Le problème métaphysique de la personnalité

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Le problème métaphysique de la personnalité
Memoirs of Osaka Kyoiku University. Ser.Ⅰ, Vol.59, No.1, pp.13-26(September, 2010)
Le problème métaphysique de la personnalité
— Plotin, Bergson et Lin-tsi —
TAKI Ichiro
(Reçu le 26 mars 2010)
Chaire des arts
La « personnalité » est une des notions les plus importantes dans la morale. Nous recherchons
ici cette notion éthique en comparant des théories métaphysiques de l’un et du multiple chez
trois penseurs : Plotin, Bergson et Lin-tsi. Ils caractérisent, en effet, les trois traditions
culturelles grecque, chrétienne et bouddhiste. Plotin, représentant de la conception européenne
de la personnalité, distingue « deux moi différents » ; le moi inférieur doit rentrer en le moi
supérieur, en l’Un par la « conversion ». Par contre chez Bergson, innovateur de la théologie
chrétienne, chaque personne doit faire une « création-invention » qui est une « procession » qua
« conversion ». Enfin dans le cas de Lin-tsi, pour « l’homme vrai sans situation », c’est-à-dire l’un
absolu du bouddhisme Zen qui n’est qu’une réalité concrète, il s’agit aussi d’une contemplation
qua création. La relation inséparable mais distinguable de l’un absolu au multiple relatif est
irréversible dans l’hellénisme et l’hébraïsme, alors qu’elle est réversible en Orient sous forme de
réflexion entre le moi et le principe ainsi qu’entre le moi et d’autres choses.
Key Words: personality, Plotinus, Bergson, Linji
Introduction : La relation entre l’un et le multiple
Le problème de la personnalité peut être abordé sous plusieurs angles. Nous allons le
traiter ici en établissant un entretien métaphysique à trois : Plotin (205-270), Bergson
(1859-1941) et Lin-tsi (?-866,867), qui représentent ou du moins caractérisent les trois
traditions culturelles grecque, chrétienne et bouddhiste1). Nous allons d’abord traiter de
la théorie de la personne chez Plotin au travers de la critique de Bergson, qui y démêle
la théorie occidentale des « deux moi différents ». Ensuite nous trouverons la théorie
bergsonienne de « la personnalité créatrice » comme innovatrice de la théologie
chrétienne. Ensuite nous examinerons la théorie chinoise2) de la personne, « l’homme
vrai sans situation » chez Lin-tsi en consultant l’interprétation japonaise de Suzuki
Daisetz (1870-1966). Et enfin nous comparerons les trois théories typiques de la relation
entre l’un et le multiple afin de chercher la manière de parler de l’un comme arkhê,
principium au delà de l’ontologie3) qui est le fondement de la philosophie européenne,
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c’est-à-dire de la philosophie après le Moyen Âge de l’Occident.
Ⅰ. Plotin : « Deux moi différents »
Dans les onze conférences sur « la personnalité » aux Gifford Lectures d’Edinburgh (21
avril – 22 mai 1914), Bergson apprécie et en même temps critique la conception
plotinienne de la personnalité. Bergson commence ces conférences en disant qu’ « on
peut considérer le problème de la personnalité comme le problème central de la
philosophie. » (Mél 1071) Ce problème consiste, en effet, à savoir « ce que nous sommes »
(Ibid .) et « quelle est notre tâche dans le monde, d’où nous venons et où nous allons »
(Ibid .) et l’on constate que « tous les problèmes philosophiques convergent vers ce
problème suprême. » (Ibid .) Or, selon Bergson, jusqu’à maintenant il n’y a eu qu’une
philosophie systématique de la personnalité. Celui qui a donné à cette métaphysique sa
forme achevée fut Plotin, qui « résume en lui la totalité de la philosophie grecque » (1073).
Du reste « [la doctrine de Plotin] est d’abord une [théorie] de la personnalité » (Ibid .), car
le problème de l’âme humaine y occupe la position centrale. Or, comment a-t-il posé le
problème et quelle était sa solution ?
« Le problème qui se présentait à Plotin, et qui est resté le problème de la
philosophie traditionnelle, était donc celui-ci : comment notre personne peut-elle être
d’une part une ou simple, et d’autre part multiple ? Et Plotin a indiqué
immédiatement la solution qui est inévitable, si l’on pose le problème en ces termes.
Il a supposé que chacun de nous était multiple « dans notre nature inférieure » et
un « dans notre nature supérieure ». En d’autre termes, il considérait la personne
comme un être essentiellement un et indivisible, qui, par une sorte de descente ou
d’écart au-delà de lui-même, tombe dans la multiplicité indéfinie. » (Mél 1074)4)
Le problème de la personnalité est ainsi posé en fonction de l’un et du multiple. Selon
l’interprétation bergsonienne de Plotin, chacun de nous a deux existences différentes ;
l’un est un « dans notre nature supérieure », c’est-à-dire de jure hors du Temps, alors
que l’autre est multiple « dans notre nature inférieure », c’est-à-dire de facto dans le
Temps. Le second mode d’existence dans le monde sensible est, pour ainsi dire, une
diminution ou une dégradation du premier dans le monde intelligible. Il y a donc, nous
semble-t-il, une irréversibilité entre l’un et le multiple. Ceci dit, il ne suffit pas de dire que
l’Essence intelligible est une. Bergson explique « la théorie des trois hypostases – Dieu,
les Intelligibles, les Esprits unis à des corps » (1075) : « il y a ici autant d’unités distinctes
qu’il y a de personnes différentes et même d’êtres différents. Ces unités constituent une
multiplicité hors du [T]emps. Eh bien, si l’on fait de l’unité l’élément originel, on ne peut
s’arrêter à cette « multiplicité qui est Une5) » ; il faudra remonter jusqu’à une Unité qui
est unité seulement. » (Ibid .) Bref, sorti de l’Un (to hen ) par la procession (proodos ), nous
pouvons ou devons y rentrer par la conversion (epistropê ).6)
Or, quel est le processus par lequel l’Un engendre la multiplicité ? Dans les « Cours
sur Plotin » (v.1898-1899 à l’École normale supérieure), Bergson disait : « la causalité peut
prendre deux formes selon qu’il s’agit d’une génération dans le temps ou d’une causalité
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logique et intemporelle ; […] Or la causalité dont il s’agit dans Plotin n’est ni l’une ni
l’autre : la cause est hors du temps et l’effet est dans le temps. » (CIV 50) Dans
L’Évolution créatrice (1907), Bergson parlait des deux conceptions de la causalité divine.
« Tantôt, en effet, on nous parle d’une attraction , tantôt d’une impulsion exercée par
le premier moteur sur l’ensemble du monde. Les deux vues se trouvent chez
Aristote, qui nous montre dans le mouvement de l’univers une aspiration des choses
à la perfection divine et par conséquent une ascension vers Dieu, tandis qu’il le
décrit ailleurs comme l’effet d’un contact de Dieu avec la première sphère et comme
descendant, par conséquent, de Dieu aux choses. Les Alexandrins n’ont d’ailleurs
fait, croyons-nous, que suivre cette double indication quand ils ont parlé de
procession et de conversion : tout dérive du premier principe et tout aspire à y
rentrer. » (EC 322, Œ 768)
La relation causale entre Dieu (l’Un) et le monde (le multiple) apparaît donc comme une
« attraction » si l’on regarde d’en bas (l’homme), une « impulsion » si l’on regarde d’en
haut (Dieu). Par conséquent, on aperçoit Dieu soit comme « cause finale » dans le sens
d’anatentio , soit comme « cause efficiente » dans le sens de hypotentio . Mais, les deux
conceptions de la causalité divine doivent s’identifier ensemble en les ramenant à une
troisième, « qui transparaît de plus en plus sous les raisonnements des philosophes grecs
à mesure qu’on va de Platon à Plotin » (323, 768) Bergson la formule ainsi :
« La position d’une réalité implique la position simultanée de tous les degrés de
réalité intermédiaires entre elle et le pur néant . » (EC 323, Œ 768)
Bergson comparera cette troisième causalité au « rapport de la pièce d’or à sa monnaie,
pourvu qu’on suppose la monnaie s’offrant automatiquement dès que la pièce d’or est
présentée » (324, 770) « Si le mouvement existe, ou, en d’autres termes, si la monnaie se
compte, c’est que la pièce d’or est quelque part. Et si la sommation se poursuit sans fin,
n’ayant jamais commencé, c’est que le terme unique qui lui équivaut éminemment est
éternel. Une perpétuité de mobilité n’est possible que si elle est adossée à une éternité
d’immutabilité, qu’elle déroule en une chaîne sans commencement ni fin. » (325, 770)
Selon Bergson, tel est « le dernier mot de la philosophie grecque » (Ibid .). C’est « la
métaphysique naturelle de l’intelligence humaine » (Ibid .) à laquelle on aboutit, dès qu’on
suit jusqu’au bout « la tendance cinématographique de la perception et de la pensée »
(Ibid .).
Ⅱ. Bergson : « la personnalité créatrice »
Revenons aux conférences de Bergson sur « la personnalité ». Bergson regarde Plotin
comme représentant de la théorie traditionnelle de la personnalité, et veut renverser son
point de vue au lieu de l’accepter. Il essaie d’améliorer et non pas de répéter ce que
Plotin a fait, car sa philosophie montre clairement et formule explicitement
« l’idée qui est contenue implicitement dans la majorité des systèmes métaphysiques
postérieurs – l’idée que l’action est moins que la contemplation, que le mouvement
est moins que l’immobilité, que la durée est divisée indéfiniment, et que, pour
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trouver la substantialité, il nous faut nous placer hors du Temps. » (Mél 1076)7)
L’histoire des théories de la personnalité, dont le représentant est Plotin, nous enseigne
que « l’unité de notre personne (qui nous apparaît comme l’élément essentiel de notre
personnalité) nous échappe au moment où nous pensons la saisir. Tant que nous ne
faisons aucun effort pour la percevoir, nous sentons qu’elle est là, mais dès que notre
conscience pense qu’elle la contemple, elle n’a devant elle qu’une infinité d’états
psychiques séparés – une multiplicité. Il semble donc que l’unité de la personne existe
tant qu’elle n’est pas perçue. » (1077-78)8) Pour saisir « l’être véritable [the true self], la
pièce d’or, dont l’autre n’est que la menue monnaie » (1060, 1078), nous devons
reconstituer ou renouveler notre être en recourant à un examen plus approfondi de
l’expérience intérieure. Pour interroger la réalité directement, il nous faut serrer de très
près la conscience que nous avons de notre propre personnalité. Alors, qu’est ce que la
personnalité pour Bergson ?
« Ce que nous appelons notre personnalité est une certaine continuité de
changement ; mais cette continuité de changement est indivisible ; elle est tout d’une
pièce, d’un bout à l’autre de la totalité de l’existence de la conscience ; et cette
indivisibilité constitue sa substantialité. » (Mél 1079)9)
On ne peut classer la personnalité sous aucune catégorie connue. Selon Bergson, une
idée philosophique telle que la personnalité n’est pas nécessairement claire, mais elle est
capable de devenir claire sous les idées de « changement substantiel » (1081) et de
« durée indivisible » (Ibid .). Dans l’usage de termes apparemment contradictoires nous
trouvons l’intention de Bergson de renouveler la conception traditionnelle de substance.
Bref, « ce qui caractérise la personne est […] la continuité du mouvement de sa vie
intérieure » (1085) Cette continuité de changement cause l’unité, la substantialité de la
personne, alors que la multiplicité des états psychologiques distincts et juxtaposés
existent seulement quand notre attention crée une telle distinction en se fixant sur le
courant indivisé de la vie intérieure.
En termes de changement, les deux aspects essentiels de la personnalité humaine sont
démêlé : d’abord « la Mémoire, qui embrasse toute l’étendue du passé inconscient de
manière à en rendre consciente toute partie qui en peut être utilisée » (1082) ; et
deuxièmement « La Volonté qui tend continuellement vers le futur » (Ibid .) Nous
sommes, en effet, appuyés sur notre passé immédiat et penchés sur notre avenir
imminent. Si c’est « ce que nous sommes » (1071), alors « quelle est notre tâche dans le
monde » (Ibid .) ?
« La personne humaine est un être capable de tirer de soi-même plus qu’il n’y a
effectivement (actually ) en lui, chose à peine intelligible dans le monde matériel, mais
qui existe dans le monde moral. Par un léger effort de volonté, nous pouvons tirer
beaucoup de cette manière ; par un grand effort de volonté nous pouvons tirer
indéfiniment. Il est au pouvoir de la personne de s’étendre, de s’augmenter, et même
en partie de se créer. » (Mél 1081)10)
Si « le rôle de chaque personne est de créer » (1086), qu’est ce que Bergson entend par
la notion de « création » ? En effet, c’est Dieu seul qui est capable de créer dans la
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théologie chrétienne. D’après H. Gouhier, qui situe le bergsonisme dans l’histoire de la
pensée occidentale, surtout entre deux traditions radicalement différentes : la tradition
hellénique et celle judéo-chrétienne, la création dont parle Bergson n’est pas « la création
ex nihilo dans la conscience religieuse d’origine judéo-chrétienne » (Gouhier 1989: 124), ni
« la création vidée de sa réalité dans les philosophies d’origine gréco-latine » (Ibid .), mais
« la création-invention dans la philosophie nouvelle où sa réalité est enfin reconnue »
(Ibid .). Or, cette création-invention de l’homme, si elle est possible, quelle expérience estelle et quelle logique a-t-elle ? Il s’agit de demander « d’où nous venons et où nous
allons » (Mél 1071).
Dans sa conférence à Bologne « L’intuition philosophique » (le 10 avril 1911), Bergson
réinterprète deux mouvements plotiniens ‘procession et conversion’ comme un double
mouvement bergsonien ‘procession qua conversion’ au travers de la réflexion sur
l’intuition chez Spinoza. En expliquant la structure de l’intuition spinoziste qu’il adore,
Bergson résume sa quintessence :
« […] le sentiment d’une coïncidence entre l’acte par lequel notre esprit connaît
parfaitement la vérité et l’opération par laquelle Dieu l’engendre, l’idée que la
« conversion » des Alexandrins, quand elle devient complète, ne fait qu’un avec leur
« procession », et que lorsque l’homme, sorti de la divinité, arrive à rentrer en elle, il
n’aperçoit plus qu’un mouvement unique là où il avait vu d’abord les deux
mouvements inverses d’aller et de retour, – l’expérience morale se chargeant ici de
résoudre une contradiction logique et de faire, par une brusque suppression du
Temps, que le retour soit un aller » (PM 124, Œ 1351)
D’autre part, I. Benrubi a noté son entretien avec Bergson (le 25 novembre 1911)
ajoutant deux schémas qui nous permettent de comprendre comment « les deux
mouvements inverses d’aller et de retour » peuvent être « un mouvement unique » sans
tomber dans « une contradiction logique ».
« En effet, selon l’auteur des Ennéades , les choses, après être sorties de Dieu par la
« procession », peuvent rentrer en Dieu par un mouvement en sens inverse, par la
« conversion ». Socrate (D, voir graphique 1), après être sorti de Dieu, peut se
tourner vers Dieu en détournant son regard de la matière. Par là, il rentre dans son
essence et peut devenir coéternel (ce terme est de Spinoza) à Dieu (en B). Socrate
peut continuer la marche et coïncider avec l’être d’où il émane (S) par l’extase . Selon
Spinoza, au contraire, pour connaître parfaitement, il n’est guère nécessaire de faire
une « conversion », il s’agit plutôt de parcourir le même chemin de la « procession »,
non pas pour refaire la création, mais pour créer, en d’autres termes, il s’agit de
faire un avec l’acte par lequel l’esprit arrive à coïncider avec l’opération divine qui
l’engendre lui-même. Le processus de « conversion » chez Spinoza, c’est donc la
« procession » elle-même [Fig. 2]. Voilà, selon Bergson, la grande différence entre
Plotin et Spinoza. Nous avons donc affaire chez Spinoza à un dédoublement du
schème plotinien sous l’influence du cartésianisme. » (Benrubi 1942: 53-55)
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Fig. 1.
Fig. 2.
Il s’agit du retour à notre principe, l’Un qui « n’est ni en mouvement ni en repos ; [qui]
n’est pas dans le lieu ni dans le temp11) ». Bergson veut dire ici que l’anabasis au principe
(aller) n’est pas autre chose que le katabasis au monde sensible. La montée n’est pas
contradictoire à la descente, parce qu’il s’agit d’un problème qui n’a rien de spatial ni de
temporel, qu’il n’est pas question de physique mais métaphysique et morale, ce qui est
bien compris quand on pense qu’« Altus […] signifie en latin tout à la fois haut et profond »
(Chevalier 1959:80). Dans le cas de Plotin, la personnalité humaine doit faire une
« conversion » après sa « procession », alors que chez Bergson, elle doit faire une
« création-invention » qui n’est qu’une « procession » qua « conversion ». Nous trouvons
dans la phrase célèbre de Bergson : « il faut agir en homme de pensée et penser en
homme d’action. » (Mél 1537) la meilleure paraphrase de « procession » qua
« conversion ». Bergson ferme sa conférence, « le problème de la personnalité » en
disant :
« Chacune de ces personnalités [humaines] est une force créatrice ; et selon toute
apparence le rôle de chaque personne est de créer, exactement comme si le grand
Artiste avait produit d’autres artistes comme ouvrages. L’évolution de l’espèce dans
chaque monde séparé, et aussi peut-être l’évolution de ces mondes eux-mêmes,
représenterait en ce cas le mécanisme nécessaire de cette production. » (Mél 1086)
L’analogie entre la Création de Dieu, la création de l’artiste et la création de soi par soi
de tout le monde est significative. La dernière phrase des Deux sources est, en effet, « la
fonction essentielle de l’univers, qui est une machine à faire des dieux » (MR 338, Œ
1245)12)
Ⅲ. Lin-tsi : « l’homme vrai sans situation »
Lin-tsi Yi-xuan (j. Rinzai Gigen) fut une des grandes figures de l’école bouddhique dite
du Tch’an (en sanscrit Dhyâna, en sino-japonais Zen) sous la forme très particulière que
cette école avait prise vers la fin des T’ang (618-907). Cette école devait mettre en
pratique l’usage des Kuoug-an (j. Kôan), courtes phrases ou brèves anecdotes absurdes
ou paradoxales, et fleurit encore aujourd’hui au Japon où l’on compte beaucoup de
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monastères. Ses Entretiens (Lin-tsi yu-lou, ou plus brièvement Lin-tsi lou « Recueil des
logia de Lin-tsi) sont regardés par beaucoup de monde comme les traités de Zen les plus
forts que nous possédions. En 1949, Suzuki a publié en japonais La pensée de base de
Lin-tsi : Étude de « personne » dans Lin-tsi lou. Dans cette étude, un des plus importants
écrits de Suzuki, il présente son approche originale et pénétrante au Lin-tsi lou , où l’idée
de personne (j. nin, ch. jên) est élucidée comme clef de toute l’œuvre et comme essence
du bouddhisme Zen.
Nous commençons par lire le logion le plus célèbre de Lin-tsi, la quintessence de sa
pensée.
« Montant en salle, il dit : « Sur votre conglomérat de chair rouge, il y a un homme
vrai sans situation , qui sans cesse sort et entre par les portes de votre visage.
Voyons un peu, ceux qui n’ont pas encore témoigné ! » Alors un moine sortit de
l’assemblée et demanda comment était l’homme vrai sans situation . Le maître
descendit de sa banquette de Dhyâna et, empoignant le moine qu’il tint immobile, lui
dit : « Dis-le toi-même ! Dis ! » Le moine hésita. Le maître le lâcha et dit : « L’homme
vrai sans situation , c’est je ne sais quel bâtonnet à se sécher le bran. » Et il retourna
à sa cellule. » (EL 31)
C’est une déclaration par Lin-tsi de « personne » comme soi le plus concret et vivant.
D’après P. Demiéville, le terme d’« homme vrai » dérive directement des philosophes
taoïstes de l’antiquité, encore qu’il ait été employé pour désigner le Bouddha ou l’Arhat
(le saint délivré). Un homme « sans situation » était un homme hors cadre, privé de
statut, une entité indéterminée. « [L]’« homme vrai » est la réalité unique d’où émane
notre vie empirique. » (EL 32) C’est vrai que cet « homme vrai » n’est pas le soi
psychologique ni éthique, mais le soi métaphysique. Mais, comme Suzuki appelle
l’attention, « la théorie de « homme » n’est pas panthéisme. » (RK 385). « L’un absolu ne
s’exprime pas, mais contemple. Et cette contemplation est création. […] La création de
toute la nature est en effet cette contemplation. On ne doit pas dire que du dernier
émane le premier. Une telle pensée n’est pas Zen. Il faut dire de la contemplation qua la
création. » (539-540) Cette conception de l’Un est proche de l’amélioration bergsonienne
de la théorie de Plotin. Nous sommes encore plus étonnés de trouver une telle phrase de
Lin-tsi sur l’« homme vrai » : « ‘Plus on le recherche, et plus on en est loin.’ Ne le
cherchez pas, il est devant les yeux ! » (EL 134, cf. §14b) C’est presque la même
explication de Bergson sur « l’unité de notre personne ». L’« homme » de Lin-tsi n’est
pas la conscience en général ni l’homme abstrait, mais l’homme vivant, une réalité
concrète. Ce n’est pas l’objet de la conscience dichotomisante (intelligence, vijnâna ), mais
celui de la conscience non dichotomisante (spiritualité, prajnâ ).
Passons maintenant au deuxième logion .
« Comme le maître s’était rendu un jour au gouvernement du Fleuve, le gouverneur
Wang, conseiller ordinaire, l’invita à monter en chaire. Alors Ma-yu sortit de
l’assemblée et posa la question suivante : « Du Grand Compatissant aux mille mains
et aux mille yeux, lequel des yeux est le vrai ? » Le maître dit : « Du Grand
Compatissant aux mille mains et aux mille yeux, lequel des yeux est le vrai ? Dis
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vite, dis vite ! » Ma-yu tira le maître à bas de la chaire et y prit place lui-même. Le
maître s’avança et lui dit : « Bonjour ! Comment ça va ? » Ma-yu hésita. Le maître le
tira à son tour à bas de la chaire sur laquelle il reprit place. Alors Ma-yu sortit de la
salle ; et le maître descendit de la chaire. » (EL 29-30)
La question posée ici implique celle de la relation entre l’un et le multiple. L’image du
Grand Compatissant, c’est-à-dire la figure de Kouan-yin (Avalokiteçvara ) aux mille mains
et aux mille yeux (s. Sahasrabhuja-sahasranetra ), bien connue dans l’iconographie
tantrique, nous semble une image anthropomorphique de l’emanatio métaphysique en
Orient. Cette image représente, en effet, la correspondance possible entre l’un (le Grand
Compatissant) et le multiple (tout le monde) par l’intermédiaire (les mille mains et les
mille yeux comme des rayons émis par la lumièr13)). Quoi qu’il en soit, la question que
Ma-yu posa à Lin-tsi est une fausse question, car l’un et le multiple se confondent, ce qui
est illustré le mieux par une image comme un rêve de Houa-yen, un filet d’Indra :
“Far away in the heavenly abode of the great god Indra, there is a wonderful net
which has been hung by some cunning artificer in such a manner that it stretches
out infinitely in all directions. In accordance with the extravagant tastes of deities,
the artificer has hung a single glittering jewel in each “eye” of the net, and since the
net itself is infinite in dimension, the jewels are infinite in number. There hang the
jewels, glittering like stars of the first magnitude, a wonderful sight to behold. If we
now arbitrarily select one of these jewels for inspection and look closely at it, we
will discover that in its polished surface there are reflected all the other jewels in
the net, infinite in number. Not only that, but each of the jewels reflected in this one
jewel is also reflecting all the other jewels, so that there is an infinite reflecting
process occurring14)”.
Une perle reflète toutes les perles, et toutes les perles reflètent cette perle. Le tout est
dans l’un, et l’un est dans le tout. Voilà l’image houa-yenienne de l’un qua le tout, le tout
qua l’un. Ainsi l’influence de l’école Houa-yen (Avatam
saka ) est sensible dans la pensée
・
de Lin-tsi.
Dans le dernier logion , la « question est insidieusement posée par Ma-yu, mais Lin-tsi
ne tombe pas dans le piège et se borne à la lui poser à son tour. Pour toute réponse, Mayu prend alors la place de Lin-tsi : il sont deux, et entre l’un et le deux il y a identité
(samatâ ) ; le maître (l’« hôte ») et le disciple (le « visiteur ») sont donc à égalité (autre
sense de samatâ ) : ils sont interchangeables. » (EL 31) Il nous semble que Ma-yu et Lintsi se reflètent comme deux perles, où l’on ne peut dire lequel est le maître. Il faut
réfléchir cette réflexion, car la réflexion, contenant deux sens inverses en elle-même,
nous permet de sortir de la conscience dichotomisante pour comprendre que « le vrai
Bouddha est sans figure, la vraie Loi est sans marques » (109). C’est pourquoi Lin-tsi dit :
« quand les choses viennent à vous, mirez-les.15)» (89), « retournez votre vision vers vousmêmes » (65) ou « retournez votre lumière » (149).
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Conclusion : « seul à seul »
La dernière phrase des Ennéades de Plotin est la suivante :
« Telle est la vie des dieux et des hommes divins et bienheureux ; s’affranchir des
choses d’ici-bas, s’y déplaire, fuir seul vers lui seul. » (Plotin VI-9-11, EN 188)16)
Or, dans Les Deux sources , Bergson explique la dernière phase où le grand mystique
chrétien arrive à l’union totale avec Dieu :
« Comment ne serait-il pas humble, alors qu’il a pu constater dans des entretiens
silencieux, seul à seul, avec une émotion où son âme se sentait fondre tout entière,
[…] » (MR 246, Œ 1173)
La marginalia des manuscrits 17) de la traduction anglaise des Deux sources nous
enseigne que Bergson utilise des mots de Plotin « phugê monou pros monon » (En. VI9,
11,50-51) sans guillemet. En effet, Bergson, corrigeant la traduction, note dans la marge
en haut :
« Il faudrait tâcher de maintenir la contradiction voulue du texte français « entretien
silencieux ». « Silent dialogue » serait-il possible ? Dans cette phrase, faite pour
suggérer le mystère de l’extase, le nom de Dieu ne doit pas être prononé. On
pourrait dire, à la rigueur « alone with Him alone », mais cela ne vaudrait pas le
« alone to alone » célèbre de Plotin. » (BGN 868, 301)
Il développe un peu dans la marge en bas :
« Dans la dernière phrase du paragraphe, l’expression « seul à seul » traduit
littéralement une expression grecque de Plotin dans une description célèbre de
l’extase. Ce sont les derniers mots du dernier livre de la dernière Ennéade de Plotin.
Je n’aime pas beaucoup « alone with God alone ». Je préfèrerais : « alone with Him
alone ». Mais le texte de Plotin, beaucoup plus vrai, dit « alone to alone », mais c’est
probablement impossible en anglais. » (BGN 868, 301)
Comme nous avons déjà vu, chez Plotin, il s’agit de faire une « conversion » après la
« procession », alors que dans le cas de Bergson la personne doit faire une « procession »
qua « conversion ». Mais, c’est ici « seul à seul », c’est-à-dire la personnalité (persona =
hypostasis ) humaine à la personnalité divine que la tradition hellénique et celle judéochrétienne se croisent.
Quant à Lin-tsi, Suzuki cite curieusement cette même phrase de Plotin en traduisant
lui-même la traduction anglaise de S. MacKenna :
“This is the life of gods and of the godlike and blessed among men, liberation from
the alien that besets us here, a life taking no pleasure in the things of earth, the
passing of solitary to solitary.” (trad. par S. MacKenna, p.625)
Suzuki essaie d’expliquer ce texte de quatre manières. En effet, « solitary » peut signifier,
soit l’un individu, soit l’Un absolu, donc il peut y avoir quatre cas :
a. « de l’un individu à l’Un absolu » qui correspond à « du multiple à l’un »
b. « de l’Un absolu à l’un individu » qui correspond à « du l’un au multiple »
c. « de l’Un absolu à l’Un absolu » qui signifie « contemplation qua création »
d. « de l’un individu à l’un individu » qui est le monde du « filet d’Indra »
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Dans ces quatre sortes de relation entre l’un et le multiple, c’est-à-dire relation de
l’absolu au soi, on peut regarder le cas de (a) comme « conversion » après « procession »,
(b) comme « procession » après « conversion », (c) comme « création » en tant qu’une
« conversion » qua « procession » et (d) comme réflexion qui se trouve dans la scène
houa-yenienne, shih-shih wu-ai (non-obstruction des phénomènes particuliers et des
phénomènes particuliers). Une telle interprétation de Suzuki veut lire dans le texte de
Plotin des archétypes de la pensée de Lin-tsi ainsi que de Bergson.
Il doit y avoir des idées communes entre l’Occident et l’Orient sur la relation religieuse
de Dieu aux hommes, de Buddha au sattva , ou la relation philosophique de l’absolu au
relatif. Cependant, il est vrai que chaque pensée est si caractéristique qu’on peut les
classer en types. Pour conclure cet article, nous terminerons donc par schématiser les
pensées de Plotin, de Bergson et de Lin-tsi. Le tableau suivant, quoi qu’il faudra le
démontrer ou le modifier, donnerait une perspective, qui nous permettra de réfléchir à la
façon dont on peut parler de l’Un comme principe au-delà de l’ontologie, et quels types
d’analogie il peut y avoir sauf l’analogia entis , qui est le fondement de l’ontologie, afin de
distinguer des fonctions naturelles de la personnalité chez trois penseurs ainsi que des
relations entre l’Un absolu à l’un individu.
Dés-ontologie
Types d’analogie
Fonction de
personnalité
la
Relation de l’Un absolu
à l’un individu
Plotin
Agatho-henologia
Analogia entis
Conversion
irréversible
Bergson
Genontologia
Analogia imaginalis
Création
irréversible
Lin-tsi
Echontologia
Analogia nihilis
Réflexion
réversible
Bibliographie
1. Ouvrages concernant Plotin
Plotin, Les Ennéades de Plotin , traduites par M.-N. Bouillet, tome 1-3, Paris, Vrin, 1981 (11857)
─ Ennéades , Texte établi et traduit par Émile Bréhier, I-VI2, Paris, « Les Belles Lettres », 1954.
Plotinus, The Enneads , translated by Stephen MacKenna, London, Faber and Faber, 41969
(11917-1930)
Mossé-Bastide, R.-M., Plotin , Paris, Bordas, 1972.
Rist, J. M., Plotinus, The Road to Reality , Cambridge University Press, 1967.
2. Ouvrages concernant Bergson
EC : L’Évolution créatrice , 1907.
MR : Les Deux sources de la morale et de la religion , 1932.
PM : La Pensée et le mouvant , 1934.
Œ : Œuvres , Édition du centenaire, Textes annotés par André Robinet, Introduction par Henri
Gouhier, Paris, P.U.F., 41984 (11958).
Mél : Mélanges , Textes publiés et annotés par André Robinet, Avant-propos par Henri Gouhier,
Paris, P.U.F., 1972.
Cor : Correspondances , Textes publiés et annotés par André Robinet, Avant-propos par André
Le problème métaphysique de la personnalité
23
Robinet, Paris, P.U.F., 2002.
CIV : Cours IV, Cours sur la philosophie grecque, édition par Henri Hude, Paris, P.U.F., 2000.
Adolph, Lydie (1951) La dialectique des images chez Bergson , Paris, PUF.
Benrubi, Isaac (1942) Souvenir sur Henri Bergson , Paris, Delachaux & Niestlé.
Gouhier, Henri (1989) Bergson dans l’histoire de la pensée occidentale , Paris, Vrin.
Tresmontant, Claude (1959) « Deux métaphysiques bergsoniennes ? », Revue de métaphysique
et de morale , 1959, n.2, pp.180-193.
3. Ouvrages concernant Lin-tsi
EL : Entretiens de Lin-tsi, traduits par Paul Demiéville, Paris, Fayard, 1972.
Abe, Masao (1985) Zen and Western Thought , Honolulu, University of Hawaii Press.
Suzuki, Daisetz Teitarô (1968), La pensée de base de Lin-tsi : Étude de « personne » dans Lin-tsi
lou (en japonais) in L’Œuvres III, Tokyo, Iwanami, pp.337-560.
Ce texte est fondé sur un article lu lors du colloque franco-japonais « Personality and
subjectivity, East and West » (Université Blaise Pascal, Université d’Ochanomizu, Centre
Philosophies et Rationalités PHIER, Centre d’études japonaises comparatives, les 10 et 11
décembre 2009 à Clermont-Ferrand).
Notes
1)Selon Imamichi Tomonobu, « La pensée japonaise à l’orée du XXIe siècle » (Bulletin de la
Société Française de Philosophie , Séance du 20 Novembre 2004) : « Sur l’éthique . Le noyau
ou la clé de la moralité est, selon la tradition de l’humanisme occidental, la « persona »
comme dignité de l’individu, alors que le noyau ou la clé de la moralité est, selon la tradition
de l’humanisme oriental, la « responsabilité » comme sens de l’inter-individualité. En Orient,
on ne trouve pas le concept de « persona » avant le XVIIIe siècle ; en Occident, le mot
« responsabilité » n’est pas employé avant le XVIIIe siècle. » (p.11) On peut trouver ainsi la
contrariété et la complémentarité dans les philosophies occidentale et orientale sur les
notions fondamentales de l’éthique : la personnalité et la responsabilité. Reposant sur cette
perspective, nous comparerons les théories occidentale et orientale de la personne afin de
trouver la possibilité de convertir la contrariété en complémentarité.
2)Comme Pr. Hukushima Tadashi (Université KYOIKU d’Osaka) nous montre, le mot « renpin »
a été employé depuis l’époque de Pinyin (du IIIe siècle au VIe siècle), alors que le mot
« renge » n’apparaît qu’à l’époque de la République de Chine. C’est que le « renge » a été
inventé au Japon à l’époque de Meiji pour la traduction du mot « person » or « personality »,
et il arrive à être utilisé aussi en Chine au XXe siècle. On peut supposer que le mot « renpin »
plutôt que le « renge » a été préféré sous l’influence de la loi de nommer des hauts
fonctionnaires en neuf classes, lois établie au royaume de Wei (220-265).
3)Okazaki Humiaki distingue deux traditions dans toute l’histoire de la philosophie occidentale,
celle de la philosophie grecque ancienne et celle de la philosophie européenne (du Moyen
Âge à notre temps), la première fondée sur l’agatho-henologia , la deuxième sur l’ontologia .
« Vers l’agatho-henologia », Watanabe Jirô (dir.), Seiyô tetsugakushi saikôchiku siron (Essai
24
TAKI Ichiro
pour la reconstruction de l’histoire de la philosophie européenne ), Shôwado, 2007, pp.
516-586.
4)“The problem which presented itself to Plotinus, and which remained the problem of
traditional philosophy, was therefore this : How can our person be on the one hand one or
single, on the other hand multiple ? And Plotinus indicated at once the solution which is
inevitable, if one states the problem in these terms. He supposed that each of us was
multiple “in our lower nature” and single “in our higher nature.” In other words, he
considered a person as a being essentially one and indivisible, which by a kind of declension
or excursion beyond itself runs down into indefinite multiplicity.” (Mél 1055)
5)Enneades , V3[49],15,10. hen polla .
6)« L’homme peut, en effet, selon Plotin, suivre intérieurement un trajet qui est l’inverse […].
Si les Intelligibles procèdent de l’Un, et si les Esprits unis aux corps procèdent des
Intelligibles, de même, inversement, l’Esprit dans le corps peut retourner vers l’Intelligibles,
y entrer à nouveau, et se replacer ainsi dans l’éternité ; c’est le premier stade. Mais il faut
passer par un second stade avant que l’unité finale puisse être atteinte, à savoir ce à quoi
est parvenu l’Esprit quand il est entré à nouveau dans l’Intelligible – son identification de
lui-même avec l’Un par un saltus qui le fait sortir de lui-même. Car tel est le sens
étymologique du mot « extase » ». (Mél 1075)
7)“the idea which is contained implicitly in the majority of later metaphysical systems – the
idea that action is less than contemplation, that movement is less than immobility, that
duration (la durée ) is divided indefinitely, and that, to find substantiality, we must place
ourselves outside Time.” (Mél 1058)
8)Cette explication bergsonienne de l’unité de notre personne nous rappelle ce que St.
Augustin a dit sur le temps : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le
demande, je le sais bien ; mais si on me le demande, et que j’entreprenne de l’expliquer, je
trouve que je l’ignore. » (Confessions , 11, 14), ce qui nous suggère que la personnalité
consiste dans le temps.
9)“What we call our personality is a certain continuity of change ; but this continuity of
change is indivisible ; it is all in one piece, throughout the entire existence of consciousness ;
and this indivisibility constitutes its substantiality.” (Mél 1062)
10)“The human person is a being that is capable of drawing out of himself more than is
actually there – a thing which is scarcely intelligible in the material world, but which is real
in the moral world. With a slight effort of will we can draw much in this way ; with a great
effort of will we can draw indefinitely. It is within the power of the person to expand, to
increase, even partially to create itself.” (Mél 1064-65)
11)Plotin, Enneades , VI9,3,42, Bréhier VI2:175. Cf. Platon, Parmenides , 139b, 138b; 141d.
12)Bergson écrit dans une lettre à J. Chevalier (2 mars 1932) : « Ce que je voulais rappeler
c’est que […] l’homme avait à fournir un effort tout particulier pour remplir sa mission et
retrouver Dieu, […] » (Cor 1366)
13)« L’objet de la métaphysique est de ressaisir dans les existences individuelles, et de suivre
jusqu’à la source d’où il émane, le rayon particulier qui, conférant à chacune d’elles sa
nuance propre, la rattache par là à la lumière universelle. » (PM 280, Œ 1456)
Le problème métaphysique de la personnalité
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14)F. H. Cook, Hua-yen Buddhism, The Jewel Net of Indra , p.2.
15)Cette phrase de Lin-tsi nous semble le contraire de celle de Nishida Kitarô : « Quand les
choses viennent, elles me mirent. » (Tetsugaku Ronbunshû V , p.102). En effet, la direction
de la lumière va des choses à moi chez Nishida, alors qu’elle va de moi aux choses chez Lintsi. Mais une telle interprétation n’est qu’un malentendu par regardant d’abord le moi et les
choses comme substances. Dans le monde de l’origination dépendente (pratîtya-samutpâda ),
le moi attendant les choses et les choses attendant le moi se réalisent en même temps
comme présence. C’est pourquoi Lin-tsi et Nishida parlent de la même chose par des côtés
différentes.
16)« Telle est la vie des dieux ; telle est aussi celle des hommes divins et bienheureux :
détachement de toutes les choses d’ici-bas, dédain des voluptés terrestres, fuite de l’âme
vers Dieu qu’elle voit seule à seule. » (trad. par M.-N. Bouillet, tome III, p.566)
17)On trouve la « Copie dactyl. corrigée, Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, trad.
anglaise » déposée à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet sous la cote BGN 868, 1 à 409.
26
TAKI Ichiro
人格の形而上学的問題
— プロティノス、ベルクソン、臨済 —
瀧 一 郎
芸術講座
本論文は,倫理学の基礎概念である「人格」について,プロティノス,ベルクソン,臨済の間
に<一>と<多>とをめぐる形而上学的な鼎談を立ち上げるかたちで,考察するものである。こ
の三者は実際,ギリシア的,キリスト教的,仏教的な文化的伝統の特色を示している。まず,西
洋的な人格論の代表と目されるプロティノスは,
「異なる二つの自我」を区別し,劣った自我(事
実上の多)が優れた自我(権利上の一)に「還帰」すべきものと考える。これに対して,キリス
ト教神学を刷新するベルクソンでは,われわれ各人は「創造的人格」であるから,
「還帰」即「発
出」としての「創造」をしなくてはならない。臨済においてもまた,その「無位の真人」は具体
的な実在に他ならぬ禅の絶対的一者として「観想」即「創造」に与る。しかし,絶対的な<一>
の相対的な<多>に対する不可分・不可同の関係は,ヘレニズムおよびヘブライズムにおいては
不可逆的であるのに,東洋では,
「理事無礙」から「事事無礙」へと映発する「回光返照」として,
可逆的である。
キーワード:人格,プロティノス,ベルクソン,臨済

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