Cass. soc, 9 juin 2015, n°14-10192

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Cass. soc, 9 juin 2015, n°14-10192
Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mardi 9 juin 2015
N° de pourvoi: 14-10192
Non publié au bulletin Rejet
Mme Vallée (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Piwnica et
Molinié, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 5 novembre 2013), que M. X... a été engagé le 8
décembre 2008 par la société Groupe Pierre Le Goff Rhône Alpes Centre (la société) ; que les
parties ont signé le 17 mars 2011 une convention de rupture du contrat de travail, homologuée
par l'autorité administrative le 26 avril suivant ; que le salarié a saisi la juridiction
prud'homale de demandes tendant à la requalification de la rupture conventionnelle en
licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que s'il est permis au juge du contrat de travail -nonobstant l'homologation administrative
et le respect des conditions de forme destinées à s'assurer du consentement éclairé du salarié de sanctionner par la nullité de l'accord l'existence d'un vice du consentement, c'est à la
condition que celui-ci soit précisément identifié et établi ; qu'en annulant la convention de
rupture conclue entre M. X... et son employeur sans qu'aucun vice du consentement, pas plus
la violence morale que le dol ou l'erreur, ait été suffisamment caractérisé, la cour d'appel a
violé l'article L. 1237-11 du code du travail, ensemble les articles 1108 et 1109 du code civil ;
2°/ que pas plus que l'existence d'un différend entre les parties, la notification d'un
avertissement précédant une rupture conventionnelle ne saurait suffire à caractériser un vice
du consentement et justifier l'annulation de la convention de rupture ; qu'en statuant comme
elle l'a fait en se fondant sur des motifs inopérants relatifs à la notification d'un avertissement
et à l'invitation faite au salarié d'exécuter loyalement son contrat ou de prendre l'initiative
d'une rupture, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 1237-11 du code du
travail ;
3°/ que l'existence d'un désaccord entre les parties relatif à l'interprétation de la convention et
aux suites de la rupture, apparu postérieurement à l'homologation de l'accord, au seul stade de
sa mise en oeuvre, ne suffit pas à établir l'existence d'un vice du consentement concomitant à
la conclusion de l'accord ; qu'en justifiant l'annulation de la rupture conventionnelle par
l'existence d'une différend relatif à la mise en oeuvre de la clause de non-concurrence, la cour
d'appel a encore fait une fausse application des dispositions de l'article L. 1237-11 du code du
travail ;
Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part que l'employeur avait adressé au salarié, le jour où
s'était tenu l'entretien à l'issue duquel ce salarié avait demandé un « licenciement
conventionnel », un avertissement se concluant par une incitation à rompre son contrat de
travail, d'autre part qu'il avait été indiqué au salarié lors des différents entretiens préalables à
la rupture qu'il percevrait une indemnité égale aux deux tiers de son salaire net mensuel
pendant douze mois au titre de la clause de non-concurrence, alors que l'employeur l'avait
délié le 2 mai 2011 de cette clause, la cour d'appel qui, exerçant son pouvoir souverain
d'appréciation, a fait ressortir que le consentement du salarié avait été vicié, a légalement
justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Groupe Pierre Le Goff Rhône Alpes Centre aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en
son audience publique du neuf juin deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Groupe
Pierre Le Goff Rhône Alpes Centre
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement qui annulait la convention de
rupture conclue entre la société Groupe Pierre Legoff et M. X... le 17 mars 2011 et
homologuée le 27 avril 2011,
AUX MOTIFS QU'il est constant que les parties ont signé le 17 mars 2011 une convention de
rupture conventionnelle du contrat de travail de M. X... prévoyant le versement au salarié
d'une indemnité spécifique de rupture de 1.300 euros brus avec une date de rupture envisagée
au 30 avril 2011 ; qu'aucune des parties n'ayant exercé son droit de rétractation,
l'homologation de la convention est intervenue le 27 avril 2011; qu'il résulte des
correspondances et des courriers versés aux débats que cette convention de rupture a été
signée alors qu'une situation conflictuelle existait entre les parties dès le début de l'année
2011, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la société Groupe Le Goff ; que si l'existence d'un
différend au moment de la conclusion d'une convention de rupture intervenue en application
de l'article L1237-11 du code du travail n'affecte pas en ellemême la validité de cette
convention, la rupture conventionnelle ne doit pas être imposée par l'une ou l'autre des parties
; qu'en l'espèce, s'il est exact que les parties se sont rencontrées le 15 février 2011 et que suite
à cet échange M. X... a adressé à son employeur une lettre aux termes de laquelle il sollicitait
de lui accorder un « licenciement conventionnel », la Société Pierre Le Goff fait abstraction
de ce que la lettre du salarié fait suite à une lettre d'avertissement envoyée également le 15
février 2011 jour de l'entretien et libellée en ces termes : "Nous ne pouvons tolérer d'avantage
vos manquements professionnels dans le suivi de votre activité commerciale et le fait de ne
pas respecter les consignes qui vous sont données par votre supérieur hiérarchique. Les faits
évoqués ci-dessus (...) constituent une faute, aussi nous vous notifions ce jour par la présente
un avertissement (...). Nous attirons tout particulièrement votre attention sur le fait que si de
tels incidents se reproduisaient nous pourrions être amenés à prendre une sanction plus grave.
Par ailleurs, nous sommes particulièrement inquiets quant à la teneur de vos propos à
l'occasion de ma visite de janvier 2011. Vous avez précisé ne plus vouloir travailler pour le
groupe Pierre Le Goff et vous avez expressément demandé à être licencié et à partir avec
5000 euros. Sans pour autant y voir un lien de cause à effet avec votre attitude récente des 2831 janvier et premier février, nous vous demandons soit de continuer à exercer vos fonctions
avec professionnalisme en exécutant votre contrat de bonne foi dans le respect de l'obligation
de loyauté qui vous incombe, soit de prendre vos responsabilités en prenant l'initiative de la
rupture de votre contrat de travail. Nous espérons que le présent courrier vous fera prendre
conscience de l'impérieuse nécessité de changer d'attitude. " ; qu'ainsi libellée, cette lettre
contient, outre la sanction prononcée, une invitation pour le salarié à rompre le contrat de
travail ; que par ailleurs, dans un courrier adressé par M. X... à son employeur le 18 mai 2011,
le salarié est venu protester contre le fait que la société l'avait informé par courrier du 2 mai
2010 de ce qu'elle le déliait de son obligation de non concurrence alors que lors des différents
entretiens préalables à la rupture il lui avait été indiqué à plusieurs reprises par Mme Y..., M.
Z... et la directrice des ressources humaines qu'une indemnité égale aux deux tiers de son
salaire net mensuel lui serait payée pendant 12 mois au titre de la clause de non-concurrence ;
que force est de constater que la société Groupe Pierre Le Goff qui n'a délié que fort
tardivement M. X... de son obligation de non concurrence n'a à aucun moment contesté cette
affirmation alors qu'elle fait état des termes de ladite lettre dans laquelle le salarié écrivait :
"nous avons décidé, suite aux entretiens du 15 février 2011 et du 4 mars 2011 de convenir
d'un licenciement conventionnel portant la date de rupture du contrat de travail au 30 avril
2011" pour soutenir que M. X... avait bien donné son consentement à cette rupture ; qu'il
apparaît dans ces conditions que la convention de rupture intervenue sans que M. X... ait
manifesté un consentement libre et éclairé, ne peut qu'être considérée comme nulle et produire
les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1) ALORS QUE s'il est permis au juge du contrat de travail - nonobstant l'homologation
administrative et le respect des conditions de forme destinées à s'assurer du consentement
éclairé du salarié - de sanctionner par la nullité de l'accord l'existence d'un vice du
consentement, c'est à la condition que celui-ci soit précisément identifié et établi; qu'en
annulant la convention de rupture conclue entre M. X... et son employeur sans qu'aucun vice
du consentement, pas plus la violence morale que le dol ou l'erreur, ait été suffisamment
caractérisé, la cour d'appel a violé l'article L1237-11 du code du travail, ensemble les articles
1108 et 1109 du code civil ;
2) ALORS QUE pas plus que l'existence d'un différend entre les parties, la notification d'un
avertissement précédant une rupture conventionnelle ne saurait suffire à caractériser un vice
du consentement et justifier l'annulation de la convention de rupture ; qu'en statuant comme
elle l'a fait en se fondant sur des motifs inopérants relatifs à la notification d'un avertissement
et à l'invitation faite au salarié d'exécuter loyalement son contrat ou de prendre l'initiative
d'une rupture, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L 1237-11 du code du
travail ;
3) ALORS QUE l'existence d'un désaccord entre les parties relatif à l'interprétation de la
convention et aux suites de la rupture, apparu postérieurement à l'homologation de l'accord,
au seul stade de sa mise en oeuvre, ne suffit pas à établir l'existence d'un vice du
consentement concomitant à la conclusion de l'accord ; qu'en justifiant l'annulation de la
rupture conventionnelle par l'existence d'une différend relatif à la mise en oeuvre de la clause
de non concurrence, la cour d'appel a encore fait une fausse application des dispositions de
l'article L1237-11 du code du travail.
ECLI:FR:CCASS:2015:SO00954
Analyse
Décision attaquée : Cour d'appel de Riom , du 5 novembre 2013