Runaway train anna r

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Runaway train anna r
Runaway train d'Andrei Konchalovsky Anna Roelants Hypokhâgne Lycée Jean-­‐Pierre Vernant Runaway Train est un film puissant par la violence avec laquelle il attrape le spectateur et
le jette sans ménagement dans son univers glacial. Manny, le prisonnier le plus confiné et
surveillé d'une prison à haute sécurité tente de s'évader. Considéré comme un héros par les autres
prisonniers, Manny reçoit l'aide de Buck, un jeune prisonnier exalté et téméraire qui décide alors
de suivre son idole dans son évasion. Ayant réussi à fuir la prison perdue au milieu d'un désert de
neige et de glace, les deux évadés parviennent à monter dans un train de marchandises dont le
conducteur décède brutalement d'une crise cardiaque ; le train s'emballe. Manny et Buck tentent
de ralentir la course folle de la locomotive, passant d'un wagon à l'autre cherchant à la fois à ne
pas se faire broyer par le monstre et à ne pas se faire abattre par les policiers lancés à leur
poursuite.
Le choc violent que ce film produit est en partie crée par les nombreux jeux de contrastes.
C'est pourquoi, de la même façon que Manny et Buck passent de cet espace carcéral sombre,
étouffant et confiné à celui de la blancheur aveuglante des plaines enneigées et au souffle acéré
de la locomotive, le spectateur assis dans une salle souterraine se retrouve propulsé à son tour et à
toute vitesse dans ces étendues aveuglantes et infinies. Notons d'ailleurs que le générique
d'ouverture préfigure cette violence du choc et du contraste par les grandes lettres en capitales
rouge sur fond noir.
La très belle composition des images repose souvent sur un jeu de clair-obscur – créant là
encore une sensation violente de contraste – ainsi que sur de nombreux jeux géométriques qui
viennent découper l'image, enfermant parfois les personnages et le spectateur.
S'il est vrai que le train est montré à l'image par de nombreux – et magnifiques – plans
larges replaçant l'action dans l'espace et reflétant la vitesse de l'engin, il n'en demeure pas moins
que des plans rapprochés et des gros plans permettent d'isoler certaines parties du train. Le
caractère abstrait qui en découle crée des plans d'une grande beauté qui accentuent la
transformation du train en véritable monstre.
Et pourtant, même si la sensation de se retrouver piégé dans le ventre d'un monstre d'acier
fou reste prédominante, on ne peut s’empêcher d'être déçu. Nous suivons Manny et Buck dans
leur évasion incertaine et pénible qui, notamment à travers les plaintes et les commentaires de
Buck, est très vivante et prenante pour le spectateur qui partage avec son imagination les
sensations des personnages et tout particulièrement celles de Buck. Nous étouffons avec eux dans
les égouts, nous sommes transis de froid dans leur marche à travers la neige. C'est pourquoi
retrouver le motif narratif du train qu'on ne parvient pas à arrêter pose aujourd'hui une légère
déception. La mort très artificielle du conducteur renforce cette idée...
De plus, le passage des séquences du train à celles du bureau d'aiguillage, bien que
justifiées dans la trame dramatique, produit un effet de contraste important qui tend à provoquer
une sorte de déception... Nous ne sommes plus au milieu de plaines enneigées avec un homme
cherchant à réchauffer ses pieds gelés, mais dans un bureau d'aiguillage avec un employé qui
s'ennuie en buvant du café. En effet, le rythme, au lieu d'atteindre un climax rapidement espéré
dès la première partie du film, est brisé, reprenant du début une nouvelle montée en puissance.
Cette dernière parvient à atteindre une très forte puissance dramatique à la fin du film, mais le
passage d'une montée dramatique enclenchée dés le début du film, à l'enclenchement d'une
nouvelle peut expliquer une certaine déception et longueur ressenties au milieu du film.
Runaway Train se clôture par une magnifique explosion dramatique bien plus forte que
celle attendue dans la première partie. C'est pourquoi, ce qui pourrait peut-être passer comme un
défaut de construction n'est autre qu'un moyen d'accentuer davantage la puissance d'attraction du
film. La construction générale se voit comme un reflet des sensations de Buck et Manny. Ils
pensent avoir réussi leur évasion lorsque le train les emmène loin de la prison et laissent retomber
la tension accumulée jusque-là. Malgré tout, cette dernière reprend inconsciemment une montée
bien plus forte et dangereuse, puisqu'on découvre peu à peu que rien ne pourra arrêter la course
folle du train, que rien ne pourra les sauver.
Mais ce qui fait probablement la plus grande puissance hypnotique de Runaway Train
réside dans l'ambiguité omniprésente qui en ressort. En effet, le train oscille sans cesse entre
symbole de liberté – à l'image des plaines infinies qu'il transperce et du moyen d'évasion qu'il
représente – et symbole d'emprisonnement et de mort ; les trois personnages étant peu à peu
condamnés à mort. Les différents wagons du train se transforment en cellule dont il est
impossible de sortir puisque violemment gardée par le froid et la vitesse. Cette ambiguité est tout
particulièrement incarnée par les dernières séquences du film. La liberté trouvée par Manny est
teintée de mort, celle supposée de Buck est peut-être vouée à un autre enfermement.
Runaway Train semble peut-être caricatural aujourd'hui par le motif du train ou encore la
construction stéréotypée des personnages, à l'image du méchant et sadique policier. Malgré tout il
n'en demeure pas moins que le film parvient à les dépasser, en nous montrant une psychologie
subtile des rapports humains qui, bien que légèrement datée, reste aujourd'hui efficace,
intéressante et très puissante. Runaway Train, en jouant sur la vitesse et la violence, parvient avec
beauté, à refléter dans l'acier gelé d'un train perdu, l'impact du souffle étouffant de la liberté sur
l'homme, sur les rapports humains, et sur le monde.