Télécharger l`article en texte intégral (pdf 150 ko)
Transcription
Télécharger l`article en texte intégral (pdf 150 ko)
Capital-risque et intermédiation : les fondements de l’essor entrepreneurial dans les biotechnologies en Allemagne L’exemple de la région de Berlin-Brandebourg Biotechnologies Ä L’Allemagne a connu un développement fulgurant de son industrie des biotechnologies dans la seconde moitié des années 90. En l’an 2000, elle a dépassé la Grande-Bretagne pour devenir premier pays européen, en termes de nombre d’entreprises des sciences de la vie. Reposant sur une enquête empirique approfondie, cet article propose une analyse socioéconomique des mécanismes de création des start-up de biotechnologies dans une région allemande phare (Berlin-Brandebourg). Il met en lumière les fondements de la dynamique entrepreneuriale allemande dans les sciences de la vie, et permet de comprendre la persistance de cette dynamique dans un contexte économique nettement moins favorable. partir de la seconde moitié des années 90, l’Allemagne a connu une dynamique entrepreneuriale dans les sciences de la vie sans précédent en Europe. En quelques années, le nombre d’entreprises de biotechnologies a été multiplié par plus de quatre, passant de 75 en 1995 à 350 en 2003 (Ernst & Young, 2000, 2004) (graphique 1), dépassant ainsi la Grande-Bretagne en l’an 2000. Comme dans de nombreux États occidentaux et dans d’autres secteurs de haute technologie – notamment l’informatique et les télécommunications –, ce développement a été géographiquement très localisé, la plupart des entreprises étant créées au sein de « clusters » ou « pôles technologiques »1. En Allemagne, une vingtaine de clusters de biotechnologies se sont ainsi développés dans les années 90 (Ernst & Young, 2004 ; Information Sekretariat Biotechnologie, http://www.i-s-b.org/firmen/sme.htm). Cet article s’intéresse au plus important de ces pôles d’un point de vue quantitatif : la région de Berlin, qui comprend les deux Länder de Berlin et de Brandebourg, et rassemblait, en 2003, 165 entre- À NOTE Claire CHAMPENOIS Allocataire de recherche Centre de sociologie des organisations (CNRS / FNSP) Éducation & formations − n° 73 − août 2006 1. Le pôle technologique le plus connu et le plus étudié est la Silicon Valley ou Bay Area, qui rassemble des entreprises d’informatique et de biotechnologies (cf. notamment Saxenian, 1994 ; Bresnahan et al. 2001). 101 THÈME prises (graphique 2)2. Cette région est d’autant plus intéressante qu’elle ne compte pas au rang des quatre « régions modèles » désignées en 1996 par le ministère fédéral de la Recherche, dans son programme en faveur du développement des biotechnologies commerciales, « BioRegio ». Dans cette région, le développement du nombre de start-up3 de biotechnologies ne s’explique donc pas par l’obtention de ces subventions. L’objectif est ici d’analyser les mécanismes d’enclenchement d’une dynamique entrepreneuriale au niveau d’un territoire, autrement dit, selon nous, d’un nouveau système d’action concret (Crozier et Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1993). En cela, nous nous distinguons de nombreux travaux sur l’industrie des biotechnologies qui s’intéressent aux mécanismes d’échanges – le plus souvent de connaissances scientifiques – entre des organisations relativement établies : entreprises de biotechnologies, universités, hôpitaux, et autres firmes (Powell et al., 1996 ; Porter Liebeskind et al. 1995 ; Zucker et al., 1998, 2001). Le choix de cette problématique explique que nous nous concentrions davantage sur les mécanismes de création de start-up que sur ceux de leur développement. Les résultats empiriques présentés ici sont guidés par une démarche théorique qui se nourrit de trois courants sociologiques : l’économie de la qualité (pour un aperçu, cf. Musselin et Paradeise, 2002), la nouvelle sociologie économique américaine (Swedberg, 1994 ; Burt, 2000, 2001 ; Granovetter, 2000) et l’analyse de l’action organisée (Crozier et Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1993). Ces courants fournissent des outils conceptuels pour appréhender les mécanismes sociaux à l’œuvre dans la structuration d’échanges marchands. Cet article se fonde sur une cinquantaine d’entretiens semi-directifs conduits dans la région de BerlinBrandebourg en septembre 2002 et janvier 2003 auprès de start-up de biotechnologies, d’investisseurs publics et privés (capital-risque), de centres de recherches académiques, de pouvoirs publics locaux et nationaux (parcs technologiques, ministères, etc.), d’entreprises pharmaceutiques et de consultants impliqués dans ce secteur. Ces entretiens ont été complétés par une analyse de documents publiés par les acteurs publics locaux de soutien et les entreprises de biotechnologies étudiées (rapports d’activité, dossier de candidature BioRegio, business plans, sites Internet, etc.) et de données chiffrées. Après une brève présentation des politiques publiques en faveur de l’innovation dans les biotechnologies mises en œuvre par les gouvernements dans les années 90, nous caractériserons le développement entrepreneurial connu par la région à partir du milieu des années 90. Nous montrerons ensuite que cette NOTES 2. Le deuxième pôle est celui de Munich qui comptait, en décembre 2003, 98 entreprises de biotechnologies (Source : BioM, http://www.bio-m.de) 3. Jeune entreprise innovante et dynamique, à croissance rapide. Graphique 1 - Évolution du nombre d'entreprises de biotechnologies en Allemagne (1995-2003) 400 350 365 360 2001 2002 350 332 300 279 250 222 200 173 150 104 100 75 50 0 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2003 Source : Ernst & Young 102 Éducation & formations − n° 73 − août 2006 LES POLITIQUES DE SOUTIEN AUX BIOTECHNOLOGIES COMMERCIALES ET AU CAPITAL-RISQUE « BioRegio » : un soutien inédit aux biotechnologies commerciales et à la création d’entreprises Si l’État fédéral a mis en place quelques dispositifs en faveur de ce que l’on appelait alors les « techniques biologiques et médicales » dès les années 60 (Buchholz, 1979), le secteur des biotechnologies devient l’une des « priorités [nationales] de recherche » (Bundesministerium für Bildung und Forschung [BMBF], 1990 ; Bundesministerium für Forschung und Technologie [BMFT], 1996) pour le ministère de la Recherche au cours des années 90. Dans ce cadre, ce ministère, souhaitant faire de l’Allemagne le leader européen des biotechnologies, lance en 1995 un dispositif public thématique, ambitieux et inédit : le concours « BioRegio »4. Ce pro- gramme marque une rupture par rapport aux précédents outils d’action publique en faveur de l’innovation, par ses modalités (mise en concurrence de régions) et par ses objectifs : pour la première fois, la création de startup à partir de centres publics de recherche est définie comme un objectif. BioRegio constitue une politique en faveur de l’essaimage à partir des institutions de recherche publiques, dans un domaine technologique particulier. Mais elle s’inscrit dans une politique plus large, qui vise à rapprocher la recherche publique et les entreprises : elle est en cela typique des priorités que se donnent les grands pays scientifiques, dans les années 90, en matière de politique de recherche et d’innovation (Mustar, 2003). Dans le cadre de ce concours, le ministère demande aux régions de faire un état des lieux de leurs compétences scientifiques et technologiques, en matière de recherche publique et privée, et de proposer, avant l’automne 1996, un dispositif local de valorisation des biotechnologies. Les mesures proposées par les régions doivent permettre d’intégrer les connaissances en sciences du vivant, issues du domaine public, dans des produits, procédés de production et services, développés et commercialisés par des entreprises privées, et ainsi favoriser l’installation ou la création d’entreprises de biotechnologies. THÈME dynamique repose sur la construction d’un marché de financements. Enfin, nous expliquerons le maintien de l’activité entrepreneuriale dans un contexte de contraction du capital-risque. NOTE 4. Pour une présentation du programme BioRegio, cf. Dohse, 2000. Graphique 2 - Évolution du nombre d'entreprises de biotechnologies dans la région de Berlin-Brandebourg (1996-2003) 200 155 157 2001 2002 165 147 150 123 107 100 78 62 50 0 1996 1997 1998 1999 2000 2003 Source : BIOTOP (2003, 2004) Éducation & formations − n° 73 − août 2006 103 La mise en place d’une politique en faveur du capital-risque THÈME Parallèlement, le ministère fédéral de l’Économie met aussi en place, à partir du milieu des années 90, des dispositifs de développement du capital-risque, gérés par deux institutions financières publiques, la TBG (Technologie-Beteiligungsgesellschaft) et le KfW (Kredit für Wiederaufbau). Il s’agit d’un système de cofinancement, par la TBG, des montants investis par les sociétés de capital-risque dans des entreprises innovantes. Cette aide publique prend la forme d’une participation au capital et obéit à un principe d’abondement : dans la limite de 1,5 million d’euros, la TBG apporte un euro supplémentaire à tout euro investi dans le capital d’une jeune entreprise développant une innovation technologique. Ce dispositif s’accompagne d’un système de couverture du risque porté par l’investisseur : en cas de faillite de l’entreprise innovante, la TBG lui rembourse une partie (50 %) de sa mise de fonds. Un second outil de stimulation du capital-risque propose un refinancement des fonds investis, à hauteur de 75 %, par le KfW : sur 10 euros investis dans une start-up, l’investisseur en reçoit 7,5 de la banque publique. Ces dispositifs offrent ainsi la possibilité au capital-risqueur de diminuer ses risques et d’augmenter, grâce à des fonds publics, la valeur de son investissement, sans devoir céder de parts supplémentaires de l’entreprise. Par ailleurs, l’État autorise en 1997 la création d’un Nouveau marché (Neuer Markt) à la bourse de Francfort, destiné aux valeurs de haute technologie, offrant par là une opportunité de « sortie » aux capital-risqueurs (revente de leurs parts du capital d’entreprises innovantes et souvent déficitaires, via une introduction en bourse. UN ESSOR ENTREPRENEURIAL REPOSANT SUR LE CAPITAL-RISQUE Brandebourg : cette dernière rassemble déjà plus de soixante entreprises en 1996. Les bouleversements institutionnels induits par la réunification allemande ont en effet conduit de nombreux chercheurs d’Allemagne de l’Est, académiques ou industriels, à fonder une entreprise, dans une optique de création d’emploi. « Après la réunification, de nombreuses spin-off5 ont été créées par des chercheurs de l’Akademie der Wissenschaft [organisme public national de recherche de l’ex-RDA] qui n’avaient pas d’autres possibilités d’emploi. Les instituts de l’Akademie der Wissenschaft ont été fermés en 1991, et l’Institut Max Delbrueck a été créé pour le remplacer. Mais tous les chercheurs du premier ne sont pas passés au second. Le transfert n’était pas automatique : les chercheurs devaient postuler et être retenus. (...) Et, il y avait seulement 350 postes à l’Institut Max Delbrueck pour 2 000 chercheurs. » (Parc de biotechnologies). Néanmoins, un nouveau type d’entreprises émerge dans la seconde moitié des années 90. Alors que les chercheurs-entrepreneurs pionniers de la première moitié des années 90 développent des entreprises commerciales qui vendent des biens et services (par exemple des kits de purification de protéines ou des services de production à façon de molécules) sur un marché de niche et qui connaissent une croissance modérée, nombre de leurs successeurs fondent des entreprises que l’on qualifiera de scientifiques, car elles conduisent des activités de recherche-développement, sur des technologies de pointe (par exemple en génomique ou protéomique), s’adressant à des marchés de masse (secteur pharmaceutique, avec le développement de nouveaux médicaments ou outils de diagnostic), et croissant à une vitesse très importante6. Autrement dit, la région de Berlin-Brandebourg voit se multiplier un nouveau type d’organisations qui correspondent aux visées des programmes publics (BioRegio et outils en faveur du capital-risque). NOTES 5. Structure créée au sein d’une grande entreprise qui prend L’essor des start-up « scientifiques » La création d’entreprises par des chercheurs n’est pas un phénomène nouveau dans la région de Berlin104 son autonomie juridique, le plus souvent sous la forme d’une filiale, voire d’une entreprise indépendante dans laquelle l’entreprise d’origine n’a qu’une participation. 6. Cette dichotomie entreprises commerciales / entreprises scientifiques se rapproche des catégories de « PME », d’une part, et de « ventures » / « entreprises à fort potentiel », d’autre part, proposées par certains auteurs (Degroof, 2004 ; Mangematin, 2001). Éducation & formations − n° 73 − août 2006 Cet essor entrepreneurial a pour corollaire l’apparition d’une offre en capital-risque. En effet, alors qu’aucune société de capital-risque n’existait ou n’investissait dans les biotechnologies à Berlin en 1996, de telles organisations émergent dans la région et financent, en 2001, 43 % du nombre total d’entreprises de biotechnologies. En 2002, il existe dix sociétés de capital-risque, subdivisables en trois catégories : des filiales de groupes de capital-risque internationaux (tel l’anglais 3i), de nouvelles sociétés de capital-risque privées qui investissent au niveau national, et des filiales de capital-risque créées par les deux banques semipubliques de développement économique local de Berlin et de Brandebourg, qui limitent leur activité à leurs régions respectives. Cet essor du capital-risque en faveur des biotechnologies, à la fin des années 90, général à toute l’Allemagne, s’explique par plusieurs éléments. Les mesures du gouvernement en faveur du capitalrisque, le programme BioRegio, la révision, en 1993, de la loi sur les techniques génétiques, allégeant les contraintes pesant sur les industriels souhaitant poursuivre des recherches en biotechnologie, les initiatives, émanant d’organismes privés et des gouvernements de Länder, en faveur de l’entrepreneuriat et des biotechnologies (concours de business plans7, mesures de soutien à l’innovation, etc.) sont autant d’actions publiques qui créent un environnement plus favorable à la création d’entreprises et aux biotechnologies commerciales. En outre, les media généralistes mettent en valeur à cette époque les potentialités des biotechnologies en matière de thérapie et de diagnostic, et influencent ainsi une opinion publique traditionnellement hostile aux techniques de manipulation du vivant, assimilées aux expériences nazies d’eugénisme. « À partir de 1995, il y a eu le programme de la TBG, avec des participations silencieuses : ça a été le point de départ des créations d’entreprises. Puis, le Neuer NOTE 7. Plan d’affaires : dossier présentant un projet chiffré de création ou de développement d’entreprise. Éducation & formations − n° 73 − août 2006 THÈME Le développement du capital-risque Markt a été créé. (…) Tout cela a créé un climat d’effervescence. Les gens ont commencé à avoir l’impression qu’on pouvait gagner de l’argent avec les nouvelles technologies. C’est comme cela que s’est construite la branche du capital-risque, à partir du milieu des années 90, en Allemagne. Je me rappelle qu’il y avait aussi en 1995 des articles dans «Fokus» et «der Spiegel» [presse hebdomadaire nationale] où, pour la première fois, on ne parlait pas de manière négative des biotechnologies : ces articles montraient le potentiel thérapeutique des biotechnologies, par exemple avec la thérapie génique. Ça a créé un rapport émotionnel, chez les gens, avec les biotechnologies. L’État fédéral et les gouvernements de Land ont aussi essayé de faire des choses pour les biotechnologies : tout le monde voulait aider ce domaine à l’époque ! » (société de capital-risque). Enfin, la forte hausse des cours boursiers des valeurs de hautes technologies au Nasdaq américain et au Neuer Markt allemand, nourrit des anticipations de gains chez les investisseurs financiers. En conséquence, des acteurs agissant dans les secteurs de la création d’entreprise ou de la finance parviennent à rassembler aisément des fonds de capital-risque auprès d’investisseurs, tandis que les banques publiques chargées du développement local identifient le capital-risque et les biotechnologies comme des opportunités de création d’emplois. C’est ainsi qu’à Berlin se créent, à la fin des années 90, de nouvelles sociétés de capital-risque (privées ou publiques) et que des groupes de capital-risque existants choisissent d’ouvrir une succursale berlinoise, dans le cadre d’une stratégie de croissance. Ces nouveaux acteurs sont porteurs d’une offre de financements particulièrement profitable aux entrepreneurs. Tout d’abord, ces investisseurs mobilisant systématiquement les dispositifs publics fédéraux qui leur sont destinés, notamment le cofinancement de la TBG, proposent des financements d’un volume important. « Nous avons toujours eu recours à la TBG lorsque nous le pouvions [i.e. lorsque l’entreprise de biotechnologies était à un stade de développement précoce, et si elle n’avait pas déjà bénéficié des subventions de la TBG auparavant, Ndlr]. » (société de capital-risque) Ensuite, le moment d’euphorie boursière (1999-2000) coïncide avec une situation de concurrence exacerbée entre les capital-risqueurs, due à l’arrivée massive de nouveaux entrants (offreurs) sur le marché du capitalrisque. Ce contexte conduit les financeurs à diminuer 105 THÈME leurs exigences en termes de qualité des projets d’investissement et à baisser leur prix, de peur de céder une opportunité d’investissement à la concurrence. À la fin des années 90, certains entrepreneurs ont ainsi le sentiment d’une abondance de financements. « En 1998, tous ceux qui voulaient de l’argent pouvaient en obtenir ! Il y avait tellement d’argent (…) les capital-risqueurs se moquaient de ce que vous pouviez leur raconter. Quelqu’un de chez ABC (une société de capital-risque de Berlin) est venu nous voir et nous a posé seulement trois questions (…). Et en deux mois, nous avons eu l’argent ! Cette personne nous a dit clairement que l’idée de notre projet lui était égal, qu’elle devait juste pouvoir la communiquer, la vendre dans sa société. Nous lui avons montré nos prévisions, au cas où notre technologie [un système diagnostique pour le cancer du foie] fonctionnerait. Nous lui avons dit qu’il y avait des risques, mais nous n’avons pas eu besoin de la convaincre. J’avais juste besoin de dire des mots-clés comme “ cancer, diagnostic, dépistage précoce, traitement “, qu’elle pouvait vendre en bourse ! N’importe qui insérant ces mots dans son projet recevait de l’argent ! » (fondateur P-DG d’une entreprise de biotechnologies). Par ailleurs, cette offre de financements bénéficie principalement aux entrepreneurs locaux. On constate en effet ex-post que les sociétés de capital-risque de la région de Berlin-Brandebourg ont principalement investi dans des entreprises de biotechnologies de la région. Parallèlement, les financeurs de la région ont largement co-investi, dans le cadre de syndicats, avec d’autres financeurs de la région. Autrement dit, une « régionalisation » des financements au niveau du territoire de Berlin-Brandebourg peut être observée. Mais comment analyser ce double essor des startup scientifiques et du capital-risque ? Une explication reposant sur le succès des programmes publics est insuffisante. La région de Berlin-Brandebourg n’est en effet pas retenue par le ministère de la Recherche, à l’automne 1996, comme l’une des trois régions gagnantes au concours BioRegio et n’a donc pas accès aux subventions réservées dans le cadre de ce programme. Quant aux dispositifs de cofinancement de la TBG, ils ont été mis en place dès 1989, soit bien avant l’essor du capital-risque et des entreprises de biotechnologies. Nous proposerons donc une analyse différente et montrerons que le fait de candidater au concours BioRegio a permis la mise en place, au niveau local, d’une struc106 ture sociale qui favorise la rencontre entre des projets d’entreprises innovantes et des financeurs. LES FONDEMENTS DE LA DYNAMIQUE ENTREPRENEURIALE : L’ÉMERGENCE D’INTERMÉDIAIRES De nouveaux acteurs et dispositifs de soutien pour les entrepreneurs Le fait de candidater au programme BioRegio provoque l’apparition, dans la région, d’acteurs et de dispositifs qui entendent soutenir les entrepreneurs. En effet, à Berlin-Brandebourg, comme dans les seize autres pôles qui se portent candidats à BioRegio, l’annonce du concours entraîne la constitution d’un réseau local, rassemblant les universités et centres de recherche académiques, les PME de biotechnologies existantes, les entreprises pharmaceutiques, des institutions financières de la région, ainsi que les pouvoirs publics locaux (parcs technologiques, agences de développement économique local, chambres de commerce et d’industrie, etc.). Réunies en groupes de travail, ces organisations identifient des projets et des axes scientifiques prioritaires (par exemple, à Berlin, la biologie structurale, la pharmacologie clinique ou les technologies ARN), et conçoivent différents dispositifs de soutien aux biotechnologies commerciales, notamment la création d’une agence centrale de promotion des biotechnologies (« Biotop ») et, à l’initiative des collectivités locales, avec le soutien financier des Länder et de l’État fédéral, de parcs technologiques dédiés à l’accueil d’entreprises de biotechnologies. Malgré l’échec, en 1996, au concours BioRegio, les acteurs régionaux mettent en place les dispositifs d’accompagnement aux entreprises prévus dans le cadre de ce concours. Ainsi, les programmes de construction de « parcs » de biotechnologies se poursuivent : sept parcs réservés aux start-up des sciences du vivant sont construits dans la région à partir de 1995. Ils offrent aux entrepreneurs des locaux aménagés à tarifs préférentiels et des services d’accompagnement (mise en relation et Éducation & formations − n° 73 − août 2006 Une fonction émergente : les intermédiaires de marché Par leur action, et leur coopération, ces nouveaux acteurs de soutien favorisent la rencontre entre des projets d’entreprises scientifiques et les nouveaux financeurs. Comme nous allons le voir, ils jouent un quadruple rôle : celui de détecteur de projets, de conseiller, d’entremetteur et de prosélyte8. NOTE 8. Nous empruntons les catégories de conseiller (« counselor »), d’entremetteur (« dealmaker »), et de prosélyte à M. Suchman qui a étudié le rôle d’intermédiation joué par les avocats et les capital-risqueurs dans la Silicon Valley (Suchman, 2000). Éducation & formations − n° 73 − août 2006 Tout d’abord, ces acteurs identifient des individus porteurs d’un projet d’entreprise : en ce sens, ils sont des détecteurs de projets. Par leurs actions visant à se faire connaître, à présenter leurs activités et à sensibiliser à la création d’entreprise, par exemple lors de rencontres organisées localement par les parcs technologiques, et par leur présence à des salons professionnels nationaux ou internationaux (« Biotechnika », « Bio »), ils attirent les porteurs de projet d’entreprises qui leur demandent des conseils et des informations. Ils jouent ensuite un rôle de conseiller pour les entrepreneurs dans la mesure où ils leur fournissent des informations importantes pour la concrétisation du projet d’entreprise : sur la démarche à suivre pour créer une entreprise, sur le choix de la forme juridique, sur la manière de déposer des brevets, sur les types de financements existant, sur les documents à produire devant ces financeurs, etc. « Mon travail, c’est de soutenir les entrepreneurs. Concrètement, ça veut dire que quand quelqu’un vient me voir en me disant qu’il veut créer une entreprise, il obtient de moi tout ce qu’il doit savoir. Je lui explique comment rédiger un business plan, je lui donne un modèle, par exemple le CD Rom de la Deutsche Bank ou le guide du concours de business plan. Je lui explique aussi qu’il doit aller voir un avocat pour déposer les statuts de son entreprise, avocat qui le conseillera sur la structure juridique à adopter (GmbH ou AG). Je lui donne des adresses d’avocats. (...) Je l’aide à trouver des financements : par exemple, je lui indique les différents programmes publics de subventions, je lui parle du concours de business plan. » (Parc de biotechnologies). Dans leur activité de conseil, ils transmettent aux entrepreneurs des informations sur les critères de financement des capital-risqueurs (technologie innovante protégée par des brevets, existence d’un important marché commercial, absence de concurrence, implication de dirigeants aux compétences spécifiques) et sur la forme que doit prendre le dispositif de conviction que les investisseurs considèreront, à savoir : le « business plan », ou projet d’entreprise, qui doit obéir à une structure standardisée (résumé du projet, présentation de l’entreprise et de l’équipe fondatrice, du produit, du marché, des actions de marketing, de l’organisation, puis des prévisions financières) et mettre en avant certains arguments (la taille du marché commercial et THÈME conseils pour la réalisation du projet d’entreprise). En outre, l’organisation régionale de coordination et de développement des biotechnologies « Biotop », créée dans le cadre de la candidature à BioRegio, parvient à trouver des financements auprès des gouvernements régionaux et à perdurer. Elle proposera des services de mise en relation entre acteurs locaux, d’information, et de conseils à la création d’entreprise. Indépendamment du concours BioRegio, d’autres acteurs ou dispositifs locaux de soutien non spécialisés dans les sciences du vivant et le plus souvent financés par les Länder, apparaissent aussi dans la seconde moitié des années 90, dans le cadre d’initiatives, principalement publiques, de soutien à l’innovation et aux nouvelles technologies. Par exemple, le Centre de coaching technologique (TCC) offre aux entrepreneurs le suivi gratuit d’un conseiller, sur des questions de création juridique d’entreprise, de financement, de commercialisation, etc. Les concours de business plans, organisés par la banque publique berlinoise de développement régional (IBB), ainsi que par certaines universités de la région, amènent les porteurs d’un projet d’entreprise à présenter et à travailler un « business plan » (projet d’entreprise) et récompensent les meilleurs. Tous ces acteurs – issus ou non de BioRegio – proposent aux entrepreneurs des services d’intermédiation (mise en relation avec les partenaires pertinents), des informations diverses et, parfois, des ressources constitutives, par exemple des espaces de travail dans le cas des parcs technologiques. 107 THÈME ses perspectives de croissance, le caractère inédit de la technologie, l’expérience des dirigeants). Au besoin, les acteurs de soutien aident les entrepreneurs à construire ce précieux document. « J’ai appris comment on rédige un business plan dans le cadre du concours de business plan. » (P-DG fondateur d’une entreprise de biotechnologies). « Je regarde si l’entreprise s’est posé les questions importantes, par exemple si elle a décrit son marché dans le business plan. » (Biotop). « J’ai aidé l’entreprise PROTEMICS à définir son profil propre, c’est-à-dire à montrer ce qu’elle pouvait faire, et mieux que les autres. Avec le P-DG, nous avons construit le « fil directeur » de l’entreprise : je l’ai aidé à structurer ses pensées, à définir ses buts. » (conseiller TCC). Les acteurs locaux de soutien, notamment les parcs technologiques et Biotop, jouent également un rôle d’entremetteur et mettent en relation, de façon directe ou indirecte, les entrepreneurs avec différents partenaires nécessaires à la réalisation du projet d’entreprise : des managers, des avocats généralistes pour l’acte de création, des avocats spécialisés dans le dépôt de brevets, des consultants, des partenaires de R&D (centres de recherche, autres entreprises de biotechnologie), parfois des clients (entreprises de biotechnologie ou pharmaceutiques). En fait, l’activité de mise en relation concerne principalement les investisseurs en capital-risque. Ainsi, les acteurs des parcs ou de Biotop évoquent très systématiquement le capital-risque comme une solution et, le plus souvent, donnent des noms de sociétés de capital-risque, en recommandent certaines (celles avec lesquelles ils ont des liens), voire appellent personnellement un chargé d’affaires. « Nous créons des contacts entre les firmes et les sociétés de capital-risque : nous disons aux firmes “ nous connaissons bien tels et tels capital-risqueurs ; allez les voir ! “ Puis nous appelons le capital-risqueur pour lui dire “ telle firme nous a contactés pour avoir des locaux : regarde leur projet “. Cela ouvre des portes. » (Parc de biotechnologies). Ils mettent aussi en place de nombreux dispositifs de rencontre entre entrepreneurs et financeurs : dans le cadre du réseau d’investisseurs « Biofinanz » initié par Biotop, ou du concours de business plan de la région, les entrepreneurs sont invités à présenter leur projet devant un groupe de capital-risqueurs, principalement locaux. Ils organisent régulièrement des séminaires et confé108 rences, qui sont des lieux de rencontre entre sociétés de capital-risque et entrepreneurs, comme la conférence annuelle des sciences de la vie organisée par la banque publique de développement local de Berlin. La mise en relation entre entrepreneurs et capital-risqueur passe enfin par la publication de divers supports d’informations, par exemple un annuaire régional des biotechnologies présentant, sous la rubrique « financement », une liste d’investisseurs en capital-risque. Les chargés d’affaires des sociétés de capitalrisque implantées dans la région mobilisent largement de leur côté les acteurs locaux de soutien et leurs dispositifs comme des voies d’accès aux projets. Dans le but de s’informer sur les projets en cours de création ou cherchant des financements, ils entretiennent ainsi des interactions personnalisées répétées avec ces acteurs (voie informelle). De manière plus formalisée, ils participent aussi aux concours de business plan, en tant qu’évaluateurs, avant tout dans le but d’identifier de nouveaux projets d’entreprises. Par conséquent, ces investisseurs sont fortement « encastrés » 9 dans des réseaux locaux. Cet encastrement a pour résultat une régionalisation de l’offre de financement : les capital-risqueurs de Berlin investissent largement dans la région, avec des partenaires issus du même territoire. Par l’intermédiaire des acteurs et dispositifs de soutien locaux, ils prennent en effet connaissance de projets situés dans la région et, les jugeant de qualité suffisante, investissent localement. Par ailleurs, fréquentant les dispositifs de rencontre ou d’information organisés localement, les chargés d’affaires de la région nouent des liens privilégiés entre eux, et « s’invitent » ainsi prioritairement les uns les autres dans le cadre de tours de financement. Encourageant certains comportements et certaines transactions, diffusant des normes, les acteurs locaux de soutien jouent enfin un quatrième rôle : celui de prosélyte. En effet, en instituant par exemple des enseignements sur la création d’entreprise dans certaines universités de la région, ils diffusent un message normatif qui présente l’entrepreneuriat comme une alternaNOTE 9. La notion d’encastrement désigne, chez M. Granovetter, le fait que les individus ne sont pas « atomisés » mais, qu’au contraire, ils tissent des liens qui influencent la structure des échanges économiques (Granovetter, 1985). Éducation & formations − n° 73 − août 2006 UN SYSTÈME RÉSISTANT À LA CRISE BOURSIÈRE Le paradoxe de 2001-2003 : contraction de l’offre de financements et maintien de la dynamique entrepreneuriale À partir de la fin de l’année 2000, la chute des valeurs boursières de haute technologie au Neuer Markt comme au Nasdaq engendre une contraction de l’offre en capital-risque. Tandis que le cours des actions de biotechnologies au Neuer Markt est divisé par plus de deux entre septembre 2000 et mars 2001 et continue de baisser ensuite, les investisseurs en capital-risque, comme la TBG et le KfW, enregistrent d’importantes NOTE 10. Les investissements dits « later stage » sont dédiés aux financements précédant une introduction en bourse. Éducation & formations − n° 73 − août 2006 pertes financières et ne peuvent plus réaliser de « sortie » sur le marché boursier (revente de l’entreprise à des investisseurs boursiers permettant aux capitalrisqueurs de récupérer leur mise de fonds et d’enregistrer une plus-value). La TBG et le KfW réagissent à cette situation en durcissant leurs critères, engendrant, pour les investisseurs en capital-risque, une difficulté accrue à bénéficier des incitations publiques. En conséquence, certaines sociétés de capital-risque, comme GUB ou TFG à Berlin, font faillite ou changent d’activité. D’autres, comme 3i, interrompent toute activité de (nouvel) investissement. Quant aux sociétés qui continuent à investir, elles privilégient les entreprises dont les technologies se situent à un stade de développement relativement avancé, proche de la commercialisation (vente de licences, codéveloppement avec l’industrie pharmaceutique) : contrairement à la période précédente, elles fuient les investissements dits « d’amorçage » au profit d’investissements « later stage »10. Ainsi, à partir de 2001, l’offre en financements disponible au niveau local est très notoirement réduite pour les créateurs de nouvelles entreprises. Même s’ils élargissent leur recherche en dehors de la région, les entrepreneurs, plus particulièrement les nouveaux créateurs, rencontrent de vives difficultés à trouver des financements : ils font souvent face à des investisseurs qui évaluent les projets de manière beaucoup plus critique, à des conditions d’investissement plus défavorables (prix du capital-risque en forte hausse, multiplication des clauses de protection des investisseurs dans les contrats) et à des refus généralisés. « Aujourd’hui (2002), l’évaluation, pour un investissement, dure six à douze mois. En 1998, c’était trois mois.» (directeur financier d’une entreprise de biotechnologie). « Pour qu’un investissement soit excitant, aujourd’hui, et que nous décidions d’investir, l’entreprise doit pouvoir démontrer beaucoup plus de choses qu’avant.» (société de capital-risque). « Pour obtenir deux millions d’euros, il faudrait que je donne [aux capital-risqueurs] 50 % de notre entreprise : entre eux et nous, c’est une relation impossible ! » (P-DG/fondateur d’une entreprise de biotechnologie). « Le problème en ce moment (en 2003), c’est qu’il est quasiment impossible de trouver des financements : les introductions en bourse sont impossibles, les refinancements sont très difficiles, et il n’y a pratiquement pas de capital-risque. » (Biotop). THÈME tive professionnelle intéressante pour les scientifiques. De même, dans leur action de mise en relation avec les sociétés de capital-risque, ils présentent ces dernières comme des partenaires naturels pour les entrepreneurs, gommant par là les potentiels conflits d’intérêts pouvant exister entre ces actionnaires mûs par un intérêt financier et des fondateurs souvent davantage intéressés par des enjeux technologiques. Au total, les acteurs locaux de soutien (Biotop, parcs, conseillers de la TCC) et leurs dispositifs (concours de business plan) engendrent un double résultat : par leur action de détecteurs de projets et de prosélytes, ils participent à la construction d’une offre de projets d’entreprises et, agissant comme conseillers et entremetteurs, ils facilitent la rencontre entre cette offre et une demande de projets (capital-risque). La dynamique entrepreneuriale qui prend place en Allemagne au milieu des années 90 renvoie donc à l’émergence d’un marché de projets, indissociable de la construction d’un marché de financements, encastré dans des réseaux locaux. Des acteurs locaux de soutien publics, jouant le rôle d’intermédiaires de marché, concourent largement à la construction de cette double face du marché. 109 THÈME De manière paradoxale, cette contraction de l’offre en capital-risque, au niveau régional comme national, ne met pas fin à la dynamique entrepreneuriale. Malgré les faillites de plusieurs entreprises (une vingtaine entre 2001 et 2004), la dynamique de création se poursuit après 2001. En baisse par rapport à la fin des années 90, le nombre de créations dépasse pourtant celui des disparitions : le nombre d’entreprises de biotechnologies continue ainsi de croître après l’an 2000 (graphique 1). Ce phénomène va à l’encontre d’une logique strictement économique. Avec la contraction du capital-risque, c’est en effet un des déterminants de la genèse de start-up de biotechnologie qui disparaît. Le rôle déterminant de la structure sociale locale Selon nous, l’explication du précédent paradoxe réside dans les efforts des acteurs locaux de soutien pour poursuivre leurs actions tout en les adaptant au nouveau contexte. Face aux difficultés économiques, ces acteurs, en maintenant leur action d’entremetteurconseiller-détecteur de projet-prosélyte, engendrent un triple effet. Premièrement, ils contrecarrent l’effet démotivant du contexte financier sur les créations en renforçant leurs actions de détection de projets et de prosélytisme. Ils multiplient ainsi les actions de sensibilisation à la création d’entreprises. Deuxièmement, ils poursuivent leur action de diminution des coûts de transaction (Williamson, 1975, 1981) entre capitalrisqueurs et entrepreneurs, d’une part en faisant connaître l’identité des capital-risqueurs implantés et actifs dans la région mais aussi, fait nouveau, en Allemagne et internationalement, et d’autre part en diffusant les nouveaux critères de financement (par exemple, l’intérêt des investisseurs pour les produits rapidement commercialisables, et non plus pour les technologies dites « plates-formes », c’est-à-dire à large spectre d’applications, nécessitant un développement encore long). « Je vais à la conférence annuelle des sciences de la vie organisée par l’IBB (banque de développement local de Berlin), parce que toute la communauté biotech est là : les entreprises, les investisseurs… Et j’y trouve des informations importantes comme (…) le fait que tels et tels capital-risqueurs n’ont plus d’argent à investir. » (directeur financier d’une entreprise de biotechnologies). 110 « Oui, je vais très régulièrement aux rencontres organisées dans la région. (…) Par les discussions que j’ai eues avec des dirigeants d’entreprises de biotechnologies de la région, j’ai découvert de nouvelles sociétés de capital-risque. J’ai aussi appris certaines choses, comme le fait que les capitaux-risqueurs ne finançaient plus certaines plates-formes technologiques. » (P-DG / fondateur d’une entreprise de biotechnologie). Troisièmement, ils aident les fondateurs d’entreprises à construire des solutions de financement alternatives au capital-risque. Ils les orientent ainsi vers des financements publics (subventions de R&D proposées par les ministères fédéraux et régionaux de la recherche et de l’économie, nouveau dispositif de financement pour les très jeunes entreprises mis en place par la TBG en 2001) et facilitent la rencontre entre les entrepreneurs et de potentiels clients, par la mise en place de dispositifs de rencontre entre ces deux types d’acteurs. « Nous créons des contacts entre les entreprises de la région et des groupes industriels internationaux, qui sont de potentiels clients pour nos entreprises. Par exemple, en mai 2002, nous avons organisé une rencontre entre Novartis, qui est venu avec des représentants commerciaux et des chercheurs, et quinze entreprises de la région, qui ont fait une présentation. Nous organisons aussi des rencontres entre quelques chargés du développement commercial, issus d’entreprises de biotechnologies de la région, pour qu’ils s’échangent des contacts. » (Biotop). En outre, pour faire face à la rareté des financements en capital risque, certains acteurs locaux de soutien incitent les entrepreneurs à développer des stratégies alternatives pour leur start-up : concevoir des projets de R&D plus ciblés, exercer un contrôle strict des coûts, entamer une activité commerciale la plus rapide possible et amener la technologie à maturité grâce à des financements publics. « J’ai mis au point avec les fondateurs de GENEX une stratégie qui leur permettait de survivre, avec un scénario où ils n’auraient pas besoin de capital-risque. » (conseiller TCC). Ainsi, les acteurs locaux de soutien créent un dense maillage organisationnel au niveau local, qui met en relation ces divers acteurs de soutien entre eux, des dirigeants d’entreprises de biotechnologies et des investisseurs. Au sein de ce réseau local, ils assurent la Éducation & formations − n° 73 − août 2006 Cet article met en lumière le rôle fondamental joué par la structure locale de soutien à l’innovation dans l’émergence d’une dynamique entrepreneuriale dans les biotechnologies, en Allemagne, à partir du milieu des années 90. Caractérisée par l’existence d’intermédiaires mettant en contact les entrepreneurs avec des ressources et des informations clés pour la réalisation de leur projet, notamment avec des financeurs, cette Éducation & formations − n° 73 − août 2006 structure sociale a permis la construction d’une offre de projets d’entreprises scientifiques et de financements en capital-risque, et a facilité leur rencontre. Elle a aussi permis de limiter les effets dissuasifs du retournement du marché boursier, à partir de 2001, sur la création d’entreprise. Mais la survie de ces nouvelles organisations demeure une question ouverte. Avec la contraction du marché de financement, qui amène notamment les investisseurs à exiger une commercialisation plus rapide des innovations, l’enjeu change en effet aujourd’hui de nature, pour les jeunes entreprises allemandes : ce ne sont désormais plus les financements en capital-risque qui garantissent leur survie, mais le chiffre d’affaires généré par des transactions marchandes avec l’industrie pharmaceutique ou les grandes sociétés de biotechnologies (vente de services, ou de licences dans le cadre d’un codéveloppement de produit pharmaceutique). Or, il n’est pas certain que les acteurs de soutien présentés ici puissent aussi jouer un rôle d’intermédiaires facilitant la rencontre entre producteurs (entreprises de biotechnologies) et utilisateurs (industrie établie) d’innovations. THÈME circulation d’informations et de connaissances pertinentes rendant à la fois plus efficient le marché de financement du capital-risque subsistant et plus visibles, pour les entrepreneurs, les solutions alternatives pour survivre dans un contexte de contraction du capitalrisque. Ainsi, le paradoxal maintien de la dynamique entrepreneuriale observé s’explique par l’existence d’une structure sociale d’incitation et de soutien, qui contrecarre les effets purement économiques d’une diminution de la principale offre de financements pour les entrepreneurs. 111 À lire Biotop (2002). Biotech Report 2001 Berlin-Brandenburg, Magazin der Biotechnologie in Berlin- Brandenburg, Ausgabe 16, mai 2002. Biotop (2003). Biotech Report 2002/2003 Berlin-Brandenburg, Magazin der Biotechnologie in Berlin-Brandenburg, Ausgabe 20, mai 2003. Biotop (2004). Biotech Report 2003/2004 Berlin-Brandenburg, Magazin der Biotechnologie in Berlin- Brandenburg, Ausgabe 23, mai 2004. BMBF (Bundesministerium für Bildung, Wissenschaft, Forschung und Technologie) (1996). Report of the federal government in research 1996, Bonn, BMBF. BMFT (Bundesministerium für Forschung und Technologie) (1990). Biotechnologie 2000 - Programm der Bundesregierung, Bonn, BMFT. Bresnahan, T., Gambardella, A., Saxenian, A. (2001). “‘Old Economy’ Inputs for ‘New Economy’ Outcomes: Cluster Formation in the New Silicon Valleys.” Industrial and Corporate Change 10(4). Bucchholz (1979). Die gezielte Förderung und Entwicklung der Biotechnologie. Geplante Forschung. Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag. Burt, R. (2000). The Network Entrepreneur. Entrepreneurship. The Social Science View. R. Swedberg. Oxford, Oxford University Press. Burt, R. (2001). Structural Holes versus Network Closure as Social Capital. Social Capital: Theory and Research. N. Lin, K. Cook and R. Burt, Aldine de Gruyter. THÈME Crozier, M. e. F., E. (1977). L‘acteur et le système. Paris, Éditions du Seuil. Dohse, D. (2000), “Technology policy and the regions – the case of the BioRegio contest”, Research policy (29): pp. 1111-1133. Ernst & Young (2000). Gründerzeit, Deutscher Biotechnologie Report 2000. Mannheim. Ernst & Young (2004). Per Aspera Ad Astra, Deutscher Biotechnologie Report 2004. Mannheim. Friedberg, E. (1993). Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée. Paris, Éditions du Seuil. Degroof, J. J., Roberts, E. (2004). “Overcoming weak entrepreneurial infrastructure for academic spin-off ventures.” Journal of Technology Transfer 29(3/4). Granovetter, M. (1985). “Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness.” American Journal of Sociology 91(3). Granovetter, M. (2000). Le marché autrement. Les réseaux dans l’économie. Paris, Desclée de Brouwer. Mangematin, V. (2001). PME de biotechnologie : Plusieurs Business Models en concurrence. Encyclopédie de l’Innovation. Mustar,P., Penan, H. Paris, Économica. Musselin, C. and C. Paradeise (2002). “Le concept de qualité : où en sommes-nous ?” Sociologie du travail 44(2): pp. 256 - 260. Mustar, P. (2003). Politiques de soutien à la création d’entreprises de haute technologie. Encyclopédie de l’Innovation. P. Mustar and H. Penan. Paris, Économica. Powell, W., Koput, K. and Smith-Doerr, L. (1996). “Interorganizational Collaboration and the Locus of Innovation: Networks of Learning in Biotechnology.” Administrative Science Quarterly 41. Porter Liebeskind, J., A. Lumerman Oliver, et al. (1995). “Social networks, learning, and flexibility: sourcing scientific knowledge in new biotechnology firms.” Working Paper 5323, NBER, Cambridge, MA. Saxenian, A. (1994). Regional Advantage: Culture and Competition in Silicon Valley and Route 128. Cambridge, Harvard University Press. Suchman, M. C. (2000). Dealmakers and Counselors: Law Firms as Intermediaries in the Development of Silicon Valley. Understanding Silicon Valley : the Anatomy of an Entrepreneurial Region. M. Kenney. Stanford, Stanford University Press. Swedberg, R. (1994). Markets and social structures. The handbook of economic sociology. N. Smelser and R. Swedberg. Princeton, N.J., Princeton University Press: 255-282. Zucker, L., Darby, M. and Brewer, M. (1998). “Intellectual Human Capital and the Birth of U.S. Biotechnology Enterprises.” American Economic Review (88(1)): pp. 290-306. Zucker, L., Darby, M. and Armstrong, J. (2001). “Commercializing knowledge : university science, knowledge capture, and firm performance in biotechnology.” National Bureau of Economic Research (Working Paper 8499). Williamson, O. (1981). “The economics of organizations: the transaction cost approach.” American Journal of Sociology 87: 548-577. Williamson, O. (1975). Markets and hierarchies. New York, Free Press. 112 Éducation & formations − n° 73 − août 2006