Le leadership a-t-il un avenir
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Le leadership a-t-il un avenir
Tribunes INSTITUT DU LEADERSHIP BPI group Juin 2012 Le leadership a-t-il un avenir ? Les termes d’une crise du leadership Michel Bré – Coach chez Leroy Dirigeants Lorsque j’ai entamé la rédaction de l’article Le Leadership a-t-il un avenir? J’avais prévu de l’organiser en trois parties, successivement : • Le cadre historique du leadership • Les modèles de leadership • les termes d’une crise du leadership La rédaction de cette troisième partie m’a conduit à des développements plus importants que prévus, ainsi fera t-elle l’objet de trois articles. Le premier, cijuillet 2010 dessous, aborde la période 60-70, au cours de laquelle les entreprises se sont fortement transformées en raison des évolutions de la société, des exigences de la concurrence et de l’introduction de l’informatique. Le second article (3.2/3), à paraître en juin, traitera du leadership qu’il est convenu de qualifier depuis les années 80 avec James MacGregor Burns, de leadership transformationnel. Celui-ci se produit en rupture avec les formes de leadership antérieures. Il valorise comme jamais cela n’avait été fait auparavant, les qualités charismatiques et de visionnaire du manager. Le troisième article (3.3/3) abordera la période actuelle et l’émergence de nouvelles formes collaboratives de travail en relation avec l’affirmation d’une nouvelle forme de capitalisme, celle de l’économie de la connaissance. Les entreprises des années 70 en France, un exemple du passage d’un monde à un autre Tandis que dans les années 60 s’élaboraient, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, les modèles de leadership dans les universités américaines, les cadres en France partageaient une conception autoritaire du pouvoir hiérarchique, la culture du secret et, passages obligés de l’information, renforçaient leur autorité en usant de sa rétention. Ce n’est que peu à peu, notamment après 68, ainsi que sous l’influence croissante des techniques managériales venues des États–Unis, que d’autres manières de diriger firent leur entrée dans les entreprises. ©Institut du Leadership - BPI group Lorsqu’en 1970, Michel Crozier publie La société bloquée, il décrit une société française centralisée, bureaucratique et paternaliste, dirigée par une élite sûre de sa supériorité, dans laquelle l’individu se fond et se protège dans l’anonymat des organisations et la dilution des responsabilités. Toutefois, le monde s’accélère, la concurrence devient plus dure et une ère de changement permanent s’impose à tous. Les organisations deviennent plus complexes. Cette complexité appelle de nouveaux comportements de la part des communautés qui les composent. Obéir aux règles et procédures n’est plus suffisant pour garantir les performances attendues. Michel Crozier souligne deux facteurs qui contribuent aux transformations alors engagées : la pénétration récente de l’informatique dans les entreprises et l’importance acquise par l’innovation dans le développement économique. www.institut-leadership-bpi.com Michel Bré Coach chez Leroy Dirigeants depuis 2008. Une expérience de plus de 25 années dans différents secteurs de l’industrie et des services passées à participer à des projets de transformation ou à les diriger. Auteur d’un blog sur l’identité professionnelle. http:// www.michelbre.fr/ Diplômé en psychologie sociale de l’Université Paris V. 2 INSTITUT DU LEADERSHIP BPI group - Le leadership a-t-il un avenir ? chapitre 3 - juin 2012 L’introduction de l’informatique ne peut se réaliser sans un renforcement de la standardisation des processus de travail, et pour cette raison, remet en cause d’anciennes manières de travailler. Ce qui apparaît alors comme une demande de plus de transparence suscite méfiance et résistance auprès d’une partie de l’encadrement. Mais l’informatique favorise également l’expression de nouvelles formes d’autonomie. Les rapports entre l’individu et le groupe de travail entrent dans une lente recomposition qui se poursuit jusqu’à nos jours. Les usages d’Internet en sont une parfaite expression. Le pilotage de l’innovation, quant à lui, souligne Michel Crozier, se pose, pour les entreprises, en des termes nouveaux. L’innovation avait longtemps été pensée dans le cadre d’une approche essentiellement économique, comme résultant des politiques d’investissement. Mais les exigences de compétitivité accrue, telle qu’elles se font jour à la fin des Trente Glorieuses, révèlent l’importance des facteurs organisationnels et culturels de diffusion de l’innovation. La conduite du changement devient un enjeu majeur des entreprises. Mais tandis que tant se focalisent sur les résistances des individus au changement, Michel Crozier propose de tourner le regard vers les capacités intrinsèques des entreprises à se transformer. L’innovation, même nécessaire, est susceptible de se heurter à la maturité intellectuelle ou émotionnelle de l’organisation. Elle peut remettre en cause les situations établies et les équilibres internes. La direction de l’entreprise peut elle-même reculer devant de telles perspectives. Pour ces raisons, les groupes sont spontanément conservateurs. Les innovations sont le fait d’individus. Ceux-ci sont soumis aux pressions du groupe. Ils sont soumis aux contradictions entre leurs valeurs, la promotion de leurs idées et le souci de leur protection personnelle. Les entreprises doivent donc, pour protéger ces individus et encourager l’innovation, établir des règles du jeu qui favoriseront les échanges des idées, la créativité, les pratiques collaboratives. Sans de telles dispositions, le management court le risque de se retrouver impuissant à promouvoir les changements, de tenir des discours incantatoires, voire de se tenir en retrait. L’information peut être à sens unique, la communication est un échange. L’efficacité devient tributaire de la qualité de la communication entre les dirigeants et leurs équipes. Les premiers ont besoin d’établir un lien rapide, direct avec les secondes. Les dirigeants d’entreprise s’étaient concentrés jusque-là sur la technique et la gestion. La période rend nécessaire qu’ils investissent le registre de la politique de l’entreprise pour en inventer des formes nouvelles. Les conditions d’apparition d’un nouveau type de manager, communiquant, créateur de nouvelles organisations et tirant son prestige d’une relation personnelle avec l’ensemble du personnel, se précisent. La rationalité limitée, une nouvelle vision de l’action et de la décision ©Institut du Leadership - BPI group L’approche taylorienne du travail se concentre sur l’analyse technique de tâches simples, répétitives et sur les modalités optimales de leur exécution. La place de l’individu est celle d’une composante nécessaire à la machine pour que celle-ci atteigne le niveau de performance pour lequel elle a été conçue. Partant de là, les spécialistes ont espéré un temps découvrir les lois qui les guideraient vers la conception de la meilleure organisation possible du travail. Comment en effet relier les postes de travail, les ateliers et les bureaux entre eux de façon optimale ? Quels sont les principes à suivre pour s’assurer d’une coordination optimale afin d’atteindre les objectifs de production ? Comment passer de l’activité de l’individu à celle d’un groupe tout entier aussi complexe qu’une usine ? Au cours des trente premières années du XXème siècle, les spécialistes ont tout d’abord imaginé y parvenir par le recours aux mathématiques. Le calcul des combinaisons des salariés entre eux, nécessaires à l’accomplissement des tâches, devait conduire à la découverte des meilleurs regroupements des individus et des activités. Bien que séduisante, cette voie ne déboucha que sur des résultats très généraux n’offrant aucune utilité pour résoudre les problèmes de coordination. Le savoir-faire empirique demeurait irremplaçable. La raison en est qu’en considérant implicitement les individus comme des instruments passifs appelés à réaliser les tâches qui leur ont été assignées, le taylorisme passait à côté www.institut-leadership-bpi.com 3 INSTITUT DU LEADERSHIP BPI group - Le leadership a-t-il un avenir ? chapitre 3 - juin 2012 de bien d’autre facteurs essentiels tels que la motivation à appartenir à un groupe et à y travailler, les conflits internes au groupe, les réactions imprévisibles des individus aux situations, leur compréhension des objectifs, leurs capacités intellectuelles. Les individus réinterprètent en permanence les données dont ils disposent, y compris dans les cas des tâches les plus précisément détaillées. La situation de travail, aussi rigoureusement, voire scientifiquement organisée, planifiée et hiérarchisée soit-elle, conserve ainsi un élément de contingence irréductible. L’École des relations humaines renouvela l’attention portée aux facteurs psychologiques et sociaux sur l’activité des groupes. Elle mit en évidence leurs effets sur la motivation et l’efficacité des organisations. Elle ne parvint pas pour autant à fournir d’explications quant à leur fonctionnement global. James G. March et Herbert Simon ouvrent une voie nouvelle en s’interrogeant sur les processus de prise de décision (Organizations – 1950). Jusque-là, les spécialistes considéraient que le contexte de travail, précisément défini par la hiérarchie et les bureaux d’étude, était une donnée stable qui offrait le cadre à partir duquel les individus interagissaient. Les individus, dans ces conditions, disposaient de l’ensemble des informations nécessaires à leur réflexion et prenaient leurs décisions après avoir rationnellement analysé l’ensemble des options qui se présentaient à eux. March et Simon renversent cette perspective. Ils estiment tout au contraire qu’il s’agit là d’idées préconçues qui ne résistent pas à l’observation. Les individus sont en fait limités par leurs capacités intellectuelles et leurs ressources. Ils ne disposent généralement pas des moyens et du temps qui seraient nécessaires à une investigation exhaustive de la situation, des choix possibles et de leurs conséquences. A une analyse exhaustive de la situation qui leur permettrait d’adopter la solution optimale, ils préfèrent pour ces raisons se forger des schémas simplifiés de la réalité et s’arrêter à des choix approximatifs qu’ils peuvent mettre en pratique. La rationalité avec laquelle les individus agissent est pour cette raison qualifiée de limitée. Ces schémas simplifiés font que les individus prennent leurs décisions par étapes. Ils réinterprètent en permanence le contexte de travail. Ils adoptent des logiques d’action selon des schémas tributaires de facteurs psychologiques et sociaux, la plupart du temps implicites. La manière dont ils résolvent les problèmes qui se présentent à eux détermine ainsi le fonctionnement réel de l’organisation plus sûrement que des principes généraux prédéfinis. Les conséquences de cette remise en cause sont innombrables, mais essentiellement celleci : le lieu de travail est un construit social. Quelle place désormais pour le leadership ? Nous avons vu dans la première partie de cet article que de profondes transformations des marchés dans les années 70 ont engagé une transformation du leadership dans le sens d’une vision politique de la direction des entreprises. La conduite du changement pousse alors à imaginer de nouvelles façons d’être et de travailler ensemble. C’est un étonnant retour aux origines du leadership. Le terme, dans son emploi moderne, vient en effet du champ politique où il a désigné le contrôle qu’exerçait le Parlement britannique sur le budget durant la première moitié du 19ème siècle. ©Institut du Leadership - BPI group Par ailleurs, en relativisant la rationalité avec laquelle les individus prennent leurs décisions, Simon et March opèrent un décentrement du leader au sein de l’organisation. Quels sont les effets réels de ses décisions ? Quelles interactions vont-elles susciter avec le reste de l’entreprise ? L’organisation tend à devenir un système instable, sujet à l’effet « papillon » cher à Edward Lorenz. Dans un contexte de changements et de remises en causes continus, on aurait pu s’attendre à ce que cette perspective conduise les managers et les théoriciens du leadership sur le chemin de l’humilité. Avec le leadership transformationnel que j’aborderai dans le prochain article, c’est tout le contraire qui s’est produit. Michel Bré www.institut-leadership-bpi.com L’Institut du Leadership est le think tank créé en 2009 par BPI group. Espace de réflexion, d’échange et d’innovation, de débats d’idées autour de trois domaines d’expertises : le leadership, le management des hommes, la gouvernance des organisations. L’institut du Leadership vise à : ff contribuer au développement de l’innovation du management ; ff capitaliser et promouvoir les meilleures pratiques en matière de management des hommes, des organisations et des modes de leadership ; ff aider les dirigeants et les managers à appréhender l’évolution de leur environnement. Premier groupe indépendant de conseil en ressources humaines, management et organisation. Des consultants partout dans le monde pour qui la réussite des entreprises et des organisations est indissociable de la réussite des hommes et des femmes qui les font vivre. BPI group intervient aux côtés des dirigeants de l’entreprise ou des adminitrations publiques sur toutes les stratégies de changement d’organisation, de management, d’emploi. Les consultants de BPI group partagent les mêmes valeurs partout dans le monde, leurs pratiques s’enrichissent d’expériences et savoirfaire qui ne connaissent pas de frontières, leurs services sont toujours adaptés au contexte local et à la réalité spécifique de chacun de leurs clients, individuel ou entreprise. www.institut-leadership-bpi.com © Les articles peuvent être reproduits tout ou partie avec citation de la source. Siège : BPI - 16, rue Vivienne 75002 Paris