Lis tes ratures

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Lis tes ratures
Lis tes ratures
Maintenant, je suis morte. En fait, ça fait un moment mais bon, la mort a ceci de bien qu’elle
est intemporelle. Les jours se suivent et on n’attend plus rien. Enfin, je ne crois pas en la
réincarnation : j’aurais trop peur de finir dans la peau d’une huître ou pire, d’une mauvaise actrice.
Imaginez-moi dans le corps de Marion Cotillard : plutôt mourir une seconde fois.
Pour passer le temps, je raconte ma vie à ceux qui vont et viennent. Récemment, c’est à
Leonard Cohen que j’ai tout expliqué. Il en a de la chance lui, peu peuvent se vanter d’être mort deux
fois. Moi, certaines personnes pensent encore que je me suis suicidée, si seulement j’en avais eu le
courage. Non, ce sont les opposants politiques de Kennedy qui ont monté le coup. Enfin, quand je
vois que ce qu’il reste de moi, c’est les représentations de Warhol et ma robe qui se soulève, je me
dis qu’il valait mieux abréger. J’étais la blonde pulpeuse sans oscar.
Quand, à l’époque de Certains l’aiment chaud, je trimballais mon bouquin pour avancer ma
lecture, tout le monde se disait : « Non, pas possible, elle fait semblant. ». Non, je lisais bel et bien
Ulysse de Joyce avec beaucoup de consternation certes, mais je le lisais. J’étais au dernier chapitre et
je me disais : « Moi, je reste silencieuse, paisible, attentionnée et elle, elle piaffe sans arrêt sans
même savoir ce qu’elle raconte. Faites-la taire, tuez-moi cette Molly Bloom ! Quelle connerie ce
livre ! » Mais je l’avais lu, quoi qu’en disent mes détracteurs. Leonard croyait que je l’avais lu juste
pour emmerder mes fans débiles qui pensaient que je n’étais bonne qu’à aguicher. « Pas du tout », je
lui ai dit, « je lisais beaucoup, tu vois. Un peu de tout, de ci de là. Et je me questionnais. D’ailleurs,
depuis que j’ai crevé, je profite de mon éternité pour lire. J’ai découvert Kafka, Orwell et tant
d’autres. J’ai même pu rencontrer Joyce et lui cracher à la gueule. Quel soulagement ! »
Et je continuais, et Leonard m’écoutait. Puis, quand j’ai eu terminé mon autobiographie
orale, on a débattu sur le prochain qui nous rejoindrait. « Moi, je te parie que Clint Eastwood n’en a
plus pour longtemps. » « J’en serais pas si sûr, il s’accroche, il est teigneux le bougre. Je miserais
plutôt sur Kirk Douglas. Cent ans, c’est le début de la fin. »
Il était marrant Leonard, et sympa avec ça. Moi, j’ai recommencé à lire jusqu’à ce que le
prochain arrive. Ou la prochaine, qui sait ? Peut-être que la Reine d’Angleterre va se décider à
claquer.