la soumission volontaire a l`autorite

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la soumission volontaire a l`autorite
LA SOUMISSION VOLONTAIRE A L’AUTORITE
« Plus nous soupçonnerons les influences, plus nous saurons ce qu’est notre liberté. »
(Alain Etchegoyen)
• Usage et abus de la lecture du Logos comme fondation du pouvoir
"Control the manner in which a man interprets his world, and you have gone a long way toward
controlling his behavior. That is why ideology, an attempt to interpret the condition of man, is always a
prominent feature of revolutions, wars, and other circumstances in which individuals are called upon to
perform extraordinary action (…) Every situation also possesses a kind of ideology, which we call the
"definition of the situation" and which is the interpretation of the meaning of a social occasion. It
provides the perspective through which the elements of a situation gain coherence (…) There is a
propensity for people to accept definitions of action provided by legitimate authority. That is,
although the subject performs the action, he allows authority to define its meaning (…) Because the
subject accepts authority's defnition of the situation, action follows willingly"
(Stanley Milgram, "Obedience to authority", 1974)
Prenons l'exemple des démocraties.
Dans le climat de libertinage qui régnait au début du XVIIIème siècle, la révolution française
naît dans la rue. Des débats d'idées ont lieu dans les cafés.
Les "intellectuels" forment bientôt une nouvelle catégorie sociale, Voltaire étant considéré
comme le "premier intellectuel". Ni grand érudit, ni scientifique, c'est un auteur de pièces à
succès, un homme d'expérience qui s'adresse à d'autres hommes d'expérience. Peu à peu, les
philosophes s'imposent au monde en suivant une stratégie de conquête du pouvoir. Ils visent
l'Académie, les Salons, certains journaux, et le gouvernement lui-même.
Même les révolutionnaires américains, qui sont plus des hommes politiques de terrain que des
intellectuels, ont théorisé.
L’idéologie révolutionnaire de la raison empirique remplace celle de la croyance religieuse. Elle
procède du même mouvement descendant : les "lumières" illuminent les esprits, en irradiant comme le soleil- du haut vers le bas. Bien entendu, les intellectuels sont en haut. "La place des
paysans est au champ", dit Voltaire. L’autorité a défini la situation, lui a donné un sens. Le corps
social le gobe avec plaisir. La parole des philosophes répond à l'attente du peuple. Leurs écrits
deviennent des "best-sellers"1.
L’autorité est celui qui s’érige en interprète d’une réalité supérieure qui définit un système
idéologique de valeurs. « Ces valeurs (…) impliquent une direction, et c'est cette réalité supérieure qui
est porteuse d'autorité ; c'est elle qui d'ailleurs rend légitimes les divers commandements qui
s'imposeront aux membres du groupe »2
Et comme le constate Milgram, une fois le processus idéologique enclenché, l’obéissance de
l’agent à l’autorité n’a plus de limite : "once a definition of the situation has been projected and agreed
upon by participants, there shall be no challenge to it. Indeed, disruption of the accepted definition by one
participant has the character of moral transgression (…) They have given themselves to the authority ;
they see themselves as instruments for the execution of his wishes ; once so defined, they are unable to
break free".
Toute victime idéologique est prise au piège d’un cercle vicieux mimétique.
• L'obéissance est toujours volontaire, mais les volontés peuvent être manipulées
1
Dans un roman futuriste et utopiste de l'époque, Paris est un monde où la volonté est communautaire, où la
religion est laïque, et où les dieux sont les penseurs et les écrivains du passé.
2
Guy Rocher
1
« Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont
plus dangereux sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter,
comme Eichmann, comme Höss, le commandant d’Auschwitz, comme Stangl, le commandant de
Treblinka, comme vingt ans après, les militaires français qui tuèrent en Algérie, et comme trente ans
après, les militaires américains qui tuèrent au Viêt-nam. »
(Primo Levi, « Si c’est un homme » 1958)
Le sujet de l'autorité est ouvert à la voix de l'autorité, l'écoute, et la com-prend.
Il participe donc de la relation, librement.
De façon similaire, dans toute relation hiérarchique, le sujet est partie prenante.
Lorsque cette relation est perverse, la soumission du sujet est symptomatique de la même
maladie dont souffre le chef, les manifestations de leur pathologie relationnelle étant
complémentaires : le sujet et le chef sont des doubles en puissance.
Le sujet du roi admire le roi et, quelque part, aspire à l'égaler.
A contrario, selon Rousseau « Il est très difficile de réduire à l'obéissance quelqu'un qui ne cherche
point à commander, et le Politique le plus adroit ne viendrait pas à bout d'assujettir des hommes qui ne
voudraient qu'être libres ».3
Malheureusement, Hobbes n’a pas tort lorsqu’il met « au premier rang, à titre d'inclination
générale de toute l'humanité, un désir perpétuel et sans trêve d'acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui
ne cesse qu'à la mort ». Son "Léviathan"4 est le Serpent-désir mimétique…
Un ancien membre des jeunesses hitlériennes témoigne de son expérience de la hiérarchie :
« Chacun essayait d’obtenir une nouvelle fourragère ou un nouvel insigne, ou n’importe quoi, une
promotion. C’était ça, le fond de l’affaire. En Allemagne, tout le monde pouvait devenir quelqu’un et
commander à un autre qui avait de son côté une autre position et qui commandait à d’autres. Il n’y avait
quasiment personne qui n’occupait pas une quelconque position»
3
4
"Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes", 1755
1651
2
• L'efficacité du sentiment de liberté dans le processus d'engagement : l'"effet de gel"
Les discours émis par les autorités néfastes insistent souvent sur le libre arbitre de leurs
« sujets ».
Comme tout propos mensonger, il travestit une vérité. Certes l’homme est libre, mais la relation
mimétique que lui propose l’autorité néfaste en ferait un agent.
Agent d’autant plus efficacement influencé qu’il est empreint du discours de l’autorité, discours
auquel il peut se référer par la suite.
Dans les faits, l'agent se comportera comme s'il obéissait à un commandement, mais son
sentiment sera différent.
En somme, ainsi que le constate Milgram, aucune soumission ne perdure autant qu'une
soumission "librement" consentie : "The psychological consequence of voluntary entry is that it
creates a sense of commitment and obligation".
Plus le futur chef fait croire au futur agent qu'il est libre de prendre la décision initiale d'entrer
dans le processus d'obéissance, plus l'agent se sentira lié par ladite décision : "Les gens ont
tendance à adhérer à ce qui leur paraît être leurs décisions et donc à se comporter en conformité avec elles
(…) c'est en s'accrochant à leurs décisions que les gens peuvent perdre tout contrôle sur les
évènements".5
Des expériences sociologiques ont montré qu’une faible récompense engage plus qu'une forte
récompense.
En effet, le fonctionnement de la récompense peut être perçu comme contraignant, en tant qu’il
crée une obligation chez le sujet. Or encore une fois, plus celui-ci se sent libre de s’engager, plus
il va s’engager.
De même, si vous demandez à quelqu’un d’accomplir un acte, ne donnez qu’une faible
justification.
Plus vous justifiez lourdement votre demande, plus elle exerce une pression sur le sentiment de
liberté de votre agent potentiel.
C'est aussi parce que l'expérience de Milgram se passait dans le ventre mou d'une démocratie
(où, en l’occurrence, l’on peut répondre librement à une offre d'emploi émanant d'un institut de
recherche) que la manipulation a pu être si efficace. Si l'on avait fait passer ce test à des gens
contraints et forcés, il aurait fallu "mobiliser" également plus de substrat idéologique pour
justifier l'action.
En effet, lorsque les autorités néfastes en arrivent là, par exemple lorsqu’elles mobilisent pour
faire la guerre, elles ont le machiavélisme de brandir la liberté comme justification…
Il reste qu’à un bon soldat, on demande plus qu’un engagement intellectuel… Et l’on obtient
plus…
5
R.V. Joule, J.L. Beauvois, « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens », 1987
3
• Les actes engagent bien plus que les paroles
"cette focalisation sur l'analyse des croyances et des sentiments a pour seul intérêt de faire diversion et de
détourner l'attention de l'individu de ces mille petits comportements dérisoires qu'on lui extorque et qui
peuvent suffire à générer les actes moins dérisoires (…) l'individu est engagé dans un acte et non vis-àvis d'une personne particulière…"
(R.V. Joule, J.L. Beauvois)
L'engagement est le précisément le lien qui existe entre l'individu et ses actes.
Selon les tenants de la théorie de l'"auto-perception" (Spinoza, Alain…) l’homme n'a pas une
connaissance directe de ce qu'il est : il se définit par induction, en analysant ses actes.
Plus il l’impression d’agir dans un contexte de liberté, plus il y voit le reflet de sa personnalité.
Pour les spécialistes de la manipulation Joule et Beauvois, "Tout se passe comme si ce
comportement révélait à l'individu quelque chose de lui (convictions, croyances…) dont la fonction serait
alors de rendre plus probable l'émission de comportements ultérieurs, même plus coûteux, en conformité
avec cette nouvelle connaissance"
Différentes techniques commerciales témoignent de la compréhension de ce phénomène par le
Serpent-désir de l’idéologie mimétique dominante.
Dans la stratégie d'amorçage/fait accompli, afin d’amener le sujet à décider de faire ce qu'on
souhaite le voir faire, l'amorçage consiste à l’appâter avec une proposition affriolante (ou dont
le coût réel est caché), ou à l'accrocher par une question bénigne à laquelle on ne peut répondre
que par "oui"…
"Location d'une somptueuse villa. Possibilité de revenir sur son engagement"…
"Menu à 55 F". Et en petit, sur la carte : "sans boisson, sans service" ; ou "uniquement jusqu'à
13h30"…
Mis devant le fait librement accompli, le sujet manipulé va avoir beaucoup de mal à revenir sur
sa décision.
Une autre technique - le "pied dans la porte"- est d’extorquer au sujet (avec l’aide éventuel d’un
petit contact physique) un acte préparatoire non problématique et peu coûteux. Puis,
idéalement de manière implicite et après un évènement apparemment fortuit, demander l’acte
plus coûteux.
Qui n’a jamais goûté un produit offert par une commerciale bien placée sur le parcours des
rayons d’un supermarché ?
Notons que cette méthode fut utilisée avec succès par les Chinois lors de la guerre de Corée
pour endoctriner les prisonniers américains : « the Chinese would greet each prisoner with a smile, a
cigarette, and a handshake (…) repeating to them such simple slogans as "Be a fighter for peace". Anyone
who showed hesitation was asked : "Are you for peace ? Of course you are. Every intelligent person is
(…)" The prisoner was then asked to sign a peace appeal (…) they soon found that, having put thier
heads in the noose, it was difficult to escape… »6
Quand l'agent a accompli le premier acte, et dès qu'il a pris la décision d'accepter le deuxième
(plus coûteux), avant même qu'il l'ait accompli, formuler de manière explicite une troisième
demande encore plus coûteuse, mais similaire à la seconde. Cette proposition constitue une
justification clef-en-main (en acte) de la décision initiale de l’agent, avant qu’il n'ait eu le temps
et le besoin de rationaliser. Cela rappelle les techniques de « distraction » imaginées par Orwell
6
J.A.C. Brown
4
dans « 1984 » : « La voix du télécran qui criaillait dans son oreille l’empêcha de suivre plus loin le fil de
sa pensée. ».
Dans la technique du "door-in-the-face", c’est le processus inverse : on formule une requête
démesurée, inacceptable, puis dans la foulée, une autre qui s'inscrit dans le même projet mais
dont le coût est moindre (plus "avantageuse").
L’astuce consiste à légitimer les deux requêtes (surtout la première) par une noble cause pour
faire apparaître le solliciteur comme une personne digne et respectable.
Dès lors, le sollicité est mis dans une position mimétique d'admiration/compétition : soit il est
flatté qu'on le sollicite, soit il se sent merdeux d'avoir refusé et est plus enclin à accepter une
autre demande…
Une autre explication de l'efficacité de cette technique tient dans ce que la deuxième requête
apparaît comme une concession, qui -selon la norme sociale de "réciprocité"- entraînerait
l'exigence d'une concession de l'individu sollicité.
On comprend qu’"En fait, ce qui définit une relation de pouvoir, c'est un mode d'action qui n'agit pas
directement et immédiatement sur les autres, mais qui agit sur leur action propre. Une action sur
l'action, sur des actions éventuelles ou actuelles, futures ou présentes"7
Selon Spinoza, un pouvoir absolu peut être modéré et garantir la liberté de penser.
C'est le despotisme éclairé prôné par Catherine II la Grande8, Napoléon ou de Gaulle. Le
pouvoir s'exerçant sur les actes, non sur les consciences, ce ne serait qu'à (!) la liberté d'agir
selon leur propre décret que les hommes renonceraient en se soumettant à ce type de pouvoir.
Mais dans quelle mesure l’homme qui vit le grand écart « schizophrénique » entre ses actions et
sa conscience peut-il rester libre ?…
7
8
Michel Foucault, "Dits et écrits"
Princesse allemande, impératrice de Russie à la fin du XVIIIème siècle.
5
• Y a-il une autorité purement "libérale" ?
"A tout corps, il faut une tête. Toute communauté a besoin d'un chef. Le problème est d'avoir des règles
et des chefs non-violents. Gandhi gouvernait les siens sans jamais recourir à la contrainte, aux menaces,
aux sanctions.".
Je suis d’accord avec Lanza del Vasto, mais ne pas recourir à la contrainte, aux menaces, aux
sanctions ne garantit rien quant à la qualité du rapport d’autorité.
Des expériences ont montré qu'avec les enfants, on arrivait bien mieux à obtenir un
comportement par l'incitation que par la menace.
La pédagogie de la liberté ne manque pas d'efficacité, mais elle ne conduit pas nécessairement
l'enfant à construire ses propres normes et valeurs. Elle le conduit plutôt à s'approprier le désir de
l'adulte.
Dès lors, elle peut devenir pernicieuse, comme l’expliquent Joule et Beauvois : "A la transmission
que peut réaliser une pédagogie de la prescription, elle substitue l'intériorisation, le dominé en venant à
considérer comme siennes les normes et valeurs qui ne sont autres que celles du dominant (…) Ainsi, là
où l'enfant soumis à une éducation prescriptive et autoritaire prend position par rapport à des valeurs
qu'il situe clairement dans son environnement (je dois prêter mes affaires parce qu'on me dit que c'est
bien), l'enfant soumis à une pédagogie de l'engagement parle de ces mêmes valeurs comme si elles étaient
siennes, comme si elles venaient de lui-même (j'aime faire plaisir parce que je suis un enfant bien). En
somme si le premier est confronté à des valeurs auxquelles il peut adhérer ou auxquelles il peut s'opposer,
le second fait l'économie d'une prise de position…"
Il n'y pas d'éducation sans autorité, instance qui transmet une influence, de gré, de pseudo-gré,
ou de force…
N'est-ce pas conforme à la dynamique de la vie ? La reproduction sexuelle ne s'inscrit-elle pas
dans une processus plus global de reproduction- perpétuation de l'espèce ?
Et le surmoi (instance de l’appareil psychique humain) ne correspond-il pas à l'internalisation
des parents à la fois comme idéal et instance de contrôle du moi (représentant de la réalité) ?
Et la psychanalyse justement, parlons-en… Elle entend libérer les nœuds relationnels en créant
un engagement à une autorité. "Qu'on le veuille ou non, une psychanalyse a toutes les propriétés d'un
piège abscons", remarquent Joule et Beauvois. Comment une "aliénation volontaire" peut-elle
opérer une libération psychique ?
En fait, le processus analytique a l'apparence d'un piège abscons parce qu’il met en scène un
engagement. Un engagement avec soi-même… La psychanalyse met en scène le monologue
intérieur. Voilà pourquoi la relation avec le psychanalyste doit être strictement limitée au
cadre9, qui représente l’espace de la parole intérieure. Dans cet espace, parfois l'analyste joue au
miroir : il est le témoin de ce qui parle en vérité chez le patient ; il accueille sa parole en double
silencieux. Parfois l’analyste est le tiers qui observe le reflet projeté par le patient. D’autres fois
encore, son rôle est plus actif : il réagit au reflet et révèle quelque chose.
Il faut que la théâtralité du processus soit claire pour que l’engagement ne soit pas perverti. Si
l’engagement de l’analysé ne se fait pas par rapport à lui-même, c’est qu’il a un problème avec
son surmoi.
De l’autre côté, investi de l’image de celui qui sait tout, l’analyste court le risque de jouer le rôle
que son patient voudrait lui faire endosser : celui qui tire les ficelles. Et de faire replonger
l’analysé dans une dépendance infantile10. L’analyste doit respecter l’interdit de ne pas manger
l’autre…
9
Lacan n’hésite pas à prendre en analyse plusieurs membres d’une même famille, voire ses maîtresses. A sa mort
en 1981, il était richissime.
10 « M’eût-il demandé de le rejoindre aux antipodes pour une entrevue de vingt secondes à dix millions, j’aurais trouvé
l’argent et j’y serais allé. »
(Pierre Rey, « Une saison chez Lacan »)
6
• La question de la légitimité de l'autorité
L’anarcho-capitalisme a accrédité l’idée que se donner des lois est cruel et ne confine qu’à une sorte de
masochisme insupportable . Et il renvoie cyniquement ceux qui auraient besoin d’un supplément d’âme
au puritanisme obscurantiste. Il faut pourtant rappeler que les philosophes des Lumières, comme JeanJacques Rousseau et Emmanuel Kant, disaient que la liberté ne consiste en rien d’autre qu’à obéir aux lois
que l’on s’est données. En fait, nous avons besoin de véritables lois juridiques et morales, et non de ces
succédanés moralisants, pour rendre enfin la justice, pour sauvegarder le monde avant qu’il ne soit trop
tard, pour préserver l’espèce humaine, menacée par une logique aveugle. Or nous sommes en train
d’abroger toutes les lois, sauf celle du plus fort…
(Dany-Robert Dufour, in « Le Monde Diplomatique », avril 200511)
S’il n'y a d'autorité qu'acceptée, l'autorité est par définition une influence légitime. « Autorité
légitime » est une formule pléonastique.
Pourtant une autorité reconnue et acceptée peut manipuler les libertés et les soumettre sans
contrainte. Pour éviter d'être dupé par le pouvoir qui veut se parer de la légitimité de l’autorité,
il faut se poser la question : qu'est-ce qui est légitime ?
Cela nous entraîne dans la problématique de la loi / Loi. Nous y reviendrons de manière plus
approfondie en conclusion de chapitre.
Selon Céline Spector, « Toute une tradition s'accorde à faire de l'autorité paternelle un modèle des fins
comme des modalités de l'exercice du pouvoir (…) C'est cependant en s'émancipant des théories
paternalistes du pouvoir que se construiront les différentes versions du contrat social ».
Et pour les républicains, la loi qui s'applique sans distinction à tous, y compris aux magistrats,
est le seul pouvoir qui, n'induisant pas de dépendance, de hiérarchie ou d'asymétrie, permette
de sauver l'autonomie.
Pour Rousseau, grâce au contrat, on passe de la "liberté individuelle" (qui n'a pour bornes que
les forces de l'individu) à la "liberté civile" (bornée par la volonté générale) et à la "liberté
morale"."Car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est soi-même
prescrite est liberté"12.
Selon moi, ni l’autorité paternelle ni celle du contrat social ne constitue un modèle.
Dans la première partie, nous avons vu que les rapports contractuels étaient institués par les
fils, après qu’ils aient tué le père tyrannique.
Quelle que soit la forme de la légitimité, le rapport autoritaire peut masquer un rapport de
domination.
Les disciples de Machiavel le savent bien, eux pour qui l'art de gouverner se ramène à l'art de la
guerre, même s’ils combattent avec les lois.
La violence joue, dans l'histoire, un rôle tout à la fois fondateur et permanent. De violence
passionnelle et démesurée, elle devient, dans les mains de l'Etat, l'instrument d'un châtiment
fondé sur le droit. Tout pouvoir se dit légitime. C'est l'hommage rusé que la violence rend à la
justice humaine, lorsque l’esprit dominateur sait, comme Rousseau que « Le plus fort n'est jamais
assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir ».
Ainsi l’ambitieux trouve dans la démocratie un régime qui, en donnant aux sujets l'illusion de
la participation et de la liberté, lui confère presque automatiquement l’aura de l’autorité.
Pour Maurice Merleau-Ponty, "Ni pur fait, ni droit absolu, le pouvoir ne contraint pas, ne persuade
pas : il circonvient - et l'on circonvient mieux en faisant appel à la liberté qu'en terrorisant."13
11
« L’homme modifié par le libéralisme – De la réduction des têtes au changement des corps »
"Du contrat social", 1762
13
"Signes", 1960
12
7
Circonvenir (du latin "circumvenire"= venir autour, assiéger, accabler), c'est agir sur quelqu'un
avec ruse et artifice, pour parvenir à ses fins, obtenir ce que l'on souhaite.
Fuck aux circonvolutions de la raison pratique kantienne qui aboutissent à la conclusion que
tout pouvoir vient de Dieu14 ; que tout ce qui est illégal est illégitime ; que le peuple, constitué
en instance de décision unifiée par l'institution du souverain, ne peut se révolter contre ce
dernier car ce serait "illogique", une erreur juridique. La logique de Kant ne me paraît pas très…
morale.
14
Idem pour Hegel.
8