Interview d`Hervé Latapie* pour son livre

Transcription

Interview d`Hervé Latapie* pour son livre
Interview d’Hervé Latapie* pour son livre
Génération Trithérapie
Rencontre avec des jeunes gays séropositifs
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SIS : Vous constatez que les jeunes gays séropos sont invisibles dans la
société. Ils ne veulent pas se montrer, en quelque sorte ils sont retournés
dans le placard…
Hervé Latapie : Ils sont devenus invisibles. Ils n’osent pas parler. Ils n’osent pas
se définir publiquement en tant que séropos. Ils sont en fait dans une
problématique de coming out : est-ce qu’ils doivent le dire, ne pas le dire, et à
qui ? Souvent leur calcul est de ne pas le dire. Ils gardent leur séropositivité
pour eux.
SIS : Ils gardent le secret, en particulier vis-à-vis de leur famille…
Hervé Latapie : Oui, on peut annoncer aux membres de sa famille qu’on est
homosexuel mais pas qu’on est séropositif. Beaucoup des jeunes que j’ai
interrogés préfèrent ne pas leur infliger un problème supplémentaire. C’est
aussi le cas de séropositifs plus anciens qui ne le disent pas non plus à leur
famille.
SIS : Les témoignages permettent-ils de dire que grâce aux traitements, être
séropo aujourd’hui, ce n’est plus un problème ?
Hervé Latapie : Certainement pas. Si effectivement les traitements se sont
améliorés, s’ils sont plus faciles à prendre, s’ils sont moins lourds, il y en a
beaucoup pour qui de toute façon il y a des problèmes, des effets secondaires,
et il y a également l’aspect psychologique. Par exemple et ça rejoint l’idée de
l’invisibilité, comment se fait-il qu’ils cachent leurs prises de médicaments ?
C’est-à-dire qu’on va cacher ses médicaments dans des boites que personne ne
reconnaîtra, on va cacher ses médicaments à ses parents, donc il y a cet aspect
psychologique qui est aussi très dur.
SIS : Quels effets secondaires rencontrent-ils principalement ?
Hervé Latapie : Il y a encore des effets secondaires tels que des problèmes
intestinaux, de nausée, des cauchemars, des troubles du sommeil… La crainte
de tous les effets secondaires à long terme est aussi présente. Qu’est-ce qui va
se passer ?! Ca génère une espèce d’angoisse. Il y a également une sorte
d’observation permanente de soi-même. Le moindre rhume inquiète. Même si
le traitement apporte un certain confort, être obligé de prendre tout le temps
des médicaments, de se trimbaler un pilulier avec tous les effets
psychologiques en plus, c’est une situation tout de même très inconfortable.
SIS : Vous regrettez que les campagnes actuelles mettent plutôt l’accent sur le
dépistage et le traitement plutôt que sur la promotion du préservatif. D’un
côté il y aurait les méchants labos et de l’autre le gentil préservatif qui règle
tout ?...
Hervé Latapie : Cette vision est un petit peu caricaturale. Ce que je pense c’est
qu’actuellement, on ne réfléchit pas suffisamment à la réinterprétation faite
par le grand public des messages de prévention. Il faudrait vraiment se pencher
là-dessus. Quand on explique « Faites-vous dépister, prenez un traitement,
c’est formidable, etc. », on ne se demande pas comment c’est interprété par un
jeune, un moins jeune, un gay séronégatif par exemple, donc on minimise un
petit peu le problème. On a l’impression que tout d’un coup c’est formidable
de prendre un traitement, que c’est anodin. C’est contre cela surtout que je
m’oppose. Parallèlement, oui, on laisse tomber de fait le préservatif alors que
tous les témoignages des gays le montrent : le préservatif est délaissé
actuellement. Beaucoup de pratiques se font sans préservatif. Du coup d’autres
IST se propagent et on ne règle pas le problème.
SIS : Beaucoup de jeunes gays dans votre livre disent qu’ils se sont
contaminés parce qu’ils n’étaient pas bien dans leur tête à un moment
donné. L’info ils l’avaient… et pourtant ! Quelles conclusions en tirez-vous
pour la prévention ?
Hervé Latapie : Le gros problème, c’est que les séropositifs sont un peu
stigmatisés. Ils vivent ce qu’ils appellent la sérophobie. Le gros problème, c’est
qu’il n’y a pas suffisamment de discussion, de parole entre gays séropositifs et
gays séronégatifs. L’invisibilité, plus ce manque de discussion, crée ces espèces
de malaise. Les gens peuvent avoir également des raisons d’avoir de difficultés
en tant qu’homosexuels. Tout ceci explique pourquoi beaucoup d’entre eux ne
vont pas prendre soin d’eux-mêmes, prendre soin de leur santé et auront donc
des pratiques à risque.
SIS : Il faut reparler du sida, dites-vous. Ne faut-il pas plutôt parler de santé
sexuelle au sens large pour inclure le sida mais aussi les IST (infections
sexuellement transmissibles), les hépatites, etc. ?
Hervé Latapie : Bien sûr. Mais il ne faudrait pas non plus tomber dans un autre
excès. Au Centre LGBT Paris-IDF, par exemple, on m’a dit : « Mais non, le
problème ce n’est pas le sida, c’est la santé. » Parce que les gens ont peur tout
simplement de prononcer le mot sida. On est encore dans le problème de
l’invisibilité. Moi j’affirme que le problème de santé numéro un pour les gays,
et surtout pour les jeunes gays, c’est quand même le sida, la contamination.
Evidemment les autres IST aussi. Mais c’est quand même le sida qui est la
maladie la plus grave, celle que les gens vont conserver à vie. Il ne faut donc
pas avoir peur des mots. Voilà pourquoi je continuerai à dire que la priorité des
priorités pour la santé des homosexuels, oui, c’est la lutte contre le sida parce
que tout est lié à cela.
Interview réalisée par Alain Miguet pour Sida Info Service – Mars 20112
*Hervé Latapie est engagé depuis longtemps dans la vie militante et culturelle
gay. Il dirige une boîte de nuit à Paris.
Génération Trithérapie n’est pas disponible dans beaucoup de librairies mais il
est en vente sur le site legueuloir.com
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