Staphylococcus aureus et maladies toxiniques

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Staphylococcus aureus et maladies toxiniques
54es Journées de biologie clinique Necker
thématique
– Institut Pasteur
à taper
Staphylococcus aureus
et maladies toxiniques
Oana Dumitrescua,*
1. Introduction
Tableau I – Les syndromes staphylococciques
et les toxines responsables.
Les infections toxiniques dues à Staphylococcus aureus
demeurent des défis diagnostiques et thérapeutiques pour
les praticiens (médecins généralistes, pédiatres, dermatologistes, réanimateurs). Le substrat physiopathologique
est représenté par divers facteurs de virulence produits
par S. aureus, et notamment les toxines superantigéniques
(SAg), les exfoliatines (ET) et à la leucocidine de Panton
Valentine (PVL) [1]. Le tableau I résume les principaux
syndromes staphylococciques rencontrés en clinique et
les toxines responsables. L’expression des ET ou des SAg
est potentiellement associée à la survenue de formes cliniques pouvant engager le pronostic vital, telles que les
syndromes d’exfoliations généralisées [2] ou les chocs
toxiques staphylococciques [3]. La compréhension de la
physiopathologie de ces infections toxiniques et leur prise
en charge adaptée conditionnera l’évolution des patients.
De moindre gravité, les infections cutanées primitives liées
à la PVL n’engagent pas le pronostic vital ; néanmoins
l’inconfort généré par les récurrences, le risque épidémique
(intrafamilial, dans les communautés de jeunes : écoles, etc.),
ainsi que la survenue possible des complications graves
(pneumonie nécrosante, ostéomyélite sévère) incitent à
l’élaboration de recommandations pour le diagnostic et la
prise en charge des infections staphylococciques liées à
la production de PVL [4].
Syndromes
Toxines responsables*
Choc toxique staphylococcique
et scarlatine staphylococcique
Toxine du choc toxique
staphylococcique ou
entérotoxines
Syndrome d’exfoliation
généralisée et impétigo bulleux
Exfoliatines
Pneumonie nécrosante et
infections cutanées primitives
Leucocidine de Panton Valentine
* après l’isolement de la souche de S. aureus, il est possible de rechercher
les toxines produites par la souche par une technique de PCR.
Tableau II – Critères du choc toxique
staphylococcique : il faut les 3 critères majeurs et
au moins 3 critères mineurs [14].
Critères majeurs
Critères mineurs
Hypotension : TA < 5 percentile
hypoTA orthostatique
Diarrhée, vomissements
Température > 38 C°
Myalgies, CPK > N
Éruption maculeuse généralisée
+ desquamation (tardive)
Hyperhémie vaginale, pharyngée
ou conjonctivale
e
Urée ou créatininémie > 2N
leucocyturie abactérienne
Hyperbilirubinémie > 2N,
ALAT > 2N
Thrombopénie < 100 000/mm3
2. Le choc toxique
staphylococcique et
la scarlatine staphylococcique
Désorientation,
trouble de conscience
Le choc toxique staphylococcique a été décrit pour la
première fois en 1980 chez les femmes utilisant des tampons absorbants au cours de la menstruation. Le tableau
a Centre national de référence des staphylocoques
Laboratoire de bactériologie
Centre de biologie et pathologie Est
Groupement hospitalier Est (Hospices Civils de Lyon)
59, bd Pinel
69677 Bron cedex
Faculté de médecine Lyon-Sud « Charles Mérieux »
* Correspondance
[email protected]
© 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
clinique associe une fièvre élevée, un rash érythémateux
suivi de desquamation, une hypotension artérielle et des
atteintes viscérales diverses (tableau II) [5]. Actuellement
les cas observés sont des complications d’une infection
suppurative, le plus souvent cutanée [6]. La scarlatine
staphylococcique est une forme mineure du choc toxique
staphylococcique comportant les signes cutanés sans les
signes du choc. Le choc toxique et la scarlatine staphylococcique sont dus à 2 groupes principaux de toxines
produites par S. aureus : la toxine du choc toxique staphylococcique (TSST-1) et les entérotoxines. Ces toxines sont
des SAg, c’est-à-dire qu’elles sont capables d’activer de
façon polyclonale les lymphocytes T, entraînant la sécrétion
massive de cytokines. Il en résulte une augmentation de
la perméabilité capillaire et une fuite massive de liquide
dans le secteur interstitiel responsable du choc.
En France, le Centre national de référence des staphylocoques recense une trentaine de cas par an de choc
toxique staphylococcique et une vingtaine de cas de
scarlatine staphylococcique.
Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis //
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Dossier scientifique
Le diagnostic est tout d’abord basé sur une forte suspicion
clinique, la confirmation est apportée par le laboratoire de
bactériologie, suite à la mise en évidence de S. aureus porteur
des gènes de la TSST-1 et/ou des entérotoxines. Le traitement du choc fait appel au remplissage vasculaire avec des
besoins pouvant être massifs. La recherche et le traitement
d’une porte d’entrée sont fondamentaux, de même que
l’antibiothérapie à visée anti-staphylococcique. La plupart
des souches sont sensibles à la méticilline. Néanmoins,
nous notons l’émergence des souches résistantes à la méticilline et productrices de la TSST-1, appartenant au même
clone « Géraldine » et facilement reconnaissables sur le profil
de résistance aux antibiotiques (résistantes à l’oxacilline,
kanamycine, tobramycine et acide fusidique). L’association
de la clindamycine au traitement antibiotique est fortement
conseillée, dans l’optique de diminuer la sécrétion de toxines,
mais cette association n’a pas fait l’objet d’études contrôlées [7]. De la même façon, le linézolide a un rôle démontré
in vitro pour diminuer l’expression des facteurs de virulence
de S. aureus et son intérêt clinique dans le traitement des
pathologies toxiniques reste à démontrer [8]. Les immunoglobulines à fortes doses peuvent également être utilisées
dans cette indication même si leur rôle a été plus étudié dans
les chocs toxiques d’origine streptococcique [9].
3. Les syndromes d’exfoliation
Il s’agit d’une atteinte soit généralisée, soit localisée. Le
syndrome d’exfoliation généralisée (syndrome de Ritter
chez le nouveau-né ou syndrome de la peau ébouillantée
chez le jeune enfant) complique plus souvent une infection
primaire à S. aureus, plus rarement une surinfection de
lésion cutanée préexistante [10, 11]. Elle survient surtout
chez l’enfant avant 15 ans [6, 12]. Dans sa forme grave,
elle entraîne une épidermolyse pouvant atteindre 90 % de
la surface corporelle, responsable de bulles étendues à
contenu translucide. Ces bulles se rompent facilement en
laissant apparaître une peau rouge et vernissée. L’aspect
est alors plus ou moins comparable à une brûlure étendue
du second degré superficielle. La forme localisée mineure
correspond à l’impétigo bulleux et, contrairement aux
formes étendues, le point de départ est habituellement une
surinfection d’une lésion cutanée (surinfection de lésions
de varicelle notamment) autour de laquelle apparaissent
des bulles flasques, dont l’aspect peut être purulent.
Le syndrome d’exfoliation généralisée et l’impétigo bulleux
sont dus aux ET produites par S. aureus. Elles agissent au
niveau de l’épiderme entre le stratum spinosum (couche
épineuse) et le stratum granulosum (couche granuleuse) en
clivant la desmogléine 1 (un des composants des desmosomes qui assurent la jonction entre les cellules épithéliales)
[2]. Ce clivage induit un décollement intraépidermique. Ni
le derme, ni l’hypoderme ne sont atteints et il n’y a pas de
réaction inflammatoire. L’absence d’atteinte des muqueuses
est un élément important permettant de faire la différence
avec les autres dermatoses bulleuses comme le syndrome de
Lyell médicamenteux ou le syndrome de Stevens-Johnson.
En France, le Centre national de référence des staphylocoques recense entre 20 et 25 cas par an de syndrome d’exfoliation généralisée et une vingtaine de cas
d’impétigo bulleux.
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Le diagnostic, basé sur la suspicion clinique, est consolidé
par la mise en évidence de S. aureus, porteur des gènes
ET, isolé d’une infection suppurative, et, plus souvent, du
site de portage nasopharyngé. La recherche et le traitement, si possible chirurgical, de la porte d’entrée doivent
être une priorité, car la persistance d’un foyer suppuré
entraîne la poursuite de la production de toxines et ce
malgré l’antibiothérapie. Cependant, cette recherche est
souvent décevante chez l’enfant car le point de départ est
souvent peu symptomatique et il peut même s’agir d’un
simple portage nasal. La prescription d’une pénicilline M
par voie intraveineuse est nécessaire. De rares souches
résistantes à la méticilline sont décrites en Europe.
4. Les infections cutanées
et la pneumonie nécrosante
à S. aureus produisant la PVL
S. aureus est le principal pathogène incriminé dans les
infections cutanées, tels les furoncles, abcès, folliculite,
cellulite, etc. Plusieurs rapports des années 90 signalent
une corrélation épidémiologique forte entre la présence
d’un facteur de virulence particulier, la PVL et les infections
cutanées staphylococciques primitives [13]. Il s’agit le plus
souvent des abcès cutanés primitifs dont l’aspect initial est
celui de « piqûre d’araignée » avec une évolution rapide
vers l’extension de la zone érythémateuse et douloureuse
et l’augmentation de la taille de l’abcès (figure 1). S. aureus
produisant la PVL doit être suspecté chez les patients qui se
présentent lors d’épisodes récidivants, avec une évolution
rapide des lésions et/ou au cours d’un épisode ne répondant
pas à un traitement antibiotique classique. La PVL étant un
facteur de risque majeur de récidive, il est recommandé de
rechercher le portage et de décoloniser les porteurs avérés
autour des cas de furonculose récidivante [14].
En dehors d’infections cutanées primitives, les souches
de S. aureus produisant la PVL peuvent être à l’origine
d’une pathologie très sévère, la pneumonie nécrosante.
Cette nouvelle entité clinique a été décrite en 2002 [15]
et est sans doute rare (en France, le Centre national de
référence des staphylocoques recense une trentaine de
Figure 1 – Abcès cutané primitif à S. aureus
produisant la PVL.
54es Journées de biologie clinique Necker – Institut Pasteur
cas par an). Elle survient chez l’enfant ou l’adulte jeune (âge
médian : 14,8 ans), le plus souvent en l’absence d’antécédents
pathologiques. Le début est brutal, mais est souvent précédé
de signes d’infection respiratoire d’allure virale. Rapidement,
le tableau est celui d’une détresse respiratoire aiguë liée à
une pneumonie bilatérale d’aggravation rapide avec signes
de choc. Il s’y associe fréquemment des signes d’hémorragie
alvéolaire à l’origine d’hémoptysies parfois massives. Sur le
plan biologique, le seul fait marquant est la constatation fréquente d’une leucopénie parfois profonde à la phase initiale
de l’évolution. Quarante pour cent des patients décèdent dans
un tableau de choc incontrôlable et d’hypoxémie réfractaire
avec une médiane de survie de 4,3 jours.
La pneumonie nécrosante est due à la sécrétion de PVL
au niveau pulmonaire. Cette toxine agit in vitro en créant
des nécroses tissulaires et des pores dans les membranes
cellulaires des macrophages, monocytes et polynucléaires
neutrophiles. Le diagnostic de pneumonie nécrosante doit
être évoqué devant toute pneumonie rapidement évolutive
à staphylocoque de l’enfant et de l’adulte jeune, succédant
à une infection respiratoire d’allure virale ; la leucopénie
initiale est, dans de telles circonstances, un signe biologique orientant fortement vers le diagnostic. Le traitement
doit alors comporter la prise en charge symptomatique du
choc et une ventilation assistée. Le choix de l’antibiothérapie de première intention est rendu difficile par la sévérité
initiale qui impose de ne pas attendre la documentation
bactériologique et par l’émergence récente des souches
résistantes à la méticilline sécrétant la PVL. Il paraît licite de
proposer avant toute documentation bactériologique une
association céphalosporine de 3e génération et vancomycine, puis, lorsque S. aureus est isolé, d’adapter selon les
résultats de l’antibiogramme : pénicilline M ou vancomycine.
Références
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[9] Schlievert PM. Use of intravenous immunoglobulin in the treatment
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La clindamycine, le linézolide ou la rifampicine pourraient
également être proposés du fait de leur activité d’inhibition de la sécrétion des toxines [16]. Par ailleurs, une
antibiothérapie adaptée est souvent insuffisante, mais
l’administration précoce d’immunoglobulines à fortes doses
(Tégéline® à la posologie de 2 g/kg en intraveineux) est
fortement conseillée en raison du taux élevé d’anticorps
neutralisants anti-leucocidine contenu dans les préparations commercialisées. La Tégéline® bloque in vitro l’action
nécrosante de la PVL sur les polynucléaires neutrophiles
[17] et, bien que son utilité ne soit pas encore démontrée
in vivo, son utilisation doit être systématiquement discutée
compte tenu de la gravité de ces pneumonies.
5. Conclusions
Il apparaît qu’il existe une véritable spécialisation des
staphylocoques en fonction du type de toxines qu’ils sont
capables de produire. En d’autres termes, un staphylocoque ne donne pas n’importe quel type de maladie infectieuse. La combinaison de certains facteurs de virulence
et de résistance aux antibiotiques démontre que les types
d’infections staphylococciques continuent d’évoluer pour
mieux se disséminer et mieux résister aux traitements
antibiotiques. Ainsi, l’ensemble des aspects présentés
a comme objectif d’améliorer le diagnostic et la prise en
charge des infections staphylococciques toxiniques afin
de réduire le risque de survenue des pathologies sévères
liées à la production de toxines et juguler l’émergence de
souches virulentes et multirésistantes aux antibiotiques.
Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits
d’intérêts en relation avec cet article.
[10] Raymond J, Bingen E, Brahimi N, Bergeret M, Lepercq J, Badoual
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Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis //
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