolières, qui ont massacré les cheminots en 1958 et les étudiants en 1968, les mêmes enfin qui, aujourd'hui, nous prennent tout, absolument tout. Pour éviter cela et en désespoir de cause, après avoir tout tenté pour que soit réellement pratiquée la légalité de la Carta Magna, notre Constitution, nous faisons appel à elle pour en faire appliquer l'article 39, qui dit textuellement : " La souveraineté nationale réside essentiellement et originellement dans le peuple. Tout pouvoir public émane du peuple et s'institue à son profit. Le peuple a, en tout temps, le droit inaliénable de modifier la forme de son gouvernement ou d'en changer. " Par conséquent, fidèle à notre Constitution, nous adressons la présente : DÉCLARATION DE GUERRE à l'armée fédérale mexicaine, principal pilier de la dictature que nous subissons, monopolisée par le parti au pouvoir et dirigée par l'exécutif fédéral aux mains de son chef suprême et illégitime, Carlos Salinas de Gortari. Conformément à cette déclaration de guerre, nous demandons aux autres forces de la nation de s'engager à restaurer la légalité et la stabilité de la nation en déposant le dictateur. Nous demandons également aux organismes internationaux et à la Croix-Rouge internationale de veiller à la régularité des combats que livrent nos forces, en protégeant la population civile, car nous déclarons solennellement que nous respectons et nous engageons à toujours respecter les règles de la Convention de Genève, et constituons l'EZLN comme force belligérante de notre lutte de libération. Nous avons le soutien du peuple mexicain, nous avons une patrie et le drapeau tricolore est aimé et respecté des combattants 157 INSURGÉS. Nous avons adopté pour nos uniformes le rouge et le noir, couleurs symbolisant la lutte des travailleurs en grève, et sur notre drapeau, qui nous accompagnera toujours au combat, figurent les lettres " EZLN ", EJÉRCITO ZAPATISTAA DE LIBERACIÔN NACIONAL. Nous condamnons d'avance toute tentative de discréditer notre juste cause en l'accusant de narco-trafic ou narco-guérilla, de banditisme et autres qualificatifs que pourraient employer nos ennemis. Notre lutte s'appuie sur le droit constitutionnel et porte l'étendard de la justice et de l'égalité. Ainsi, conformément à cette déclaration de guerre, nous donnons aux forces militaires de l'Armée zapatiste de libération nationale les consignes suivantes : Premièrement. - Défaire l'armée fédérale mexicaine et marcher sur la capitale du pays en protégeant dans sa progression libératrice la population civile et en permettant aux populations libérées d'élire librement et démocratiquement leurs propres autorités administratives; Deuxièmement. - Respecter la vie des prisonniers et remettre les blessés à la Croix-Rouge internationale pour qu'elle leur prête assistance; Troisièmement. - Entreprendre les jugements sommaires des soldats de l'armée fédérale mexicaine et des agents de la police politique qui ont été formés et conseillés, entraînés ou financés par des étrangers, au sein de la nation ou à l'étranger, sous l'accusation de trahison envers la patrie, ainsi que ceux de tous ceux qui répriment et maltraitent la population civile ou volent et attentent à ses biens; Quatrièmement. - Former de nouvelles colonnes avec tous les Mexicains qui désirent s'allier à notre juste cause, y compris avec les soldats ennemis qui se rendent sans combattre etjurent d'obéir aux ordres de ce Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale; Cinquièmement. - Demander la reddition inconditionnelle des garnisons ennemies avant d'engager les combats; Sixièmement. - Faire cesser le pillage de nos richesses naturelles dans les zones contrôlées par l'EZLN. PEUPLE DU MEXIQUE, nous, hommes et femmes libres et intègres, sommes conscients que la guerre que nous avons déclarée est une mesure ultime mais juste. Les dictateurs pratiquent une guerre génocide larvée contre nos peuples depuis de nombreuses années. C'est pour cela que nous te demandons ta participation active en soutenant ce projet du peuple mexicain en lutte pour le travail, pour la terre, le logement, l'alimentation, la santé, l'instruction, l'indépendance, la liberté, la démocratie, lajustice et la paix. Nous déclarons que nous ne cesserons pas le combat avant l'entière satisfaction de ces exigences fondamentales de notre peuple et la formation d'un gouvernement libre et démocratique de notre pays. REJOINS LES FORCES INSURGÉES DE L'ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE! Commandement général de l'EZLN an 1993 - forêt Lacandone, Chiapas, Mexique. 158 Annexe 4 : Deuxième Déclaration de la Forêt Lacandone juin 1994 Frères mexicains, Notre lutte continue. Le drapeau zapatiste flotte toujours dans les montagnes du Sud-Est mexicain et aujourd'hui nous disons : Nous ne nous rendrons pas ! Tournés vers la montagne, nous avons parlé avec nos morts, afin que leur parole nous désigne le bon chemin, celui que doit emprunter notre visage bâillonné. Les tambours ont retenti et dans la voix de la terre a parlé notre douleur et notre histoire a parlé. " Tout pour tous ", disent nos morts. Tant qu'il n'en sera pas ainsi il n'y aura rien pour nous. Dites la parole des autres Mexicains, trouvez le chemin du cœur à l'écoute de ceux pour qui nous luttons, invitez-les à marcher du pas digne de ceux qui n'ont pas de visage. Appelez tout le monde à résister, que personne n'accepte rien de ceux qui commandent en commandant. Que le fait de ne pas se vendre devienne une bannière commune. Demandez qu'on ne se contente pas de paroles d'encouragement devant notre douleur. Demandez qu'on la partage, demandez que l'on résiste avec vous, que l'on rejette toutes les aumônes qui viennent des puissants. Que toutes les bonnes gens qui vivent sur ces terres organisent aujourd'hui la dignité qui résiste et ne se vend pas. Que demain cette dignité s'organise pour exiger que la parole qui est dans le cœur du plus grand nombre soit reconnue et saluée par ceux qui gouvernent. Que s'impose le bon chemin, où celui qui commande commande en obéissant. Ne vous rendez pas! Résistez! Ne faillissez pas à l'honneur de la parole vraie. Résistez avec dignité sur les terres des hommes et des femmes vrais, que les montagnes abritent la douleur des hommes de maïs. Ne vous rendez pas! Résistez! Ne vous vendez pas! Résistez! C'est ce qu'a dit la parole venant du cœur de nos morts de toujours. Nous avons vu que la parole de nos morts était bonne, nous avons vu qu'il y a vérité et dignité dans leur conseil. C'est pour cela que nous appelons tous nos frères indigènes mexicains à résister avec nous. Nous appelons tous les paysans à résister avec nous, les ouvriers, les employés, les fermiers, les femmes au foyer, les étudiants, les instituteurs, ceux qui font leur vie de la pensée et de la parole, tous ceux qui ont le sens de l'honneur et de la dignité, nous les appelons tous pour qu'ils résistent avec nous, car ce mauvais gouvernement veut qu'il n'y ait pas de démocratie sur notre sol. Nous n'accepterons rien qui vienne du cœur pourri de ce gouvernement mauvais, ni le moindre sou, ni un médicament, ni une pierre, ni un grain de nourriture, ni la moindre miette des aumônes qu'il propose en échange de notre digne cheminement. Nous ne recevrons rien du suprême gouvernement. Même si notre peine et notre douleur augmentent, même si la mort demeure à notre table, sur notre terre et dans notre lit, même si nous voyons que d'autres se vendent à la main qui les opprime, même si tout fait mal, même si notre peine pleure jusque dans les pierres. Nous n'accepterons rien, nous résisterons. Nous ne 159 recevrons rien du gouvernement, nous résisterons jusqu'à ce que celui qui commande commande en obéissant. Frères, ne vous vendez pas. Résistez avec nous. Ne vous rendez pas. Résistez avec nous. Répétez avec nous, frères : " Nous ne nous rendons pas! Nous résistons! " Que cette parole ne s'entende pas seulement dans les montagnes du Sud- Est mexicain, qu'elle s'entende aussi dans le Nord et dans les péninsules, qu'on l'écoute sur les deux côtes, qu'on l'entende dans le centre, qu'elle se fasse cri dans les vallées et dans les montagnes, qu'elle résonne à la ville et à la campagne. Unissez vos voix, frères, criez avec nous, faites vôtre notre voix : Nous ne nous rendons pas! Nous résistons! Que la dignité brise le cercle par lequel les mains sales de ce mauvais gouvernement nous asphyxient. Nous sommes tous cernés, ils ne laissent pas la démocratie, la liberté et la justice pénétrer en terre mexicaine. Frères, nous sommes tous cernés. Ne nous rendons pas! Résistons! Soyons dignes! Ne nous vendons pas! À quoi serviront au puissant toutes ses richesses s'il ne peut pas acheter ce qu'il y a de plus précieux sur ces terres? Si la dignité de tous les Mexicains n'a pas de prix, à quoi sert le pouvoir du puissant? La dignité ne se rend pas! La dignité résiste! Démocratie! Liberté! Justice! Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain. Comité clandestin révolutionnaire indigène Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale Mexique, juin 1994. 160 Annexe 5 : Troisième déclaration de la jungle lacandone janvier 1995 Un an après le soulèvement zapatiste, nous disons aujourd'hui : La patrie vit ! Et elle nous appartient ! Nous avons été malheureux, c'est vrai; la chance nous a souvent été défavorable, mais la cause du Mexique, qui est la cause du droit et de la justice, n'a pas succombé, n'est pas morte et ne mourra pas, parce qu'il existe encore des Mexicains courageux dans le cœur desquels brûle le feu sacré du patriotisme et, quel que soit l'endroit de la République où ils se trouvent, les armes et le drapeau national à la main, il existera, comme ici, vif et énergique, le refus que le droit oppose à la force. Que l'homme imprudent qui a accepté la triste mission d'être l'instrument de la mise en esclavage d'un peuple libre le comprenne bien : son trône vacillant ne repose pas sur la libre volonté de la nation, mais sur le sang et les cadavres de milliers de Mexicains qu'il a sacrifiés sans motif, pour la simple raison qu'ils défendaient leur liberté et leurs droits. Mexicains : vous qui avez le malheur de vivre sous la domination de l'usurpation, ne vous résignez pas à supporter le joug d'opprobre qui pèse sur vous. Ne vous méprenez pas sur les perfides allusions des partisans des faits accomplis, parce qu'ils sont, et ont toujours été, les partisans du despotisme. L'existence du pouvoir arbitraire est une violation permanente du droit et de la justice, que ne peuvent jamais justifier ni le temps ni les armes, et qu'il est nécessaire de détruire pour l'honneur du Mexique et de l'humanité. MANIFESTE : DEBOUT ET AUSSI RÉSOLUS QU’AU PREMIER JOUR. Benito Juârez, janvier 1865, Chihuahua . Au peuple du Mexique. Aux peuples et gouvernements du monde. Frères, Le 1er janvier 1994, nous faisions connaître la Première Déclaration de la jungle lacandone. Le 10 juin 1994, nous avons lancé la Deuxième Déclaration de la jungle lacandone . L'une et l'autre étaient motivées par la volonté de lutter pour la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains. Dans la première, nous avons appelé le peuple mexicain à se soulever en armes contre le mauvais gouvernement, principal obstacle dans la marche de notre pays vers la démocratie. Dans la deuxième, nous avons appelé les Mexicains à un effort civil et pacifique, par l'intermédiaire de la Convention nationale démocratique, pour obtenir les profonds changements que demande la nation. Alors que le gouvernement suprême montrait sa déloyauté et sa superbe, nous, entre ces deux manifestes, nous sommes efforcés de faire voir au peuple mexicain, notre support social, le bien-fondé de nos demandes et la dignité qui anime notre lutte. Nos armes alors se sont tues et se sont écartées, pour que la lutte légale démontre ses possibilités... et ses limites. À partir de la Deuxième Déclaration de la jungle lacandone, l'EZLN a tenté, par tous les moyens, d'éviter la reprise des hostilités, et a cherché une issue politique, digne et juste, qui permette d'apporter une réponse aux demandes exprimées dans les onze points de notre programme de lutte : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, justice, indépendance, liberté, démocratie et paix. Le processus préélectoral d'août 1994 a apporté l'espoir, dans de vastes secteurs du pays, que la transition démocratique était possible par la voie électorale. Sachant que les élections ne sont pas, dans les conditions actuelles, le chemin du changement démocratique, l'EZLN a commandé en obéissant et s'est 161 effacée pour permettre aux forces politiques légales d'opposition de lutter. L'EZLN a alors engagé sa parole et ses efforts dans la recherche d'une transition pacifique vers la démocratie. À travers la Convention nationale démocratique, l'EZLN a appelé à un effort civil et pacifique qui, sans s'opposer à la lutte électorale, ne s'y épuiserait pas et chercherait de nouvelles formes de lutte capables d'impliquer davantage de secteurs démocratiques au Mexique et de tisser des liens avec des mouvements de lutte pour la démocratie d'autres parties du monde. Le 21 août a mis fin aux illusions d'un changement immédiat par la voie pacifique. Un processus électoral souillé, immoral, inéquitable et illégitime, s'est achevé en nouveau pied-de-nez à la juste volonté des citoyens. Le système du parti-État a réaffirmé sa vocation antidémocratique et imposé, partout et à tous les niveaux, sa volonté arrogante. Face à une participation électorale sans précédent, le système politique mexicain a opté pour l'autoritarisme, coupant court aux espoirs que suscitait la voie électorale. Des rapports de la Convention nationale démocratique, de l'Alliance Civique et de la Commission pour la vérité ont mis en lumière ce que cachaient, avec une honteuse complicité, les grands médias : une fraude gigantesque. Les multiples irrégularités, l'iniquité, la corruption, le chantage, l'intimidation, le vol et la falsification, ont été le cadre dans lequel se sont déroulées les élections les plus sales de toute l'histoire du Mexique. Les taux élevés d'abstention des élections locales de Veracruz, Tlaxcala et Tabasco, démontrent que le scepticisme civil régnera de nouveau au Mexique. Mais, non content de cela, le système du parti-État a renouvelé la fraude d'août, en imposant des gouverneurs, des maires et des parlements locaux. Comme à la fin du XIXe siècle, lorsque les traîtres organisèrent des "élections " pour légitimer l'intervention française, on prétend aujourd'hui que la nation salue, avec bienveillance, la continuité de la contrainte et de l'autoritarisme. Le processus électoral d'août 1994 est un crime contre l'État. C'est en tant que criminels que doivent être jugés les responsables de cette fraude. D'un autre côté, le gradualisme et le renoncement apparaissent dans les rangs de l'opposition, qui accepte de voir dissoudre une grande fraude en multitude de petites "irrégularités ". Voici qu'apparaît à nouveau la grande fracture dans la lutte pour la démocratisation au Mexique : prolongation de l'agonie par le pari sur une transition "sans douleur " ou coup de grâce dont l'éclat illumine le chemin de la démocratie. Le cas du Chiapas n'est que l'une des conséquences de ce système politique. En ne tenant aucun compte des aspirations du peuple chiapanèque, le gouvernement a redoublé la dose d'autoritarisme et d'arrogance. [… ] Dans l'attente de signes de la volonté gouvernementale d'aboutir à un règlement politique, juste et digne, du conflit, l'EZLN a vu, impuissante, les meilleurs enfants de la dignité du Chiapas assassinés, emprisonnés et menacés ; elle a vu ses frères indigènes du Guerrero, de l'Oaxaca, du Tabasco, de Chihuahua et de Veracruz réprimés et ne recevoir que railleries en réponse à leur demande d'amélioration de leurs conditions de vie. Pendant toute cette période, l'EZLN n'a pas seulement subi le siège militaire et les menaces et intimidations des forces fédérales ; elle a aussi résisté à une campagne de calomnies et de mensonges. Comme aux premiers jours de l'année 1994, nous avons été accusés de recevoir assistance militaire et financement étrangers ; on a tenté de nous forcer à déposer nos drapeaux en échange d'argent et de postes gouvernementaux ; on a tenté d'enlever sa légitimité à notre lutte en diluant la problématique nationale dans le cadre indigène local. Pendant ce temps, le gouvernement suprême préparait la solution militaire à la rébellion indigène du Chiapas, et la nation était plongée dans le désespoir et le dégoût. Avec sa prétendue volonté de dialogue, qui n'occultait que la volonté de tuer l'EZLN en l'asphyxiant, le mauvais gouvernement laissait passer le temps et la mort dans les communautés indigènes de tout le pays. Pendant ce temps, la Parti révolutionnaire institutionnel, branche politique du crime organisé et du trafic de stupéfiants, prolongeait sa phase de décomposition la plus aiguë en recourant à l'assassinat comme méthode de règlement de ses luttes internes. Incapable de tenir un dialogue civilisé en son sein, le PRI ensanglantait le sol national. L'usurpation des couleurs du drapeau national par le sigle du PRI est pour tous les Mexicains une honte qui dure. […] Aujourd'hui nous répétons : 162 NOTRE LUTTE EST NATIONALE. On nous a critiqués en disant que, nous, les zapatistes, demandons beaucoup, que nous devons nous contenter de l'aumône que nous a offerte le mauvais gouvernement. Celui qui est prêt à mourir pour une cause juste et légitime a le droit de tout demander. Nous, zapatistes, sommes prêts à offrir la seule chose que nous ayons, la vie, pour exiger la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains. Nous réaffirmons aujourd'hui : TOUT POUR TOUS, RIEN POUR NOUS À la fin de l'année 1994 explosait la farce économique avec laquelle le salinisme avait trompé la nation et la communauté internationale. La patrie de l'argent a appelé en son sein les grands seigneurs du pouvoir et de la superbe, et ceux-ci n'ont pas hésité à trahir le sol et le ciel où ils s'enrichissaient par le sang mexicain. La crise économique a réveillé les Mexicains du doux rêve abrutissant de l'accession au premier monde. Le cauchemar du chômage, de la vie chère et de la misère, sera désormais plus aigu pour la majorité des Mexicains. Cette année qui se termine, 1994, a fini de montrer le vrai visage du système brutal qui nous domine. Le programme politique, économique, social et répressif du néolibéralisme a démontré son inefficacité, sa fausseté, et la cruelle injustice qui en est l'essence. Le néolibéralisme en tant que doctrine et en tant que réalité doit être jeté, et vite, à la poubelle de l'histoire nationale. […] Frères, La paix viendra, amenée par la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains. Nos pas ne peuvent trouver la juste paix que réclament nos morts, si c'est au prix de notre dignité mexicaine. La terre n'a pas de répit et marche dans nos cœurs. L'offense faite à nos morts demande la lutte pour laver leur peine. Nous résisterons. L'opprobre et la superbe seront vaincus. Comme avec Benito Juârez face à l'intervention française, la patrie marche, à présent, aux côtés des forces patriotes, contre les forces antidémocratiques et autoritaires. Aujourd'hui, nous disons : LA PATRIE VIT ! ET ELLE NOUS APPARTIENT ! Démocratie ! Liberté ! Justice ! Depuis les montagnes du Sud-est mexicain. Comité clandestin révolutionnaire indigène-Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale. Mexique, janvier 1995 163 Annexe 6 : Quatrième déclaration de la foret lacandone Aujourd'hui, nous disons : Nous sommes toujours là! Nous sommes la dignité rebelle, le cœur oublié de la patrie! 1er janvier 1996. "Tous ces peuples, tous ceux qui travaillent la terre, tous nous les invitons à s'unir et se joindre à nous et nous donnerons notre vie a une seule lutte, pour que nous marchions avec votre aide. Luttons encore et sans repos et nôtre sera la terre, propriété des gens, la terre qui fut à nos aïeux et que les doigts de pieds de pierre écraseurs nous ont arrachée, à l'ombre de ceux qui sont passés, ceux qui toujours commandent; qu'ensemble nous portions haut, la main sur un site élevé et avec la force de notre coeur, ce qui doit être vu, qu'on appelle étendard de notre dignité et de notre liberté, à nous travailleurs de la terre; ensemble luttons toujours et vainquons ceux qui de nouveau se sont hissés en haut, ceux qui appuient ceux-là qui enlèvent à d'autres leur terre, ceux qui tirent grande richesse du travail de ceux qui sont comme nous, et ces trompeurs des haciendas, c'est notre devoir d'honneur, si nous voulons être appelés des hommes de bonne vie, et en vraie vérité bons habitants du peuple. Aujourd'hui, de quelque façon, plus que jamais, il nous faut aller tous unis, avec tout notre coeur, et avec tout notre effort, dans ce grand travail de l'unification merveilleuse, bien véritable, de ceux qui engagèrent la lutte, qui gardent purs dans leur coeur ces principes et ne perdent pas la foi de la vie juste. Nous supplions que qui ait entre ses mains ce manifeste, qu'il le fasse passer à tous les hommes de ces terres." Réforme, Liberté, Justice et Loi. Le Général en chef de l'Armée Libératrice du Sud, Emiliano Zapata. Au peuple du Mexique, Aux peuples et gouvernements du monde, Frères, Elle ne mourra pas, la fleur de la parole. Le visage invisible de qui la dit aujourd'hui peut mourir, mais la parole revenue du fond de l'histoire, du fond de la terre, la superbe du pouvoir ne pourra plus l'arracher. Nous sommes nés de la nuit. En elle nous vivons. Nous mourrons en elle. Mais la lumière sera demain pour tous, pour tous ceux qui pleurent la nuit, auxquels le jour est refusé, ceux pour qui la mort est un don, auxquels la vie est interdite. Pour tous, la lumière. Pour tous, tout. Pour nous, la douleur et l'angoisse, pour nous la joyeuse rÈbellion, pour nous le futur fermé, pour nous, la dignité insurgée. Pour nous, rien. […] Nous luttons pour la Patrie, et le mauvais gouvernement rêve du drapeau et de la langue de l'étranger. Nous luttons pour la paix, et le mauvais gouvernement annonce guerre et destruction. 164 Toit, terre, pain, santé, éducation, indépendance, démocratie, liberté, justice et paix. Tels furent nos drapeaux à l'aube de 1994. Telles furent nos demandes pendant la longue nuit des 500 ans. Telles sont, aujourd'hui, nos exigences. […] -IFrères: Le 1° janvier 1995, après avoir rompu l'encerclement militaire par lequel le mauvais gouvernement prétendait nous enfouir dans l'oubli et nous épuiser, nous avons appelé les différentes forces et citoyens à construire un ample front d'opposition qui unisse les volontés démocratiques contre le système de parti d'Etat : le Mouvement pour la Libération Nationale. Bien qu'à ses débuts cet effort d'unité oppositionnelle ait rencontré bon nombre de problèmes, il s'est poursuivi dans la pensée des hommes et des femmes qui ne se satisfont pas de voir leur patrie livrée aux décisions du pouvoir et de l'argent étrangers. L'ample front d'opposition, après avoir suivi une route pleine de difficultés, incompréhensions et reculs, est sur le point de concrétiser ses premiers projets et accords d'action conjointe. Le long processus de maturation de cet effort d'organisation devra atteindre sa plénitude au cours de l'année qui commence. Nous, les zapatistes, saluons la naissance du Mouvement pour la Libération Nationale et désirons qu'entre ceux qui en fassent partie existe toujours la volonté d'unité et le respect des différences. Le dialogue était renoué avec le gouvernement suprême quand fut trahie la bonne volonté de l'EZLN dans la recherche d'une issue politique à la guerre commencée en 1994 . Feignant de vouloir le dialogue, le mauvais gouvernement choisit lâchement la solution militaire et, avec des arguments maladroits et stupides , déclencha une grande persécution politique et militaire dont l'objectif suprême était l'assassinat de la direction de l'EZLN. Les forces armées rebelles de l'EZLN résistèrent avec sérénité au coup de force de dizaines de milliers de soldats qui prétendaient, avec les conseils de l'étranger et toute leur machinerie de mort moderne, noyer le cri de dignité qui surgissait des montagnes du Sud-Est Mexicain. Un repli ordonné permit aux forces zapatistes de conserver leur puissance militaire, leur autorité morale, leur force politique et la raison historique qui est leur arme principale contre le crime fait gouvernement. Les grandes mobilisations de la société civile nationale et internationale ont arrêté l'offensive traîtresse et obligé le gouvernement à revenir à la voie du dialogue et la négociation. Des dizaines de civils innocents furent emprisonnés par le mauvais gouvernement et sont aujourd'hui encore emprisonnées, comme otages des terroristes qui nous gouvernent. Les forces fédérales n'ont eu d'autres victoires militaires que la destruction d'une bibliothèque, d'une salle de réunions culturelles et d'une piste de danse et le pillage des maigres biens des indiens de la forêt Lacandone. Le gouvernement couvrit d'un mensonge la tentative d'assassinat, avec la mascarade de la "récupération de la souveraineté nationale". Oublieux de l'article 39 de la Constitution qu'il a jurée de défendre le 1° décembre 1994, le gouvernement suprême a réduit l'Armée Fédérale Mexicaine au niveau d'une armée d'occupation, lui a assigné la tâche de sauvegarder le crime organisé fait gouvernement et a voulu la lancer contre ses frères mexicains. Pendant ce temps, la véritable perte de la souveraineté nationale se concrétisait en pactes secrets et publics du cabinet économique avec les maîtres de l'argent et les gouvernements étrangers. Aujourd'hui, alors que des dizaines de milliers de soldats fédéraux agressent et harcèlent un peuple armé de fusils de bois et de mots de dignité, les plus hauts gouvernants achèvent de vendre les richesses de la grande nation mexicaine et finissent de détruire le peu qui reste debout. […] Voyant que le gouvernement refusait une approche sérieuse du conflit national que représente la guerre, l'EZLN prit une initiative de paix pour débloquer le dialogue et la négociation. Appelant la société civile à un dialogue national et international pour la recherche d'une paix nouvelle, l'EZLN convoqua la Consultation pour la Paix et la démocratie, pour entendre la pensée nationale et internationale sur ses demandes et son avenir. Avec la participation enthousiaste des membres de la Convention Nationale Démocratique, le dévouement désintéressé de milliers de citoyens sans organisation mais anxieux de démocratie, la 165 mobilisation des comités de soutien internationaux et des groupes de jeunes, et l'aide irréprochable des frères et soeurs d'Alianza Cívica Nacional, les mois d'août et septembre 1995 virent se dérouler un exercice de citoyenneté sans précédents dans l'histoire mondiale : une société civile et pacifique qui dialoguait avec un groupe armé et clandestin. Plus d'un million trois cent mille dialogues se réalisèrent pour faire de cette rencontre de volontés démocratiques une vérité. A l'issue de cette consultation, la légitimité des revendications zapatistes se vit ratifiée, l'ample front d'opposition, qui était en panne, reçut une nouvelle impulsion, et le désir s'exprima clairement de voir les zapatistes participer à la vie politique civile du pays. La grande participation de la société civile internationale attira l'attention sur la nécessité de construire des espaces de rencontre entre les volontés de changement démocratique qui existent dans différents pays. L'EZLN prit au sérieux les résultats de ce dialogue national et international et commença les travaux politiques et d'organisation nécessaires pour suivre le chemin qu'ils signalaient. En réponse au succès de la Consultation pour la Paix et la Démocratie, les zapatistes ont lancé trois initiatives nouvelles. Une initiative internationale, qui appelle à réaliser une rencontre internationale contre le néolibéralisme. Deux initiatives sont de caractère national : la formation de comités civils de dialogue comme base de discussion des principaux problèmes nationaux et germe d'une nouvelle force politique non partidiste; et la construction de nouveaux Aguascalientes, lieux de rencontre entre la société civile et le zapatisme. Trois mois après ces trois initiatives, la convocation à la rencontre internationale pour l'humanité et contre le néolibéralisme est sur le point d'être lancée; plus de 200 comités civils de dialogue se sont formés dans toute la République mexicaine et, aujourd'hui même, s'inaugurent 5 nouveaux Aguascalientes : un dans la communauté de La Garrucha, un autre à Oventic, un à Morelia, un à La Realidad, et le dernier, et premier, dans le coeur de tous les hommes et femmes honnêtes qui se trouvent au monde. Au milieu des menaces et des carences, les communautés indiennes zapatistes et la société civile sont parvenues à édifier ces centres de résistance civile et pacifique qui seront des lieux de défense de la culture mexicaine et mondiale. Le Nouveau Dialogue National a passé son premier essai à l'occasion de la "Table 1" du Dialogue de San Andrés. Tandis que le gouvernement révélait son ignorance des habitants originaires de ces terres, les conseillers et invités de l'EZLN jetaient les bases d'un dialogue si riche et si neuf qu'il dépassa immédiatement l'étroit réduit de San Andrés et se situa à sa place véritable : la nation. Les indiens mexicains, ceux qu'on a toujours obligé à écouter, à obéir, à accepter, à se résigner, prirent la parole et dirent la sagesse qui marche dans leurs pas. L'image de l'indien ignorant, pusillanime et ridicule, l'image que le pouvoir avait décrétée pour la consommation nationale, vola en éclats et l'orgueil et la dignité indiennes revinrent dans l'histoire pour y prendre la place qui leur revient : celle de citoyens pleins et entiers. Indépendamment des résultats de la première négociation d'accords à San Andrés, le dialogue engagé par les différentes ethnies et leurs représentants va continuer dans le Forum National Indien, et aura le rythme et la portée que les indiens eux-mêmes voudront et décideront ensemble. […] Tandis que l'opposition véritable s'efforce pour trouver le centre dans une nation moribonde, de larges couches de la population renforcent leur scepticisme face aux partis politiques et cherchent, sans la trouver encore, une option d'action politique nouvelle, une organisation politique de type nouveau. […] Une nouvelle société plurielle, tolérante, incluante, démocratique, juste et libre n'est possible, aujourd'hui, que dans une patrie nouvelle. Le pouvoir n'en sera pas le constructeur. Le pouvoir n'est désormais que l'agent de vente des décombres d'un pays détruit par les véritables subversifs et déstabilisateurs : les gouvernants. Les projets d'opposition indépendante souffrent d'une carence qui devient, aujourd'hui, plus décisive : nous nous opposons à un projet de pays qui implique sa destruction, mais nous manquons de la proposition 166 d'une nouvelle nation, une proposition de reconstruction. Dans l'effort pour la transition à la démocratie, l'EZLN a été et reste une partie, non e tout ni l'avant-garde. En dépit des persécutions et des menaces, pardelà les tromperies et les mensonges, forte de sa légitimité et de sa cohérence, l'EZLN poursuit sa lutte pour la démocratie, la liberté et la justice pour tous les mexicains. Aujourd'hui, la lutte pour la démocratie, la liberté et la justice au Mexique est une lutte pour la libération nationale. […] -IIIFrères, Beaucoup de mots marchent dans le monde. Beaucoup de mondes se font. Beaucoup de mondes nous font Il y a des mots et des mondes qui sont mensonges et injustices. Il y a des mots et des mondes qui sont vérités et véritables. Nous faisons des mondes véritables. Nous sommes faits par des mots véridiques. Dans le monde du puissant, il n'y a place que pour les grands et leurs serviteurs. Dans le monde que nous voulons, il y a place pour tous. Le monde que nous voulons est fait de beaucoup de mondes, tous y ont place. Dans la Patrie que nous construisons, il y a place pour tous les peuples et leurs langues, que tous les pas y marchent, que tous les rires la rient, que tous soient son aurore. Nous disons l'unité, même quand nous nous taisons. Doucement et en pleuvant nous parlons les mots qui trouvent l'unité qui nous enlace dans l'histoire, pour rejeter l'oubli qui nous sépare et détruit. Notre parole, notre chant et notre cri, montent pour que ne meurent plus les morts. Pour qu'ils vivent, nous luttons, pour qu'ils vivent, nous chantons. Vive la parole. Vive le Ya Basta! Vive la nuit qui se fait matin. Vive notre digne pas avec ceux, tous, qui pleurent. Pour détruire l'horloge de mort du puissant, nous luttons. Pour un nouveau temps de vie. La fleur de la parole ne meurt pas, même si nos pas marchent en silence. La parole, en silence, se sème. Pour qu'elle fleurisse en cris elle se tait. La parole se fait soldat pour ne pas mourir dans l'oubli. Pour vivre meurt la parole, semée pour toujours dans le ventre du monde. A naître et vivre, nous mourons. Nous vivrons toujours. Seuls ceux qui livrent leur histoire retourneront à l'oubli. Nous sommes toujours là. Nous ne nous rendons pas. Zapata est vivant et, en dépit de tout, la lutte continue. Depuis les montagnes du sud-est mexicain CCRI-CG de l'EZLN Mexique, 1° janvier 1996 167 Annexe 7 : Première déclaration de " La Realidad " contre le néolibéralisme et pour l'humanité Janvier 1996. Me voilà arrivé, je suis là, moi chanteur. Réjouissez-vous à la bonne heure, que se présentent ici ceux dont le cœur est endolori. Moi, j'élève mon chant. Poème nahuatl. Aux peuples du monde. Frères, Ces dernières années, le pouvoir de l'argent a présenté sous un nouveau masque son visage criminel. Pardessus les frontières, sans distinction de race ou de couleur, le pouvoir de l'argent humilie les dignités, insulte les honnêtetés et assassine les espérances. Rebaptisé " néolibéralisme ", le crime historique de la concentration de privilèges, de richesses et d'impunités, démocratise la misère et le désespoir. Une nouvelle guerre mondiale se livre, mais contre l'humanité tout entière à présent. Comme dans toutes les guerres mondiales, ce qui est recherché, c'est un nouveau partage du monde. Cette guerre moderne qui assassine et oublie porte le nom de " mondialisation ". Le nouveau partage du monde consiste à concentrer du pouvoir au pouvoir et de la misère dans la misère. Le nouveau partage du monde exclut les " minorités ". Indigènes, jeunes, femmes, homosexuels, lesbiennes, gens de couleur, immigrés, ouvriers, paysans ; les majorités qui forment les sous-sols du monde, le pouvoir ne les voit que comme des minorités superflues. Le nouveau partage du monde exclut les majorités. L'armée moderne du capital financier et des gouvernements corrompus avance en conquérant de la seule façon qu'elle connaît : la destruction. Le nouveau partage du monde détruit l'humanité. Le nouveau partage du monde n'a de place que pour l'argent et ses serviteurs. Hommes, femmes et machines sont égaux puisque également asservis et également négligeables. Le mensonge gouverne, multipliant ses formes et ses moyens. On nous vend un nouveau mensonge en guise d'histoire. Le mensonge de la défaite de l'espoir, le mensonge de la défaite de la dignité, le mensonge de la défaite de l'humanité. Le miroir du pouvoir nous propose, en contrepoids sur la balance : le mensonge de la victoire du cynisme, le mensonge de la victoire de la servilité, le mensonge de la victoire du néolibéralisme. Au lieu de l'humanité, on nous offre des indices boursiers, au lieu de la dignité on nous offre la mondialisation de la misère ; au lieu de l'espoir, on nous offre le vide ; au lieu de la vie, on nous offre l'intemationale de la terreur. Contre l'internationale de la terreur que représente le néolibéralisme, nous devons élever l'internationale de l'espoir. L' unité, par-dessus les frontières, les langues, les couleurs, les cultures, les sexes, les stratégies, et les pensées, de tous ceux qui préfèrent l'humanité vivante. L'internationale de l'espoir. Pas la bureaucratie de l'espoir, pas l'image renversée et, par là même, semblable à ce qui nous anéantit. Pas le pouvoir sous un signe ou un habillage nouveau. Mais un souffle le souffle de la dignité. Une fleur, la fleur de l'espoir. Un chant, le chant de la vie. La dignité est cette patrie sans nationalité, cet arc-en-ciel qui est aussi un pont, ce murmure du cœur quel que soit le sang qui le vit, cette irrévérence rebelle qui se moque des frontières, des douanes et des guerres. 168 L'espoir est cette insubordination qui rejette le conformisme et la défaite. La vie, voilà ce qu'ils nous doivent : le droit de gouverner et de nous gouverner, de penser et d'agir avec une liberté qui ne s'exerce pas sur l'esclavage des autres, le droit de donner et de recevoir ce qui est juste. C'est pourquoi, aux côtés de ceux qui, par-dessus les frontières, les races et les couleurs, partagent le chant de la vie, la lutte contre la mort, la fleur de l'espoir et l'élan de la dignité.. . L'Armée zapatiste de libération nationale parle... À tous ceux qui combattent pour les valeurs humaines de démocratie, liberté et justice. À tous ceux qui s'efforcent de résister au crime mondial appelé " néolibéralisme " et qui aspirent à ce que l'humanité et l'espoir d'être meilleurs soient synonymes d'avenir. À tous les individus, groupes, collectifs, mouvements, organisations sociales, citoyennes et politiques, aux syndicats, aux associations de quartier, aux coopératives, à toutes les gauches passées et à venir ; aux organisations non gouvernementales, groupes de solidarité avec les luttes des peuples du monde, aux bandes, tribus, intellectuels, indigènes, étudiants, musiciens, ouvriers, artistes, enseignants, paysans, groupes culturels, mouvements de jeunes, médias alternatifs, écologistes, habitants des banlieues, lesbiennes, homosexuels, féministes, pacifistes. À tous les êtres humains privés de toit, privés de terre, privés de travail, privés de nourriture, privés de santé, privés d'éducation, privés de liberté, privés de justice, privés d'indépendance, privés de démocratie, privés de paix, privés de patrie, privés de lendemain. A tous ceux qui, sans distinction de couleur, de race ou de frontières, portent les armes et les couleurs de l'espoir. . . et les convoque à la Première rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Qui se tiendra entre les mois d'avril et d'août 1996 sur les cinq continents, selon le programme d'activités suivant : Premièrement. Assemblées préparatoires continentales au mois d' avril 1996 dans les lieux suivants : 1. Continent européen : Berlin, Allemagne. 2. Continent américain : La Realidad, Mexique. 3. Continent asiatique : Tokyo, Japon. 4. Continent africain : lieu à définir. 5. Continent océanien : Sydney, Australie. Note : Les lieux des rencontres continentales peuvent changer si les groupes organisateurs le décident. Deuxièmement. Rencontre internationale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, du 27 juillet au 3 août 1996, dans les " Aguascalientes " zapatistes du Chiapas, Mexique, sur les bases suivantes : Thèmes : Atelier 1: Aspects économiques de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et propositions de lutte contre lui et pour l'humanité. Atelier 2 : Aspects politiques de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et propositions de lutte contre lui et pour l'humanité. 169 Atelier 3 : Aspects sociaux de la vie sous le néolibéralisme, comment on y résiste, comment on lutte et propositions de lutte contre lui et pour l'humanité. Atelier 4 : Aspects culturels de la vie sous le néolibéralisme comment on y résiste, comment on lutte et propositions de lutte contre lui et pour l'humanité. Organisation : les réunions préparatoires en Europe, en Asie, en Afrique et en Océanie seront organisées par les Comités de solidarité avec la rébellion zapatiste, des organismes proches, et des groupes de citoyens intéressés à la lutte contre le néolibéralisme et pour l’humanité. Nous,appelons les groupes de tous les pays à travailler unis à l’organisation et à la tenue des assemblées préparatoires. La rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, qui se tiendra du 27 juillet au 3 août 1996 au Chiapas, Mexique, sera organisée par I EZLN et par des citoyens et des organisations non gouvernementales mexicaines que l'on fera connaître en temps voulu. Accréditations : les inscriptions pour les assemblées préparatoires de chacun des cinq continents se feront auprès des comités d'organisation qui se formeront en Europe, en Asie, en Afrique, en Océanie et en Amérique, respectivement. Les inscriptions pour la rencontre au Chiapas, Mexique, se feront à travers les comités de solidarité avec la rébellion zapatiste, avec le peuple du Chiapas, et avec le peuple du Mexique, dans leurs pays respectifs ; et au Mexique, auprès de la commission d'organisation, que l'on fera connaître en temps voulu. , Note générale et intercontinentale : tout ce qui n'est pas abordé par cette convocation sera réglé par les différents comités organisateurs en ce qui concerne les assemblées continentales préparatoires, et par le comité organisateur intercontinental en ce qui concerne la rencontre au Chiapas, Mexique. Frères, L'humanité vit dans chacune de nos poitrines et, comme le cœur, elle préfère le côté gauche. Il faut la retrouver, il faut nous retrouver. Il n'est pas nécessaire de conquérir le monde. II suffit de le refaire. Nous. Aujourd'hui. Démocratie ! Liberté ! Justice ! Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain. Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène Commandement général de l'Armée zapatiste de libération nationale, sous-commandant insurgé Marcos. 170 Annexe 8 : Les accords de San Andrés Larraizan 16 février 1996. En la segunda parte de la Plenaria Resolutiva del Tema 1 sobre Derechos y Cultura Indígena, y después de las consultas que cada parte realizó, el EZLN y el Gobierno Federal llegaron al siguiente Respecto a los documentos “pronunciamiento conjunto que el gobierno federal y el ezln enviarán a las instancias de debate y decisión nacional”, “propuestas conjuntas que el gobierno federal y el ezln se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las reglas de procedimiento” [...]emanados de la primera parte de la Plenaria Resolutiva correspondiente al tema de Derechos y Cultura Indígena: A. El Gobierno Federal, a través de su delegación, manifiesta su aceptación de dichos documentos. B. El EZLN, a través de su delegación, manifiesta su aceptación de dichos documentos. En relación con las cuestiones respecto a las cuales formuló, en la sesión del 14 de febrero de 1996 de esta segunda parte de la Plenaria Resolutiva, propuestas de agregados y de sustituciones o eliminaciones en el texto de los mismos, de acuerdo con los resultados de la consulta realizada por el EZLN, expresa lo siguiente: 1. La delegación del EZLN insiste en señalar la falta de solución al grave problema agrario nacional, y en la necesidad de reformar el Artículo 27 Constitucional, que debe retomar el espíritu de Emiliano Zapata, resumido en dos demandas básicas: la tierra es de quien la trabaja, y Tierra y Libertad. (Documento “Propuestas conjuntas que el Gobierno federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de Procedimiento”: página 11, apartado 5, “Reformas Constitucionales y Legales”, inciso B). 2. Por lo que se refiere al desarrollo sustentable, la delegación del EZLN considera insuficiente que el gobierno indemnice a los pueblos indígenas por los daños ocasionados en sus tierras y territorios, una vez ocasionado el daño. Es necesario desarrollar una política de verdadera sustentabilidad, que preserve las tierras, los territorios y los recursos naturales de los pueblos indígenas, en suma, que contemple los costos sociales de los proyectos de desarrollo. (Documento “Pronunciamiento conjunto que el Gobierno Federal y el EZLN enviarán a las instancias de debate y decisión nacional”, página 5, en el subtítulo “Principios de la nueva relación”, inciso 2). 3. En lo referente al tema Situación, Derechos y Cultura de la Mujer Indígena, la delegación del EZLN considera insuficientes los actuales puntos de acuerdo. Por la triple opresión que padecen las mujeres indígenas, como mujeres, como indígenas y como pobres, exigen la construcción de una nueva sociedad nacional, con otro modelo económico, político, social y cultural que incluya a todas y a todos los mexicanos. (Documento 3.2 “Acciones y medidas para Chiapas. Compromisos y propuestas conjuntas de los gobiernos del Estado y Federal y el EZLN”, página 9). 4. En términos generales la delegación del EZLN considera necesario que, en cada caso, se expliciten los tiempos y plazos en que los acuerdos deben ser llevados a la práctica, y que, para ello, los pueblos indígenas y las autoridades correspondientes deben programar y calendarizar de mutuo acuerdo su instrumentación. 5. Acerca de las garantías de acceso pleno a la justicia, la delegación del EZLN considera que no puede pasarse por alto la necesidad del nombramiento de intérpretes en todos los juicios y procesos que se sigan a los indígenas, asegurando que dichos intérpretes cuenten con la aceptación expresa del procesado y conozcan tanto el idioma como la cultura y el sistema jurídico indígenas.(Documento 2 “Propuestas conjuntas que el Gobierno Federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional, correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de Procedimiento, página 6, subtítulo: “Garantías de acceso pleno a la justicia”). 171 6. La delegación del EZLN considera indispensable que se legisle para proteger los derechos de los migrantes, indígenas y no indígenas, dentro y fuera de las fronteras nacionales. (Documento 1, “Pronunciamiento conjunto que el Gobierno Federal y el EZLN enviarán a las instancias de debate y decisión nacional”, página 5, punto 8, subtítulo: “Proteger a los indígenas migrantes”): 7. A fin de fortalecer los municipios, la delegación del EZLN considera que se requieren compromisos explícitos del gobierno para garantizar su acceso a la infraestructura, capacitación y recursos económicos adecuados. (Documento 2 “Propuestas conjuntas que el Gobierno Federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional correspondientes al punto 1.4 de las Reglas de Procedimiento”, página 3). 8. Por lo que se refiere a los medios de comunicación, la delegación del EZLN considera necesario que se garantice el acceso a información veraz, oportuna y suficiente sobre las actividades del gobierno, así como el acceso de los pueblos indígenas a los medios de comunicación existentes, y que se garantice el derecho de los pueblos indígenas a contar con sus propios medios de comunicación (radiodifusión, televisión, teléfono, prensa escrita, fax, radios de comunicación, computadoras y acceso a satélite). (Documento 2 “Propuestas conjuntas que el Gobierno federal y el EZLN se comprometen a enviar a las instancias de debate y decisión nacional correspondientes al punto 1.4 de las reglas de procedimiento”, página 9, punto 8: “Medios de comunicación”). C. Con relación a las partes de los documentos a las que se refiere el inciso B, ambas delegaciones convienen que, en la oportunidad que identifiquen de común acuerdo durante el diálogo, agotarán los esfuerzos de negociación sobre las mismas. D. Las Partes harán llegar a las instancias de debate y decisión nacional y a las instancias que correspondan los tres documentos que se acompañan, mismos que contienen los acuerdos y compromisos alcanzados por las Partes. E. Ambas partes asumen el compromiso de enviar el presente resolutivo a las instancias de debate y decisión nacional y a las instancias del estado de Chiapas que correspondan, en el entendido de que los puntos señalados en el inciso B también deberán ser consideradas, por dichas instancias, como materia producto del diálogo. El presente y los tres documentos que lo acompañan, quedan debidamente formalizados como acuerdos en los términos de las Reglas de Procedimiento y de la Ley para el Diálogo, la Conciliación y la Paz Digna en Chiapas, y se integran como tales al Acuerdo de Concordia y Pacificación con Justicia y Dignidad. 16 de febrero de 1996. 172 Annexe 9 : Deuxième déclaration de la Realidad Août 1996. Hommes et femmes d'Afrique,d'Asie, d'Amérique, d'Europe et d'Océanie Considérant que nous sommes Contre l'internationale de la mort, contre la globalisation de la guerre et de l'armement Contre la dictature, contre l'autoritarisme, contre la répression Contre les politiques de libéralisation économique, contre la faim, contre la pauvreté, contre le vol, contre la corruption Contre le patriarcat, contre la xénophobie, contre la discrimination, contre le racisme, contre le crime, contre la destruction du milieu environnant, contre le militarisme Contre la stupidité, contre le mensonge, contre l'ignorance Contre l'esclavage, contre l'intolérance, contre l'injustice, contre la marginalisation, contre l'oubli Contre le néolibéralisme Considérant que nous sommes Pour l'internationale de l'espérance, pour la paix nouvelle, juste et digne Pour la nouvelle politique, pour la démocratie, pour les libertés politiques, Pour la justice, pour la vie et le travail dignes Pour la société civile, pour des droits complets pour les femmes sous tous les aspects, pour le respect des anciens, des jeunes et des enfants, pour la défense et la protection de l'environnement Pour l'intelligence, pour la culture, pour l'éducation, pour la vérité Pour la liberté, pour la tolérance, pour l'inclusion, pour la mémoire Pour l'humanité Nous déclarons : Premièrement. Que nous allons organiser un réseau de nos luttes et résistances particulières. Un réseau de résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de résistance pour l'humanité. Ce réseau intercontinental de résistance, en reconnaissant les différences et en connaissant les ressemblances, cherchera à rencontrer d'autres formes de résistances dans le monde. Ce réseau intercontinental de résistance sera le moyen où les diverses résistances pourront s'appuyer les unes sur les autres. Ce réseau intercontinental de résistance n'est pas une structure organisée, n'a pas de centre directeur, ni de centre décisionnel, n'a pas de mandat ni de hiérarchie. Le réseau est constitué de tous ceux qui résistent. Deuxièmement. Que nous allons organiser un réseau de de nos luttes et résistances. Un réseau intercontinental de communication contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de communication pour l'humanité. Ce réseau intercontinental de communication alternative cherchera à tisser les liens pour que la parole de tous ceux qui résistent s'exprime. Ce réseau intercontinental de communication alternative sera le moyen par lequel toutes les différentes résistances communiquent. Ce réseau intercontinental de communication alternative n'est pas une structure organisée, n'a pas de centre directeur, ni de centre décisionnel, n'a pas de mandat ni de hiérarchie. Le réseau est constitué de tous ceux qui nous parlent et qui nous écoutent. Nous déclarons: Parler et écouter au nom de l'humanité et contre le néolibéralisme. Résister et lutter pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Pour le monde entier : Démocratie ! Liberté ! Justice ! En fonction de la réalité de chaque continent. Frères et sœurs 173 Nous ne voulons pas que cette déclaration soit fermée et que cette Rencontre se termine aujourd'hui. Nous proposons que la Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme continue sur chaque continent, dans chaque pays, dans chaque campagne et chaque ville, dans chaque maison, école, lieu de travail où vivent des êtres humains qui veulent un monde meilleur. Les communautés indigènes nous ont appris que pour résoudre un problème, si grand soit-il, il faut simplement écouter tous ceux que nous sommes. Nous proposons donc que soit réalisée une consultation internationale sur cette déclaration. Nous proposons que cette déclaration soit connue du monde entier et que dans tous les pays une consultation soit réaliser avec cette question : Êtes-vous d'accord pour souscrire à la Deuxième Déclaration de la Realidad pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme? Nous proposons que cette Consultation Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme soit faite sur les cinq continents durant la première quinzaine de décembre 1996 Nous proposons que cette Consultation soit réalisée de la même façon qu'a été organisée cette rencontre, que tous ceux qui assistent à cette Rencontre et tous ceux qui ne sont pas là mais qui nous accompagnent de loin organisent et réalisent cette Consultation. Nous proposons que que soient utilisés tous les moyens possibles et impossibles pour que cette consultation concerne le maximum d'êtres humains des cinq continents. La Consultation Intercontinentale est une forme de la résistance organisée par nous et est aussi une forme de générer des contacts et des rencontres avec d'autres résistances. Elle fait partie d'une nouvelle forme de faire de la politique dans le monde, c'est cela que doit être la Consultation Intercontinentale. Ce n'est pas tout. Nous voulons aussi appeler à la Seconde Rencontre Intercontinentale pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme Nous proposons qu'elle soit réalisée durant la deuxième partie de l'année 1997 et que le continent européen en soit le siège. Nous proposons que la date précise et le lieu de la Rencontre soient choisis par nos frères et sœurs d'Europe. Nous espérons tous que cette Deuxième Rencontre Intercontinentale ait lieu et qu'elle ait lieu sur un autre continent. Lorsque cette Deuxième Rencontre aura lieu, nous en verrons la forme et nous désirons y participer en quelque endroit choisi. Frères et sœurs Nous continuons à être des trouble-fêtes. C'est faux ce que nous disent les théoriciens du néolibéralisme : que tout est sous contrôle, même ce qui est incontrôlé.Nous ne sommes pas la valve d'échappement à la rébellion qui peut déstabiliser le néolibéralisme. Il est faux que notre existence rebelle légitime le pouvoir. Le pouvoir nous craint. Pour cette raison, il nous poursuit et nous encercle. Pour cette raison, il nous emprisonne et nous tue. En réalité, nous sommes une possibilité qui peut le vaincre et le faire disparaître. Certes, nous ne sommes pas nombreux, mais nous sommes des hommes et des femmes qui luttons pour l'humanité, qui luttons contre le néolibéralisme. Nous sommes des hommes et des femmes qui luttons dans le monde entier Nous sommes des hommes et des femmes qui demandons pour les cinq continents : Démocratie ! Liberté ! Justice ! Depuis les montagnes du Sud-est mexicain. Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène – Commandement Général de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale. La Realidad, planète Terre, août 1996 174 Annexe 10 : Cinquième déclaration de la forêt Lacandone juillet 1998. Aujourd’hui nous disons : Nous sommes là ! Nous résistons ! Nous sommes les vengeurs de la mort. Notre lignée ne s’éteindra pas tant qu’il y aura de la lumière dans la lueur du matin. Popol Vuh. Frères et sœurs, Elle n’est pas nôtre la maison de la douleur et de la misère. C’est ainsi que l’a décrit celui qui nous vole et nous ment. Elle n’est pas nôtre la terre de la mort et de l’angoisse. Il n’est pas nôtre le chemin de la guerre. Elle n’est pas nôtre la trahison et l’oubli n’existe pas dans notre passé. Ils ne sont pas nôtres le sol vide et le ciel creux. Est nôtre la maison de la lumière et de l’allégresse. Nous la construisons, nous luttons pour elle, nous la faisons croître. Est nôtre la terre de la vie et de l’espérance. Est nôtre le chemin de la paix qui se sème avec dignité et se récolte avec justice et liberté. I - La résistance et le silence. Frères et sœurs. […] Ces accords, les accords de San Andrès, ne sont pas le fruit de notre unique volonté et ne sont pas nés seuls. À San Andrès, il y avait des représentants de toutes les populations indiennes du Mexique, là, leur voix était représentée et leurs revendications exprimées. Leur lutte - qui est un chemin et une leçon - fut resplendissante, elles ont parlé de leurs propres voix et avec leur cœur. Il n’y avait pas que les zapatistes à San Andrès et ses accords. Les zapatistes furent et sont avec et derrière les populations indiennes du pays. Comme aujourd’hui, nous n’étions qu’une petite partie de la grande histoire avec le visage, la parole et le cœur des náhuatl, paipai, kiliwa, cúcapa, cochimi, kumiai, yuma, seri, chontal, chinanteco, pame, chichimeca, otomí, mazahua, matlazinca, ocuilteco, zapoteco, solteco, chatino, papabuco, mixteco, cuicateco, triqui, amuzgo, mazateco, chocho, izcateco, huave, tlapaneco, totonaca, tepehua, popoluca, mixe, zoque, huasteco, lacandón, maya, chol, tzeltal, tzotzil, tojolabal, mame, teco, ixil, aguacateco, motocintleco, chicomucelteco, kanjobal, jacalteco, quiché, cakchiquel, ketchi, pima, tepehuán, tarahumara, mayo, yaqui, cahita, ópata, cora, huichol, purépecha et kikapú. Nous continuerons à lutter la main dans la main avec toutes les populations indiennes dans la lutte pour la reconnaissance de leurs droits. Non pas comme avant-garde ou comme direction, seulement comme partie. Nous mettons en application notre parole de chercher une solution pacifique. Mais le gouvernement suprême a failli à sa parole et n’a pas mis en application le premier accord fondamental auquel nous étions arrivés : la reconnaissance des droits indigènes. À la paix que nous offrions, le gouvernement a opposé la guerre de son obstination. […] Depuis, il a tenté d’oublier sa parole et a tenté d’occulter la trahison qui gouverne les terres mexicaines. II - Contre la guerre, il n’y a pas d’autre guerre mais la résistance digne et silencieuse. 175 Alors que le gouvernement démontrait au Mexique et au monde sa volonté de mort et de destruction, nous les zapatistes, ne répondions pas par la violence, ni n’entrions en compétition sinistre pour voir quel était celui qui causait le plus de morts et de douleurs à l’autre partie. […] Alors que le gouvernement répartissait les subornations, les appuis économiques de mensonges pour acheter des fidélités et briser les convictions, nous, les zapatistes avons fait de notre digne refus aux aumônes du pouvoir un mur qui nous protège et nous en éloigne. Alors que le gouvernement montrait des mirages par des richesses corrompues et imposait la faim pour soumettre et vaincre, nous les zapatistes faisions de notre faim un aliment et de notre pauvreté la richesse de celui qui se sait digne et conséquent. Le silence, la dignité et la résistance ont été notre force et notre meilleure arme. Grâce à elle, nous avons combattu et mis en déroute un ennemi fort mais dont la cause manquait de raison et de justice. Grâce à notre expérience et à la grande et lumineuse histoire de la lutte indigène que nous avons héritée de nos ancêtres, les premiers habitants de ces terres, nous avons repris ces armes et nous avons transformé nos silences en combattants, la dignité en lumière et notre résistance en muraille. Cependant, durant le temps que dura notre silence, nous sommes restés à l’écart de toute participation directe dans les problèmes nationaux principaux où nous n’avons pas fait de proposition ni montré notre position ; Bien que notre silence ait permis au pouvoir de faire naître et croître les rumeurs et les mensonges concernant les divisions et les ruptures internes zapatistes et chercher à nous vêtir de l’habit de l’intolérance, l’intransigeance, la faiblesse et la claudication ; bien que certains se découragèrent du fait de l’absence de notre voix et que d’autres en profitèrent pour faire croire qu’ils étaient cette voix, malgré toutes ces douleurs et même à cause de ces douleurs, grands furent les pas qui nous firent avancer et ouvrir les yeux. Nous vîmes que nous ne pouvions plus garder muets nos morts, que les morts parlaient pour nos morts, que les morts accusaient, que les morts criaient, que les morts ressuscitaient. Nos morts ne mourront jamais. Ces morts seront toujours les nôtres et ceux de tous ceux qui combattent. […] Nous vîmes également que le gouvernement n’était pas unanime quant à la vocation de mort dont se prévalait son chef. Nous vîmes qu’il y avait dans ce gouvernement des gens qui désiraient la paix, qui la comprenaient, qui en voyaient la nécessité et l’obligation. Alors que nous nous taisions, nous vîmes que d’autres voix à l’intérieur de la machine de guerre s’élevaient pour s’opposer à son dessein. Nous vîmes le pouvoir désavouer sa propre parole et envoyer aux législateurs une proposition de loi qui ne tenait pas compte des revendications des tous premiers habitants de ces terres, qui faisait s’éloigner la paix, et qui frustrait les espérances d’une solution juste rendue impossible par la guerre. Nous le vîmes s’asseoir à la table de l’argent, annoncer sa trahison et chercher là un appui que lui refusait le peuple. Du monde de l’argent, le pouvoir reçût des applaudissements, de l’or et l’ordre d’en finir avec ceux des montagnes. "Que meurent ceux qui doivent mourir, des milliers si nécessaire, mais qu’on en finisse avec ce problème", murmurait l’argent à l’oreille de celui qui disait gouverner. Nous vîmes que sa proposition allait à l’encontre de celle qu’il avait déjà approuvée, à l’encontre de notre droit à nous gouverner et à prendre part à la Nation. Nous vîmes que sa proposition tentait de nous briser, de nous enlever notre histoire, de nous faire disparaître de la mémoire, et d’oublier la volonté de toutes les populations indiennes devenue collective à San Andrès. Nous vîmes que sa proposition était chargée de division et de rupture en détruisant les ponts et en effaçant les espérances. […] III - San Andrés : une loi nationale pour tous les indigènes et une loi pour la paix 176 Une loi indigène nationale doit répondre aux espérances des populations indiennes de tout le pays. À San Andrès étaient représentés tous les indigènes du Mexique et pas seulement les zapatistes. Les accords signés l’ont été avec tous les peuples indiens, et pas seulement avec les zapatistes. Pour nous, et pour des millions d’indiens et de non indiens mexicains, une loi qui ne respecte par les accords de San Andrès n’est qu’une simulation, c’est une porte vers la guerre et un précédent pour les rebellions indigènes qui, dans le futur, auront à payer la facture que l’histoire présente régulièrement aux mensonges. […] Bien qu’elle n’inclue pas tous les accords de San Andrès (nouvelle preuve que nous ne fûmes pas intransigeants puisque nous avons accepté le travail de la médiation et que nous le respectons), l’initiative de loi élaborée par la Commission de Concorde et Pacification est une proposition de loi issue du processus de négociations ; étant dans l’esprit de donner une continuité et une raison d’être au dialogue, elle constitue une base solide qui peut amener vers une solution pacifique du conflit et une aide importante pour arrêter la guerre et parvenir à la paix. La dite" loi COCOPA" a été élaborée sur la base des revendications indiennes, elle reconnaît les problèmes et jette les bases pour les solutionner, elle reflète une autre forme de participation politique qui aspire à la démocratie et répond à une demande nationale de paix incluant les demandes sociales et permettant une ouverture sur les grands problèmes nationaux. C’est la raison pour laquelle nous confirmons notre appui à l’initiative de loi élaborée par la Commission de Concorde et Pacification et nous demandons qu’elle soit approuvée au niveau constitutionnel. IV - le dialogue et la négociation sont possibles s’ils sont véritables […] La médiation dans la négociation d’un conflit est incontournable, sans elle aucun dialogue n’est possible entre les deux partis opposés. Par sa guerre contre la Commission nationale de médiation, le gouvernement a détruit le seul pont permettant le dialogue, s’est éloigné d’un important obstacle à la violence et a provoqué le jaillissement d’une question : médiation nationale ou internationale ? Le dialogue et la négociation répondront aux critères de pertinence, viabilité et efficacité quand, ajoutées à une médiation, la confiance et la crédibilité seront restituées. Jusqu’à ce moment, ils ne seront qu’une farce à laquelle nous ne voulons pas participer. Nous n’en voulons pas. Nous voulons un dialogue pour chercher des solutions pacifiques et non pas pour gagner du temps en pariant sur des supercheries politiques. Nous ne serons pas les complices d’une simulation. […] Aujourd’hui, avec tous ceux qui marchent à nos côtés, nous disons : Nous sommes là ! Nous résistons ! Malgré la guerre que nous subissons, malgré nos morts et nos prisonniers, nous, les zapatistes, n’oublions pas pourquoi nous luttons ni que notre fer de lance dans la lutte pour la démocratie, la liberté et la justice au Mexique est la reconnaissance des droits des populations indiennes. Comme dans le compromis fait depuis le premier jour de notre soulèvement, aujourd’hui nous réaffirmons en premier lieu, par-dessus notre souffrance, par-dessus nos problèmes, par-dessus les difficultés, l’exigence que soient reconnus les droits des indigènes par un changement de la constitution politique des États-Unis du Mexique qui assure à tous le respect et la possibilité de lutter pour ce qui leur appartient : la terre, le toit, le travail, le pain, la médecine, l’éducation, la démocratie, la justice, la liberté, l’indépendance nationale et la paix digne. VI - L’heure est venue pour les populations indiennes, la société civile et le Congrès de l’Union Frères et sœurs : la guerre avec son cortège de mort et de destruction a déjà parlé. Le gouvernement et son masque criminel ont déjà parlé. Il est temps que fleurissent à nouveau en paroles les armes silencieuses que nous portons depuis des siècles, il est temps de parler de paix, c’est le temps de la parole pour la vie. 177 C’est notre temps. Aujourd’hui, avec le cœur indigène qui est la digne racine de la nation mexicaine et après avoir écouté la voix de la mort qui vient de la guerre du gouvernement et, nous appelons le peuple du Mexique, les hommes et les femmes de toute la planète à unir leurs pas et leurs forces aux nôtres dans cette étape de la lutte pour la liberté, la démocratie et la justice, au travers de cette ... Cinquième déclaration de la Forêt Lacandone Dans laquelle nous appelons tous les hommes et les femmes honnêtes à lutter pour la RECONNAISSANCE DES DROITS DES POPULATIONS INDIENNES ET POUR LA FIN DE LA GUERRE D’EXTERMINATION. Il n’y aura pas de transition vers la démocratie ni de réforme de l’État ni de solution réelle aux principaux problèmes nationaux sans la participation des populations indiennes. Avec les indigènes l’évolution vers un pays meilleur et neuf est nécessaire et possible. Sans eux, il n’y a pas de futur pour la Nation. Le moment est venu pour les populations indiennes de tout le Mexique. Nous les appelons pour qu’ensemble, nous continuions à lutter pour les droits que l’histoire, la raison et la vérité nous ont donnés. […] L’heure est venue pour le Congrès de l’Union. Après une grande lutte pour la démocratie ayant placé en-tête les partis politiques d’opposition, une nouvelle corrélation de force s’est établie à la chambre des députés et des sénateurs qui complique les procédés et arbitraires du présidentialisme et qui aspirent à une véritable séparation et indépendance des pouvoirs de l’Union. La nouvelle composition politique des deux chambres relève le défi de rendre digne le travail législatif, en tentant de le transformer en un espace au service de la Nation plutôt qu’au service de son président, espérant ainsi faire refleurir le titre de "Honorable" qui qualifiait autrefois le nom collectif donné aux sénateurs et députés fédéraux. Nous appelons les députés et sénateurs de la République de tous les partis politiques enregistrés et les congressistes indépendants à légiférer au bénéfice de tous lesMexicains. Pour qu’ils commandent en obéissant. Pourqu’ils fassentleur devoir en appuyant la paix et non la guerre. Pour que, rendanteffectiveladivision des pouvoirs, ils obligent l’exécutif fédéral à arrêter la guerre d’extermination visant les populations indiennes du Mexique. Pour que, dans le plein respect des prérogatives que la Constitution politique leur confère, au moment de légiférer, ils écoutent la voix du peuple mexicain qui les a élus. Pour qu’ils donnent leur soutien ferme et entier à la Commission de Concorde et Pacification, pour que cette commission législative puisse remplir efficacement et de façon efficiente son rôle de contribution au processus de paix. Pour qu’ils entendent l’appel historique qui exige la pleine reconnaissance des droits des populations indiennes. Pour qu’ils contribuent à créer une image internationale digne de notre pays. Pour qu’ils laissent à la postérité l’image d’un congrès qui a su cesser d’obéir et de servir un seul pour obéir et servir tous. […] Le temps est venu de la lutte pour les droits des populations indiennes pour un passage à la démocratie, la liberté et la justice pour tous. […] Nous proposons d’organiser une consultation nationale sur l’initiative de loi élaborée par la Commission de Concorde et de Pacification dans toutes les municipalités du pays pour que tous les mexicains et mexicaines puissent manifester leur opinion concernant cette initiative. L’EZLN enverra une délégation à chacune des municipalités de notre pays pour expliquer le contenu de l’initiative de la COCOPA afin qu’elles participent à la réalisation de cette consultation. L’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement à la société civile nationale et aux organisations politiques et sociales pour leur faire savoir la convocation suivante. Nous appelons : Les populations indiennes de tout le Mexique à se mobiliser de concert avec les zapatistes et à se manifester en exigeant la reconnaissance de leurs droits dans la Constitution. 178 Les frères et sœurs du congrès national indigène à participer, avec les zapatistes, à l’organisation de la consultation de tous les mexicains et les mexicaines sur l’initiative de loi de la COCOPA. Aux travailleurs, paysans, enseignant, étudiant, femmes à la maison, fermiers, petits propriétaires, petits commerçants et entrepreneurs, retraités, laissés-pour-compte, religieux et religieux, jeunes, femmes, enfants, homosexuels et lesbiennes, garçons et filles à participer directement avec les zapatistes, de manière collective ou individuelle, à la promotion, l’appui et la réalisation de cette consultation pour un pas en avant vers la paix avec justice et dignité. À la communauté scientifique, artistique et intellectuelle pour qu’elle s’associe aux zapatistes dans les tâches d’organisation de la consultation sur tout le territoire. Aux organisations sociales et politiques pour que, conjointement avec les zapatistes, elles travaillent à la réalisation de cette consultation. Aux partis politiques honnêtes engagés dans les causes populaires à octroyer tout l’appui nécessaire à cette consultation nationale. Pour cela, l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement aux directions nationales de tous les partis politiques du Mexique. Au Congrès de l’Union pour qu’il assume son engagement de légiférer au bénéfice du peuple pour contribuer à la paix et non pas à la guerre en permettant la réalisation de cette consultation. Pour cela, l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement au coordinateur des fractions parlementaires et aux législateurs indépendants des chambres de Députés et de Sénateurs. À la Commission de Concorde et de Pacification pour que, remplissant son travail de contribution au processus de paix, elle ouvre la voie à la réalisation de la consultation concernant son initiative. Pour cela, l’EZLN s’adressera en temps voulu et publiquement aux législateurs membres de la COCOPA. VII - Temps de la parole pour la paix. Frères et sœurs : Le temps des trompettes de la guerre du pouvoir est passé, nous ne les laisserons plus retentir. Le temps est venu de parler de paix, la paix que nous méritons et qui est nécessaire à tous, la paix avec justice et dignité. Aujourd’hui, 19 juillet 1998, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale approuve cette Cinquième Déclaration de la Forêt Lacandone. Nous vous invitons tous à en prendre connaissance, à la défendre et à vous joindre aux efforts et au travail qu’elle demande. DÉMOCRATIE LIBERTÉ JUSTICE Depuis les montagnes du sud-est mexicain Comité Clandestin Révolutionnaire IndigèneCommandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. 179 Annexe 11 : Sixième déclaration de la forêt Lacandone 22 juillet 2005. ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple, parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils vivent et où ils luttent. I. CE QUE NOUS SOMMES Nous sommes les zapatistes de l’EZLN. On nous appelle aussi les "néozapatistes". Bien, alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons trouvé qu’il y en avait assez de tout ce mal que faisaient les puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous jeter en prison et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous avons dit "¡Ya basta !" Ça suffit, maintenant ! Pour dire que nous ne permettrons plus qu’ils nous diminuent et nous traitent pire que des animaux. Et alors nous avons aussi dit que nous voulions la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes surtout occupés des peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indigènes d’ici, du Chiapas, mais que nous ne voulons pas lutter uniquement pour notre propre bien ou uniquement pour le bien des indigènes du Chiapas ou uniquement pour les peuples indiens du Mexique : nous voulons lutter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mauvais gouvernement, ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde. […] Mais rien à faire, ceux du mauvais gouvernement ne respectaient pas les accords, alors nous avons décidé de parler avec beaucoup de Mexicains pour avoir leur soutien. Alors d’abord, en 1997, nous avons organisé une marche jusqu’à Mexico qui s’est appelée la "Marche des 1 111", parce qu’il y avait un compañero et une compañera pour chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’a pas réagi. Après, en 1999, nous avons organisé dans tout le pays une consultation et on a pu voir que la majorité était d’accord avec les exigences des peuples indiens, mais ceux du mauvais gouvernement n’ont pas non plus réagi. Et en dernier, en 2001, nous avons organisé ce qui s’est appelé la "Marche pour la dignité indigène" qui a reçu le soutien de millions de Mexicains et de gens d’autres pays et qui est même arrivée là où sont les députés et les sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains. […] Alors, à ce moment-là, nous avons compris que le dialogue et la négociation avec ceux du mauvais gouvernement du Mexique n’avaient servi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de discuter avec les hommes politiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tordus et ils ne font que mentir en disant qu’ils vont respecter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes politiques du PRI, du PAN et du PRD ont approuvé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enterré le dialogue et ils ont montré clairement que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors nous n’avons plus cherché à avoir de contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques. […] 180 Alors, après avoir vu tout ça se passer, nous nous sommes mis à penser avec notre cœur à ce que nous allions pouvoir faire. Et la première chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même qu’avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons pénétré dans le cœur de beaucoup de gens bons. Et nous avons aussi vu que notre cœur est un peu plus meurtri, un peu plus blessé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la tromperie de ceux du mauvais gouvernement, c’est parce que quand nous avons touché le cœur de ces autres gens, nous avons aussi touché leur douleur. Comme si nous nous étions regardés dans un miroir. II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT Alors, en zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas de cesser de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il fallait poursuivre notre lutte malgré ces parasites jean-foutre que sont les hommes politiques. L’EZLN a donc décidé d’appliquer, tout seul et de son côté ("unilatéralement" quoi, comme on dit, parce que c’est seulement d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les droits et la culture indigènes. Pendant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça, et à d’autres choses que nous vous raconterons aussi. […] Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direction de l’EZLN n’est plus intervenue avec ses ordres dans les affaires des civils, mais elle a accompagné et appuyé les autorités démocratiquement élues par les communautés, sans oublier de vérifier que l’on informe correctement la société civile mexicaine et internationale des aides reçues et de ce à quoi elles ont servi. Et maintenant, nous passons le travail de vigilance du bon gouvernement aux bases de soutien zapatistes, avec des mandats temporaires et rotatifs, pour que tous et toutes apprennent et puissent effectuer ce travail. Parce que, nous autres, nous pensons qu’un peuple qui ne contrôle pas ses dirigeants est condamné à être leur esclave et que nous luttons pour être libres, par pour changer de maître tous les six ans. Pendant les quatre dernières années, l’EZLN a aussi passé aux conseils de bon gouvernement et aux communes rebelles autonomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons obtenus tout au long des années de guerre et de résistance. Mais, en même temps, l’EZLN a aussi mis en place un réseau d’aide économique et politique qui permette aux communautés zapatistes d’avancer avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas encore assez, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il y avait avant notre soulèvement, en janvier 1994. Si vous prenez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie, c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, ce sont celles qui sont en "territoire zapatiste", comme nous disons pour parler de là où sont nos villages. Tout ça a été possible grâce aux progrès effectués dans les communautés zapatistes et grâce au très grand soutien que nous avons reçu de personnes bonnes et nobles, "les sociétés civiles", comme nous les appelons, et de leurs organisations, du monde entier. C’est comme si toutes ces personnes avaient fait du "Un autre monde est possible" une réalité, mais dans les faits, pas dans des discours. […] Mais il n’y a pas que les communautés zapatistes qui ont progressé. L’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est passé pendant tout ce temps, c’est que de nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Un peu comme si elles lui avaient redonné des forces. Les commandants et les commandantes, qui étaient déjà majeurs au début de notre soulèvement, en 1994, possèdent maintenant la sagesse de ce qu’ils ont appris dans une guerre et dans un dialogue de douze ans avec des milliers de femmes et d’hommes du monde entier. Les membres du CCRI, la direction politico-organisationnelle zapatiste, conseillent et orientent les nouvelles personnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occuper des postes de dirigeant. Il y a déjà longtemps que "les comités" (comme nous appelons ceux du CCRI) préparent toute une nouvelle génération de commandants et de commandantes pour qu’ils apprennent les tâches de direction et d’organisation et commencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assumer. Et il se trouve aussi que nos insurgés et insurgées, nos miliciens et miliciennes, nos responsables locaux et régionaux et nos bases de soutien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont devenus des femmes et des hommes, des combattants vétérans et des leaders naturels dans leurs unités et dans leurs communautés. Et ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er janvier 1994 sont maintenant des jeunes qui ont grandi dans la résistance et qui ont été formés dans la digne rébellion menée par leurs aînés au long de ces douze 181 années de guerre. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que n’avaient pas ceux et celles qui ont commencé le mouvement zapatiste. Ces jeunes viennent grossir aujourd’hui, et toujours plus, aussi bien nos troupes que les postes de direction de notre organisation. Et puis, finalement, nous avons tous pu assister aux tromperies de la classe politique mexicaine et aux ravages destructeurs qu’ils ont perpétrés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et les massacres que produit la mondialisation néolibérale dans le monde entier. Mais nous parlerons de cela plus tard. L’EZLN a donc résisté de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, à douze ans de siège, de harcèlement et de persécutions, et ils n’ont pas pu nous vaincre, nous ne nous sommes pas rendus ou vendus et nous avons avancé. Des compañeros d’autres lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affaiblir au long de tant d’années, nous sommes devenus plus forts. Bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent se résoudre simplement en séparant plus le politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a certaines choses plus importantes, comme le sont les exigences pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas encore été entièrement satisfaites. […] III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE Nous allons vous expliquer maintenant comment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres, les zapatistes. D’abord, nous voyons que c’est le capitalisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capitalisme est un système social, autrement dit la façon dont sont organisées les choses et les personnes, et qui possède et qui ne possède pas, qui commande et qui obéit. Dans le capitalisme, il y a des gens qui ont de l’argent, autrement dit du capital, et des usines et des magasins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme commandent ceux qui ont l’argent et les choses, tandis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail. Alors, le capitalisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de personnes qui possèdent de grandes richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trouvé un trésor ou qu’ils auraient hérité de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup d’autres. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, un peu comme s’il les pressait comme des citrons pour en tirer tous les profits possibles. Tout ça se fait avec beaucoup d’injustice parce qu’on ne paye pas aux travailleurs correctement leur travail, sinon qu’on leur donne juste un salaire suffisant pour qu’ils puissent manger et se reposer un peu et que le jour suivant ils retournent au pressecitron, à la campagne comme en ville. […] Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été faites. Et alors le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés... Ou d’un marché très grand, un marché mondial. Et alors il se trouve que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se contentaient d’exploiter les travailleurs chacun dans leurs pays, mais qu’il en est maintenant à un stade qui s’appelle "globalisation néolibérale". La globalisation en question, ça veut dire que maintenant les capitalistes ne dominent plus seulement les travailleurs dans un pays ou dans plusieurs pays, mais qu’ils essayent de dominer tout dans le monde entier. Et alors le monde, la planète Terre autrement dit, on dit aussi que c’est le "globe terrestre", c’est pour ça qu’on dit "globalisation", la mondialisation, autrement dit le monde entier. Et le néolibéralisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capitalisme est libre de dominer le monde entier et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se résigner et à l’admettre et à la fermer, autrement dit à ne pas se rebeller. Alors, le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la mondialisation capitaliste. Et le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il ne s’agit de rien d’autre que de dominer le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les isole pour les empêcher de donner leurs idées de rébellion aux autres. […] 182 Alors, la mondialisation néolibérale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capital. Le capitalisme cherche donc à faire que tout soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est différent, ça ne lui plaît pas et il le persécute, il l’attaque, il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas. Alors, comme qui dirait en résumé, le capitalisme de la mondialisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, sur la dépossession, sur le mépris et sur la répression de ceux qui ne se laissent pas faire. Autrement dit, pareil qu’avant mais maintenant globalement, mondialement. Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes dans la mondialisation néolibérale, parce que les exploités de chacun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à courber l’échine, mais se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éliminer. Et alors nous voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résistance pour ne pas se laisser faire ; autrement dit, ils se rebellent, et pas seulement dans un pays mais dans plein d’endroits. Autrement dit, de la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion. […] Et tout ça fait que nous éprouvons une grande inquiétude devant la stupidité des néolibéralistes qui veulent détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploitation, mais nous éprouvons en même temps une grande satisfaction en voyant que partout surgissent des résistances et des rébellions ; un peu comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est toujours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls. IV. DE COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS, LE MEXIQUE Nous allons parler maintenant de comment nous voyons ce qui se passe au Mexique, notre pays à nous. Alors, ce que nous voyons, c’est que notre pays est gouverné par les néolibéralistes. Autrement dit, comme nous l’avons expliqué auparavant, les gouvernants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre nation, notre patrie mexicaine. Et le travail de ces gouvernants n’est pas de veiller au bien-être du peuple, non, ils ne pensent qu’au bien-être des capitalistes. Par exemple, ils font des lois comme le traité de libreéchange qui plongent dans la misère beaucoup de Mexicains, aussi bien des paysans et des petits producteurs, parce qu’ils sont "mangés" par les grandes entreprises de l’agro-industrie, que des ouvriers et des petits entrepreneurs, parce qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les grandes entreprises multinationales, qui s’installent sans que personne ne s’y oppose - et il y en a même qui leur disent merci - et qui imposent leurs bas salaires et leurs prix élevés. Alors, certaines des bases économiques, comme on dit, de notre Mexique, comme l’agriculture et l’industrie ou le commerce national, sont sacrément détruites et il ne reste d’elles que des ruines qui vont sûrement être vendues aussi. […] Et alors ce qui se passe, c’est que l’économie du peuple est tellement patraque, à la ville comme à la campagne, que beaucoup de Mexicains et de Mexicaines doivent abandonner leur patrie, leur terre mexicaine, pour aller chercher du travail dans un autre pays, comme les États-Unis, et que là-bas ils ne sont pas mieux traités, parce qu’on les exploite, on les persécute, on les méprise et même ils se font tuer. Alors, avec le néolibéralisme que nous imposent ceux du mauvais gouvernement, l’économie ne s’est pas améliorée, sinon tout le contraire. Les campagnes sont très pauvres et en ville il n’y a pas de travail. Ce qui se passe, en fait, c’est que le Mexique n’est plus que le pays où naissent, durent un moment et puis après, meurent, ceux qui travaillent pour enrichir des étrangers, principalement des gringos riches. C’est pour ça que nous disons que le Mexique est dominé par les États-Unis. […] Et maintenant les hommes politiques mexicains veulent aussi vendre la Pemex, autrement dit le pétrole des Mexicains. La seule différence, c’est qu’il y en a qui disent qu’ils vendront tout et d’autres qui disent qu’ils ne vendront qu’une partie. Et ils veulent aussi privatiser la sécurité sociale, et l’électricité, et l’eau, et les forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du Mexique et que notre pays devienne une sorte de terre 183 en friche ou un parc d’attractions réservé aux riches du monde entier, et que les Mexicains et les Mexicaines ne soient plus que leurs domestiques, dépendant de ce qu’on veut bien leur donner, vivant mal, sans racines, sans culture, autrement dit sans patrie. Autrement dit, les néolibéralistes veulent tuer le Mexique, notre chère patrie mexicaine. Et les partis politiques officiels non seulement ne la défendent pas, mais sont les premiers à se mettre au service de l’étranger, principalement des États-Unis. Ce sont eux qui se chargent de nous tromper et de nous faire regarder ailleurs pendant qu’ils vendent tout et gardent la paye pour eux. Nous disons bien tous les partis politiques officiels qui existent aujourd’hui, pas seulement l’un d’entre eux. Essayez de trouver s’ils ont fait quelque chose de bien et vous verrez que non. Ils n’ont fait que voler et mentir. Et vous verrez qu’eux ont toujours leurs belles maisons et leurs belles voitures et tout leur luxe. Et en plus ils voudraient qu’on leur dise merci et qu’on vote encore une fois pour eux. Il faut bien dire qu’ils n’ont pas honte, comme on dit. Ils n’ont pas honte tout simplement parce qu’ils n’ont pas de patrie, ils n’ont que des comptes en banque. […] Alors, en général, nous, nous voyons que, dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, qui sont dignes. Et cela nous réjouit et nous donne une certaine satisfaction, parce que avec tous ces gens ça ne va pas être si facile pour les néolibéralistes et peut-être que l’on parviendra même à sauver notre patrie des incroyables vols et de la destruction que les néolibéralistes ont entrepris. Et nous nous prenons à penser que ce serait bien si notre "nous autres" incluait toutes ces rébellions... V. CE QUE NOUS VOULONS FAIRE Bien, alors maintenant nous allons vous dire ce que nous voudrions faire dans le monde et au Mexique, parce que nous sommes incapables de nous taire, sans plus, devant tout ce qui se passe sur cette planète, comme s’il n’y avait que nous qui étions là où nous en sommes. Alors dans le monde, nous voulons dire à vous tous qui résistez et luttez à votre façon et dans votre pays que vous n’êtes pas seuls et que nous, les zapatistes, même si nous sommes tout petits, nous vous soutenons et nous allons chercher un moyen de vous aider dans vos luttes et de parler avec vous pour apprendre, parce que s’il y a bien une chose que nous avons apprise, c’est à apprendre. Et nous voulons dire aux peuples latino-américains que nous sommes fiers d’être des leurs, même si nous n’en sommes qu’une petite partie. Et que nous nous rappelons parfaitement comment ce continent s’est illuminé, il y a des années de cela, et qu’une lumière s’appelait Che Guevara, comme auparavant elle s’était appelée Bolivar, parce que parfois les peuples se saisissent d’un nom pour dire qu’ils se saisissent d’un étendard. […] Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs de l’Europe sociale, autrement dit l’Europe digne et rebelle, qu’ils ne sont pas seuls. Que nous nous réjouissons de leurs grands mouvements contre les guerres néolibérales. Que nous observons attentivement leurs formes d’organisation et leurs formes de lutte pour en apprendre éventuellement quelque chose. Que nous cherchons un moyen de soutenir leurs luttes et que nous n’allons pas leur envoyer des euros, pour qu’après ils soient dévalués à cause de l’effondrement de l’Union européenne, mais que nous allons peut-être leur envoyer de l’artisanat et du café, pour qu’ils les commercialisent et en tirent quelque chose pour les aider dans leurs luttes. Et que peut-être que nous leur enverrons du pozole, ça donne des forces pour résister, mais qu’après tout il est possible que nous ne le leur envoyions pas, parce que le pozole c’est quelque chose bien de chez nous et qu’il ne manquerait plus qu’ils attrapent mal au ventre et qu’après, leurs luttes s’en ressentent et qu’ils soient vaincus par les néolibéralistes. […] Alors, au Mexique, nous voulons arriver à un accord avec des personnes et des organisations de gauche, uniquement, parce que nous pensons que ce n’est qu’au sein de la gauche politique que l’on trouve la volonté de résister à la mondialisation néolibérale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la justice, de la démocratie et de la liberté. Et non comme maintenant où la justice n’existe que pour les 184 riches, où la liberté n’existe que pour leurs grands négoces et où la démocratie n’existe que pour couvrir les murs de propagande électorale. Et aussi parce que nous pensons que c’est uniquement de la gauche que peut surgir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas. Et alors, ce à quoi nous avons pensé, c’est de dresser avec ces personnes et organisations de gauche un plan pour aller partout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous. Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autrement dit leur donner des ordres. […] VI. COMMENT NOUS ALLONS LE FAIRE […] Au Mexique... 1. Nous allons continuer à lutter pour les peuples indiens du Mexique, et plus seulement pour eux ni rien qu’avec eux, mais aussi pour tous les exploités et les dépossédés du Mexique, avec eux tous et dans l’ensemble du pays. Et quand nous parlons de tous les exploités du Mexique, nous parlons aussi des frères et sœurs qui ont dû partir aux États-Unis chercher du travail pour pouvoir survivre. 2. Nous allons aller écouter et parler directement, sans intermédiaires ni médiations, avec les gens simples et humbles du peuple mexicain et, en fonction de ce que nous entendrons et apprendrons, nous élaborerons, avec ces gens qui sont, comme nous, humbles et simples, un programme national de lutte. Mais un programme qui soit clairement de gauche, autrement dit anticapitaliste et antinéolibéral, autrement dit pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain. 3. Nous allons essayer de construire ou de reconstruire une autre façon de faire de la politique, une façon qui renoue avec l’esprit de servir les autres, sans intérêts matériels et avec sacrifice, en consacrant son temps et avec honnêteté, en respectant la parole donnée et avec pour seule paye la satisfaction du devoir accompli. Autrement dit, comme le faisaient auparavant les militants de gauche que rien n’arrêtait, ni les coups, ni la prison, ni la mort, et encore moins des dollars. 4. Nous allons aussi essayer de faire démarrer une lutte pour exiger une nouvelle Constitution, autrement dit des nouvelles lois qui prennent en compte les exigences du peuple mexicain, à savoir : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, information, culture, indépendance, démocratie, justice, liberté et paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaisse les droits et libertés du peuple et qui défende le faible contre le puissant. DANS CE BUT... L’EZLN enverra une délégation de sa direction pour accomplir cette tâche sur l’ensemble du territoire mexicain et pour une durée indéterminée. Cette délégation zapatiste se rendra aux endroits où elle sera expressément invitée, en compagnie des organisations et des personnes de gauche qui auront souscrit à cette Sixième Déclaration de la forêt Lacandone. Nous informons à l’avance que l’EZLN mènera une politique d’alliances avec des organisations et des mouvements non électoralistes qui se définissent, en théorie et en pratique, comme des mouvements et organisations de gauche, aux conditions suivantes : […] Frères et sœurs, Voici notre parole. Nous disons : Dans le monde, nous allons davantage fraterniser avec les luttes de résistance contre le néolibéralisme et pour l’humanité. 185 Et nous allons soutenir, même si ce n’est qu’un petit peu, ces luttes. Et nous allons échanger dans un respect mutuel expériences, histoires, idées et rêves. Au Mexique, nous allons parcourir l’ensemble du pays, au milieu des décombres qu’a semés la guerre néolibérale et parmi les résistances, retranchées, qui y fleurissent. Nous allons chercher, et trouver, des gens qui aiment ces terres et ces cieux au moins autant que nous. Nous allons chercher, de La Realidad à Tijuana, des gens qui veulent organiser et lutter et construire, qui sait, le dernier espoir que cette nation, qui existe au moins depuis le jour où un aigle s’est posé sur un nopal pour y dévorer un serpent, ne meure pas. Nous invitons les indigènes, les ouvriers, les paysans, les professeurs, les étudiants, les ménagères, les habitants des quartiers, les petits propriétaires, les petits commerçants, les micro-chefs d’entreprise, les retraités, les handicapés, les prêtres et les bonnes sœurs, les chercheurs, les artistes, les intellectuels, les jeunes, les femmes, les vieillards, les homosexuels, les lesbiennes et les enfants, garçons et filles, à participer directement, de manière individuelle ou collective, à la construction d’une autre façon de faire de la politique et d’un programme de lutte national et de gauche, et à lutter pour une nouvelle Constitution. Voilà quelle est notre parole pour dire ce que nous allons faire et comment nous allons le faire. Elle est à votre disposition, si cela vous intéresse. […] Voilà quelle a été notre parole simple s’adressant aux cœurs nobles des gens simples et humbles qui résistent et se rebellent contre l’injustice dans le monde entier. DÉMOCRATIE ! LIBERTÉ ! JUSTICE ! Des montagnes du Sud-Est mexicain. Comité clandestin révolutionnaire indigène Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale. Mexique, en ce sixième mois, autrement dit en juin, de l’an 2005. 186 Annexe 12 : Balance comparativo entre la propuesta de reformas constitucionales presentada por la Cocopa y las observaciones del Ejecutivo Extrait de la revue Chiapas n°5. Ante la necesidad de destrabar el diálogo entre los representantes del gobierno y el EZLN y de dar cauce al cumplimiento de los Acuerdos de San Andrés, la Comisión de Concordia y Pacificación elaboró la propuesta que debía ser sancionada por las partes y turnada al Congreso de la Unión. Contrariamente a lo acordado (sólo era posible decir sí o no), el gobierno de la república contesta con un documento que pretende introducir nuevas modificaciones. La improcedencia del hecho y la necesidad de establecer claramente el carácter de las objeciones del gobierno llevaron a los asesores del EZLN a elaborar este documento comparativo entre la propuesta presentada por la Cocopa, aceptada por el EZLN y a estas alturas también por el Congreso Nacional Indígena, por el Encuentro Nacional por la Paz y por un sinnúmero de organizaciones civiles e individuos, y las enmiendas propuestas por el Ejecutivo. Propuesta de la Cocopa 20 de noviembre de 1996 (Subrayado: eliminado o modificado por el gobierno) Observaciones del gobierno 20 de diciembre de 1996 (Negritas: agregado o modificado por el gobierno) La Nación mexicana tiene una composición pluricultural sustentada originalmente en sus pueblos indígenas, que son aquellos que descienden de poblaciones que habitaban en el país al iniciarse la colonización y antes de que se establecieran las fronteras de los Estados Unidos Mexicanos, y que cualquiera que sea su situación jurídica, conservan sus propias instituciones sociales, económicas, culturales y políticas o parte de ellas. Los pueblos indígenas tienen el derecho a la libre determinación y, como expresión de ésta, a la autonomía como parte del Estado mexicano, para: I. Decidir sus formas internas de convivencia y de organización social, económica, política y cultural. La nación mexicana tiene una composición pluricultural sustentada originalmente en sus pueblos indígenas a los cuales, en los términos de esta Constitución, se les reconoce el derecho a la libre determinación que se expresa en un marco de autonomía respecto a sus formas internas de convivencia y de organización social, económica, política y cultural. Dicho derecho les permitirá: II. Aplicar sus sistemas normativos en la regulación y solución de conflictos internos, respetando las garantías individuales, los derechos humanos y, en particular, la dignidad e integridad de las mujeres; sus procedimientos, juicios y decisiones serán convalidados por las autoridades jurisdiccionales del Estado; I. Aplicar sus normas, usos y costumbres en la regulación y solución de conflictos internos entre sus miembros, respetando las garantías que establece esta Constitución y los derechos humanos, así como la dignidad e integridad de las mujeres. Las leyes locales preverán el reconocimiento a las instancias y procedimientos que utilicen para ello, y establecerán las normas para que sus juicios y resoluciones sean homologados por las autoridades jurisdiccionales del Estado; III. Elegir a sus autoridades y ejercer sus formas II. Elegir a sus autoridades municipales y ejercer 187 de gobierno interno de acuerdo a sus normas en los ámbitos de su autonomía, garantizando la participación de las mujeres en condiciones de equidad. sus formas de gobierno interno, siempre y cuando se garantice el respeto a los derechos políticos de todos los ciudadanos y la participación de las mujeres en condiciones de igualdad; IV. Fortalecer su participación y representación políticas de acuerdo con sus especificaciones culturales; III. Fortalecer su participación y representación políticas de conformidad con sus especificidades culturales; V. Acceder de manera colectiva al uso y disfrute de los recursos naturales de sus tierras y territorios, entendidas éstas como la totalidad del hábitat que los pueblos indígenas usan u ocupan, salvo aquellos cuyo dominio directo corresponde a la Nación; IV. Acceder al uso y disfrute de los recursos naturales de sus tierras, respetando las formas, modalidades y limitaciones establecidas para la propiedad por esta Constitución y las leyes. VII. Adquirir, operar y administrar sus propios medios de comunicación. VI. Adquirir, operar y administrar sus propios medios de comunicación, conforme a la ley. El Estado impulsará también programas específicos de protección de los derechos de los indígenas migrantes, tanto en el territorio nacional como en el extranjero. El Estado impulsará también programas específicos de protección a los derechos de los indígenas migrantes en el territorio nacional y, de acuerdo con las normas internacionales, en el extranjero. ARTÍCULO 115 Los Estados adoptarán... I. Cada municipio... II. Los municipios. III. Los municipios, con el concurso de los estados... IV. Los municipios administrarán libremente... V. Los municipios... En los planes de desarrollo municipal y en los programas que de ellos se deriven, los ayuntamientos le darán participación a los núcleos de población ubicados dentro de la circunscripción municipal, en los términos que establezca la legislación local. En cada municipio se establecerán mecanismos de participación ciudadana para coadyuvar con los ayuntamientos en la programación, ejercicio, evaluación y control, de los recursos, incluidos los federales, que se destinen al desarrollo social. ARTÍCULO 115 Los Estados adoptarán... I. Cada municipio... II. Los municipios... III. Los municipios con el concurso de los Estados... IV. Los municipios administrarán libremente... V. Los municipios... En los planes de desarrollo municipal y en los programas que de ellos se deriven, los ayuntamientos le darán participación a los núcleos de población ubicados dentro de la circunscripción municipal, en los términos que establezca la legislación estatal. Asimismo, las leyes locales establecerán mecanismos de participación ciudadana para coadyuvar con los ayuntamientos en la programación, ejercicio, evaluación y control de los recursos, incluidos los federales, que se destinen al desarrollo social. X. En los municipios, comunidades, organismos auxiliares del ayuntamiento e instancias afines que asuman su pertenencia a un pueblo indígena, se reconocerá a sus habitantes el derecho para que definan, de acuerdo con las prácticas políticas propias de la tradición de cada uno de ellos, los procedimientos para la elección de sus autoridades o representantes y para el ejercicio de sus formas propias de gobierno interno, en un marco que asegure la unidad del Estado nacional. La legislación local establecerá las bases y modalidades para asegurar el ejercicio pleno de este derecho. X. En los municipios, comunidades, organismos auxiliares del ayuntamiento e instancias afines, de carácter predominantemente indígena y para el ejercicio de sus formas propias de gobierno interno, se reconocerá a sus habitantes el derecho para elegir a sus autoridades o representantes internos, de acuerdo con sus prácticas políticas tradicionales, en un marco que asegure la unidad del Estado nacional y el respeto a esta Constitución. La legislación local establecerá las bases y modalidades para asegurar el ejercicio pleno de este derecho. Las Constituciones y leyes locales 188 Las legislaturas de los Estados podrán proceder a la remunicipalización de los territorios en que estén asentados los pueblos indígenas, la cual deberá realizarse en consulta con las poblaciones involucradas. establecerán los requisitos y procedimientos para constituir como municipios u órganos auxiliares de los mismos, a los pueblos indígenas o a sus comunidades, asentados dentro de los límites de cada Estado. ARTÍCULO 18 Sólo por delito que merezca. Los gobiernos... Los gobernadores... La Federación... Los reos de nacionalidad... Los indígenas podrán compurgar sus penas preferentemente en los establecimientos más cercanos a su domicilio, de modo que se propicie su integración a la comunidad como mecanismo esencial de readaptación social. ARTÍCULO 18 Sólo por delito que merezca... Los gobiernos... Los gobernadores... La Federación... Los reos de nacionalidad... Las leyes fijarán los casos en que la calidad indígena confiere el beneficio de compurgar las penas preferentemente en los establecimientos más cercanos a su domicilio, de modo que se propicie su integración a la comunidad como mecanismo esencial de readaptación social; asimismo determinarán los casos, en que por la gravedad del delito, no gozarán de este beneficio. ARTÍCULO 26 El Estado organizará... Los fines del proyecto... La ley federal facultará... La legislación correspondiente establecerá los mecanismos necesarios para que en los planes y programas de desarrollo se tomen en cuenta a las comunidades y pueblos indígenas en sus necesidades y especificidades culturales. El Estado les garantizará su acceso equitativo a la distribución de la riqueza nacional. ARTÍCULO 26 El Estado organizará... Los fines del proyecto... La ley federal facultará... La legislación correspondiente establecerá los mecanismos necesarios para que en los planes y programas de desarrollo se tomen en cuenta a los pueblos indígenas en sus necesidades y especificidades culturales. El Estado promoverá su acceso equitativo a la distribución de la riqueza nacional. ARTÍCULO 116 El poder público de los estados... I... II. El número de representantes... Los diputados de las legislaturas... En la legislación electoral... Para garantizar la representación de los pueblos indígenas en las legislaturas de los estados por el principio de mayoría relativa, los distritos electorales deberán ajustarse conforme a la distribución geográfica de dichos pueblos. ARTÍCULO 116 El poder público de los estados... I... II. El número de representantes... Los diputados de las legislaturas... En la legislación electoral... Para garantizar la representación de los pueblos indígenas en las legislaturas de los Estados por el principio de mayoría relativa, en la conformación de los distritos electorales uninominales, se tomará en cuenta la distribución geográfica de dichos pueblos. 189 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages généraux ➢ sur l’Amérique latine et le Chiapas : ALMA Amalia y GONZALEZ C., Etica y exclusion: las reglas del juego del mercado del café, Univ. Tlse2, Toulouse, 2003. DELAMARRE-SALLARD Catherine, Manuel de civilisation espagnole et latinoaméricaine, Editions Bréal, Paris, 2001. Chapitre 3, pages 163 à 178. ELLIS Philip, Changes in agriculture and settlement in coastal Chiapas, southern Mexico, Glasgow University, Glasgow, 1971. GUILLERMOPRIETO Alma, La guerre des ombres, Editions Dagorno, Paris, 1995, 80 pages. LOAEZZA Soledad, « El tripartidismo mexicano : El largo camino hacia la democracia », Rosario, Argentina, 2003. LOYD STEPHENS J., Aventures de voyages en pays Mayas, de Pygmalion, Paris, 1993. 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LE CHIAPAS, UN CONTEXTE REGIONAL SPÉCIFIQUE: ENTRE CONFLIT POTENTIEL ET CRISE LATENTE, LE ZAPATISME INCUBATEUR.......................... 29 Section 1. L’existence d’un potentiel de conflit : le Chiapas, un Etat en détresse..........29 A. Les contexte local de mise en place du conflit zapatiste: le Chiapas et sa place particulière au sein de la nation mexicaine................................................................. 30 B. Le paradoxe chiapanèque : de la clarification des raisons du conflit à l’ébauche de la radicalisation à venir............................................................................................... 33 Section 2. L’existence d’un potentiel idéologique au Chiapas : l’Armée Zapatiste de Libération Nationale et son diagnostic........................................................................... 35 A. L’EZLN, ou une organisation marxiste : vers un soulèvement d’exclus ? ........... 36 B. Les bases de l’EZLN revisitée : du marxisme orthodoxe au marxisme nuancé par le pragmatisme du mouvement................................................................................... 39 Section 3. L’existence d’un potentiel spécifique au Chiapas : de l’indigénisme des théologiens aux zapatistes paladins de l’indianité.......................................................... 41 A. La force de l’Eglise catholique dans la région : la constitution d’un bassin de fidèles en quête de dignité...........................................................................................41 B. Les zapatistes à l’assaut du potentiel chiapanèque : de la récupération de la dynamique indigéniste aux zapatistes paladins de l’indianité. .................................. 43 CHAPITRE 2. LE PRI, RÉVÉLATEUR DE L'ETAT DE MALAISE DU PAYS: UN CONTEXTE FAVORABLE A L'ENGAGEMENT DU PROCESSUS DE REVENDICATION ZAPATISTE.........................................................................................................................45 Section 1. Du PRI ciment de la nation…......................................................................... 45 A. La « monarchie » mexicaine : un système politique immobile et une société muselée....................................................................................................................... 46 B. La modernisation économique des années 1980 et ses conséquences sur la société : les débuts de la désarticulation du PRI et le déverrouillage de la société civile. ..........................................................................................................................47 199 Section 2. … au PRI catalyseur du conflit. .....................................................................48 A. L’avènement d’une « démocratie » tardive … mais trop incomplète : les remouds de la présidence de Salinas dans l’opinion. ............................................................... 48 B. La financiarisation de l’économie mexicaine dans les années 1990 et la vulnérabilité du système : la société civile en proie à ses « démons ». .................... 51 CHAPITRE 3. LE ZAPATISME, FIXATEUR DU CONFLIT: DU ZAPATISME MILITAIRE AU ZAPATISME SOCIAL ET DE LA SCENE NATIONALE A LA SCENE INTERNATIONALE........................................................................................................... 53 Section 1. La « guerre éclair » et ses conséquences immédiates, ou de l’éclatement du conflit à l’échec de sa contention et de sa désactivation : ..............................................54 l’EZLN catapultée sur la scène nationale........................................................................ 54 A Le détonateur du 1er janvier 1994 : la première déclaration de la Selva Lacandona et le combat des zapatistes « pour la nation mexicaine ». ......................................... 54 B. L’absence d’alternative concrètes du gouvernement pour étouffer la rébellion : l’échec des manœuvres gouvernementales pour canaliser et absorber le conflit. ......56 Section 2. La cristallisation de l’EZLN : de l’envergure nationale à l’envergure internationale...................................................................................................................57 A. Briser la colonne vertébrale du système : se garantir un ancrage national par le recours à la société civile en son entier. .....................................................................58 B. Affirmer la singularité du conflit : se connecter à la sphère internationale par le biais de la première révolution humaniste du XXIè siècle......................................... 60 CONCLUSION PARTIE 1.................................................................................................... 63 SECONDE PARTIE: LE CHIAPAS, ACTEUR STABILISÉ DU JEU POLITIQUE NATIONAL ET DES RELATIONS INTERNATIONALES: DE L'AFFIRMATION DE L'ACTEUR ZAPATISTE AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL A LA CONSECRATION D'UN NOUVEAU TYPE D'ACTEUR................................................ 65 CHAPITRE 1. LE KALEIDOSCOPE ZAPATISTE: L'EZLN, UNE ORGANISATION NOVATRICE ET ATTRACTIVE.....................................................................................................................67 Section 1. De la capacité d’organisation interne à la stratégie de communication de l’EZLN : la construction de la personnalité publique du mouvement.............................67 Section 2. La capacité d’action de l’EZLN : de la capacité de dialogue du mouvement aux premières avancées sur la scène nationale. .............................................................76 Section 3. De la capacité d’adaptation de l’EZLN à la revalorisation de la thématique indigène : du Chiapas objet au Chiapas sujet de la mondialisation. ............................. 80 200 CHAPITRE 2. L'ORIGINALITE D'UNE GUERILLA EXTRAVERTIE: LA CONSTRUCTION D'UNE MOSAIQUE DE PLATEFORMES POUR CANALISER ET POTENTIALISER LES MERITES DES INSURGÉS................................................................................................85 Section 1 : La création d’une plate-forme nationale : les débuts de l’amarrage de l’EZLN dans le cadre national … et ses échecs.............................................................. 86 Section 2 : La création d’une plate forme internationale : les tentatives de résolution de l’enlisement du conflit… et ses réussites......................................................................... 91 CHAPITRE 3. LES RESULTATS DE LA STRATEGIE ORIGINALE DES ZAPATISTES: LA CONSÉCRATION DE L'EZLN DANS LA SPHERE NATIONALE ET INTERNATIONALE........................................................................................................... 98 Section 1. La stratégie de pacification des zapatistes : d’une nouvelle initiative politique de l’EZLN à la mise en lumière du germe de la solution au conflit.................98 Section 2. Le « Zapatour » et l’apparente apogée de l’EZLN : ................................... 100 vers l’avènement d’un « groupe armé qui fait de la politique » ?.................................100 CONCLUSION PARTIE 2..............................................................................................107 TROISIEME PARTIE LE CHIAPAS, ACTEUR ENRACINÉ DANS LE JEU POLITIQUE NATIONAL ET DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES: VERS UN PANAORAMA DES HERITAGES DE L'ACTEUR ZAPATISTE .................................................................... 110 CHAPITRE 1. L’EZLN : DES METHODES D'ACTION FECONDES?................................................. 112 Section 1.La transformation politique et la coopération : les résultats de dix ans de rébellion zapatiste au Chiapas...................................................................................... 112 A. Les effets contrastés des stratégies de l’EZLN sur la vie politique chiapanèque 113 B. L’amélioration visible du climat politique : la gouvernance politique du Mexique 114 Section 2. L’émergence d’une « loi indigène »............................................................ 116 A. La promulgation de la « loi indigène » de mars 2001 : …...................................117 B. … entre changement et continuité de l’attitude ambiguë du gouvernement .......118 Section 3. L’inconnue zapatiste : vers l’invention de nouvelles formes d’action pour combattre l’ostracisme des indigènes ?.........................................................................119 A. La création des « caracoles » en 2001 : dernière initiative en date de l’EZLN... 119 B. Les zapatistes pris au piège : le « suicide » de l’isolement ?............................... 121 201 CHAPITRE 2. L' « INTERNATIONALE ZAPATISTE »: L'ACTEUR ZAPATISTE CONONISÉ A L'INTERNATIONAL........................................................................................................ 124 Section 1. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau local et régional.......... 124 A. Le contrecoup du soulèvement zapatiste sur la région. ...................................... 124 B. L’EZLN face à l’ambition des partis politiques : les effets contradictoires des actions des zapatistes................................................................................................ 126 Section 2. La marginalisation de l’acteur zapatiste au niveau national....................... 128 A. Des signes de fléchissement de l’intérêt de l’opinion .........................................128 B. L’amélioration du climat national ....................................................................... 129 Section 3 La béatification de l’acteur zapatiste au niveau international......................129 A. Des zapatistes aux Nouveaux Mouvements Sociaux : même jeu, même combat129 B. La continuation et la pérennisation du combat des zapatistes : « changer le monde sans prendre le pouvoir ». ........................................................................................ 130 CHAPITRE 3. VERS UN APERCU DU TRIPLE DÉFI A RELEVER PAR L'EZLN A L'AUBE DU NOUVEAU MILLENAIRE...............................................................................................132 Section 1. L’acteur zapatiste lancé dans une nouvelle quête d’oxygène ? : les élections de 2006 et l’« Autre Campagne ». ................................................................................133 A. La volonté des zapatistes de rester dans l’agenda politique international…....... 133 B…. passe par la nécessité de se réinscrire dans l’agenda politique national.......... 134 Section 2. L’acteur zapatiste face à la privatisation des biens publics au Mexique : deux visions d’un projet national divergent. ........................................................................136 A. De la mise en valeur du patrimoine écologique et culturel ….............................136 B. … à la construction du « Mexique de l’avenir ». ................................................ 137 Section 3. L’acteur zapatiste face aux fondements de sa propre nature : les enjeux de la « ventriloquie indigène » et des technologie de la communication...............................138 A. La crédibilité des zapatistes remise en question : la nécessaire refonte des « statuts » de l’organisation...................................................................................... 138 B. Les méthodes de communication des zapatistes remises en question : de l’usage dangereux des NTIC pour les communautés indigènes vers l’ « Apartheid global ». 142 CONCLUSION GENERALE.................................................................................................145 TABLE DES ANNEXES........................................................................................................153 BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................. 190 TABLE DES MATIERES...................................................................................................... 199 202 GIVAJA Gautier « L’EZLN, ou l’apparition d’un nouveau type d’acteur au sein du jeu politique national et des Relations Internationales ». Le 1er janvier 1994, le Mexique voyait naître en son sein ce que certains appelleront le "premier mouvement symbolique contre la globalisation" néolibérale. Depuis lors, et même si cela semble un peu moins vrai aujourd’hui, le gouvernement mexicain devra faire face à la montée des oppositions et des revendications de quelques centaines d’indigènes du Chiapas qui n’auront cesse de mettre en leur pouvoir tous les moyens possibles et inimaginables pour tenter d’une part de contrer les tentatives de l’Etat qui veut les bâillonner, et d’autre part de proclamer enfin un monde qui accepte les différences et « qui contienne plusieurs mondes ». Alors, nous nous sommes intéressés à comprendre ici comment « les sans voix » sont parvenus à se donner une voix qu’ils avaient perdue « depuis plus de 500 ans ». Ainsi, comment ces indigènes de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) ont-ils réussi pendant plus de dix ans à déjouer les pièges de la mondialisation uniformisante et les obstacles tendus par un gouvernement avide de préserver le statut quo au sein de la République ? L’axe majeur de notre étude va alors consister à démontrer que c’est en combinant avec une habileté hors norme l’utilisation des ressources locales, nationales, et internationales, que l’EZLN a réussi à faire avancer ses revendications jusqu’à arriver à la consécration de 2001 : la réception des insurgés au Congrès de la Nation à la suite du « Zapatour ». Si l’EZLN a réussi son pari, à savoir conscientiser le monde entier sur le sort des indigènes chiapanèques et des minorités en général, il est évident que le caractère du mouvement n’est pas étrange à son succès. Ainsi, c’est en se construisant une personnalité originale et en affirmant son caractère novateur, que l’EZLN s’est donné une légitimité sans précédent pour un mouvement de filiation marxiste, surtout dans un contexte international voué corps et âme à l’imposition de l’hégémonie libérale. Un nouveau type d’acteur était donc né au sein du Mexique, mais ses stratégies et ses méthodes allaient le propulser sur la scène internationale qu’il allait savoir très régulièrement mettre à son profit. ________________________________ Mots clés : Zapatistes/ néozapatistes/ EZLN. Indigènes/ Indiens. Cadre local/ national/ international. Mexique/ Chiapas. Stratégies/ méthodes. Revendications/ Acteur public. 203