Le débit du Web reste tari en Lozère

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Le débit du Web reste tari en Lozère
Le débit du Web reste tari en Lozère
LE MONDE | 07.10.09 | 15h29 - Mis à jour le 07.10.09 | 20h40
Lozère Envoyée spéciale
Le restaurant d'application du lycée hôtelier de Saint-Chély-d'Apcher (Lozère) est plein. Une
dizaine de Lozériens, de souche ou d'adoption, ont fait le déplacement pour expliquer à quel point
Internet a pris de l'importance dans leur vie, même à eux, habitants du département le moins peuplé
de France.
Ils veulent aussi dire qu'ils en ont assez de "ramer" autant avec leur PC pour accéder au Web, alors
que tant d'autres disposent depuis déjà belle lurette de connexions ADSL à haut-débit. Et en profiter
pour réclamer, tant qu'à faire, le nec plus ultra : un réseau en fibre optique qui aille jusqu'à leur
domicile, pour pouvoir se connecter à très haut débit (plus de 1 mégabit/s). Comme les citadins,
Parisiens, Lillois, Lyonnais, etc., qui ont déjà l'embarras du choix, entre les offres de France
Télécom, de SFR, de Numericable ou d'Iliad.
"La Lozère a toujours été le dernier territoire servi en matière d'infrastructures. Les opérateurs de
télécommunications ne nous trouvent pas assez rentables. Le très haut débit, nous en avons
pourtant davantage besoin que les autres, car nous sommes très enclavés. Cela offrirait des
possibilités incroyables de télétravail et d'enseignement à distance. Et ce serait un magnifique
symbole de la ruralité moderne !", s'enflamme Pierre Ygrié, l'initiateur de la pétition "Très haut
débit pour tous", lancée en août sur Internet, et fondateur de l'association Webs du Gévaudan. C'est
lui qui a réuni tout le monde autour de la table. Depuis qu'il est rentré au pays pour y vivre sa
retraite, il y a dix ans, cet ex-cadre parisien de la Seita prêche pour un désenclavement numérique
du département. Un peu dans le désert au début. Moins ces dernières semaines, depuis que le très
haut débit pour tous est devenu un objectif du gouvernement.
Vincent Mouton, le directeur du lycée hôtelier, n'a pas trop à se plaindre : "Nous venons de mettre
en place une expérience de télé-enseignement afin que nos élèves puissent suivre à distance des
options comme le latin, pour lesquelles nous n'avons pas de professeurs sur place. Nous disposons
heureusement d'une connexion ADSL, mais avec davantage de débit, les possibilités de
développement sont énormes." "Nous pourrions faire revivre des options menacées de mort, comme
le grec", suggère Michèle Castan, très attentive. L'établissement qu'elle dirige, le lycée Saint-Joseph
à Marvejols, dispose aussi d'une "vraie ligne" ADSL, avec un débit décent, parce que tout près du
central téléphonique (avec les fils de cuivre du réseau téléphonique fixe classique, plus on s'en
éloigne, plus le débit s'atténue). Il n'empêche, elle ne comprend pas "pourquoi nous sommes traités
différemment parce que nous sommes moins nombreux".
Les autres convives sont beaucoup moins bien lotis. Olivier Collon, par exemple, qui a pourtant
plein de projets pour le barrage de Naussac (près de Langogne) dont il est responsable. "Nous
pensions installer un système de visioconférences pour rester en contact avec les autres membres
de ma maison mère, située à Orléans. Nous voulions aussi installer une caméra sous l'eau,
connectée au Web, pour que les internautes puissent observer la montaison des saumons. Avec le
débit qu'on a, on oublie tout de suite", regrette-t-il. Et de pester : "Nous sommes obligés de nous
contenter du vieux réseau téléphonique en cuivre. A croire que sa maintenance n'est plus une
priorité pour France Télécom. Quand nous avons des coupures, il faut appeler Montpellier, car il
n'y a plus d'agence dans le département. Notre seul moyen de pression, c'est de mettre le préfet en
copie de notre réclamation."
André Beaufils est partagé : entre son attachement à ces terres si sauvages et les difficultés à mener
une activité professionnelle, surtout dans son domaine, les hautes technologies, quasiment sans
accès au Web. BFP Electronique, le fabricant de matériel médical qu'il dirige, réalise 80 % de son
chiffre d'affaires à l'étranger. Ses neufs salariés ont besoin d'Internet pour envoyer des photos de
leurs prototypes aux clients, faire de la veille technologique, prospecter de nouveaux soustraitants... Mais dans leurs bureaux de Montrodat, 7 km au nord de Marvejols et du central
téléphonique de France Télécom, ils ne captent que du "32 kbits/s" (56 kbits/s pour un modem
classique). L'entreprise dispose bien d'une ligne Numeris (ligne numérique de France Télécom), à
64 kbits/s, mais "uniquement les nuits de pleine lune", plaisante le jeune chef d'entreprise. Pour
relever ses courriels, M. Beaufils s'installe dans sa voiture : ça va plus vite depuis son GPS.
"Je suis très inquiet, ajoute son voisin de table, Paul Honnorat, éducateur, la société de M. Beaufils
est logée près de notre centre d'éducation motrice pour handicapés. C'est moi qui lui ai proposé de
venir. Je m'en veux un peu. J'espère qu'il va rester ! Cela fait cinq ans que je demande à France
Télécom de faire quelque chose, en vain". M. Ygrié les interrompt : "Si BFP s'en va, c'est un drame
! Rendez-vous compte : nous n'avons que 15 sociétés de TIC en Lozère sur les 3 000 que compte la
région Languedoc-Roussillon !" M. Honnorat reprend : "Nous aussi, nous pourrions profiter du très
haut débit. Il y a quelques jours, j'ai emmené une petite handicapée pour une visite médicale de
routine à Montpellier. Le médecin m'a reçu, a ouvert le courrier que j'apportais, l'a refermé, et on
est repartis tout de suite. Cela nous a pris la journée. Vous imaginez les économies si nous avions
pu transmettre le dossier par Internet ou profiter d'une visioconférence ?"
Michel Guiral est le maire de Saint-Sauveur-de-Peyre, 260 habitants sur le plateau de l'Aubrac. Lui
s'inquiète du retard pris dans la dématérialisation des actes, notamment les délibérations du conseil
municipal. "La fibre optique ne coûte pas grand-chose : pourquoi n'en pose-t-on pas dès qu'on
construit un lotissement ?", s'étonne-t-il.
Ronald Moscovitz a quitté Paris l'année dernière avec sa famille. Il est l'un des dirigeants de
Bienmanger. com, une épicerie fine sur Internet. La société était hébergée il y a encore quelques
mois à l'auberge du Moulin, à Auxillac, 200 habitants. "Sans l'ADSL, ce n'était plus possible de
tenir. Il a fallu déménager à La Canourgue, à 16 km. Mais aujourd'hui encore, on aurait besoin de
largement plus de débit. Nous sommes obligés d'utiliser des serveurs hébergés aux Etats-Unis."
L'heure du café arrive. Laurent Martin est directeur de la filiale du groupe Vinci chargée de
commercialiser le réseau de fibre optique qui vient d'être tiré entre Clermont-Ferrand et Béziers, le
long de l'A75 qui désenclave le département (mais du nord au sud seulement). Il précise être venu
"pour écouter", que ce n'est pas son entreprise qui "amènera la fibre jusqu'aux habitations", mais
des opérateurs de télécommunications qui utiliseront son réseau comme colonne vertébrale pour
après aller irriguer les hameaux. Lui estime que le très haut débit pour tous les Lozériens, tout de
suite, ce n'est pas réaliste : c'est trop cher. "Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, ce sont
les entreprises qu'il faut connecter en premier", estime-t-il. "Pas d'accord ! Tout est une question
de volonté politique, l'interrompt M. Beaufils, l'argent, quand on veut, on le trouve !"
Cécile Ducourtieux
La fibre optique pour tous : un coût élevé et
des disparités
LE MONDE | 07.10.09 | 15h29 Sur le principe, l'intérêt du déploiement partout en France d'un
réseau de télécommunication fixe à très haut débit (100 Mb/s et plus) entièrement en fibre optique
ne fait plus vraiment débat. L'ADSL, technologie d'accès à Internet via le réseau historique du
téléphone fixe, encore en partie en fils de cuivre, atteindra bientôt ses limites, avec l'explosion de la
consommation de vidéo sur le Web. Pour l'instant, 50 000 foyers tout au plus peuvent accéder au
Web à très haut débit.
Reste à s'entendre sur le mode de financement. Le coût du déploiement d'un réseau tout fibre
optique pour 100 % de la population hexagonale est estimé entre 25 et 40 milliards d'euros.
Ce n'est pas amener la fibre optique aux 5 millions de foyers vivant en zone urbaine dense qui pose
le plus de problèmes. Les opérateurs de télécommunication France Télécom, SFR, Numéricable ou
Free ont commencé à déployer leurs réseaux et à prospecter des clients. Leurs investissements
pourraient être rapidement rentabilisés surtout si, comme à Paris, ils n'ont quasiment pas de travaux
de génie civil à effectuer (les fibres optiques passent par les égouts).
C'est dans les zones d'habitat plus dispersé ou les espaces ruraux que l'argent public, sous forme
d'investissement ou de subvention, semble indispensable. Dans la zone "moyennement dense",
concernant environ 10 millions de foyers, "l'investissement privé ne suffira pas. Et il faut penser à
un système où un seul réseau serait partagé par les opérateurs privés", estime Bruno Retailleau,
sénateur de la Vendée. En ce qui concerne les zones rurales, une proposition de loi relative à "la
lutte contre la fracture numérique", déposée par Xavier Pintat (sénateur de la Gironde), propose la
création d'"un fonds d'aménagement numérique des territoires". Sa gestion serait assurée par la
Caisse des dépôts et consignations et il pourrait être constitué de fonds européens et d'une partie du
grand emprunt.
Ces questions devraient être débattues lors de la discussion de la proposition de loi à l'Assemblée
nationale, programmée le 13 octobre.
Cécile Ducourtieux
Article paru dans l'édition du 08.10.09