1 LE CENTRE INTERFEDERAL POUR L`EGALITE DES CHANCES

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1 LE CENTRE INTERFEDERAL POUR L`EGALITE DES CHANCES
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LE CENTRE INTERFEDERAL POUR L’EGALITE DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME
ET LES DISCRIMINATIONS… SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Actions et perspectives
Comme « service public indépendant » et interfédéral, le Centre occupe une position
particulière dans le paysage institutionnel belge. Il déploie une action multidimensionnelle
spécifique en matière de lutte contre le racisme et les discriminations sur le marché de
l’emploi, qui se déploie sur plusieurs niveaux. Il s’agit :
1) du travail d’objectivation des phénomènes de discrimination,
2) de la défense des droits, du renforcement du droit et de son application,
3) de la sensibilisation et de la formation des acteurs,
4) de contribuer à la construction de l’espace commun.
5) Les services publics eux-mêmes méritent une attention particulière, car ce sont non
seulement des employeurs, mais également des pouvoirs subsidiant et des commanditaires
de marchés publics.
Nous les présentons ici de façon résumée, ainsi que certaines pistes de travail pour 2016 1 :
1. OBJECTIVATION DES PHÉNOMÈNES DE DISCRIMINATION
Les comportements racistes et les discriminations raciales (celles-ci non nécessairement
intentionnelles) sont-ils le fait de quelques individus ou bien peut-on parler de faits sociaux
de grande ampleur, voire perpétués et propagés à travers les structures de notre société ?
La question est cruciale si l’on veut que les pouvoirs publics, par exemple, prennent des
mesures pour combattre ces phénomènes, notamment à travers les politiques de l’emploi.
Le Monitoring socio-économique, réalisé en partenariat avec le SPF Emploi, vise à mettre en
évidence la position des personnes sur le marché du travail en fonction de leur origine et/ou
de leur historique migratoire. L’objectif est de le réactualiser régulièrement. Les constats
présentés dans le deuxième rapport du Monitoring (2015) sont sans appel2 : le marché de
l’emploi belge est fortement ethnostratifié, l'origine détermine pour une grande part dans
quelle niche du marché de l’emploi on se retrouve. Les personnes d’origine étrangère sont
surreprésentées dans les secteurs d’emplois les moins bien payés et les plus précaires3.
1
Pour plus d’info, voir notamment le site Internet du Centre : www.diversite.be, ou bien :
[email protected]
2
3
http://www.diversite.be/monitoring-socio-economique-deuxieme-rapport
http://www.diversite.be/plus-demplois-salaires-plus-bas-1-personne-dorigine-etrangere-sur-2-un-emploifaiblement-remunere
2
« Oui, mais bon, c’est aussi que les personnes d’origine étrangère sont souvent moins
qualifiées, non ? » Il est évident que l’inégalité socio-économique en général et la
ségrégation scolaire en particulier n’arrangent pas les choses si elles sont elles aussi
ethnostratifiées, mais il est possible d’approfondir la recherche et de caractériser, au sein du
phénomène de l’inégalité de participation au marché de l’emploi, la part qui relève plus
spécifiquement de la discrimination. C’était l’objectif du Baromètre de la diversité > emploi,
paru pour la première fois en 20124, et destiné à être réactualisé tous les 6 ans. En utilisant
des approches complémentaires - dont des tests de situation à visée scientifique dénommés
« tests de comportement agrégés » -, le Baromètre permet de mesurer différents types de
discrimination. Il ressort par exemple de ces tests que, par rapport à un candidat de
référence (« homme blanc de 35 ans »), les personnes d’origine étrangère seront moins
souvent invitées à un entretien d’embauche suite à l’envoi d’un CV - même si leur curriculum
est tout à fait semblable à celui du candidat de référence5.
Les résultats du Monitoring socio-économique et du Baromètre de la diversité dans l’emploi
font aujourd’hui référence dans les études et les débats relatifs à la discrimination sur le
marché de l’emploi. Régulièrement actualisés, ils doivent contribuer à empêcher que l’on
banalise la problématique ou que l’on minimalise son ampleur.
2. DÉFENSE DES DROITS, RENFORCEMENT DU DROIT ET DE SON APPLICATION
En 2014, le Centre a ouvert près de 225 dossiers concernant des signalements de cas de
discrimination liée à des « critères raciaux6 » ou à la conviction sur le marché de l’emploi7. Il
conseille l’auteur du signalement en matière de législation, accompagnent des démarches
de négociation par exemple avec l’employeur, voire entament, avec l’accord du plaignant,
une action judiciaire. Remarquons tout de suite que dans une démarche de négociation, le
Centre n’intervient pas comme « médiateur neutre » , mais bien comme partie défenderesse
de l’intérêt général, celui de l’égalité de traitement auquel chaque individu a droit. A la
différence d’un médiateur classiquement neutre, le Centre se réserve toujours le droit de
conseiller au plaignant d’entamer une action en justice si la négociation n’a pas abouti et de
l’aider dans cette démarche. Ce travail se fait aussi en partenariat avec les services juridiques
des organisations syndicales, en charge de la défense des droits des travailleurs.
Le nombre d’actions judiciaires ne représente en fait qu’une petite proportion de tous les
dossiers ouverts, parce que le Centre se conçoit comme étant, en soi, un organe extrajudiciaire qui permet de trouver des solutions pour la victime et pour la société.
4
http://www.diversite.be/barom%C3%A8tre-de-la-diversit%C3%A9-emploi. Entre 2012 et 2018, le même
exercice aura été fait pour le marché du logement (2014) et pour l’enseignement (prévu pour 2016).
5
Baromètre de la diversité emploi 2012, p 74
6
Terme qui regroupe les critères suivants, définis et protégés par la législation : « prétendue race », couleur de
peau, ascendance, nationalité et origine nationale ou ethnique.
7
Rapport annuel 2014, p 22 (http://www.diversite.be/rapport-annuel-2014-une-annee-charniere-qui-ouvreplusieurs-portes). Le rapport d’activité 2015 paraîtra bientôt.
3
Par ailleurs, le Centre constate régulièrement la grande difficulté d’établir des preuves ou
des présomptions de discrimination dans le cas d’un dossier individuel8. Quelqu’un qui n’a
pas été reçu pour un entretien d’embauche, par exemple, ne dispose d’aucune information
sur les autres candidats, ni, sauf exception (car il y en a tout de même), d’informations
utilisables quant aux motivations réelles de la « non-invitation » à l’étape suivante de la
procédure d’embauche.
C’est un point faible de la législation antidiscrimination et le Centre s’investit, notamment
via la concertation des acteurs sociaux et judiciaires et le plaidoyer politique, afin
d’améliorer la situation à plusieurs niveaux :
Les modalités de contrôle de l’application de la législation antidiscrimination et antiracisme 9
dans le monde du travail devraient être élargies, notamment dans le chef des services
d’inspection sociale du travail. Ces services sont en effet déjà mandatés10 pour contrôler
l’application de la législation ADAR, mais peuvent manquer de moyens quantitatifs (nombre
de contrôles) et qualitatifs (modes possibles de contrôle) pour agir plus efficacement. Ils
devraient par exemple pouvoir recourir à des analyses statistiques ciblées permettant
d’identifier des secteurs à surveiller plus particulièrement en matière de risques accrus de
discrimination (méthode dite du datamining). Ils devraient être habilités, d’autre part, à
effectuer ou à commander des tests de situation (tels le mystery shopping et le mystery
calling), afin d’établir des constats valables de présomption de discrimination, pouvant être
transmis à l’auditorat du travail et utilisé par ce dernier dans le cadre d’une instruction
judiciaire. Ceci exigerait par exemple que les inspecteurs des lois sociales n’aient plus à
décliner préalablement leur qualité d’inspecteur lors de visites de contrôle, comme c’est le
cas aujourd’hui.
Le Centre mène par ailleurs actuellement une concertation avec des auditeurs du travail,
afin d’examiner les possibilités de renforcer l’application de la législation ADAR dans les
instructions et les poursuites judiciaires d’infractions relatives au droit du travail.
En février 2016, le Centre organisera un colloque sur l’évaluation des lois fédérales ADAR, où
les propositions du Centre relatives aux relations de travail seront débattues avec un panel
de scientifiques avant d’être communiquées formellement au monde politique. Les actes de
ce colloque paraîtront bien évidemment aussi sur le site.
Le colloque sera aussi l’occasion de rappeler, encore une fois, la recommandation du Centre
de mettre en place un cadre pour les actions positives11 en matière d’emploi, comme c’était
prévu dans les lois ADAR de 2007. Les actions positives offrent aux pouvoirs publics une
possibilité supplémentaire d’agir, en autorisant des mesures temporaires vis-à-vis de publics
subissant des inégalités manifestes, avec l’objectif de faire disparaître ces dernières.
8
http://www.ediv.be/site/fr/content/la-preuve-de-la-discrimination-devant-le-juge-civil
9
Ci-après abrévié en « législation ADAR ». Voir aussi : http://www.diversite.be/legislation-jurisprudence
10
En tout cas au niveau fédéral. La sixième réforme de l’Etat complexifie la situation, car il faudra examiner
aussi le mandat des inspections régionales des lois sociales.
11
http://www.ediv.be/site/fr/content/les-actions-positives
4
Au niveau du dialogue social entre les organisations patronales et syndicales, le Centre s’est
fort investi à l’époque de la conclusion de la convention collective n°95 (accord
interprofessionnel 2009/2010 - il n’y en a pas de plus récent), notamment pour l’élaboration
d’un code de bonnes pratiques afin de prévenir les discriminations durant toutes les phases
de la relation de travail12.
3. SENSIBILISATION ET FORMATION DES ACTEURS
Le Centre assure de façon régulière des formations à la législation ADAR dans le monde du
travail : conseillers en prévention, personnes de confiance, responsables GRH, délégués
syndicaux… souvent dans le cadre de collaborations structurelles avec des acteurs de
référence du monde du travail (syndicats, Actiris, FOREM, Fonds sectoriel de formation des
titres-services,…)
eDiv est un outil de formation individuelle, accessible en ligne et gratuit, mis à la disposition
de toute personne qui voudrait se former en matière de législation ADAR et de son
application dans le contexte des relations de travail13. En plus des modules d’apprentissage,
eDiv offre une sélection de 120 situations délicates ou conflictuelles, avec des avis juridiques
faisant référence à la législation ADAR et des conseils pour amorcer des pistes de
solution. Une bibliothèque complète le dispositif avec des explications des concepts de base
mobilisés dans le droit ADAR.
4. CONSTRUCTION DE L’ESPACE COMMUN
Certaines questions contemporaines mettent la société au défi de réinventer ou de
reconstruire des façons de partager des espaces collectifs, de vivre et de travailler en
commun. Relever ce défi aura des effets préventifs par rapport à l’émergence de discours ou
d’actes de haine, et en tout cas par rapport à leur propagation et à leur banalisation.
Un de ces défis est certainement donné par la question de la gestion de la diversité
convictionnelle sur le lieu de travail. Et ce n’est pas une question abstraite : des employeurs
des travailleurs, des responsables GRH et ou/des cadres syndicaux se demandent
quotidiennement quelle attitude adopter face à l’une ou l’autre demande concrète. Que dit
la loi ? Comment mettre en œuvre les réponses possibles? Comment analyser leur impact
sur les dynamiques collectives ?
Il s’agit bien d’un défi, car si l’on trouve partout des réactions disons « religiophobes » face à
des demandes particulières inspirées par une conviction, toutes les réactions ne s’y
réduisent pas. L’expérience montre en effet que certaines méfiances sont inspirées au
12
http://www.diversite.be/elaboration-d%E2%80%99un-code-de-%C2%AB-bonnes-%C2%BB-pratiques-afin-depr%C3%A9venir-les-discriminations-durant-toutes-les
13
www.ediv.be
5
départ par le fait d’être démuni quant à la façon d’accueillir et de traiter des demandes
inédites. Le manque de repères et de cadres qui permettent de sortir de l’alternative du
« tout ou rien » se fait fortement ressentir. Dans la mesure où des outils sont mobilisés pour
accompagner des processus de négociation autour de ces demandes, il est possible de faire
évoluer la position initiale de refus ou de scepticisme vers la mise en place de solutions à la
fois praticables et légitimes pour chacun.
Or, de tels outils existent. En 2012-2013, le Centre participa à une recherche-action sur ce
sujet, initiée par le Centre bruxellois d’Action interculturelle (CBAI) et animée par Dounia
Bouzar. Il en résulta la co-écriture d’un ouvrage de référence : « Diversité convictionnelle.
Comment l'appréhender, comment la gérer ? », paru aux éditions Académia - L'Harmattan en
201414. L’apport principal de ce livre réside dans la méthode du plus grand dénominateur
commun (PGCD)15 : face à une demande particulière, l’objectif est de mettre en place non
pas une solution d’exception, mais de rechercher des solutions qui apportent une plus-value
au plus grand nombre de travailleurs (et donc pas seulement aux demandeurs particuliers).
C’est bien une méthode pragmatique, parce que ces solutions « PGCD » ne sont pas données
a priori et qu’il n’est pas garanti que l’on puisse en trouver dans tous les cas, mais elle a déjà
été utilisée avec succès dans nombre de situations concrètes. Le Centre continuera à affiner
l’outil et à le diffuser dans les années à venir.
5. LES SERVICES PUBLICS
Comme employeurs, les divers services publics du royaume portent bien sûr une
responsabilité supplémentaire par leur fonction d’exemple. Dans quelle mesure leurs
politiques du personnel parviennent-elles à refléter la diversité de la société ? Il y a encore
du chemin à faire…
Les plans diversité, déclinés de façon spécifique dans chaque entité fédérée16, n’apportent
certes pas de solutions miracles, mais ils forcent au moins à faire régulièrement le bilan et
sont l’occasion de sensibiliser et de former personnel et cadres dirigeants. Le Centre
intervient régulièrement sur ces questions, que ce soit pour rendre des avis ou pour donner
des formations.
Au niveau législatif, le Centre plaide depuis longtemps pour que la condition de nationalité
relative à l’accès aux emplois statutaires dans la fonction publique soit adaptée. Au bout de
parcours législatifs variables dans les différentes entités fédérées, on en arrive à la nécessité
de modifier l’article 10 de la Constitution belge. Une recommandation récente du Centre au
ministre fédéral de la Justice fait le point sur la question17.
14
http://www.cbai.be/news/673/0/print/
15
Voir aussi : http://www.ediv.be/site/fr/content/le-concept-du-plus-grand-denominateur-commun
16
http://www.ediv.be/site/fr/content/www-plans-de-diversite
17
http://www.diversite.be/emplois-statutaires-dans-la-fonction-publique-et-nationalite-pour-une-revision-delarticle-10-de-la
6
Comme pouvoirs subsidiants, commanditaires de marchés publics ou autorités déterminant
les conditions d’agrément de certains opérateurs privés, les pouvoirs publics ont la
possibilité d’imposer des conditions strictes de non-discrimination et d’égalité de traitement.
C’est en fait déjà le cas via la législation existante, valable pour tous les employeurs, mais
alors il s’agit de contrôler le respect de cette législation avec d’autant plus de rigueur que les
services de ces opérateurs sont financés par de l’argent public. Des clauses de nondiscrimination insérées dans les conditions d’octroi des subventions ou dans les appels
d’offre publics, peuvent non seulement rappeler à tous l’existence de la législation ADAR,
mais encore motiver des refus d’octroi de subventions ou de marchés publics, lorsqu’il serait
établi que le soumissionnaire a enfreint cette législation. La Flandre a déjà mis de telles
clauses en application18. Une résolution parlementaire qui va dans ce sens a été adoptée en
2014 par le Parlement bruxellois19…
Il serait même possible d’aller encore plus loin en examinant la possibilité de prévoir, dans
les contrats d’exécution de ces marchés ou dans les conventions liées à l’octroi de
subventions, un engagement contractuel, de la part du prestataire, de se soumettre à des
contrôles dont la procédure aurait été définie préalablement - une procédure de testing, par
exemple.
6. EN GUISE DE CONCLUSION
Il est aujourd’hui évident que les pouvoirs publics n’ont pas épuisé toutes les possibilités
d’action contre les discriminations et le racisme sur le marché de l’emploi. Multiplier les
campagnes de sensibilisation ne suffira pas non plus. La législation, des politiques publiques
qui sont aussi contraignantes peuvent et doivent être renforcées. Cette nécessité revêt un
enjeu majeur dans notre société contemporaine : il ne suffit plus de dire à des parties de
plus en plus importantes de la population qu’il ne faut pas se détourner de la citoyenneté et
qu’il faut continuer à s’inscrire dans l’espace collectif. Il faut aujourd'hui aussi leur montrer
par des actes concrets que lorsqu’ils tentent effectivement de le faire, de s’inscrire en
citoyens (actifs !) dans l’espace collectif, alors l’autorité publique ne permettra pas qu’on les
en exclue.
Avec ses missions spécifiques de défense des droits et de plaidoyer politique, le Centre
participe à ce combat, aux côtés des pouvoirs publics et de la société civile.
Bruno Martens
Service politique et société
18
Pour les subventions :
http://brussel.vlaanderen.be/UserFiles/subsidiegids_bijlage2_non_discriminatieclausule_20141001.pdf
Pour les marchés publics : http://www.bestuurszaken.be/non-discriminatieclausule.
19
http://weblex.irisnet.be/data/crb/doc/2013-14/125716/images.pdf (marchés publics)