Dossier - Confédération Paysanne du Gers
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Dossier - Confédération Paysanne du Gers
Dossier L’agro-écologie, fertilisant naturel de l’agriculture paysanne ? « Qu’es aco l’agro-écologie ? ». Un slogan dans l’air du temps pour les élections, un avatar de la nov’langue, un concept révolutionnaire ? Les grands prêtres de la spécialité nous expliquent que c’est « une discipline scientifique, étudiant les interactions au sein des écosystèmes ». Viennent alors une avalanche de termes : agriculture naturelle, biologique, durable, paysanne, de conservation, permaculture… Pour les béotiens, ce sera « un ensemble de pratiques agricoles qui prône le lien entre la terre, la faune, la flore et l’être humain ». Pêle-mêle sont évoquées l’érosion des sols, l’utilisation des fumiers, des composts, la gestion mesurée de l’irrigation, la remise en place des haies, l’adaptation au climat, à ses rythmes saisonniers et à la spécificité des terroirs. Lors d’une tentative d’explication besogneuse sur l’agro-écologie à mon cousin qui, fourche en main et en relevant son béret, me jette un regard méfiant tout en marmonnant : « Ce que tu me racontes, c’est ce que j’ai toujours fait, comme le faisaient mon père et mon papé, et bien d’autres depuis des siècles ! » Ainsi les paysans étaient des messieurs Jourdain agricoles et dans leur labeur coutumier pratiquaient déjà ce qu’une modernité lucide tente de nous inculquer. Bien sûr, les processus se sont affinés, l’empirique a cédé devant le rationnel des analyses et la rigueur des prescriptions. Cette notion est apparue au début des années soixante-dix, en pleine émergence du délire productiviste, dont le credo N.P.K. avec ses besoins insatiables en eau et pesticides amorçait l’altération des sols et du milieu agricole. Quelques sagaces illuminés tentent alors d’alerter, mais le ramdam mené par les chorales réunies du syndicat majoritaire, de l’enseignement formaté, de l’industrie agrochimique et de l’agroalimentaire rendaient inaudible le discours d’une agriculture responsable. Aujourd’hui, la prise de conscience permet d’envisager la mise en place de pratiques pour retrouver les équilibres essentiels de l’agriculture dans leurs biotopes spécifiques et assurer la permanence de l’implantation paysanne. Mais la récupération est à l’affût. L’ancienne présidente du Cnja toujours membre de la Fnsea et du Forum de l’agriculture raisonnée (Farre) (1) pointe sa frimousse dans cet univers de l’agro-écologie. Les perspectives d’exigences productives importantes pour nourrir la planète font saliver ceux-là même qui ont favorisé la dégradation de l’environnement et la disparition des paysans, et sont prêts à tous les reniements pour le maintien de leur domination. Si cette perspective d’agriculture enfin raisonnable place les paysans dans leur rôle fondamental d’occupation des territoires pour des productions agricoles suffisantes et de qualité, alors nous affirmerons avec enthousiasme : « Pas de pays sans agro-écologie ». Michel Curade, paysan retraité dans l’Aude (1) Association créée à l’initiative de l’Union des industries de la protection des plantes regroupant les industries qui développent les pesticides. Campagnes solidaires I N° 251 mai 2010 Dossier Point de vue Pour un meilleur usage des ressources naturelles renouvelables L’agriculture inspirée de l’agro-écologie utilise au mieux les ressources naturelles renouvelables. Elle fait l’usage le plus économe possible des énergies fossiles et intrants chimiques pour augmenter les rendements et la productivité du travail agricole, tout en respectant les potentialités productives de l’environnement. Entretien avec Marc Dufumier, enseignant à AgroParisTech. L’agro-écologie. Est-ce une discipline, une pratique ? C’est une discipline scientifique qui rend intelligible les interactions entre les cycles biochimiques de l’eau, du carbone, de l’azote et des éléments minéraux, au sein des écosystèmes artificialisés par les agriculteurs. Comment l’insolation, les vents, les pluies et la disposition des plantes affectent la photosynthèse et la production de calories alimentaires ? Comment les légumineuses et les bactéries du sol peuvent-elles contribuer à la synthèse des protéines et à la fertilisation azotée des terrains? Comment les insectes auxiliaires des cultures peuvent-ils enrayer la prolifération d’insectes nuisibles ? Les systèmes de production inspirés de l’agro-écologie visent à conformer les agro-écosystèmes aux exigences des variétés végétales et races animales sans affecter leurs potentialités productives à long terme. Ils adaptent les techniques aux conditions écologiques du lieu. Les agriculteurs sont alors à même de mieux tirer profit des cycles du carbone, de l’azote et des éléments minéraux. À titre d’exemples, on peut citer ce genre de pratiques : couverture végétale permanente avec association de diverses espèces rustiques pour intercepter au mieux les rayons du soleil qui se transformeront en calories alimentaires, et aussi pour protéger les sols de l’érosion ; intégration de légumineuses dans les rotations de façon à utiliser l’azote de l’air pour la synthèse des protéines et la fertilisation des sols ; implantation d’arbres ou de haies pour protéger les cultures des vents et héberger des insectes auxiliaires des cultures ; association de l’élevage à l’agriculture pour utiliser les sous-produits végétaux dans les rations animales et fertiliser les sols avec les déjections organiques, etc. Cultures étagées au milieu d’arbres fruitiers d’une forêt tropicale qui tentent de reproduire l’efficacité énergétique d’un écosystème naturel: pas de travail du sol, des niches écologiques occupées par une diversité d’espèces, avec une couverture du sol de biomasse productive tout au long de l’année. Il existe déjà des techniques susceptibles d’accroître les productions à l’hectare, tant dans les pays du Sud que ceux du Nord, sans coût majeur en énergie fossile, ni recours exagéré aux engrais de synthèse et produits phytosanitaires. L’agro-écologie permet-elle une intensification de la production à l’hectare ? Oui, et cela pour mieux répondre aux défis qui se posent aujourd’hui à l’agriculture mondiale avec une demande croissante en produits agroalimentaires et en services d’origine agricole, des sols appauvris, et une biodiversité en déclin. D’ici 2050, il faut envisager un doublement de la production végétale (1). Certes, la FAO considère que sur les 4,2 milliards d’hectares cultivables dans le monde, seuls 1,6 milliard sont cultivés de nos jours. Mais les nouvelles surfaces cultivées risqueraient d’être conquises aux Campagnes solidaires II dépens de savanes et de forêts parmi les plus riches en biodiversité. On ne peut pas non plus espérer un accroissement sensible des rendements à l’unité de surface dans les régions d’agriculture qualifiée de productiviste où apparaissent d’ores et déjà de graves déséquilibres écologiques. Seul un usage plus intensif des ressources naturelles renouvelables dans les pays du Nord comme du Sud, la pratique d’une agriculture agro-écologiquement intensive, peut répondre à ces multiples défis. Elle implique un travail intensif à l’hectare, une forte création d’emplois, un tissu dense d’agriculteurs. Il ne faut pas tant viser l’agrandissement des exploitations que l’installation de jeunes agriculteurs. L’agriculture inspirée de l’agro-écologie ne peut être que familiale et ancrée dans son « pays », à forte valeur ajoutée à l’unité de surface. Les liens avec l’agriculture paysanne, telle que la défend la Confédération paysanne, sont évidents. N° 251 mai 2010 Dossier Le pommier, par ses racines profondes, intercepte les éléments minéraux du sous-sol au fur et à mesure de la décomposition de la roche mère. Transférés dans la biomasse aérienne de l’arbre, ils sont ensuite déposés à la surface de la parcelle à la chute des feuilles et contribueront à sa fertilisation. Pourquoi tant de difficultés à appliquer ces techniques et savoir faire paysans ? Les difficultés ne sont pas d’ordre technique, mais plutôt de nature socio-économique et même politique. Sous la pression des agro-industriels, et avec la « science » des agronomes, les écosystèmes ont été « violentés », simplifiés à l’extrême, complètement artificialisés et fragilisés pour être adaptés aux exigences des quelques espèces et variétés sélectionnées pour leur haut potentiel génétique de rendement, leurs qualités standards, les possibilités d’économies d’échelle… Souvent les obstacles à une agriculture plus agro-écologiquement intensive résultent d’un accès limité aux crédits, de conditions imposées par les entreprises situées en amont ou en aval, de structures agraires injustes, de législations foncières inadéquates et de transactions iniques liées aux modalités inégales de concurrence entre producteurs sur les marchés mondiaux des produits agricoles et alimentaires. Les conditions écologiques, économiques et sociales dans lesquelles les agriculteurs exercent leur profession présentent une extrême diversité. Prétendre pouvoir mettre au point des techniques standards à destination de paysans dont on ne connaît pas vraiment les contraintes et intérêts spécifiques est absurde. Aucune technique ne peut être considérée comme meilleure dans l’absolu, sans référence aux conditions agro-écologiques et socioéconomiques. En fait, il devient indispensable de repenser totalement l’agronomie et les échanges internationaux. dépendance européenne en matière de protéines végétales et revenir sur l’accord de Blair House signé en 1992. C’est jouable au nom des accords de Kyoto qui devraient prévaloir sur ceux de Blair House-, et de nos engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre. L’organisme de règlement des différents à l’OMC pourrait ainsi ne pas s’opposer à l’établissement de droits de douane lors des impor- tations de protéagineux. C’est tellement absurde de polluer nos eaux avec de l’azote fabriquée à partir de gaz naturel russe ou norvégien ! Par ailleurs, nos politiques doivent faire en sorte que les nations du Sud aient le droit de réaliser ce que les pays européens ont eux-mêmes entrepris au lendemain de la Deuxième guerre mondiale: protéger leurs agricultures vivrières dans le cadre des marchés régionaux par le biais de droits de douane conséquents. Il faut réorienter résolument l’agriculture européenne vers des formes de production plus artisanales, destinées au marché intérieur. La défense d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la qualité des aliments en Europe n’est en rien contradictoire avec le droit des nations du Sud de reconquérir leur souveraineté alimentaire. Propos recueillis par Cécile Koehler (1) D’après un autre scénario (Inra et Cirad Agrimonde), il faudrait augmenter de seulement 30 % la production d’ici 2050 si on réduit les gaspillages et adopte des modèles de consommation alimentaire plus sages. (N.D.L.R.) L’agro-écologie, une approche globale L’agro-écologie devient un axe de recherche et de pratique à partir des années 1970. Elle prend son essor en Amérique latine pour apporter une réponse aux désastres de l’agriculture industrielle. Elle s’est construite par les apports successifs d’agronomes, d’écologistes, puis de géographes, d’historiens, de sociologues, d’anthropologues et d’éthnobotanistes, d’où une vision multidimensionnelle. Pour l’universitaire chilien Miguel Altieri : « La discipline scientifique qui centre l’étude de l’agriculture dans une optique écologique s’appelle agro-écologie ou écologie agricole et se définit comme un cadre théorique qui a pour objet l’analyse des processus agricoles d’une façon large… La recherche agro-écologique est intéressée, non pas à la maximisation de la production d’un composant particulier, mais bien à l’optimisation de l’agro-écosystème comme un tout. ». Les hommes à travers leurs pratiques ont transformé les écosystèmes (unités proprement écologiques) en agro-écosystèmes, c’est en quelque sorte la forme d’artificialisation de la nature par le travail agricole. Tout écosystème est un ensemble dans lequel les organismes et les flux biogéochimiques se trouvent en équilibre instable, mais ayant la capacité de s’autoréguler indépendamment des êtres humains. Ces derniers en artificialisant ces systèmes peuvent ou non respecter les mécanismes par lesquels la nature se renouvelle continuellement. La structure interne des agroécosystèmes est en fait une construction sociale qui résulte de la coévolution des êtres humains avec la nature. L’agro-écologie se donne pour objectif de rester au plus près des équilibres naturels, c’est son versant écologique. Avec un postulat : les connaissances les plus pertinentes pour valoriser les agroécosystèmes s’obtiennent en étudiant la manière dont l’agriculture traditionnelle a travaillé les écosystèmes. Les savoirs et pratiques des paysans sont mis en avant et servent de référent. On parle de « redécouverte » de la part de la science agronomique des connaissances accumulées par les cultures paysannes. Les pratiques culturales sont aussi liées au contexte socio-économique puisque la durabilité d’un agro-écosystème ne tient pas qu’à des facteurs écologiques. Il doit pour se pérenniser assurer le bien-être de ceux qui travaillent en son sein. Cela suppose une prise en compte de tous les aspects de la vie sociale, culturelle et politique qui se déroule autour des agroécosystèmes. Silvia Pérez-Vitoria, Comment s’y prendre ? Dans l’immédiat, je vois une issue qui me semble déterminante: reconquérir l’in- Campagnes solidaires sociologue, La ligne d’horizon-Les amis de François Partant Contact : www.lalignedhorizon.org III N° 251 mai 2010 Dossier Enjeux Confrontation de deux visions Comme les termes « agriculture durable » ou « agriculture de conservation », le concept d’agro-écologie devient à la mode, fréquemment employé dans le monde mais avec des sens très variés. Pour illustration, deux approches telles qu’elles se confrontent au Brésil. D ans les plaines du Sud et SudOuest du Brésil, les termes « agriculture de conservation » ou « agro-écologie » sont employés pour qualifier des systèmes basés sur le semis direct sur couverture végétale (SCV). Le labour n’est plus pratiqué car il génère des coûts élevés et favorise l’érosion dans ces types de sols. Les avantages des SCV sont multiples : empêcher l’érosion tout en réduisant les coûts liés au travail du sol, favoriser grâce à la couverture végétale une vie microbienne du sol plus active, une meilleure rétention de l’eau, une production de biomasse et des rendements élevés ainsi qu’un enrichissement du sol en matière organique (effet captation du carbone et donc effet a priori positif sur l’effet de serre). Ces SCV se sont développées dans les grandes exploi- Binage de blés bio et semis de trèfle dans les terres argilo-calcaires du Saumurois. « Avec un objectif : augmenter la fertilité du sol », explique tations motorisées Valentin Beauval d’Amérique du Sud (et aussi du Nord), couvrant maintenant tion des coûts de mécanisation et les des dizaines de millions d’hectares. On rotations pratiquées comprennent seune peut pourtant qualifier ces systèmes lement 2 à 3 cultures annuelles (princid’agro-écologiquement aboutis! La moti- palement soja et maïs), souvent transvation principale a souvent été la réduc- géniques et résistantes à des herbicides totaux. Recherches et pratiques en agro-écologie Les recherches en agro-écologie se font principalement aux États-Unis (en Californie et dans le Vermont), en Amérique latine avec un versant technique important, et en Espagne à l’Université de Cordoue, avec une forte dimension sociale. Il existe un risque important de voir l’agro-écologie récupérée par les « sciences agronomiques » la réduisant à son aspect technique. A contrario, Via campesina, dans la déclaration finale de sa Ve conférence (Maputo, octobre 2008) s’est appropriée ce concept comme une proposition alternative à l’agriculture industrielle. Il existe au Vénézuela une université d’agroécologie IALA (Instituto agroecólogico latinoamericano « Paulo Freire »), créée par Via campesina et le Mouvement des sans terre du Brésil. En France, s’est tenu à Albi en novembre 2008, le premier colloque international d’agroécologie, « Nourriture, Autonomie, Paysannerie (1) ». À cette occasion, une publication, « Petit précis d’agroécologie », co-dirigée par Silvia Pérez-Vitoria et Eduardo Sevilla Guzman, a été éditée par l’association La ligne d’horizon-Les amis de François Partant (2). Silvia Pérez-Victoria (1) Co-organisé par La ligne d’horizon, Nature et Progrès, Les Amis de la terre, Le Réseau Ecobâtir, Confédération paysanne, Instituto de sociologia y estudios campesinos-Université de Cordoue. www.colloque-agroecologie-albi2008.org (2) Pour commander : www.lalignedhorizon.org Campagnes solidaires IV Récupération par l’agrochimie Outre la très faible biodiversité des systèmes de culture concernés, le point faible est l’utilisation plus fréquente de pesticides que dans les itinéraires avec labour. On note l’utilisation quasi systématique d’herbicides totaux, comme le glyphosate de moins en moins efficace vu l’apparition de plantes tolérantes. Les antilimaces et les insecticides de protection des semences sont aussi plus souvent employés dans ces itinéraires techniques que dans ceux avec labour. Parfois, les surcoûts en pesticides peuvent devenir équivalents aux économies de motorisation. Les eaux superficielles et profondes des territoires concernés par ces itinéraires « sous couverture végétale » sont très fréquemment polluées par les pesticides. Parmi eux, l’AMPA, un dérivé persistant du glyphosate et qui serait cancérigène. N° 251 mai 2010 Jean Pierre Berlan, ancien chercheur à l’Inra : « Je définis l’agronomie, ou l’agro-écologie, comme la science et l’art de faire faire gratuitement par la nature ce qu’on fait aujourd’hui à coups de moyens industriels ruineux. Ruineux économiquement, pour l’environnement, pour la santé publique, pour les agriculteurs, pour les paysages… » Les insecticides systémiques très utilisés pour la protection des semences dans ces itinéraires sont également au centre de multiples polémiques scientifiques car d’une toxicité élevée pour les insectes pollinisateurs et l’homme. Pour le CETAP, l’ASPTA (1) (voir p 14 et 15) et de nombreuses ONG brésiliennes avec lesquelles AVSF (Agronomes et vétérinaires sans frontières) a collaboré en partenariat avec des syndicats paysans, l’agro-écologie se décline sans ou avec très peu de pesticides. Les pratiques observées sont souvent issues d’expérimentations paysannes. Dans les agricultures familiales très diversifiées et de bonne productivité des zones de collines du sud Brésil, on peut observer les pratiques suivantes (liste non exhaustive) : • utilisation de variétés rustiques et peu exigeantes en intrants chimiques ; • rotations diversifiées et, chaque fois que cela est possible, associations de cultures annuelles dans les parcelles afin d’obtenir une forte biodiversité et de réduire, voire d’éliminer, l’utilisation des pesticides ou de les remplacer par des « auxiliaires naturels » des cultures ; • association agriculture-élevage car cela permet une meilleure efficience des systèmes de production et une réduction des risques économiques liés au climat ; • association d’arbres utiles et de cultures annuelles lorsque les conditions le permettent ; • lorsque les sols sont sensibles à l’érosion, semis direct pour les cultures annuelles – si possible sans pesticides – et, dans les terres en pentes fortes, travail en courbes de niveau matérialisées par des plantes pérennes (cannes à sucre, Dossier herbe à éléphant,…) ou par des cordons de pierres. Toutes ces pratiques privilégient l’autonomie des exploitations que ce soit au niveau des semences (peu d’hybrides, pas d’OGM) ou de la réduction des achats d’engrais. Ils sont moins indispensables du fait de l’intégration agriculture-élevage et de la présence de légumineuses fixant l’azote dans les rotations et les intercultures. Cette seconde forme d’agro-écologie est pratiquée par des agricultures familiales dont le rôle est fondamental dans l’alimentation des 190 millions de Brésiliens. Toutefois, on ne peut que constater l’extension des superficies occupées par la première approche, stimulée par la demande internationale en soja et la présence des grands multinationales phytosemencières et du commerce des grains. Valentin Beauval, paysan dans le Maine-et-Loire (1) ONG brésiliennes travaillant dans des zones d’agriculture familiale du Sud du Brésil. Contact : [email protected] Témoignage « Un sens à mon métier et à mes engagements » logique et solidaire de Nature et Progrès (NP). Cette dernière a rédigé une charte éthique qui reprend une bonne partie des principes de l’agriculture paysanne. L’agro-écologie qui émerge en France réunit les nécessités d’une agriculture véritablement écologique et sociale, peuplante et relocalisante. Durant le colloque international d’Albi en 2008 sur l’agroécologie, une phrase de Gandhi résumant bien cette question sociale a souvent été évoquée : « L’important n’est pas de produire pour les masses mais par les masses. » Dans ma pratique agricole, comment peut se traduire l’agro- écologie ? Ce n’est pas toujours facile. D’abord, j’ai laissé tomber l’AB certifiée pour préférer la mention NP. Le système de certification participative permet aux consommateurs et aux producteurs de contribuer à la définition d’une agriculture citoyenne affranchie des multinationales et des sociétés de labellisation. Il faut chercher à réduire les intrants ou faire en sorte qu’ils proviennent de sources sûres et proches. Par exemple, je n’utilise plus de guanos du Chili dans les composts. J’ai du aussi repenser la commercialisation : je vends mes produits le plus localement possible. Le plus difficile, c’est la diversification. Il faudrait faire des céréales, produire soi-même le compost… Il est évident que l’agro- écologie implique une forme d’organisation collective que je n’ai pas réussi à mettre en place mais je vois que des jeunes s’installent de plus en plus dans cette optique et cela me réjouit ! Malgré les incitations et la culture dominante sur le développement agricole, je ne me suis pas agrandi, et aussi bien mes abeilles (une soixantaine de ruches) que mes terres (2,5 hectares de vignes) ne connaissent pas les traitements aux pesticides. Au début, mes choix professionnels furent guidés par l’agriculture biologique. Mes engagements se situaient plus sur un terrain politique, social et tiersmondiste, n’ayant que peu d’incidences sur mes choix professionnels. L’agroécologie s’est peu à peu développée comme un nouveau paradigme qui rassemblait toutes les valeurs donnant sens à mon métier et mes engagements. J’avais conscience que l’agriculture biologique, pour obtenir sa reconnaissance institutionnelle et le succès commercial, abandonnait peu à peu l’esprit de bon nombre de ses fondateurs pour ne s’en tenir qu’au respect du cahier des charges. Celui-ci ne définissant que les règles nécessaires à la production d’aliments sans produit de synthèse a complètement passé à la trappe les dimensions écologiques et sociales qui dessinaient déjà le paysage d’une critique radicale de l’agriculture productiviste. Nous sommes tombés dans ce paradoxe d’un commerce bio triomphant avec ses 10 % d’augmentation de chiffres d’affaires depuis dix ans, mais à peine 3 % de SAU en bio en 2010 et plus d’un tiers des produits bio importés parfois de pays aussi lointains que la Chine, l’Argentine, l’Afrique du Sud. Par ailleurs, une agriculture biologique spécialisée, forte consommatrice d’intrants, se développe sur des exploitations de plus en plus grandes, reproduisant toutes les tares de l’agriculture industrielle, y compris celle d’uniformiser la production et d’exploiter la main-d’œuvre. Face à cette bio dévoyée, je vois deux pôles de résistance : l’agriculture paysanne définie par la Confédération paysanne et la bio éco- Campagnes solidaires Pascal Pavie, paysan dans l’Aude, auteur du livre Manger bio, le guide du consommateur éco-responsable-Edition Edisud Contact : [email protected] V N° 251 mai 2010 Dossier Pratiques agricoles Agriculture naturelle Depuis 1979, Joseph Pousset, paysan à Bellière (Orne), expérimente l’« agriculture naturelle » sur 25 hectares de céréales (blé, avoine, sarrasin) et autres cultures. O n peut comparer la terre fertile à un atelier de production d’éléments nutritifs, avec ses facteurs de base (le couple : sol, climat), sa maind’œuvre très qualifiée (l’activité biologique du sol), sa clientèle (les plantes cultivées et spontanées). L’objectif de l’agriculteur est de veiller à la bonne santé de ces précieux travailleurs. Les bactéries du sol, par exemple, sont essentielles dans la production d’azote. Avec certaines plantes, notamment avec les légumineuses, il peut y avoir une association à bénéfices réciproques (la symbiose): elles s’installent dans les racines du végétal et lui donnent une partie de l’azote qu’elles sont capables de prélever dans l’atmosphère du terrain (1) ; quant à la plante, elle fournit l’énergie sous forme d’hydrates de carbone dont le micro-organisme a besoin. D’où pour l’agriculteur l’intérêt d’avoir dans son assolement des légumineuses. Mais pour leur bon développement, ces plantes fixatrices d’azote ont besoin d’un sol suffisamment aéré, sinon les bactéries symbiotiques meurent. Dans les cas où il n’y a pas de symbiose, c’est à l’agriculteur de fournir le « couvert » et « le logis » aux précieuses bactéries. Il apportera de l’énergie (hydrate de carbone) sous forme de matière organique (paille, fumier, engrais verts, etc.) et veillera à ce que la structure Le Lombricus terrestris : un infatigable laboureur S’il est un petit animal qui a vécu dans la plus parfaite clandestinité intellectuelle pendant les trente glorieuses de l’agriculture, c’est bien le Lombricus terrestris et les trente-neuf espèces de vers de terre avec lesquelles il cohabite dans le sol fertile du paysan et du jardinier. Tous ont payé un lourd tribut à l’arrivée de la chimie qui devait permettre à l’entrepreneur agricole de régner en maître sur Dame Nature. Qui n’a pas vu des « illuminés du progrès » se débarrasser des taupes dans les bonnes prairies naturelles par un simple épandage de lindane, un insectiLes vers de terre seraient apparus il y a 200 mil- cide redoutable qui ne tuait pas le petit lions d’années. Totalement dépourvus de moyens mammifère à fourrure mais faisait disde défense, ils sont la proie de multiples préda- paraître sa nourriture, le lombric ? en humus teurs. Mais ils ont une exceptionnelle capacité à Une terre fertile, bien pourvue 2 , soit quelque peut contenir 400 vers au m se reproduire : ils peuvent prétendre à 300 desquatre millions dans un hectare. Darwin cendants dans l’année. constatait que, par leur action, la couche végétale de 10 à 15 cm est totalement retournée tous les douze à quinze ans. Les vers de terre travaillent 24 heures sur 24 mais assimilent mal leur nourriture puisqu’ils rejettent 95 % des éléments nutritifs ingérés. Les micro-organismes, comme les bactéries unicellulaires, les algues et champignons microscopiques, préparent la nourriture des vers et la rendent prête à manger, le lombric se chargeant du mélange avec les particules du sol. Le vers n’a pas de flore intestinale mais des bactéries et des champignons se multiplient dans son intestin, favorisant de fait la transformation de la matière organique. Côté épuration, des bactéries pathogènes comme Escherichia coli seraient en partie détruites par les enzymes des vers. Enfouisseur de feuilles et de débris de végétaux, les vers ne peuvent prospérer que s’il y a suffisamment de matière organique et dans un sol plutôt frais et humide, proche d’un PH neutre. Les vers ne viennent à la surface du sol que la nuit ou le matin à la rosée pour copuler ou déposer leurs tortillons d’excréments . Chaque année, 40 à 100 tonnes par hectare de cet excellent fertilisant peuvent ainsi remonter. Grand acteur économique, ayant et pouvant contribuer à produire l’alimentation de l’humanité, le lombric est absent dans le PIB. Probablement la raison de son oubli. Christian Boisgontier, paysan retraité dans l’Orne Campagnes solidaires VI du sol permette une bonne circulation de l’air et de l’eau. Qu’un seul de ces facteurs soit déficient et l’ensemble de l’atelier est perturbé. Son activité peut même cesser si on pratique exagérément les « délocalisations ». Celles-ci consistent, par exemple, à épandre des quantités importantes d’engrais chimiques azotés qui réduisent à l’inaction les bactéries fixatrices des légumineuses, entraînant la mort de cellesci. Il arrive aussi que les micro-organismes soient mal nourris par défaut de matières organiques ou empoisonnés par les pesticides. Quant à la « clientèle » de l’atelier, la plante cultivée ou spontanée (2), elle doit être fidèle et solvable. Pour cela, le sol doit être nu le moins souvent et le moins longtemps possible ; d’où la nécessité d’une rotation au cours de laquelle culture, engrais vert et flore spontanée maîtrisée se succèdent sans longue interruption. Ainsi géré, l’atelier peut produire de manière durable, avec une consommation énergétique modérée et une pollution réduite, l’alimentation qui nous est nécessaire, tant en quantité qu’en qualité, aussi bien dans nos pays « développés » que dans ceux qui le sont moins. Mon objectif est de rendre accessibles à un maximum de praticiens de l’agriculture les techniques expérimentées sur ma ferme avec la collaboration, plus ou moins formelle, de paysans, techniciens et chercheurs. Joseph Pousset, paysan, auteur du guide « Agriculture naturelle » (1) L’atmosphère contient 79 % d’azote, soit au moins 75 000 tonnes au-dessus de chaque hectare de la planète. (2) Profitant des éléments nutritifs élaborés par l’activité du terrain. Contact : [email protected] Accès aux fiches techniques Biodocs : www.bio-normandie.org (Aller sur l’onglet professionnel, puis documentation, puis fiches techniques) N° 251 mai 2010 Dossier Composter, diversifier, complexifier… À la suite d’un licenciement, Pierre Denis franchit le pas : il s’installe moutonnier à Eriseul, en Haute-Marne. Une façon de mettre en application ses connaissances en écologie après avoir travaillé plus de trente-cinq ans dans l’animation autour de l’environnement. N’ ayant que Un écosystème artitrès peu de ficialisé étant plus sujet terres disà des déséquilibres du ponibles, j’ai constifait de sa simplificatué mon parcellaire – tion, j’ai en perma30 hectares aujournence en tête le souci d’hui – en récupérant de favoriser tout ce qui des terrains commupeut participer à le naux, des petits vergers rendre plus complexe. de particuliers et des Favoriser la nidification zones Natura 2000. d’oiseaux pour les Les ovins étant l’éleinsectes (buissons, vage qui corresponnichoirs), de rapaces dait le mieux aux ter(nichoir à effraie dans rains (peu de terre, le bâtiment foin, perches caillouteux et souvent hautes pour la chasse) en pente), j’ai appliqué, ou de reptiles (murs en dès mon installation en pierre sèche) pour la 2003, un certain Les agnelles de Pierre Denis, la plupart des suffolks, sont sous un bosquet prédation sur les ronnombre de principes de pruniers et de cerisiers, devant un terrier de blaireaux occupé. geurs. Ne pas chercher tirés de l’écologie. à éliminer ceux qui sont Tous les produits de débroussaillage des minées (ray gras, fétuque, dactyle, pâtu- considérés comme dangereux pour l’élezones en friche sont mis en tas à décom- rin fléole) et 5 légumineuses (lotier, sain- vage : renards et blaireaux ayant leurs terposer pour produire de l’humus. Le foin, minette trèfles et luzerne), sans riers sur les terrains, les agneaux ne sordébroussaillage est manuel afin de sélec- destruction de la flore déjà présente pour tent pas avant l’âge d’un mois. tionner les arbres intéressants pour l’éle- obtenir une amorce de prairie permanente vage. Les feuillages de pommiers, poiriers, diversifiée. Des légumineuses sont semées Pierre Denis, cerisiers, pruniers, frênes, érables cham- régulièrement en sursemis, particulièremoutonnier en Haute-Marne, et animateur pêtres ou chênes sont sources de miné- ment les non météorisantes, enrichisà mi-temps à la Confédération paysanne raux et leurs tanins limitent les parasites ; sant la flore naturelle et captant l’azote départementale les fruits sont un bon complément ali- de l’air comme engrais. Le fumier est comContact : pierre. [email protected] mentaire, comme les feuilles de frênes posté avant d’être épandu. conduits en têtards avec élagage d’été. Pour en savoir plus Les aubépines et autres prunelliers sont 2. Agroforesterie ou sylvagriculture : De plus en plus, l’agro-écologie tisse sa toile sur coupés à ras, les moutons se chargeront consiste à associer des arbres utiles à des culle web : de nombreux sites abordent ce concept, de tailler les repousses. Des arbustes sont tures annuelles chacun à sa sauce, pouvant parfois masquer de laissés en place de ci de là pour fournir curieux assemblages, concoctés par exemple par • Association française de l’agroforesterie, l’industrie des pesticides et ses partenaires. de l’ombre et des sites de nidification en lien avec l’Inra : www.agroforesterie.fr • Primes Pac et agroforesterie : aux oiseaux (prédation sur les mouches, 1. Agriculture de conservation : consiste http://agriculture.gouv.fr/sections/themataons). Des clôtures ont été posées en retrait à conserver le sol toujours couvert par le tiques/environnement/agroforesterie semis d’intercultures hautes qui étouffent les des limites pour permettre l’implantaadventices et génèrent du mulch, et à pration de haies, ombrage ou brise-vent 3. Permaculture : ensemble de valeurs tiquer le semis direct. selon la saison. Ces zones de végétation • Agriculture Sol et Environnement, assoéthiques, de principes d’efficacité énergétique ciation, née il y a une dizaine d’années en sont favorables à la conservation d’insectes, et de design, dont le but est l’intégration des Bretagne, regroupant 500 agriculteurs et activités humaines avec l’écosystème ; elle notamment les coprophages dont le rôle techniciens qui représentent 40 000 ha dans considère que tout est interconnecté et que d’élimination des fèces est important le Grand Ouest. la planification locale relie la production de pour la fertilisation du sol et la repousse www.asso-base.fr nourriture, la production d’énergie, la mobi• Portail des agricultures écologiquement de l’herbe, restreignant sans doute l’imlité, l’éducation, etc. Il est réducteur de l’asintensives, en lien notamment avec le Cirad : pact de parasites (strongles et ténias). similer à l’agroécologie mais elle en utilise www.agriculture-de-conservation.com ses principes. Les terrains qui étaient labourés quand • Microagriculture biointensive (en anglais) : www.permaculture.fr www.growbiointensive.org je les ai repris ont été semés avec 5 gra- Campagnes solidaires VII N° 251 mai 2010 Dossier Chantier syndical Agro-écologie et agriculture paysanne : une réelle convergence Envisager l’essor d’agricultures paysannes mettant en œuvre des pratiques inspirées de l’agro-écologie ne relève pas d’un quelconque passéisme. Au contraire, puisque ce peut être une réponse aux exigences écologiques et sociales de notre société. Mais encore faut-il des politiques adaptées. Ces dérives possibles risquent de détourner des perspectives infiniment riches qu’ouvre cette nouvelle approche Ce sont les exploitations paysannes – ici celle de Jean Estève, adhérent de l’agriculture. à la Confédération paysanne de la Drôme – qui sont les plus à même d’héberger les systèmes de production inspirés de l’agro-écologie, ayant Comprendre, utiliser les cycles natu- le plus recours à des pratiques économes et autonomes, respectant la vie sous toutes ses formes. rels de l’eau, de l’azote, des éléments minéraux et du pour chacun et responsabilité collective, carbone, amène un regard renouvelé la solidarité, seule, permet de vivre dans sur le travail paysan qui retrouve toute un milieu fragile, et notre terre est frasa valeur de gardien de la fertilité des sols, gile. Cela s’oppose à l’impératif de comces sols fabriqués par des milliers d’an- pétitivité qui forge la société néolibérale nées d’activité microbienne et qui peu- actuelle et que la Confédération payvent être détruits en quelques dizaines sanne conteste. Nous voyons là toute la d’années de cultures trop intensives. convergence de cette notion nouvelle avec La question du carbone est également nos analyses sur l’agriculture paysanne. cruciale aujourd’hui que sont connus les Celle-ci se veut une recherche d’hareffets des gaz à effet de serre – dont le monie entre des paysans, un milieu natugaz carbonique – sur le changement cli- rel et un territoire humain, où la pourmatique, et que les productions végétales suite légitime d’une rentabilité et d’un apparaissent comme des transformateurs revenu pour les travailleurs de la terre (2) incomparables de gaz néfastes en glu- ne prend jamais le pas sur la vision à long cides nourriciers, ou… agrocarburants. terme d’un environnement à protéger. Exiger aujourd’hui des politiques qui proC’est dire si l’aspect technique est à tout moment confronté aux aspects écono- tègent et encouragent des agricultures miques, sociaux et politiques des choses. paysannes, c'est-à-dire réellement sociales C’est tout particulièrement le cas de l’agro et agro-écologiques, voilà notre chantier écologie. Pour certains, cette approche syndical. technique aboutit à une vision philosoGeneviève Savigny, phique dans un nouveau mouvement secrétaire nationale humaniste. Lorsqu’il développe l’idée de de la Confédération paysanne l’oasis (1) Pierre Rabhi évoque des méthodes très élaborées de gestion d’une eau rare (1) Manifeste pour des Oasis en tous lieux, qui permet de récolter de riches pro- ouvrage collectif sous la direction de Pierre duits au milieu du désert, mais il parle Rabhi, 1997. (2) On pourrait aussi parler de la mer, dans une aussi d’une organisation sociale qui aqua-écologie, comme la pratiquent de nomdonne à chacun une place. Exigence breux pécheurs artisanaux. Campagnes solidaires Photo : Georges Bartoli I l est toujours un peu vexant de découvrir, surpris, qu’une technique « nouvelle » a déjà plusieurs décennies d’existence, et s'est développée dans des pays comme le Brésil, mieux connu pour la fâcheuse tendance à la déforestation et aux monocultures industrielles, que les travaux inverses pour protéger les sols et la biodiversité. L’agro-écologie est une approche qui renouvelle notre vision de l’agronomie, mise à mal par soixante ans de productivisme et de politiques agricoles ayant davantage poussé à optimiser les primes qu’à raisonner en agronome. L’agronomie revient ainsi, enrichie par un regard clairement écologiste, et s’impose comme un impératif de changement. Le concept d’agro-écologie est si bouleversant qu’il crée aussitôt ses résistances et ses contrefaçons. Par exemple, parmi les techniques proposées, certaines méthodes dites de « conservation des sols » conservent surtout l’usage immodéré du glyphosate, désherbant total bien connu, souvent associé aux méthodes de semis directs et aux cultures génétiquement modifiées. On peut aussi percevoir, dans l’engouement pour cette pratique, une parade au développement de l’agriculture biologique, jugées trop exigeante dans son refus des produits phytopharmaceutiques. De même, le concept récent de « cultures écologiquement intensives », en apparence proche de l'agroécologie, éveille toute notre méfiance, tant nous craignons qu'il ne soit, pour les tenants du productivisme et de l’agrobusiness, qu'une prolongation de l'agriculture raisonnée. VIII N° 251 mai 2010