Août 1942 Des U-boots sous les tropiques

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Août 1942 Des U-boots sous les tropiques
Août 1942
4 – La bataille de l’Atlantique (et d’autres mers)
Des U-boots sous les tropiques
1er au 8 août
9 août
Sous dix drapeaux
Atlantique sud, au large de l’île de Gough – À bord du Stier, le capitaine Gerlach est frustré
de n’avoir pu couler que trois cargos depuis le début de sa mission. Ses deux hydravions
Arado Ar 231, conçus à l’origine pour opérer à partir de sous-marins, se sont révélés trop
fragiles pour les mettre en œuvre dans les eaux agitées de l’Atlantique, même dans les
meilleures circonstances. Son premier officier, qui a servi sur le Pinguin, estime quant à lui
que l’équipage n’est pas assez formé et que le navire n’est pas adapté à la guerre de course.
La demande de Gerlach d’écumer l’Océan Indien ou la côte ouest de l’Amérique du Sud a été
rejetée par le SKL, qui lui a ordonné au contraire de déterminer si Gough, perdue dans
l’Atlantique Sud, pourrait servir de base pour les corsaires et les U-boots, ainsi que de camp
de prisonniers. Après avoir exploré les environs de l’île, Gerlach fait son rapport : l’endroit
paraît sûr. Il décide de rester sur place quelque temps pour remettre son navire en état.
10-11 août
12 août
Un arsenal américain pour la Marine Nationale
Fort-de-France – Huit patrouilleurs neufs de 173 pieds de construction américaine
(Baïonnette, Couteau, Epieu, Estoc, Flamberge, Javeline II, Javelot, Lance) sont mis en
service par la Marine Nationale pour assurer l’escorte des convois dans les Caraïbes.
13 août
14 août
Mines
Golfe de Biscaye (ou de Gascogne) – Le sous-marin MN Rubis (LV Rousselot) pose son
troisième (et dernier) champ de mines dans les parages d’Arcachon après ceux mouillés les
5 juin et 7 juillet. L’Amirauté britannique espère en effet que des champs de mines étroits
mais étendus semés entre la Gironde et la frontière espagnole pourront désorganiser le trafic
naval côtier entre l’Espagne et la France occupée. Il s’agit essentiellement de minerai de fer
espagnol destiné à l’industrie allemande. Le transport étant effectué par des bâtiments
espagnols, donc neutres, même des champs de mines étroits devraient les intimider.
Ces opérations n’auront pas le succès escompté : seuls deux caboteurs (671 GRT à eux deux)
seront victime des 96 mines posées. Toutefois celles-ci causeront la perte de cinq autres petits
bâtiments : trois dragueurs auxiliaires et un patrouilleur de la Kriegsmarine, ainsi qu’un
remorqueur français 1. Plus importante est la désorganisation du trafic de minerai, qui réduira
fortement les importations allemandes de minerai de fer espagnol jusqu’en octobre.
15-16 août
17 août
Chasse ASM sous les tropiques
Mer des Antilles – Un PBY-5 français de la flottille E25, basé à Fort de France, surprend un
U-boot en surface au large du Venezuela et le coule. La victime est un Type-IX, l’U-508.
18 août
Chasse ASM sous les tropiques
Mer des Antilles – Peu après minuit, un convoi allant de Colon (Panama) vers la côte est des
Etats-Unis est attaqué au sud-ouest de Kingston (Jamaïque) par deux sous-marins allemands.
Ceux-ci manquent de peu la canonnière USS Erie (qui commande l’escorte) et coulent deux
cargos. L’escorte contre-attaque et le destroyer USS Lansdowne, aidé par les patrouilleurs
français Coutelas et Javelot (des 173-ft), coule l’U-509 quelques minutes avant le lever du
soleil (c’est la deuxième victoire du Lansdowne en un mois).
A l’aube, deux Grumman JRF-5 Goose basés d’habitude à Fort de France, mais redéployés à
Kingston, entrent en jeu. Ils détectent un autre sous-marin allemand se dirigeant vers le
convoi et parviennent à l’endommager. Ce sous-marin, l’U-162, sera coulé dans l’après-midi
par les escorteurs à long rayon d’action (long range escorts) britanniques HMS Vanessa,
Vimy et Viscount, arrivant de Kingston.
19 août
Un Italien forceur de blocus
Berlin – Le bulletin du haut commandement allemand rend compte, pour la nuit précédente,
du franchissement couronné de succès du Pas-de-Calais par un cargo italien dûment escorté !
Ce cargo est le Fidelitas, nolisé par l’Allemagne. Ayant débarqué à Bordeaux une partie de la
cargaison de minerai de fer qu’il avait apportée d’El Ferrol, il a repris la mer en juillet,
emportant le reste à destination de Rotterdam. Après une première escale à Brest, il a continué
son voyage par petites étapes, progressant la nuit et mouillant en lieu sûr le jour (notamment à
Cherbourg, au Havre et à Dieppe).
Dans la nuit du 18 au 19 août, le cargo a traversé sans dommage la portion de mer battue par
l’artillerie à longue portée anglaise. Son commandant, Aldo Martinero, n’oubliera cependant
ni les quarante longues minutes qu’il a fallu à son navire pour franchir la zone dangereuse, ni
les 23 secondes qui s’écoulaient avec régularité entre le départ des coups, bien visible dans
l’obscurité, et leur arrivée, qui soulevait de grandes gerbes.
Le Fidelitas va gagner Rotterdam après quelques autres émotions. Il y débarquera le solde de
sa cargaison et en repartira à destination de la Norvège, en empruntant le canal de Kiel (et la
Baltique) pour réduire le temps passé en Mer du Nord.
1
Dragueur M-4212 (Marie Frans, 125 GRT) le 12 juin 1942, remorqueur Quand Même (288 GRT) le 26 juin
1942 devant Vieux-Boucau, dragueur M-4401 (chalutier français réquisitionné Imbrin, 339 GRT) le 10 juillet
1942, patrouilleur (Vorpostenboot) V-406 (Hans Loh, chalutier de 464 GRT) le 18 août 1942 et dragueur M-4451
(Gauleiter Alfred Meyer, 652 GRT), le 10 juillet 1943 au large d’Arcachon.
20 août
21 août
Chasse ASM sous les tropiques
Atlantique Sud – Le sous-marin Type-IX U-512, repéré par un JRF-5 de la flottille S27 de
Cayenne, est coulé par un PBY-5 de l’US Navy, lui aussi basé à Cayenne.
L’état-major naval français pour les Antilles signale à Alger et à ses correspondants de la
Royal Navy et de l’US Navy : « Un niveau très élevé d’activité sous-marine allemande est
observé dans les Caraïbes et les zones voisines. Une telle activité pourrait être interprétée
comme une tentative de l’ennemi pour couper les communications essentielles entre le nord et
le sud des Amériques. Des renforts d’unités ASM sont nécessaires en urgence. »
En fait, il s’agit du décalage vers le sud des zones de patrouille des sous-marins allemands,
dont les opérations sur la côte nord-est des Etats-Unis sont devenues moins fructueuses
qu’elles ne l’étaient au début de l’année.
22 août
23 août
Chasse ASM sous les tropiques
Atlantique Sud – Le sous-marin U-507 attaque le convoi CCM-127 (Capetown-Casablanca)
au large de Dakar ; il coule un charbonnier de 3 560 GRT et touche le contre-torpilleur
Gerfaut, qui rentre tout juste de modernisation aux Etats-Unis. Contre-attaqué par le jumeau
du Gerfaut, l’Aigle, et par la corvette La Malouine (classe Flower), l’U-boot échappe à deux
heures de grenadage. Au coucher du soleil, alors qu’il émerge, épuisé mais se croyant tiré
d’affaire, il est surpris et détruit par un Consolidated 28-5MF (PBY-5) de la flottille E21,
venu de Dakar.
Le Gerfaut est pris en remorque par l’Aigle mais, la voie d’eau s’aggravant peu à peu, le
navire doit être abandonné à 15h50 et sombre peu après.
24 août
Chasse ASM sous les tropiques
Casablanca – La flottille E31 de l’Aéronavale reçoit ses trois premiers Lockheed-Vega Type37 (Ventura dans la RAF) pour remplacer ses vieux A.W. Whitley. A la différence des avions
qui équipent la E1, ces appareils ont été directement achetés par la France. L’un de ces
Ventura a même été offert par l’orchestre de jazz bien connu dirigé par Ray Ventura, qui a
non sans mal réussi à passer en Algérie en juillet ; l’avion porte sur son nez le nom : Les
Collégiens.
25 août
New York attaqué par les Japonais !
Côte Est des Etats-Unis – Quatre croiseurs sous-marins japonais lâchent leurs sous-marins
de poche devant New York et Norfolk : c’est l’opération Oni 2 (voir appendice). Ce coup
d’éclat se traduit, pour l’essentiel, par la mise hors service pour un an d’un grand transport de
troupes transatlantique, le West Point, et par la mise hors de combat pour plusieurs mois d’un
cuirassé tout neuf, l’Alabama (classe South Dakota), qui ne rejoindra le Pacifique qu’en
février 1943.
Venant après l’attaque du canal de Panama (voir rubrique Pacifique, 23 août et appendice 4),
l’affaire est cependant un coup sévère pour le prestige américain. Le scandale est immense
aux Etats-Unis, bien que les responsables soulignent avec raison que le renforcement des
procédures de sécurité après l’affaire de Panama a permis d’intercepter deux des quatre sousmarins de poche japonais avant qu’ils ne puissent atteindre une cible intéressante.
26 au 31 août
Appendice
Les sous-marins du bout du monde
Amirauté britannique – Division des Opérations
Section de recherche – Sous-marins – 1946
Opérations lointaines de la Marine Impériale japonaise
L’opération Oni 2
Un des aspects les plus remarquables de la dernière guerre fut l’extraordinaire variété et
l’ambition démesurée de certaines opérations de la Sixième Flotte de la Marine Impériale
japonaise. Cette ambition peut sans doute être reliée à ce que l’amiral Komatsu, commandant
la Sixième Flotte, a décrit (après guerre) comme un début de guerre « décevant », contrastant
avec la réussite des sous-marins alliés, dont l’Amirauté japonaise ne manquait pas de se
plaindre amèrement.
Avant l’ouverture des hostilités, la Marine Impériale disposait d’une gamme de sous-marins
extrêmement étendue, qui se caractérisa jusqu’aux derniers jours par un sens certain de
l’exceptionnel. Ainsi, les Japonais produisirent quatre énormes sous-marins de 6 500 tonnes
(le type STO). Ces bâtiments impressionnants, plus grands que bien des croiseurs d’avant
1914, furent conçus à l’origine comme des porte-avions sous-marins (!), mais finalement
utilisés comme transports sous-marins vers des îles coupées de toute liaison de surface. La
Marine des Etats-Unis fait actuellement des essais avec deux d’entre eux et la Royal Navy
avec les deux autres. Notre objectif commun est d’en savoir davantage sur la façon de
manœuvrer de très grands sous-marins.
L’opération Oni 2, organisée avec le concours de la Kriegsmarine, utilisa des submersibles
plus petits mais néanmoins de taille respectable, ainsi que des sous-marins de poche, chargés
d’attaquer ce qui était, pour les Japonais, le bout du monde. L’opération fut conduite avec
beaucoup d’inventivité et une certaine réussite. La traduction du plan initial de l’opération
établi par la Sixième Flotte figure ci-après, le plan définitif n’ayant jamais été retrouvé.
Opération Oni 2 (7e Division de sous-marins)
« Les quatre croiseurs sous-marins de type Junsen 1 (J1) sont anciens (ils ont été construits
entre 1926 et 1929), mais disposent d’une autonomie de 24 000 milles. Les sous-marins de
poche de type A sont maintenant bien connus de l’ennemi depuis l’attaque sur Singapour, ce
qui diminue fortement leur valeur offensive.
Les trois bâtiments de la 7e Division de sous-marins (I-1, I-2 et I-3) et le I-4 (de la 8e
Division) vont être modifiés pour pouvoir transporter chacun un sous-marin de poche de type
A ou B sur leur pont, derrière leur canon de 140 mm arrière. Ils les emmèneront jusque sur la
côte Est des Etats-Unis, pour attaquer des ports ennemis. Le sous-marin de type B, ayant une
autonomie plus importante que ceux de type A, attaquera les installations (chantier naval,
arsenal) de Norfolk (Virginie), les trois unités de type A attaqueront le port de New-York.
Après avoir récupéré les équipages des sous-marins de poche et, si possible, les sous-marins
de poche eux-mêmes, les croiseurs sous-marins attaqueront le trafic marchand local à la
torpille et au canon, puis se rendront à Lorient (France) pour y être réapprovisionnés avec
des torpilles allemandes avant de retourner attaquer les navires marchands au large de la
côte Est des Etats-Unis, puis de rentrer au Japon.
L’opération Oni 2 est destinée à obtenir un effet de surprise maximal, en utilisant quatre
sous-marins de poche avant que ce type d’arme ne soit trop connu de l’ennemi. L’impact
psychologique de cette attaque, sur l’ennemi comme sur le peuple japonais, sera extrêmement
important, ainsi que le prestige qu’en retireront la Sixième Flotte et toute la Marine
Impériale. »
Suite aux interrogatoires de membres du personnel de la Sixième Flotte, il apparaît clairement
qu’Oni 2 fit partie d’une série de trois opérations ponctuelles, sans suite envisagée : Oni (ou
Oni 1), en plusieurs phases, contre le trafic marchand australien, Oni 2, l’attaque de la côte est
des Etats-Unis, et Oni 3, le fameux raid contre le canal de Panama. Ces opérations étaient très
disparates : Oni était bien plus proche de l’opération “C” (à laquelle avaient participé trois des
quatre sous-marin d’Oni 2) et de l’opération “D”, toutes deux dirigées contre le trafic
marchand dans l’Océan Indien, que des aventures comme Oni 2 et Oni 3. Quoique
spectaculaire, Oni 2 eut un effet très limité sur l’issue du conflit.
Les préparatifs
Les quatre bâtiments furent préparés à la base navale de Yokosuka pour ce qui devait être la
mission d’attaque la plus lointaine jamais effectuée dans l’histoire des sous-marins à cette
date. Les modifications nécessaires ainsi que l’entraînement commencèrent mi-mai 1942.
Avant le départ final, une escale eut lieu à Kendari pour compléter les pleins en gazole,
corriger quelques anomalies, et charger les derniers approvisionnements. C’est là que les
quatre sous-marins de poche furent livrés par le Nisshin.
Les sous-marins composant l’escadron étaient :
– I-1, Capitaine de corvette Ankyu, emportant le HA-42 (type A)
– I-2, Capitaine de corvette Inada, emportant le HA-38 (type A)
– I-3, Capitaine de corvette Tonozuka, emportant le HA-40 (type B)
– I-4, Capitaine de corvette Nakagawa, emportant le HA-35 (type A).
Un test d’étanchéité de 30 jours fut ordonné par la Sixième Flotte sur l’ensemble du stock
restant de torpilles à oxygène de type 97, dont les problèmes de fuites avaient causé nombre
de ratés ainsi que bien des accidents. Les sous-marins de poche furent armés avec les torpilles
qui passèrent le test, en acceptant les risques encourus. Ce point est important, car ces petites
torpilles de 450 mm, particulièrement performantes, avaient une portée supérieure à la torpille
américaine de 533 mm pour une charge au moins équivalente.
Le sous-marin de poche HA-40 était neuf et expérimental. Les sous-marins de poche de type
A, dont il dérivait, avaient été construits en série. Il était apparu que ces engins manquaient
par trop d’autonomie et devaient pouvoir recharger leur batterie par leurs propres moyens. Le
HA-40 fut choisi comme représentatif de cette classe pour tester l’installation d’un petit
moteur diesel. Il fut équipé d’un groupe électrogène de 40 chevaux et d’un réservoir de
carburant, le tout installé dans un conteneur fixé sur la coque. Ce diesel n’avait donc aucune
liaison mécanique avec la propulsion. Il donnait au HA-40 la possibilité de recharger ses
batteries, même si cela prenait entre 16 et 18 heures, ce qui se traduisait par une autonomie
étendue à 250 milles à 6 nœuds.
Contrairement à l’opération contre Singapour, il était prévu que les croiseurs sous-marins
récupèrent leurs sous-marins de poche au retour de leurs attaques. Cette disposition ainsi que
les procédures associées, quoique simples, n’avaient qu’une faible probabilité d’être mise en
œuvre avec succès. Elle représentait davantage un réconfort moral pour les équipages des
sous-marins de poche qu’autre chose. Il apparut plus tard, à la lecture des journaux de bord,
que la perspective d’une mission sans retour ne leur faisait pas peur.
Le voyage aller
La 7e Division de sous-marins quitta Kendari (Indes Néerlandaises) le 30 juin, pour un voyage
héroïque de 12 000 milles, qui devaient être parcourus en 55 jours. Il était prévu d’arriver à
proximité des cibles le 24 août. Des ordres stricts interdisaient de s’approcher des lignes
maritimes ou aériennes durant tout leur trajet. Les seules cibles qu’il leur aurait été permis
d’attaquer étaient un cuirassé ou un porte-avions. L’état-major de l’amiral Dœnitz avait été
informé de la mission des submersibles japonais par courrier diplomatique, le silence radio
total étant de rigueur pour tout ce qui touchait à l’opération. En raison de la durée du trajet,
cette lenteur des communications n’empêcha pas les sous-marins allemands opérant dans le
secteur prévu d’être informés avant même qu’ils ne quittent leurs ports de la côte française. Ils
évitèrent donc les environs de New-York et de Norfolk pour se concentrer sur la zone des
Caraïbes pendant la semaine où les bâtiments de la Sixième Flotte devaient opérer. Il faut
d’ailleurs ajouter que les informations transmises aux Allemands étaient incomplètes : elles ne
mentionnaient qu’une mission de chasse aux navires alliés au large de New York, dans un but
de propagande, avant de gagner un port de France occupée pour l’échange de marchandises
qui était censé être l’objet principal du voyage.
Durant son voyage vers la côte Est des Etats-Unis, la 7e Division passa à l’ouest de
l’Australie, doubla le Cap de Bonne-Espérance loin au sud, avant de remonter vers le centre
de l’Atlantique. Cet itinéraire, loin de toutes les voies maritimes, n’était quand même pas de
tout repos. Les Quarantièmes Rugissants firent payer un certain tribut aux estomacs,
l’essentiel du trajet s’effectuant en surface à moins de 12 nœuds (la vitesse moyenne sur le
parcours fut de 10 nœuds). Pendant tout le voyage, seuls trois navires furent aperçus, de loin,
et aucun avion.
Une ultime réunion destinée à mettre au point les derniers détails se tint à bord du I-1, loin au
large, et l’escadron arriva dans la zone fixée pour le départ des sous-marins de poche le 24
août, exactement comme prévu ! Les patrouilles ennemies étaient incessantes, mais les quatre
bâtiments, opérant chacun de son côté, parvinrent à se rapprocher suffisamment de la côte
pour pouvoir attendre, reposant sur le fond, la tombée de la nuit. A ce moment-là, après un
bref parcours en surface vers la côte destiné à faciliter au maximum la tâche des sous-marins
de poche, le largage se fit sans problème pour toutes les unités.
L’attaque principale (nuit du 24 au 25 août 1942)
1 – New York
Les HA-32, 38 et 42 furent lancés avec succès vers 22h30 à environ 8 milles de la côte.
Quelques jours plutôt, avant l’attaque de Panama, la zone aurait encore été partiellement
éclairée et le parc d’attractions de Coney Island parfaitement visible. Mais depuis la veille,
toutes les lumières étaient masquées. En revanche, le trafic était toujours intense dans la
passe, aussi bien dans un sens que dans l’autre, saturant les boucles de détection magnétiques.
Mais les patrouilles ASM avaient été multipliées…
A 00h54, le HA-42, qui était parvenu à proximité de la base navale de Brooklyn, fut aperçu et
très vite grenadé par plusieurs patrouilleurs, lâchant en tout 20 charges. Le petit sous-marin
eut juste le temps de tirer ses torpilles dans la direction générale du port. Toutes deux
atteignirent des appontements civils, l’explosion de la première détruisant quelques
embarcations, celle de la seconde ne faisant qu’un énorme trou dans les planches d’un
embarcadère. Le sous-marin de poche, complètement écrasé, fut remonté à la surface deux
jours plus tard par une grue flottante.
A 01h08, dans le même secteur, le HA-35 lança lui aussi ses torpilles, probablement vers un
des croiseurs de l’US Navy présents. Elles ne parvinrent cependant pas à atteindre une cible
d’une quelconque importance, alors que la base était littéralement embouteillée par des
navires de guerre. La première frappa une jetée, son explosion ne causant aucun dommage. La
seconde explosa en heurtant le pilier d’un appontement, après être passée sous le patrouilleur
de 500 tonnes PE-57 Eagle, dont l’âge (il avait été construit chez Ford en 1919) faisait sans
doute le plus inoffensif de tous les navires de guerre présents. Le malheureux petit bateau fut
disloqué par le souffle, sombrant en trois morceaux. Les 60 membres d’équipage étaient à
bord et il y eut 24 tués.
Après ces explosions, des patrouilleurs effectuèrent un violent grenadage et plusieurs navires
se mirent à tirer, causant des dégâts notables et même quelques pertes humaines à terre.
Personne ne sut à ce moment ce qu’il était advenu du HA-35. En 1947, son épave gravement
endommagée par le grenadage fut découverte, émergeant à peine de la boue recouvrant le
fond. Il est possible que le sous-marin se soit écrasé dans un des trous tapissant le lit du fleuve
et que son équipage l’ait alors fait sauter.
A 01h13, l’USS West Point (ex America, United States Line, 33 961 tonnes, avec environ
2 500 militaires à bord), qui avait appareillé quelques minutes plus tôt du quai des
transatlantiques, chargé des troupes à destination du Royaume-Uni., fut secoué par une
explosion. Le responsable, comme il a été possible de le déduire par la suite, était le HA-38
(enseigne de vaisseau Nobu). Celui-ci, incapable de se guider sur les lumières de la côte,
n’avait pas suivi la trajectoire d’attaque prévue, peut-être en raison d’une panne de compas
gyroscopique lors de l’approche finale de la pointe sud de l’île de Manhattan. L’une des deux
torpilles frappa la poupe du paquebot à bâbord, déformant les cloisons et les structures. Une
sévère voie d’eau s’ensuivit, inondant les salles de machine de ce côté. En quatre minutes, la
gîte atteignit 10 degrés à bâbord, mais le remplissage de compartiments tribord permit de
limiter la gîte. Le bâtiment, immédiatement pris en remorque, fut ramené à quai. En dehors
d’une centaine de blessés (pour la plupart victimes de fractures survenues sous l’effet de la
secousse infligée au bâtiment), il n’y eut pas de pertes humaines. Il est remarquable qu’il n’y
ait pas eu de morts, y compris dans la salle des machines bâbord, où la plupart des marins
durent fuir devant l’irruption de l’eau. Les réparations furent très longues, car la priorité allait
aux navires de guerre. Néanmoins, le 25 août 1943, comme par défi, le West Point quitta New
York pour l’Angleterre, chargé de soldats. Après la guerre, le paquebot fut rendu à la vie
civile.
………
Le destin du HA-38 est inconnu. Plusieurs embarcations de patrouille du port signalèrent avoir
attaqué un sous-marin de poche sortant du port cette nuit-là. Quoi qu’il en soit, le HA-38 ne se
montra pas au point de rendez-vous et son épave ne fut jamais retrouvée. En 1950, les
familles de l’enseigne Nobu et de son équipier vinrent célébrer une cérémonie funèbre sur un
navire au large de New York.
2 – Base navale de Norfolk
A 21h30, le HA-40 (enseigne Isoru) se sépara de l’I-3 dans les eaux peu profondes de
l’embouchure de la baie de Chesapeake. Il devait encore parcourir près de 40 milles pour
atteindre la base navale de Norfolk, soit bien plus que les sous-marins de poche attaquant
New York. Le I-3 avait tenté de se rapprocher davantage et même d’entrer dans la baie de la
Chesapeake, mais après avoir passé la journée par à peine 20 mètres de fond et avoir à moitié
déchargé ses batteries, la densité des patrouilles (nettement accrue depuis deux jours) l’avait
obligé à renoncer. Le capitaine de corvette Tonozuka fit surface, largua le HA-40 et fila vers
la haute mer à 18 nœuds, toujours en surface. Il espérait que, s’il était aperçu, la vue d’un
grand sous-marin s’éloignant des côtes n’inquièterait personne. Après une heure d’arrêt en
surface pour recharger ses batteries au point de rendez-vous prévu, face à Virginia Beach, il
plongea pour passer les 24 heures suivantes tranquillement posé sur le fond.
Pendant ce temps, Isoru naviguait en surface à 12 nœuds vers sa destination, son groupe
électrogène diesel fonctionnant en permanence pour maintenir la charge de sa batterie. Cela
pouvait sembler téméraire, mais il savait que sa petite embarcation était quasiment invisible,
sauf à courte distance et, là aussi, les lumières de la côte diminuaient fortement la vision
nocturne des patrouilles de surveillance. Isoru avait étudié les activités des petits porte-
torpilles confédérés de type David en 1865 et avait effectué de nombreux essais avec des
sous-marins de poche de type A dans la Mer Intérieure du Japon. Cela lui avait confirmé que
ces unités étaient extrêmement difficiles à discerner de nuit et il avait fait repeindre son sousmarin en bleu mat très foncé, au lieu du noir brillant standard – un écart par rapport au
règlement impensable dans la Marine Impériale pour tout autre que l’officier commandant un
sous-marin de poche, qui disposait d’une certaine latitude eu égard au caractère extrêmement
dangereux de ses missions. Isoru manœuvrait son engin depuis le kiosque, où il disposait d’un
tube acoustique souple pour passer ses ordres au maître principal qui l’accompagnait, ainsi
que d’un répétiteur du gyrocompas et d’un porte-cartes repliable.
Le HA-40 doubla Hampton Roads, dont le mouillage était encombré de navires marchands.
Isoru resta à l’écart de tous les cargos se trouvant sur son chemin, ne s’en approchant jamais à
moins de mille mètres. Son plan était calqué sur l’attaque des sous-marins de poche à
Singapour – sa navigation fut plus aisée, car les fonds étaient plus profonds, les chenaux
mieux balisés, et la base navale bien plus proche de l’entrée de la rade que ne l’était le QG de
la Royal Navy du débouché de Keppel Road. Malgré tout, vers minuit, quand il arriva entre
Fort Monroe et Norfolk avec encore six milles à parcourir jusqu’à la base navale elle-même,
sa batterie ne contenait plus que l’énergie nécessaire pour parcourir 10 milles à 14 nœuds ou
80 milles à 4 nœuds. Isoru ralentit alors son sous-marin à 6 nœuds, ne laissant que le kiosque
émergé, le diesel tournant toujours.
Le HA-40 mit donc 30 minutes pour parcourir les trois milles suivants, pendant lesquels le
rivage était bien trop proche pour qu’Isoru se sente à l’aise. En fait, il fut aperçu de
nombreuses fois, mais ne fut pas inquiété, étant pris pour une banale embarcation propulsée
par un diesel poussif. Pendant ce temps, Isoru pouvait graver dans sa mémoire l’itinéraire de
sa fuite.
Mais à ce moment, il se heurta à un véritable mur de patrouilleurs, mis en place la veille par le
commandement de la base, peu désireux de connaître un jour le sort réservé aux responsables
de la sécurité du canal de Panama.
A 00h55, le petit engin n’avait pas avancé d’un mètre, chaque fois forcé de faire demi-tour
par un patrouilleur. Isoru s’obstina pourtant, marchant à 4 nœuds, n’exposant la lentille de son
périscope que par périodes de cinq ou six secondes. C’est alors que la chance le favorisa. Un
grand bâtiment sortait de la base, entouré d’une cour d’escorteurs, mais marchant droit sur le
petit HA-40 !
Le navire repéré n’était autre que l’USS Alabama, cuirassé tout neuf, lancé le 16 février et
officiellement mis en service le 16 août. L’Alabama était retourné au chantier naval pour y
recevoir les canons manquants de sa tourelle K et procéder aux multiples petites interventions
habituelles après les essais à la mer. Une partie de celles-ci achevées, une brève sortie
nocturne avait été programmée pour vérifier que tout était conforme. Il n’était pas question de
sortir en pleine mer, mais de faire un petit tour dans la baie de la Chesapeake.
A 00h59, Isoru, bénissant ses ancêtres dont la protection lui valait assurément cette chance,
lança ses torpilles à moins de 400 mètres, visant la proue de biais, et fit deux fois mouche. La
première torpille frappa le cuirassé entre les tourelles A et B, la seconde l’atteignit trois
secondes plus tard à hauteur de la cloison séparant les condenseurs de la salle des machines
avant (N° 1). Dans les deux cas, les torpilles s’enfoncèrent assez profondément, traversant
sans difficulté les bulbes anti-torpilles (il est vrai vides, alors qu’en temps normal ils auraient
été remplis d’eau ou de mazout). Les torpilles ordinaires de 450 mm n’auraient pu venir à
bout des protections, même vides, mais les torpilles à oxygène de type 97 avaient une charge
explosive très importante pour une arme de ce calibre (350 kg d’explosif de type 97).
Le plus grave était le fait qu’à l’intérieur du navire, l’étanchéité entre les compartiments
n’était pas totalement assurée, en raison des travaux en cours. L’Alabama prit rapidement de
la gîte, mais il fut très vite ramené dans la base navale elle-même, d’autant plus que ses
machines étaient intactes.
Comme il se trouvait en plein milieu d’une base navale, l’Alabama aurait dû être facile à
réparer. Cependant, l’intérieur de la coque était encore encombré par des déchets, des étais,
des pièces de rechange et tout l’attirail nécessaire aux travaux, qui bloquaient certaines portes
étanches, empêchant les pompes d’être efficaces. Beaucoup de portes et d’écoutilles n’avaient
pas encore leurs joints d’étanchéité et les traversées des cloisons n’étaient pas toutes scellées.
C’est donc avec de grandes difficultés que le cuirassé put enfin être amené dans un bassin de
radoub. L’Alabama fut finalement remis en service en décembre 1942. En février 1943, il
gagna le Pacifique par le canal de Panama qui venait d’être pleinement remis en service.
………
Le HA-40 s’enfuit en plongée. Il avait apparemment très peu d’espoir de se sauver. La
confusion régnant dans la base fut le meilleur allié d’Isoru, ainsi que la chance extraordinaire
qui l’accompagna dans sa navigation au jugé.
A 03h30, après quelques mésaventures sans conséquences, comme le raclage d’une chaîne
d’ancre et trois échouages, le sous-marin parvint jusqu’à Hampton Roads, alors que les
Américains tentaient de démêler la masse d’informations erronées envoyées par tous les
patrouilleurs. Il se dirigea ensuite vers la sortie de la baie à 4 nœuds, vitesse qui lui permettait
de parcourir encore 50 nautiques malgré l’épuisement de sa batterie.
A 04h00, Isoru ressortit son périscope, vérifia que rien ne se trouvait sur son chemin, et
constata avec plaisir que la brume s’était levée. Il en profita pour faire surface, ou du moins
pour faire émerger son kiosque, ce qui lui permit de remettre en route son diesel pour
recharger un peu sa batterie épuisée et ventiler le sous-marin. Il avança ainsi de 6 nautiques,
jusqu’à ce que le bruit de moteurs d’avion et de diesels marins l’oblige à plonger.
A l’aube du 25, il posa son sous-marin sur le fond, par 12 m de profondeur, et attendit. Il était
à 20 nautiques de son point de rendez-vous. Il passa la journée à attendre tranquillement, dans
un silence absolu, écoutant le bruit des moteurs des navires de patrouille ou de quelques
cargos. A ce moment-là, les autorités de la base de Norfolk pensaient que l’Alabama avait
touché de grosses mines dérivantes mouillées dans le port. L’approche d’Isoru n’avait pas été
rapportée, et aucun sillage de torpille n’avait été observé.
Une heure après la tombée de la nuit, le HA-40 remonta à immersion périscopique et Isoru
examina la surface. Il put à nouveau faire sortir son kiosque de l’eau et mettre en route son
diesel. Etonnamment, il ne vit aucun bateau, hormis quelques embarcations de pêche au
lointain, alors qu’il s’éloignait lentement de la côte au large de Virginia Beach.
Le 26 août à 01h00, soit avec une heure d’avance, le HA-40 atteignit le point de rendez-vous.
A 02h00, il largua trois petites charges explosives. Le I-3, qui s’était éloigné pour
recharger ses batteries avant de revenir doucement se poser sur le fond, fut plutôt surpris de
les entendre. Il fit immédiatement surface à moins d’un kilomètre du sous-marin de poche.
Après une brève discussion, Tonozuka accepta de tenter une (et une seule) opération de
réembarquement du sous-marin de poche. Comme il l’avoua plus tard, le risque encouru
faisait plus que friser l’inconscience, mais visiblement les dieux étaient avec lui cette nuitlà… Effectivement, le sous-marin de poche fut hissé puis arrimé sans problème sur ses rails à
la première tentative, et le I-3 quitta les lieux à toute vitesse.
Les actions secondaires (26 août-10 septembre)
La 7e Division de sous-marins japonaise avait encore un tour dans son sac, sans intérêt
militaire, mais fort impressionnant pour la propagande. Dans la nuit du 27 au 28 août, les
quatre bâtiments bombardèrent au canon Atlantic City pendant une demi-heure. Aucune cible
d’une quelconque valeur militaire ne se trouvait là, et cette attaque n’eut aucun impact sur
l’effort de guerre américain. Une centaine d’obus explosifs frappèrent la petite ville, célèbre
pour ses casinos et maisons de jeu. Ils firent une cinquantaine de morts et le double de
blessés, la plupart provoqués par un unique impact sur un restaurant bondé. Les explosions
provoquèrent d’assez importants incendies, puisque environ 3 % des bâtiments de la ville,
construits essentiellement en bois, furent brûlés.
………
Puis, les quatre croiseurs sous-marins voulurent imiter les U-Boots de la Kriegsmarine et s’en
prendre au trafic maritime allié au large des côtes des Etats-Unis. Mais ils avaient présumé de
leurs possibilités ! Du 26 août au 10 septembre, mal à l’aise près des côtes et par petits fonds,
les quatre bâtiments coulèrent en tout et pour tout quatre petits cargos. Le 10, l’I-2 fut surpris
par un Catalina en patrouille ASM. Le vieux sous-marin tenta de plonger, mais il mit bien
trop de temps pour se mettre en sécurité et les bombes de l’hydravion ne lui laissèrent aucune
chance. Les trois autres submersibles rejoignirent la France sans plus jouer les corsaires. Ils
arrivèrent à Lorient le 30 septembre.
Les retombées politiques
L’impact de ces attaques aux Etats-Unis fut bien sûr considérable. Que celle dirigée sur NewYork eût été un quasi-échec et que celle contre Norfolk eût été plus facile techniquement qu’à
Singapour, comme la Royal Navy le signala à l’US Navy (mais comme la presse ne le sut
jamais), ne changeait rien à l’affaire. Sans doute, les dégâts se résumaient à un petit
patrouilleur détruit, un transport de troupes hors service pour un an et un cuirassé hors de
combat pour six mois : pour les forces des Etats-Unis, il s’agissait là de pertes marginales.
Mais l’ampleur des réactions de la presse rendait vaines de telles analyses rationnelles. Le
grand public américain retint uniquement que le territoire national avait été frappé dans son
cœur : New York elle-même, ville symbole, et l’une des plus grandes bases navales
américaines. L’attaque d’Atlantic City fut une grosse cerise sur ce gâteau déjà énorme et les
rumeurs les plus folles se mirent à courir.
Les moyens de lutte anti-sous-marine consacrés à la défense des côtes américaines furent
accrus. Des barrages, filets, détecteurs magnétiques, patrouilleurs et batteries côtières
supplémentaires furent affectés à la défense des ports et certains à la protection d’installations
civiles. Ces mesures ne furent d’ailleurs pas toutes perdues, car certaines devaient gêner
considérablement les U-Boots…
………
Au Japon, l’amiral Komatsu était aux anges. Des sous-marins anciens, utilisant une arme en
voie d’être dépassée, avait remporté un succès retentissant. Et cela avait été accompli dans
l’Atlantique, à l’autre bout du monde… Le prestige acquis par la Sixième Flotte lui valut
même des compliments (un peu forcés) de l’état-major de l’Armée. Il est vrai que le côté
spectaculaire de l’opération fournissait à la propagande japonaise une arme de choix et que
même l’Armée Impériale ne pouvait l’ignorer. Isoru fut fait lieutenant de vaisseau sur le
champ, et le maître principal qui était le seul autre membre d’équipage du HA-40 fut promu
enseigne.
A Berlin, Hitler et l’OKW se réjouirent, du moins en public : visiblement, ces Américains
n’étaient pas des adversaires sérieux, et le Japon les occuperait bien assez longtemps pour que
la Wehrmacht ait tout loisir d’en finir avec les Soviétiques. En privé cependant, Hitler
exprima un réel mécontentement : sans même demander la permission, les Japonais avaient en
quelque sorte tiré à eux la couverture médiatique sur un théâtre d’opérations dévolu à
l’Allemagne. De plus, Dœnitz se plaignit (non sans raison) qu’une action aussi spectaculaire
allait fouetter la vigilance des Alliés dans toute la région et rendre plus difficile la mission des
U-boots. Néanmoins, la fin des opérations des sous-marins allemands sur la côte Est (qui
avaient commencé le 11 janvier avec l’opération Paukenschlag / Drumbeat) était envisagée
bien avant Oni 2.
Les “cadeaux” japonais
La 7e Division de sous-marins arriva donc à Lorient le 30 septembre 1942. Là commença
l’échange de “cadeaux” – dit « mission Yanagi » – qui constituait le motif le plus discret, mais
non le moins important, de l’opération Oni 2. Trois cents tonnes de zinc en lingots, qui
servaient de lest aux submersibles, furent déchargés, et remplacées par une masse équivalente
de plomb exempt de traces d’antimoine et de mercure en bouteilles de plomb. Cent cinquante
tonnes d’autres marchandises furent déchargées, dont 30 tonnes de caoutchouc – cadeau
précieux car l’exploitation des plantations conquises (en Malaisie notamment) était loin
d’avoir repris, et le Japon n’avait pas trop de caoutchouc pour ses propres besoins. Il avait été
question d’envoyer de la quinine destinée aux troupes allemandes qui se battaient en Europe
du Sud, mais toute la quinine disponible était à ce moment réquisitionnée pour les troupes qui
donnaient l’assaut à Singapour. En revanche, un chasseur Mitsubishi A6M2, en caisses bien
sûr, figurait sur la liste des cadeaux transportés par l’I-1 (un autre exemplaire avait subi le sort
funeste de l’I-2). En effet, la Marine Impériale espérait bien éblouir les aviateurs allemands,
dont elle avait appris qu’ils avaient des difficultés à mettre au point un chasseur embarqué
digne de ce nom. Le Zéro fut d’emblée l’enjeu d’une lutte de prestige féroce entre la
Kriegsmarine et la Luftwaffe, que celle-ci remporta…
En échange, les marins eurent droit à un hydravion léger Yokosuka E14Y1 (Glen), apporté,
en caisses lui aussi, par l’I-4. L’hydravion était destiné à être emporté (tout assemblé !) par un
sous-marin “de commandement” japonais, mais il intéressait le RLM pour la lutte ASM.
Le petit hydravion ne valait pas le chasseur, mais la Kriegsmarine se consola avec le plus
beau cadeau : le sous-marin HA-40, qui avait soulevé un intérêt considérable chez les sousmariniers allemands. La guerre contre l’URSS battant son plein, et dans l’impossibilité de
faire passer des sous-marins océaniques en Méditerranée ou en Mer Noire, le potentiel que
représentait ce sous-marin de poche était considérable. La perspective d’en disposer
définitivement pour étudier à loisir puis dupliquer cette arme efficace, rapide et éprouvée
ouvrait des perspectives inespérées…
On sait que la Résistance française et la RAF se chargèrent d’éliminer rapidement une bonne
partie de ces cadeaux nippons.
Un bénéfice inattendu
Une remise en état des bâtiments s’imposait après une si longue croisière. Les travaux
demandèrent deux mois, plus deux semaines pour les essais et les réapprovisionnements. Les
moteurs diesel, d’origine allemande (MAN), furent entièrement révisés, et surtout, toutes les
batteries des moteurs électriques furent remplacées.
Les Allemands avaient en effet été surpris par la technologie complètement dépassée des
batteries utilisées aussi bien sur les gros submersibles que sur les sous-marins de poche, et
posèrent beaucoup de questions sur les techniques et procédures en usage dans la Marine
Impériale en la matière. En réalité, ces batteries étaient très proches de celles utilisées par la
Marine Impériale… du Kaiser, pendant la Première Guerre mondiale. Une technologie simple
et économique avait certes ses mérites, mais elle ne conduisait qu’à des produits peu
performants à courte durée de vie. Passer à côté d’améliorations importantes possibles pour
un investissement minimal, comme un renforcement de l’isolation entre les plaques de plomb
ou un espace de 15 mm destiné à l’accumulation des dépôts au fond de chaque cellule, aurait
été un gâchis.
Constatant que les batteries des croiseurs sous-marins étaient en piteux état (un très mauvais
point pour des bâtiments destinés à frapper au loin), les Allemands ne furent pas avares en
informations et conseils, allant jusqu’à fournir des détails sur la conception et la fabrication de
leurs propres batteries. La Kriegsmarine embarqua pour le Japon trois Batterie-Experten (un
par sous-marin), chargés d’une abondante documentation technique. Les experts allemands ne
chômèrent pas durant le voyage, écrivant avec l’aide des spécialistes du bord des manuels de
procédures pour la maintenance des batteries japonaises.
Sans doute l’industrie japonaise ne fut-elle jamais capable de produire les mêmes batteries
que l’industrie allemande, mais elle fit son profit des conseils reçus, même sans changer son
mode de fabrication périmé. Les principales améliorations apportées furent les suivantes :
– utilisation d’un meilleur isolant pour sceller les batteries ;
– utilisation de plaques de plomb plus épaisses, produites dans des moules doubles ;
– meilleur contrôle du taux d’antimoine dans le plomb, réduisant la production d’hydrogène et
donc les risques d’explosions ;
– aménagement d’un espace de 18 mm au fond des cellules pour l’accumulation des dépôts ;
– réduction de l’épaisseur des parois en verre des batteries, permettant une augmentation
sensible du volume d’électrolyte et l’utilisation de casiers en bois plus épais, donc plus solide.
Les conséquences furent un meilleur rapport capacité/poids, ainsi qu’une amélioration de la
durée de vie et une meilleure fiabilité des batteries de la Marine Impériale. De 1,5 kWh/kilo
pour 80 cycles de déchargement-rechargement, elles passèrent à environ 4,4 kWh/kilo et 200
cycles. Ces progrès, considérables pour les Japonais, les laissaient toutefois encore fort loin
du niveau atteint par les batteries utilisées par les Alliés, qui était de 9 kWh/kilo pour au
minimum 600 cycles. Néanmoins, cette amélioration fut pour la Marine Impériale le principal
bénéfice de l’opération Oni 2.
En octobre 1943, les procédures rédigées par les experts allemands, à peine adaptées, étaient
en usage dans toute la force sous-marine, et en août 1944, tous les sous-marins en opérations
utilisaient les batteries améliorées. Ce sont elles qui permirent aux sous-marins japonais de se
montrer nettement plus efficaces et dangereux à la fin de la guerre qu’au début.
Les “cadeaux” allemands
Les trois sous-marins emportèrent bien sûr en repartant une (relativement) grande quantité de
marchandises : c’était la seconde partie de la mission Yanagi. Entre autres, dans chaque
submersible, 200 chronomètres de marine, des tubes et autres composants électroniques, des
tonnes de plans, 250 actuateurs de mines magnéto-acoustiques (s’ajoutant à ceux envoyés en
mars-avril par le train), quelques moteurs d’avions, plus 12 mines TMC (Torpedo Mine Typ
C), chargées dans les compartiments à torpilles arrières. Beaucoup de ces marchandises furent
placées dans des conteneurs étanches, disposés dans une “malle” fixée sur le pont arrière, là
où avaient pris place à l’aller les sous-marins de poche.
La longue route du retour
Les sous-marins partirent de Lorient le 17 décembre 1942 et mirent cap au sud. En effet, en
raison de la grande valeur des marchandises transportées, il avait été décidé de ne pas tenter le
sort en retournant chasser les transports sur les côtes américaines. Mais la chance qui les avait
accompagnés jusqu’à New York et Norfolk n’était plus avec les trois sous-marins.
Des messages Enigma devaient écarter de leur route des U-Boots trop agressifs – ironie du
sort, c’est un de ces messages qui, déchiffré par les Britanniques, mit sur la route de l’I-4 le
sous-marin HMS Sealion, qui le coula à la torpille dans le golfe de Gascogne, persuadé de
détruire un gros sous-marin ravitailleur allemand.
Les I-1 et I-3 arrivèrent à Yokosuka après deux mois de voyage ininterrompu, le 15 février
1943. Un accueil délirant leur fut réservé.
Ce déploiement de huit mois devint rapidement légendaire dans le monde des sous-mariniers.
La 7e Division était allée au bout du monde, avait porté un grand coup au moral américain et
avait rétabli (symboliquement du moins) les communications entre l’Allemagne et le Japon.

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