Liberté d`association des militaires

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Liberté d`association des militaires
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DROIT ET INSTITUTIONS
n° 117
Liberté d’association des militaires
Le 2 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a
rendu deux arrêts condamnant la France pour violation des stipulations
de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, consacrant la liberté de réunion et d’association, dans une affaire opposant à
sa hiérarchie un officier qui avait créé une association professionnelle. Ces
décisions ont provoqué un grand émoi au sein de la communauté militaire
française et ont amené le président de la République à envisager une modification des textes en la matière.
La portée de l’arrêt
La CEDH rappelle que l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à tous
le droit à la liberté d’association. Si elle a reconnu l’existence d’institutions
de concertation et de procédures de participation dans les armées françaises,
elle a cependant considéré qu’un tel dispositif ne saurait se substituer à la
reconnaissance d’une liberté d’association au profit du personnel militaire.
Elle conclut que, si l’exercice de la liberté d’association des militaires peut
faire l’objet de restrictions légitimes compte tenu de la spécificité des missions de l’armée qui autorise des restrictions, mêmes significatives, ces restrictions ne doivent pas priver les militaires du droit général d’association
pour la défense de leurs intérêts professionnels et moraux. Une interdiction
pure et simple de ce droit est disproportionnée et n’est pas « nécessaire dans
une société démocratique ». Elle constitue donc une atteinte à cette liberté
prohibée par la Convention.
Cadre juridique français jusqu’alors
Le Code de la défense posait pour les membres des forces armées une
interdiction de principe du droit d’association ou de groupement professionnel. Son article L.4121-4 disposait en effet que « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des
militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire ». L’interdiction présente dans
le droit français est un héritage de l’histoire de France, réaffirmé en 2005
lors de la modification du statut. La commission de révision du statut géné-
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ral des militaires, en 2003, avait en effet préconisé le maintien d’une telle
interdiction en considérant que les responsabilités incombant à la France
au sein d’instances telles que l’ONU ou l’OTAN, l’organisation et la mise en
condition de l’armée à des fins opérationnelles, et les devoirs des militaires
de discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité, n’étaient pas compatibles
avec le droit des militaires de se regrouper pour la défense de leurs intérêts.
Cette interdiction était jusque-là considérée comme conforme aux exigences
constitutionnelles et compatible avec les engagements internationaux de la
France. Le législateur avait, néanmoins, simplifié le droit d’association non
syndicale. La France dispose en outre d’un dispositif complet de dialogue
interne au sein des forces armées et, depuis 2005, d’un Haut comité d’évaluation de la condition militaire, organe indépendant chargé de conseiller le
président de la République et le Parlement, dont l’existence est consacrée par
l’article L.4111-1 du Code de la défense. Mais la Cour a estimé ces éléments
insuffisants au regard du droit garanti par l’article 11 de la Convention.
Les nouvelles dispositions statutaires
La décision rendue par la CEDH a amené le président de la République à confier la réalisation d’un projet de loi pour l’application des
mesures nécessaires au respect de cette décision, aux ministres de la Défense et de l’Intérieur. C’est ainsi que la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015
a modifié en ce sens le Code de la défense. L’article L.4121-4 de ce code
prévoit que les associations professionnelles nationales militaires sont
désormais autorisées ; elles ont pour objet de préserver et de promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire.
Ces associations auront leur place dans la concertation, notamment en siégeant au CSFM Air (Conseil supérieur de la fonction militaire). Elles sont
exclusivement constituées de militaires de carrière, sous contrat ou réservistes. Elles représentent les militaires, sans distinction de grade, appartenant
à l’ensemble des forces armées et des formations rattachées ou à au moins
l’une des forces. Toutefois le législateur a réaffirmé que l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des
militaires en activité à des groupements professionnels, sauf dans les conditions permises, sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
Sous la haute direction de madame Odile Fuchs-Taugourdeau, magistrate, présidente de
chambre à la cour administrative de Paris
Adjudant Valérie Grillet
Rédactrice au CESA