Build In My BackYard : L`expérience de l`Alley Flat Initiative à Austin

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Build In My BackYard : L`expérience de l`Alley Flat Initiative à Austin
Build In My BackYard : L’expérience de l’Alley Flat Initiative à
Austin, Texas
Aux États-Unis, le « Build In My BackYard » connaît une nouvelle
vogue. Comme l’écrit Janny Scott dans le New York Times :
« l’appartement pour
grand-mère est de retour, et pas seulement pour
1
les grands-mères » . Qu’ils soient situés au-dessus du garage ou au
fond du jardin, qu’ils soient destinés à loger la grand-mère, la
belle-mère ou de plus en plus souvent de jeunes adultes, qu’ils
soient appelés dépendances ou appartements secondaires, ce sont des
formes anciennes de développement qui s’étaient répandues de manière
spontanée pour permettre au parc locatif de répondre à la croissance
démographique. L’échelle modeste de ces développements a souvent
permis une densification discrète du tissu urbain.
Le renouveau de ce mouvement révèle dans le paysage urbain et
suburbain des États-Unis le potentiel des terrains déjà bâtis,
réduisant ainsi la nécessité d’étendre la ville sur l’espace naturel
qui l’entoure. Outre Atlantique, les développements de type BIMBY
ont pour caractéristique de produire des logements à vocation
locative, de taille plus modestes que les standards habituellement
proposés par les promoteurs, donc à des prix structurellement plus
bas que le marché classique. Ainsi, le patrimoine foncier est mis en
valeur, souvent sans impliquer la division et la cession d’une
partie du terrain. La façon de faire la ville est ainsi transformée
par des initiatives individuelles ou associatives dispersées, ce qui
pose la question des formes de gestion et d’accompagnement que les
responsables politiques et les urbanistes peuvent mettre en place.
Le phénomène connaît un nouvel essor dans de nombreuses villes et
plusieurs reconnaissent l’intérêt urbanistique de cette forme
d’habitat et tentent de l’encadrer, voire de l’encourager: Boulder
(Colorado),
Santa
Cruz
(Californie),
Seattle
(Washington),
Montgomery (New-York), Austin (Texas)... À Austin, capitale du
Texas, le phénomène est réapparu au début des années 2000, promu
notamment par un montage associatif original : l’Alley Flat
Initiative. Les Alley Flats, ou appartements sur allée, sont
présentés comme un moyen efficace de juguler l’étalement urbain, de
produire du logement à prix abordable et de consolider le patrimoine
immobilier des propriétaires aux revenus modestes face à la montée
des taxes de propriété. Cet exemple permet de montrer les différents
bénéfices que peut retirer de ces appartements secondaires une ville
en pleine croissance, mais il sera aussi l’occasion de souligner les
différents obstacles à surmonter pour généraliser ce mode de
développement.
Le retour des appartements secondaires : une figure traditionnelle
du re-développement urbain remise au goût du jour
La présence des unités secondaires d’habitation est ancienne dans
les quartiers péricentraux, où ils s’insèrent dans un paysage
essentiellement composé de maisons individuelles basses, aujourd’hui
très prisés pour leur proximité au centre et leur architecture
typique de bungalow (petit pavillon de plain-pied) en bois, avec un
toit à pignons et un petit porche à l’entrée. Ils permettaient de
créer un parc essentiellement locatif à bas prix et suppléait aux
insuffisances de la politique de logement social. Mais, comme dans
1
« The granny flat is back — and not just for grannies » in J.
Scott, « The Apartment Atop the Garage is Back in Vogue », New York
Times, 2/12/2006.
beaucoup de villes américaines, ils ont été bannis par le code
d’urbanisme dans la période suivant la seconde guerre mondiale,
empêchant de nouvelles constructions et vouant les unités existantes
à une lente dégradation faute d’autoriser leur réhabilitation. La
recherche d’espace aux franges suburbaines apparaissait alors plus
souhaitable à la densification des quartiers existants.
Le retour des appartements secondaires est lié à un mouvement plus
2
vaste de remise en cause de l’étalement urbain et répond à la
préoccupation croissante d’inventer les outils d’un développement
urbain durable en densifiant de manière raisonnée le tissu urbain
existant. Cela nécessite la réintégration de ces formes urbaines
particulières dans le code d’urbanisme. À Austin, les appartements
secondaires sont l’un des infill tools (ou outils de densification
interstitielle), que les urbanistes de la ville ont mis à
disposition des quartiers au début des années 2000 pour 3 permettre de
densifier le tissu urbain sans en dénaturer le caractère .
L’Alley Flat Initiative : une association originale d’acteurs
communautaires pour mobiliser les pouvoirs publics
L’Alley Flat Initiative est née d’un partenariat entre l’Université
du Texas et deux associations à but non lucratif :
- l’Austin Community Design and Development Center (ACDDC) qui
fournit aux ménages modestes ou aux autres associations à but non
lucratif des services de design et d’architecture auxquels ils n’ont
d’ordinaire financièrement pas accès.
- la Guadalupe Neighborhood Development Corporation (GNDC) qui s’est
donné pour mission de produire du logement à prix abordable dans le
quartier de Guadalupe situé juste à l’Est du centre-ville, de
l’autre côté de l’axe autoroutier de l’Interstate Highway 35 qui
coupe la ville selon un axe nord-sud.
Lors de la première expérience de planification en 1928, l’Est
d’Austin a été désigné comme la partie de la ville qui accueillerait
les minorités ségrégées ainsi que les équipements sources de
nuisances. Bien que la ségrégation ethnique soit désormais abolie,
cet espace, physiquement séparé du centre-ville par un axe
autoroutier majeur, est encore aujourd’hui marqué par un pourcentage
élevé de la population hispanique et un revenu médian par foyer plus
faible que la moyenne austinite.
La lutte d’associations locales a permis d’expulser les sources de
nuisances, ce qui, conjugué à la hausse générale des prix du
logement et à la proximité du centre-ville, a conduit à rendre très
attractif
ce
quartier
autrefois
déprécié.
Un
processus
de
gentrification s’est donc engagé qui conduit au remplacement des
populations les plus pauvres par des populations plus aisées et se
double dans le cas d’Austin d’une dimension ethnique forte. La
population afro-américaine a dramatiquement chuté et la population
2
Cf. par exemple Duany A., Plater-Zyberk E. et Speck J., Suburban
Nation : The Rise and Decline of the American Dream, New York, North
Point Press, 2000.
3
L’infill tool « secondary apartment » autorise la construction
d’une unité secondaire 2d’habitation d’un peu moins de 80m2 sur les
terrains dépassant 534 m , à condition que la surface imperméabilisée
par les deux bâtiments et les éventuelles allées ou places de
parking ne dépassent pas 45% de la surface totale du terrain. Si
l’appartement secondaire est destiné à héberger des personnes
gagnant moins de 60% du revenu familial moyen, cette restriction est
relevée à 50%.
hispanique,
bien
qu’encore
majoritaire,
diminue
rapidement,
remplacée par des ménages blancs. La gentrification est renforcée
par le système fiscal texan qui, en l’absence d’impôt sur le revenu,
repose
essentiellement
sur
l’impôt
foncier,
par
conséquent
relativement élevé. L’assiette fiscale étant fondée sur les prix
environnants, le propriétaire d’une maison même ancienne, voire
dégradée, peut voir sa taxe de propriété flamber jusqu’au point il
ne peut se permettre de rester et doit vendre son bien pour
s’installer plus loin en périphérie. Le processus de gentrification
qui accélère nettement l’appréciation des valeurs immobilières,
accentue donc la hausse des impôts fonciers, ce qui pousse les
habitants de longue date à partir, engageant un cercle vicieux.
Un outil de création de logement à prix abordable et une arme antigentrification ?
Les étudiants en architecture et en urbanisme de l’université du
Texas ont cherché à faire émerger un projet qui soit en mesure de
répondre aux attentes des habitants de l’Est d’Austin, notamment
pour faire face aux changements qui bouleversent leurs quartiers. Le
réseau existant d’allées de services qui desservent le fond des
parcelles des quartiers anciens a été identifié comme un atout
permettant
une
desserte
facilitée
des
unités
secondaires
d’habitation construites au fond des jardins. D’où le nom d’Alley
Flat. La construction d’une unité secondaire d’habitation a été
conçue comme pouvant servir à rassembler les familles sur une
parcelle, ou à percevoir un revenu locatif, consolidant ainsi la
résistance financière des propriétaires face à la hausse des impôts
fonciers.
Le quartier de Guadalupe a donc été le premier à accueillir ces
Alley Flats. Ils sont construits au fond des terrains et connectés
aux allées de service qui irriguent plusieurs parties de la ville,
ce qui peut permettre une indépendance des deux unités d’habitation.
Deux prototypes ont été construits, en suivant des standards
maximums de construction écologique. Ils sont destinés à des
habitants ne gagnant respectivement pas plus de 60% et 30% du revenu
médian. L’un est habité par la grand-mère de la famille qui réside
dans la maison principale et est complètement accessible en fauteuil
roulant. L’Alley Flat Initiative a fait de ces deux prototypes des
manifestes de leur volonté d’allier design écologique et logement à
prix abordable. Toutefois, le coût des prototypes est encore trop
élevé pour permettre une construction en masse tout en respectant
l’objectif de s’adresser à des populations aux revenus modestes et
de combler le déficit du parc de logements locatif à prix abordable.
En outre, malgré l’existence des nouveaux outils de densification
interstitielle, le difficile parcours administratif qu’ont dû
surmonter ces associations, pourtant expertes, met en doute la
possibilité de généraliser ce mode de développement dans toute la
ville. L’association est donc encore à la recherche d’un modèle
économique viable tout en se battant sur le front des politiques
d’urbanisme
pour
faciliter
la
construction
d’appartements
secondaires.
BIMBY VS NIMBY : le dilemme politique
L’Alley Flat Initiative cherche en effet à convaincre les pouvoirs
publics de faciliter le processus complexe par lequel il faut passer
pour parvenir à faire approuver et construire ces unités secondaires
d’habitation. Les outils de densification interstitielle ne sont
d’ailleurs à ce jour pas disponibles partout à Austin. Chacun des 65
quartiers doit les accepter un par un dans son plan d’urbanisme
local. Or les quartiers qui avaient déjà adopté leur plan
d’urbanisme avant la création de ces outils devraient entrer dans un
long
processus
d’amendement
pour
autoriser
les
appartements
secondaires. Les quartiers qui rédigent actuellement leur plan
voient s’élever une partie de la population hostile à toute
densification dans le quartier qui risquerait de diminuer la valeur
de leur propriété, ou qui pourrait faire venir une population perçue
comme étrangère. C’est une version du phénomène très connu dit NIMBY
(pour Not In My BackYard) qui milite systématiquement contre tous
les changements qui pourraient affecter le cadre de vie local, sans
pour autant être contre ces changements en eux-mêmes, s’ils sont
implantés ailleurs…
Le morcellement du processus de planification à l’échelle des
quartiers a certes permis de relancer l’effort d’aménagement
stratégique après l’échec des tentatives de planification à
4
l’échelle de la ville dans les années 80 et 90 . Mais cette structure
de
planification
laisse
la
ville
orpheline
de
stratégies
transversales ou globales qui pourraient promouvoir un intérêt
général à l’échelle de la ville entière ou mettre en cohérence les
plans locaux des quartiers, ce qui a tendance à alimenter le
NIMBYism. Outre ces importants obstacles politico-institutionnels,
l’Alley Flat Initiative doit donc aussi s’employer à lutter contre
le NIMBYism ambiant en démontrant les bénéfices à retirer de la
construction d’appartements5 secondaires auprès des associations de
quartier et du grand public .
Un outil d’urbanisme durable ?
Dans la perspective plus vaste d’un développement urbain durable,
l’Alley Flat Initiative milite aussi pour que des aides soient
créées afin de permettre de limiter l’empreinte écologique des
nouveaux bâtiments ainsi construits en installant, entre autres, des
systèmes de collection des eaux de pluie et des panneaux solaires.
Cela permettrait d’annuler les impacts négatifs de la densification
sur l’environnement, tout en limitant le coût des factures des
services municipaux qui représentent une lourde part dans le budget
logement des ménages modestes, assurant ainsi une durabilité à la
fois sociale et environnementale.
Les appartements secondaires ne seront un outil efficace contre
l’étalement urbain qu’à partir du moment où ils sauront proposer un
modèle de densification assez attractif pour une population qui, en
majorité, voit la densité comme une menace. Pour l’Alley Flat
Initiative, l’intégration des appartements secondaires doit donc
être à la fois esthétique, environnementale et sociale, à l’échelle
du
quartier
et de
la
ville entière,
ce
qui
justifierait
l’implication des pouvoirs publics dans la promotion de cet outil
d’urbanisme durable.
4
E. J. McCann, « Framing space and time in the city: urban policy
and the politics of spatial and temporal scale », Journal of urban
affairs, vol. 25, n° 2, 2003, pp. 159–178.
5
D’où la tenue de l’exposition « Affordable housing : what’s in your
backyard ? » à la mairie d’Austin du 26 mars au 9 avril 2010,
http://www.thealleyflatinitiative.org/2010afiexhibit
Légende photo Alley Flat 1: Le premier Alley Flat a été construit en
2008 dans le quartier de Guadalupe. Initialement destiné à héberger
la sur de la résidente de la maison principale, il est aujourd’hui
loué en guise de complément de revenu. Le bâtiment de 65m2 allie
notamment panneaux solaires, ventilation naturelle et récupération
des eaux de pluie pour réduire son impact environnemental et les
factures de l’occupant.
Crédit : Jody Horton.
Légende photo Alley Flat 2: Véritable « granny flat », le second
Alley Flat a été construit en 2009 dans le même quartier pour
héberger la grand-mère de 2la famille qui occupe la maison
principale. Le bâtiment de 80m est entièrement accessible pour une
personne en fauteuil roulant.
Crédit : Sam Gelfand.
Légende vue aérienne de l’Alley Flat 2: À moins de
capitole, les appartements secondaires s’insèrent dans
majoritairement composé de maisons individuelles de
L’espace des backyards, connecté à une allée de service,
pour densifier le tissu urbain de manière discrète.
2,5 km du
un paysage
plain-pied.
est utilisé