Partie I Motif du licenciement

Transcription

Partie I Motif du licenciement
Partie I
Motif du licenciement
Certaines règles sont communes à tous les motifs de licenciement et seront
examinées, avant d’exposer les motifs propres à chaque licenciement.
3465383_Le licenciement.indd 1
07/09/2012 15:48:54
3465383_Le licenciement.indd 2
07/09/2012 15:48:54
1
Règles communes
Quel que soit son motif, le licenciement doit présenter un caractère réel
et sérieux. Par ailleurs, l’employeur doit toujours vérifier s’il existe des
restrictions à son pouvoir de licencier le salarié, provenant le plus souvent
de la convention collective applicable.
1.1 Caractère réel et sérieux
du licenciement
Selon l’article L. 1232-1 du Code du travail :
** « Tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions
définies par le présent chapitre.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse. »
L’article L. 1233-2 du Code du travail contient une règle identique à propos
du licenciement pour motif économique.
Cela étant, le Code du travail ne définit pas la notion de « caractère réel et
sérieux » du licenciement, et la jurisprudence a donc été conduite à préciser
ses contours.
Tout d’abord, le caractère « réel » du licenciement renvoie à l’exactitude du
motif retenu par l’employeur.
La jurisprudence exige, en effet, que le motif de licenciement invoqué dans
la lettre corresponde au véritable motif invoqué par l’employeur.
3465383_Le licenciement.indd 3
07/09/2012 15:48:54
Le licenciement
•• Exemples :
Si une lettre de licenciement pour motif économique mentionne de manière erronée
que le département « taux » d’une entreprise a fermé, la réorganisation fondée sur
ce motif, dans la lettre de licenciement, ne peut être retenue2. De la même manière,
une Cour d’appel constatant que, postérieurement à l’acquisition d’un groupe par un
nouvel actionnaire, les nouveaux dirigeants avaient voulu se séparer des cadres liés
à la précédente direction et que l’insuffisance professionnelle alléguée n’était pas la
véritable cause du licenciement, a jugé à bon droit que le licenciement était infondé3.
Quant au caractère de « sérieux », cette notion signifie que le motif doit être
d’une importance suffisante pour justifier un licenciement.
•• Exemple :
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un employeur dirigé contre un arrêt, ayant
jugé que le motif de licenciement lié à l’encaissement, par un conducteur de bus,
du prix de deux titres de transport, en contrepartie duquel il n’avait pas délivré de
tickets, n’avait pas un caractère assez sérieux pour justifier le licenciement4.
Si la lettre de licenciement contient plusieurs motifs, le caractère réel et
sérieux s’apprécie par rapport à l’intégralité de la lettre.
Ainsi, plusieurs motifs insuffisants, à eux seuls, pour fonder un licenciement
peuvent néanmoins, dans leur globalité, justifier une telle mesure.
En cas de litige, il appartient au juge de vérifier si le licenciement présente,
ou non, un caractère réel et sérieux, en se plaçant à la date de la rupture du
contrat de travail.
En d’autres termes, si le motif de licenciement n’existe plus à la date de
notification de la lettre, la rupture du contrat de travail n’est pas justifiée.
•• Exemple :
Le salarié recevant une lettre de convocation à l’entretien préalable à un éventuel
licenciement pour faute grave en raison d’un abandon de poste, et qui réintègre
l’entreprise avant la notification du licenciement, ne peut plus faire l’objet d’un
licenciement pour ce motif.
2
3
4
Cass. soc. du 12 juin 2001, n° 99-41-839.
Cass. soc. du 20 septembre 2006, n° 04-48341.
Cass. soc. du 4 décembre 2002, n° 00-43580.
4
3465383_Le licenciement.indd 4
07/09/2012 15:48:54
Règles communes
1.2 Restrictions au pouvoir de licencier
Même en présence d’un motif réel et sérieux, le droit de licencier de l’employeur
fait parfois l’objet de restrictions.
En particulier, la convention collective applicable à l’entreprise peut prévoir
une limitation des motifs de licenciement ou l’observation de formalités
particulières avant d’engager la procédure de licenciement.
YY Attention !
L’employeur doit obligatoirement respecter les dispositions de la convention collective
restreignant son pouvoir de licencier. À défaut, le licenciement est sans cause réelle
et sérieuse5.
Parmi ces dispositions conventionnelles particulières, les plus fréquentes
sont celles qui imposent le respect d’un délai minimum avant de procéder
au licenciement du salarié pour absence prolongée ou absences répétées.
•• Exemple :
L’article 83 de la convention collective des sociétés d’assurance dispose que :
« lorsque l’absence pour maladie ou accident ne résultant pas d’accident du travail
ou de maladie professionnelle excède neuf mois continus, ou non, sur une même
période de douze mois, la cessation du contrat de travail peut intervenir à l’initiative
de l’employeur si celui-ci est dans l’obligation de remplacer le salarié absent ». Par
conséquent, si l’employeur licencie le salarié après six mois d’absence continue, le
licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
†† À noter :
Le licenciement du salarié pour absence prolongée ou absences répétées est
développé dans le présent ouvrage (cf. § 2.6).
Ces restrictions au pouvoir de l’employeur peuvent également émaner d’un
accord d’entreprise, voire d’un usage.
Par conséquent, l’employeur doit faire preuve de la plus grande vigilance
avant de diligenter une procédure de licenciement, et vérifier l’ensemble des
dispositions applicables.
En plus de ces dispositions restreignant le droit de licenciement de l’employeur,
certaines conventions collectives lui imposent de suivre des formalités parti­
culières en cas de licenciement.
Le plus souvent, c’est en matière de licenciement pour faute que l’employeur
est confronté à de telles clauses limitatives (cf. § 5.2).
5
Cass. soc. du 29 septembre 2009, n° 07-43431.
5
3465383_Le licenciement.indd 5
07/09/2012 15:48:54
Le licenciement
Enfin, le contrat de travail, lui-même, peut interdire à l’employeur de licencier
le salarié en dehors de motifs déterminés ou avant l’expiration d’un délai
particulier. Tel est notamment le cas de certains contrats de travail de cadres
dirigeants.
•• Exemple :
Le contrat de travail de la directrice d’un centre culturel prévoyait qu’elle ne pouvait
être « licenciée que pour faute grave, après trois avertissements signifiés par
lettre recommandée et par le Président du conseil d’administration ». Pour la Cour
de cassation, la clause contractuelle qui limite le droit de l’employeur de rompre
le contrat à durée indéterminée est licite, dès lors qu’elle ne rend pas impossible
la rupture du contrat. En l’espèce, l’obligation faite ainsi à l’employeur, avant tout
licenciement pour faute grave, d’avoir au préalable déjà sanctionné à trois reprises,
par des avertissements, les comportements fautifs de la salariée a été validée par la
Cour de cassation6.
Par conséquent, l’employeur doit toujours veiller à s’assurer que son pouvoir
de licencier le salarié ne se heurte pas à des restrictions particulières.
Il est vivement conseillé de ne pas diligenter la procédure de licenciement
avant d’avoir identifié et analysé l’ensemble des règles régissant le contrat
de travail : loi, convention collective, accords collectifs, règlement intérieur,
contrat de travail, jurisprudence, usage…
Enfin, la possibilité de licencier le salarié se trouve réduite quand celui-ci
bénéficie d’un régime de protection particulier.
Tel est le cas lorsque le contrat de travail est suspendu à la suite d’un
accident du travail ou d’une maladie professionnelle (article L. 1226-9 du
Code du travail) ou en raison d’un congé de maternité (article L. 1225-54 du
Code du travail).
ŠŠ
Pour en savoir plus...
Concernant le congé de maternité, rappelons que l’employeur ne peut pas rompre le
contrat de travail de la salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement
constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail
auxquelles elle a droit, qu’elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre
semaines suivant l’expiration de ces périodes (article L. 1225-4 du Code du travail).
6
Cass. soc. du 10 juillet 2002, n° 00-41496.
6
3465383_Le licenciement.indd 6
07/09/2012 15:48:54
2
Licenciements
pour motif personnel
Les licenciements pour motif personnel sont ceux qui sont liés à la personne
du salarié, c’est-à-dire à son travail, son comportement, ses résultats ou,
encore, son aptitude au poste. Il est possible d’identifier six motifs distincts,
ayant chacun leur spécificité.
2.1 Licenciement pour faute
La notion de comportement fautif n’est pas définie par le Code du travail, et
la jurisprudence a progressivement affiné cette notion.
Il est possible d’affirmer que le comportement fautif est celui qui résulte d’un
fait établi et imputable au salarié, constituant une violation des obligations
découlant du contrat de travail ou des relations de travail.
La faute commise par le salarié correspond à l’une de ces trois qualifications,
en fonction de sa gravité : faute simple, faute grave, faute lourde.
 La faute simple
La faute simple est celle qui est suffisamment sérieuse pour justifier le
licenciement du salarié.
3465383_Le licenciement.indd 7
07/09/2012 15:48:54
Le licenciement
•• Exemples de fautes simples :
>> Le fait, pour la responsable du rayon épicerie d’un supermarché, d’accepter trois
galettes des rois d’un fournisseur, contrevenant ainsi aux dispositions du règle­ment
intérieur interdisant de solliciter des cadeaux des fournisseurs et des clients7.
>> Le fait, pour un salarié cadre, d’effectuer un travail personnel pour le compte d’un
ami pendant l’horaire normal de travail, en période d’extrême surcharge et au
détriment des dossiers appartenant aux commerciaux8.
>> Le fait, pour un chauffeur routier, de se faire accompagner dans son travail par
son épouse, au mépris de la réglementation professionnelle9.
En cas de licenciement pour faute simple, le salarié doit percevoir son
indemnité de licenciement et doit bénéficier de son préavis de licenciement
(cf. § 10.2 et 10.3).
 La faute grave
La faute grave est, selon la formule de la Cour de cassation, « celle qui rend
impossible le maintien du salarié dans l’entreprise10 ».
Cette faute résulte donc d’un fait (ou d’un ensemble de faits) imputable au
salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat
de travail d’une importance telle, qu’elle rend impossible le maintien de
l’intéressé dans l’entreprise.
•• Exemples de fautes graves :
>> Le non-respect réitéré des consignes de l’employeur en matière d’horaires de travail11.
>> Le fait, pour une d’aide médico-pédagogique, de jeter volontairement de l’eau sur
une résidente handicapée particulièrement vulnérable12.
>> Le fait de tenir des propos très critiques à l’encontre de l’employeur en présence
d’une cliente13.
>> L’abandon de poste14.
>> La tenue de propos injurieux et menaçants à l’égard d’un client de l’entreprise15.
7
8
9
10
11
12
13
14
15
CA de Nancy du 13 mars 2007, n° 04-3271.
Cass. soc. du 4 juin 1997, n° 94-43568.
CA de Rouen du 8 février 2000, n° 97-1301.
Cass. Soc. du 27 septembre 2007, n° 06-43867.
Cass. Soc. du 15 novembre 2005, n° 03-45005.
Cass. Soc. du 30 juin 2010, n° 09-65255.
Cass. Soc. du 9 avril 2008, n° 06-46171.
Cass. Soc. du 18 novembre 2009, n° 08-43327.
Cass. Soc. du 13 juillet 2010, n° 09-42127.
8
3465383_Le licenciement.indd 8
07/09/2012 15:48:54
Licenciements pour motif personnel
La faute grave est privative du préavis de licenciement (cf. § 10.2)16.
Par ailleurs, elle ne donne pas droit, au profit du salarié, à l’indemnité de
licenciement (cf. § 10.3)17.
Cependant, certaines conventions collectives prévoient que le licenciement
pour faute grave n’est pas privatif d’indemnité de licenciement et/ou de préavis.
En ce cas, ces dispositions conventionnelles doivent naturellement être
respectées par l’employeur.
 La faute lourde
La faute lourde est celle qui est commise par le salarié avec l’intention de
nuire à l’employeur.
Cette faute ne se caractérise donc pas, tant par sa gravité, que par son
caractère intentionnel.
YY Attention !
Pour que le bien-fondé du licenciement pour faute lourde soit reconnu par le Conseil
de prud’hommes, l’employeur doit faire ressortir, dans la lettre de licenciement,
que le salarié a commis la faute qui lui est reprochée dans l’intention de nuire à
l’entreprise. Ainsi, le détournement d’argent, par un chef comptable, ne constitue pas
une faute lourde, mais une volonté de s’enrichir18.
•• Exemples de fautes lourdes :
>> L’abstention volontaire, de la part d’un directeur financier, de payer les salaires
et les fournisseurs et d’établir les déclarations sociales, faisant courir un risque
important d’atteinte au patrimoine de l’entreprise19.
>> Le fait, pour un responsable d’exploitation, de commander la livraison d’une
importante quantité de fuel, aux fins de se livrer volontairement à une malversation
relevant d’une intention délibérée de nuire aux intérêts de la société qu’il était
chargé de diriger20.
>> Le fait, pour la directrice d’une entreprise, de créer une entreprise concurrente et
d’affirmer faussement que son employeur présente des difficultés économiques,
pour tenter de l’affaiblir sur le marché21.
16
17
18
19
20
21
Article L. 1234-5 du Code du travail.
Article L. 1234-1 du Code du travail.
Cass. soc. du 18 novembre 2003, n° 01-44102.
CA de Pau du 30 novembre 2009, n° 08-499.
Cass. soc. du 15 novembre 2011, n° 10-22789.
Cass. soc. du 31 mai 2011, n° 09-72795.
9
3465383_Le licenciement.indd 9
07/09/2012 15:48:54
Le licenciement
La faute lourde est privative d’indemnité de licenciement et de préavis, mais
aussi de l’indemnité compensatrice de congés payés22.
Tous les licenciements pour faute obéissent à des règles particulières,
liées notamment à la mise à pied, à titre conservatoire, du salarié ou à la
prescription des faits fautifs.
Ces règles sont développées dans le présent ouvrage (cf. § 5.2).
2.2 Licenciement pour incompatibilité
d’humeur
L’incompatibilité d’humeur (ou la mésentente) est un motif de licenciement à
utiliser avec précaution.
En effet, la Cour de cassation considère que « l’incompatibilité d’humeur ne
constitue pas à elle seule une cause de licenciement23 ».
La lettre de licenciement qui ne ferait donc état que d’une incompatibilité
d’humeur ou d’une mésentente priverait le licenciement de cause réelle et
sérieuse.
Comme la Cour de cassation le rappelle régulièrement, la mésentente entre
un salarié et tout ou partie du personnel ne peut constituer une cause de
licenciement que si elle repose objectivement sur des faits imputables au
salarié concerné24.
En d’autres termes, l’employeur doit établir que l’incompatibilité d’humeur
est due au comportement ou à l’attitude du salarié.
•• Exemples :
>> Le fait, pour une salariée occupant le poste de chauffeur brancardier, d’agresser
verbalement un collègue, de multiplier les sautes d’humeur, de ne pas dire bonjour
à ses collègues..., créant un climat de mésentente tel, que personne ne veut plus
faire équipe avec elle25.
>> La mésentente persistante d’un chef de service avec son équipe, se traduisant
par une démotivation totale des membres de cette équipe, et les déstabilisant à
un point tel, qu’ils indiquent vouloir donner leur démission si ce chef de service
conserve ses fonctions26.
22
23
24
25
26
Article L. 3141-26 du Code du travail.
Cass. soc. du 11 mai 2005, n° 03-43007.
Cass. soc. du 27 novembre 2001, n° 99-45163.
Cass. soc. du 6 avril 2011, n° 09-72161.
Cass. soc. du 22 septembre 2010, n° 09-40415.
10
3465383_Le licenciement.indd 10
07/09/2012 15:48:55