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Discours à la séance de clôture
de la conférence ECOWAP
Dakar le 19/11/15
Excellences,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
Ce fut un honneur pour moi, et un privilège, que d’assister à ces jours de
débats intenses sur l’agriculture ouest-africaine.
Permettez-moi de vous soumettre cinq enseignements quiméritent d’être
soulignés et pris en compte dans les politiques ouest-africaines.
En premier lieu, la capacité d’adaptation et de modernisation des
agriculteurs, éleveurs et pêcheurs de la région est extraordinaire.
Au cours des 35 dernières années, la production agricole a augmenté bien plus
rapidement que la population et le disponible alimentaire – hors importations a augmenté de 40%. La dépendance alimentaire vis à vis du reste du monde
n’a pas augmenté. Les importations de riz (qui représentent 42% du coût des
importations alimentaires) n’ont augmenté que de 3.5Kg par personne en 30
ans. Calculées par personne vivant en ville, elles ont diminué.
Conséquence logique : la sous-alimentation a diminué de près de 50 %, en
vingt ans.
Tout ceci est à mettre au crédit de l’agriculture familiale qui nous rappelle ainsi
qu’elle est une force d’avenir ; qu’elle est le pilier sur lequel les politiques
agricoles peuvent et doivent s’appuyer.
En deuxième lieu, le fait majeur de l’économie agroalimentaire ouestafricaine des indépendances à nos jours, est qu’elle est passée de l’auto subsistance à une économie de marché.
Le basculement s’est probablement produit vers le milieu des années 80 qui
ont vu, concomitamment à la libéralisation des économies, bondir la
production et la mise sur le marché des produits alimentaires. Un agriculteur
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africain vend en moyenne sept fois plus de denrées alimentaires aux
consommateurs de la région aujourd’hui qu’en 1960. Désormais, plus des
deux tiers des denrées alimentaires produites en Afrique de l'Ouest passent
par le marché.
Qui dit Marché dit création et développement de chaînes de valeurs.
Ces chaines de valeur irriguent des espaces sociaux et économiques intégrés
ou – du producteur au consommateur – une multitude d’acteurs interagissent
selon une même logique : celle du « secteur informel ». Agriculteurs, éleveurs,
pécheurs, commerçants, transporteurs et artisans, sont – dans leur immense
majorité – des acteurs de « l’économie populaire ». Ils constituent le « corps
social » sur lequel les politiques agricoles et alimentaires devraient porter sans
exclusive. Il faut donc que lespolitiques alimentaires élargissent leurs champs
d’action au-delà du développement rural ou agricolesensu stricto. Le
développement des industries agro-alimentaires et des chaînes de valeur est
essentielle pour maintenir les jeunes dans les campagnes.
En troisième lieu, la grille de lecture opposant l’ « urbain » au « rural » n’est
plus pertinente.
Elle divise le réel et produit des politiques qui ne sont plus adaptées. Tous ces
opérateurs économiques que je viens de citer vivent aussi bien en milieu
urbain qu’en milieu rural. Les politiques doivent accorder beaucoup plus
d’importance à ce continuum social et spatial qui ignore complètement la
frontière devenue totalement artificielle entre la ville et la campagne.
Un quart des ruraux ouest-africains ne vivent pas de l’agriculture, de l’élevage
ou de la pêche. A l’inverse, une partie significative des habitants des villes
petites et moyennes, sont des agriculteurs, des éleveurs ou des pêcheurs.
En outre, à l’avenir, il est probable que la proportion d’urbains dans la
population souffrant d’insécurité alimentaire chronique grandira du seul fait de
la croissance plus rapide des villes. Aménager ces villes pour faciliter
l’économie populaire et augmenter les revenus qu’elle génère, faciliter
l’activité commerciale et la transformation agro-alimentaire (moins de
barrages routiers, moins de tracasseries, des statuts juridiques adaptés, etc.)
doivent figurer aux rangs des priorités des politiques de résilience alimentaire.
L’électrification rurale et la multiplication des pistes de désserte agricole sont
aussi essentielles.
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En quatrième lieu, si la connexion à la route et au marché ne suffit certes pas
à sortir de la précarité, elle en est cependant la condition première.
Les écarts entre la pauvreté des ménages agricoles et ruraux sont davantage
liés à la proximité et à la facilité d’accès au marché qu’a des critères agroécologiques.
Seize pour cent des Africains de l’Ouest vivent dans des zones de faible densité
situées à plus de 90 kilomètres d’un centre urbain. Mais la notion d’isolement
ne se mesure pas seulement par la distance. Une exploitation agricole peut
être située à quelques dizaines de kilomètres d’une ville, mais à 5 ou 10
kilomètres de la route qui y mène ; sans piste rurale pour accéder à cette
route. Dans une zone de ce type, un programme de développement d’activités
génératrices de revenus – qu’il s’agisse d’agriculture, d’artisanat ou de
commerce – a peu de chance de succès. Or, en 2000, la Banque mondiale
estimait que moins de 40 % de la population rurale avait accès à une route ou
à une piste rurale. On ne peut qu’encourager les responsables politiques à
poursuivre et amplifier leurs efforts en matière d’infrastructures rurales de
communication et de commercialisation.
Enfin, en cinquième et dernier lieu, je rappellerai simplement que les
politiques agricoles et alimentaires ouest-africaines ont toutes pour objectif de
nourrir une population en forte croissance et de plus en plus urbaine.
Mais au-delà de cet énoncé, nos débats ont – me semble-t-il – montré qu’il est
encore difficile de prendre réellement la mesure de ces phénomènes et d’en
intégrer les implications.
Non pas que les responsables politiques manquent de lucidité - ils ont au
contraire une pleine conscience de l’enjeu démographique – mais ils sont
confrontés à une contrainte majeure qui a été mise en évidence durant nos
travaux.
A savoir que les dynamiques à l’œuvre sont d’une telle rapidité que les
problèmes évoluent beaucoup plus vite que les solutions. La politique agricole
de la CEDEAO a été formulée il y a une dizaine d’année ; durant cette période,
la population ouest-africaine a augmenté d’un tiers (soit 70 millions
d’habitants en plus), les lignes ont bougé entre population rurale et urbaine,
agricole et non agricole, le contexte international a beaucoup évolué.
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C’est pourquoi la première recommandation qui pourrait être ici adressée aux
responsables politiques, est de mettre en place des mécanismes permanents
d’observation, de suivi et d’adaptation des politiques.
Ceci requiert notamment une remise à plat des tableaux de bord statistiques.
Ils sont aujourd'hui en partie « aveugles », incapables de capturer des
réalités essentielles qui doivent pourtant orienter les stratégies alimentaires
pour qu’elles soient réalistes et efficaces.
Il est anormal que les pays et organisations régionales de l’Afrique de l'Ouest
ne disposent pas de données harmonisées, donc comparables sur des facteurs
aussi importants que la population totale, urbaine, rurale agricole et non
agricole, formelle et informelle.
Il est de même choquant que les politiques ne puissent s’appuyer sur aucune
donnée relative à la consommation alimentaire des ménages et au commerce
régional.
C’est donc par ce plaidoyer en faveur de l’information au service des politiques
que je terminerai mon propos.
En n’oublient pas de souligner que les cinq points que je viens d’évoquer, sont
issus de vos travaux et de vos réflexions. Cette conférence témoigne de
l’extraordinaire vitalité de l’Afrique de l'Ouest en termes de réflexion sur les
politiques agricoles.
Comme vous le savez, le Club du Sahel et de l’Afrique de l'Ouest accompagne
ces réflexions depuis de nombreuses décennies. Sous l’impulsion de la
CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS, il continuera de le faire.
Vive l’agriculture ouest-africaine.
Je vous remercie.
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