Maude Flamand-Hubert

Transcription

Maude Flamand-Hubert
www.shfq.ca
Automne 2013
Vol. 5, n° 2
du QUÉBEC
Chasse
et
pêche
LA CHASSE ET LA PÊCHE DANS
L’HISTOIRE FORESTIÈRE
Par Paul-Louis Martin
ISSN1918-1760 10 $ CAN
L’EMPREINTE ÉCOLOGIQUE D’UN LOISIR :
pêche sportive, science et transformation
des écosystèmes forestiers du Québec
Par Darin Kinsey
LA RÉSERVE FAUNIQUE DUCHÉNIER :
un territoire chargé de son histoire Par Maude Flamand-Hubert
2
HISTOIRES FORESTIÈRES
SOMMAIRE
Vol. 5, numéro 2, automne 2013
du QUÉBEC
PAUL-LOUIS MARTIN
La chasse et la pêche dans l’histoire forestière p. 6
DARIN KINSEY
L’empreinte écologique d’un loisir :
pêche sportive, science et transformation des écosystèmes forestiers du Québec
MAUDE FLAMAND-HUBERT
La Réserve faunique Duchénier : un territoire chargé de son histoire
BERTHIER PLANTE
Promenons-nous dans les bois…
Restreindre l’accès ou éduquer le public ?
p. 57
ROY DUSSAULT
Pour en savoir plus sur l’histoire de la chasse et de la pêche
p. 61
VINCENT COLLETTE
Comment désigne-t-on l’ours noir en cri de l’Est ?
Rédacteur en chef
Gérard Lacasse
RÉVISION
Gérard Lacasse, Berthier Plante,
Amélie Dugal
(Maelstrom créatïf Inc.)
CONCEPTION VISUELLE
ET INFOGRAPHIE
ImagineMJ.com
IMPRIMEUR
Imprimerie Provinciale inc
RÉDACTION
Paul-Louis Martin
Darin Kinsey
Maude Flamand-Hubert
Berthier Plante
Roy Dussault
Martin Hébert
Vincent Collette
DIRECTEUR DE LA SOCIÉTÉ
D’HISTOIRE FORESTIÈRE DU
QUÉBEC
François Rouleau
p. 38
p. 47
MARTIN HÉBERT
ÉDITEUR
Société d’histoire forestière
du Québec
p. 23
p. 64
MEMBRES DU CONSEIL
D’ADMINISTRATION DE LA SHFQ
Gérard Lacasse, Président
Martin Hébert, Ph. D., Vice-président
Guy Lessard, ing. f., M. Sc., Secrétaire-trésorier
COORDONNÉES
1000, 3e avenue
C.P. 52063
Québec (Qc) G1L 2X4
www.shfq.ca
[email protected]
Québec 418 454-1705
Jean-Claude Mercier, ing. f.,
Administrateur
Berthier Plante, Administrateur
Gilles Lavoie, Administrateur
Robert Beauregard, ing. f., ing.,
Ph. D., Administrateur
Cette revue est imprimée sur du papier Rolland Opaque 50.
AUTOMNE 2013
3
Mot de l’éditeur
et président de la SHFQ
Gérard lacasse
Parler de la relation entre la société québécoise et le
milieu forestier sans tomber dans les clichés, voilà le
défi que la Société d’histoire forestière s’est lancé. Dans
cette édition, la revue Histoires forestières du Québec a
demandé à ses auteurs d’aborder la forêt sous le thème
de la chasse et de la pêche.
Historien et ethnologue émérite de l’Université du
Québec à Trois-Rivières, Paul-Louis Martin nous fait
l’honneur de produire le premier article de cette revue.
Le professeur Martin, auteur de la plus importante
monographie sur l’histoire de la chasse au Québec,
nous dresse le tableau des grands faits historiques et
de certaines conséquences sociales et écologiques liés
aux activités de chasse et pêche sur plus de 400 ans.
Nous avons demandé à Darin Kinsey, dont le professeur
Martin a codirigé les travaux de thèse de doctorat, de
présenter les fruits de ses recherches. Monsieur Kinsey
a écrit un article riche en réflexion sur l’art en histoire.
Il nous amène au-delà des discours et des prétendues
nobles volontés, il met en relief des liens subordonnés
entre sportsmen, science et État dans le Québec
d’avant 1960.
Maude Flamand-Hubert, doctorante de l’Université de
Québec à Rimouski (UQAR) et collaboratrice régulière
de la SHFQ, revisite l’histoire de la Réserve faunique
Duchénier dont les archives viennent d’être concédées
à l’UQAR. Ce fonds d’archives est d’autant plus précieux
qu’il abrite une riche documentation sur les clubs de
chasse et pêche de la région du Bas-Saint-Laurent.
Rappelons que les archives de ces clubs ont en grande
partie été détruites à la suite d›une inondation en 1986
dans les locaux de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec.
4
HISTOIRES FORESTIÈRES
De son côté, Berthier Plante, dévoué administrateur de
la SHFQ, se lance sur la piste du loup. Son article dépeint
la relation que les Québécois, comme bien des peuples
en Occident, entretiennent avec cet animal légendaire
qui à la fois terrifie et suscite l’admiration. Dans son
style unique, Berthier nous a rédigé un brillant essai.
Il interroge ce difficile côtoiement entre deux espèces,
l’homme et le loup, qui revendiquent un même
territoire. Nous profitons de l’occasion pour saluer le
courage et la détermination de Berthier qui, malgré
des problèmes de santé vécus le printemps dernier, a
tenu à écrire son article pour la revue. Berthier, nous
t’apprécions et sommes heureux de pouvoir compter
sur ta vaste expérience.
Je remercie chacun des auteurs de ce numéro
d’Histoires forestières du Québec. Je tiens également
à remercier tous nos autres collaborateurs sans qui
la SHFQ ne pourrait produire une revue d’aussi belle
qualité. La SHFQ est chanceuse de pouvoir compter sur
la contribution d’autant de personnes de talent dans la
réalisation de sa revue : gestionnaire de projet, auteurs,
infographiste, imprimeur et autres.
Membre fondateur et directeur général de la SHFQ
depuis janvier 2007, Patrick Blanchet a été l’âme et
l’inspiration de la revue Histoires forestières du Québec
depuis ses débuts. Patrick a joint dernièrement la
communauté monastique des Petits frères de la Croix.
Je me fais le porte-parole du conseil d’administration et
du personnel de la SHFQ pour remercier sincèrement
Patrick pour tout ce qu’il a fait pour la Société d’histoire
forestière et lui souhaiter les meilleures choses.
Finalement, je profite de l’occasion pour souhaiter
la bienvenue à François Rouleau qui a été nommé
directeur général de la SHFQ lors du conseil
d’administration du 19 septembre. Lecteurs et amis,
offrez-vous maintenant un moment de lecture agréable
regorgeant de découvertes sur une autre facette de
notre riche patrimoine.
AUTOMNE 2013
5
Paul-Louis Martin
LA CHASSE ET LA PÊCHE
DANS L’HISTOIRE
FORESTIÈRE
Paul-Louis Martin est historien et
ethnologue, aujourd’hui professeur
émérite de l’Université du Québec
à Trois-Rivières. Ses travaux de
recherche en histoire de la culture
matérielle ont donné lieu à une
douzaine de volumes et à de nombreux
articles scientifiques portant sur le
mobilier, l’architecture domestique,
les jardins, la chasse et la pêche, la
production des paysages et l’histoire
des fruits. Lauréat de plusieurs
reconnaissances en histoire, en
ethnologie et en muséologie, dont
le Prix du Québec en patrimoine, le
Prix Gérard-Morisset, en 2006, il
habite dans la magnifique région de
Kamouraska, dont il vient de publier,
en novembre 2012 et avec l’artiste
Anne Michaud, un fort bel hommage
à ses paysages uniques sous le titre
« Carnets de Kamouraska ».
Étroitement liées au domaine forestier par leurs
écosystèmes et par le partage d’un même espace,
les activités de chasse et de pêche ont connu une
évolution parallèle à l’exploitation des forêts et à la
fois sensiblement différente. Dans les deux cas, ce
sont les plus anciennes périodes que l’on connaît le
moins car au long des deux premiers siècles de la
colonisation, c’est l’absence totale de données et de
séries statistiques fiables et surtout continues qui
nous empêche de dresser un tableau très précis. On
connaît aussi peu l’envergure des récoltes forestières
que l’importance des prélèvements de la faune. On ne
peut donc qu’évoquer la nature des environnements,
estimer l’état des cheptels sauvages et présumer de
la modification de certains milieux forestiers. Tout au
plus, faute de telles données, pouvons-nous recourir à
6
HISTOIRES FORESTIÈRES
certaines descriptions générales, à quelques mémoires
épisodiques, à de minces rapports officiels ainsi qu’à
des informations éparses glanées dans des sources très
variées.
Tout en demeurant encore imprécis, on présume que le
paysage naturel se modifie plus lourdement dès la fin
du XVIIIe siècle. La grande industrie forestière s’établit
alors dans les vallées laurentienne, puis outaouaise,
et intensifie ses récoltes au début du XIXe siècle ; elles
s’accompagnent d’une progression quasi continue des
déboisements par des vagues successives de colons
en quête de terres neuves, si bien que leurs récoltes
combinées d’essences ligneuses diverses commencent
à produire différents types d’impacts sur les populations
fauniques, allant de la migration à la raréfaction, voire
même à la menace d’extinction. Dans au moins un cas
d’espèce, le cerf de Virginie, les profondes modifications
des communautés végétales et du milieu ont entraîné
l’extension vers le nord de cette population de cervidés
vivant jusque-là plus au sud.
Avant d’aller plus loin dans l’évocation de ces
conséquences, il est essentiel de préciser quelles
sont les activités de chasse et de pêche touchées par
l’exploitation des forêts. Il nous faut prendre en compte
trois types de chasse : la chasse dite alimentaire, la
chasse commerciale et enfin la chasse sportive. Oublions
sciemment le trappage des animaux à fourrure, faute
de données utiles. Quant à la pêche, on ne s’attardera
pas non plus aux grandes pêcheries maritimes ni, sauf
exception, aux pêches riveraines avec engins fixes dont
les liens avec les ressources ligneuses ont été plutôt
marginaux. Par contre, la pêche sportive, lorsqu’elle
prend son véritable essor à la fin du XIXe siècle,
bénéficie de plusieurs façons de l’accessibilité accrue
au domaine forestier, tout en générant aussi divers
types de changements dans le milieu.
Paul-Louis Martin
Concernant la chasse, j’ai déjà eu l’occasion dans une
publication antérieure (Martin, 1990 ; 22) de préciser
deux faits historiques importants soit, d’une part, le
droit de chasser avec une arme à feu qui fut accordé à
tous les habitants de la Nouvelle-France en raison de
leurs besoins évidents de survie et de défense. Sur le
plan social, ce droit nouveau, de chasse et de trappage,
représentait un gain de liberté considérable aux
dépens des privilèges exclusifs détenus jusque-là par la
noblesse et les élites de la métropole. D’autre part, et ce
fait a beaucoup d’importance, la pratique de la chasse,
en partie alimentaire et aussi exercée comme loisir, s’est
limitée chez le censitaire laurentien, et tout au long du
Régime français, à celle des oiseaux migrateurs – oies,
canards, tourtes, etc.- et fort peu aux grands cervidés
– orignal, wapiti, caribou, cerfs- pour deux bonnes
raisons : les accès difficiles au cœur du pays et surtout
l’instauration dans l’économie coloniale d’une véritable
industrie fondée sur la valeur commerciale des peaux
de cervidés et de mammifères marins. Puisqu’elle
impliquait une exploitation continue des ressources
du vaste domaine forestier, cette chasse commerciale
retient dans les lignes qui suivent toute l’attention
qu’elle mérite.
JEUNE CHASSEUR CANADIEN
Ce sont surtout les oiseaux migrateurs
et les petits oiseaux de rivage tels que
bécasseaux, pluviers, maubèches etc.
qui restaient à la portée des jeunes
chasseurs, car le grand gibier était
moins accessible et aussi voué au
commerce des peaux.
De 1608 à 1663 : primo vivere
Les ressources immédiates
Urgence, sécurité, fragilité, voilà la nature des
contraintes que vivent les fondateurs des premiers
établissements de cette Nouvelle-France. À Québec
d’abord, puis, quelques années plus tard, aux postes de
Trois-Rivières et de Montréal, les nécessités premières
visent à se nourrir, à bien s’abriter et à se défendre
contre les ennemis qui surgissent sans prévenir. Ce n’est
pas à proprement parler notre sujet, mais il faut tout
de même rappeler que les premiers établissements
visent à faire d’abord reculer la forêt, à défricher et
« déserter » des espaces appropriés qu’il presse de
« rendre à la charrue » pour se nourrir, soit encore pour
bâtir et se chauffer. Bois de pin et bois de chêne pour
construire barques et maisons, bois d’érable et de
merisier pour chauffer les foyers, on fait vite bon usage
de chacune des ressources ligneuses qui bordent le
fleuve. L’Habitation que fait construire Champlain en
1608 est entièrement de bois, comme le seront quinze
ans plus tard les bâtiments de sa petite ferme du Cap
Tourmente et la plupart des modestes maisons en
pièces massives érigées par les premiers colons autour
Source : Aquarelle de Millicent Mary Chapin, vers 1838-40, Archives nationales du Canada. Tiré de
La Chasse au Québec, p. 345.
de Québec et sur l’Île d’Orléans. Ces besoins pressants
en bois de construction et en planches de toutes sortes
font que deux moulins à scie surgissent dans le paysage
autour de Québec, celui des Jésuites en 1646 et celui
des Ursulines, construit vers 1650 sur la rive sud, tout
près du fleuve, dans la seigneurie de Lauzon (Fauteux,
1927 ; 173). Le nom de cette rivière, dite alors à la Scie,
s’est d’ailleurs maintenu jusqu’à une époque récente.
AUTOMNE 2013
7
Paul-Louis Martin
Et puisque la majorité des soixante-dix maisons
que compte le poste de Québec en 1663 sont aussi
construites en bois et qu’elles sont dotées au surplus
de couvrements de planches ou de bardeaux, voilà
que s’y multiplient les risques d’incendie. Si bien qu’au
cinq août 1682, la première grande conflagration de
l’histoire de la ville vient effectivement raser pas moins
de cinquante-cinq corps de logis, soit les deux-tiers des
habitations (Gaumond, 1976 ; 12). C’est un vrai désastre !
Aux yeux des autorités, il faut de toute urgence revoir les
modes de constructions en zone urbaine, surtout dans
ce pays froid où foyers et poêles chauffent ou cuisent
au bois à l’année longue. Les autorités coloniales,
jusque-là plutôt tolérantes, exigeront dorénavant pour
tous les bâtiments de la ville des murs en maçonnerie
munis de pignons débordants en façon de coupe-feu.
Et comme il arrive à l’histoire de se répéter, les premiers
noyaux urbains des deux autres villes, Trois-Rivières et
Montréal, connaîtront une évolution semblable et, elles
aussi, subiront plusieurs conflagrations majeures au fil
de leur existence.
L’effet cumulé de ces déboisements à des fins agricoles
et de ces prélèvements de bois de chauffage et de
bois d’œuvre, en aussi peu qu’un demi-siècle, n’a sans
doute pas modifié en profondeur tous les boisés de la
périphérie des établissements, mais cela a constitué
une première intrusion humaine assez lourde dans
un domaine forestier à peine effleuré jusque-là par
des groupes d’Amérindiens semi-nomades. Choc de
civilisations donc, et choc de cultures où s’opposent
deux types de rapports à la nature et à la terre. Sans
aucunement prendre garde aux conséquences à long
terme et vu l’incroyable abondance des ressources, nos
ancêtres européens vont dès lors introduire dans leur
nouveau pays une pratique destinée à connaître une
très longue carrière, celle d’associer à l’exploitation
forestière la récolte de la faune, en particulier celle du
gros gibier. L’intensité de ces récoltes, comme on le verra
plus avant, entraînera de profonds bouleversements
des milieux de vie naturels. Le meilleur indice de
ce recul progressif de la forêt primitive et donc de
l’amorce de la modification des paysages des basses
terres nous est fourni par Pierre Boucher. Dans son
mémoire (Boucher, 1882 ; 26) acheminé au Roi de
France en 1663, il écrit que : « la chasse n’est pas si
abondante à présent proche de Québec comme elle
a esté : le Gibier s’est retiré à dix ou douze lieues de
là. » Voilà un témoignage très précieux, car si le gros
gibier s’est déjà retiré à 50 km des habitations, c’est en
8
HISTOIRES FORESTIÈRES
partie en raison des mutations des paysages bien sûr,
mais c’est surtout parce qu’il a servi principalement
à nourrir la colonie aux moments des disettes et des
retards dans les arrivages de denrées. L’anguille, que
l’on capturait par milliers autour de Québec et que l’on
salait en barriques, a aussi joué ce rôle d’aliment de
survie dès le milieu des années 1650.
Qui plus est, au moment où le Roi de France reprend
sa colonie en mains, en 1663, on voit déjà poindre,
outre le commerce de la fourrure du castor, un intérêt
croissant à l’égard d’au moins deux autres ressources
naturelles du vaste territoire : les bois et la grande
faune sauvage. Quelques habitants entreprenants ont
déjà tâté la production et l’exportation du merrain pour
les futailles, des bordages et des autres bois de chêne
destinés à la construction navale ; d’autres ont entrevu
l’ampleur des revenus à tirer du commerce des peaux
et des cuirs provenant de ces innombrables troupeaux
de bêtes sauvages. Il ne manque qu’un peu de volonté
et de moyens pour pacifier la contrée et développer
autant d’industries prometteuses. Ce sera la mission
d’un homme énergique, l’intendant Jean Talon.
Les récoltes sélectives
des XVIIe et XVIIIe siècles
L’histoire officielle ne retient trop souvent que les grands
axes du développement économique d’un territoire,
dans notre cas le commerce de la fourrure du castor
par exemple, et relègue dans l’ombre d’autres activités
tout aussi essentielles à la vie courante et à l’équilibre
des échanges. Jean Talon est pourtant le premier
d’une lignée d’intendants de la Nouvelle-France à avoir
entrevu les nécessités d’un développement industriel
et commercial diversifié, bien structuré et profitable.
Mercantilisme oblige, cette exploitation des ressources
naturelles devait rapporter ultimement à la métropole,
que ce soit sous forme de circuit bilatéral, ou triangulaire
quand on inclue les colonies des Antilles. Ainsi, à côté
des activités de base, « nécessaires à l’usage de la
vie », telles que boucherie, boulangerie, moulins à
farine, brasserie, tonnellerie, etc. deux industries vont
voir le jour et prendre un réel essor grâce aux efforts
de l’intendant Talon : les tanneries et la construction
navale.
Paul-Louis Martin
EN ROUTE
Lourdement chargés, des chasseurs se mettent en route vers les territoires de
leurs équipées hivernales. Pendant au moins deux siècles, on a ainsi traqué les
grands cervidés pour alimenter le commerce et l’industrie des cuirs.
Source : Gravure de H.P.Share. Fonds IOAQ.
Un commerce méconnu
Le cuir est un matériau de toute première importance
à cette époque : il sert bien entendu à fabriquer des
chaussures et des bottes, mais on l’utilise aussi dans
la confection de vêtements tels que vestes, manteaux,
gants, ceintures et autres accessoires. La sellerie et
la fabrication des harnais en transforment aussi une
bonne quantité, puisqu’on compte plus d’un attelage
de bœuf ou de cheval par ferme, sans oublier tous les
autres besoins des gens de métier en baudriers, en
sangles et en attaches. On ne s’étonne donc pas de voir
l’intendant Talon s’empresser de susciter la construction
d’une première grande tannerie près de Québec et
de son port d’expédition. Il convainc François Bissot,
marchand bourgeois de Québec, déjà impliqué dans
les pêcheries de loups-marins depuis au moins 1650, à
établir une grande tannerie sur les terrains qu’il possède
à la Pointe-Lévy. Celui-ci, dès 1668, engage alors Étienne
Charest, originaire de Poitiers et déjà initié au métier de
la tannerie, pour diriger la construction et prendre en
charge la manufacture de cuirs. Les résultats dépassent
rapidement toutes les attentes : pendant que l’un veille
aux procédés de traitements des peaux, l’autre s’occupe
du financement et de l’achat non seulement des peaux
de bœufs et de vaches que lui apportent les habitants,
mais surtout des milliers de peaux d’orignaux, de
wapitis et autres cervidés du pays, ajoutées à plusieurs
autres milliers de peaux de loups-marins provenant de
la concession que détient Bissot à Mingan sur la côte
du Labrador. (Fauteux, 1927 ; 407)
AUTOMNE 2013
9
Paul-Louis Martin
HUNTING THE MOOSE DEER
Jusqu’au milieu du 19e siècle, chasseurs commerciaux, et parfois présumés sportifs,
ne traquaient l’orignal que l’hiver alors qu’il était plus facile de forcer l’animal à
quitter son ravage pour aller s’épuiser dans les neiges épaisses.
Source : Album anonyme, 1840. Collection privée.
Le succès est tel qu’en 1674, l’intendant Talon estime à
un potentiel de 8 000 paires de chaussures la quantité
de cuir tanné par la manufacture Bissot (Dupont et
Matthieu, 1981 ;13). Tant de chaussures en puissance
pour une colonie si peu peuplée… de toute évidence
ce n’est pas là le seul débouché de toutes ces peaux de
bêtes sauvages et de tous ces cuirs que vont bientôt
produire plusieurs nouvelles entreprises : de fait, c’est
au moins une dizaine de tanneries qui surgissent en
peu de temps dans les environs de Québec, et plus
tard, aussi de Montréal. De 1660 à 1760, on a en effet
dénombré pas moins de 68 tanneurs de métier et
de marchands-tanneurs, établis uniquement dans la
région de Québec. Les évidences sautent aux yeux :
quand on met en relation le si petit nombre d’habitants
de la colonie et le peu d’envergure de leur cheptel bovin
avec la quantité étonnante de mammifères marins et
terrestres abattus chaque année, on comprend vite
10
HISTOIRES FORESTIÈRES
que la production des tanneries dépassait les besoins
domestiques en chaussures et qu’il a bien fallu écouler
ailleurs autant de peaux. Ce sont forcément d’autres
marchés, extérieurs ceux-là, qui ont dû absorber la
production de ces tanneries.
Dans les faits, la grande tannerie Bissot de 1668
représente le premier pas bien structuré, la naissance
ni plus ni moins d’une industrie très lucrative, celle
du traitement, primaire le plus souvent, suivi de
l’exportation des cuirs et des peaux de la faune de
cet immense espace appelé Canada, puisque en effet
les prélèvements continus sur les cheptels sauvages
ne se sont pas limités à la vallée du Saint-Laurent :
d’abord qualifiée de source de grande richesse par
Cavelier de La Salle, l’exploitation des peaux des
millions de bisons de l’Illinois et de la Louisiane attira
Paul-Louis Martin
plusieurs entrepreneurs montréalais. C’est le cas du
sieur Juchereau de Saint-Denis qui, en raison de la
guerre avec les tribus environnantes en 1705, fut
forcé d’abandonner dans son poste de Ouabache pas
moins de 15 000 peaux de bœufs d’Illinois qu’il devait
ramener soit à Montréal, soit à la Nouvelle-Orléans,
pour les expédier ensuite en France. Aux dires du jésuite
Charlevoix, la peau de ces bisons, souple et moëlleuse
faisait les meilleurs chamois (Fauteux, 1927 ; 415). Voilà
une industrie qui a largement échappé à l’attention des
historiens de l’économie et qui va traverser sans trop
faiblir les deux prochains siècles, remplissant bien sûr
les besoins premiers des habitants d’ici, mais du même
coup, stimulant dans la métropole une activité encore
plus lucrative. De ce côté-ci de l’Atlantique, les premiers
marchands et bourgeois détenteurs de très grande
fortune, ce n’est certainement pas un hasard, ont été
mêlés à l’exploitation de la grande faune et à l’industrie
de la tannerie : ce sont de très riches commerçants
doublés d’entrepreneurs en pêcheries ou en pelleteries,
comme Aubert de la Chesnaye, François Bissot, le
sieur d’Aulnay, Étienne Charest, Jacques Leber, Michel
Bégon, Louis Fornel, Charles Perthuis, et quelques
autres. À l’autre bout du circuit, outre Atlantique, près
de la côte ouest et surtout autour de La Rochelle d’où
proviennent plusieurs de ces marchands et tanneurs,
les arrivages par pleins navires des cuirs de la NouvelleFrance viennent littéralement donner un second souffle
et consolider une industrie de la chaussure, des gants
et des cuirs fins présente dans cette région depuis au
moins le XIIIe siècle. C’est là, comme on le verra plus
loin, qu’ont abouti pendant plus d’un siècle et demi
les dépouilles des dizaines de milliers de phoques,
de marsouins, de wapitis, de caribous, d’orignaux, de
bisons et autres grands mammifères du Canada.
contacts des pêcheurs de morue avec les autochtones
de Terre-Neuve et de la Gaspésie, et qu’il se serait
poursuivi ensuite avec les habitants et marchands de
Québec, dont François Bissot bien sûr : « La découverte
en 1534 du Canada par Jacques Cartier va asseoir pour
de longs siècles la tradition et la renommée de Niort
pour sa spécialisation dans la chamoiserie. Les peaux
proviennent dès lors du Canada et l’huile de poisson de
Terre-Neuve, via le port de La Rochelle : on y embarque
les vins saintongeais et les étoffes de la Gâtine
échangés contre les peaux et les huiles du NouveauMonde. » Les historiens du patrimoine industriel de
Niort ne peuvent être plus précis : « nulle part avant
1700, nous n’avons rencontré le mot chamoiseur. La
colonisation du Canada sépara enfin les professions
en faisant affluer à Niort les peaux d’élans et d’orignal
qui, travaillées dès lors presque exclusivement par la
ville jusqu’en 1764, donnèrent à la chamoiserie son
importance exceptionnelle. » (Mémoires-Niort). La ville
connut effectivement une augmentation considérable
d’artisans spécialisés dans les métiers du cuir tels que
dégraisseurs, corroyeurs, mégissiers, assouplisseurs,
teinturiers, chamoiseurs et autres.
SMOKING MOOSE MEAT
La viande d’orignal était aussi fumée
sur place après l’abattage et expédiée
ensuite dans les plus fins restaurants
des grandes villes du sud. La langue
de caribou a connu un destin semblable.
Les succès de Niort,
capitale médiévale du cuir
À quand remonte précisément ce commerce des peaux
avec la Nouvelle-France ? Quelle a été son envergure ?
Et quel profit en a-t-on tiré outre Atlantique ? C’est la
ville et les environs de Niort qui profitent très tôt de ce
type d’échanges avec la Nouvelle-France. Les historiens
du patrimoine industriel de cette capitale régionale
du cuir ne laissent aucun doute sur le nouvel essor
des vieilles manufactures occasionné par les arrivages
d’autant de peaux. Il semble bien en effet que ce
commerce remonterait aussi tôt que lors des premiers
Source : Carte postale, ca. 1910. Typical Canadian scenes.
Collection de l’auteur.
AUTOMNE 2013
11
Paul-Louis Martin
La guerre de 1755, allait amener la perte de la colonie
et, en 1763, faire passer l’industrie de la tannerie aux
mains des Anglais, poursuivent les historiens de la
ville, si bien que « privé des peaux et des huiles de
poisson qui servaient à les assouplir, le commerce de la
chamoiserie reçut le coup le plus terrible. » La qualité de
la peau d’orignal avait sans doute été vérifiée bien avant
l’arrivée de l’intendant Talon, néanmoins en octobre
1667, il en avait expédié une centaine à Poitiers pour
la faire « passer en buffle », selon l’expression en usage
dans le métier, afin d’engager ensuite le roi de France
à créer un magasin de réserve de 10 à 15 000 peaux
pour équiper sa cavalerie royale. La matière première
provenait bien sûr du Canada (Fauteux, 1927 ; 406). On a
là une première indication des quantités de peaux qu’on
envisageait d’exporter, sauf que le nombre exact reste
encore indéterminé, faute d’une recherche d’envergure
dans les registres et les archives de La Rochelle.
Combien de milliers de peaux ont pu être expédiées
ainsi chaque année depuis la Nouvelle-France ? Le
nombre pourrait bien dépasser annuellement deux ou
trois dizaines de milliers si l’on inclut les peaux brutes,
simplement salées et non tannées, produites dans les
postes de pêches aux loups-marins de la Côte nord
ou provenant des pêcheries de marsouins de la Côtedu-Sud. Quant aux peaux de mammifères terrestres,
faute de posséder tous les registres d’expéditions
depuis Québec, on en est réduit à des estimations :
le sieur d’Aunay prétendait trafiquer 3 000 peaux
d’orignaux par année, entre 1645 et 1650, uniquement
dans le Bas-Saint-Laurent (Bédard, 1975 ; 56) ; PierreEsprit Radisson signale de son côté une récolte de plus
de 600 peaux d’orignal lors d’une seule expédition
de chasse hivernale en Mauricie vers 1680 ; quant
au conseiller Ruette d’Auteuil, son Mémoire de 1715
signale que la caisse du Roi prélevait généralement en
revenu direct le dixième des peaux d’orignal récoltées
sur son Domaine royal, soit entre Baie Saint-Paul et
Sept-Îles, mais que, déjà en ce début de XVIIIe siècle,
« la plupart des Sauvages de ces contrées-là sont morts
et les orignaux ont quasi été détruits, le profit que
donne cette traite est si peu de chose qu’il ne balance
point » (RAPQ, 1923 ; 77). Le baron de La Hontan, grand
voyageur et amateur de chasse, raconte dans le récit de
ses « Voyages » en Amérique septentrionale, publié en
1705, avoir participé à une chasse hivernale pendant
trois mois. Son parti abattit alors 66 orignaux et aurait
doublé, voire triplé ce carnage, si « nous n’avions eu
pour but que d’assembler force peaux. »
12
HISTOIRES FORESTIÈRES
Il n’est pas possible dans l’état actuel des recherches
de préciser le nombre de peaux de toute nature
expédiées chaque année depuis le port de Québec.
Certains documents mentionnent les chiffres de
100 000 pelleteries, incluant indistinctement peaux
et fourrures, autres que celles du castor. On pourrait
estimer avec raison qu’environ le quart de cet envoi
vers les manufactures de Niort, de Poitiers et des autres
tanneries tout autour provenait des grands cervidés
et des autres mammifères de ce Nouveau Monde. De
plus, la pratique semble bien s’être maintenue après la
Conquête de 1760, au-delà du changement de Régime,
puisqu’on rapporte encore pas moins de 100 000 peaux
et fourrures, autres que celle du castor, expédiées
depuis le port de Québec en 1808 (Gray, 1809 ; 383).
Vers quelles manufactures étaient-elles destinées en
Angleterre ? Nous l’ignorons. Les besoins en chaussures,
en gants et en vêtements étaient sans doute tout aussi
importants qu’en France : en fait, ce sont là de nouveaux
réseaux de commerce qui restent encore à documenter
si les historiens d’aujourd’hui entendent s’y intéresser.
Quant au marché domestique des peaux et des cuirs,
stimulé de toute évidence par l’augmentation des
besoins de la population du Bas-Canada, rien n’indique
un fléchissement quelconque dans le nombre de
tanneries de la Basse-Ville de Québec ni de l’ouest
de Montréal qui fournissaient les cuirs aux industries
locales de la chaussure, très actives entre 1825 et 1850.
Il en va de même des tanneries qui surgissent dans
l’espace rural au fur et à mesure de la colonisation
des terres nouvelles. Approvisionnées principalement
par les troupeaux de bovins des habitants du pays,
les tanneries récemment établies dans ces nouvelles
contrées ont de toute évidence continué à apprêter
des peaux de wapitis, de caribous et bien sûr d’orignal
puisqu’un rapport de 1858 fait état de deux partis de
chasseurs ayant récolté pas moins de 400 peaux (King,
1866 ; 66). C’est d’ailleurs au cours de ces années 1850
que sonne la première alarme très sérieuse concernant
la disparition du grand cervidé : des naturalistes connus
comme Jean-Jacques Audubon, James Richardson et
T. Baird évoquent la menace de disparition de l’orignal
dans tout le nord-est du continent, invitant les autorités
à adopter des mesures de conservation appropriées.
La Montreal Natural History Society intervient à son
tour auprès des députés du Canada-Uni et réclame
des mesures sévères pour éviter l’extinction. Quant
à l’auteur et chasseur W. Ross King, il s’élève avec
colère contre le commerce des peaux et réagit ainsi à
Paul-Louis Martin
cette menace de disparition : « On ouvre sans cesse de
nouvelles routes et, jusqu’à récemment, l’orignal était
abattu de façon barbare non seulement par le sauvage
ou le colon stupide, mais de façon plus impardonnable
encore, par de prétendus sportifs qui tuent jeunes et
vieux, femelles engrossies et jeunes veaux, laissant
pourrir inutilement sur place leurs carcasses. » L’orignal
a bien failli connaître le même destin que les bisons
des plaines. Par bonheur, on le voit bien, une nouvelle
vision de la nature commence lentement à émerger.
Nous reviendrons plus loin sur d’autres facteurs et sur
un nouveau contexte social ayant entouré le déclin de
la chasse commerciale et la valorisation progressive de
la chasse sportive à l’orignal.
Les bois pour la construction
navale : une autre récolte
sélective
HUNTING SCENE,
PROVINCE OF QUEBEC
Les camps de chasse en bois rond,
couverts de feuilles d’écorce de
bouleau, étaient encore nombreux dans
les forêts et les territoires publics du
Québec, au début du 20e siècle, soit
avant l’extension du système des clubs
privés. On y chassait le gros gibier
comme en témoignent les trois traînes
adossées au mur du camp.
La diversité et l’étendue des forêts de ce Nouveau
Monde n’étaient pas passées inaperçues aux yeux des
premiers explorateurs. Cartier, Champlain et tous ceux
qui ajoutent à leur suite leur propre description du pays
conviennent de la grande valeur des bois et de leur
usage profitable dans la grande industrie par excellence
de l’époque, soit la construction navale. Bois de
bordages, de mâtures, planches, pièces courbes, espars
et damoiselles, les chênes, les pins et les épinettes de
ce pays peuvent les offrir aux constructeurs de navires
de toutes dimensions, sans compter les goudrons,
brais et térébenthines que des artisans compétents
pourront extraire des racines de ces immenses pins
rouges qui parsèment le territoire. Quelques habitants
entreprenants commencent la production de bordages
et de merrains dès le milieu des années 1650, mais
c’est encore une fois l’intendant Talon qui donne le
coup d’envoi à l’exploitation à plus grande échelle des
diverses ressources requises par l’industrie. Trois des
navires qu’il fait construire à Québec entre 1668 et 1670
transportent ensuite aux Antilles un chargement de
planches avant d’y prendre du sucre destiné à la France.
C’est là le premier pas d’un commerce dit triangulaire,
qui aura ultérieurement une fortune variable, mais c’est
surtout le début de plusieurs expéditions d’exploration
des ressources suivies de quelques chantiers de coupes
forestières. Notre propos ne vise pas à rappeler les
essais et les diverses entreprises qui vont se succéder
depuis le séjour de l’intendant Talon jusqu’à la fin des
grands chantiers de la construction navale royale de
Québec en 1759 (Mathieu, 1971), ce qui nous importe
Source : Carte postale, ca. 1910.
Imperial Series no 292. Collection de l’auteur.
AUTOMNE 2013
13
Paul-Louis Martin
concerne la pratique qui semble bien s’être répandue
depuis, soit celle de nourrir en partie le personnel des
chantiers de coupe avec le gibier des environs. On sait,
d’après divers témoignages confirmés par les résultats
de fouilles archéologiques, que les soldats des forts et
des postes éloignés avaient l’autorisation de chasser le
gros et le petit gibier afin d’améliorer leur « ordinaire »
voire aussi de trafiquer les peaux et les fourrures autres
que celle du castor avec les « sauvages » des environs
(Bonnefons, 1887 ; 173). Il s’agit là, raconte cet officier,
d’une pression supplémentaire qui s’est exercée sur
les cheptels des cervidés autour du lac Champlain et
le long de la rivière Richelieu où s’alignaient plusieurs
fortifications. Ce que l’on savait moins, c’est qu’un
prélèvement identique du gros gibier et de la faune
environnante semble bien avoir accompagné les
premiers grands chantiers forestiers établis dans
l’arrière-pays de Charlevoix à la fin du XVIIe siècle. Qu’il
s’agisse de l’exploitation des bois de mâtures par la
société de Grignon et Delorme, présente à La Malbaie
en 1687, ou de la goudronnerie de Baie Saint-Paul
établie par les Messieurs du Séminaire de Québec en
1709, les deux entreprises engageaient chaque hiver
entre trente et cinquante bûcherons qui cabanaient à
cinq ou six lieues à l’intérieur des terres et, bien sûr, qu’il
fallait nourrir. Entre autres vivres, avec le grand gibier
trouvé sur place ? C’est bel et bien ce que laisse entendre
un contrat d’engagement d’ouvrier qui oblige le patron
à nourrir et loger l’employé ainsi qu’à « fournir la poudre
pour chasser et une ration d’eau de vie » (Fauteux,1927 ;
327). On est conscient de s’aventurer ici sur un terrain
fort peu documenté qui nécessiterait plusieurs
recherches et des confirmations archéologiques, sauf
que l’hypothèse que nous avançons est pleine de sens.
Comment ne pas croire qu’ouvrir un chantier forestier
en territoire vierge n’allait pas entraîner quelque
récolte d’orignal ou de caribous, toutes viandes
fraîches à ajouter au menu quotidien dominé par le
pain, les galettes, les pois et le lard salé ? On peut croire
que de telles récoltes occasionnelles furent adoptées
tout au long du XVIIIe siècle dans d’autres chantiers
importants comme ceux de l’abbé Louis Lepage (1690
- 1762) premier entrepreneur forestier de Terrebonne
qui aménagea sur la rivière des Mille-Îles ce qui est
encore connu comme l’Île des Moulins. Certains de
ses chantiers étaient situés plusieurs lieues au nord de
sa seigneurie d’origine où il tenta aussi d’exploiter le
minerai de fer et une forge. Comment nourrissait-on ces
bûcherons ? En récoltant occasionnellement le grand
gibier des environs ? Une telle pratique aurait pu aussi
14
HISTOIRES FORESTIÈRES
être adoptée par les experts en bois de construction
navale et les partis d’exploration des ressources qui, à la
demande de l’intendant Hocquart, parcoururent à partir
de 1738 les deux rives du fleuve depuis Trois-Rivières
jusqu’au lac Ontario, les contours du lac Champlain et
de ses cours d’eau, les abords du Richelieu, les régions
de Charlevoix et de Chicoutimi. « À la fin de l’automne
ou au début de l’hiver, la petite troupe de six à dix
personnes quittait Québec à destination des zones
à explorer et en revenait un ou deux mois plus tard,
juste à temps pour indiquer les endroits favorables à
l’exploitation » (Mathieu, 1971 ; 31). Comment croit-on
pouvaient se nourrir ces groupes d’explorateurs lors
de leurs séjours dans un territoire sauvage ? Sinon,
en partie tout au moins, « au bout du fusil » selon une
expression consacrée, ou même au bout d’une lance
puisque la technique de capture hivernale de l’orignal
consistait à écarter une bête de son ravage et à la forcer
à s’épuiser dans la neige profonde où elle devenait
facile à abattre.
En somme, voici sans doute l’origine d’une pratique de
chasse, appelons-la alimentaire, qui a accompagné les
premiers forestiers et qui semble bien s’être maintenue,
non pas de manière très répandue, cela reste difficile
à vérifier mais, du moins à l’occasion, et jusqu’à
une époque récente. J’ai en effet recueilli quelques
témoignages d’un cuisinier de chantier qui n’hésitait
pas à tirer quelques orignaux ou chevreuils, aperçu à
rôder autour des bûchers, afin d’offrir un peu de viande
fraîche aux bûcherons. Cela se passait dans les années
1930, et même si les inspections des garde-chasses
étaient plutôt rares, ce cuisinier très prudent conservait
néanmoins son fusil bien accroché sous le plateau de
sa table de travail…
Que peut-on conclure de ces récoltes sélectives de
bois effectuées pendant un peu moins que deux
siècles de domestication des paysages laurentiens ?
Si les conséquences très sérieuses des prélèvements
de ces différents bois, de construction, navale et
domestique, bois de chauffage et autres, semblent
encore relativement limitées, au contraire la récolte
commerciale de la grande faune des cervidés wapitis, orignaux, caribous, cerfs de virginie – a réduit
considérablement leurs populations au point où des
changements majeurs vont bientôt survenir dans leurs
rangs.
Paul-Louis Martin
S’il faut en tirer une constatation d’ordre moral, disons que nos ancêtres français ont réagi comme tous leurs
voisins, Hollandais et Anglais, devant les incroyables ressources fauniques du Nouveau Monde, ils en ont organisé
l’exploitation intensive et continue sans égard à d’autres aspects que le profit et l’enrichissement. L’heure de la
conservation n’avait pas encore sonné.
Aux XIXe et XXe siècles : les corollaires de l’industrialisation
LE RETOUR
Ce sont surtout des militaires de la garnison de Québec qui ont commencé, vers
1840, à pratiquer la chasse aux trophées d’orignal et de caribou dans les hauteurs
des Laurentides, aux sources de la rivière Jacques-Cartier et de la Montmorency.
Source : Huile de Cornélius Krieghoff, 1871. Fonds IOAQ. Collection privée.
AUTOMNE 2013
15
Paul-Louis Martin
Rappelons brièvement les trois grandes étapes de l’industrie forestière qui s’active au Bas-Canada à partir de la
fin du XVIIIe siècle et qui poursuit sa lancée au long des XIXe et XXe siècles. L’histoire a retenu la période du bois
d’œuvre associé au bois carré destiné à la construction navale, en gros de 1780 à 1850 ; ce fut l’époque des grands
chantiers navals de Québec, des nombreux moulins à scie du littoral laurentien et celle des radeaux de bois, les
cages, conduites par les cageux, flottées depuis l’Outaouais et le haut Saint-Laurent. Suivit, à partir des environs de
1840-50, un essor considérable de la production et du commerce des bois de construction destinés aux marchés
local et surtout continental, en grande partie en raison de l’adoption généralisée de la technique de construction
dite « balloon frame » ou ossature légère de bois – en madriers de 2’’ x 4’’, 2’’ x 6’’ et autres de 8 et 10 pieds de
longueur - qui s’est répandue à toute vitesse depuis Chicago où elle serait apparue dans les années 1830 (Martin,
1999 ; 287). On pourrait ajouter aussi à partir de cette époque les marchés moins bien connus de la potasse et du
bois de fuseau, tous deux requis par les filatures du Royaume-Uni, et qui permirent à nombre de défricheurs de
survivre à leurs premiers moments d’établissements. Finalement, survient en troisième phase, à partir des années
1875, l’exploitation des résineux pour la fabrication de la pulpe, puis du papier ; exploitation qui se maintient tant
bien que mal en ce début de 21e siècle.
LE TROPHÉE
Croquée sur place le 14 novembre 1898,
cette photographie de Louis Belle,
captée derrière Rivière-du-Loup, illustre
les frères Jacques et Yves Bertrand, en
tenue du «dimanche», venant d’abattre
un jeune cerf de Virginie. Avant les
années 1840, ce beau cervidé n’est
présent qu’au sud-ouest du Québec,
mais à la faveur de la colonisation, d’un
probable réchauffement du climat et
surtout des déboisements généralisés,
le « chevreuil » amorce une véritable
épopée nordique qui le mènera dans les
Bois-Francs en 1850, sur la rive sud du
Saint-Laurent, en 1870, près de Québec
en 1880, puis jusqu’au Lac Saint-Jean
en 1904.
Source : Fonds Belle-lavoie. Musée du Bas Saint-Laurent,
Rivière-du-Loup.
16
HISTOIRES FORESTIÈRES
Encore présents sur le territoire, ces deux derniers types
d’exploitation, bois de construction et bois de pâte,
ont bénéficié au fil des ans de concessions forestières
considérables tant au sud qu’au nord de la vallée du
Saint-Laurent, ouvrant de multiples chantiers de coupe
et autant de routes pratiquement partout dans ce vaste
domaine forestier. Au point où les compagnies frôlent
maintenant plus au nord la lisière de la taïga. Trois
impacts majeurs, devenus autant de faits historiques
corollaires, accompagnent ce développement et cet
essor quasi continu de la grande industrie forestière :
la valorisation de la chasse et de la pêche sportives
dès les années 1840, le changement de paradigme
dans notre rapport à la faune et à la nature en général
et enfin l’instauration du système des clubs privés de
chasse et pêche, mis en place en 1885 et aboli en 1978.
La chasse et la pêche sportives
La transition de la valeur commerciale de la faune à
une catégorie d’activité dite de loisir est lent et semé
de péripéties. On se rappelle que les plaisirs de la
chasse aux oiseaux migrateurs ont été partagés sous
le Régime français par plusieurs seigneurs et officiers,
familiers avec les armes, mais aussi par beaucoup de
censitaires établis près du fleuve. En témoigne un peu
plus tard un accord datant de 1803 visant à encadrer
de façon plus « sportive » la chasse à l’oie blanche sur
les rivages de Cap-Saint-Ignace (Martin, 1990 ; 57). En
revanche, la chasse au gros gibier n’était encore qu’une
affaire de récolte de peaux. Ce sont plutôt les militaires
britanniques en garnison à Québec, Sorel ou Montréal
qui, peu à peu, vont accorder à la grande faune locale
une plus-value durable qui va conduire à modifier
Paul-Louis Martin
plus généralement les rapports sociaux à son égard.
En 1840, paraît à Londres une histoire naturelle du
Bas-Canada, œuvre du naturaliste P. H. Gosse. Elle est
suivie en 1845, aussi à Londres, du récit d’un séjour à
Québec d’un officier britannique du nom de Frederic
Tolfrey. Publié sous le titre « The Sportsman in Canada »,
l’auteur y relate avec verve ses excursions de chasse à la
sauvagine sur la Côte-de-Beaupré, de pêche au saumon
sur la rivière Jacques-Cartier et d’autres aventures plus
à l’ouest. Bien qu’il les ait vécues entre 1816 et 1818, ses
descriptions imagées et passionnées, que j’ai traduites
et publiées en 1979, constituent un point tournant dans
la perception des ressources fauniques que recelait
alors le Bas-Canada. En effet, s’ensuivent alors d’autres
chasseurs européens, comme Benedict-Henry Révoil
en 1844, d’autres militaires comme le major W. Ross
King et John J. Rowan qui à leur tour vont faire l’éloge
dans leurs récits de la grande et petite faune d’ici. C’est
d’ailleurs grâce à ces auteurs que la technique de chasse
à l’orignal au moyen de l’appel commence à s’imposer
en dépit de certaines réticences initiales ; la qualifiant
d’abord indigne du sport, « unsportsmanlike », l’un
d’entre eux l’ayant vécue de près écrira : « au contraire,
je ne connais pas de sport plus fascinant ». Apparaissent
alors dans le paysage de Québec, encore capitale
du pays, d’autres chasseurs et pêcheurs comme le
lieutenant-colonel William Rhodes qui se rendra
célèbre par ses chasses prolifiques dans les hauteurs
de Charlevoix (Smith, 2001 ; 51). Il sera entouré ensuite
de plusieurs amateurs de chasse et amis des sciences
naturelles qui vont participer à un éveil salutaire à
l’égard de la conservation non seulement de la faune
mais de la nature en général. Portés par le courant
romantique qui domine la littérature, les beaux-arts
et l’architecture depuis la fin du siècle précédent, les
esprits s’ouvrent également à de nouvelles réalités
sociales et aux méfaits d’une industrialisation aveugle
qui commence à dégrader sérieusement les conditions
et les milieux de vie. À la suite des grandes épidémies
de choléra des années 1830, un vaste mouvement
d’hygiène publique promeut la nécessaire salubrité de
l’air, de l’eau et de la qualité de la vie dans les milieux
urbains. S’y greffent les passions horticoles de l’ère
victorienne et la mode des jardins d’agrément qui
débordent sur un intérêt manifeste pour l’ensemble
des sciences naturelles. Pendant que certains suivent
de près les récits des explorateurs qui, comme
Darwin, repoussent les frontières du savoir, d’autres
se préoccupent des appétits de l’industrie forestière
en voie de raser d’immenses portions des domaines
forestiers, d’abord aux Etats-Unis et, bientôt, au Québec
et au Canada. Suite à la tenue à Montréal en 1882 d’une
session du Congrès forestier américain, le commissaire
des Terres de la Couronne du Québec, W. H. Lynch, écrit
que la valeur de nos richesses forestières et la rapidité
avec laquelle disparaissent les forêts de nos voisins
nous imposent comme devoir impérieux l’obligation
de veiller à leur conservation. Voilà pourquoi, écritil, des associations surgissent partout dans le but de
« pourvoir au reboisement et à la conservation de
la forêt là où elle n’est pas entièrement disparue ».
Associées aux chantiers de coupe qui se multiplient
tant dans le piémont des Laurentides que dans celui
des Appalaches, de nouvelles vagues de colons et
de défricheurs empruntent à leur tour les nouveaux
chemins et les voies charretières aménagées par les
compagnies. Un nouveau venu, le chemin de fer,
vient ajouter une menace supplémentaire à l’état jugé
inquiétant de la grande faune sauvage. Et puisqu’il est
encore d’usage à l’époque, comme au tout début de ce
siècle de migrations intérieures, d’encourager le colon
en lui garantissant qu’il pourra survivre par la chasse et
la pêche, des mesures de conservation s’imposent de
toute évidence aux yeux des autorités de la province.
L’adoption de règlements de chasse plus contraignants
en 1876 et même d’une loi du mâle pour l’orignal dans
les années 1880 n’ont donné que peu de résultats faute
de gardes-chasses en nombre suffisant et en raison
aussi de la trop grande tolérance des élus locaux. Voilà
qu’un concours de circonstances se présente qui va leur
permettre de répondre aux pressants besoins d’action.
Les clubs privés de chasse et de pêche
Sans doute inspirée par le modèle britannique fort
répandu, la formule du club, groupement exclusif
d’adeptes d’une activité ou d’une pratique, était
en vigueur depuis déjà quelques années pour la
pêche au saumon dans la vallée de la Matapédia. Ce
furent cependant deux industriels de la foresterie,
un Américain, William Parker et un Canadien
Français, Louis-Alphonse Boyer qui mirent sur pied
près de Saint-Élie-de-Caxton le premier club privé
de chasse et de pêche, le club Winchester (Martin,
1990 ; 86). Grâce à ses contacts en haut lieu en tant
que député de la Chambre des Communes, L.-A.
Boyer se fit concéder en location une portion des
terres publiques afin d’y pratiquer en exclusivité
la chasse et la pêche. Véritable réserve privée, ce
club n’eut aucun mal à recruter cinquante membres
AUTOMNE 2013
17
Paul-Louis Martin
LE « CLUB HOUSE », LE CHALET PRINCIPAL DU CLUB TRITON
Le fondateur du club Triton s’appelait
Alexander Luders Light et il agissait
comme l’ingénieur en chef de la
construction du chemin de fer menant
au Lac Saint-Jean en 1888. Construit
au lac à la Croix en 1897, ce camp
principal mesurait 100 pieds sur 50,
comprenait une vingtaine de chambres,
salon, salle à manger, hall d’entrée,
cuisines, magasins, etc. le tout orné
de plusieurs foyers et des boiseries de
bois verni. Les 150 membres privilégiés
de ce club purent profiter de ce qui
est inimaginable de nos jours, soit des
truites mouchetées de 7 et 9 livres
et des caribous et des orignaux aux
panaches exceptionnels.
Source : ANQ. Fonds Livernois. Vers 1900.
Tiré de La Chasse au Québec, p. 109.
18
HISTOIRES FORESTIÈRES
qui déboursèrent chacun cent dollars comme frais
d’adhésion et d’établissement. D’autres demandes
semblables parvinrent ensuite à Québec, dès 1883,
si bien que le gouvernement d’Alfred Mousseau, trop
heureux d’y trouver la solution à plusieurs problèmes,
confie au Commissaire des Terres de la Couronne le
soin d’élaborer le meilleur modèle de concession
et de bail afin de l’inscrire dans une loi. Adoptée en
1885, la loi facilitant « la formation en cette province
de clubs pour la protection du poisson et du gibier »
(SRQ, 48 Victoria, ch. 12) venait créer des espaces où
l’État allait s’assurer, via un accès limité au territoire
concédé et un gardiennage obligatoire défrayé par le
club, un certain contrôle sur les ressources fauniques,
tout en tirant du système un bénéfice monétaire non
négligeable. S’y grefferont par la suite des avantages
politiques discrètement rétribués… La mesure fait
vite boule de neige et la bonne nouvelle se répand à
la grandeur non pas seulement du Québec, mais dans
tout le nord-est du continent. Au point où plusieurs
Paul-Louis Martin
présidents des Etats-Unis, des contre-amiraux et des
généraux d’armée, des gouverneurs, des industriels
célèbres et des financiers de haut niveau vinrent
profiter du « Sportsman Paradise » offert par la « French
Province. » Dans plusieurs paroisses agro-forestières
des Laurentides, la venue d’autant de gens fortunés et
exigeants bénéficia grandement à l’économie locale,
tout en provoquant ici et là la renaissance d’un type
de relations sociales qu’on avait cru disparues, celles
des maîtres et des valets.
début de la décennie 1950, sonnait le début des
loisirs généralisés et plus accessibles. Avec le réveil
du sentiment national au début des années 1960, il
était presque inévitable que l’on se débarrasse de ce
système de concessions et de privilèges confinant au
colonialisme, voire, dans certains cas, à un relent de
l’ancien régime féodal. Le système des clubs privés
fut enfin aboli en 1978 et remplacé par un réseau plus
démocratique de zones d’exploitation contrôlée.
Une faune sauvée par la science.
À la suite du club Shawinigan constitué en 1883 et du
Laurentian en 1886, plus de cinquante clubs voient
le jour en très peu d’années, dont le plus célèbre, le
Triton en 1893. À titre d’exemple, à lui seul, ce dernier
club engagea pas moins de 90 guides et portageurs à
la fin du mois d’août 1908, pour assister ses nombreux
membres qui profitaient simultanément de la fin de la
saison de pêche et du début de la chasse à l’orignal
et au caribou. En 1915, on compte plus de trois cents
clubs, près de six cents en 1945 et finalement autour
de 2 000 au milieu des années 1960. Je ne reprendrai
pas la brève histoire que j’ai déjà consacrée à ces clubs
privés, qu’il suffise d’évoquer un bilan pour le moins
mitigé avancé par la plupart des observateurs de ce
système. Le premier résultat positif fut sans aucun
doute de préserver une population valable de grands
cervidés : cette année-là, 1885, le surintendant de la
chasse, J.N. Proulx se déclarait incapable de mettre
un frein « aux boucheries d’orignaux et de caribous ».
En revanche, la pression de la pêche sportive sur
l’immense réseau de lacs et de rivières donna
naissance à une gestion piscicole particulièrement
efficace, mais un peu trop créative ayant entraîné des
suites hautement discutables eu égard à l’introduction
d’espèces exotiques (Kinsey, 2008 ; 276). Dans son
ensemble, le système des clubs privés a cohabité sans
trop de heurts avec l’industrie forestière, patrons de
compagnies et ouvriers des moulins et des papeteries
se partageant respectivement dans leurs propres
clubs de vastes portions, souvent voisines, des riches
territoires nouvellement accessibles grâce à leurs
propres routes. L’iniquité logeait davantage dans la
population en général, dans cette classe moyenne en
pleine croissance depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale et qui ne demandait qu’à profiter à son tour
des richesses de cette généreuse nature. L’invention
du « congé de fin de semaine », grâce à ce samedi
non travaillé dorénavant inscrit dans les conventions
remportées de haute lutte par les syndicats au
En rétrospective et même en l’absence de statistiques
plus étoffées, il faut bien conclure que le Québec a frôlé
la catastrophe : le pillage des grands mammifères n’a
connu un frein qu’à l’extrême limite du raisonnable. Le
wapiti était déjà pratiquement disparu du territoire à la
fin du XVIIe siècle ; l’un des derniers caribous au sud du
Saint-Laurent, à l’exception des Chics-Chocs, aurait été
abattu dans les savanes de Lotbinière, vers 1885, par
Napoléon A. Comeau. Quant à ceux qui subsistaient
encore dans et autour du Parc des Laurentides, sur
les hauteurs de Charlevoix, le Ministère de la Chasse
se vit obligé en 1928 d’en bannir toute chasse, tout
en renouvelant aussi l’interdiction de commerce sur
la viande d’orignal et de chevreuil. À tout dire, les
gestionnaires de la chasse et de la pêche manquaient
encore totalement de données et de statistiques sur
l’état des populations fauniques. Il y eut bien la création
de l’Office de biologie du Québec, en 1942, mais qui
concentra davantage ses travaux sur la pêche et la
santé des lacs. L’état des grands cervidés restait encore
mal connu. Malgré de timides signes d’alerte de la
part de quelques ingénieurs forestiers nouvellement
formés par l’Université Laval, il faut attendre l’arrivée de
biologistes très influents, les Vianney Legendre, Pierre
Dansereau, Gaston Moisan et autres pionniers qui ont
formé de nouvelles générations de professionnels
rompus aux méthodes d’inventaires, terrestres et
maintenant aériens, ainsi qu’aux analyses des milieux
de vie et des populations sauvages qu’ils abritent.
Leur approche plus scientifique et écologique, fondée
sur des données incontournables, est parvenue à
s’introduire dans les ministères responsables des
ressources naturelles dès les années 1950, non sans
heurts et grincements de dents, si bien qu’aujourd’hui,
après soixante ans de gestion raisonnée, la grande
faune au Québec se trouve dans son ensemble en
situation d’abondance, voire même en surplus dans les
cas de l’ours et du cerf de Virginie.
AUTOMNE 2013
19
Paul-Louis Martin
LE PARADIS DE LA CHASSE
ET DE LA PÊCHE
Voilà le type de publicité que le Québec
diffusait chez nos voisins américains et
canadiens au début du 20e siècle.
VOLUMES CITÉS
Bédard, Jean, ed. Alces, Écologie de l’orignal. Québec, Les Presses de
l’Université Laval, (PUL), 1975
Bonnefons, Jean-Claude. Voyage au Canada dans le Nord de l’Amérique
septentrionale fait depuis l’an 1751 à 1761. Québec, Imprimerie Léger
Brousseau, 1887.
Boucher, Pierre. Histoire véritable et naturelle du pays de la Nouvelle-France.
Montréal, Imprimerie E. Bastien, 1882.
Dupont, Jean-Claude et Mathieu, Jacques. Les métiers du cuir. Québec, PUL,
1981.
Fauteux, Joseph-Noël. Essai sur l’industrie au Canada sous le Régime français.
Québec, Imprimerie Ls-A. Proulx, 1927, t. 1 et 2.
Gaumond, Michel. La place royale, ses maisons, ses habitants. Québec,
Ministère des Affaires culturelles, 1976.
Gray, Hugh. Letters from Canada. London, Longman, Hurst et al, 1809. Réimp.
Toronto, Coles Publisher, 1971.
Kinsey, Darin. Fashioning a Freshwater Eden : Elite Anglers, Fish Culture and
State Development of Québec ‘ Sport’ Fishery. Université du Québec à TroisRivières, thèse de Doctorat no. 196, 2008.
Martin, Paul-Louis. La chasse au Québec. Montréal, Boréal. 1990.
--------------------------- À la façon du temps présent. Trois siècles d’architecture
populaire au Québec. Coll. Géographie historique. Québec, PUL, 1999.
--------------------------- Tolfrey, un aristocrate au Bas-Canada. Montréal, Boréal
Express, 1979.
Mathieu, Jacques. La construction navale royale à Québec, 1739-1759.
Québec, La société historique de Québec, 1971.
Niort, Mémoires ouvrières et Patrimoine industriel de Poitou-Charentes. WWW.
Niort.
RAPQ. Rapport de l’archiviste de la Province de Québec. Mémoire de Ruette
d’Auteuil sur l’état présent du Canada, 12 décembre 1715 et 25 janvier 1719.
Québec, Imprimerie Ls-A. Proulx, 1923.
Smith, Frédéric. Cataraqui, histoire d’une villa anglaise à Sillery. Québec, Les
Publications du Québec, 2001.
Source : Brochure du Ministère des terres et forêts.
Collection de l’auteur.
En conclusion de « La Chasse au Québec », parue en
1990, je souhaitais l’adoption d’une politique intégrée
d’exploitation du domaine forestier et des espaces
sauvages au moyen d’unités d’aménagement pouvant
compter sur les ressources humaines variées présentes
dans nos jeunes générations : biologistes, ingénieurs
forestiers, techniciens de la faune, économistes,
écologistes, agents de conservation et bien d’autres.
Or, il semble bien que ce souhait soit en voie de se
matérialiser avec le nouveau régime forestier entré ce
printemps en vigueur. Ce fut cependant un très long
chemin avant d’y arriver.
Paul-Louis Martin
Historien et ethnologue
20
HISTOIRES FORESTIÈRES
MERCI À NOTRE COMMANDITAIRE
AUTOMNE 2013
21
MERCI À NOS MEMBRES VAN BRUYSSEL
22
HISTOIRES FORESTIÈRES
DARIN KINSEY
L’empreinte écologique d’un loisir :
pêche sportive, science et transformation
des écosystèmes forestiers du Québec
Par Darin Kinsey, Ph. D.
Historien de l’environnement, M. Kinsey, Ph. D., étudie la corrélation entre les
changements culturels et environnementaux. Il s’intéresse plus particulièrement
au rôle et à l’interaction entre les milieux scientifiques et l’État dans la création
et le développement politiques sur les pêches et à l’application de l’aquaculture
au Québec, au Canada et en France. L’article qui suit est une continuité de sa
thèse de doctorat soutenue à l’Université du Québec à Trois-Rivières et intitulée
Fashioning a Freshwater Eden: Elite Anglers, Fish Culture, and State Development
of Quebec’s Sport’s Fischery. Dans le cadre de ses études, M. Kinsey a obtenu la
bourse de recherche Joan Nordel de la bibliothèque Houghton de l’Université
Harvard lui donnant accès entièrement à la plus importante collection de livres
spécialisés sur la pêche à la ligne et à la pisciculture de la collection Daniel B.
Fearing.
Texte rédigé pour la Société d’histoire forestière du Québec par l’auteur. Traduction : René Doucet et Louise Delisle (texte
biographique). Adaptation française : Martin Hébert et Gérard Lacasse. Révision linguistique : Amélie Dugal (Maelström créatif).
De nos jours, nous comprenons, au moins en termes généraux, le processus de la dégradation continue des
écosystèmes forestiers qui perdure depuis près de deux cents ans. Cette compréhension est due à l’existence
d’analyses historiques appuyées sur des données archivistiques, qui démontrent des modifications substantielles
dans la résilience et la diversité des écosystèmes, ainsi qu’une diminution radicale des forêts non perturbées par
des activités humaines1. Au vu des images produites au cours de ces deux derniers siècles, montrant des rivières
couvertes de billes de bois ou des coupes à blanc, comme dans le célèbre film L’Erreur boréale, l’abattage du bois par
l’industrie forestière est souvent perçu, dans l’esprit populaire, comme le seul grand coupable des perturbations
majeures de la nature au Québec.
Cependant, l’abattage industriel des arbres n’est pas le seul facteur par lequel les forêts du Québec sont, depuis
longtemps, affectées et transformées par l’activité humaine. Il faut penser, entre autres, aux extractions minières et
aux barrages hydro-électriques, qui ont laissé une empreinte permanente sur la forêt. Par ailleurs, d’autres sources
majeures de perturbations de la forêt ne sont pas liées à l’exploitation industrielle de la nature. Il est reconnu
que les activités domestiques, comme l’extension de l’habitat humain pour des fins agricoles, font partie des
causes principales de la déforestation au 19e siècle. De plus, les récoltes de bois de chauffage ont été au moins
aussi importantes en volume que l’exploitation du bois pour les besoins de l’industrie à cette époque2. Dans la
plupart des cas, ces activités économiques ont été soutenues par les différents ministères puisque l’État, à titre de
gestionnaire du territoire publique, a la responsabilité de protéger et de mettre en valeur ces ressources naturelles
afin de générer une activité économique qui procure des retombées pour l’ensemble de la société.
Parmi ces multiples sources de perturbations écologiques, la mise en valeur des ressources fauniques et
halieutiques pour des fins récréotouristiques est rarement considérée comme source des modifications
historiques des écosystèmes. Cet article s’intéresse donc particulièrement à ces activités, notamment à celles
AUTOMNE 2013
23
DARIN KINSEY
d’un groupe de chasseurs et pêcheurs communément
appelés sportsmen qui, jusqu’au milieu du 20e siècle, se
distinguaient du citoyen ordinaire qui allait à la pêche
et la chasse pour assurer sa subsistance. La pêche et la
chasse récréatives se sont démocratisées à partir des
années 1960 au Québec. Avant, les sportsmen étaient
plutôt un groupe restreint de gens aisés, avides de
loisirs, principalement originaires des centres urbains
en croissance du Canada et des États-Unis. Ils étaient,
pour la plupart, des magnats de l’industrie, de puissants
politiciens ou des gens indépendants de fortune. Ces
sportsmen estivaux appartenaient donc à l’infime
partie de la population qui jouissait de suffisamment
de temps libres et de revenus pour pratiquer ces loisirs.
Le guide Arthur Lirette en compagnie
du président des États-Unis, Théodore
Roosevelt, (1859-1919). Il pose ici
fièrement avec sa carabine Springfield,
modèle 6 000 en main, avec laquelle il
aurait abattu près de 300 gros gibiers sur
trois continents. Le président Roosevelt
est considéré comme un pionnier de la
politique de la conservation de la nature
aux États-Unis.
Thomas D. Whistler et sa prise, une truite
de 8½ livres, au lac Moïse. M. Whistler était
un concepteur d’ascenseurs hydrauliques
pour la compagnie de gaz Manhattan à
New York et assistant-ingénieur pour
la commission des aqueducs de la ville
de Tarrytown, situé dans l’État de New
York, en plus d’être un membre éminent de
l’American Society of Civil Engineers.
Source : Yves GINGRAS et Maud LIRETTE. Le club Triton : l’histoire du plus prestigieux club de chasse et
pêche au Québec, Québec, Éditions Rapides Blancs, 1989.
Source : Yves GINGRAS et Maud LIRETTE. Le club Triton : l’histoire du plus prestigieux club de chasse et
pêche au Québec, Québec, Éditions Rapides Blancs, 1989.
24
HISTOIRES FORESTIÈRES
Cette élite des sports de plein air considérait les forêts
du Québec comme une sorte de cathédrale naturelle
agréable à visiter, regorgeant de poissons et de gibier,
débordante de curiosités exotiques, dont faisaient
partie les guides canadiens-français et amérindiens.
Par-dessus tout, les sportsmen goûtaient l’effet curatif
sur le corps et l’esprit d’une nature qu’ils considéraient
comme vierge en comparaison avec la vie urbaine,
contaminée par la pollution et un rythme de vie trop
rapide3. Les historiens se sont intéressés à ces sportsmen
en s’attardant soit aux souvenirs pittoresques de
traditions, le plus souvent oubliées, associés aux clubs
de chasse et de pêche, soit à l’impérialisme économique
et politique que ces villégiateurs exerçaient sur la
forêt canadienne4. Les deux interprétations ont leurs
avantages, mais aucune ne considère à quel point ces
DARIN KINSEY
« chercheurs de loisirs » sont eux-mêmes devenus des
agents de transformation des écosystèmes forestiers
au Québec.
Évidemment, le sportsman n’était pas nécessairement
conscient d’être un agent de perturbation et de
transformation des écosystèmes. Bien au contraire, il se
percevait comme un agent efficace de « conservation »
de la nature ; une conviction que partageait
également le gouvernement5. Comme le contrôle de
vastes territoires était entre les mains d’une poignée
d’individus qui ne le fréquenteraient que de manière
très occasionnelle, on croyait en effet que la pression
sur ces forêts serait minime. Par ailleurs, les sportsmen
avaient développé une puissante éthique de
conservation fondée sur leur propre sens de l’honneur
et sur une compréhension accrue de l’importance de
préserver les milieux naturels pour les générations
futures. Ces adeptes ont laissé des écrits éloquents et
passionnés, défendant « leurs lacs », « leurs rivières »
ainsi que « leurs fosses » à saumon6. Bien que plusieurs
d’entre eux aient été des propriétaires de scieries et des
dirigeants de compagnies forestières, ils dénonçaient
avec véhémence la pollution des cours d’eau par
le flottage du bois et le rejet des déchets de scierie
dans les rivières qui passaient sur « leur territoire »
de pêche favoris7. L’ironie de cette situation montre
éloquemment que cette éthique de conservation,
bien que réelle, était largement fondée sur une
politique qui réservait l’accès de certaines parties
inviolées de la forêt aux seuls visiteurs fortunés. À leur
sens, la protection de la nature au bénéfice des futures
générations était plutôt synonyme de la défense de
leurs privilèges transmis à leurs propres descendants.
Peu importe les conséquences pour l’ensemble des
citoyens... De fait, selon les sportsmen, la majorité des
citoyens étaient des gens rustres et destructeurs de la
nature8.
Au Québec, cette éthique élitiste de conservation a été
au cœur des intérêts convergents des sportsmen et de
l’État depuis la fin du 19e siècle jusqu’aux années 1960.
Cela résultait du fait que les sportsmen se trouvaient
à la croisée d’un grand dilemme auquel les autorités
provinciales faisaient face : le contrôle, la protection et
la rentabilisation de millions de kilomètres carrés de
forêt publique sans défense contre les feux de forêts et
les potentiels pillages des braconniers, des squatters et
des bûcherons.
Les membres des clubs de chasse et
pêche étaient considérés comme de
grands protecteurs de la nature. Sur
la photo, on retrouve quatre « chemises
rouges », les garde-feux du Seigniory
Club de Montebello, en Outaouais. De
gauche à droite Alex Wilson, commandant
du nord, Kenneth Tarrant, gardien de la
tour Baldy, H. D. Heaney, inspecteur et
Patrick Conners, patrouilleur.
Source : G. R. MAJOR, Yellow. Finding and Fighting a Forest Fire, The Illustrated Canadian Forest and
Outdoors, vol. 28, no 1, 1932, p. 31.
Durant les années 1880, le gouvernement provincial
se rangea à l’idée que les sportsmen représentaient
alors la meilleure option pour résoudre cette
problématique. Le gouvernement louait donc de
vastes étendues à prix modique pour une longue
période aux sportsmen, tirant ainsi quelques revenus
sur des terres inutilisées, tout en misant sur ce groupe
pour gérer, dans leur meilleur intérêt, la forêt et les
lacs qui s’y trouvaient9.
Déjà, au tournant du 20e siècle, il existait des centaines
de clubs de chasse et pêche dans la province. La plupart
d’entre eux ne possédaient que quelques kilomètres
carrés de forêt. Ils se trouvaient habituellement sous
le contrôle de l’élite locale. D’autres clubs, toutefois,
étaient situés sur d’immenses étendues, avec des
membres qui provenaient de Paris, New York et
Londres. Le Triton Fish and Game Club (aujourd’hui la
AUTOMNE 2013
25
DARIN KINSEY
Seigneurie du Triton), par exemple, s’étendait sur plus de 800 km2, jusque dans les montagnes de la Haute-Mauricie,
dans la région de La Tuque. Ses membres étaient surtout des Américains qui payaient environ 500 $ de cotisation
annuelle, soit beaucoup plus que le salaire moyen annuel de la plupart des Québécois à la même époque. Le
territoire de la Roberval Fish and Game Association était encore plus étendu, 78 000 km2, soit environ l’équivalent
de la province du Nouveau-Brunswick10. Ces deux clubs étaient aussi très exclusifs. Ils ne devaient jamais compter
plus de 100 membres, même si certains ne s’y rendaient jamais. Être membre d’un club était une façon d’afficher
son statut social.
Des prétendus sportsmen, posant dans un studio à Montréal, en 1868. Les élites
sportsmen nommaient souvent ce genre de pseudo sportsmen « donkeys », puisque
ceux-ci portaient souvent des équipements de grande qualité sans réellement connaître
ou pratiquer réellement le sport.
Source : MP-0000.136, © Musée McCord.
26
HISTOIRES FORESTIÈRES
DARIN KINSEY
Ces clubs exerçaient ainsi une grande domination
physique sur le territoire, car le bail qu’ils obtenaient
du gouvernement leur accordait le plein contrôle sur
l’accès à la forêt. Les fonctionnaires s’empressaient
généralement à répondre aux besoins des clubs, ce
qui donna à ces derniers une influence considérable
sur la politique de protection des forêts publiques.
Le statut de ces clubs était assuré par les lois
provinciales sur la chasse et la pêche, qui étaient
conçues en fonction des sportsmen, en marginalisant
et en criminalisant les activités de chasse et pêche
qui servaient à la subsistance ou au commerce des
habitants locaux et des autochtones.
Affiche informant la population de
l’interdiction d’entrer dans le parc des
Laurentides sans détenir une permission
spéciale du ministre des Terres et Forêts,
sans quoi le citoyen se voit infliger une
peine d’emprisonnement ou de travaux
forcés.
Source : Société d’histoire forestière du Québec.
C’est donc sans surprise que ce système est
rapidement devenu impopulaire. Il fut critiqué par
d’ardents nationalistes francophones du Québec,
comme par des Canadiens anglais et des Américains
qui en étaient eux-mêmes exclus11. Il fut donc
démantelé dans la vague de changements culturels
de la Révolution tranquille. Une organisation
particulièrement militante, nommée le Front de
libération des clubs de chasse et pêche, menant
des actions directes contre ces clubs de privilégiés,
a même vu le jour durant la période mouvementée
de la fin des années 60. En 1969, la bataille pour le
« déclubage » s’engagea, mais ce n’est qu’en 1978
que le territoire devint accessible à l’ensemble de la
population. Sous la gouverne du Parti Québécois, les
baux furent remplacés par le système des ZECS (zones
d’exploitation contrôlée), qui devait permettre une
utilisation plus générale et plus démocratique de
l’espace forestier. Il est à noter que ce changement
répondait essentiellement à des demandes liées
au mécontentement de la population face aux
clubs privés, mais non à de quelconques critiques
qui auraient pu exister à propos de l’efficacité de
l’administration de ces territoires du point de vue
de la conservation de la nature. En fait, l’éviction de
cette élite privilégiée sur le territoire publique du
Québec a fait oublier une question fort importante :
Est-ce que ces privilégiés se contentaient de profiter
du grand air, d’admirer le paysage forestier et de
récolter quelques poissons en échange d’une bonne
gestion du territoire publique ? Ou participaient-ils
plutôt à modifier le milieu naturel en fonction de
leurs intérêts et de leur propre conception de la
nature ? Pour examiner cette facette de leur usage du
territoire, cet article suivra les empreintes historiques
et écologiques d’un groupe particulier de sportsmen,
les anglers qui, munis de leur canne à mouche,
traquaient le poisson pour le sport et le plaisir.
Le 19e siècle et le début du 20e siècle ont été décrits
comme l’âge d’or de la pêche à la ligne, spécialement
par ceux qui recherchaient le saumon (Salmo salar) et
la truite mouchetée (Salvelinus fontinalis)12. La pêche
à la ligne était un loisir particulièrement significatif
pour les sportsmen provenant de classes les plus
aisées, tant en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis.
Tout comme le golf pour les générations suivantes,
bien des gens s’y adonnaient non pas uniquement
pour le plaisir, mais également pour afficher la
marque de leur statut social. L’élite anglophone
AUTOMNE 2013
27
DARIN KINSEY
dominait ce sport et, au Québec peut-être plus qu’ailleurs, être membre d’un club de chasse et pêche était
synonyme d’appartenance à une certaine élite. Dans un prospectus touristique de la fin du 19e siècle, on
décrivait en ces termes le territoire de pêche du Québec : « […] paradis du pêcheur à la ligne […] vingt fois
plus grand que l’Éden de Mésopotamie […] territoire arrosé par des milliers de lacs et des centaines de cours
d’eau plus importants que les plus grandes rivières d’Europe »13. Sur ce territoire idyllique, les rivières à saumon
représentaient le summum des endroits recherchés, exclusifs et exotiques.
Source : Louis-Zépherin JONCAS et E.T.D. CHAMBERS, The Sportsman’s Companion […],
Commissioner of Lands, Forests, and Fisheries, 1899.
28
HISTOIRES FORESTIÈRES
Source : Bibliothèque et Archives nationale du Québec, The Laurentian promenade, brochure, Québec :
Provincial Tourist Bureau, Dept. of Roads, 1931, page couverture. Cote V6T6/A14\L391-/1931/A
DARIN KINSEY
Au premier coup d’œil, les photographies de l’époque
montrant les activités de ces pêcheurs semblent
confirmer que les sportsmen étaient effectivement
des « agents de conservation ». Le portrait historique
qu’ont laissé les pêcheurs estivaux est formé d’images
bucoliques d’hommes assis dans des canots d’écorce
tenant des cannes à mouche ou fièrement allongés
sur l’herbe devant une longue rangée de truites de
ruisseaux. Pas exactement une image de destruction
massive et gratuite de la forêt !
Afin de mieux saisir les impacts que les sportsmen ont
exercés sur la forêt, il faut observer au-delà des photos,
comprendre au-delà de la rhétorique des pêcheurs et
chercher au-delà des documents promotionnels du
gouvernement, qui profitait alors du tourisme de luxe.
Évidemment, ce n’est pas chose simple. Les recherches
sont encore plus difficiles aujourd’hui compte tenu
de l’incendie survenu en 1981 dans un entrepôt de
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, qui a
détruit la majorité des registres de centaines de clubs
de chasse et pêche au Québec.
Toutefois, il existe encore suffisamment d’archives pour
dresser un portrait des activités des clubs et de la façon
dont le gouvernement provincial et ses scientifiques
ont agi pour adapter la nature aux besoins de leurs
activités récréatives. Un ensemble de documents,
probablement le plus complet et le plus éclairant, est
situé dans les archives de Bibliothèques et Archives
du Canada. Ce sont les documents relatifs au Denholm
Angling Club, qui se situait dans la municipalité de
Denholm en Outaouais. Cette collection d’archives
décrit les activités du club des années 1891 à 196814.
Pêche dans les montagnes
des Laurentides, vers 1928
Source : MP-0000.158.20, Photographie, diapositive sur verre, © Musée McCord.
AUTOMNE 2013
29
DARIN KINSEY
Situé dans le nord de la Gatineau, le Denholm Angling
Club était situé le territoire des lacs Saint-Germain et du
Marbre. Malgré la petite étendue de leur territoire (moins
de 10 km2), il était formé de Canadiens, pour la plupart
politiciens, juges et d’avocats, habitant le centre-ville
d’Ottawa. Les archives démontrent avec clarté l’intérêt
du gouvernement pour ce sport. On constate que,
même pour un si petit club, le gouvernement collabore
étroitement avec ses dirigeants pour « améliorer » les
conditions de pêche. Ces « améliorations » font partie
de l’histoire méconnue des clubs de chasse et pêche.
Elles montrent avec évidence que les pêcheurs étaient
plus que des « agents de conservation » passifs, mais
plutôt des éléments actifs de transformation du milieu
naturel15.
D’aucuns pourraient croire que l’une des actions les
plus néfastes sur le milieu naturel serait reliée au
prélèvement d’un trop grand nombre de poissons.
En fait, c’est plutôt le contraire. Ce sont leurs efforts
d’introduction, d’ensemencement des lacs, des
rivières et des ruisseaux de leur territoire qui apparaît
comme le plus problématique, du point de vue de
la conservation16. Dans plusieurs cas, les dirigeants
des clubs s’adonnaient à ces transformations parce
qu’ils croyaient qu’il y avait trop peu de poissons
pour satisfaire leurs membres. Ils choisissaient parfois
des espèces indigènes, prélevées dans les lacs des
environs. Mais, très souvent, l’ensemencement était
pratiqué tout simplement pour se conformer au goût
du jour. Cela signifiait souvent l’importation d’espèces
exotiques, comme les truites arc-en-ciel (Oncorhynchus
mykiss) et les truites brunes européennes (Salmo
trutta). Le saumon de l’Atlantique (Salmo salar) fut
également introduit dans des lieux inappropriés,
comme dans certains lacs sans issue, et des variétés
distinctes transportées d’une région à une autre17.
C’était longtemps avant que la science ait démontré
que l’introduction d’espèces exotiques transforme
les écosystèmes, souvent pour le pire. Les acteurs
de ces ensemencements ne pouvaient donc pas en
connaître les impacts. Il est toutefois intéressant de se
pencher sur ces évènements historiques pour mieux
comprendre les modifications à l’environnement qui
ont été causées.
La facilité avec laquelle on construisait des piscicultures
et la simplicité des techniques d’élevage rendaient
l’introduction de nouvelles espèces particulièrement
facile. Certains des plus grands clubs, comme le
30
HISTOIRES FORESTIÈRES
Seigniory Club à Montebello, possédaient leur propre
pisciculture sur place; elle servait à ensemencer leurs
lacs et rapportait des revenus grâce à la vente des
fretins juvéniles à d’autres clubs, comme le Denholm.
La plupart des clubs, cependant, comptaient sur les
six piscicultures fédérales et provinciales, réparties
un peu partout dans la province, qui géraient et
supervisaient l’élevage et la distribution gratuite du
poisson18.
Vue de la pisciculture de Saint-Faustin.
Source : Gouvernement du Québec, Rapport général du ministère de la Chasse et des Pêcheries pour
l’année finissant le 31 mars 1944, Québec, Rédempti Paradis, 1945, p. 56.
Classification de la truite à la pisciculture
de Saint-Faustin.
Source : Gouvernement du Québec, Rapport général du ministère de la Chasse et des Pêcheries pour
l’année finissant le 31 mars 1944, Québec, Rédempti Paradis, 1945, p. 57.
DARIN KINSEY
Des années 1868 jusqu’à 1915, les ensemencements étaient faits sans aucune direction scientifique ni supervision
avec une préférence marquée pour le saumon de l’Atlantique. En 1915, plusieurs des alevinières fédérales se trouvant
sur le territoire québécois ont été transférées à la province. Les établissements de pisciculture se sont retrouvés
sous la direction de Edward Thomas Davies Chambers avec objectifs de rentabiliser l’opération19. Individu coloré,
il jouissait d’une certaine popularité internationale en tant qu’auteur canadien de chasse et pêche, promoteur des
chemins de fer et promoteur touristique; mais Chambers ne possédait pas de formation en biologie de la pêche, ni
en aucune autre science. Il était guidé presque uniquement par son désir de répondre aux demandes des membres
des clubs de chasse et pêche pour des poissons « intéressants » pour les sportsmen. Pour les satisfaire, Chambers
construisait encore plus de piscicultures et développait des relations avec les responsables américains de chasse et
pêche des états voisins, en particulier ceux des états de New York, du Vermont et du Michigan, avec qui il pouvait
échanger des œufs. Selon un estimé conservateur basé sur les registres d’ensemencement, plus de 32 millions
d’alevins, la plupart d’espèces exotiques, furent ensemencés sur une période de 10 ans dans les cours d’eau des
forêts publiques du Québec. Les activités reliées aux piscicultures devinrent sous son mandat une activité associée
au tourisme20.
Ce n’est qu’en 1930, après le décès de Chambers, que la province engagea un scientifique, Bert W. Taylor, pour
diriger les travaux de pisciculture du ministère de la Chasse et de la Pêche21. Détenant une maîtrise en biologie de
l’Université McGill, il apportait certes un plus haut niveau de professionnalisme et de connaissances scientifiques au
programme provincial de pisciculture. Dès 1942, le gouvernement élargissait la portée de ses activités scientifiques
en créant le Bureau provincial de biologie, dirigé par le Dr Gustave Prévost.22 Même s’il existait un certain conflit
entre Prévost et Taylor sur la façon de réaliser leurs activités au sein du ministère de la Chasse et de la Pêche, les
clubs de chasse et pêche étaient devenus une source importante de revenus pour la province. Malgré leur usage
de la science, les deux hommes faisaient donc indéniablement porter leurs efforts sur la satisfaction des pêcheurs :
en somme, ils l’utilisaient plus efficacement pour y parvenir.
Les archives du Denholm Angling Club de 1938 à 1947 montrent que ses membres participaient activement aux
efforts du ministère. En 1942, le secrétaire du club, H. H. Ellis, écrivait à B. W. Taylor pour l’informer que, depuis la
fondation du club, les lacs avaient été « infestés par le crapet-soleil » (Lepomis gibbosus) et que la pêche à la truite
« montrait des signes de détérioration ». En 1945, le gouvernement y ensemença 5 000 saumoneaux par la voie des
airs, au coût de 251 $23. Deux ans plus tard, les membres s’inquiétaient que cette action ne donne pas de très bons
résultats. Lors d’une assemblée, la direction du club convainquit les membres que des mesures plus importantes
étaient nécessaires pour améliorer la qualité des lacs. En mai 1947, elle écrivit à Gustave Prévost du Bureau de
biologie pour s’enquérir de la possibilité de réaliser un inventaire des eaux du club et des actions qui pourraient
être entreprises pour améliorer la pêche. Prévost suggéra de contacter B. W. Taylor pour qu’il réalise un inventaire
scientifique en profondeur24.
AUTOMNE 2013
31
DARIN KINSEY
À la suite d’un échange de lettres négociant le prix et
les dates avec le secrétaire du Denholm Angling Club,
Taylor accepta de procéder. À l’automne, il se rendit
sur place avec deux assistants. Pendant quatre jours,
ils recueillirent des échantillons d’eau et de poissons.
Ils établirent, au moyen d’instruments appropriés,
la stratification thermique, à différents moments de
la journée, de tous les lacs du club, dont le lac SaintGermain, le lac du Marbre, le lac à la Loutre et le lac de
la Tuque. Ils calculèrent aussi le taux de prises et la taille
moyenne des poissons sur une période de trois ans, en
se servant des statistiques de pêche contenues dans les
archives du club. Enfin, ils analysèrent le comportement
des poissons du lac, dont le crapet-soleil25.
chaque année. Une fois tous les poissons exterminés,
une population de truite mouchetée en bonne santé
pourrait être réintroduite.26
Carte du Denholm Angling Club,
vue sur le lac Saint-Germain.
Registre des truites prises par cannes
par jours, 1891-1940. Le graphique
présente le déclin général du nombre de
poissons pris.
Source : Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Repeuplement du lac Saint-Germain et enquêtes
scientifiques, 1942-1945. Fonds Denholm Angling Club (1868-1973) (MG28-I183, R3002-0-5-E).
Les membres du Denholm Angling Club avaient très
hâte de prendre connaissance de son rapport, lui
écrivant même à deux reprises pour en connaître la
date de publication. Le 27 novembre 1947, ils purent
constater la clarté des conclusions de Taylor. Selon lui,
les zones littorales étaient « complètement envahies
par les poissons indésirables ». On avait trop pêché
les espèces « désirables », laissant ainsi les autres se
reproduire sans contraintes. Pour améliorer la pêche à
la truite, il faudrait donc « éliminer » le crapet-soleil et
autres poissons indésirables. La seule solution viable,
selon lui, était d’empoisonner tous les lacs du club avec
de la poudre de racines de Derris pour une période
de trois ans, en diminuant les doses progressivement
32
HISTOIRES FORESTIÈRES
Source : Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Plan de la municipalité de Denholm, Gatineau, Québec.
Données colligées par Denholm Angling Club. Matériel cartographique. Fonds Denholm Angling Club
(MG28-I183, R3002-0-5-E).
DARIN KINSEY
Empoisonnement d’un lac par la poudre
de Derris. Remarque : le personnel ne
porte aucune protection.
Le gouvernement faisait déverser des fertilisants
chimiques directement dans les lacs. Les biologistes de
cette époque avaient découvert que certains produits
favorisaient la croissance des poissons désirables30.
Leur effet était généralement d’augmenter le volume
de plantes aquatiques, le plancton, ainsi que le nombre
d’insectes dont se nourrissait la truite de lac. Toutefois,
le gouvernement émit très rapidement une mise en
garde : il fallait « utiliser avec précaution » ces produits,
car les eaux pouvaient verdir si la croissance des algues
était excessive, ce qui « empêcherait la truite de voir les
mouches ».31
Sous cette image, dans le rapport de
1944, on peut lire : « Influence des
engrais chimiques sur la croissance de la
truite mouchetée ».
Source : Gouvernement du Québec, Rapport général du ministère de la Chasse et des Pêcheries pour
l’année finissant le 31 mars 1944, Québec, Rédempti Paradis, 1945, p. 48.
La poudre de la racine de Derris est l’ingrédient actif
de la roténone27. Il affecte la respiration des poissons,
le faisant suffoquer. Les scientifiques actuels le
soupçonnent aussi d’être responsable de maladies
causées par l’exposition chronique aux pesticides,
comme le Parkinson28.
En 1948, le club accueillit favorablement les suggestions
de Taylor, mais demanda plus d’information sur les
moyens d’appliquer le programme d’empoisonnement
et sur son coût. Malheureusement, on ne sait pas s’il
fut effectivement appliqué, car les archives manquent
pour la période de 1948 à 1955. Cependant, en
étudiant les documents émis par le gouvernement
entre 1946 et 1948, on constate que le ministère de
la Chasse et de la Pêche avait utilisé cette poudre
pour « empoisonner » au moins une douzaine de lacs
d’importance stratégique.29
Comme ailleurs en Amérique du Nord et en Europe,
au cours de cette période, les solutions scientifiques
étaient de plus en plus associées à l’usage des
produits chimiques. Pour accommoder les clubs de
chasse et pêche au Québec, le gouvernement mit
également sur pied d’autres programmes de gestion
de la faune halieutique, en plus de traiter les lacs
qu’on croyait envahis par les poissons indésirables.
Source : Gouvernement du Québec, Rapport général du ministère de la Chasse et des Pêcheries pour
l’année finissant le 31 mars 1944, Québec, 1945, p. 48.
Le Service de biologie du gouvernement du Québec
avait également une solution chimique pour se
débarrasser des plantes qui proliféraient dans certaines
eaux, nuisant à la pêche. On ne savait pas exactement
pourquoi, mais on suspectait que cet envahissement
était dû aux polluants de source humaine, comme
les fertilisants provenant des fermes voisines et les
eaux de lavage gorgées de phosphates. Le traitement
chimique prescrit était généralement le Benoclor 3-C
(chlorobenzène liquide). Les tests effectués dans le lac
AUTOMNE 2013
33
DARIN KINSEY
Maskinongé ont démontré que ce traitement n’a pu
éliminer les algues... mais a emporté certaines espèces
de poissons et des grenouilles.
Équipement employé pour l’épandage
du Benoclor 3-C sur le lac Maskinongé.
Source : Gouvernement du Québec, Rapport général du ministère de la Chasse et des Pêcheries pour
l’année finissant le 31 mars 1948, Québec, 1949, p. 80.
Utiliser différents produits chimiques pour obtenir un
juste équilibre favorisant la croissance des poissons
par la propagation des insectes s’avéra une entreprise
extrêmement difficile et controversée. Les pêcheurs
jugeaient ces techniques bénéfiques et thérapeutiques
pour la santé de leurs eaux, mais la population
considérait les insectes servant de nourriture à la truite,
tel les mouches noires, moustiques et autres insectes
piqueurs, comme un fléau. L’idée d’accroître le nombre
de mouches noires, de propager des insectes nuisibles
qui gênent les adeptes de plein air était loin de plaire
à tous.
Le ministère de la Chasse et de la Pêche répondit à
ces plaintes en épandant encore plus de produits
chimiques. La situation porte à l’ironie. D’un côté,
on fertilisait des lacs pour augmenter la population
d’insectes, ce qui assurait la bonne santé des truites et
le bonheur des pêcheurs. De l’autre côté, on utilisait du
DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) pour éradiquer
les insectes sur le territoire des clubs. Étonnamment, les
rapports des scientifiques publiés par le gouvernement
au cours des années 1940 à 1950 ne font pas état de
cette situation. Rachel Carson, biologiste américaine, a
34
HISTOIRES FORESTIÈRES
fait paraître le livre Silent Spring, en 1962, une étudechoc qui a marqué la naissance du mouvement e
environnementaliste aux États-Unis et dans le monde.
Son but était de montrer les effets nuisibles du DDT
et d’autres produits chimiques, dont l’utilisation
abondante de ces produits toxiques, qui ont des effets
très dommageables sur la santé humaine et la santé
de la vie forestière. Carson contribua à l’interdiction
du pesticide DDT aux États-Unis en 1972, mais ce
n’est qu’en 1991 que son utilisation fut définitivement
abandonnée au Canada.
Le gouvernement du Québec percevait les bonnes
relations avec les sportsmen, et surtout avec les
pêcheurs, comme des mesures de protection de
l’environnement. Au fil des années, le gouvernement
s’efforça donc de répondre à leur besoin d’aménager
des lacs en forêt. Toutefois, des rapports statistiques
démontrant les effets des clubs de pêche, comme
celui de Denholm, démontrent qu’un nombre
trop élevé de captures a causé un affaiblissement
des populations de poissons. Mais plutôt que de
s’autocritiquer, les pêcheurs cherchaient alors une
panacée scientifique.
La lecture des archives du Denholm Angling Club
et d’autres clubs du Québec, des rapports du
ministère de la Chasse et de la Pêche et du service
de Biologie du Québec, publiés des années 1890
aux années 1960, montre que les sportsmen étaient
beaucoup plus de que simples pêcheurs. Ils faisaient
partie intégrante d’un important système. En
échange d’une promesse de bonne intendance, les
scientifiques gouvernementaux aidaient activement
les pêcheurs à modeler les paysages de leurs lieux de
loisirs privilégiés. Ils recouraient systématiquement
à la pisciculture, y compris à l’introduction
d’espèces exotiques, de même qu’à de nombreuses
interventions chimiques dont les effets à long terme
étaient tout à fait inconnus et nullement étudiés
avant de les appliquer à grande échelle.
DARIN KINSEY
comme les coupes à blanc, les vastes cratères causés
par l’extraction de minéraux ou encore les inondations
de grandes étendues de forêt causées par les barrages
hydroélectriques. Toutefois, lorsque les changements
sont plus difficilement perceptibles, comme ceux
qui découlent des activités récréatives ou d’objectifs
prétendument « nobles » de conservation, il est plus
difficile de percevoir à quel point l’empreinte humaine
est profonde sur les milieux aquatique et forestier.
Certaines activités ont un important potentiel de
perturbations en matière d’écologie, même si elles
ne sont pas facilement observables. Pourtant, elles
mériteraient tout autant l’attention des historiens, des
écologistes et de la population en général.
Source : The Illustrated Canadian Forest and Outdoors, vol. 23, nº 6 (1927), p. 366.
Même s’ils pratiquent un loisir qui semble inoffensif,
les pêcheurs, comme tous les êtres humains d’ailleurs,
constituent des agents de changement : leur empreinte
sur l’environnement subsiste à travers le temps. Des
études, comme celle menée par M. Louis Bernatchez,
enseignant à l’Université Laval et responsable du
programme de stockage et de gestion des pêcheries du
siècle dernier, révèlent les conséquences troublantes
des activités scientifiques passées sur la santé
génétique et la diversité des populations de poissons
indigènes du Québec32.
John Muir, célèbre environnementaliste du 20e siècle et
fondateur du Sierra Club, écrivait : « Quand on cherche
à isoler une chose, on trouve qu’elle est étroitement
reliée au reste de l’univers par mille cordes invisibles
qui ne peuvent être rompues 33 ». Puisque leurs impacts
sont plus aisément observables, certaines activités
reliées aux secteurs des ressources naturelles ont
tendance à choquer plus vivement la population,
Source : The Illustrated Canadian Forest and Outdoors, vol. 23, nº 3 (1927), p. 183.
AUTOMNE 2013
35
DARIN KINSEY
NOTES DE BAS DE PAGE
1
Yan BOUCHER,, Dominique ARSENEAULT et Luc SIROIS, Logging
history (1820-2000) of a heavily exploited southern boreal forest landscape :
Insights from sunken logs and forestry maps. dans « Forest Ecologie
Management », 258(2009) : 1359-1368.
2
Au sujet de la déforestation John R. McNeill écrit : « Avant 1860,
en Amérique du Nord 90 % de la déforestation répondait au besoin de
conversion pour l’obtention de terres cultivables ou de pâturages » dans :
John R. MCNEILL. Du nouveau sous le soleil : une histoire de l’environnement
mondial au 20e siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 313. Au sujet du bois
de chauffage : Patrick BLANCHET et coll. Historique de la consommation de
produits forestiers et inventaire de bois dans les vieilles forêts dans la région
de la Capitale-Nationale, Québec, Société d’histoire forestière du Québec et
CERFO, p. 31-38. - Robert SWEENY et coll. Les relations ville-campagne : le
cas du bois de chauffage, Montréal, Groupe de recherche sur l’histoire des
milieux d’affaires de Montréal, 1988, p. XXXV.
3
Stephen KERN, The culture of time and space 1880-1918.
Cambridge, Harvard University Press, 1983, 372 p. - Darin KINGSEY,
Re-Modelling the Wilderness for Sport : The American Angler and the
Construction of Quebec’s Modern Sport Fishery - Brigitte CAULIER et Yvan
ROUSSEAU, Temps, espace et modernités : mélanges offerts à Serge Courville
et Normand Séguin. Québec, P.U.L., 2008, p. 231-244. Coll. « Géographie
historique ».
4
Sylvain GINGRAS et coll. Le Club Triton. L’histoire du plus
prestigieux club de chasse et pêche au Québec. Éditions Rapides blancs,
1989, 300 p. - Sur l’impérialisme du sport, voir : Guay, Donald. La conquête
du sport : le sport et la société québécoise au 19e siècle. Outremont, Lanctôt,
1997, 244 p. Coll. « Histoire au présent (Lanctôt) »; nº 6.
5
DARCY, Ingram. Wildlife, conservation, and conflict in Quebec,
1840-1914. Vancouver, UBC Press, 2013, 272 p.
6
KINSEY, op. cit.
7
DAVIS, Edmund W. Salmon-fishing on the grand Cascapedia.
New York, De Vienne Press, 1904, 152 p.
8
Jacoby démontre les conséquences de cette attitude pour les
gens ordinaires aux États-Unis. De façon semblable, Bill Parenteau démontre
la réaction à ce système au Canada - Bill PARENTEAU. A ‘Very Determined
Opposition to the Law’: Conservation, Angling Leases, and Social Conflict
in the Canadian Atlantic Salmon Fishery, 1867-1914. Environmental History,
vol. 9, no 3 (2004), p. 436-463. - Karl JACOBY. Crimes against nature : squatters,
poachers, thieves, and the hidden history of American conservation.
Bakerley, University of California Press, 2001, 305 p.
9
The Fish and Game Clubs of the Province of Quebec: What They
Mean to the Province. What Privileges They Enjoy. Quebec, ministère de la
Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1914, 79 p.
10
Herbert HOUSTON. The Roberval Fish and Game Association,
in the Home of the Ouananiche: A Book Descriptive of the Association’s
Vast Preserves in the Lake St. John Region of Quebec. New York, Outing
Publishing, 1910, p. 3.
11
Ce système fut critiqué très tôt au début du 20 siècle par AndréNapoléon Montpetit dans la première histoire naturelle des poisons écrite
par un Canadien français - André-Napoléon MONTPETIT. Les Poissons d’eau
douce du Canada. Montréal, Beauchemin et fils, 1897, 552 p. - Richard F.
KIMBALL. The Ouananiche of Lake St. John. American Angler, vol. 22, no 3
(1892), p. 73-77.
e
12
Edmond ARDAILLE. Des mouches et des hommes : regard sur
deux millénaires de pêche à la mouche artificielle. Nîmes, C. Lacour, 1994,
100 p. Coll. « colporteur »
13
E.T.D. CHAMBERS et L.Z. JONCAS. The Sportsman’s Companion
: Showing the Haunts of Moose, Caribou and Deer, Also of the Salmon,
Ouananiche and Trout in the Province of Quebec and How to Reach Them.
Québec, Commissioner of Lands, Forests, and Fisheries, 1899, 136 p.
14
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC), Fonds Denholm
Angling Club (1868-1973), MG28-I183, R3002-0-5-E.
15
KINSEY, op. cit.
36
HISTOIRES FORESTIÈRES
16
Darin KINSEY. Seeding the Water as the Earth’ : The Epicenter and
Peripheries of a Western Aquacultural Revolution, Environmental History,
vol. 11, no 3 (2006), p. 527-566.
17
Rapports du bureau des piscicultures dans les rapports de la
Colonisation, des Mines et des Pêcheries, Informations statistiques.
18
Edward E.PRINCE. Fish Culture in Canada. Ottawa, Transactions
of the Ottawa Literary and Scientific Societies of Canada, 1900, 182 p.
19
Hector CARON. Rapport général du ministre de la Colonisation,
des Mines et des Pêcheries de la province de Québec. Documents de la
Session, no 7 (1916). p. 130.
20
Keshen A. JEFFREY. « CHAMBERS, ERNEST JOHN », Dictionnaire
biographique du Canada en ligne, 2013, http://www.biographi.ca/en/bio/
chambers_ernest_john_15E.html. Consulté le 3 juillet 2013.
21
Rapport général du ministre de la Colonisation, des Mines et
des Pêcheries de la province de Québec. Documents de la Session no 5
(1931-32). p.180-182.
22
Pour consulter les activités du Service de biologie, voir :
Éphémérides de l’Office de biologie, Québec, vol. 1-2 (1953).
23
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC), Reciept for trout
fingerlings (1945), Fonds Denholm Angling Club (1868-1973), MG28-I183,
R3002-0-5-E.
24
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC), Lettre de E.W.T. Gill,
Secrétaire, Denholm Angling Club à Gustave Prévost, 13 mai 1947 et Lettre
de Gustave Prévost à E.W.T. Gill, 2 juin 1947, Fonds Denholm Angling Club
(1868-1973), MG28-I183, R3002-0-5-E.
25
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC), Rapport scientifique
des eaux de Denholm Angling Club fait 26-28 août 1947 par B.W. Taylor,
incluant des notes sur le champ et des analyses des eaux, 27 nov. 1947,
Fonds Denholm Angling Club (1868-1973), MG28-I183, R3002-0-5-E.
26
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC), Rapport scientifique
des eaux de Denholm Angling Club fait 26-28 août 1947 par B.W. Taylor,
incluant des notes sur le champ et des analyses des eaux, 27 nov. 1947,
Fonds Denholm Angling Club (1868-1973), MG28-I183, R3002-0-5-E.
27
Rotenone 97 %; MSDS No. 01143. June 20th 2009. Acros
Organics : Fair Lawn. http://www.fishersci.com/ecomm/servlet/msdsproxy?
productName=AC132370250&productDescription=ROTENONE+97%25+2
5GRAMSROTENONE&catNo=AC13237-0250&vendorId=VN00032119&store
Id=10652. Consulté le 9 juin 2013.
T. M. KOROTKOVA, A. A. PONOMARENKO, R. E. BROWN et H. L. HAAS.
Functional Diversity of Ventral Midbrain Dopamine and Gabaergic Neurons.
Mol Neurobiol 29, no 3 (Jun 2004) : 243-59 - L. H. SANDERS et J. Timothy
GREENAMYRE., Free Radic Biol Med (15 janvier 2013).
Une liste des lacs traités à la poudre Derris se trouve dans : Rapport général
du ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries de la province de
Québec. (1946), p. 70-71.
Ibid., p. 70-73.
Ibid., p. 74-75.
Ibid. 1948.
28
368 p.
Rachel CARSON. Silent Spring. Boston, Houghton Mifflin, 1962,
29
Chemicals Management Division.
Dichlorodiphényltrichloroéthane, Environnement Canada. http://www.
ec.gc.ca/toxiques-toxics/default.asp?lang=Fr&n=13272755-1. Consulté le 3
juillet 2013.
30
Bibliothèque et Archives du Canada (BAC). Statistiques sur les
poissons pris par les membres (« trout killed per rod per day »), Denholm
Angling Club, 1890-1945, Fonds Denholm Angling Club (1868-1973),
MG28-I183, R3002-0-5-E.
31
http://www.hebdosregionaux.ca/bas-st-laurent/2010/11/28/
les-lacs-du-quebec-genetiquement-pollues
32
Voir : http://www.bio.ulaval.ca/louisbernatchez/presentation_fr.htm
33
John MUIR. My First Summer in the Sierra, Boston, Houghton
Mifflin, 1911 (1988), p. 110.
MERCI À NOS MEMBRES VAN BRUYSSEL
AUTOMNE 2013
37
Maude Flamand-Hubert
LA RÉSERVE FAUNIQUE
DUCHÉNIER :
UN TERRITOIRE CHARGÉ
DE SON HISTOIRE
Doctorante en développement régional à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR,
elle poursuit ses études dans le cadre d’une cotutelle en histoire avec l’Université
Sorbonne Paris IV et le Groupe d’histoire des forêts françaises (GHFF). Son projet de
recherche, intitulé La forêt québécoise au XXe siècle : politiques et représentations,
se situe donc à la jonction de l’histoire et de la sociologie. Détentrice d’une
maîtrise en développement régional de l’UQAR, son mémoire portait sur le rôle des
élites locales dans l’utilisation du territoire et des ressources naturelles. Elle
a exploré ce thème à partir de l’étude du cas du notable Louis Bertrand, établi à
L’Isle-Verte au 19e siècle. Elle est aussi diplômée du baccalauréat en histoire de
l’UQAR. Avant d’entreprendre ses études universitaires, Maude Flamand-Hubert a
complété un diplôme d’études professionnelles en protection et exploitation des
ressources fauniques du Centre de formation en foresterie de l’Est-du-Québec,
à Causapscal. Elle a aussi occupé plusieurs emplois en aménagement forestier et
récréatif, ainsi qu’au sein d’organismes de développement local. Ses intérêts de
recherche en histoire forestière demeurent donc liés de près à ses expériences
pratiques.
La Réserve faunique Duchénier, située au Bas-SaintLaurent dans le haut pays de Rimouski, a connu la
présence des clubs de chasse et de pêche jusque dans les
années 1970, comme une grande partie des territoires
forestiers québécois. Au cours de l’hiver 2013, s’est
concrétisé un projet de sauvegarde des archives des
anciens clubs privés de chasse et pêche qui occupaient
jadis le territoire actuel de la Réserve faunique
Duchénier. Cette initiative mérite d’être retracée et
racontée pour son caractère unique et exemplaire en
termes de gestion collective des ressources fauniques.
Elle met en scène une multitude d’acteurs différents
de la région de Rimouski qui ne travaillent pas
toujours ensemble, mais unis ici pour la sauvegarde du
patrimoine historique forestier. Toutefois, ici, ce genre
de collaboration s’inscrit dans la suite des choses, car
la Réserve Duchénier est particulière. À la suite du
déclubage, ce territoire a fait l’objet d’une expérience
pilote : un organisme à but non lucratif (OBNL) fut
constitué regroupant des acteurs du milieu pour assurer
la gestion des activités cynégétiques et halieutiques.
38
HISTOIRES FORESTIÈRES
Cette expérience est demeurée unique au Québec,
ce qui fait de la Réserve Duchénier le seul territoire
faunique public ayant le statut de réserve administrée
en vertu de ce modèle de gestion. Le lien au territoire
prend sur ces lieux une tournure distinctive et donne
une couleur particulière au sentiment d’appartenance
pour les lieux. Au cours des prochaines pages, je vous
propose un tour d’horizon de cette épopée régionale
que nous aborderons en trois temps. Tout d’abord,
il sera question du projet de fonds d’archives et du
contexte dans lequel il a pris forme. Ensuite, à travers le
récit du Scott Fish and Game Club, nous présenterons
un pan de la trajectoire de la Réserve qui est au cœur
de l’intérêt porté à l’histoire. Finalement, nous verrons
comment s’est effectué le passage de l’ère des clubs
privés à la création de la Réserve Duchénier, ce qui
donna lieu à un modèle de gestion unique au Québec.
Maude Flamand-Hubert
Des archives dispersées
C’est grâce à la mise en commun des efforts de trois
organisations qu’ont pu être mises en place toutes
les conditions nécessaires à la création du fonds
d’archives de la Réserve faunique Duchénier. Tout
d’abord, on retrouve en tête la Réserve Duchénier et
son directeur général, Alain Langlais1. Passionné par
ce territoire et son histoire, Alain Langlais a récolté
au fil du temps une masse importante d’information,
articles de journaux, archives, témoignages, qui ont
maintenu en vie la trame qui lie les différentes étapes
de la trajectoire de cet espace forestier. Du début du
20e siècle jusqu’en 1977, sept clubs ont été en activité
sur le territoire : le Club Labbé, l’Anglo-American Club,
le Scott Fish and Game Club, le Club Un-mille, le Club
Snellier, le Club du Lac Landry et le Club Duquesne.
C’est plus particulièrement autour de la restauration du
« village Scott » que l’intérêt pour l’histoire des lieux a
pris toute son importance. Véritable petit hameau en
plein cœur des bois, les bâtiments qui le constituent
ont accueilli les membres du Scott Fish and Game
Club de 1945 à 1977. À l’occasion de l’inauguration du
village restauré pour accueillir les visiteurs, monsieur
Nelson Darling, membre pendant plus de trente ans et
dernier président du Club, s’est déplacé sur les lieux où
il a passé une bonne partie de ses étés, accompagné
d’albums photo et des registres. Tout d’abord prêtée
à la Réserve, l’obtention de ces documents a ouvert
une fenêtre sur l’idée de retracer et de rassembler les
documents d’archives concernant les autres clubs de
chasse et de pêche qui y étaient établis. Et bien sûr de
pouvoir les conserver afin d’en assurer la pérennité,
mais aussi de retrouver derrière ces sources la trame
territoriale qui se cache derrière l’utilisation de la forêt
à travers l’histoire de ces différents clubs qui étaient
présents sur les lieux de ce qui est devenu aujourd’hui
la Réserve Duchénier.
Il n’est pas toujours simple d’emmener les propriétaires
d’archives privées à se départir de ces documents qui
comportent un pan de leur vie. C’est donc en s’associant
aux Archives régionales de l’Université du Québec à
Rimouski (UQAR) et avec l’aide de la Société d’aide au
développement des collectivités de la Neigette (SADC)
que la création d’un fonds d’archives dédié à la Réserve
Duchénier a vu le jour. L’objectif était de rassembler
1
Alain Langlais a été directeur général de la Réserve faunique Duchénier durant douze
ans, de 2001 jusqu’en mars 2013.
dans un même lieu un maximum d’archives concernant
ce territoire. Il faut dire que les Archives régionales de
l’UQAR avaient déjà en sa possession le fonds Jules
A. Brillant, à l’intérieur duquel on retrouve parsemées
plusieurs pièces reliées au Club Snellier. Un appel à
tous a aussi été lancé afin d’inviter toute personne en
possession de documents à entrer en contact avec
l’archiviste de l’UQAR. Les archives du club Duquesne
ont ainsi pu être récupérées, de même que quelques
documents encore en possession du ministère des
Ressources naturelles à Rimouski. Avec la création de ce
fonds, une recherche documentaire a aussi été réalisée.
Elle a permis de produire une cartographie des clubs,
superposée aux limites de la Réserve et de dresser un
premier portrait de l’ensemble des clubs sur le territoire2.
LIMITES SUPERPOSÉES DE LA
RÉSERVE FAUNIQUE DUCHÉNIER
ET DES ANCIENS CLUBS DE CHASSE
ET DE PÊCHE
Cartographie : Marie-Hélène Lagueux-Tremblay.
2
À cet égard, nous soulignons le travail de Mathieu Robichaud et de Marie-Hélène
Lagueux-Tremblay. Sans leur travail et la collaboration de la SADC de la Neigette, la rédaction de cet
article n’aurait probablement pas été possible.
AUTOMNE 2013
39
Maude Flamand-Hubert
À l’époque des clubs
de chasse et de pêche sur
la Réserve faunique Duchénier
Les vestiges du village Scott et leur restauration pour
les activités de chasse, pêche et villégiature dispensée
par la Réserve Duchénier a donné lieu à un travail de
recherche et d’interprétation sur ceux qui ont été les
occupants des lieux durant près de 75 ans. Le Scott
Fish and Game Club a vu le jour en 1903 à l’initiative
d’un groupe d’hommes des Cantons-de-l’Est. Il faut
rappeler qu’à cette époque, le gouvernement faisait de
la publicité jusqu’à New York pour attirer les amateurs
de chasse et de pêche et leur offrir d’acquérir des
droits dans la région du Bas-Saint-Laurent et de la
Gaspésie. Les rives du Saint-Laurent et les rivières à
saumon étaient depuis longtemps prisées comme
destination touristique (Lemieux, 1986, p. 37-38 ;
Gagnon, 2002, p. 22). De plus, le développement du
chemin de fer contribuait à l’accessibilité de la région
et à la multiplication des clubs (Gagnon, 2002, p. 23).
Par ailleurs, l’apparition des premiers clubs de chasse
et de pêche dans le comté de Rimouski remonte aux
années 1880.
C’est donc dès 1902 que Robert-L. Scott, un homme
d’East-Angus, acquiert les droits de pêche dans les
cantons Raudot et Bédard. L’année suivante, le Scott
Fish and Game Club of Marbleton est incorporé. Au
fil du temps, de plus en plus d’Américains deviennent
membres du Club, jusqu’à en devenir majoritaires au
cours des années 1920. À son point culimant, au début
des années 1930, le Club a compté jusqu’à 86 membres
et on y recevait parfois jusqu’à une centaine d’invités
par année (Forest, 2013).
Tout au long de son existence, les activités du Club
sont surtout orientées vers la pêche à la mouche, bien
que la chasse y soit aussi pratiquée. Bon an mal an, la
moyenne des truites capturées tournait autour des
725 à 750. Certaines années, on a cependant compté
jusqu’à 3 750 prises dans les différents lacs sous bail du
Club. On chassait surtout le cerf de Virginie et l’orignal,
mais les captures se limitaient ici à moins d’une dizaine
par année en moyenne. Les limites du Club couvraient
au départ une superficie de 14 miles carrés (22 km2).
Après avoir atteint une étendue allant jusqu’à 50 miles
carrés (130 km2) au cours des années 1930, le territoire
du Club se fixe à 19 miles carrés (49 km2) en 1939 . À ses
40
HISTOIRES FORESTIÈRES
débuts, les activités du Club se concentraient autour
des lacs Lâche (de Baie) et Croche. Dans les années
1920 et jusqu’en 1945, on comptera dans ce secteur
jusqu’à 21 chalets et cinq bâtiments communautaires.
Une flotte de plus de 80 canots était à la disposition des
pêcheurs. La vie était bien organisée autour du « village
Scott », et un potager était même aménagé pour fournir
des légumes frais en saison. Le Club embauchait dans
la région un gérant qui faisait aussi office de gardien et
d’homme à tout faire, généralement aidé d’un ou deux
autres employés pour veiller au bois de chauffage, à la
construction, à l’entretien des bâtiments et au potager...
(Forest, 2013)
OLD CLUB
Un grand chalet, au Scott Fish and
Game Club (après 1945).
Source : Photographe inconnu. Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds
Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
C’est à partir de Sainte-Rita que l’équipée entreprenait
sa marche jusqu’au campement. À pied, en canot et à
cheval, c’est en famille, accompagné de guides (jusqu’à
une dizaine par année durant les années 1920-1930),
cuisinières et porteurs, qu’on se rendait profiter de ce
coin de nature. Après la colonisation de Saint-Guy en
1936, on se rendait en automobile sur la route 296 d’où
on s’engageait vers le campement (Forest, 2013).
Le 27 mai 1945, un incendie ravageait les premières
installations du Club Scott. On retrouve encore sur
l’ancien site les vestiges des grosses cheminées de
Maude Flamand-Hubert
pierres qui caractérisaient les premiers chalets du
Club. La forêt environnante a étonnamment été
épargnée par les flammes. C’est une deuxième vie
qui commence alors pour le Club, dont les effectifs
sont réduits de moitié. Il faut dire qu’avec la guerre,
les voyages de chasse et de pêche par des touristes en
provenance des États-Unis avaient connu une nette
diminution (Lemieux, 1986, p. 39). Quelques semaines
après le désastre, on commence la reconstruction,
aux abords du lac Grosse Truite 1. C’est alors sous la
présidence de Morris F. LaCroix, un homme d’affaires
du Massachusetts aux origines beauceronnes, que les
opérations du Club sont menées. Jos Davidson, qui
était déjà gérant et gardien pour le Club depuis les
années 1930, entreprend l’édification des nouvelles
installations. Au total, six chalets sont reconstruits,
un bâtiment principal et cinq bâtiments de service
(abris à bois et à poisson, glacière, atelier, sauna). On
attribue alors aux chalets les noms des familles qui
en sont propriétaires : Mason, Brigham, LaCroix, celui
des filles LaCroix, Darling, et le chalet des guides. Le
Club demeurera dès lors de plus petite envergure, se
limitant à une vingtaine de membres. On y retrouve
surtout des Américains, mais quelques Québécois
apparaissent au registre. C’est le cas de deux hommes
de Trois-Pistoles, dont le docteur Marcel Catellier, pour
qui les premières années de fréquentation du Club
étaient liées à sa pratique médicale, avant d’en devenir
un membre en règle. Tranquillement, le nombre
de Québécois augmente, suivant une tendance
généralisée dans l’ensemble des clubs de chasse et de
pêche de la région3 (Lemieux, 1986, p. 42). Deux types
d’utilisateurs se distinguent alors au sein des membres.
On retrouve d’une part les Américains, principalement
des membres de la famille LaCroix-Darling, qui viennent
pour des séjours d’une dizaine de jours durant les
périodes de la fin mai au début juin et fin août-début
septembre. Ils y pratiquent essentiellement la pêche
à la mouche. D’autre part, il y a les Québécois, qui
restent généralement deux ou trois jours sur les lieux,
durant les périodes plus tranquilles. L’histoire du Scott
Fish and Game Club se conclut sous la présidence de
Nelson Darling, le gendre de Morris F. LaCroix, qui avait
lui-même commencé à fréquenter les lieux comme
invité alors qu’il était tout jeune adolescent, dans les
années 1930 (Forest, 2013). Suivant la tendance de
l’époque, le Club est devenu une affaire de famille et
d’amis.
3
À la fin des années 1960, 185 des 220 territoires sous bail dans l’est du Québec sont entre
les mains de Québécois (Lemieux, 1986, p. 43).
Scott Fish and Game Club
(après 1945)
Source : Photographe inconnu. Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds
Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
AUTOMNE 2013
41
Maude Flamand-Hubert
Scott Fish and Game Club
(après 1945)
De plus, on précise dans les règlements que le statut
de membre « shall be limited to males of legal age
and shall include all of the immediate family of such
member excepting sons 21 years of age or over, except
that in case of the death of a member his surviving
widow or children shall be granted privilege of holding
such membership4 ». Comme c’était la coutume dans
la majorité des clubs, les nouveaux membres étaient
admis sur recommandation d’un membre actif du
Club. Chaque membre avait droit à deux invités lors de
ses visites, suivant l’acceptation du comité exécutif et
le paiement des frais et ce, pour un maximum de dix
invités par saison. Cet esprit de famille s’est étendu aux
employés. On comptait souvent plusieurs membres
d’une même famille travaillant au camp. Jos Davidson
et son épouse Fabienne Sirois ont eu leurs cinq enfants
au Club, où ils vivaient à l’année.
Le Scott Fish and Game Club demeure un cas de
figure qu’il a été possible de documenter un peu
plus en profondeur. D’autres clubs, comme le Club
Labbé ou le club Snellier, ont démarré leurs activités
et sont demeurés principalement entre les mains de
notables issus des professions libérales, commerçants,
politiciens, hommes d’affaires, de la région de Rimouski
(Gagnon, 2002, p. 46). Tous les Clubs n’étaient pas non
plus aussi stables que le Scott, et ne pouvaient compter
sur d’aussi fidèles employés. À ce titre, le club Scott fait
figure d’archétype qui correspond à nos représentations
de la pratique de la chasse et de la pêche qui allient
amour de la nature relations humaines.
L’abolition des clubs :
un territoire pour les
populations
Les activités du Scott Fish and Game Club ont pris fin,
comme tous les autres clubs présents sur le territoire,
au milieu des années 1970 avec la phase deux de
l’opération Accessibilité. Au Bas-Saint-Laurent, c’est
depuis la fin des années 1950 que les associations de
pêcheurs et de chasseurs ont commencé à revendiquer
un accès plus démocratique aux ressources
cynégétiques et halieutiques (Gagnon, 2002, p. 64-65).
En 1976, le ministère du Tourisme, de la Chasse et de
Source : Photographe inconnu. Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds
Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
4
Constitution and by-laws of The Scott Fish and Game Club, As amended-adopted
11/26/48, Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réserve-fauniqueDuchénier, UQAR-13-01-105.
42
HISTOIRES FORESTIÈRES
Maude Flamand-Hubert
la Pêche allait de l’avant avec sept projets-pilotes dans
le cadre de son programme « sociétés de gestion »,
qui tentait de trouver des solutions à la demande de
plus en plus importante pour les activités de plein
air, de chasse et de pêche au sein de la population
québécoise. La formule qui sera développée à la
Réserve faunique Duchénier rappelle le projet initial
promu par le ministre Claude Simard en 1974. Avec
la phase deux de l’opération Accessibilité, le ministre
souhaitait créer des unités de gestion de cent milles
carrés dont la responsabilité relèverait d’organismes
à but non lucratif formés d’associations de chasse, de
pêche et de récréation (Lemieux, 1986, p. 45).
Le choix des territoires reposait sur une série de
critères, dont le fait que ceux-ci étaient à proximité
des centres de population, qu’ils possédaient déjà une
unité géographique cohérente, qu’ils soient déjà bien
desservis par un réseau routier forestier, bien pourvu en
ressources fauniques et halieutiques, et principalement
sous bail pour les activités de chasse et de pêche, ainsi
que fréquentés jusqu’à ce jour principalement par des
non domiciliés au Québec5. Le territoire de Duchénier
correspondait en tous points à cette description. Les 106
milles carrés, avec ses 144 lacs de plus de 6 acres, ses 87
autres plus petits, ses six rivières totalisant 48 milles, ses
19 chemins de pénétrations depuis les municipalités de
Saint-Valérien, Saint-Narcisse, Esprit-Saint et Saint-Guy,
ainsi que ses 102 miles de chemin carrossables, sans
compter sa proximité de Rimouski, était un lieu de choix6.
Ce territoire a été choisi en raison d’un regroupement
exceptionnel de plans d’eau constituant la plus forte
concentration de lacs à haut potentiel sur la rive sud du
St-Laurent, tout en étant aussi une zone privilégiée pour
le cerf de Virginie et le petit gibier.
C’est dans ce contexte qu’un vaste projet
d’aménagement intégré des ressources du territoire
Basques-Neigette est entrepris. Les ministères de
l’Agriculture, des Terres et Forêts et du Tourisme, de
la Chasse et de la Pêche conviennent, avec le Conseil
Régional de Développement (CRD) représentant les
municipalités limitrophes et les organismes concernés
par l’utilisation des ressources, de réaliser une
5
Le développement et la gestion, sur les territoires de l’État, d’activités polyvalentes de
récréation de plein air par des sociétés à but non lucratif, Rapport d’étape no 1, p. 8-9, Archives
régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01105.
6
Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réserve-fauniqueDuchénier, UQAR-13-01-105.
expérience d’aménagement intégré sur le territoire
des unités d’aménagement des Basques-Neigette.
Les quatre sous-ministres en titre rencontrent le
CRD le 12 mai 1976 pour jeter les bases d’un plan
d’aménagement. Sa réalisation est confiée à un comité
mixte comptant des représentants du gouvernement
et de la population. En février 1977, le comité
soumettait son rapport final sur l’aménagement des
106 milles carrés. Le rapport contient une trentaine
de recommandations7. On y établissait un ordre de
priorité dans l’utilisation des ressources. La faune
arrivait au premier plan, suivi de la récréation et du
plein air, et finalement de l’exploitation de la matière
ligneuse. La mission du nouvel organisme à but non
lucratif était donc orientée vers l’aménagement des
ressources du territoire « en vue d’assurer la satisfaction
du plus grand nombre possible d’utilisateurs des
ressources renouvelables et d’offrir des services de
récréation dans un cadre naturel en complémentarité
avec le potentiel de ces ressources en tendant surtout
à maximiser les retombées économiques dans le milieu
immédiat » (Gendron, 1977, p. 2). Le cadre territorial
était celui des anciens clubs de chasse et de pêche,
avec quelques modifications. Les cinq baux des clubs
qui arrivaient à échéance le 31 mars 1977 étaient de ce
fait non renouvelés afin de donner accès aux nouveaux
utilisateurs. Quant à ceux qui expiraient à la même date
en 1980, ils ont été résiliés. Ces transformations ne se
sont pas faites sans heurts et mécontentement. Surtout
pour les membres des clubs issus de la région, il n’était
pas facile de se défaire de leurs privilèges (Gagnon,
2002, p. 86-89). À l’été 1977, la gestion de la Réserve
faunique Duchénier était remise entre les mains de
la corporation « Le Territoire Populaire Chénier Inc. ».
Elle était maintenant accessible au public8. De 1978
à 1982, le gouvernement a investi près de 750 000 $
pour acquérir les installations et bâtiments construits
au fil du temps sur le territoire9. Déjà, les installations
du Club Scott étaient au centre du développement de
l’image de marque de la Réserve.
7
Gouvernement du Québec, Yves L. Duhaime ministre du Tourisme, de la Chasse et de
la Pêche, mémoire au conseil des ministres au sujet de la Réserve Duchénier dans le comté de
Rimouski, 20 septembre 1978, Fonds Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
8
Gouvernement du Québec, Mémoire au Conseil des ministres, 20 septembre 1978,
Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réserve-faunique-Duchénier,
UQAR-13-01-105.
9
Gouvernement du Québec, Réunion du Conseil des ministres, Décision no 78-424,
20 décembre 1978, Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réservefaunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
AUTOMNE 2013
43
Maude Flamand-Hubert
UNE PREMIÈRE PUBLICITÉ
POUR LA RÉSERVE FAUNIQUE
DUCHÉNIER
Journal de Québec, 23 juillet 1979
Source : Photographe inconnu. Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds
Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
Le modèle de gestion visait à « accentuer la mainmise des québécois sur l’exploitation des ressources naturelles » et
à favoriser l’intérêt et l’implication des citoyens « dans l’organisation, la gestion et la conservation de leurs valeurs
récréatives de plein air en leur confiant des responsabilités et en leur laissant prendre des initiatives10 ».
Constitution du conseil d’administration de Territoire
Populaire Chénier en 1977
Organisation
Nombre
de sièges
Société d’exploitation des Ressources des Basques et de la Neigette
6 sièges
Conseils municipaux reliés aux principaux points d’entrée des 106 milles carrés 4 sièges
Conseil de comté de Rimouski
1 siège
Associations de chasse et de pêche
2 sièges
Organisme de Plein Air
1 siège
Conseil des Loisirs de l’Est du Québec
1 siège
Syndicat des Producteurs de Bois
1 siège
Opération Dignité II
1 siège
Ministère du Tourisme, Chasse et Pêche
1 siège
Ministère des Terres et Forêts
1 siège
Haut-Commissariat à la Jeunesse, aux Loirsirs et aux Sports
1 siège
(Gendron, 1977, p. 17)
10
Le développement et la gestion, sur les territoires de l’État, d’activités polyvalentes de récréation de plein air par des sociétés à but non lucratif, Rapport d’étape no 1, p. 5, Archives régionales de
l’Université du Québec à Rimouski, Fonds Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
44
HISTOIRES FORESTIÈRES
Maude Flamand-Hubert
Vestige d’une cheminée des bâtiments
du premier Scott Fish and Game Club
(avant 1945).
Source : Photographe inconnu. Archives régionales de l’Université du Québec à Rimouski, Fonds
Réserve-faunique-Duchénier, UQAR-13-01-105.
Au Bas-Saint-Laurent, le projet prenait une teinte
particulière, en s’inscrivant dans la foulée de l’expérience
du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ)
et des Opérations Dignité. En effet, suivant les travaux
de consultation et de participation des populations
dans le cadre d’un vaste projet-pilote d’aménagement
du territoire, le gouvernement avait décrété la
fermeture de plusieurs paroisses dites « marginales »
et forcé le déplacement des populations vers des
centres régionaux. Cette décision avait donné lieu à un
mouvement de mobilisation sans précédent dans les
milieux ruraux, qui s’était doté du nom d’Opérations
Dignité11. Le déclubage et la prise en charge de
l’aménagement des ressources sur les 106 milles carrés
étaient au nombre des revendications de l’Opération
Dignité II. Cependant, l’aménagement forestier et
l’exploitation de la ressource ligneuse échapperont
toujours à la corporation, malgré les demandes faites
à cet égard.
11
Les Opérations Dignité se divisent en trois expériences : Opération Dignité I, qui a
débuté à Sainte-Paule et a couvert le territoire de la vallée de la Matapédia ; Opération Dignité II,
née à Esprit-Saint, qui s’est étendue au haut-pays de Rimouski et au Témiscouata ; et finalement
Opérations Dignité III, à Les Méchins. Le leitmotiv des Opérations Dignité était centré sur la prise en
charge de l’aménagement et de l’exploitation des ressources.
Conclusion
Le territoire actuel de la Réserve faunique Duchénier
possède une unité écologique fonctionnelle et une
identité humaine qui s’est forgée au fil du temps, au
fil du passage de ses occupants. La continuité qui se
dessine à travers la présence humaine dans ces lieux
fascine toujours. À une autre époque, selon d’autres
modalités, d’autres personnes étaient là pour les
mêmes raisons qu’aujourd’hui: apprécier et profiter de
cet espace et de la richesse des ressources qu’il recèle,
s’exclure un moment du quotidien pour jouir de la
quiétude de ces lieux reculés. Le Scott Fish and Game
Club occupe ici une place particulière. Véritable petite
institution locale de par sa longévité et son organisation,
ses archives et ses bâtiments, surtout pour la deuxième
partie de son existence, ont été particulièrement bien
conservés. On rêverait de retrouver la même richesse
documentaire pour tous les clubs de la Réserve
Duchénier, afin de compléter la trame historique qui se
cache à l’intérieur de ses contours. Avec le recul, on peut
aujourd’hui entreprendre de s’attarder aux différentes
expériences qui se sont inscrites dans les suites du
déclubage. Ces territoires, devenus principalement
des réserves fauniques ou des zones d’exploitation
contrôlées (ZEC), comportent toutes leur histoire et
leurs particularités, qui tissent les liens que la société
entretient avec la forêt à travers les activités de chasse et
de pêche. Il reste encore beaucoup à faire pour retracer
dans sa totalité l’histoire du territoire Duchénier, et
d’autres territoires mériteraient assurément qu’on leur
porte la même attention.
BIBLIOGRAPHIE
Banville, Charles, 1977, Les Opération dignité, Le Fonds de recherches
forestières de l’Université Laval, 128 p.
Forest, Josée, 2012, Le Village Scott, Rimouski, Imaginature, 55 p.
Gagnon, Pascal, 2002, « La pratique de la chasse dans le comté de
Rimouski, 1930-1980 », Mémoire de maîtrise en Études québécoises,
Université du Québec à Trois-Rivières.
Gendron, Jean Paul, Le Comite 106 Milles 2 Basques-Neigette,
Comite mixte Basques-Neigette, 1977, Rapport final sur les 106
milles2 Propositions d’aménagement, d’exploitation et de gestion des
ressources : Rapport final, 28 février 1977, Rimouski : Comité mixte
Basques-Neigette, 20 p.
Lemieux, Paul, 1986, « C’est arrivé par chez-nous… » Tourisme-ChassePêche-Loisir. L’histoire d’un Ministère dans l’Est du Québec, Rimouski,
Direction régionale du ministère du Loisir, de la Chasse et de la
Pêche de l’Est du Québec, 325 p.
AUTOMNE 2013
45
46
HISTOIRES FORESTIÈRES
Berthier Plante
PROMENONS-NOUS
DANS LES BOIS…
Par Berthier Plante, membre du Conseil d’administration
de la Société d’histoire forestière du Québec avec la
collaboration de Linda Rickert et d’Andrée Moisan-Plante,
membres de la Société d’histoire forestière du Québec.
Le feu prit un jour dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On
crut à un mot plaisant et l’on applaudit ; il répéta, les applaudissements redoublèrent.
C’est ainsi, je pense, que le monde périra dans l’allégresse générale des gens spirituels
persuadés qu’il s’agit d’une plaisanterie [Søren Kierkegaard, 1843, p. 38].
Loup y es-tu ?
En ce Noël de 1967, monsieur Bessette, sur un ton solennel, m’annonça que nous aurions de la compagnie pour le
réveillon. Par respect, je ne posais jamais de question. Deux belles « perdrix blanches » mijotaient au four. Le cœur
à l’émerveillement, j’entendais déjà le son du tambour de ses amis Montagnais (Innus) et Naskapis de la réserve de
Schefferville. Mon guide de forêt et de vie, si avare de confidences, m’avait dit avoir été envoûté par ses battements
et en avoir « frémi » de la tête aux pieds.
Par-delà la baie vitrée, le banc de neige s’inscrivait dans le prolongement de la table et la pleine lune faisait écho
aux chandelles invoquant l’Esprit de la Fête. Mon hôte entraîna mon regard vers l’extérieur : ses invités étaient
arrivés. Trois magnifiques renards roux avaient accepté le rendez-vous et se partageaient les restes d’un caribou
enfouis sous la neige par un mystérieux bienfaiteur.
Au jour de l’an, - la température
frisait les moins cinquante degrés
- les aboiements frénétiques
des chiens annoncèrent que la
faim venait de frapper. Friska,
ma coéquipière de canot de l’été
précédent, n’avait sans doute
pas eu le temps de souffrir. De sa
dépouille, il ne resta bientôt que
des lambeaux de peau, la tête et
les pattes. Le loup blanc d’Agaguk
fréquentait la même planète
que le petit « renard apprivoisé »
de Saint-Exupéry. Le collégien
que j’étais venait de prendre
conscience de la dure loi de la
survie.
Source : J’y suis… encore, Linda Rickert, 2013
AUTOMNE 2013
47
Berthier plante
Mais, loup qui es-tu ?
Si le chien s’avère le meilleur ami de l’homme, le
loup en a peut-être été un rival potentiel. Intelligent,
puissant, agissant au sein d’une meute hiérarchisée,
il ressemble trop à l’homme pour ne pas éveiller sa
crainte. Au Moyen-Âge, période intense d’expansion
de la population et de défrichement des terres en
Europe, le loup se rapproche inévitablement des
humains. Diabolisé par les autorités chrétiennes, sa
nature ténébreuse se manifeste en un être maléfique,
dévoreur d’enfants. Ainsi, en l’année 1573, Gilles
Garnier, de la région de Lyon en France, est exécuté
pour avoir dévoré, en forme de loup-garou1, plusieurs
enfants et commis d’autres crimes. À son dernier forfait,
étant cette fois en forme d’homme, il aurait tenté de
manger la chair de sa jeune victime, mais il en aurait
été empêché par des gens qui l’auraient surpris. Ce
jour-là était un vendredi, jour du poisson, ce qui aurait
aggravé sa faute ! Il fut condamné à être brûlé tout vif
et son corps réduit en cendres [Cimber et Danjou, 1836,
p. 11]. Maladie mentale sans doute, mais le Québec a
aussi eu ses histoires. Deux ans après la fondation du
plus vieux journal en Amérique du Nord, la Gazette de
Québec du 21 juillet 1766 publie ce qui suit :
L’on apprend de St. Roch, près du Cap Mouraska
[Kamouraska], qu’il y a un Loup garou qui court les
côtes sous la forme d’un Mendiant; qui, avec le talent
de persuader ce qu’il ignore, et en promettant ce qu’il
ne peut tenir, a celui d’obtenir ce qu’il démande [sic].
On dit que cet Animal, avec le secours de ses deux
pieds de derriére [sic], arriva à Québec le 17 dernier,
et qu’il en repartit le 18 suivant, dans le dessein de
suivre sa mission jusques à Montréal. Cette bête
est, dit-on, dans son espece [sic], aussi dangéreuse
[sic] que celle qui parut l’année derniére [sic] dans
le Gévaudan2 ; c’est pourquoi l’ont [sic] exhorte le
public de s’en méfier comme d’un Loup Ravissant.
que jamais. En novembre, elle aurait été blessée par un
« petit animal maigre », mais contrairement à ce que
l’on pensait, après avoir passé quelque temps dans sa
tanière, elle réapparaît. Il faut se méfier de ses ruses et
éviter de tomber dans ses pattes. Pour donner plus de
vraisemblance à l’anecdote, l’éditeur ajoute à la suite du
texte : « Nous avons reçu une Fable, si dépourvus [sic]
de bon sens et de raison, que nous ne l’avons pas jugée
mériter une place dans cette Gazette ». Robert-Lionel
Séguin [R.-L. Séguin, 1971, p. 15], dans La sorcellerie au
Québec, croyait à la bonne foi du journal de Québec.
Des recherches du curé Armand Dubé de Kamouraska,
en 1959, ne révèlent aucun événement qui aurait pu
expliquer le phénomène.
Au XIXe siècle, la malédiction associée aux gens qui
ne font pas leurs Pâques pendant sept ans ou qui ne
payent pas leur dîme les condamne à errer la nuit
sous les apparences d’un loup-garou. Le remède est
simple : il suffit de frapper le délinquant sur le nez ou,
de préférence, au front, là où la croix de son baptême
avait été tracée. Si le sang jaillit, la bête retournera à son
état d’homme3.
Source : Le loup-garou de Kamouraska, Julian Peters, 2013
L’année suivante [10 décembre 1767], le journal poursuit
sa moquerie. La bête aurait fait de grands ravages dans
le district de Québec et elle semble plus dangereuse
1
D’après G. Ménage [Dictionnaire étymologique de la langue française, 1750], le mot
« garou » vient du mot gars qui signifie homme, donc homme-loup.
2
L’allusion à Gévaudan où une centaine de personnes perdirent la vie entre 1764 et 1767
laisse deviner la supercherie. En Europe, la presse anglaise [Le Courrier d’Avignon, 26 avril 1765],
sarcastique, ne comprend pas pourquoi la « bête féroce» court toujours malgré les efforts mis en
place pour l’éliminer. Le loup avait été éliminé d’Angleterre vers la fin du XVe siècle et d’Écosse au
moment où les événements de Gévaudan eurent lieu.
48
HISTOIRES FORESTIÈRES
3
Pour en savoir davantage, consulter « Légendes et croyances » de l’ethnologue Jean
du Berger sur le site de Radio-Canada : http://www.radio-canada.ca/emissions/
creatures_fantastiques/2011-2012/document.asp?idDoc=169665
Berthier plante
Je veux ton territoire
Écho du Régime français, la première mention
circonstanciée du loup nous est donnée par Pierre
Boucher [Pierre Boucher, 1664, p. 57] :
Il y a des loups de deux sortes, les uns s’appellent
Loups Cerviers [Lynx canadensis ou Lynx rufus4],
dont la peau est excellente à faire des fourrures. Ces
Animaux abondent du costé du Nort, & il s’en trouve
peu proche [de] nos habitations; les autres sont
Loups Communs [Canis lupus], qui ne sont pas du
tout si grands que ceux de France, ny si malins, & ont
la peau plus belle : ils ne laissent d’estre carnaciers,
& font la guerre aux Animaux dans les bois : &
quand ils trouvent de nos petits chiens à l’écart, ils
les mangent. Il y en a peu vers Quebec. Ils sont plus
communs à mesure que l’on monte en haut5.
Préoccupés par la menace iroquoise et attirés par le
commerce lucratif des fourrures, les colons tardent
au défrichement des terres. Les animaux d’élevage se
font rares, hormis le cochon dont la diète ne dépend
pas des plantes fourragères. L’ours noir [P. Boucher,
1664, p. 141] s’en régale à l’occasion, mais il se retrouve
parfois lui-même dans l’assiette, car sa viande est
bonne à manger. L’introduction du mouton et des
premiers chevaux date de cette période. Les bœufs
servent avant tout à labourer la terre et à tirer le bois
sur la neige en hiver.
L’ouverture des hostilités envers le loup coïncidera avec
l’occupation des terres sur les rives nord des lacs Érié et
Ontario. En 1793, deux ans après l’adoption de l’Acte
constitutionnel, une ordonnance encourageant sa
destruction est promulguée dans la province du HautCanada : la bête doit avoir été abattue à moins de huit
kilomètres des habitations et le prélèvement d’un scalp
avec ses deux oreilles fait foi de pièce à conviction. La
prime de vingt schillings [une livre] ne sera cependant
pas accordée aux Indiens. Ignorés, aucun d’entre
eux ne sacrifierait une charge de poudre et de balles
pour une bête dont la chair n’est pas bonne à manger
[E. A. Talbot, 1825, p. 215]. Pourtant en 1830, devant
4
Loup-cervier réfère à « loup qui chasse le cerf ». De taille supérieure, le lynx boréal
(Lynx lynx) européen s’attaque effectivement aux cervidés.
5
En amont des rapides de Lachine. Dans la région des Grands lacs, les « vaches
sauvages » ou wapiti, nourriture du loup, sont nombreuses.
un constat d’échec, cette restriction est abrogée [The
Statutes of the Province of Upper Canada, p. 552] et on
espère leur aide.
Au Bas-Canada, l’histoire du loup se passe surtout au
début du XIXe siècle dans les Cantons-de-l’Est. En 1808,
Cyrus Thomas, au village de Dunham, nous rapporte
qu’une vieille louve et ses quatre ou cinq louveteaux
auraient attaqué les moutons de monsieur Joseph
Baker. Onze moutons en périrent. Peu après, au cours
de la nuit, ils attaquèrent une génisse qui avait été
oubliée dans le champ à une certaine distance de la
maison [C. Thomas, 1866, p. 128] :
Ils la poursuivirent et l’attrapèrent. Ils commen–
cèrent immédiatement à dévorer les parties
postérieures de son corps, alors qu’elle vivait
toujours, lui faisant souffrir d’atroces tortures.
Pendant une heure, la pauvre créature beugla
pitoyablement, mais il n’y avait personne pour
la secourir; M. Baker étant confiné à la maison en
raison d’un membre blessé […]. Le matin suivant, la
génisse fut trouvée à demi dévorée6.
Lors de la construction de l’église Épiscopalienne au
village de Frost en 1824 [C. Thomas, 1877, p. 29], un
loup fut capturé. Après s’être amusés avec la bête un
certain temps, les ouvriers se demandèrent comment
en disposer. Suite aux discussions, une décision fut
prise : l’animal serait enduit de goudron et de soufre et
une cloche serait fixée à son cou. Errant à travers la forêt
avec ses congénères, il ne manquerait pas de donner
l’alarme lors d’un raid nocturne sur les troupeaux des
colons. La méthode ne s’avéra pas très performante.
Le loup se retrouvait régulièrement aux bornes des
clairières et il fut finalement tué à l’aide d’une pierre.
Catherine Matilda Day [C. M. Day, 1863, p. 100-104],
historienne des débuts de l’occupation des Cantonsde-l’Est, nous rapporte une bonne demi-douzaine
d’anecdotes : loups tenus en respect avec un crochet
à billots ou un bâton de bois, loups se chamaillant
pour un morceau de morue lancé par un homme qu’ils
poursuivaient, loups attaquant les veaux... Les cas ne
manquent pas.
En 1831, le Bas-Canada décide de légiférer. Selon le
Comité spécial composé de six députés, une prime
6
Traduction d’Andrée Moisan-Plante.
AUTOMNE 2013
49
Berthier plante
de deux livres et demie serait de nature à résoudre
le problème7. Tous les membres [Anonyme, 1831a]
sont d’origine anglaise : Paul H. Knowlton et Charles
F. Goodhue [Vermont], Stephen Baker et Philemon
Wright [Massachusetts] et Robert Hoyle [d’Angleterre],
sauf monsieur Archambeault, arpenteur, qui est
« Ecuyer, au Fauteuil ». Un monde sépare l’habitant
anglophone du francophone [J. S. Hogan, 1855, p. 32].
Pour le premier, une terre de cinq cents acres incultes
vaut mieux que toute parcelle de cent acres défrichés si
elle profite davantage à ses enfants; pour le second, la
terre où il est né, même chétive, lui est plus chère que
tout ce qu’il peut espérer. Depuis plus de deux cents
ans, l’agriculture est pratiquée dans la vallée du SaintLaurent. Les terres sont plus petites et ne requièrent pas
de grands espaces. Déforestation et élevage intensif, la
faim fera sortir le loup du bois. Conjugué à la pression
américaine des états voisins, on estime que le loup serait
disparu dans la portion sud du fleuve Saint-Laurent au
cours des années 1850 à 1900. Au printemps de 1869,
la prime de destruction est abolie. Elle ne sera rétablie
qu’un peu plus de trente ans plus tard, mais cette fois,
même si elle couvre tout le territoire québécois, elle
vise surtout le nord du Saint-Laurent.
Je veux tes proies
La deuxième manche d’éradication du loup s’engage
avec une arme nouvelle : la strychnine. Alcaloïde
toxique extrait de la noix vomique8 par deux
pharmaciens français en 1818, elle est bannie au
Canada en 1849. En proie à une grande souffrance,
l’animal meurt habituellement dans la demi-heure
qui suit son ingestion. Capable de se déplacer, la
victime échappe alors au chasseur. En outre, elle
devient un appât convoité par d’autres animaux qui
seront eux-mêmes empoisonnés. La loi est claire : le
chasseur est passible d’amende ou de prison, mais
également le vendeur qui lui a procuré le poison [Acte
pour prohiber la destruction de certaines espèces
d’animaux sauvages par l’effet du [sic] strychnine et
autres poisons, 1849] :
7
Le 1er décembre 1837, la tête de L.-J. Papineau fut mise à prix par M. Gosford,
gouverneur du Bas-Canada, pour la somme de quatre mille piastres, soit quatre cents loups à dix
piastres. Une livre valait donc quatre dollars.
8
Fruit du Strychnos nux-vomica, le vomiquier est un arbre sempervirent de l’Asie du
Sud-Est qui peut atteindre une taille d’environ six mètres.
50
HISTOIRES FORESTIÈRES
Combat entre un orignal et une troupe de loups affamés,
L’opinion publique, 13 février 1879, BAnQ
Et qu’il soit statué, qu’aucun apothicaire, chimiste,
droguiste ou autre personne en cette province, ne
vendra ou délivrera aucun arsenic, sublimé, corrosif,
strychnine ou autre poison minéral ou végétal
[…] lequel étant administré sans précaution ou
secrètement peut occasionner immédiatement
la mort, à moins que la personne le requérant ne
produise et remette un certificat, billet ou papier
[…] indiquant pour quel objet tel poison est requis,
et qu’il doit être vendu à la personne le requérant
[…]. [Toute] personne, qui contreviendra aux
dispositions de la présente section, encourra pour
chaque offense une pénalité de dix livres courant;
et si la dite pénalité n’est pas immédiatement payée,
sur conviction, le dit contrevenant sera emprisonné
[…] jusqu’à ce que la dite pénalité et les frais de
poursuite soient payés.
Berthier plante
Sous prétexte que le loup a beaucoup augmenté en
nombre, en 1853, le Haut-Canada élimine bientôt
cette restriction. Au Québec, l’usage de la strychnine
sera progressivement « toléré » sans changement de
loi. En 1905, le Dr Grignon9 de Sainte-Adèle diffuse un
dépliant de sa « pharmacie vétérinaire » de douze pages
intitulé Les secrets de la chasse. Généralement, il appuie
ses opinions sur celles d’Henri de Puyjalon qui vient de
faire paraître son Histoire naturelle. L’inspecteur général
des Pêcheries et de la Chasse de la province de Québec
a de fortes réserves à ce propos, mais le vétérinaire la
recommande malgré tout pour le loup et le renard, en
dépit des risques qui y sont associés [Dr Grignon, 1905,
p. 5] :
D’un autre côté, si la dose de poison est trop forte
ou occasionne des vomissements, le renard aura
la vie sauve et vous empoisonnerez les animaux
domestiques qui pourraient passer à cet endroit.
C’est pourquoi ce poison n’est pas recommandable
dans le voisinage des fermes, surtout quand il
est confié à des gens inhabiles. Des chasseurs se
servent de viande ou de miel comme appâts pour
y mettre ce poison. C’est un mauvais procédé, car si
cet appât est restitué par le renard ou touché par un
chien, vous aurez à le regretter.
En 1910, le surintendant du parc national des
Laurentides, W. J. C. Hall [Rapport du ministre des terres
et forêts, 1909, p. 114] croit que « l’éponge comprimée
et des appâts sur des crochets d’os de baleine sont
les meilleurs moyens à employer10 ». Sceptique, il ne
recommande pas le recours au poison, mais il y viendra
quelques années plus tard. En trois ans, il aura réussi à
vaincre le loup même s’il n’a retrouvé aucun cadavre et
suppose que l’animal [Rapport du Ministre des Terres et
Forêts, 1913, p. 62] « finit par mourir dans la cachette où
il va généralement s’y réfugier ».
9
Père de l’écrivain Claude-Henri Grignon.
10
Les crochets sont probablement des fanons de baleine [F. von Wrangel, 1843, p. 319] :
« Ils [Tchouktchas. Inuits de la Sibérie] prennent les loups par un procédé tout particulier. Les
extrémités d’un morceau de fanon de baleine, plié en deux, sont aiguisées et attachées ensemble :
le fanon ainsi préparé est aspergé d’eau jusqu’à ce qu’il soit entièrement couvert de glace : on
détache alors les extrémités qui restent soudées par la glace, et l’on enduit le tout de graisse. Le
loup se jette sur cet appât, et l’avale. Mais la glace fond dans son estomac, la baleine [fanon] se
déploie et ses bouts aiguisés tuent l’animal ». Les pièges sans cruauté ne faisaient encore partie de
l’arsenal.
Au début du siècle, une convention des officiers et des
sportsmen est tenue à Montréal. Les représentants
des états et des provinces voisins sont au rendezvous : Massachusetts, New York, Connecticut, Vermont,
Maine, New Hampshire, Nouveau-Brunswick et Ontario.
Présidée par le ministre des Terres, Forêts et Pêcheries
de la province de Québec11, la consultation vise
l’harmonisation des pratiques de chasse et pêche. La
façon de lutter contre le braconnage et l’introduction
d’une « récompense pour la destruction des loups
et des chats sauvages [Le Soleil, 2 février 1900] » font
partie des sujets à débattre. Dans son rapport annuel,
J. F. Guay mentionne qu’un chasseur d’orignal, dans le
canton de Packington du comté du Témiscouata, aurait
tué soixante-huit orignaux pendant l’hiver. En vingt
ans, il aurait presque disparu de cette région. Une autre
personne aurait abattu une centaine de caribous et de
chevreuils12 [Rapport 1897, p. 243]. L’année suivante,
ce sont des chasseurs qui se plaignent de l’attitude de
certains agriculteurs qui ont abattu onze chevreuils à la
hache dans le secteur de Saint-Ignace de Nominingue
[La Patrie, 7 novembre 1899]. Comble du paradoxe,
c’est souvent au loup qu’on imputera ces méfaits.
Quelques mois après la rencontre, Louis Zéphirin
Joncas, surintendant des Pêcheries et de la Chasse de
la Province de Québec, présente son bilan annuel [L. Z.
Joncas, 1900, p. 36] :
Les loups ont fait leur apparition en grand
nombre dans certaines parties de la province et
spécialement dans la région au nord de Montréal et
dans la Vallée du St. Maurice. Ces animaux font une
grande destruction du chevreuil. On estime qu’ils en
dévorent des milliers tous les ans et on se demande
si le temps n’est pas arrivé de mettre leurs têtes à
prime ainsi qu’on l’a fait dans d’autres provinces,
car plus nombreux seront les chevreuils dans notre
province, plus nombreux seront les sportsmen
qui viendront leur faire la chasse, et plus élevée la
somme d’argent dépensée parmi les colons pauvres,
aidant puissamment la colonisation dans les
endroits les plus reculées [sic], du [lac] Nominingue,
des Vallées des rivières La Lièvre et la Rouge, etc.
11
S.-N. Parent cumulera les fonctions de Premier ministre, ministre des Terres, Forêts
et Pêcheries, maire de Québec, administrateur du journal Le Soleil, de la Québec Light Heat and
Power et président de la Compagnie du pont de Québec.
12
Selon J. F. Guay, ingénieur, ce sont les chasseurs du Nouveau-Brunswick et du Maine
qui sont en grande partie responsables de ces abus. L’étendue des frontières présente la même
difficulté avec l’Ontario.
AUTOMNE 2013
51
Berthier plante
Un nouveau terme fait son apparition dans les écrits
gouvernementaux : la colonisation sportive ! Cette
expression [La colonisation, 1908, p. 12] « implique
l’idée du développement de nos centres de colonisation
par les touristes et les «sportsmen» ». Les journaux, tant
au Canada qu’aux États-Unis, seraient peu coûteux et
auraient les plus grands effets pour la promotion des
activités de chasse et pêche au Québec. Le quotidien
La Presse forme une équipe « commando » pour la
chasse aux loups. La motivation des participants est
pratiquement considérée comme une affaire nationale
[La Presse, 18 février 1907] :
Ce n’est pas pour le simple plaisir de passer par les
émotions d’une semaine dans nos grands bois que
MM. les chasseurs de loups viennent de s’imposer de
telles privations. C’est celle de l’extermination de ces
pirates des bois qui contribuent d’une si désastreuse
façon à dépeupler nos vastes solitudes du chevreuil,
de l’orignal et de tout le gibier le plus intéressant.
[…] Nous avons le choix; ou bien de nous résigner à
voir les sportsmen étrangers déserter nos domaines
de chasse, en laissant les loups s’y établir en maîtres,
ou bien de continuer, dorénavant, plus formidable
que jamais, la croisade contre ces carnassiers.
Trois loups sont abattus; les autres, légèrement atteints,
s’enfuient vers la montagne. Malgré une blessure
légère infligée à l’un des membres par une bête
agonisante, un hallali frénétique émane du groupe.
Chaque victoire sur le loup est susceptible de faire un
bon reportage ! Un des écrits les plus significatifs est
celui de Serge Deyglun : la Guerre aux loups, publiée
en 1962. Lors des années soixante, suite aux pressions
des reporters sportifs et des chasseurs, le contrôle des
prédateurs prend un nouvel essor [Hénault et Jolicoeur,
2003, p. 41]. Dans la région de Montréal et en Estrie,
la confusion avec le coyote apparaît fort plausible
[Deyglun et Cognac, 1962] :
À titre d’exemple et pour prouver que le loup n’habite
pas nécessairement les forêts éloignées du Nouveau
Québec, sachez qu’on a tué des loups à moins de
25 milles de Montréal ! En 1948, coup de théâtre à
Saint-Hilaire sur Richelieu : 4 loups furent abattus et
un cinquième capturé vivant. Au cours des années
49 et 50, on signala des loups un peu partout dans
les Cantons de l’Est [sic] et plus particulièrement
dans le comté de Bagot. Les citoyens de la banlieue
de Saint-Hyacinthe et de combien d’autres villes
importantes de l’Estrie ou d’ailleurs eurent à se
Chasse aux loups près de l’Annonciation, Gabor Szilasi, 1961, BAnQ
52
HISTOIRES FORESTIÈRES
Berthier plante
plaindre des incursions du loup dans ces territoires où de mémoire d’homme, il n’y avait « jamais » eu de loups…
Le loup reviendra-t-il à ses lieux d’origine ? […] C’est que le loup n’a jamais complètement quitté les régions où il
s’était installé. Loin de nuire, la présence des hommes et de leurs lois concernant la protection de la faune, fut des
plus bénéfiques à l’espèce !
Après plus d’un siècle d’absence, un loup fut trouvé à Sainte-Marguerite-de-Lingwick en Estrie en janvier 2002.
Petit loup ou grand coyote ? Les experts penchent pour le loup, mais possiblement un individu hybridé avec un
homologue qui nous vient de l’ouest.
Quant à la prime, elle fut définitivement abolie en 1971. D’après Daniel Banville, il serait bien difficile d’évaluer le
nombre de bêtes éliminées à partir des sommes versées. Certaines personnes [D. Banville, 1981, p. 13] n’hésitèrent
pas à couper les oreilles de bergers allemands ou de tout chien lui ressemblant; d’autres, après lui avoir enlevé
les oreilles, relâchaient le loup en disant qu’il aille se refaire d’autres oreilles. Tous les abus semblaient possibles,
incluant des poils collés sur des cartons !
Dois-je te craindre ?
Le premier et le seul cas répertorié d’incident avec un loup remonte au 24 septembre 1963 sur la Côte-Nord
[Hénault et Jolicoeur, 2003, p. 108] :
Un bambin13 qui jouait dans la cour d’un chalet au millage 110, à proximité du chantier du barrage de
Manicouagan 5, a été attaqué par une louve, traîné en forêt et dévoré par celle-ci non loin du chalet (Allo Police, 6
octobre 1963). La cause et les circonstances du décès ont été certifiées par M. Léon Verreault, policier au chantier
de Manicouagan 5, et par le docteur Jacques Beaumont, coroner du district de Saguenay. Cet accident reste
inexplicable, car la louve de toute évidence n’était pas atteinte de la rage et n’agissait pas, en apparence, pour
défendre sa vie ou celle de ses petits.
13
La famille de Marc Leblond habitait le village de Godbout.
Campagnes de destruction du loup
DATE
1793 (9 juillet)
1830 (6 mars)
1831 (31 mars)
1843 (11 avril)
1849 (30 mai)
1853 (2 mars)
1869
1903
1957
1961
1967
1971
1979
LIEUX
Haut-Canada
Bas-Canada
N.-Brunswick
Haut-Canada
Bas-Canada
Haut-Canada
PRIME
4$
4$
10 $
6$
5 $ à 35 $
Québec
COMMENTAIRES
Prime accordée aux colons
Prime accordée aussi aux Amérindiens
Prohibition de la strychnine
[non-sélectivité du produit]
Strychnine pour le loup et les animaux nuisibles
Prime abolie
Prime rétablie [L. Z. Joncas en 1900]
Prime abolie
Équipe supervisée par un biologiste
Prime rétablie
Prime abolie
Prohibition de la strychnine
AUTOMNE 2013
53
Berthier plante
R. Schenkel, 1947
Paul Provencher [P. Provencher 1969, p. 96] mentionne
que la bête, amaigrie et affamée, était blessée. Ce fait
semble corroboré par une personne entrée en contact
avec madame Leblond, mère de l’enfant, en 2009. Vers
six heures du matin, sur la route, un « loup » se serait
dirigé vers le boulanger. Muni d’une clef, il lui aurait
peut-être cassé une patte14.
Un cas unique sans doute, mais un nouveau phénomène
se produit depuis le début des années 1990 au niveau
de l’Amérique du Nord : le loup familier. Contrairement
à son habitude séculaire, celui-ci a perdu la crainte des
humains. Au Québec, le problème se présente au parc
national du Mont-Tremblant. Cocasse et inquiétant [H.
Tennier, 2009, p.42], un enfant déclare s’être fait lécher
la joue pendant qu’il dormait à la belle étoile ! Quoique
sans menaces, les signes avant-coureurs sont tangibles :
rapt d’objets familiers, vol d’un ballon, poursuite de
faons ou de cerfs adultes et de ratons laveurs à travers
les terrains de camping ! Une telle situation n’aurait pu
être imaginée il y a quelques années. La Sépaq fait un
excellent travail et plusieurs mesures préventives ont
été identifiées pour les visiteurs du parc. Que faire lors
d’une rencontre [H. Tennier, 2008, p. 33] avec un loup ?
Avant tout, se rappeler qu’il s’agit d’un animal sauvage :
14
Site Web : http://www.chevreuil.net/forums/viewtopic.php?f=2&t=21021&start=15 .
Ces informations suggèrent que l’homme changeait probablement un pneu sur une voiture.
54
HISTOIRES FORESTIÈRES
ne pas le nourrir, signaler sa présence, tendre les bras,
faire du bruit, garder un contact visuel et, surtout, ne
pas prolonger la rencontre. Tout compte fait, le « louptoutou » est plus à craindre que le « loup-dangereux ».
C’est celui du conte Le petit chaperon rouge, celui à
qui il ne faut pas donner l’adresse de mère-grand. Sa
réputation de « vedette » risque de le piéger auprès de
l’opinion publique si un accident survenait.
À la recherche d’une relation
perdue ?
Avec les années 1970, une nouvelle approche
commence : l’ère scientifique. Ultimement, la question
se résume ainsi : à quoi sert le loup ? La mythologie
inuite a sa réponse : la légende d’Amorok, l’esprit des
loups. Rapportée par Farley Mowat [F. Mowat, 1963, p.
142] dans Mes amis les loups, elle nous apprend que le
rôle du loup est d’assurer la bonne santé du caribou
en prélevant le plus fragile. Il aura fallu trois siècles
et demi avant que ce fait soit reconnu par le monde
« occidental ». Influencé par les travaux scientifiques
en Amérique du Nord, le Québec s’engage dans cette
nouvelle direction : les biologistes tentent de mieux
comprendre son comportement comme prédateur. Sa
relation avec le castor, le cerf de Virginie, l’orignal, le
Berthier plante
caribou est au cœur des recherches, mais également
l’ensemble de son comportement. Évaluation de
sa densité, de l’impact des activités humaines, de
l’écotourisme avec ses appels nocturnes, de ses
déplacements et de sa propriété à s’hybrider avec le
coyote, le « bandit » sort de l’ombre. Plus compétitif en
milieu forestier par sa capacité à vaincre des ongulés
de forte taille, il a occupé des territoires où le cerf de
Virginie menace aujourd’hui la régénération de la forêt
et de son sous-bois. Les régions de la Montérégie et de
l’Estrie sont de bons exemples : résineux [thuya, pruche,
if du Canada…] et feuillus [chênes, érables…], arbustes,
herbacés [trilles blancs, ginseng…] sont en difficulté.
Voilà où nous en sommes [B. Truax, 2007, p. 18] :
Le cerf mange les feuilles, mais aussi les fleurs (et
détruit la production de graines) du ginseng. Selon
les chercheurs, il faudrait réduire d’au moins 50%
le taux de broutage par le cerf pour permettre à un
nombre minimum de populations [de] ginseng de
survivre, sinon les populations actuelles glisseront
inexorablement vers l’extinction locale [Mc Graw
et Fureti, 2005]. Au Québec, nous n’observions que
peu de broutage par le cerf des plants de ginseng
il y a 20 ans. Aujourd’hui, les plants broutés sont
beaucoup plus fréquents. […] McGraw et Fureti
[2005] prédisent que plusieurs espèces typiques du
sous-bois auront disparu de bien des forêts à cause
du cerf d’ici quelques décennies. Cette menace à la
biodiversité est grandissante dans le sud du Québec.
Bien sûr, le retour en arrière n’est plus possible. Le loup
ayant laissé une niche écologique vacante, le coyote
s’est empressé de l’occuper. Moins dérangeant que son
grand frère ? Mon voisin [Ulverton en Estrie], éleveur de
moutons, ne met plus ses animaux en pâturage. Passe
pour le petit chat tué sous ses yeux au milieu de l’avantmidi, mais un mouton ou deux par jour, c’est trop. Un
peu plus loin, un « âne-berger » fait dorénavant partie
de la ferme15. La chasse ? D’accord, mais ne devrait-on
pas apprendre aussi à vivre avec nos grands fauves ?
L’élimination des prédateurs a ses revers. Est-elle la
seule stratégie ?
Pour la plupart des espèces en danger, le constat
demeure le même : la destruction de l’habitat par
l’homme ou, en termes plus techniques, l’anthropisation
du territoire. La biodiversité est complexe. Si certaines
coupes forestières ont favorisé l’orignal et le loup par
la présence de feuillus de régénération et l’ajout de
routes, qu’arrive-t-il au caribou forestier, coincé dans
une forêt de plus en plus discontinue, morcelée ? Qu’en
est-il de l’avenir du lynx roux au sud de la province ? Là
où le coyote s’est établi, il devient l’une de ses proies
et partage son régime alimentaire : le lièvre. Défaire un
équilibre naturel sans en comprendre les mécanismes
n’est pas une « plaisanterie ». Søren Kierkegaard avait
peut-être raison. Après la disparition du loup dans le
sud du Québec, comment protéger les forêts contre
le broutage excessif du cerf de Virginie ? La chasse
récréative, malgré ses limites, demeure sans doute le
meilleur moyen. Cependant, pour une vision à long
terme, le critère garant de la survie de la forêt devrait
être la capacité du sous-bois, de la régénération
naturelle ou des plantations des espèces indigènes, à
survivre à la dent des cervidés.
Voilà ce que dit la sagesse [A. Leopold, 1949, p. 168-170] :
Seule la montagne a vécu assez longtemps pour
écouter objectivement le hurlement du loup. […]
À présent, je soupçonne que, de la même manière
qu’un troupeau de cerfs vit dans la crainte mortelle
de ses loups, la montagne vit dans la crainte
mortelle de ses cerfs. Et peut-être à meilleur escient
car, tandis qu’un vieux cerf tué par les loups sera
remplacé en deux ou trois ans, une montagne mise
à mal par l’excès de cerfs a parfois besoin de deux
ou trois décennies pour se reconstituer.
Si une certaine présence du loup est souhaitable, est-il
opportun d’en autoriser le piégeage dans les réserves
fauniques ? N’aurait-on pas besoin d’une zone tampon
autour de celles-ci pour mieux le protéger ? Ces
questions méritent réflexion.
15
Les animaux utilisés pour garder les moutons sont les chiens, les lamas et les ânes.
Pour plus d’information, voir le site du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation de l’Ontario :
http://www.omafra.gov.on.ca/french/livestock/sheep/facts/donkey2.htm .
AUTOMNE 2013
55
Berthier plante
Bibliographie
Anonyme, 1831a. « Rapport du 21 février 1831 ». Appendice du XL volume des
journaux de la Chambre d’Assemblée de la province du Bas-Canada.
MERCI À NOS MEMBRES
VAN BRUYSSEL
Anonyme, 1831b. « Acte pour encourager la destruction des loups,
quatorzième volume, chapitre VI ». Les statuts provinciaux du Bas-Canada.
Anonyme, 1849. « Acte pour prohiber la destruction de certaines espèces
d’animaux sauvages par l’effet du [sic] strychnine et autres poisons ».
Deuxième session, troisième parlement, 12 Victoria, 1849.
Banville, D., 1981. Le contrôle des prédateurs du gros gibier au Québec de 19051980, Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, 54 p.
Boucher, P., 1964 (1664). Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions
du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, Société historique
de Boucherville, 415 p.
Day, C. M., 1863. Pioneers of the Eastern Townships, Montréal, 171 p.
De Wrangell, von F., 1843. Le nord de la Sibérie, Librairie d’Amyot, Paris, 393 p.
Gagnon, D. et B. Truax, 2007. La conservation forestière dans les Cantons-del’Est et le sud du Québec, 26 p.
Grignon, W., 1905. Les secrets de la chasse, Ste-Adèle, 12 p.
M. Jean-Claude Mercier
Hénault, M. et H. Jolicoeur, 2003. Les loups au Québec : Meutes et mystères,
Société de la faune et des parcs du Québec, Direction de l’aménagement de
la faune des Laurentides et Direction du développement de la faune, 129 p.
Hogan, J. S., 1855. Le Canada, John Lovell, Montréal, 106 p.
Jolicoeur, H., 2003. « Première mention du loup en Estrie depuis plus de
100 ans ». Le naturaliste canadien, vol. 127, no 2.
Kierkegaard, S., 1843. Søren Kierkegaard. Œuvres complètes, trad. de PaulHenri Tisseau (1993), éd. Robert Laffont, coll. Bouquins, 335 p.
Leopold, A., 1984 (1949). Almanach d’un comté des sables, trad. par Anna
Gibson, Flammarion, Paris, 290 p.
Mowat, F., 2000 [1963]. Mes amis les loups, Flammarion, Paris, 277 p.
Provencher, P., 1969. Manuel pratique du trappeur québécois, Montréal, 183 p.
Rapport du Commissaire des Terres, Forêts et Pêcheries de la Province de
Québec, 1900, 1909,1913.
Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de
Québec, 1897.
Séguin, R.-L., 1971. La sorcellerie au Québec du XVIIe au XIXe siècle, Les éditions
Leméac Inc., 245 p.
Talbot, E. A., 1825. Cinq années de séjour au Canada, Boulland et Compagnie,
Paris, 363 p.
Tennier, H., 2008. Lignes directrices pour la prévention et la gestion des loups
familiers au parc national du Mont-Tremblant, Sépaq, 54 p.
Tennier, H., 2009. « Le problème des loups familiers au parc national du
Mont-Tremblant ». Le naturaliste canadien, vol. 133, no 1.
Thomas, C., 1866. Contributions to the history of the Eastern Townships, John
Lovell, Montréal, 376 p.
Thomas, C. 1877. The history of Shefford, John Lovell, Montréal, 152 p.
56
HISTOIRES FORESTIÈRES
M. Berthier Plante
Chronique anthropologique -
martin Hébert
Restreindre l’accès ou éduquer le public ?
Un siècle de transformations dans la protection
de la faune du Parc des Laurentides
Par Martin Hébert
Ph. D., professeur d’anthropologie à l’Université Laval
et vice-président de la SHFQ
Le 14 juin 2013, le Club Appalaches, dernier club
privé de chasse et de pêche installé sur des terres de
la Couronne au Québec, voyait ses droits de contrôle
sur le territoire abolis. Trente-cinq ans après l’annonce
de la création des Z.E.C. en 1978, la transition hors
des concessions exclusives et privées de chasse et
de pêche est arrivée à son terme. Le grand récit de
ce « déclubage » du territoire est relativement bien
connu. À la fin du XIXe siècle, de riches sportsmen
issus de la bourgeoisie américaine, canadienne
anglaise et québécoise reçurent du gouvernement
québécois des territoires sur lesquels ils purent
installer des clubs de chasse et de pêche somptueux
et extrêmement exclusifs. Ces clubs, qui devinrent
des symboles flagrants des inégalités entre les classes
sociales au Québec, de même que de la mainmise des
intérêts américains sur les ressources naturelles de la
province, engageaient des Canadiens-Français et des
Autochtones comme guides mais, dans l’ensemble,
contrôlaient agressivement leurs frontières et posèrent
une entrave majeure aux activités de substance de
l’un et l’autre de ces groupes sur le territoire. Les
Autochtones qui retournaient sur des territoires
familiaux et ancestraux se voyaient, soudainement,
arrêtés et mis à l’amende pour braconnage. Les
Canadiens-Français qui vivaient de la pêche en eau
douce une partie de l’année (comme mon grand-père
maternel) subissaient le même sort. En 1912, dans un
texte rédigé en anglais, un chroniqueur nommé Henry
Beckles Willson les traitait de « commerçants de truites »,
un terme utilisé, en français s’il vous plaît, comme
synonyme de « braconneur1 ». Puis à la fin des années
1960 vint la prise de conscience, le réveil québécois
affirmant une volonté d’être « maîtres chez nous ».
Dans un brûlot publié en 1971 intitulé Le scandale des
clubs privés de chasse et de pêche, le journaliste Henri
1
Henry Beckles Willson (1912) Quebec : The Laurentian Province. Toronto: Bell and
Cockburn, p.246.
Poupart dénonça vertement cette appropriation
étrangère du territoire et ses impacts sur le mode de
vie des populations exclues par la création des clubs.
Le mouvement pour l’abolition des clubs atteint alors
une ampleur considérable et déboucha, comme je l’ai
dit, avec la formalisation du « déclubage » en 1978. L’ère
de la réappropriation des terres publiques pour le bien
du plus grand nombre, l’ère de la pêche et de la chasse
accessibles à tous était ouverte.
Tout au long de cette histoire deux visions de la
protection de la nature se sont trouvées en tension
l’une avec l’autre. La première, élitiste, considère que
de donner des droits exclusifs à une poignée d’usagers
arriverait à créer un effet de conservation de la nature
« par le petit nombre ». La seconde, démocratique,
est plus complexe. Elle doit à la fois rendre la nature
accessible à tous et règlementer cette utilisation
massive en vue d’assurer la pérennité de la ressource.
Une autre manière de présenter ce débat est de voir
la protection de la nature comme relevant soit du
marché, soit de l’État. Après tout, pour employer une
heureuse formule de Paul-Louis Martin, la « Nature en
tenue de bourgeois » que nous associons aux clubs
privés du tournant du XXe siècle était vue comme un
bien de prestige. Même l’accès plus « démocratique »
des forfaits payés à la journée demeure exorbitant.
Selon Beckles Willson, le permis annuel pour chasser et
pêché dans le Parc des Laurentides en 1910 coûte $10,
montant auquel on doit ajouter un droit supplémentaire
de $1 par jour d’activité sur le territoire. Cette somme
est hors d’atteinte pour les ouvriers québécois, qui
gagnent alors en moyenne $338 par année, dans un
contexte d’inflation majeure du prix du logement, de
la nourriture et du combustible2. Même les salariés
relativement prospères (c’est-à-dire gagnant autour de
2
Paul Larocque (1976) « Aperçu de la condition ouvrière à Québec (1896-1914) » Labour /
Le travailleur, pp.122-138.
AUTOMNE 2013
57
Chronique anthropologique $600 par année à l’époque) auraient eu de la difficulté à
s’offrir un tel loisir, en admettant qu’ils aient eu le temps
libre nécessaire pour le pratiquer.
La question du privilège économique des bénéficiaires
des droits de chasse a joué un rôle important dans
la manière dont s’est écrite l’histoire du mouvement
d’abolition des clubs privés. Mais cette lecture
tourne souvent en une sorte de récit de conspiration
dans lequel à la fin du XIXe siècle les bien nantis ont
manœuvré pour s’approprier le bien public. Or, si les
locataires de clubs privés ont pu, soudainement, jouir
de territoires immenses à partir des années 1880, c’est
que le gouvernement québécois se trouvait dans
une situation complexe, tentant de jongler divers
intérêts et diverses demandes, mais sans avoir de
véritables moyens pour mettre en place des politiques
administrées par la fonction publique.
C’est ainsi que convergèrent une série de facteurs
qui ouvrirent la porte à la création des clubs. Plus
particulièrement, en 1882, deux évènements vinrent
façonné la stratégie gouvernementale : la tenue
du congrès de l’Association forestière américaine à
Montréal, et un jugement de la Cour Suprême du Canada
reconnaissant que la gestion des eaux intérieures, des
lacs et des rivières, était de compétence provinciale.
C’est un peu comme si le problème et la solution s’étaient
présentés en même temps. D’une part, le congrès de
Montréal venait de mettre en évidence l’importance de
créer des réserves de bois préservées de la colonisation
et, d’autre part, le gouvernement du Québec avait
maintenant une ressource fort intéressante à offrir
sous la forme de droits d’usufruit sur les lacs et les
rivières du territoire qu’il administrait. Pour le secteur
dans, et autour, du Parc des Laurentides, sur lequel je
me suis davantage attardé, cette conjonction, idée de
l’ouverture de l’axe ferroviaire Québec-Lac Saint-Jean
entraina une flambée de création de clubs privés. Pour
n’en énuméré que quelques uns, citons Le club des
Laurentides créé en 1885, le Stadaconna en 1886, le
club Métabetchouan en 1888, celui du Lac Balzame en
1887, le Tourilli en 1889, le club Little Saguenay et le
club Jacques-Cartier en 1889, le Penn, le club La Roche
et le club Montmorency en 1890, et le Triton en 1893.
Bref, cette prolifération de contrats locatifs offrant des
droits exclusifs de chasse et de pêche sur un territoire
répond à une mesure délibérée du gouvernement : on
veut protéger, mais sans avoir de ressources à investir
dans le projet. Alors on donne le territoire comme s’il
s’agissait d’une vente de feu.
58
HISTOIRES FORESTIÈRES
martin Hébert
Il faudra revenir dans une autre chronique sur les effets
qu’a eu cette restructuration administrative du territoire
sur les Premières nations qui les occupaient. Je me
contenterai ici de noter que l’objectif du gouvernement
d’accroître son contrôle sur le territoire à moindre coûts
a été largement atteint par la création des clubs privés.
Beckles Willson donne quelques chiffres sur le faible
taux de fréquentation de certains clubs, surtout lorsque
comparée aux étendues de rivières qui leur étaient
allouées : le H.J. Beemer Estate, possédant des droits sur
1000 miles de rivières du bassin versant du lac St-Jean
n’avait pas reçu aucun visiteur depuis plusieurs années
en 1912; le club Amabilish, titulaire de 150 miles de
rivières, ne reçut durant l’été de la même année, que
« quelques » pêcheurs pour « quelques jours » ; les clubs
Nomonteen, Pennsylvania et Trinity, contrôlant à eux
trois 700 miles de rivières, n’auraient eu qu’une demidouzaine de membres chacun ; le club Tourville n’aurait
reçu qu’une trentaine de visiteurs par saison3.
Alors que depuis la fin du XIXe siècle la chasse et la pêche
récréatives dans le parc des Laurentides étaient l’affaire
d’un public sélect, la période qui suit la première guerre
mondiale verra l’amorce d’une montée importante de
l’intérêt porté par le grand public pour les territoires
forestiers à proximité des centres urbains. Le parc des
Laurentides, en particulier, connaîtra une augmentation
sensible de sa fréquentation par le public québécois à
partir de cette période. Cette augmentation marquera
l’amorce d’un processus graduel de « démocratisation »
dans l’utilisation du territoire mû par les demandes
de la population. Plusieurs facteurs viendront nourrir
ces demandes. L’augmentation démographique de la
population, un meilleur accès routier au territoire et
le développement d’une culture du loisir au sein du
grand public joueront un rôle important dans cette
augmentation de la demande4. Mais entre la Première
et la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le public –
en commençant par une nouvelle élite intellectuelle
canadienne-française – deviendra plus revendicateur à
mesure que l’étalement urbain commence à mettre les
citoyens en contact avec des territoires contrôlés par
les clubs privés. Comme le note Poupart :
3
H. B Willson (1912) Quebec : The Laurentian Province. Toronto: Bell and Cockburn,
p.246-247.
4
Laverdière 1964 : 7.
Chronique anthropologique « Les villes s’étendent au fur et à mesure que la
population augmente. Les villages se multiplient,
ainsi que les stations de villégiature. Résultat : un
peu partout au Québec, des clubs privés encerclent
villes et villages, privant ainsi la population de
chasser et de pêcher dans les lacs et rivières qui se
trouvent à leur portée5 ».
Avec la naissance de la classe moyenne au Québec,
apparaissent des utilisateurs du territoire qui ne sont
pas des ouvriers forestiers ou des colons dépendant
du territoire pour leur gagne-pain, et qui ne sont pas,
non plus, les utilisateurs bien nantis qui fréquentaient
les clubs privés de chasse et de pêche depuis la fin
du dix-neuvième siècle. Ce « grand public », ou plus
précisément ce public canadien-français grandissant,
n’avait eu jusqu’à la première guerre mondiale
que peu d’incidence sur la gestion du territoire. Il
gagnera cependant constamment en importance au
cours du vingtième siècle. Il sera aussi porteur d’un
paradigme de la protection de la nature qui détonnera
considérablement de celui de la « conservation par le
petit nombre » associé aux clubs privés.
La période d’accélération marquée de l’industrialisation
du Québec comprise entre le développement du
réseau pancanadien de chemins de fer dans les années
1880 et la dépression des années 1930 a engendré
des transformations importantes dans la société
québécoise. Au cours de cette période charnière, les
conditions de vie sont difficiles en raison de la guerre,
de la crise économique, des rudes exigences du travail
industriel, de même que des problèmes associés à
l’urbanisation et à la décomposition des économies
rurales traditionnelles6. Ces difficultés de la vie urbaine
prolétarisée peuvent être vues comme fondatrices
d’une certaine « réaction esthétique » face à la vie
moderne et d’une vision des espaces forestiers comme
un lieu de ressourcement potentiels, auquel tous ont
droit7.
Il y aurait beaucoup à dire sur la montée de ces
revendications populaires. Notons simplement qu’elles
étaient généralement fondées sur trois piliers. Le
martin Hébert
premier était, comme je l’ai noté au début de ce texte,
un argument lié à la différence de classe sociale entre
le public et les bénéficiaires des baux de clubs privés.
Poupart, parlait alors ni plus ni moins que de l’abolition
« de ces droits féodaux qui datent de 1880-1890 8 ». Un
autre fondement de cet argumentaire est national, les
références aux « riches américains », avec encore une
fois Poupart qui mène la charge, sont omniprésentes.
Les évènements d’octobre 70 viendront d’ailleurs
renforcer ce discours et inspirer les actions directes du
Mouvement pour l’abolition des clubs privés sur les
terres de la Couronne (MACPTC) approches par l’action
directe. Mais un troisième argument, moins souvent
discuté dans la littérature sur le « déclubage » permettra
ici de revenir sur les deux visions de la protection de
la nature que j’ai évoquées au début du texte. Cet
argument est celui qui renverse la conception même
du public et de la fréquentation de masse des territoires
forestiers.
Alors qu’à la fin du XIXe siècle, et durant une très
grande partie du XXe le « public » était perçu comme
une menace à l’intégrité des environnements, le
mouvement de démocratisation des clubs de chasse
et de pêche ouvre la porte à une nouvelle figure
du pêcheur et du chasseur. Il n’est plus seulement
question ici d’un « nous aussi » dans lequel l’ensemble
du public aurait accès à des activités qui n’étaient
jusque là accessible qu’à un tout petit nombre, mais
il est aussi question de faire autrement, de pratiquer
la chasse et la pêche d’une manière différente que
dans les clubs privés, avec des visées d’éducation à
la conservation. Il est alors question de marquer une
rupture avec la mentalité de la pêche au trophée
régnant dans les clubs privés et d’insérer cette activité
dans une logique éducative et de rapprochement
avec la nature.
Une citation tirée du mémoire déposé en 1979 par le
Casting Club de Québec dans le cadre de consultations
publiques sur la refonte du Parc des Laurentides
illustre bien la manière dont ce nouveau paradigme se
présente à la fin des années 70 :
5
Poupart H., 1971, Le scandale des clubs privés de chasse et pêche, Montréal,
Parti pris : 15.
6
John A. Dickson et Brian Young (2003) Brève histoire socio-économique du Québec.
Montréal : Septentrion.
7
P.112.
Max Oelschlaeger (1991) The Idea of Wilderness. New Haven, CT: Yale University Press.
8
Poupart H., 1971, Le scandale des clubs privés de chasse et pêche, Montréal, Parti pris : 15.
AUTOMNE 2013
59
Chronique anthropologique -
martin Hébert
« Notre Club, dans les dernières années, en plus d’enseigner diverses techniques de plein air reliées surtout à la
chasse et à la pêche, a tenté de développer chez des milliers de personnes des préoccupations de conservation.
C’est donc ce gros bon sens de gens de toutes les classes de la société, qui ont derrière eux plusieurs milliers de jours
vécus en forêt, qui va prévaloir tout au long de notre exposé9 ».
Si une citation vient sonner le glas de l’idéologie de la conservation par le petit nombre, je proposerais que c’est
celle-là. Elle ne repose pas sur la trame héroïque d’une réappropriation dramatique des clubs, repris des mains de
riches étrangers. Elle ne revendique même pas l’accès à un privilège. Non, elle invoque plutôt le « gros bon sens » qui
nait d’une fréquentation assidue du territoire, de la pratique de la chasse et de la pêche qui se comprend comme un
rapport de réciprocité avec la nature, non pas comme une course aux plus belles, ou aux plus nombreuses, prises.
Et, peut-être la plus intéressante leçon de toutes : ce passage nous rappelle que ce rapport à la nature peut être
appris et développé par la pratique. La conservation par le petit nombre était une solution pragmatique, adaptée
aux moyens limités du gouvernement québécois à la fin du XIXe siècle, mais, au final, nous nous rendons compte
qu’elle proposait aussi un paradigme qui reposait sur la crainte du public. La restriction économique et légale de
l’accès au territoire était jugée suffisante pour protéger la ressource. La démocratisation des activités de chasse et
de pêche nous aurons appris que si ces mesures peuvent permettre de contrôler le petit nombre, l’éducation est la
voie de résultats durables pour ceux qui désirent donner un accès équitable à la ressource.
9
Casting club de Québec Inc., 1979, Mémoire déposé au Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Québec :1.
Offrez-vous un séjour au
chalet l’Inspiration !
...tous vos sens seront sollicités...
Pour réservation : www.sites.google.com/site/linspiration44
Denis
Robitaille :FORESTIÈRES
581 995-2587 / 418 623-6168
60 HISTOIRES
roy dussault
Pour en savoir plus
sur l’histoire de la
chasse et de la pêche
PAR Roy Dussault, auxiliaire de recherche
à la Société d’histoire forestière du Québec
Sur le web
En relation avec l’article de
Darin Kinsey, nous vous invitons
à regarder sur le site de Radiocanada, l’émission spéciale de
« Tout le monde en parlait » et
intitulée : Clubs privés de chasse
et pêche : la fin d’un privilège.
- Diffusée le 21 juillet 2009
http://www.radio-canada.ca/emissions/tout_le_
monde_en_parlait/2009/Reportage.asp?idDoc=84458
Jusqu’à la fin des années 70 au Québec, les territoires
de chasse et de pêche sont attribués à l’usage exclusif
des clubs privés. Vers 1960, on dénombre 2200 clubs
privés se partageant un territoire de plus de 78 000 km2
ce qui représente 87% des zones accessibles à la chasse
et la pêche. Pourtant, seulement 0,5% de la population
québécoise a accès à ce territoire en raison de la
mainmise des clubs privés, constitués principalement
par des étrangers. Contrairement à ce que certains de
ces clubs tentent de montrer, il est très difficile d’en faire
partie, ce qui créé une situation d’injustice.
Yves GINGRAS et Maud LIRETTE. Le club Triton : l’histoire du plus prestigieux club de chasse et pêche
au Québec, Québec, Éditions Rapides Blancs, 1989.
Les défenseurs de ces clubs craignent que si le territoire est ouvert à tous, il soit impossible de le protéger. De plus,
les clubs sont à leur avis les seuls à pouvoir contrôler efficacement la chasse et la pêche au Québec. De l’autre côté,
pour beaucoup d’opposants à ces clubs, il s’agit d’une occasion de « rendre le Québec aux Québécois ».
Au début des années 70, plusieurs manifestations éclatent dans les clubs où des gens forcent les barrières afin
d’avoir accès au territoire leur étant interdit. Dans certains cas, plusieurs dizaines de personnes sont arrêtées puis
emprisonnées pour avoir commis ces gestes. Les pressions populaires laissent place à plusieurs débats télévisés.
Finalement, Yves Duhaime, ministre du Tourisme, de la Chasse et de la pêche réussit un coup de maître à la fin de
l’année 1977 en retirant les droits exclusifs des clubs privés tout en n’expropriant personne. Est alors créé un réseau
de réserves de chasse et de pêche unique au monde, celui des réserves fauniques. Le territoire est enfin accessible
à l’ensemble de la population québécoise.
AUTOMNE 2013
61
roy dussault
Sur le web
PROPOSITION DE LECTURE
En relation avec l’article de
Berthier Plante, nous vous
invitons à regarder, sur le site
de ONF, le film de Bill Mason,
La fin d’un mythe.
Gérard Lirette, dernier gardien
du Club Triton, trappeur et
coureur des bois - Réalisé en 1971
http://www.onf.ca/film/fin_dun_mythe
Ce documentaire animalier scrute l’histoire du loup
canadien et la relie à celle d’autres espèces, victimes
également de l’humain et de sa technologie. Tourné
par Bill Mason, réalisateur animé d’un indéfectible
amour pour la vie sauvage, ce film pénètre au cœur
du domaine du loup. Il décrit aussi le rôle que joue
ce prédateur dans l’ensemble écologique et s’attaque
également au mythe de sa rapacité.
Chasse aux loups près de l’Annonciation, Gabor Szilasi, 1961, BAnQ
Gérard Lirette, dernier gardien du Club Triton, trappeur et coureur des bois
C’est avec passion et dévouement que Maud Lirette, fille
de Gérard Lirette, a entrepris d’écrire la remarquable
histoire de son père, dernier gardien du club house
du Triton Fish & Game Club. Cette aventure qui a
débuté en 2011 et qui n’était censée être à la base
qu’un recueil de photographies s’est révélée être une
entreprise de réconciliation avec leur passé pour la
famille Lirette. Comme elle l’indique : « Je l’ai fait pour
rendre hommage à mes parents. J’ai ri. J’ai pleuré
aussi. Ça m’a fait du bien ! » Elle désirait, par la même
occasion, honorer l’histoire souvent inconnue de ceux
qui, comme son père, ont durement gagné leur vie
en pleine forêt en étant trappeurs, coureurs des bois,
constructeurs de camps en bois rond, débroussailleurs
de sentiers forestiers, etc. Par le biais de nombreuses
photos d’époques, d’entrevues, d’événements racontés
et d’anecdotes à propos de ses parents ainsi que de
ceux qui les ont côtoyés, cet ouvrage plonge le lecteur
dans le récit poignant des hommes amoureux de la
nature et des traditions des Premières Nations.
Si vous êtes intéressé par un exemplaire du livre,
n’hésitez pas à communiquer directement avec :
MAUD LIRETTE
121, rue des Ronces, Saint-Raymond, Québec G3L 2Y2
Tél. : 418-337-4482
Le livre est en vente de main à main au coût de 25 $ et
de 31 $ par la poste.
62
HISTOIRES FORESTIÈRES
AUTOMNE 2013
63
vincent collette
Comment désigne-t-on
l’ours noir en cri de l’Est ?
Par Vincent Collette
(Université Laval, CIERA)
Vincent Collette détient une maîtrise en Anthropologie (Université Laval), et
est doctorant en Linguistique (Université Laval). Il travaille pour la Commission
scolaire crie, et est l’auteur du chapitre L’histoire de la baie James de 1600 à
1950 (in Histoire du Nord-du-Québec, Réjean Girard, ed., PUL). Il s’intéresse à la
question des langues minoritaires et à leur documentation. L’ours est vénéré et craint par la plupart des peuples
septentrionaux habitant le Canada, les États-Unis, la
Russie, le Japon et les pays scandinaves (Hallowell,
1926). Dans plusieurs de ces cultures, l’ours est
considéré comme le plus humain des animaux.
Le chasser est donc une activité lourde de sens.
Dans les cultures autochtones du Nord, l’ours est
doté d’une psychologie complexe, qui n’est pas
sans rappeler celle des humains : on le voit comme
impatient, timide, féroce, docile. Il est dit de lui
qu’il est curieux et intelligent, qu’il a une excellente
capacité d’adaptation. Certains de ces aspects
psychologiques prêtés à l’ours sont très bien
représentés dans le mythe cri de L’ours et l’enfant
(voir Tanner, 1979 : 148-149). En effet, ce mythe
raconte comment un père retrouve, au moyen de la
sorcellerie, son fils kidnappé par un ours. Toutefois,
ce dernier, loin d’être un personnage maléfique,
symbolise le grand-père protecteur et omniscient : il
enseigne à l’enfant comment conserver les aliments,
lui apprend à chasser et à reconnaitre les signes de
la présence d’un ours – autant de connaissances qui
lui serviront dans sa vie adulte de chasseur.
Les représentations autochtones autour de l’ours
s’intéressent particulièrement à sa physionomie
anthropomorphique (Berres et coll. 2004 : 8) : il peut
se tenir sur ses pattes arrières, et marcher seulement
sur celles-ci au besoin. De plus, à l’instar de l’humain
et du chimpanzé, l’ours a cinq doigts et se sert de
ses pattes avant pour manipuler adroitement
certains objets : couvercle de poubelle, fenêtre
coulissante, essaim d’abeilles, etc. Ces rapprochements
psychologiques et physiques avec les humains font
de l’ours un médiateur cosmologique privilégié entre
le monde des humains et celui de l’au-delà, et c’est
pourquoi, chez les peuples algonquiens du Canada, la
chasse à l’ours se module d’après un vaste répertoire de
rituels (prescriptions, interdits) et de pratiques verbales
(voir Black, 1998). Ce rapport particulier à l’ours se
reflète dans le riche vocabulaire utilisé pour en parler.
Dans les lignes qui suivent, je vais décrire et analyser
certains des mots utilisés par les Cris de l’est de la Baie
James pour désigner l’ours noir1. Ces mots nous ouvrent
une fenêtre privilégiée sur l’univers symbolique dans
lequel est pratiquée la chasse à cet animal chez les Cris.
Le cri de l’Est2 est une langue autochtone qui appartient
à la famille des langues algonquiennes, lesquelles sont
parlées au Canada, aux États-Unis (et aussi au Mexique),
des Rocheuses à l’océan Atlantique. La structure interne
du mot cri est très complexe et je ne peux que donner ici
certains des rudiments qui serviront à comprendre ma
description. En outre, un verbe cri se traduit toujours
par une phrase complète en français. Par exemple,
1
Il me semble important de rappeler aux lecteurs que les langues et cultures indoeuropéennes (IE ci-après) reposent, elles aussi, sur un fond cosmologique important. Par exemple,
la racine IE *ber- « brun » a donné bear en anglais, alors que bruin provient du mot néerlandais pour
« brun » (par l’entremise d’un poème en vieux néerlandais) (Weekley, 1967). Le mot grec arktos
« constellation de la Petite et de la Grande Ourse » est la source du mot savant arctique, des prénoms
comme Arthur (via le breton) ou Artemis, mais aussi des mots comme arc (l’arme) et archaïque. Le
latin ursus « constellation de la Grande Ourse », qui est un calque du grec arktos, a donné le prénom
féminin Ursula et le nom ours.
2
détails.
64
HISTOIRES FORESTIÈRES
Le lecteur intéressé par la langue crie pourra consulter le site www.eastcree.org pour plus de
vincent collette
« yûtin » se traduit par « il vente »3. Par ailleurs, en cri, il
est possible d’ajouter soit des préfixes ou des suffixes
sur les verbes ou les noms (par exemple, mistâ-yûtin « il
vente fort » ; yûtin-âkun « ça a l’aire venteux »).
noir »7 ;), en référence à la couleur de son pelage. Dans
la même lignée métonymique, on peut aussi entendre
la circonlocution kâ-wîyipâch mîchim, qui signifie
littéralement : « la nourriture (mîchim) qui est noire »8.
Le premier détail qui frappe celui qui s’intéresse à la
nomenclature du cri de l’Est utilisée pour désigner
l’ours noir4 est que le mot « mashkw »5, généralement
utilisé dans les autres langues algonquiennes pour
désigner cet animal, y est absent, sauf à Waswanipi.
Les Cris utilisent plutôt des noms comme chishâyâkw,
qui signifie « grand (ou majestueux) porc-épic » en cri
du Nord ou kâkûsh, qui signifie « petit porc-épic » en cri
du Sud6. Le rapport entre l’ours et le porc-épic n’est pas
clair pour tous les locuteurs. Il semble attribuable à la
physionomie similaire des deux animaux : couleur du
poil, forme du dos.
Il existe aussi d’autres mots directement associés aux
prescriptions rituelles entourant la division symbolique
de la viande de l’ours durant les festins ; il s’agit des noms
composés nâpâumîcim (litt. nâpâw « homme » + mîchim
« nourriture ») et iskwâumîcim (litt. iskwâw « femme » +
mîchim « nourriture »), qui renvoient respectivement
aux parties supérieures (pattes postérieures, tête,
cœur, etc.) et inférieures (pattes antérieures, fesses,
intestin, etc.) d’un animal. Alors que ces deux derniers
noms composés ne renvoient pas directement à l’ours,
mais à n’importe quel gibier d’ « importance » incluant
aussi le castor, l’orignal, le caribou ou le porc-épic, les
noms nâpâmîchim (litt. nâpâ- « masculin » + mîchim
« nourriture ») et iskwâmîchim (litt. iskwâ- « femelle » +
mîchim « nourriture ») font uniquement référence à un
ours noir mâle ou femelle, un peu comme si la chair de
l’ours constituait la viande par excellence.
Il faut préciser ici que les trois noms animés mashkw,
chishâyâkw et kâkûsh réfèrent à la même entité dans
la réalité, soit un OURS physique (qu’il soit méchant,
docile, de pelage plus pâle ou plus foncé, etc.), mais
que le générique mashkw n’a pas la même connotation
que les deux autres. À l’instar, de Hallowell (1926 : 45),
j’avance que chishâyâkw et kâkûsh sont d’anciens
surnoms à forte connotation idéologique – ce que
laissent entrevoir l’augmentatif chishây - et le diminutif
-sh (qui a souvent une valeur d’affectivité dans les
langues du monde) – qui devaient être reliés à une
pratique ancestrale d’évitement du terme générique en
présence d’un ours vivant pendant la chasse. Toutefois,
puisque cette connotation ne semble plus palpable, ces
noms sont considérés comme encore trop directs, et
c’est pourquoi certains Cris utilisent des circonlocutions
qui renvoient à une caractéristique physique de l’ours.
Ainsi, j’ai noté le verbe kâ-wîyipisit (litt. « celui qui est
3
La longueur vocalique, qui est phonémique en cri, est indiquée par un accent circonflexe.
La consonne ch est prononcée comme le ch- du mot anglais chips. En cri de l’Est, comme dans les
autres langues algonquiennes, les noms et les verbes sont animés ou inanimés (ce qui couvre
approximativement la distinction vivant/non vivant). Ainsi, un nom animé s’accorde avec un verbe
animé. Pour ne pas compliquer la présentation, je n’indiquerai pas le genre animé ou inanimé, sauf
si cela s’avère important pour mon propos.
4
Le code CN renvoie au cri du Nord parlé dans les communautés d’Eastmain, Wemindji,
Chisasibi et Whapmagoostui, alors que cri du Sud, ou CS, est utilisé à Waskaganish, OujéBougoumou, Waswanipi et Mistissini.
5
En fait, maskw a un alternant court correspondant -shkw (CS) -skw (CN) ‘ours’ qu’on
retrouve dans CN nâpâskw « ours mâle » (nâpâ- « mâle » + -skw « ours ») et wâpaskw « ours
polaire » (wâp- « blanc » + -askw « ours »). Il existe aussi en CS, un autre nom opaque mihtâmin
pour indiquer un « gros ours noir ».
6
(< chishây- « grand, majestueux » + -âkw « porc-épic ») (cn) ou (< kâkw « porc-épic » + -sh
« diminutif ») (cs)
Certains des traits comportementaux psychologiques
de l’ours noir (qui sont connus autant des chasseurs
cris que québécois) sont véhiculés dans le verbe
niyânipiwishit « celui qui a l’habitude de se tenir debout
de manière intermittente (ici et là) »9.
J’ai aussi eu la chance de recueillir le verbe animé
shâshâchistuw, qui signifie « il est nu-pieds », qui renvoie
au fait que l’ours n’a pas de raquettes (communication
personnelle avec George Shecapio). Cette désignation
revêt un caractère comique pour les informateurs
consultés, mais met aussi en lumière le fait que l’ours,
comme animal aux qualités psychiques et physiques
humaines, véhicule un bagage symbolique complexe,
situé à la frontière entre nature et culture en étant un
animal sans raquettes.
7
noire »
Verbe issu d’une forme conjuguée du radical verbal animé wîyipisi- « être de couleur
8
Issue d’une forme conjuguée du radical verbal inanimé wîyipâ- « être un objet de
couleur noire »
9
Mon analyse de ce verbe est la suivante : 1) nîpiwi- « il se tient debout » + -shi« diminutif verbal » (affection) ; 2) nâ-nipiwi-shi- (la réduplication de la première syllabe, soit ni-,
indique l’idée d’ « intermittence ») ; et 3) niyâ-nîpiwishi- (l’insertion de -iy- qui est une marque de
l’aspect grammatical « habituatif »). Le suffixe -t indique la 3e personne du singulier.
AUTOMNE 2013
65
vincent collette
Finalement, lors d’une expédition de chasse, l’ours
peut être désigné, en fonction de l’âge estimé et du
sexe, comme un grand-père (nimushum), une grandmère (nuhkum) ou un parent (nîchiyniw). Le lecteur
intéressé par le sujet pourra consulter l’étude classique
de Hallowell (1926 : 43 et ssq.) pour un recensement
des stratégies linguistiques utilisées par les peuples de
l’hémisphère nord pour désigner ou parler à l’ours.
En conclusion, cet article avait pour but d’analyser les
mots et les circonlocutions servant à désigner l’ours
noir en cri de l’Est. Cette démarche nous permet de
commencer à explorer la complexité de la relation
intellectuelle et pratique entre les Cris et cet animal
si important. L’étude du vocabulaire animal constitue
une porte d’entrée dans ce domaine passionnant, aux
ramifications interdisciplinaires importantes, à la croisée
de l’anthropologie, de la linguistique comparative, de
la mythologie et de l’archéologie.
Bibliographie
Berres, Thomas E., Stothers, David M. et David Mather (2004), Bear Imagery
and Ritual in Northeast North America : An Update and Assessment of A.
Irving Hallowell’s Work, Midcontinental Journal of Archaeology, 29 (1): 5-42.
Black, Lydia T. (1998), Bear in Human Imagination and Ritual, Ursus,
10 :343-347 (A Selection of Papers from the Tenth International Conference
on Bear Research and Management, Fairbanks, Alaska, July 1995, and Mora,
Sweden, September 1995.)
Hallowell, Irving A. (1926), Bear Ceremonialism in the Northern Hemisphere,
American Anthropologist, 28 (1): 1-175.
Tanner, Adrian (1979), Bringing Home Animals, Religious Ideology and Mode
of Production of the Mistissini Cree Hunters. St-John: Memorial university of
Newfoundland.
Weekley, Ernest (1967), An Etymological Dictionary of Modern English, New
York : Dover Publications, Inc.
MERCI À NOTRE MEMBRE VAN BRUYSSEL
66
HISTOIRES FORESTIÈRES
MERCI À NOS MEMBRES VAN BRUYSSEL
AUTOMNE 2013
67
FORMULAIRE D’ADHÉSION
Société d’histoire forestière du Québec
NOUVELLE ADHÉSIONRENOUVELLEMENT
Nom et prénom :
Entreprise ou organisme :
Adresse :
Ville : Code postal :
Téléphone : Télécopieur :
Courriel (obligatoire) :
Mot de passe temporaire pour le site web (obligatoire) :
Commentaires et informations supplémentaires :
Van Bruyssel (1 an 500 $)
Membre régulier (1 an 45 $)
Étudiant (1 an 25 $)
Retraité
(1 an 25 $)
Chèque joint
Faites parvenir votre formulaire d’adhésion dûment rempli avec votre paiement
aux coordonnées suivantes. Formulaire également disponible sur le site internet :
www.shfq.ca. Merci de votre soutien.
Société d’histoire forestière du Québec
1000, 3e avenue, C.P. 52063, Québec (Qc) G1L 2X4
Téléphone : 418 454-1705
Courriel : [email protected]
68
HISTOIRES FORESTIÈRES