Partage, troc, occasion : un truc de jeunes ?

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Partage, troc, occasion : un truc de jeunes ?
Septembre 2014
FOCUS
Partage, troc, occasion :
un truc de jeunes ?
Lorsque l’on parle de consommation collaborative, on peut être
tenté de penser à des pratiques essentiellement adoptées par la
jeunesse, dont la diffusion suivrait l’entrée progressive de la jeune
génération dans la vie adulte et leur affranchissement en tant que
consommateurs autonomes.
Mais ce lieu commun résiste-t-il à l’épreuve des faits ? L’Observatoire
des consommations émergentes conduit par l’ObSoCo depuis 2012
permet de le confronter à des données d’enquête : même si certaines
pratiques collaboratives, comme les mobilités partagées, sont effectivement surreprésentées chez les 18-25 ans, le degré d’engagement
des jeunes dans les consommations émergentes prises dans leur
ensemble se distingue finalement assez peu de celui du reste de la
population française. Les jeunes témoignent d’un rapport très pragmatique à ces modes de consommation, recourent à celles qui leur
permettent de consommer moins cher, ou « d’en avoir un peu plus
pour chaque euro dépensé »… bien avant l’affirmation de préoccupations sociétales ou environnementales.
Les jeunes sont plus
impliqués dans certains
types de consommations
émergentes
Certaines pratiques émergentes sont en
effet plus présentes chez les 18-25 ans
que dans le reste de la population. C’est
particulièrement vrai de l’emprunt d’objets : 58% des jeunes disent avoir emprunté au moins un objet au cours des 12 mois
précédant l’enquête, contre seulement
45% du reste de la population. Deux emprunts sur cinq portent sur des produits
culturels (livres, CDs ou DVDs). Viennent
ensuite les vêtements, les jeux vidéo, et les
voitures (15 à 20% des emprunts).
De manière moins marquée, les 18-25 ans
recourent également davantage à la location d’objets (hors voiture) que le reste de
la population, et pratiquent plus fréquemment l’achat mutualisé. En effet, 20% des
18-25 ans déclarent avoir acheté un produit à plusieurs pour en partager l’usage,
alors que c’est le cas de 16% des personnes de plus de 25 ans. L’achat d’occa-
sion est également légèrement plus répandu dans cette tranche d’âge que dans
l’ensemble de la population (62% des
jeunes contre 58% des autres tranches
d’âge).
S’il est un point sur lequel les jeunes se
démarquent en revanche nettement du
reste de la population, c’est sur la question
de la mobilité. Les formes de mobilité partagée démultiplient les possibilités
de déplacement et sont donc bien plus
plébiscitées par les jeunes, qui disposent
de peu de moyens financiers et sont rarement propriétaire d’un moyen de transport.
Outre la diffusion de l’emprunt d’une voiture mentionnée plus haut, ils font également plus souvent usage des systèmes de
vélo-partage et d’auto-partage que le reste
de la population, recourent près de deux
fois plus que la moyenne au covoiturage
ainsi qu’à la location de voiture auprès de
particuliers.
Les jeunes sont donc particulièrement
engagés dans des pratiques de consommations collaboratives impliquant le par-
QUELQUES PRATIQUES
PARTICULIÈREMENT « JEUNES »
Au cours des 12 derniers mois,
avez-vous eu recours à ces pratiques ?
80
70
62%
58%
58%
60
80
50
70
45%
40 58%
60
30
50
62%
58%
45%
22%
18% 20%16%
20
40
10
30
22%
18% 20%16%
0
20
10
Emprunt
Achat
Location
Achat
d’occasion
mutualisé
0
18-25 ans
Emprunt
Achat
Location
Achat
Plus de 25d’occasion
ans
mutualisé
Source
18-25
ans : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
Plus de 25 ans
Source
: L’ObSoCo,
ILEC,
PICOM, 2013 ©
LES
JEUNES,
TRÈS
IMPLIQUÉS
DANS LES MOBILITÉS
Au cours des40%
12 derniers mois,
40
avez-vous
eu recours à ces pratiques ?
50
35
40
50
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30
40
25 24%
35
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40
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25
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0
10
20
30
22%
11%
6%
11%
Vélo5 partage
Covoiturage
3%
6%
3%
6%
6%
AutoLocation
3%
3% de voiture
partage
auprès de
particuliers
AutoLocation
partage de voiture
auprès de
particuliers
Source
2013 ©
18-25
ans : L’ObSoCo, ILEC, PICOM,
0
18-25 ans
VéloCoPlus
de 25 voiturage
ans
partage
0
10
30
La réus
0
La réus
Source : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
33%
27%
10
20
Plus de 25 ans
35
27%
1
70
Vélopartage
Location
de voiture
auprès de
particuliers
La réussite
Le plaisir
Vivre des moments
forts
18-25 ans
Source : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
…MAIS MOINS
DANS LE COMMERCE SOLIDAIRE
Au cours des 12 derniers mois,
avez-vous eu recours à ces pratiques ?
35
33%
25
23%
22%
Mais qu’est-ce
47%qui motive les jeunes à se
40
tourner
vers les nouveaux modes de
consommations?
35%
30
15
10
27%
0
Achat de produits
biologiques
Achat de produits
issus du
commerce équitable
to
18-25 ans
Plus de 25 ans
Source : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
tage de produits. Mais inversement, ils se
révèlent relativement peu impliqués dans
d’autres types de consommations émergentes.
De manière assez intuitive étant donné le
surcoût
que cela implique, ils sont moins
70
consommateurs de produits biologiques :
60 des 18-25 ans disent 64%
23%
acheter fréquemment
ou
systématiquement
des pro50
duits biologiques, contre 33% du reste de
44%
la40
population.
L’écart est plus modeste pour
ce qui est des produits issus du commerce
30
équitable
: 22% des plus de 25 ans dé27%
20
21%
20%
15%
10
10
8%
6% LES VALEURS DES JEUNES :
0
PLUS MATÉRIALISTES QU’HUMANISTES
t
d’ à f
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co
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20
On20attribue souvent ces pratiques à un
19%
sens renouvelé
de la responsabilité socié10et environnementale. Mais celle-ci ne
tale
8%
ressort
pas comme une valeur particuliè0
rement présente chez les jeunes : parmi
les trois valeurs auxquelles ils sont le plus
attachés, les 18-25 ans ne retiennent pas
plus que la moyenne les idées de partage,
de solidarité ou d’engagement
pour le2013
bien©
Source : L’ObSoCo,
commun. Ils sont en revanche plus
attachés à certaines valeurs matérialistes et hédonistes : la réussite, le
plaisir, et le fait de « vivre des moments
forts ». Ce penchant hédoniste se reflète
d’ailleurs dans leur rapport à la consommation, décrite par 62% des jeunes
comme un plaisir (et non juste comme une
60
nécessité),
contre 50% seulement des plus
de 25 ans. De manière plus générale, le
50
score
synthétique d’appétence à la
48% à
consommation construit par l’ObSoCo
40 des réponses à une batterie de quespartir
tions est significativement plus39%
élevé chez
les3018-25 ans
que33%
chez leurs ainés.
31%
ut
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5
Achat
mutualisé
clarent se tourner fréquemment ou systématiquement vers ces produits, mais c’est
le cas de seulement 18% des 18-25 ans.
50
18%
20
to
u
to
u
Parmi les valeurs suivantes, quelles sont celles auxquelles
vous êtes plus attaché(e) et qui ont le plus d’importance
dans la manière dont vous menez votre vie ? (trois valeurs à classer, rang indifférent ici)
sans opinion = 9%
50
sans opinion = 13%
Source41%
: L’ObSoCo, 2013 ©
Source : L’ObSoCo, 2013 ©
40
30
29%
27%
25%
20
16%
15%
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6%
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Location
e de voiture
auprès de
particuliers
PICOM, 2013 ©
6%
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La réussite
Le plaisir
Vivre des moments
forts
18-25 ans
Le partage,
la solidarité
L’engagement
pour le bien
commun
Plus de 25 ans
Source : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
Des
motivations plus pragma70
tiques qu’environnementales
65%
ou60solidaires
30
PICOM, 2013 ©
%
Autopartage
18-25 ans
Plus de 25 ans
% 20%16%
n
Covoiturage
Le partage,
la solidarité
L’engagement
pour le bien
commun
Plus de 25 ans
Source : L’ObSoCo, ILEC, PICOM, 2013 ©
2 FOCUS Partage, troc, occasion : un truc de jeunes ?
Les motifs évoqués par les jeunes pour
justifier l’adoption ou la non-adoption des
pratiques émergentes étudiées ne diffèrent
pas significativement, de manière générale,
de celles déclarées par le reste de la population. Ainsi, comme les autres générations, les jeunes justifient avant tout le recours à la location, à l’achat mutualisé ou
à l’achat d’occasion par des raisons économiques, qui devancent les préoccupations d’ordre environnemental. C’est particulièrement vrai de l’achat d’occasion :
faire des économies est en effet un motif
important pour 86% des acheteurs d’occasion, tandis que « faire un geste pour
l’environnement » est un motif important
pour 62% d’entre eux (Observatoire des
Consommations Emergentes, Vague 1,
2012). Sur cette pratique particulière, la
tendance est plus marquée encore chez
les jeunes, qui déclarent à 91% que
l’argument économique est un motif
important, contre 62% pour l’argument
environnemental.
Le moindre attachement des jeunes au
bio ne traduit pas un manque de
conscience environnementale (91% des
18-25 ans sont par exemple d’accord sur
le fait que notre manière de consommer
soit nuisible à l’environnement). Il montre
plutôt que, dans un contexte de précarité
fréquente et de revenus modestes où
l’arbitrage entre les dépenses est indispensable, les jeunes tendent à privilégier
leur désir de consommer aux conséquences sociétales et environnementales
de leur consommation.
La surreprésentation des jeunes dans certaines pratiques de consommation collaborative ne semble donc pas pouvoir s’interpréter de manière générale comme un
engagement idéaliste en faveur d’une société davantage tournée vers le lien social
et plus respectueuse de l’environnement.
Elle est plutôt le reflet d’un comportement pragmatique pour résoudre une
tension forte entre un désir de
consommation et un budget limité : il
s’agit d’adopter des pratiques permettant
soit de consommer autant, mais moins
cher, soit de consommer plus avec le même
budget. L’idée maîtresse est d’optimiser les
dépenses pour satisfaire son désir de
consommer, de ne se priver de rien malgré
un budget limité, de profiter au mieux des
ressources dont on dispose. Si les valeurs
hédonistes sont plus marquées au sein de
cette génération, c’est une logique de
consommation que l’on retrouve peu ou
prou dans l’ensemble de la population : le
recours aux consommations émergentes
s’appuie avant tout sur des motivations
économiques qui ne sont soutenues qu’en
arrière-plan par des justifications environnementales et solidaires.
Les « jeunes »,
un groupe disparate
De fait, leurs comportements à l’égard des
consommations émergentes reflètent cette
forte disparité des expériences de vie.
Au-delà de ces traits saillants de la
consommation des 18-25 ans, la description des consommations collaboratives
comme « pratiques de jeunes » suppose
l’existence d’une catégorie « jeune » dont
les attitudes et comportements seraient
homogènes.
Si les jeunes en couple se tournent davantage vers les achats groupés (via des sites
comme Groupon ou DealGroup) que les
autres jeunes, l’achat d’occasion est particulièrement marqué chez les jeunes parents. Influence du capital culturel, mais
également de la situation professionnelle :
les jeunes étudiants achètent plus souvent
des produits biologiques que les jeunes
actifs et pratiquent aussi plus fréquemment
le glanage (qui consiste à récupérer des
objets dans la rue, notamment les jours
d’encombrants). Les étudiants sont également plus engagés dans l’achat de produits d’occasion que les jeunes actifs, qui
eux ne se démarquent pas sur ce point de
la population totale (respectivement 65%
et 58%, pour 58% de la population totale).
Certes, les 18-25 ans constituent une
génération soudée par l’expérience commune d’une enfance dans les années
1990, au lendemain de la chute du Mur et
à la veille de l’euro, marquée par l’essor
fulgurant d’Internet et des nouvelles technologies ainsi que par la prise de
conscience des enjeux environnementaux.
A l’heure de l’entrée dans la vie active, ils
connaissent également tous le contexte
difficile des années de crise, la dureté du
marché du travail et la précarité devenue
banale. Pour autant, les 18-25 ans (comme
les autres générations) sont loin d’être
assimilables à une catégorie uniforme.
D’abord parce que cette tranche d’âge
rassemble des jeunes situés à différentes positions dans leur cycle de
vie : l’installation hors du foyer parental ou
l’installation en couple sont autant d’étapes
qui impliquent un changement manifeste
des modes de vie. De même, effectuer
des études, avec un soutien familial
ou non, avec un emploi étudiant ou
non, disposer d’un emploi stable,
alterner des périodes d’emploi instables ou précaires correspondent
également à des positions radicalement dissemblables.
Les différences de sensibilité politique introduisent également de l’hétérogénéité
dans les pratiques des jeunes : les pratiques qui ont trait à la voiture (auto-partage, location de voiture auprès de particuliers) sont ainsi plus marquées à droite
tandis que d’autres, fondées sur des
moyens d’échange alternatifs à la monnaie
(troc, SEL (systèmes d’échange local)),
sont caractéristiques des jeunes proches
du parti écologiste, comme l’est également
l’adhésion à une AMAP (Associations pour
le Maintien d’une Agriculture Paysanne).
Globalement, il est donc difficile de parler
des consommations émergentes comme
des pratiques « de jeunes ». D’un point de
vue général, les 18-25 ans ne se démarquent pas par le nombre de pratiques
émergentes adoptées : sur les 19 pratiques sondées, les 18-25 ans recourent
en moyenne à 6 pratiques, comme le reste
de la population. Ils ne se distinguent pas
non plus par l’intensité de leur engagement
dans ces pratiques, prises comme un tout,
relativement proche de celui des autres
tranches d’âge. Il faut entrer dans le détail
des différents types de consommations
émergentes pour comprendre les spécificités des jeunes à cet égard : ils sont ainsi
particulièrement impliqués dans les formes
nouvelles de mobilité et, plus généralement, dans les pratiques qui privilégient
l’usage à l’achat de produits neufs.
On retiendra surtout qu’il faut se départir de l’idée que les nouveaux modes
de consommation seraient l’apanage de catégories de population au
profil spécifique, que l’on pense aux
jeunes ou aux « bobo-écolos ». Leur diffusion s’étend à des catégories bien plus
vastes de la population française : l’Observatoire des consommations émergentes a
ainsi établi que pas moins de 60% de la
population française est significativement
engagée dans ces nouvelles manières de
consommer, prises dans leur diversité.
L’ampleur du phénomène et la diversité
des profils de populations inclinent à considérer que c’est bel et bien un nouveau
modèle de consommation qui est en train
de naître.
POUR EN SAVOIR PLUS
Les données présentées dans ce document sont issues d’une enquête réalisée en ligne par Opinéa du 8 au 24 juillet 2013, auprès
d’un échantillon de 4067 personnes, représentatif de la population française de 18 à 70 ans. La taille importante de l’échantillon
permet d’approcher avec une certaine précision statistique des pratiques qui ne touchent qu’une faible fraction des consommateurs.
Les résultats détaillés de l’enquête et les analyses qui les accompagnent sont présentés dans le rapport « L’Observatoire des
Consommations Emergentes, Vague 2, 2013 ».
Etude réalisée sous la direction de Philippe Moati.
Renseignements auprès de Nathalie Damery : tél. 09 81 04 57 85 - 06 71 55 23 63 - [email protected]
L’ObSoCo 32 rue de Picpus, 75012 Paris
Siret : 53438464900024 - www.lobsoco.com
Tél. 09 81 04 57 85
FOCUS Partage, troc, occasion : un truc de jeunes ?
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